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L A
RHETORIQUE
L'ART DE PARLER.
As* h R.P. Br^s.ii^.o r,f M...
Prêtre de fOratoiri.
CfD^i^e Edition, revùë 8e augmentée^
où l'on a ajouté fes
NoUVEtLF.5 R V.r Li ;-; ^ :■
SUR l'Art Poëtiqjjb.
Hiez la Veure de Paoi, Marret»
dans le Beutsftraat.
t f
• '<!
• j • f I
SON ALTESSE ROYALE
MONSEIGNEUR LE DUC
DE CHARTRES*,
Monseigneur,
Si l'entreprife li'avoit pas àé toi deffm de
«esfvrcts , au lieu de lArt de Parler, fau-
iii! offert à VOTRE ALTESSE
Totale celui défaire des a£he»i dignes
itfon rang. Mais Elle peut "joir Elle-même
'iani la perfonae du Prince incomparable qui
<«> a donne' la naijfance^ une image des ver^
In héroïques de fes illuflres Ayeux , & en
i^me temp hs-grandi exemples qu'elle doit
* 2 /m-
• Ce/lprefentement Mi, le Doc d'Oïlcans.
>
E P I T R E.
fuivre. Le feulfouvenir de h fameufe jom
née de Mont-Cajfeli f eut fuffire pour lui n
fref enter ce que la prudence (y lavaletirpeu
vent faire y & ce qu'elle doit faire hrfqu'eL
fera un jour à la tête des armées du Roi,
Il efi donc plus à propos , MON S El
G NE UR 9 que je me contente d'offrir
VO TRE AL TESSE ROTA LE l'Ar
de Parler^ àprefent qti elle s'applique à Fé
tude des belles Lettres, Je traite cet Art d'u
ne manière particulière : & ceux, qui voudron
bien jetter les yeux fur mon Ouvrage y recon
noztront qtte le dejjein que j'ai pris , peut êtr
utile pour former l'efprit , & faire prendr
l habitude de juger des cbofes par des princi
pes clairs (jX Joli des.
Ce neft pas un grand mal de prendre dan
la Profe Ou dans les Vers , pour une veritabl
beauté ce qui n*efl qn un faux brillant; mais
MONSEIGNEUR , // ny a rien d
plus important à un Prince » que de s'accou-.
tumer de bonne heure à juger des chofes pa\
des principes fondes. Je n avance rien dom
je ne recherche les caufes » dont je ne tâche di
rendre raifon. Peut-être que mes reflexion,
paroitront trop élevées pour ceux qu'oruinf
fruit dans les Collèges; mais y Mcnfeigneur
VOTRE ALTESSE ROYALE eji
aujfi
'a
E P 1 T R E.
atft difiinguée de ceux de/on âge par fonju^
ffment ^ pnrfa vivacité y que par fa natf^
famé: ce que je ne dif pas pour la louer. Je
fat quelle îCaime pas tes loUanges , & quel''
le eft perfuadée qu^un Prince les doit merit r,
maii quil en doit faire peu de cas y puifque
la plupart de ceux qui le loUent , quand il
fait bien y fer oient fbuvent prêts à lui donner
les mêmes louanges Cil faifvit mal. Mais
^uil nous f oit au moins permis (T admirer dans
V.A,R, ces belles inclinations qui nous font
concevoir de fi grandes efperances. Il mejem'*
Ut voir dans un agréable Printemps des ar^
kes couverts de fleurs. On ne fe peut rien
imaginer de plus beau. Ces fleurs néanmoins
Me font pas encore les fruits qu*on attend. Il
J a bien des accidens à craindre. .
Monfeigneur y V. A. R. eft élevée trop
chrétiennement pour ne pas favoir que fi fa
condition l'élevé y elle Fexpofe à de grands
dangers. Les obligations des Grands font gran^
des. Dieu ti a pas fait le refte des hommes
fourfervir à leur grandeur. Us nefe doi^
vent regarder que comme de grands in fi rumens
dont ilfe fert pour faire de grandes ch<fes.
Ses deffeins fur eux font admirables y puifque
pour fanSîifier tout un Royaume , en bannir
les duels 9 fherefie y Pinjuftice y ilfufftt qnil
* i Me
E P I T R E.
fajje naître un Prince qui ait de îa fieté.
J/ous le voyez, de près y Monfeigneur ^ dans
le plus farfait modèle que V, A, R, fe puijfe
propofer; (y pour peu cC attention quellefajfe
fur fes prx>pres lumières y elle verra elle-mê"
me toutes les veritez^ qu*elle doit connoztre,
C*efl làfon principal devoir y. d\'couter Dieu
qui Vinjiruit intérieurement. Tout tire un
Prince hors de lui-même i les affaires , les di'
vertijfemens ; cependant ce n\Ji que dans le
fond du cœur que s'entend la Vérité: leshom^^
mes r ignorent y ou ils la cachent y il faut /V-
souter elle-même y & fe faire àfon langage^
qu*on comprend plus facilement lorfquon a
fris rhabittide de la confulter dans les moin^
dres chofes. Oeft à quoi pourra fervir lepe*
fit Ou^age que f offre àV.A.R. J'efpere
qu^ellê voudra bien s' en fervir y & qu^elle li
recevra comme une marque de mon z,eley &
du profond refpeSl avec lequel je fuis ^
MONSEIGNEURy
DE VOTREMiLTBSSE ROYALEy
De p«i« le 20 Le très-humble & le très-obéïf-
Ji4Ucti6f7. fant Serviteur , B. Lamt.
Prêtre de TOratoirc.
T'^îï^£^^£^^£^ «^^[^^tfktfijAç#^^
î K E' F A C E.
jE mot de Rhétorique n*a point d*au-
itre idée dans la langue Grecque d'où
Y\\ cft emprunté , que c*cft T Art de
' dire ou de parler. 11 nVft pas ne-
ccffaîre d'ajouter que c'cft PÂrt Je bienparler
four ferfitaaer. 11 eft vrai que nous ne parlons
'que pour faire entrer dans nos femimens ceux
qui nous écoutent; maïs puifqu'il ne fiaut
^oint d'Art pour mal faire, & que c'eft tou-
jours pour aller à fes ans qu'on TemploYe,
lemot d'Art dît fuffifanunenc tout ce qu^oa
voudroit dire de plus.
Rien de fi important que de lavoir perfua-
der. C'eft de quoi il s'agit dans le commerce
du monde: auffirien de plus utile que la Rher
torique ; & c'eft lui donner des bornes trop
étroites que de la renfermer dans le Barread
& dans les Chaires de nos Eglifés. J'avoue
qu'elle éclate en ces lieux. C'eft le plaifir
d'entretenir un grand auditoire dont on eft
admiré , qui fait qu'on l'étudié , & qu'on re-
cherche avec empreflèment les Livres qui l'en-
feignent. On s'en dégoûte bien- tôt de ces Li-
vres , quand on reconnoît que pour les avoir
lus , on n'eft pas devenu plus éloquent ; préoc-
cupe* mal-i-propos que [cela dévoie être y
* 4 açtU
PREFACE.
après avoir compris les préceptes de la Rhé-
torique, comme s'il fuffifoît de lire un Livre
dé î)eînture pour être un excellent Peintre.
Une Rhétorique peut être bien faite fans
qu'on en, retire du fruit, lorfqu'on ne joint
poiar à la leâure de ces règles celle des Ora-
teurs, & rcxercice. Néanmoins on ne peut
diflimuler que de la manière qu'on la traite ,
elle eft prefque inutile; car outre qu'on n'y
rend point de raifon de ce que Tonenfeigne,
il femble qu'elle ne foit faite que pour ceux
qui parlent dans uii Barreau, à qui même el-
le fert peu, n'ouvrant leur :efprit que pour
trouver des chofes triviales qu'ils auroientpû
Ignorer, & qu'il faudroit taire, comme nous
le remarquons en expliquant fommairement
les Lieux Communs, qui font laplus grande
partie des Livres de Rhétorique.
, Quoi qu'il en foit de ces Livres, l'Art de
parler eft très-utile, & d'tm ufage fort éten-
du. 11 renfernietout ce qu'on appuie en Fran-
çois Belles Lettres : en Latin & en Grec Phi^
hlogie , ce mot Grec fîgniâe t* amour des mots.
Savoir les Belles Lettres , c'eft favoir parler,
écrire, ou juger de ceux qui écrivent- Or
cela eft fort étendu; car l'Hiftoire n'eft belle
& agréable que lorfqu'elle eft bien écrite. Il
n'y a point de Livre qu'on ne lifeavecplaifîr
jquand le ftile en eft beau. Dans la Philofo-
phîemême, quelque auftere qu'elle foit, on
y veut de la politefle. Ce n'eft pas fans rai-
îbn; car, comme je crois l'avoir dit ailleurs,
d'éloquence eft dans les Sciences ce que le So-
leil eft dans \% monde. Les Sciences ne font
que
£ . . #
PREFACE.
lie ténèbres , fî ceux qui les traitent ne JBi«
Œt pas écrire.
L'Art de. parler s'étend ainfi à toutes cho-
es. Il e(l utile aux Philofophes, aux Mathé-
maticiens. La Théologie en a befoin, puis-
qu'elle ne peut expliquer les veritexfpirituel-
les, qui font Ton objet, qu'en les revêtant de
paroles feniibles. Certainement nous aurions
on plus grand nombre de bons Ecrivains (ion
avoit découvert les véritables fondemens de
cet Art.
Ce qui eft d'une grande confideratîon, c'eft
que l'Art de parler, traité comme il le doit
être, pent donner de grandes ouvertures pour
l'étude de toutes les langues ,. pour les parler
purement & poliment, pour en découvrir le
geoie & la beauté. Car quand on a bien con-
çu ce qu'il faut faire pour exprimer fes pen-
fees, & les diflerens moiens que kinature
I donne pour le faire, on a une connoiflfance
I
générale de toutes les langues, qu'il eft faci-
le d'appliquer en particulier à celle qu'on vou-
dra apprendre. Celafe verra évidemment dans
la ledure de l'Ouvrage que je donne au pu-
blic^ dont voilà le plan.
J'explique d'abord comme fe forme la pa-
role; & pour aprendre de la nature même la
forme que doivent avoir les paroles pour ex-
primer nos penfées , & les mouvemens de no-
tre volonté , je me propofe des hommes qui
viennent nouvellement de naître dans un
nouveau monde, fans connoître l'ufage de
la parole. J'étudie ce qu'ils feroient, & je
montre qu'ils s'appcrcevroient bien-tôt de l'a-
* 5* van-
P RE F A CE.
TWitagc de la parok, & qu'ils fe fcroîentun
langage. Je recherche quelle fortune ils lui
donneroient, & par cette recherche je décou-
vre le fondement de toutes les langues, & je
rends raifon de toutes les règles qu'ont pref-
crît les Grammairiens. Cette recherche pa-
foîtroît peu confiderable, fi Ton n'apperce-
voît pas qu'elle eft utile pour apprendre les lan-
gues avec plus de facilité, & pour juger de
leur beauté. C'eft pourquoi je n'appréhende
pas que ceux qui aiment qu'on traite les cho-
fes folidement, foîent rebuter de voir qu'on
parle dans le premier Livre denomsfubftan-
tifs, de verbes, de déclinaifons , & de con-
jugatfons. Il n'y a que ceux qui s'imaginent
que l'Art de parler ne doit traiter queues or-
nemens de réloquence , qui puiflent con-
damner la méthode que je fuis. Il ne faut pas
commencer à bâtir une maifon par le faite.
Quîntilien , le premier Maître de Rhétori-
que, dit qu'il en eft de ces chofes comme des
fondemens d'un Edifice, qui n'en font pas la
partie la moins necefifaire, quoiqu'ils ne pa-
roiflènt point. '^
Après que ces nouveaux hommes ont joué
leur perfonnage, je déclare quelle a été la
véritable origine des laneues. Je fais même
dans la fuite de mon Ouvrage un aveu qui
femble être une contradidion à ce que je dis
de ces hommes ; car je demeure d'accord de
ce qu'un Auteur habile vient de foûtenir, que
fi Dieu n'avoit appris aux premiers hommes
ï articuler les fons de leur voix, ils n'auroicnt
jamais pu former de paroles diftinâes. Mais
on
PREFACE.
tnfalt que les Géomètres fuppolènt des cho-
fes qui ne font point , & que cependant ili
€D tirent des confequences fort utiles. I>ins
la fuppofition que je faifois donc que cet
hommes euilènt fli articuler, c*eft-àdire,
prononcer les différentes lettres de Falphar
bety qneftion que je n'examinois point alors,
j'ai pfl confiderer quelle forme ils auroient
donné à leurs paroles , pour marquer leurs
différentes penH^es*.
11 eft confiant , &jeîe prouve, quecen'efl
point le haiard qui afait trouver aux hommes
Tafage de la parole. Je fais voir néanmoins
que Te langage dépend de leur volonté , &
que Tufàge ou le confentement commun des
hommes exerce un empire abfolu fur les
mots ; c*eft pourquoi après que j'ai montré
quelles font les loix que laRaifon prefcrit,
je donne des règles pour connoître quelles
font les loîx de Tufage, & ce qu'il faut faire
pour diftinguer ce que l'ufage autorifeefieâi*
vement.
Je fais remarquer dans le fécond Livre que
les langues les plus fécondes ne peuvent four*
nîr tous les termes propres pour exprimer nos
idées, & qu'ainfi il faut avoir recours à l'ar-
tifice , empruntant les termes des chofes à
peu près femblables , ou qui ont quelque liai-
ion & quelque rapport aveclachofe que nous
voulons fignifier, & pour laquelle Tufage or-
dinaire ne donne point de noms qui Iqiioient
propres. Ces expreffions empruntées fe nom-
ment Tropes. Je parle de toutes les efpeces
de Tropes qui font les plu« confiderablcs , &
de leur ufage. * 6 Le
PREFACE.
• Le corps eft fait de manière que naturelle-
ment il prend des poftures propres à fuir a
qui lui peut nuire, & qu'il fe difpofe avanta-
geufement pour recevoir ce qui lui fait du bien<
Je remarque dans ce même Livre que la na-
ture nous porte pareillement à prendre de cer-
tains tours en parlant , capables de produire
dans Tefprit de ceux à qui nous parlons, les
cffeès que nous fouhaitons, foit que nous vou-
lions les enflammer de colère, ouïes calmer
Ces tours fe nomment Figures. Je traite de
ces Figures avec foin , ne me contentant pas
de propofer leurs noms avec quelques exem-
ples, comme on le fait ordinairement: je fais
connoître la nature de chaque Figure, ficTu-
ûge qu'on en doit faire.
J'entre dans un grand détail dans le troîfié-
me Livre. J'explique encore avec plus de foin
que je n'ai pas fait dans le premier Livre,
comment feforme laparole & le fonde cha-
que lettre.Ge n'eft pas que je croie que fans cet-
te connoiffance on nepuiffe point parler. On
apprend la langue de fon païs fans Maître,
& il efl plus facile d'en prononcer les termes,
que de concevoir comment fe fait cette pro-
nonciation. Cependant les réflexions que je
fais font utiles & neceflaires pour avoir une
connoiflance parfaite de l'Art de parler. Je
confîdere donc dans ce Livre la parole entant
qu'elle eft fon. Je traite de l'arrangement des
n^ots qui eft neceffaire , afin qu'ils fe pro-
noncent facilement. Je parle des périodes :
j'explique l'Art Poétique, c'eft- à-dire, l'art
de lier le difcours à de certaines mefures qui
It
P RE FA C K
k rendent harmonieux. Il n^y a rien dans cet-
te matière dont je'ne faffe voir les caufes t-
vec aflèz d'évidence; ce que je n'aurois pas
pû faire fî je n'étois entré dans un détail qu on
jugera utile, lorfqu'on appcrcevra combien il
peut donner d*ouvertures pour TArt de par-
ler. La douceur de la prononciation eft la
caufe de ce grand nombre a irregularitez qu'on
voit dans toutes les langues. Je le fais voir,
& je découvre en même temps comment les
différentes manières de prononcer , corrom-
pent une langue, & font que d'une il s'en fait
plufîeurs.
Le quatrième Livre traite des fiiles ou ma-
nières de parler que chacun prend , félon Jes
inclinations &les difpofîtions naturelles 'qu'il
a. Je fais voir qu'il faut que la matière règle
le ftîle, qu'on doit s'élever ous'abaiflèr félon
qu'elle eft relevée, ou qu'elle eftballè, &que
la qualité du difcours doit exprimer la qualité
du fujet. J'examine quel doit être le ftîledes
Orateurs, des Poètes, des Hiftoriens, des
Philofophes. Après quoi je traite des orne-
mens ; & je montre que ceux qui font natu-
rels , folides , véritables , font une fuite de l'ob-
fervation des règles qui ont été propofées ;
qu'un difcours eft orné lorfqu'il eft exaô.
La fin de la Rhétorique c'eft de perfuader,
comme on l'a dit. L'expérience fait connoî-
tre qii'il y a des manières de dire les chofes
^uî gagnent les cœurs. J'explique ces maniè-
res dans le dernier Livre; & c'eft là que je
rapporte en abrégé tout ce qui &it le gros des
Rhétoriques ordmaires.- On y traite avec é-
ten-
PREFACE.
tendue des chofes peu importantes. JelespaC-
fe légèrement, & je m'arrête à d'autres plus
îiecefTaires, dont on ne parle point. Je fais
voir que TArtdeperfuader demande descon-
îioiffances particulières qtfil faut apprendre
ides autres Sciences. Mais quoi que je re-
connoiffe qu'on ne peut traiter cet Art à fond
dans une Rhétorique , cependant j'indique les
fources, & peut- Stre que ce que j'en dis, fatîs-
fera autant que bien de gros volumes qu'on a
fait fur cette matière.
Quand cette nouvelle Rhétorique ne don-
neroit que des connoifTances fpeculatives qui
ne rendent pas éloquent celui qui les pofle-
de; la leâure n'en feroit pas inutile. Car
pour découvrir la nature de cet Art , je fais
plufieurs reflexions importantes fur notre ef-
prit, dont le difcours eft Tîmage, qui pou-
vant contribuer à nous faire entrer dans la con-
noilOTance de ce que nous fommes , méritent
que l'on y faflè attention. Outre cela, je
fuis perfuadé qu'il n'v a point d'efprit curieux
^ui ne foit bien aife de connoître ks raifons
que l'on rend de toutes les règles que l'Art de
parler prefcrit. Lorfque je parle de ce qui
plaît dans le difcours, je ne dis pas que c'eft
Hn je ne fat quoi ^ qui n'a point de nom; je le
homme, & conduifant jufquesà la fourcede
ce plaifîr, je fais appercevoir le principe des
règles que fuivent ceux qui font agréables.
Cet Ouvrage fera donc utile aux jeunes gens
qu'il faut accoutumer d'aimer la Vérité , de^
confulter la Raifon pour penfer & agir feloii
(alumiere. Les raifoonemens que j« faîs ne~
font
PREFACE,
font point abftraîts. J'ai tâché de conduire
l'cfprît à la connoîflkncc de TArt que j'en-
fcîgnc , par une fuite de raîfonnemens faciles ;
ce que les Maîtres ne font pas avec ztkz de
foin. L*on fe plaint tou$ les jours qu'ils ne
travaillent point àrendrejuftel'cfpritdeleurs
dîfdples; ils les inftruifent comme Ton fe-
roît déjeunes Perroquets: ils ne leur appren«
nent que des noms: ils ne cultivent point leur
jugement, en les accoutumant àraifonnerfur
les petites chofes qu'ils leur cnfeignent ; d'où
vient que les Sciences gâtent fouventrefprît,
au lieu de le former.
Les exemples feroient neceflaircs; j'enau-
roîs donné davantage ii je n*avois crains de
groffir mon Ouvrage. Les Maîtres pourront
aifément y fuppléer, & ils le doivent faire;
car, comme faint Auguftin le remarque trcs-
judicieufemcnt, quand on a un peu de feii,
on profite beaucoup plus en lifant une pièce
d'éloquence, qu'en apprenant par coeur des
préceptes. Si acutum^fervensadfit ingenium^
faciliùs adharet eloquentia legentibus Çsf audien^
tibus éloquentes quàm eloquentia pracepta fec^
tantîbus. 11 faut donc que les Maîtres faffent
lire à leurs difciples les excellentes pièces d'é-
loquence, & qu'ils ne fe fervent de la Rhé-
torique que pour leur faire remarquer les traits
éloquens des Auteurs qu'ils leur font voir ;
ce qui ne fe peut bien faire qu'en lifant les
pièces toutes entières. Les parties détachées
qu'on en propofe pour exemple , perdent leurs
grâces quand elles font hors de leur place:
feparécs 4u refte du corps, elles font, pour
ainii
]
P R E FÀ C R;
tiînfî dire, fans vîe. Mon Ouy^fege, comme
je Taî înfinué, ne regarde pajrfeulemcnt les
Orateurs, mais généralement tous ceux qui
parlent & qui écrivent, les Poètes, les Hif-
toriens , les Phîlofophes , les Théologiens.
Quoique j'écrive en François, j'efpere que
mon travail fera utile pour toutes les lan-
gues.
Au refte ce n'eft pas feulement une nouvel-
le Edition, mais un Ouvrage tout nouveau
que je publie. J*ai refondu Tancîen, je l'ai
retouché par-tout, augmenté de nouvelles
réflexions, d'exemples. Depuis l'Edition pré-
cédente, qui étoitla quatrième, il a paru piu-
fieurs excellens Livres dont j'ai profité. Je
publiai la première fois cet Ouvrage lorfque
j'étoîs jeune. Ce fut peut-être pour m'ani-
mer à travailler avec plus d'application , que
des perfonnes d'un mérite rare en approuvè-
rent les premiers effais. Mais enfin cela me
donna la hardieffe de le faire paroître. C'eft
un avantage à un Livre que fon Auteur fur-
^ vive affez de temps après les premières Edî-
* tions , pour qu'il le puîffe corriger fuîvant les
avis de fes amis, lesfentimens du public ; &
ce Que lui-même il peut penfer aiant atteint
un âge où il doit être plus capable de juger.
TABLE
T A B L
DES
LIVRES ET CHAPITRES.
LIVRE PREMIER-
Ch A PI T R B I. T\Es orgams de U voix. Comment
i^ fe forme la paroh» Pag.f
<Ih. II. Lm parole eft un tableau de nos penftes. A"
vant que de parier il faut former dans fon efprit
le deffein de ce tableau. %
Ch. lll. La fin if la perfeêiion de PArt de parler
confifient à reprefenter avec jugement ce tableau
fù*vn a formé dans l'efprit, 7
Ch. IV. La manière la plus naturelle de faire con*
mître ce qu'on penfe, c^eji par les dinerens font
de la voix. Comment le fer oient des hommes qui
nûijfant dans un âge avancé , mais /ans [avoir ce
que c*eji que parler > fe trouveroient enfemhle, i }
Ch. V. Ces nouveaux hommes pourvoient trouver
une manière d'écrire. Celle que nous avons ejl due
aux antiens Patriarches, 1 7
Ch. VI. Pour marquer les diferens traits du tableau
dont on a formé le deffein dans f efprit y on a befoin
de mots de diffèrens ordres, * J
C H. VIL Réflexion fur la manière dont en chaque
langue on fi fait des termes pour s^ exprimer. Ces
reflexions conviennent à PArt de parler, a 8
Ch. VIII. Des Noms Subftantifs & Adjeélifs^ des
articles y du nombre é^ des cas des Noms, 3 S
Ch. IX. DesVerbes^dekursperfonnesydeleurstemps^
de leur s modes t de leur voix aélive&pajpve. 38
Ch. X. Ce gr and nombre de déclinai fons des noms ^ é*
de conjugai/ons des verbes n'efi point abfolument ne»
cejjaire, Propqption d^une nouvelle langue ^ dont la
Grammairefepourroit apprendre en moins d^une heu^
re. . 4^
C Ji. XL Comment ton ftut exprimer toutes les ope»
TABLE DES CHA-PTTRES.
rût'wns de notre efpritt & ies pajjkns ou affeÛions
de nôtre volonté ^ j"!
Ch. XII. Coitjîituéiion des mots enfembh. Il faut ex»
' frimer tous les traits du tableau qu on a formé dam
fin e/prit. $1
Ch. XlII. "Détordre is^ deV arrangement desmots. 6\
Ch. XIV. De la rtetteté ^ ,& des vices qui lui font
oppo/ez, 70
•G H. XV. De la véritable origine des langues^ 7^
C H. XVI. Uufage eft le maître des langues. Elles
s^ apprennent par tuf âge, 88
Ch. XVII. //jf à un bon it umnauvais ufage. Ro'
gles pour en faire la dijlinéiion, 95
C H. XVIII. De la pureté du langage. En quoi elle
conjifle. Ce jque c*eji que l'élégance» ^8
'C H. aIX. De laperfehion des langues, VUebrdtquea
été parfaite dès fa première origine, Ceft à elle que
toutes les autres doivent leur première perfeSlion^
.Quand é^ comment la Grecque iefiperfeSiiomiie» 10/
LIVRE SECOND,
CfHAPlTiiE I. \Es marnes cbofes peuvent êtn eonçBet
différemment : ee que la parole , qui
eft t image de tefprit ^ doit marquer, i li
CIh. il lln^y a point de langue ajfez riche & ajjez
abondante pour fournir des termes capables d*èxpri'
mer toutes les différentes faces fous lefquelléstejprit
peutfe reprefenter une même cbofe. Il faut avoir
recours à de certaines façons de parler qtton appel'
le Tr opes, dont on explique ici la nature et t inven-
tion. 117
C H. III. Lifte des efpeces de Tropes qui font les plus
confiderables, 1 1 9
C H. IV. Les Tropes doivent être clairs, 1 17
Ch. Vi LesTropes doivent être proportionnez àVidée
qu*on veut donner.Cette idée doit être raifonnable sii
Ch. VL Utittté dèsl^opis. M4
C»kv,VlL
TABLE DES CHAPITRES.
Ch A p. VII. L€S pajjions ont un lanjûge parficuiier*
Les exprefftons » qui Jont les caraaeres des pajjions^
font appe liées Figures. 1 3$
Ch. Vin. Les Figures fintMiiles&neceJfalres, 140
Ch. IX. LiJIe des Figures, 14^
Ch. X. Le nombre des Figures efl infinie Chaque F!"
gurefe peut faire en cent différentes manières, 16$
Ch. XL Les Figures Jwt comme les armes de Vame<*
Parallèle d un Soldat qui combat •^ avec un Orateur
qui parle» 1 7 1
C H. aIL Les Figures éclaircijfent les veritez obfcw-
res , & rendent Vejprit attentif, i7f
Ch. XIII. Les Figures font propres à exciter lespaf»
fions, 178
Ch. XIV. RefUxiott fur le bon ufage des Figures. iS^
LIVRE TROISIE'ME.
Chapithe I. 'r\£//J/» de ce Livre. On y traite dk
mJ la partie matérielle de la parole »
c'eft'à dirct des fins dont les paroles font compofées.
On décrit comment fe forment ces fons. 187
Cfl. II. De^ lettres dont les mots font compo/èx,. Fre*
mierement des vsyeîks. Comment leur fmk forme. 1 9 7
Ch. III. DesConfones, Comment elles fe forment, lot
Ch. IV. De Par rangement des mots. Ce qu^ily faut
obfirver ou éviter. 114
C H. V. En parlant la voix fe repefe de temps en
temps. On peut commettre piufieurs fautes en pla -
çant mal les repos de la voix. 120
Ch. VI, Les mots fint des fons. Conaitions neceffai^
res aux fons pour être agréables. 128
C h. VII. Ce que les oreilles diflinguent dans le fin
des paroles y & ce qu'elles y peuvent appercevoir a*
vecpla'ifir, 234
Ch. VI II. Comment il faut dijîribuer les interval*
les de la réfpiration 9 afin que les repos de la voix •
fiient prepersiennez. Cojnpofition des Périodes. 2^9
CHàP.lX*
TABLE DES CHAPITRES.
'Chap. TX. Ds r arrangement figuré des mots. En
quoi confifie cela, 24f
Ch. X. De la mefuredu temfs qu une Jyllabe fe peut
prononcer. De la JlruHure desVers, ifj
*Ch. XI. Desmefures^ ou pieds dont les Grecs & les
Latins compofent leurs Vers, 2 fj
C H. XII. En quoi cotjfijîe Végafitê des me fur es des Vers
Grecs & Latins 5 ou ce qui fait cette égalité. 2 6 1
•Ch. XIII. "De la variété dtsmefurfs y é^ de T alliance
de r égalité avec cette variété. Comme fe trouve Pune
& Pautre cbofe dans les Vers Grecs et Latins. 264
C-H. XIV. Les premières Pcèjîes des Hébreux , <èfde
toutes les autres Nations , n^ont été vrai fcmblabU-
ment que des rimes dans leur commencement, ifp
C H. XV, Df^ la Pû'èfie trançoife , & de celle de tou'
tes les autres Nations qui ont des rimes, ijf
C H. X VL Jlj a une fympatbie merveilkufe entre no*
tré ame et la cadence du difcours , quand cette ca^
dence convient à ce qu'ail exprime, 2 8a.
C H. XVII. Moiens de donner à un difcours une en-
denee qui réponde aux cbofes qulljîgnifie. 2S(>
LIVRE QUATRIE'ME,
Chapitre I. OUjet de ce quatrième Livre. Desdif-
^ferensjîiles. Ce que c*ejî queflile, 295
Ch. IL Les qualitez duflile de chaque Auteur dépen»
dent de celles de fin imagination » de fa mémoire ,
& de fin efprit, 297
C H. III. Qualitez de la fubflanct du cerveau % et
des efprits animaux , necejjaires pour faire une bon*
ne imagination, 299
C H. IV. De ce qui rend la mémoire beureufe, 305
Ch. V. Qualitez de Pefprit necejjaires pour ^ élo-
quence, jo/
C h. VI. La diverfité des inclinatims é^dutemfera-
fMnt diverfifie lie fiile. Chaque perfinnt^ chaque
eU-
TABLE DES CHAPITRES.
efimat kfimjiile qui lui efl pariiculier. 30^
Ch. vil Chaque fiecle m fin Jlili. ju
Ch. Vill. La matière que ton irâitidoittlétcrminer
dans le choix du fliiè. 1 1 ^
Ch. IX. Règle pour ii fliiefubnme. 313
Ch. X. Dujlite^ ou caruderefimfk. 313
Ch. XI. "Du flile mediccre. j-i;
Ch. XII. Stiles propres à certaines matières. QuaR»
tez communes a tous cesftiles, 3 30
Ch. XIU. Quel doit être le Jlile des Orateurs. 333
Ch. XIV. Quel doit être U pile des Hiftoriens. 338
Ch. XV. Quel doit être lefiile Dogmatique. 340
C H. XVI. Quel doit être lefiile des Poètes. 341
Ch. XVII. Des ornemens. Premièrement de ceux
qu'on peut nommer naturels. 347-
Ch. XVIIL Des ornemens artificiels.. 349
€h. XIX.. Des faux ornemens. 3)a^
Ch. XX. Règles qu'on doit fu'svredans la diflribur
tion des ornemens artificiels, IfJ-
LIVRE. C I N Q U I E' M E.
Chapitre L /^'Efi un art que de /avoir parler de
\>^maniere qu*on perfuade. Ce qu'il'
faut faire pour cela. Projet de ce Livre. j6ç
€h. il Première partiede T Art de parler , qui efi
llnvention.. ifit
Ch. III, Les Lieux Communs toh Ton peut tirer des
preuves générales. 3 7 ^
Ch. IV. Des lieu» propres à. certains fujets, d'oùfc
peuvent tirer des preuves. 373
Ch. V. Réflexion fur cette Méthode des lieux. 37^
G h. VI. If n'y a que la Vérité , ou l'apparence de h
vérité qui ferfuade, 378
Ch. VIL Comment on peut trouver laVèrité^la fui'-
re connoitre, et découvrir P Erreur* 383
Cil VIIL L'attentionefinecejfaire pour connoîtrela
. " " Km-
TABLE DES CHAPITRES.
vérité. Comment on peut rendre attentif un Audr^
teur, . ' '586
C H. IX. Ce qui fait la diffe^'ence de l* Orateur d'à*
vec le Pbilojèpbe. 391
Ch. X. Des mfinteres de s^injSnuer dans Pe/prit de
ceux à qui Pon parle» 3^ j
Çh. XI. Qualitez requifes dans la perjonne de celui
qui veut gagner ceux à qui il parle ^^f
)Ch. XII, Ce qu\ilfaut obferver dans les cbofes dont
on parle i pour s^inpnuer dans Vejprit des Audi»
teur s, 599
Ch. XIIL Les qualitez neceffairesà un Orateur pour
" gogner ceux h qui il parle ^ne doivent pas être fein-
tes» 404
C H. XIV. Manières d^exciter dans Pefpritde ceux à
qui l'on par h , les pafjtons qui les peuvent porter où
on les veut conduire, 406
Ch. XV. Ce qu'il faut faire pour exciter les paf
fions» 4I0
Ch. XVL- Comment on peut donner du mépris des cbo~
fes qui font dignes de ri fée, 414
Ch; Xvll. Seconde partie de P Art de perfuader^ qur
eft la difpofition. Elle a quatre parties* De la pre*
:" iniere qui efl PExorde, 418
Ch. XVIII. De la féconde partie de la Difpojttion^
qui eft la Proportion, 42»
C H. aIX. De la trçifiéme partit de ta Difpofition ,
qui eft la Confirmation , ou de rétabliQement des
pre'Aesy & en même temps de la réfutation des rai-
, fons des adverf aires, 4 il»
Gh. XX^ De l'Epilogue t dernière partie de la Dif-
pofition, 4î8
Ch. XXT. Des trois autres parties de tArt de per^
fuader, qui font téhcution t là mémoire ^ é^ la pro-
nonciation, 429
Ch. XXÎI. De la Difpofition qui tfl particulière aux
' Dijcours Êcclefiaftiques 9, ou Sermons 435.
Fin iitïk Table des liviri & Cbtpitxet.
LA
Plgl
RHETORIQUE
L'ART DE PARLER.
LIVRE PREMIER.
Chapitre Premier.
Dti Organa di la Vvix. Ctmmenl fe fùrmt la
S L n'y auroit point de Ibcicté entre les
[hommes, s'ils ne pouvoient !e domier
I les uns aux autres des fignesfenfiblesde
î ce qu'ils penfent & de ce qu'ils veulent,
* Ils le peurent faire avec les yeuj &lcs
doits, comme font Icsmuets: nuisoutrequecette
manière d'exprimer Tes penfées eft très-imparfoite ,
cHe eil encore incommode; car l'on ne peut point,
fiinsfe ftitiguer, faire connoître avccles yeux Se les
doits toutes les différentes chofes qui viennent dans
l'efprit. Nous remaons la langue aiiément ; 8c nous
pouvons diverfifict le l'on de notre voix en différentes
manières ftciles & agréables: c'eft pourquoi la Na-
ture a poné les hommes à fe fervir des organes de
il Voix.
A U
/
ï La Rhetoriqjje, ou l'Art
La difpofition de ces organes cftinerveilleufe. La
Trachée-artere ou Uâpre-artere , qui vient des poul-
inons & répond aux racines de la langue, efl com-
me un tuyau d'orgue. Les poulmons fervent de fouf-
flets ; caf ils attirent Vair en s'étendant , & le repouf-
jfcnt en fc reflerrant. La partie de la Trachée-artere
2ui eft proche de la racine de la langue, s'appelle le
^arynx, qui eft entouré de cartilages & de mufclcs,
S ai fervent à l'ouvrir & à le fermer. C'eftencelieu-
oue fe forme lefon de la voix. Quand l'ouvertu-
re du Larynx eft étroite, l'air fortant avec violence
fc froiffe, & reçoit un tremouflement ou une cer-
taine agitation qui fait le fon de la voix , mais qui
n'eft point encore articulée. Cette voix elt reçue
dans labouche , où la langue la modifie, & lui don-
ne diverfes formes, félon qu'ellela pouffe ou contre
les dents, ou contre le palais; qu'elle l'arrête ou la
laiffe couler; que la bouche eft plus ou moins ou-
verte.
Les hommes trouvant tant de facilité "à expri-
mer leurs fentimens par la voix , fe font appliquez
à confiderer toutes les différences qu'elle reçoit par
les differens mouvemens des organes de la pronon-
ciation. Ds ont marqué chacune de ces modifica-
tions particulières par une lettre ou caraélere. Ces
lettres font appellées les Elemens du langage, parce
qu'il en eft compofé. L'union de deux ou de trois
lettres qui peuvent fe prononcer de compagnie dii-
tinélement & fecilement, fait une fyllabe. Une
ou plufîeurs fyllabes font un mot ou une parole.
Dans la fuite de cet Ouvrage je parlerai des let-
tres i & de leur nombre , plusexadementquejenc
feis pas ici: cependant je remarquerai en paffant-
oue quoi que le nombre des lettres foit petit, elles
luffifent néanmoins pour compofer les termes , je
ne dis pas feulement des langues qui fe parlent au-
jpurdhui dans tout le monde , mais de celles qui
- ont
DE PARLER. Liv,I. Ckap. L ^
ont été vivantes , & de celles qui pourront naître
dans la fuite des fieclcs. Car quand il n'y a uroit que
Tîngt-quatre lettres différentes , l'on peut démon-
trer qu en les combinant en toutes les manières pof-
fibles , Ton peut premièrement faire cinq cens fep-
tante-fix mots de deux lettres; qu'en prenant ces
vingt-quatre lettres trois à trois, Ton peut faire un
nombre de mots de trois lettres , qui fera vingt-
quatre fois plus grand, c'eft à dire 13814. &qucn
les prenant quatre à uuatre , cinq à cinq , fix à fix ,
le nombre des mots de cinq lettres fera vingt-quatre
fois plus grand que celui de quatre : celui des mots
de fix lettres fera vingt-quatre fois plus grand que
celui des mots de cinq lettres. Ainii le nombre des
mots de fix, de fept, de huit lettres, & des autres
fuivans augmente dans la même proportion: ce qui
va fi loin que l'imagination fe confond , & qu'dle
ne peut comprendre ce nombre prodigieux de diffc-
rens mots qui fe peuvent fairedelacombinaifonde
vingt-quatre lettres. Il ell vrai que l'on ne pourroit
pas fe fervir de tous ces mots , parce qu'il y en aaroit
plufieurs qui ne fe pourroient pas prononcer diftinc-
tement , & facilement ; mais enfin le nombre de ceux
dont on pourroit fe fervir , eft prefque infini ; & nous
donne fujet d'admirer la fagelfe de Dieu , qui ayant
donné l'ufage de la parole aux hom mes , pour expri-
mer leurs différentes penfées,a voulu que la fécondité
de la parole répondit à celle de leur efprit.
Les hommes auroicnt pu marquer ce qu'ils pcn-
fcnt, par des geftes. Les muets du Grand- Seigneur
fe parlent & s'entendent, même dans la plus obfcu-
re nuit, s'entretouchant de différente manière. Mais,
comme on a dit, la facilité qu'il y a déparier, les
a porté à n'employer pour fignes de leurs penfées ,
eue des paroles, lorsqu'ils ne font point contraints
ûe garder le filence. On appelle figne une chofe qui
outrfc cette idée qu'elle donne quand on la voit, en
A 1 àowxvt
4 La Rhetokiqjue, ou l'Art
donne une féconde. Comme lorfcju'on voit à la port(
d'une maifon une branche de lierre ; outre l'idée
du lierre , on conçoit au'il fe vend du vin dans cette
maifon. On diftingue deux fortes de (ignés : les uns
font naturels, c'elt à dire, qu'ils fignifîent par eux-
mêmes, comme la fumée eft un figne naturel qu'il
y a du feu , où on la voit. Les autres qui ne ligni-
fient que ce que les hommes font convenus qu'ils
lîgnifieroient , font artificiels. Les mots font de*
lignes de cette forte; auffi le même mot a différen-
tes fignifications , félon les langues où il fe trouve ;
& c'eft de là <jue bien que tous les hommes ayent
les mêmes idées , Jk que les chofes ne foient paj
différentes félon la différence des climats , chaque
langue a fes termes. Il dépendoit des hommes d'é-
tabhr quelque mot qu'il leur eût plû , pour être le
figne de leurs idées, de celle, par exemple, qu'ils ont
du Soleil. DanslaPerfe, dansla Judée, en Grèce;
en Itdie , le Soleil efl le même ; & cependant le*
Perfes, les Juifs, les Grecs & les Latins, n'ont pa*
choifi les mêmes fons pour être le figne de cet Allre.
Il n'y a aucun rapport naturel entre ce mot SM/,
& l'Aûre dont il aonne l'idée; s'il en a une à l'égard
de ceux qui favent le F'rançois , c'clt parce qu'ih
favent qu'en France nous avons coutume de mar-
Guer par ce mot cet Aflre qui s'appelleroit Lune , fi
1 on en étoit convenu.
Cette remarque nous donne lieu de diflinguer
deux chofes dans les mots, le corps & l'ame, c'efl
.à dire ce qu'ils ont de matériel, & ce qu'ils ont
de fpirituel; ce que les oifeaux qui imitent la voix
des hommes, ont de commun avec nous, & ce
qui nous efl particulier. Les idées qui font prcfentes
à nôtre efprit, lorfqu'il commande aux organes de
la voix de former les fons qui font les fignes de ces
idées, font l'ame des paroles: Les fons que forment
les organes de la voix, & qui n'ayant rien defem-
blablc
DE PAR&ER. Liv.J. Chaf.IL 5
Wibic en eux-mêmes à ces idées, nelaiflentpasdc
Icsfignifier , fo»t la partie matérielle, ou le corps
des paroles.
On ne pourroit pas croire , (i Texperience ne le
; fidfoitvoir, que les hommes ne parlent fou vent que
I comme des perroquets. Ils fe fervent de mots dont
, ilsneconnoiflentpaslefens. En parlant, ou enten-
dant parler , & en lifant les livres ils ne s'appliquent
' qu'a la partie matérielle du difcours , fans faire de
i reflexion fur les idées dont les paroles ou'ils difcnt
ï ou qu'ils entendent , font les fignes. De là vient que
* peu de perfonaes parlent raifonnablement.
Chapitre IL
la parole efî un tableau de nos penftes. AvMnt que
de parler ii fnut former dans fin ejprit le
dtjjein de ce tabieau,
PU I s Qju £ les paroles font des fignes qui repréfen-
tcnt les chofes qui fcpaffent dans Tefprit, on peut
dire qu'elles font comme une peinture de nos penlées,
que la langue eft le pinceau qui trace cette peinture,
& que les mot» font les couleurs. Âinfi comme les
Peintres ne couchent leurs couleurs qu'après qu'ils
ont fait dans leur efprit l'image de ce qu'Ùs veulent
repréfenter fur la toile, il faut avant que déparier,
former en nous-mêmes une image réglée des chofes
que nous penfons, & que nous voulons peindre par
nos paroles. Ceux qui nous écoutent ne peuvent pas
appercevoir nettement ce que nous voulons leur dire,
fi aous ne l'appercevons nous-mêmes. Nôtre difcours
eft la copie de l'original qui eft en nôtre tête : Il n'y
a point de bonne copie d'un méchant original. CeK
donc à cet original qu'il faut d'abord travailler.
Avant que de remuer k pinceau, c'eftàdirelalaa^
A 3 gue.
6 LaRheto^iqui,ou l'Art
guc , & que d'appliquer les couleurs qui font les pa-
roles, il faut favoir ce qu'on veut dire, &ledifpo-
fcr d'une manière réglée; de forte que dans le difcours
qui exprimera nos penfées, les Ledeursvoycntun
tableau bien ordonné de ce que nous avons voulu
leur repréfenter.
Cclt à ceux qui traitent r Art de pcnfer, déparier
de cet ordre naturel qu'il faut garder dans l'arrange-
ment de nos penfées. Chaque Art a fes bornes qu'il
ne faut p>as paflcr; je n'entreprendrai donc pas de
prefçrire ici des règles touchant l'ordre qu'on doit
donner aux chofes qui font la matière du difcours.
J'avertirai feulement, qu*il faut méditer fon fujct,
faire deifus toutes les reflexions néceffaires pournc
rien oublier qui puiffe contribuer à fon éclairciffe-
ment; prenant garde aufli de ne pas accabler Tefprit
desLetteurs par une trop grande multitude de cfio-
fes, 6c de ne pas rendre fon difcours confus par des
explications trop étendues. L'Abondance caufe fou -
vent la fterilité. Les Laboureurs la craignent; ils la
préviennent , & guand ks blei font trop drus , ils
font manger lapomte de l'herbe à leurs troupeaux.
, Nous ne concevons jamais une fcience, un rai-
fpnnement, fi nôtre efprit ne fupplée les chofes né-
ceffaires , & s'il ne retranche celles qui font fuper-
iiuës. Un Auteur doit épargner cette peine à ceux
qu'il entreprend d'inîlruire. Un Livre qui ne dit que
la moitié aes chofes, ne donne que des connoifîan-
ces imparfaites; mais aufli un grand volume eilun
grand mal, fti^^ fiiÇxUf» f^i^a y^xof. On s'y égare,
on s'y perd , à peine a-t- on la patience de le feuilleter.
Après avoir donc ramaffé av«cexaélitude toutes les
chofes qui regardent la matière que l'on traite , il
faut les refferrer , leur donner de juftes bornes , &
faire un choix fevere de ce qui eit abfolument né-
cpffaire, & rejétter ce quieftfuperflu. Ilfautenvi-
fager continuolement le terme où l'on veut arriver,
&
BE PAKLER. LÎV.L Cbéip.JJL 7
éprendre le chemin le plus court, évitant tous ks
teours. Si Ton ne paffc vite par deffus les chofes de
peu d'importance , & qui ne font pas eflcntielles,
fcfprit du LcAcur eft diverti de l'application qu'il
doit donner à celles qui le font.
Cette breveté fi néceifaire pour rendre un Ouvra-
ge net & fort , ne confifte pas dans le feul retran-
diement de tout ce qui elt inutile ; mais dans le
dioix de certaines circonûances qui tiennent lieu de
plufîeurs diofes quelonntditpras. A peu près com-
me fit Timanthe ce fameux Peintre de l'antiquité ,
pour repréfenter dans une petite table la grandieur
pxKligicufe d'un Géant. Il lé peignit couché par ter-
re, dormant au milieu d'une troupe de Satyres, qm
fejoiioient autour de lui. L'unmefuroitfatête,uii
autre appliquoit un Thyrfe à fon pouce , fid&nt
connoîtrepn: cette invention ingenieufe (^udleétoit
h grandeur de ce corps , dont les dIus petites parties
éioicnt mefurées avec le Thyrfe aun Satyre. Ces
inventions demandent de Tdprit & de l'application.
Ceft pourquoi un AuteA * fort célèbre qui avoit cet-
te addreiTe de reniermer beaucoup de diofes en peu
de paroles , s'excufe agréablement de ce que l'une
de fcs Lettres eft trop longue , fur ce qu'il n'avoit
pas eu le loifir de la fidre ^us courte.
Chapitre III.
La fin et U peijeéiiûu de F Art if pétrUr confifieui
à repréfenter avec jugement ce tmbkam quon
a formé dans reffrit.
AV A N T que de paffcr outre , arrêtons-nous ici
pour confiderer quelle eft la fin &laperfeéHon
de l'Art que nous traitons, ou quelle idée nous devons
aroir de la beauté naturelle d'un difcours. Je ne
A 4 dirai
8 LaRhetoiiiqjje»ou l*Ai.t
dirai point que la beauté en général confiftcdansun
je fit Jai quoi y car il me ferable que je puis dire
ce que c'eft. La beauté plaît , & ce qui elt bien
ordonné plaît; ce qui me perfuade que l'ordre & la
beauté font prefqu une mêmechofc. Cen'eftpasici
le lieu de rechercher la caufe du plaifir qui le fent
lors qu'on voit les chofes bien rangées, comme uu
parterre bien ordonné. L'homme étant fait pour
être heureux en pofledant Dieu qui eft effentiellc-
mcnt l'ordre , il falloir que tout ce qui approche de
l'ordre » commençât fon bonheur.
Or ridée que nous avons de l'ordre, c'eftqueles
chofes ne font bien ordonnées que lorfqu'elles ont
un, rapport à leur tout, & quelles confpirent pour
atteindre leur fin. Quand cela arrive , les chofes
deviennent agréables quoi qu'elles ne le foient pas
d'elles-mêmes ^ ce qui marque oue nous fommcs
portez par une inclination naturelle à aimer l'ordre.
La peinture le fait voir : il y a des tableaux qui
ne repréfentent que des objets dont on a de l'aver-
fion. Cependant comme It fin de cet Art eft dere-
préfentcr les chofes au naturel , fi chaque trait qu'on
appercoit , exprime la penfée du Peintre , & que tout
correlponde à fon deflein , fon ouvrage charme.
Ce n'eft pas la vue d'un ferpent qui eft peint; on
frémit quand on en voit un ; ce qui plaît donc ,
c'eft l'elprit du Peintre qui a lu atteindre la fin de
fon Art. Aufti ne prend-on plaifir a confiderer fon
ouvrage qu'à proportion que fe découvre cette ad-
drefle. Sans cela on n'eft fatisfait que de la vivacité
cfes couleurs, qui font des impreflions agréables fur
les fcns. Il en elt de même de 1* Architeé^ure. La vue
d'un Palais hit félon toutes les règles de l'Art , ne
I^aît que lorfqu on appercoit la fin quel' Architecte
5'eft propofée : qu'on voit qu'il rapporte toutes
chofes avec efprit à cette fin : qu'on conçoit au'il
ne pouvoit pas y arriver par des voyes plus fimples,
&
I
• DE PARIER. Z/v./. Chap,ÏIL 9
&gn'il n'a rien fait dont ilnepuiflcdonncrdcbon-
DcsVaifons.
I Nous parlons pour exprimer nos pcnfées , Se pour
communiquer les mouvemens de nôtrt Volonté,
i car nous defirons qu on ait avec nous les mêmes
; mouvemens vers l'objet de nos pcnfées & le fujct de
i EÔrre difcours. La beauté d'un difcours ne peut
i donc confifter que dans ce rapdfcrt cxaél que toutes
fc parties ont avec cette fin. Il eft beau lonque tous
les termes dont il eft compofé , donnent des idées
fi iuftes des chofes , qu'on les voit telles (Qu'elles font ,
5c qu'on fent pour elles toutes les affcéfaons de celui
qui parle. C'ell fon jugement qui plaît quand il ne
éit rien qu'avec raifon , dans le choix , dans l'arran-
gement des mots, & qu'ils font tous propres. Cell
ce que nous admirons dans un difcours. Car enfin,
ce n'eft pas le fon des paroles qui en fvt la beauté;
ajrrement on trouveroit plus beau le chant des
rofiignols que les difcours les plus éloquens. Bien
qu'un Auteur ne rapporte que des bagatelles, s'il en
feit une peinture exadfe, & qu'ainfi il arrive à la fin
qu'il a eu en vue , ceux qui font capables d'apper-
ccvoirfon Art, prennent plaifir à l'entendre.
Prevenom-nous donc de cette vérité que c'eft la
julleffe qui fait h foîide beauté d'un difcours; que
pour bien parier , il fant êtrefage ; car c'elUa fageflc
qui dilpoie les choies & les conduit à leur fin.
Scribendi reéfè , fitffrt^ efl é^ prtncipium é^ fins»
Horace n'a jamais rien dit qui foit d'un plus
grand fens. L'imagination ell néceflairc : on ne peut
exprimer que ce que l'on conçoit. Ce qui efl maigre
k cftropie dans Timagmation de l'Orateur , l'ell
éans fes paroles. Il faut donc fe repréfenter les
chofes dans leur état naturel , & concevoir pour elles
à^ mouvemens raifonnables ; employant enfuite
As des
xo La Rhetoriqjue, ou l*Am ,
xlcs termes qui les portent à l'efprit de celui qui écou-
te, telles qu'on les penfe. Perfonne ne parle bien,
n'écrit bien qu'à proportion qu'il approcne de cette
fin. Il plaît à ceux qui découvrent qu'il'ne pou-
voit pas trouver des termes qui diftinguaflfent mieux
ce qu'il falloit marquer: ^u'il ne pouvoir pas placer
fes termes dans un lieu ou ils filTent un plus grand
effet; où ils s'accommodaflent niieux pour rendre
la prononciation facile & coulante : qu'il a pris le
tour le plus naturel & le plus court. Car outre qu'il
ne fout rien foire d'inutile, il ell certain que l'elprit
n'aime pas qu'on l'amufe. Quelque vitelle qu'ait la
langue , fes mouvemens fpnt encore trop lents pour
fuivre la vivacité de l'efprit. Ainfi c'efl une grande
fiiute que de dire plufieurs paroles loifqu'unefuffit.
Je ne puis donner d'avis plus important dans ce
commencement, que celui-ci, que l'on n'êft élo-
quent qu*après avoir acquis une grande juflelTed'ef-
prit : qu'on doit faire une attention continuelle en
parlant , fi l'on ne s'écarte point de la fin où l'on doit
aller , fi on y va effcélivement. La Raifon nous éclai-
re , U fout marcher dans fa lumière : tout ce que
nous dirons dans la fuite de cet ouvrage ne fera <jue
pour foire remarquer ce qu'elle didle. Je fouhaite-
ix)is qu'avant que de quiter ce Chapitre on le lût plus
4*une fois, & qu'on examinât fi cequejediseufo-
lide , en faifant l'cflai fur quelque expreffion qui
paffe pour élégante , comme eft celle-ci du com-
mçncement de la Genefe : Dieu élit : Que la /umierc
fi fajje , et la lumière Je fit : que la terre Ce fajje ,
é* ia terre fut faite, Longin ce célèbre Rhéteur ,
donne cette expreffion pour exemole d'une expref-
fion fublime. Or pourquoi l'efl-elle fublime , c'efl
à dire excellemment beUe , fi ce n'efl parce qu'elle
donne une haute idée de la puiffance du Créateur;
ce que Moïfe vouloit faire: c'étoit là fa fin.
Comme nous l'avons dit , il fout avoir de l'ima-
£i-
]>E PAKIEK. Lip.L ChéffJIJ. Il
jination pour fe bien repréfenter ce qu'on ttm ex-
primer. Il faut ravoir la langue dans laquelle on
éait. Mais ce qui Êiit qu'entre ceux qui entendent
parfaitement une langue » & qui ont une imagina»
tion vive 6c délicate, il y en a peu qui réuiliuent,
ceil qu'on n'écrit pas avec tout lejugementmixTe-
roit néceffaire. Pour faire un difcours» quand il ne
feroit que d'une page, il faut y employer un grand
nombre de mots qu'il fsiut placer à propos. Il n'y a
que ceux qui l'ayent expérimenté, qui comprennent
combien il faut d'étendue d'efprit; combien ilÊiut
d'application , à combien de chofes il âut aire at-
tention en même tems: combien il faut faire de
teâexions différentes pour ne nen dire que de rai^
fonnable. U Y ^ toujours quelque petite chofe qui
échappe. Auifi on ne fait rien qui mérite d'être lu,
à moins que de pafler les yeux pluiieurs fois fur fon
ouvrage, &c de confulter en differens tems la Rai-
fon pour voir fi on a bien compris ce qu'on a crû
quelle didloit. Rien ne nous doit plaire que ce
qu'elle approuve.
Pour rendre plus fenfible cet avis important ,'
conûderons que u aujourdhui nous admirons les an-
ciens Auteurs , c'elî parce qu'après un examen de
pluficurs fiecles on a trouvé qu'ils font raifonnables;
au lieu qu'on fe laiffe alTeifouventfUrprendrc» efti-
mam dans les Auteurs modernes ce qu'on ne pour-
roit fouflfrir û on les exaipinoit à loifir. Ce n'eft
• pas parce qu'Homère & Virgile font anciens , que
tous les gens d'efptit les admirent; c'eff qu'en effet,
comme le dit le célèbre Tradudeur deLongin:
//»jp a que Papprakathn de la pofteriti qui puîjfeétMr
hCtr le vrai mérite des ouvrages, Quelqu*écla$ qu'hait
fait un Ecrivain durant fa vie » quelques éloges qu*if
ait reçus y on ne peut pas pour cela infailliblement
conclure que fes ouvrages Joient excellens. De faupc
hrillans > I0 muveauté du fitle^ un tour d^efprtt qui
' A 6 itoi$
Xt Lit RïTETOlirQUE, ou 1,'Ar^t
Jttfît à -la mode , peui*ent les avoir fait valoir y if
il) arrivera peut être que dans le fiecle fuii^ant on
êuvrira ks yeux , & qu'ion méfrifera ce que l'on n
Mdmiré,
Ce fera fans doute auffi-tôt qu on appercevra ce
qui y choque le bon fens , rien ne pouvant plaire
long-tiems que ce qui efl raifonnable. Car enfin^
l'illufion ne dure pas toujours. Chaque Auteur l'ex-
périmente dans fes propres ouvrages. Dans la chaleur
de la compofîtion qui n'cft pas content de foi -même ?
L*imaginatioa eil-elle refroidie , on eft chagrin ; par-
ce qu'alors on juge mieux, & qu'ons'apperçoitde
fon illulion. Cell pour cela qu o.i ne doit pas le hà-r
ter de publier un ouvrage : il faut le revoir cent &
.cent fois; car je ne le puis trop dire, la difficulté
^e ne rien dire contre le bon fens ell inconcevable
4 tous ceux qui ne l'ont pas expérimenté. C'eil ce
qui' nous oblige de confultcr nos amis. Nous avons
beau (ire éclairez par nous-mêmes: Les yeux tl'étu*
iru't voyent, toujours plus loin que nous dans nos dé*
fauts y & un efprit médiocre fera quelquefois apperce^
voir le plus habile homme d'une mcprije qu il ne voyoit
fas,. Audi ces excellens Peintres que l'Antiquité a
admirez , les Apelles , les Poly<fletes , félon la re*
marque de Pline, mettoient des infcriptions à leurs
ouvrages qui marquoicnt qu'ils n'étoient point en-
coje achevez , & que fi la mort ne les furprenoit ,.
fls' effaceroient & corrigeroient ce qu'on y trou*
voit ^e defeélueux. Phne appelle ces infcriptions :
Pendentes titulos^ comme celle-ci : Apelles faciebnt
etut Poly^etus : tanquam inchoata fejnper ârte & im*-
ffrfefia » ut contra judiciorum varietates /upt:r effet
'Artifci regreffus ad veniam , velut emendaturo quid*
pûd d€fider0r.itur , fi non ejf^t interce^tus^
Ç H A-
9E PAfttXR. LivJ, CkéffJV. 13
Chapitre IVi
La manière la plus naturelle de faire conneitre ee qu'on
fenfe , > c*ejl par les differensjons de la voir. Cam»
ment le feraient des boînmes qui naijjant dans un âg§
avancé , mais font faveir ce que ctfi que farlir^-
fe tromper o'ient enjemble,-
COmme Ton ne peut pas achever un Tableau
avec une feule couleur, & dillinguer les diffé-
rentes chofes qu'on y doit repréfenter avec les mê-
mes traits: il eft impoflible aufli de marquer ce qui*
fe pafle dans nôtre efprit, avec des mots qui foient
tous d'un même ordre. Apprenons de la Nature*
même quelle doit être cette diftindion ; & voyons
comment les- hommes formeroient leur langage ,
fi la Nature les ayant fait naître feparément, ils fe
^encontroient enfiiite dans un même heu. Ufons de
la liberté des Poëtes; & faifons fortir de la terre ou
defcendre du ciel une troupe de nouveaux hommes
qui ignorent l'ufage de la parole. Ce fpeélacle eft
agréable : il y a plaiiir de fe les imaginer parlans
entr eux avec les mains , avec les yeux , par des
geftcs-, & des contorfions de tout le corps ; mais
apparemment ils felafferoient bien-tôt de toutes ces
poftures , & lehazard ou la prudence leur enfeignc^
roit en peu de tems l'ufage de la parole.
Il n'eft pas poiîible de dire précifémcnt ce qucr
feroient ces hommes , en fe formant un langa-
ge : quels fon« ils choifiroient pour être le figne
de chaque chofe^ Il n'en eft pas des hommes
comme des animaux , qui ont un cri femblable ,
tel quei'air le forme, en fortant de la même manie-"
rccrclcurgower. Tous les bœufs beuglent y les bre-'
bUic/M[#>^lcs chevaux ktnniffenty Xt^otarugiJfenK
• .. / A 7 les
i4i La Rhitork^ue, ou i'Art
les loups hurlent. Il y a des oifeaux qui articulent ,
qui imitent la voix de l'homme : mais ce n'cft
qu'une imitation.machinale. Les organes de l'ouïe
& de la parole font liez ; d*oii vient qu'il eft facile
de prononcer ce qu'on entend. Les oifeaux dans
leiijucls cette liaifon eil plus parfaite , fe dreiïent
aifement à prononcer par ordre un certain nombre
dp mots. Ils le font ^ mais il cil évident que ce n efl
qu'une impreflion corporelle qui les y détermine.
Auflila parole eft une preuve fenfible de la diftindion
de Tame & du corps. Les mots ne fignifient rien
par eux-mêmes , ils n'ont aucun rapport naturel
avec les idées dont ils font les fignes , & c'eft ce
qjui cajufe cette diverfité prodigieufe de différentes
langues. S'il y avoit un langage naturel , il feroit
connu de toute la terre , & en ufage par tout
C'eft une fable ce qu'Hérodote rapporte , ou fi
c'eft une hiftoire , on n'en peut rien conclure. Il
dit qu'un Roi d'Egypte ayant fait nourrir deux en-
fans par des chèvres dans une maifon feparée » au
bout de deux ans ces enfans en tendant la main à
celui qui entra le premier dans le heu où ils étoient ,
ils prononcèrent ce mot Be(cos , ^ui chez les Phry-
giens , dit le même Auteur , fignifie du fain : d'où
le Roi d'Egypte conclut que le langage des Phry-
giens étoit naturel , &queparconfequent ils étoient
les plus anciens peuples du monde. Ce Roi raifon-
Doit mal; car il y a de l'apparence que. ces enfans
n'ayant jamais entendu d'autre voix que. le cri des
dicvres qui les avoient allaitez » ils imitoient ce
cri,- auquel ce mot Phrygien ne refTembloitque par
hazard. Les Grecs nomment fiinn Bêcbé une chè-
vre, fans doute à caufe de fon en.
, Quel rapport y a-t-U entre la plus grande par-
tie des choies & leurs noms ? Peut-on , par exem-
ple, appercevoir une fi grande liaifon entre ce mot '
Spkii & la chofe qu'il Xjgoific ^ que ceux qui ont.
;. '•
DB PA&LEl.. lÀvJ. CbâfJV. 15
TÛ cet Aftre aycnt été déterminez à prononcer plutôt
ce mot So/eU qu'un autre ? Tout le rapoort ou*il
peut y avoir des noms aux chofes , c'elt par leur
Ton. En cherchant un nom pour une chofe , fi elle
fait un Ton 9 il fe peutqu*on foit porté à lui en trou-
ver un y dont la cadence exprime en Quelque façon
fa nature. Comme lorfqu*on a voulu donner un
nom Latin au Canon » on a choifi ce mot Bamàar»
tfàt dont le fon imite celui que fait le canon. Mais
CCS mots ne peuvent être qu en très- petit nombre »
parce qu'il y a peu de chofes qui faffent fon. Cdni
de ces fix lettres S.o li.i.L u les hommes ne Ta-
voient établipour être le figne de cet Mre » re-
vcilleroitaufli-tôt ridée d'une piene. Deux perfon-
nes fe communiquent leurs peiîfées avec toutes forces
de mots barbares, quand une fois ils font convenus
de ce qu'ils veulent faire fignifier à ces mots.
Platon dans fon Cratyle dit qu en impofant
les noms il faut choifir ceux qui expriment vérita-
blement la nature des chofes qu'on veut qu'ils figni-
fient. Cela efl fort bien , & poffible en quelque
manière , prenant les noms qu'on fait de nouveau ,
des chofes mêmes avec lefquelles celle qu'on veut
nommer a du rapport , & dillinguant le nouveau
nom par quelque changement» ann qu'il devienne
propre. Mais la queftion efl fi les premiers noms
d'une langue , qui font comme les racines des au-
tres, expriment naturellement ce qu'ils fignifient.
Cela fepeut trouver en quelques-uns, comme nou^
l'avons dit. Les noms font des fons; ainfi lorfqu'ils
ne fe peuvent prononcer qu*en fâifant le fon de la
(hofe qu'ils figniûent , on peut dire que ces noms
font naturels , comme beuglement , bennijfement ^
rupîjfement ^ beugler ^ bennir» rugir ; mais je l'ai
d^a dit , le nombre de ces noms efl très-petit.
Tout ce qui ne fonne point n'a point d'exprefBon
naturelle en ce fens. Outre quç de quelque mot;
qu'on
t6 La RMiTOKiQjifB, ou l'Art
qu'on fe fcrve pour marquer ce qui a un fon , cm'
pourra toujours en reveiller l'idée, fi lufage Ta au-
torifé. Celle du cri d'un animal fe peut réveiller par
un nom dont la prononciation n'a aucun rapport
avec ce cri , fi les hommes l'ont établi pour le
fignifïer. La peine que prend Platon pour éclaircir
cette queftion eft donc inutile. Les étymologies ou
véritables origines qu'il prétend donner de plufieurs
noms Grecs , font faulfes. Il lui auroit été plus facile
de les dériver de la langue fainte s'il l'a voit connue.
H avoue qu'il y a de certains noms qui fe doivent re-
garder comme les élemens de la langue , dont on
ignore l'origine. Il ignoroit l'origine de l'homme que
Dieu avoit formé de fes propres mains , & à qui il'
avoit donné un langage, dans lequel les Savans pré-
tendent qu'on peut trouver l'origine de toutes les
langues.
' Quoiqu'il en foit de Ce fentiment , qui s'accor-
de avec cette vérité confiante, que tous les peuples
du monde tirent leur origine dfes trois enfans de
Noé, il eft évident que ces hommes fortis nouvel-
lement de la terre ou defcendus du ciel feferoient
pu faire un langage dont chaque mot n auroit*
point d'autre idée que celle avec laquelle ils l'au-
roient lié; fans qu'on pût dire que quelque impref-
fion corporelle le$ y eût obligez , ou que la feule
difpofition de leur orgâneies leur eût fait prononcer ;
ainfiguelavoix ou lecriquifortdugozierd'unche-
Tal elt un hennifiemcnt.
Concluons donc qu'il fuffiroit que celui qui fc-
roit le plus fage ou le plus autonfé de nôtre nou-
velle troupe , nommât , par exemple , ce mot So-
ieil dans le tems qu'on feroit tourné vers cet Aftre ,
*ç qu'oiï y feroit attention, pour iaire qu'il devînt le
nom de cet Aftre; après quoi ce n'auroit plus été un:
vain fon. Mais il faut avouer que cette convention
-^ difficile, Lc$ PJiilofopfacs fie le^ Hiftoricns qui
.' ' ' veu'
DE PA&ISl.. UvJ. Chétp.V. 17
Tculent que les hommes foient nez de la terrç comme
des champignons» ont beau nous dire que la ne-
cdBté de s'entr'aider les obligea de s'aiTembler , 6c
de fe faire un langage. Je ne fai fi ne s'entendant
point les uns les autres» ils ne fe feraient pas plûr
tôtdifperfés; aimans mieux demeurer avec des bê-
tes , comme faint Augullin dit qu'on aime mieux
converfer avec fon chien qu'avec des hommes dont
on n'eft point entendu. Tant il eft vrai qu*il faut re •
connoître que ce n'eil point le hazard (]ui a formé
les hommes : qu ils ont une première origine : qu'Us
viennent d*un premier homme qui étoit 1 ouvrage de
Dieu ; ce que nous dirons dans la fuite avec plus
d'étendue. Cependant demeurons dans nôtre hypo"
thefe; conûderons-la comme poffîble.
Chapitre V.
Cts nouveaux hommes pourrêient trouver unt mM»
nicTi d'écrire. Celle que nous avons ejl due
aux anciens Patriarches*
SI ces hommes pouvoicnt fe faire un langage, ils
pourroient aum trouver des caraderes, lignes de
ce langage. Cell ce qu'il faut confiderer ici. Les
langues ne fe font perrcdionnées qu'après qu'on a
trouvé l'écriture, & qu'on a tâché de marquer par
quelques fignes permanens ce que Ton avoit dit de
vive voix , ou ce que l'on avoit feulement penfé. Le
ton , les gefles , l'air du vifage de celui qui parle ,
foutiennent Ces paroles , & marquent une partie de ce
qu'il penfe; ainfi eh l'entendant parler on conçoit
aifément ce qu'il veut dire. Un difcours écrit efl
mort; il eft privé de tous ces fecours. C'eft pour-
quoi à moins qu'il ne marque exadement tous Jes
traits de la pcmëc de celui qui a écrit ; que toutes.
■ ■ " les
iB La Rhetoriqjje, ou l*Art
les ptrolcsne foicnt liées, & ne portent des mar-
GUes du rapport qu'ont entr'elles les chofes qu'elles
ngnifient, ce difcourseft imparfait, obfcur, inintel-
ligible. C'eft récriture qui fait appercevoir ce qui
manque à une langue pour être claire : on voit en
écrivant ce qu'il y raut luppléer , ce qu'il y feut chan-
ger. Les langues barbares peuvent fufHre, quand il
n'eft queftion auedesbefoins de la vie animale, de
la vente ou acnat de quelques marchandifes ,. mais
elles ne feroient pas capables d'un Ihle réglé dans
lequel on pût expliquer les Sciences.
Or il en cft de récriture comme du langage, 6c
généralement de tout ce qui dépend du cuoix des
hommes. Tous les animaux font la même chofc;
parce que c'eft le mouvement de la Nature, quieft
la même en tous, qui les fiait agir 5 mais entre plu-
fieurs hommes qui entreprennent une mêmechofe,
ils la font chacun d'une manière particulière. Com-
me ils peuvent choilir quelque ion quecefoit pour
être le figne de leurs penfées , ils peuvent pareille-
ment marquer ce fon par quelque figne qu'il leur
plaira, &cela fort différemment. La manière dont
nous écrivons, qui confifte- dans les differens arran-
gcmens d'un petit nombre de lettres, efl une inven-
tion admirable qui fe doit rapporter aux premiers
Patriarches. Les peuples barbares, j'entends tous
ceux qui fe féparerent des enfens de Dieu Ôc errè-
rent en differens coins du monde , n'eurent Tufa-
gé de l'écriture telle que nous l'avons , que fort
tard; Âinfique les Américains, avant que nous les
connuffions, av oient feulement des figures ou images
pour marquer certaines chofes; ce qui eft bien diffé-
rent de notre écriture. Avec vingt-quatre différent
fignes , ou lettres différentes , nous marquons ce a ue
nous voulons. Ces lettres font fimplcs , faites d un
ou de deux traits , ou au plus de trois. En les com-
binant il n'y a point de diofe qui ait un nom qu'el-
les
Di PAmiER. Liv.L Cbap.V. tf
les ne marquent. Mais il n'en eft pas de même de
ces images des Américains , qui étoient propre-
ment des fymboles 6c non des élemens ; mamere
d'écrire fort imparfaite, &<]ui ne mérite pas le nom
d'écriture. Cdle des Chinois Teil encore plus : di-
fons hardiment qu'ils ne favent point écrire. U
leur âiut quarante ou foixante mille caraéteres»
&mêmc jiuqu'à quatre-vingt mille , comme Taffu-
rent ceux qui ont été à la Chine. Combien fiiut-il
de difierens traits pour former 6c diitinguer ces ca-
raéleres ? Le moyen de fe les mettre tous dans la
tête : de fe fouvenir en les voyant de ce qu'ils
peuvent fîgnifier; 6c lorfqu'on ne les voit point, 8e
qu*onveut exprimer la chofe qu'ils fignifient, com-
ment pouvoir tirer tous leurs traits f L'impreffion
qu'ont ces Peuples , eft auffi fort imparfaite , car
pour chaque page de leurs livres il faut qu'ils gra-
vent fxu: une planche de bois les caraéleres qu'Us y
veulent repréfenter ; laquelle ne peut fervir que pour
faire cette paee ; ainû il faut autant de différentes
planches qu'ily adc pages. Une planche ne fe gra-
ve pas aulS facilement qu'on aflemble des lettres,
outre que celles qui ont fervi à une page , peuvent
fervir à tout un livre.
Rien donc de plus imparfait que toute la littératu-
re Chinoife. Cnaque caraélere fîgmfiant une feu-
le chofe , il en faut Connoître im nombre infini >
dont il n'eil pas poflTibledeconferver en fa mémoi-
re la fîgnification 6c les traits qui les diftinguent.
Ajoutez qu'ils ne marquent que les chofes , 6c
qu'ils n'expriment ni les a^'ons , ni les rapports.
Âufli les Chinois admirent les Européens voyaut
qu'avec un petit nombre de diflferens traits ils lou-
voient expnmer toute leur langue. Nos caraaeres
fe nomment Elemens , parce qu'ils font en petit
nombre , que tous les mots en font compofez , 6c
qu'il n'y en a aucun qui ne fcpuilTc réduire à quel-
qu'un
lo La Rhetoriqjue, ou l'Art
qu une denos lettres , comme à fon principe ; ainfi
que toutes les chofes matérielles fe reduifent aux
premiers démens*
; En parlant de la véritable origine des Langues ,
nous verrons en quel tems à peu près Tufage des
lettres a été connu. Nous verrons la preuve de ce que
nous avons avancé , que c'eft aux Patriarches qu'on
eft redevable de l'invention des lettres. Mais il faut
remarquer que cette invention s'eft beaucoup per-
fedionnée aans la fuite des fiecles. Si ce n'elt qu'on
veuille dire que dans les premiers commencemens on
fe contentoit d'écrire ce qui étoit abfolument nc-
cefraire,Ôc qu'on fupprimoit ce qui fe peut fuppléer.
On n'écrit dans une langue que pour ceux qui la fa-
vent ; ainfi en voyant les principales lettres d un mot,
il eft facile à celui qui connoit ce mot de deviner
les autres lettres qui ne font point marquées. Les
lettres qu'on nomme confones, ne fe peuvent pro-
noncer qu'on nefaffe en même tems fonner une let-
tre voyelle. Ainfi un homme qui fait parfaitement
l'Hébreu, quoiqu'il nevoye pas dans l'écriture tou-
tes les voy eues, illesfuppleeaifément. Que cela foi t
pofîible , on n'en peut pas douter , puis qu'encore au-
lourdhui les Doéleurs Juifs ne les expriment pas dans
leur écriture, & que cependant ils s entendent bien ,
& lifent couramment l'écriture les uns des autres.
Ceft un fait appuyé fur de bonnes preuves , que
jufqu'iau cinquième necle après la Naiffance de J e-
s u s-C H R I s T les Hébreux n'a voient point l'ufa-
g.e de ce qu'ils appellent points qui tiennent parmi
eux lieu de voyelles. Ils en avoient des voyelles ,
mais celles-là ils les mettent au nombre des confon-
nes; Ôc en les lifaiit, ils font fouvent entendre le
fon d'une véritable voyelle qui eft tout différent.
Auffî il n'y a que ceux qui favent l'Hébreu qui le
puiflént lire fans points. Dieu le vouloit ainfi , afin
que fi les Livres derEcriture venoient à tomber en-
tre
DE PARLERt LiV.L Ckélp. V. tf
tré les mains des nations étrangères , ils ne fuflcnt
point entendus : De forte que non feulement Tin-
telligencc, mais la ledure même de ces Livres depen*
doit d'une Tradition vivante ; TEcriture couvrant
de cette manière des mylleres qui ne dévoient pa^
être connus de tout le monde.
Autrefois dans l'Hébreu & prefque dans toutes
les Langues on écrivoit tout de fuite , on ne diftin-
guoit point les differens mots, par des points, par
des virgules; qui marquent quand un nouveau fcns
commence , quand il eft achevé. On ne favoit ce
que c'étoit de feparer les mots , de commencer
toujours un»nouveau fens par une grande lettre ;
de diftinguer de même les noms propres. Dans les
langues qui ont des tons differens , qui ont des ac-
cens, comme la langue Greque; l'on n'a commen-
cé de les marquer ces tons , ces accens , ces afpira-
tions que depuis que la langue a commencé de fe cor-
rompre ; que la prononciation s'elt changée ; &
qu'on a cherché des moyens de conferverrancien-
ne prononciation. On a mis des notes fur chaque
mot , qui ne fe voyent point dans les ancieimes
infcriptions, dans les Manufcrits de la prenaiere an*-
tiquité. En écrivant on ne doit rien négliger de ce
qui peut contribuer à la clarté du Me, Il y a des mots
qui ont différentes fignificatîons , félon leurs diffé-
rentes notes ou accens. Il fout profiter de tout ce
qu'on a trouvé dans la fuite des fiecles pour per-
feifiionner l'écriture. Quant à la manière de la ran-
ger, elle n'eft pas lapaême dans toutes les langues.
Les Qiinois rangent leurs caraderes par coloranee.
Ils n'écrivent pas furune ligne tranfvcrfale, mais de
haut en bas fur une perpendiculaire : mettant les ca-
raé^eres qui fe fuivent non côte à côte, mais les uns
fur les autres ; ce que ceux de l'Ifle de Taprobane qui
fe nomme aujourdhui Zeilan » faifoient du temsde
Diodore de Sicile.
Tovxr
%z La Rhetoriqub, 0¥ l*Art
Toutes les autres Nations mettent leurs mots côte
à côte, mais elles commencent différemment. Les
Hébreux , les Chaldéens , les Syriens , les Arabes écri-
voient & écrivent encore de la droite à la gauche,
Hérodote dit que c*étoit la manière des Egyptiens.
Les Grecs 9 les. Latins dans la fuite des fiecles com-
mencèrent de la gauche à la droite ; car il y a bien de
l'apparence que dans les commencemens, comme
c*cft des Hébreux que leur eft venu l'Art de l'Ecritu-
re » ils en avoient toutes les manières. Us ne les quit-
tèrent pas d'abord pour en prendre de contraires. Ils
conferverent la première en mênic tems qu'ils en
prirent une nouvelle; car ilsécrivirentdeladroiteà
U gauche , 8c de la gauche à la droite , joignans ces
4eux manières. Ils faifoient comme les laboureurs,
qui ayant commencé de la gauche à la droite; quand
ils font au bout du champ qu^ils labourent , us re-
•commencent de la droite a la gauche, 6c conrinuent
de mêcae. C'eft à dire que les Grecs écrivoientptr
iillons, ou comme les bœufs, qui en labourant re-
commencent où ils finiflent ; d'où les Grammai-
riens Grecs appellent cette ancienne manière d'é-
crire fiitçgê^hr.
On pourroit dire que les hiéroglyphes des Egyp-
tiens étoient une cinquième manière d'écrire ; car ces
hiéroglyphes font différents des caraétcres Chinois,
qui ne rcpréfentent rien. Ce font de fimples traits ;
au Heu que les hiéroglyphes des Egyptiens étoient
4es images d'animaux , fymboles des myileres que
ces peuples vonloient fîgnifier. Les caraderes du Pé-
rou , du Mexique , étoient plus femblables à ceux des
Egyptiens qu'a ceux de la Chine; car c'étoient des
images , des repréfentations , des peintures. Enfin
nous pourrions compter entre les différentes écritures
ces notes ou abrégez dont fefervoient les Romains,
avec Icfquellcs ils écrivoient avec tant de célérité ,
que leur main étoit plus prompte que la langue de
celui
DB PA&LlR. Lh.L Cbap.VL 13
celui qui rccitoit le difcours qu ils copioient , tfétoit
agile. Ils avoient des notes pour chaque chofe , pour
àaque nom , comme les Chinois. On en compte
jafqa'à 5000. Gruter en a fait imprimer une partie.
Chapitre VI.
four msrquer tes tTtffirens train du Tâbkuu dout
pn M firme le dejfein dans Pefprît 9 on a
befiin de mots de dtfferens ordres,
«
NE confiderons pas feulement ce que feroieot ces
nouveaux nés» uns doârine Se groffiers. Voyons
ce que la Raifon prefcrit ; ou , ce qui eft la même
chofe , ce que ces nommes auroient ndt s*ils avoient
été Philofophes » s'ils avoient confulté la Raifon , 8c
écouté ce qu'elle peut prefcrire pour marquer tous
les traits de nos pcnfécs , leur raport , leur fmte. Sup*
pofons donc qu'ils foient raifbnnables; cardes Bar-
bares qui ne vivent que félon Timpreilion des fens »
fans réflexion , fans ji^ment , fans raifonnement »
fans entretien, ne forment aucune penfée réglée. Sup-
pofons, dis-je, que ces hommes font Philofophes. Les
opérations de nôtre efpnt fur fes idées fe reduifent à
trois ou à quatre. Ûapperçoit ce qui eft en lui-mê-
me , comme font les premières veritez avec lefquelles
nous naifTons , 6c les chofes qui font hors de lui com-
me les aftres , les plantes , les animaux » par la porte
des fens du corps où il eft renfermé. Cette première
opération de l'efprit fe nomme dans les écoles de
Philofophie, perception. Lorfque nous avons apper-
çû un objet, que nousyfaifons quelque attention,
que nous reflecnifTons fur ce que nous y découvrons ,
nous en jugeons; c eft à dire bue nous lui attribuons
quelqye qualité en afturant qu'il eft tel, ou qu'il n'eft
pastel, vctte féconde opération de l'efprit s'appelle
juge-
14 I-'A Rhétorique, ou l'Art
jugement y laquelle eft fuivie d'une troiliémc qui tire
desconfequencesdecequ'onaconnu d'un objet par
les deux {«"emieres opérations. C'eft ce qu'on ap-
Selle ra'tjbnner. Enfin fdon la nature & les qualitex
e l'objet de nos penfées nous fentons dans la volonté
desmouvemensd'eilime ou de mépris, d'amour ou
de haine, décolère, d'envie, dejaloufie; cequife
nomme ùajjion. Ainii tout ce qui fe pafle dans nôtre
dprit , eft aâion ou pnjjion. Nous verrons dans la
fuite comment les paffion.s fe peignent elles-mêmes
dans nos paroles. L'on appelle idée la forme d'une
penfée qui eft l'objet d'une perception , c'eft à dire
d'une penfée qu'on a à l'occanon de ce ou'on connoît
par la première opération de l'efprit. Par exemple,
lorfque le Soleil frappie mes yeux par fa lumière, ce
qui eft pour lors prélent à mon efprit , &- ce que j'ap-
perçois en moi-même , eft l'idée du Soleil , laquelle
demeure dans ma mémoire , lorfque cet aftre difpa-
roît. Ainfi nous avons refprit plein des idées d'une
infinité de chofes matérielles que nous avons vues.
Nous avons auffi les idées de pluiieurs veritez que
nous n'avons point reçues des fens.
Sans doute que ces nouveaux hommes donne-
roient leurs premiers foins à faire des mots pour être
les fignes de toutes ces idées, qui font les objets de nô-
tre perception , ou de la première opération de nôtre
efprit. Pour juger de ce qu'ils feroient dans l'établifTc-
ment de ces fignes , conuderons que ces noms , quels
qu'ils foient , entant qu'ils font prononce?, ou qu'ils le
peuvent être , font des fons que forment les organes
de la voix. Or entre ces fons il y en a de fimplcs ,
aufouelsonpeut réduire tous les autres , qui en font
ainu comme les premiers élemens. Nous diilinguons
dans la langue Françoife', comme dans la Latine ,
vingt-quatre fons fîmples qu'on marque par autant
de lettres de différente figure. Cenom D/Vw^ftcom-
pofé de quatre fons diSercns ou lettres qui dut cha-
cune
BB PAIlt£R. Lîv,L Cbêf.VU 15
:ur foh. Les dirpoûtions des organes de U
suvent être différentes & dans leur fubftance,
; leur ufige, ce qui fait que la même lettre
m différent félon qp'elle eft prononcée par dif-
s Nations. Cell pourquoi fi on vouloit con-
toutes les varierez & différences qui peuvent
tre les fonsqu on appelle fimples, ouelcmens
arole , on trouvoit bien plus de vingt-quatre
; car il y en a qui ne font ufitées que par cer-
Nations qui les multiplient , & y mettent des
nces affei confiderablcs , pour pouvoir être
ées par differens caraéleres. Nous avons par
le trois fortes de e qui ont des fons differens,
li nous pourrions donner differens caraderes,
L augmenter le nombre de nos lettres. Entre
is <qui font fimples , il y en a qui ne font pas
lent faciles & agréables à tout le monde. Pour
îs uns les évitent , pendant que d'autres s'en
t. Ceft pourquoi il ne faut pas s'étonner que
s peuples du monde n'ayent pas un égal nombre
aâeresy que leur Alphabet foit plus grand ou
îtit que le nôtre. Parlons de ces hommes que
ntroduifons fur la fcenc , coftime Ç\ le hazard
qu'ils fe ferviffent des fons ou lettres de nôtre
bet.
us ne comptons que vingt -quatre lettres ou
quatre fons (impies, ainfi cette nouvclletrou-
î pourroit fe fervir des fons (impies que pour
ler vingt-quatre chofes différentes; à moins
ne fceullcnt differentier chacun de ces fons par
:ns tons, par rélcvaiion ou la pofition de la
comme dans le chant on prononce diffe-
ent la niémc voyelle fclon qu'elle elt notée,
i n'eft ni impoirible ni incroyable; car nous
is qu'il y a eu des peuples , & que les Chinois
: encore aujourd'hui, qiiichantoicntenquel-
micreenp^rlAm: Mais enfin fi notre nouvelle
B ttow-
i6 La Rhit^rique, ou l'Art
troupe prenoit nos manières qui font naturelles , clic
ne pourroit faire des vingt-quatre lettres que vingt-
quatre noms. En compofant des noms de deuxlet-»
très , elle en feroit vingt-quatre fois davantage , c*cfl:
à dire , cinq cent foixante & feizc ; Ôc vingt-qua-
tre fois encore davantage , c'eftàdire, treize mille
huit cens vingt-quatre en faifant des noms de
trois lettres, comme nous l'avons dit. Ainfiilleur
feroit facile dans cette infinie variété de trouver des
lignes particuliers pour marquer chaque idée , & lui
donner un nom.
Comme Ton fe fert naturellement de ces premières "
connoiflances, nous pouvons croire que lorique d'au-
tres chofes fe préfenteroientàleurefpritquiferoient
femblables à celles à qui ils auroient donné un nom
propre , ils ne prendroient pas la peine de faire de
nouveau* mots , ils fe ferviroient des premiers nom»
en les changeant un peu pour marquer la différence
des chofes auxquelles ils les appliqueroient. L'expc^ '
rience me le perfuade : lorfque le mot propre ne
vient pas affez-tôt à la bouche , on fé fert du nom
d'une autre chofe qui a quelque rapport à celle-là.
Dans toutes les langues les noms des chofes à peu
près femblables différent peu entr'eux : Piufieurs
mots prennent leur racine d'un feul , cornme on le
voit clans les Diétionnaires des langues qui font con-
nues.
Un même mot fe peut diverfîfier en piufieurs ma-
nières , parla tranfpofition , parle retranchement de
Quelqu'une des lettres qui le compofent , ou par l'ad-
oition d'une voyelle ou d'une confonc; par le chan-
gement de la terminaifon : de forte qu'il n eft pas
difficile , lorfqu'on communique le nom propre d'u-
ne chofe à toutes celles qui lui font femblables, de
marquer par quelque petit changement , ce que ces
chofes ont de particulier , & en quoi elles différent
de celles dont elles ont pris le nom. C'eft à dire
qu'il
DE PARLER. Liv.I, Ckétp.VL I7
Il pas dilËcile de leur donner des fîgnes partir
► cet établiffement , les mots quilsauroient
& qui par eux-mêmes ne fignifioientrien,
: la force d'exciter les idées des diofesaux-
Is les auroient appliquez. Caries ayant pro-
» ôc entendu prononcer fouvent lorfqueces
eur étoient préfentes, les idées de ces chofes
^ mots feferoient liées: de forte que l'une ne
t pas être excitée fans l'autre. Comme quand
ons vu fouvent une perfonne avec un certain
l'abord que nous penfonsàelle, Tidéedecet
préfente à nous; & la feule idée de cet habit
: nous penfons à cette berfonne.
. ne peut point favoir ti ces hommes garde-
quelque r^e en cherchant des termes pour
ner. S'ils ne compoferoient ces termes que
:rtain noml^re de fyllabes. Tous les mots des
s n'en ont qu'une. Les racines Hébraïques,
îs de la langue Grecque n'ont que trois con-
La Nature porte à cette fimplicité. Plus le
s ci court, il répond mieux à l'ardeur que nous
ic dire vite ce que nous penfons : & il farisfait
ne-tems au defir impatient qu'on a quand
ute , de favoir ce que veuf dire celui qui par-
rfque les langues ont commencé à fe corrom-
ps mots fe font pour l'ordinaire allongez. Une
rien qu'un mot ait un plus grandnombredc
s , lorl'que deux ou trois fuffifent pour le faire
aer de tout autre mot.
étoit queftion àpréfent de faire de nouveaux
our en compofcr une nouvelle langue , il fcroit
pbferver quelques règles. La première devroit
; les compofer d'un très -petit nombre de fylU-
a féconde, de choifir les fyllabes dont le fon an-
jelque rapport avec la chofe qu'on voudroit
T; car lori'qu'on cherche un fignc, ileilplus
B i m-
28 La Rhetohique, ov l'Art
xaifonnable de prendre les chofcs qui femblent faites
pour cela : c'en ce qu'on a fait pour exprimer le cri
des animaux , on.a dit hare , binnire , hnlare y beu-
gler, hennir, bêler: ces termes ont un fon qui ap-
proche de celui qu'ils fignifient. Latroifiéme règle
feroit de faire que les mots euflent une haifon en-
femblc, félon que les chofes qu'ils iignifieroientau-
roient des liailons & des rapports. Il ne faudrbit
que les compofer de lettres qui euflent un fbn appro-
chant, qu'il n'y eût entr'eux de différence que dune
ou de deux lettres; ou que ce fufl*ent les mêmes
lettres; mais rangées d'une autre manière, comme
on en voit plufieurs exemples dans la langue fainte.
Mais il eft inutile de donner ces règles , fi ce n'efl
que cela nous fait comprendre en quoi peutconfifter
la fimplicité & la beauté d'une langue. Nous ne fa-
Yons pas ce que feroient ces nouveaux hommes.
Apparemment ils nephilofopheroientpas beaucoup.
Lempreflement qu'ils auroient déparier feroit qu'ils
fc ferviroient des premiers termes qui fe préfente-
roient ; & quand un terme eft une fois établi , on
ne s'avife guère d'en chercher un autre.
ClfAPITRE VII.
JLeflexion fur U manière dont en chaque langue on
fe fuit des termes four s'' ex frimer. Ces re-
flexions conviennent à /'Art de farler,
ê
NO U $ ne prétendons pas apprendre l'Art de par-
ler de cette feule troupe ae nouveaux hommes
que nous avons introduits ici. Nous ne pouvons fa-
voir que par conjeélure ce qu'ils feroient. Nous
voyons ce que les hommes ont fait en tout pais &
dans tous les fiecles , & il eft bon de le coniiderer ; car
9 eft de la deraiere importance, pour connoîire à
^' fond
f
fond la Nature du langage , de remarquer les manières
(kparier de chaque Nation. Bien des gens fc trompent
ani s'imaginent que la Rhétorique ne conlifle que
dans les omemens du difcours ; Ôc que des reflexions
femblables à celles que nous allons faire ne convien-
nent qu'aux Grammairiens. Usjugent de l'éloquen-
ce, comme ceux qui ignorant la Peinture , pen-
fent que le coloris en eft la principale chofc. Je ne
m'arrêterai pas à leurs jugeraens ; & quoi que je
naye pas dcflein de faire une grammaire générale,
je ferai cependant mes reflexions fur les manières
gui font paiticulieres à de certaines langues , lor:que
je croirai qu'il fera nécelTaire dç le faire pour dé-
couvrir les fondemens de l'Art de parler.
Nous avons vu comme la néccffiié auroit obligé
nôtre nouvelle troupe d'établir les termes pour tou-
tes les chofes dont il faut parler fouvent; mais il y
a bien de l'apparence que leur langue feroit d'abord
fort fterile. Comme les pauvres fe fervent d'un
même habit pour tous les jours ; que deux ou trois
vaiffelles font tous leurs meubles; auffi ceux qui
n'ont pas de grandes connoiflances n'ont befoin
pour s exprimer <jue d'un petit nombre de termes,
qui leur fervenf a toutes chofes. Les perfonnes
groffieres ne reflechiffent prefque point. Leurs vues
font bornées : ils ne peuvent parler que de ce qu'ils
connoiflent , ils n'ont donc befoin que d'un petit
nombre de mots. Ils n'ont pas afTez de délicateiTe
pour diftinguer dans les chofes ce qui met de la
différence entr'elles; c'eft pourquoi eUcs leur jpa-
roilfent femblables , ainil les mêmes mots leur fer-
vent pour toutes. Cela fe voit dans le langage
des Barbares qui vivent comme des bêtes, & qui
ne penfent qu'a boire & à manger. Ils n'ont às^
termes que pour marquer ces aétions. Ceux qui ne
connoiflent point les Amples, les regardent pref-
juc toutes comme femblables; 5f ces termes géné-
B 3 raux ,
30 La Rhetoriqjue, ou l'Ar T
rvxxéTbertej de plante y Je Jtmf/e ^ lent (uMtnt. Les
Médecins qui ont des idées diftinéles de chaque
fimple en particulier , n*ont pu s'en contenter ; ils
ont cherché des noms propres à chaque efpece.
Selon que les peuples ont donc fait plus d'atten-
tion aux chofes , leurs termes ont des idées plus
diftindes , & ils font en plus grand nombre. Une mê-
Hic chofe peut avoir plufieursdegrez. Elle fera dans
fon efpece , ou une des plus grandes , ou une des plus
petites. Ceft pour exprimer ces degrez qu'on a fait
les diminutifs, comme en Latin de bomo on a fait
komuffcio. Les Italiens ont un grand nombre de di-
minutifs. Les £fpagnols ont des diminutifs 6c des
Boms qui augmentent. De a/ne nous faifons a/non :
eux de ajno font afni//o un petit afne , êc afnazeun
grand aine. On peut regarder une même chofe
aune manière générale, fans faire attention à ce qui
la diftinguc de toute autre, & s'en former ainfi une
idée abftraite. Les noms qui marquent ces idées s'ap-
pellent ahflrûits , comme ce mot humanité , qui
marque 1 homme confideré en général fans qu'on
pcnfe à aucun homme en particulier. Toutes les
langues n'ont pas également des diminutifs ou des
augmentatifs , 6c de ces termes qu'on nomme
abftraits. Il ne faut pas juger des langues étrangères
par la nôtre. Les uns peuvent obferver ce que les au-
tres négligent , 6c voir une chofe par un endroit que
nous n'appercevions point. C'efl pourquoi en tra-
duifant fl n'efl pas pofTible d'exprimer toujours mot
pour mot ce qui eft dans l'original ; car chaque peu-
ï^e confideré les chofes d'une manière particulière,
6c comme il lui plaît: ce qu'il marque par un terme
propre, qu'on ne peut par conféquent expliquer que
par des circonlocutions 6c avec un grand nombre
d'épitetes. Pour éviter cela , on eft obligé de rece-
voir des termes étrangers, comme nous avons reçu
VincognkQ des Italiens.
Il
DE PAELER. Ltv.L Cbap.Vîl. 31
n dépend de nous de comparer les chofes comme
nous voulons, ce qui fait cette grande différence qui
cft entre les langues qui ont une même origine. Ce
qoilcs Latins appellent fenefira^ les Espagnols Tap-
pcDent vfntana , les Portugais jomlië. Nous nous
icrvons auffi de ce mot croifit pour marquer la mê-
me chofe. Feneftrot ventus yianus t crux font des
mots Latins. Le François , l'Hpagnol » le Portuga's
viemieht du Latin , mais les Espagnols conûderant
que les fenêtres donnent pafTage aux vents » ils les
appellent ventana de ventus. Les Portugais ayant
regardé les fenêtres comme de petites portes, ils les
ont ajppellé jtf»r/&f de janua. Nos fenêtres étoient
autrefois partagées en quatre parties avec des croix
de pierre : on les appeûoit pour cela des croifiesde
aux. Les Latins ont confideréquerufage des fenê-
tres efl de recevoir la lumière» ik mot ftneftrawïtîA
du Grec ^ai^H* qui fignifie reluire. Ceil ainfi qut
les différentes manières de voir les chofes portent à
hur donner differens noms.
La facilité & la douceur de la pronondadon de-
mandent une grande abondance de* termes pour
choiiir ceux dont le concours foit moins rude ; fans
cela un petit nombre de termesfuffiroit, au'onpour-
roit accroître, ajoutant à qudques-uns de certaines
fyllabes, pour faire, par exemine, d*un primitif des
dérivez , ainfi que le font les Géorgiens peuples de
l'Afie. Tous les noms dérivez dan§ leur langue ne
différent des primitife que par cette terminaifon
jani. Si ce font des noms de dignité , de charges,
de quelqu'Art , les dérivez ajoutent aux primitifs rm.
Avec cette fyllabeyi qu ils mettent devant le nom
d'une chofe, ils font un dérivé qui marque le lieu de
cette chofe. Ainfi tbreâi fignifie colombe , ^fatbredi
un colombier, cbueli fromage, frcbueU le lieu où
l'on garde le fromage. Les mêmes Géorgiens font
généralement un fubilantif d'un primitif qui cft ad-
B 4 jcAif ,
3i La Rhitoriqui, ou l'Art
jcâif , en lui ajoutant &ba •> à.t fi'ianinoh , fctaneba
noirceur. Des adverbes primitifs ils font des ad-
jeâ:ifs avec mâelî: leurs comparatifs avec la fyllabc
fi. Les Turcs font à peu près la même chofe , ce que
je rapporte pour montrer qu'on pourroit bien dimi-
nuer ce grand nombre de termes, & rendre les lan-
gues plus aifées. Mais il faut contenter les oreilles
qui ne s'accommodent pas dans toutes les occafions
de certains termes , & qui ne peuvent foufirir quand
elles font délicates, la répétition trop fréquente des
mêmes fons.
Un iavant Anglois qui a fait une Grammaire
Angloifc raifonnée , montre comme les noms An- •
glois fe forment aifément les uns des autres avec un
Jcger changement , comme de brajje qui fignifie
érain , il font to braze , en Latin vbérare, £n ajou-
tant jp au nom d'une chofe , ils en font un qui mar-
que l'abondance de cette même chofe. Ainii a ti,ealtb
qui fignifie ricbeffè ^ ajoutant^ ils font i»ea/tbyf
abondant en ricbejffes,
' La terminaifon iy marque reflemblance , comme
God Dieu, & God(^ qui elt conforme à Dieu. Jfh
cft une terminaifon qui marque diminution. Car
cet Auteur Anglois prétend que parmi les mots qui
'font Anglois d'origine , plufieurs font compofet de
lettres dont le fon convient aux chofes qu'ils figni-
iient ; que , par exemple , les mots qui commencent
par Sfr marquent le plus grand effort de la chofe
qu'ils fignifient, comme ceux qui commencent par
St un moindre effort: que ceux qui commencent
par Tbr indiquent un violent mouvement , par Kvr
une action oblique , qui n'eft pas droite : par C/une
liaifon , une adhérence : il fait voir de même que
le fon des terminaifons en plufieurs noms, s'accorde
avec ce qu'ils fignifient. Chacun peut faire de pa-
reilles remarques fur les langues qui lui font con-
nues; ôc il les faut faire quand on s'en veut ren-
dre
I
i dicnaî'.re, qu'on les veut apprendre, & s'cnfcrvir.
! Ainfi ce que nous difons id e(l de conféquence ,
, quoiqu'il ne le paroiffe pas.
ï
I ChapitkeVIII.
I Des Noms Subftantifs & Aéljefiifs^ des Articles.
Du nombre et des cas des Noms,
LE s mots qui fignifient les objets de nos penfécs ,
ceft-à-dire les chofes, font appeliez noms. On
confidere en chaque chofe fon être , ou fa manière
d'être. L'être d'une chofe, par exemple , l'être de la
rire , c'eft la fubftance de la cire. La fkure ronde
ou quarrée , laquelle fe peut changer fins qu'dlc
cefle d'être cire , font fes manières d'être. Etre igno-
rant ou favant, font des manières de notre être. Il
&ut néceffairement qu'entre les Noms , les uns foient
deilinez à lignifier la fubftance de l'être , & que les
autres expriment la manière de l'ctre. Nous appel-
ions pour cela noms. Suhflantifs , ceux qui mar-
quent l'être abfolu d'une chofe : & Adjeflifs , ceux
qui n'en marquent que la manière ; parce qu'ils ne
fubfiftent que par le nom fubllantif auquel on \t%
ajoute. Dans ces deux mots Te^re rondes le pre-
mier eft un nom fubftantif , & le feicond qui ne
fignifie que la manière de l'être de. la terre , cil ad*
jecffaf. Les noms fubftamiô deviennent adje<5^ifs; ou
plutôt les chofes qui font des erres abfolus 64 des
fuWlances,-font exprimées par des noms adjedifs,
quand elles font appliquées à d'autres êtres, dont
elles deviennent la manière d'être. Les Métaux
font àcs fubftances^ mais parce qu'on les applique à
d'autres fuhftances , on en Éait des adje<ftife , com-
me font, ces adjeétifs, doré^ argenté ^ e/laméy^Vs
autres. Au contraire les adjeâifs deviennent fubftar.-
•^ B 5 tifs.
34 La Rhitorique, ou l'Art
tifs , lorfqu'une manière d'être fe confidere d'une
manière abfolue, Ainfi Couleur eft un nom fub-
ftantif ; & ces noms adjeiftifs blanc , noir » de-
viennent fubftantifs quand on les confidere en
général fans les fubftances qui les foutiennent.
Leblanc, le noir font des fubilantifs; comme font
en général tous les noms qui ont une idée qu'on
peut confiderer abfolument fans rapport; comme
ie boire ^ le mangea , le dormir. Les Grecs , les La-
tins , en quoi nous les imitons , font leurs adjeclift
du fubftantif , en changeant la tcrminaifon. Les
Anglois font obligez de joindre au fubftantif un
fécond nom. . Aihfi Full qui fignifie plein . leur
fert à faire plufieurs adjedifs: par exemple, Joy
full, plein de joye , pour joyeux. Cave full %
plein de foin, ^oux follicitus inquiet. Some figni-
fie quelque chofe \ Deligtb , deiefiaùon : ils difent
eleligtb fome , pour deleflahk : le mot lejje fignifie
w/oins , petit i ainfi Care Jeffe c'eft la même chofe que
négligent.
■ Les noms fîgnifient ordinairement les chofes
d'une manière vague & générale. Les articles
dans les langues où ils font en ufage , comme
dans la nôtre , & dans la Grecque , déterminent
cette fifnification , & l'apliquent à une chofe par-
ticulière. Quand on dit , c'efl une bonne chofe
que d'être Rai, cette expreflion eft vague , mais fi
vous- ajoutez l'artide le y devant Roi, en difant ,
c'efl un bonheur que d*êtït le Roi, cette exprefîîon
eft déterminée, & ne fe peut entendre que du Roi
de quelque peuple particulier dont on a déjà parlé.
Ainfi les articles contribuent merveilleufement à
la clarté du difcours; parce qu'ils déterminent la
jufte idée qu'a cdui qui parle. AufS la langue
Grecque ôc notre langue font fans doute les plus
propres à traiter les Sciences qui demandent plus
deprécifion.
L^
T^r PAKLER. LrvJ. Cbâp.VlIh 35
Les différentes manières de terminer un nom
ptuvent tenir lieu d'un autre nom. Nous voyons
dans toutes les langues que les noms ont deux tcr-
minaifons , dont Time fait connoitre que la chofe
dont on parle eft fmguliere, c'eft-à-dire feule en
nombre ; l'autre , qu'elle n'eft pas feule , mais qu'elle
fait partie d'un nombre: ce qui fait dire que les noms
ont deux nombres ; le fingulier, & le pluriel. Ce mot,
htmme , avec la terminaifon du nombre fingulier ,
marque un feul homme ; mais avec la termin aSbn du
nombre pluriel , hommes , il iignifie tous ou plu^
iieurs hommes. La confonne S qu'on ajoute à la
temiinaifon du nombre fingulier , tient heu dans
cette occalion de ce mot tous^ ou f/ufieurs. Ainfi
le fingulier & le pluriel des noms fervent à abréger
le difcours , & le rendre diftindl. Les Hébreux , les
Grecs , & encore aujourd'hui les Polonois ont un
troifiéme nombre, dans lequel le nom marque que
la chofe qu'il fignifie elt double.
Nous ne confiderons pas toujours fîmplement les
chofes qui font les objets de nos penfées , nous les
comparons avec d'autres ; nous faifons reflexion fur
le lieu où elles font , fur le tems de leur durée , fur
ce qu'elles ont , fur ce qu'elles n'ont pas , & fur tous
les rapports enfui qu'elles peuvent avoir. Il faut
des termes particuliers poiu" exprimer ces rapports,
& la fuite & la haifon de toutes les idées queia con-
lideration de ces chofes excite dans notre efprit.
Dans quelques langues les différentes terminaifons
d'un même nom , qui font que les chutes ou finales
en font différentes , fuppléent à ces mots qui font
nécelTaires pour exprimer les rapports d'une chofe.
Le Grec, le Latin le fert de ces terminaifons diffé-
rentes : notre François & les langues vulgaires , ex-
cepté la Polonoife , qui eft une dialedle de l'Efcla-
von , n'ont point ces terminaifons. Elles marquent
les rapport» d'un nom avec des particules. Ces rap-
B 6 * poris
36 La Rhétorique, ou l'Art
ports font infinis. Les Latins les expriment ave
fix chutes , ou coi auxquels ils ont donné les nom
des rapports les plus ordinaires. Ils ont , par exemple
appelle Nominatif le nom confîderé abfolumen
fans autre chute que celle qu'il a. Un nom ai
Nominatif marque fimplement que la chofe qu'i
fignifie eft nommée : au Génitif, que cette chofe en
gendre , ou cft engendrée. Ce font les Grammai
riens qui ont donné ces noms aux difFerens ca
pour les diftinguer : mais ces cas ont d'autres ufa
ges que ceux que fignifient ces noms de Génitif^
"de Datif II y a fix cas en chaque nombre , dansl
fingulier & dans le pluriel. Le Nominatifs le Geni
tif , le Datij , rAccufatif, le Vocatif <èf l Ablatij
Un même nom , outre la principale idée de h cho
fe qu'il fignifie , enferme un rapport particulier d
cette chofe avec quelq .l'autre , félon qu'il c(l ou ai
Génitif ou au Datit,&cc. Le Nominatif HguifiQ fim
plement la chofe , le GnitiJ fon rapport avec ccU
à qui elle appartient , Palatium Régis -, le Datij
le rapport qu'elle a avec celle qui lui efl profitabl
ou nuifible , utilis rcipubUc£ i l' /Iccufatif , le rap
port qu'elle a avec celle qui agit fur eue , Cafa
vicit Pompeium, On met le nom au Vocatif, lors
qu'on adrefle fon difcours à la perfonne , ou à 1
chofe que ce nom fignifie; l* Ablatif, a une infinit
d*ufages. Il eft impoiïible de les marquer tous.-
Les langues dont les noms ne fouffrent point ce
chutes différentes , fe fervent de certains petits moi
qu'on appelle Particules, qui font le même efft
que ces chutes, comme font en notre langue , </f
/lu ^ ày par , le , les , aux , des , &c. Les Adverbes auf
ont un ufage peu différent de la chute des noms
car ils emportent avec eux la force d'une de ces pai
ticules. Cet Adverbe fagement» a la force de c(
deux mots , avecjhgejfe.
Les Adverbes font aiufi appeliez par les Cran:
lùf,
SB PARIEE. Lîv.I. Cbâp.VIlL 37
ïïiairicns , parce qu'ordinairement on les joint avec
un Verbe , comme courir vite , parier fagement ^ par»
1er lentement. Ils tiennent lieu d*un nom, « d'une par«
ticule qui marque un certain rapport ; c'eft pourquoi
dans des langues qui ont des cas il n'eft pas neceftaire
que les Adverbes en ayent, parce que par eux-mê-
mes , fans chute , ils fignifient la choie & fon rapport :
par exemple , far 1er lentement. Dans toutes les lan-
gues les Adverbes font d'un très-grand ufage. Ce font
de petits mots qui ne fe déclinent point , & qui tien-
Bcntlieu de plulîeurs paroles : comme enLadnces
Ad\erbesdctems, diùtcras^nupert thniùm% ceux-
ci de lieu y hîc^ întùs ^ forts \ de quantité, vmUtè%
fith , perquam Les diflfercnî rapports que les cho-
fes ont entr' elles , de lieu, defituation, de mouve-
ment , de repos , de diftance , d'oppofition , de com-
paraifon , font infinis. On ne peut parier un mo-
ment fans avoir befoin d'en exprimer quelqu'un à
roccaiîon des chofes dont on parle. Nous ne pou-
vons donc pas douterque ces hommes que nous fai-
fons trouver de compagnie , n'inventauent bien-tôt
des moyens de marquer ces rapports , ou particules ,
comme dans nôtre langue dont les noms n'ont point
ces chutes différentes , ou parles différentes termi-
naifons des noms des chofes m^mes , comme dans là
langue Grecque , dans la Latine.
Ss inventeroient des Adverbes, c'eft-à-dire ces pe-
tits mots qui par eux-mêmes marquent des circonf-
tances qu'autrement on ne pourroit fignifier qu'en
plufieurs paroles; aufli les Adverbes donnent beau-
coup de force au difcours en l'abrégeant. Les La-
tins, les Grecs pour cela font prefquc des Adverbes
de tous leurs noms , par une terminaifon qui leur efl
propre; ainfidej^«j les Latins font j/f/7^, comme
dcjuftè nous hitom ju/lement^ Nôtre langue qui ne
veut pas être (i ferrée, ne fait pas tant d'ufage des
Adverbes»- £lle aime mieux mettre le nom avec la
B 7 prc-
38 La Rhbtôri^ui^ 00 VAti%
prepofition; ainû en François on dit plus élégam-
ment avecfageffi , svec frudtnce , avec orgueil, ax^ec
modération , c^Mt Jagement , prudemment , orgueilleuft"
ment > modejîement. Ced , comme je le crois , que la
tcrminaifon des Adverbes dans nôtre langue les al-
longe trop , ainfi on ne gagne rien. Outre que le fon-
de cette terminaifon ment ordinaire aux Adverbes ,
n*eft pas agréable. Aujourd'hui on la change: car
au lieu de parler jujiement , parler raifonnahlement^
on dit parler jufte y parler raifon , mettais le nom
9U lieu de TAdverbe. Les Hébreux n'ont point de .
dedinaifons comme les Grecs & les Latins , mais
auûî ils ont ce qui n'eft point dans ces langues ,
uvoir des afjixes , c'e(l-à-dire certaines terminai-
fons qui tiennent lieu des pronoms, ce qui abrège &
rend le difcours plus net ; ainfi Jhalmidi c'efl mon
difciple f & Tbalmido fon difciple.
Chapitre IX.
Des Verbes « de leurs perfonnes , de leurs tems , de
levrs modes i de leur voix aflive & pajfive,
SI nous faifons attention à ce qui fe paffe dans
nôtre efprit , nous remarquerons que l'on confi-
dcre rarement leschofes fans en faire quelque juge-
ment. Après que ces nouveaux hommes auroient
trouvé des mots pour fignifier les objets de leurs,
perceptions , ils chercheroient donc des termes
pour marauer leurs jugemens ,. c'eft-à-dire cette
aâion de refprit par laquelle on juge ,'en alTûrant
qu une chofe eft telle , ou qu'elle n'eft pas telle. La
partie du difcours qui exprime un jugement , s'ap-
felle propofitipn. Or une proportion enferme ne-
cçffairement deux termes, l'yn appelléy«;f/, qui eft
^^ui dont QU' affirme ; Je.fecooa.qui cil ce qui eil
affir-
DB PAELiR. Liv.L Cbêp.ïX» 29
2&rmé y qui fe nomme Pêttribut s comme dans
cette propofîtion » Dieu ejl jujlf^ Dieu efl le fujet;
jufte qui eft le fécond terme , eft appelle attribut,
qui eft ce qu'on affirme» ou cequ on attribue au fu-
jet delapropofition. Outre cela unepropoiGtion eft
compofee d un troifiéme terme c^ui lie le fujet avec
l'attribut , qui marque cette aébon de Teiprit par
laquelle il juge, affirmant Tattribut du fujet. Dans
toutes nos langues nous appelions Verbes > les mots
qui marquent cette aôion. Les Verbes , comme
TAuteur de la Grammaire générale & raifonnée Ta
judicieufement remarqué , lont des mots qui figni*
nent l'affirmation.
Un feul mot fuffiroit pour marquer toutes les
opérations femblables de nôtre entcnden^ent . tel
qu'eft ce Verbe Etre y qui eft le figne naturel & or-
dinaire de l'affirmation ; mais ft nous jugeons de ces
nouveaux hommes par ceux qui ont vécu dans tous
les ilecles paffez » le deftr d abréger leur difcours
les porteroit fans doute à donner à un même mot
la force de fignifier l'affirmation & l'attribut , comme
l'on a fait prefque dans toutes les langues , qui ont
une infinité de mots qui marquent l'affirmation , ôc
ce qui eft affirmé ; par exemple , celui-ci , je iitt
marque une affirmation , & en même tems l'aélion
que je iais lorfque je lis. Ces mots , comme nous
avons dit , font appeliez Verbes. Quand on leur
ôte la force de fignifier l'affirmation , ils rentrent
dans la nature des noms ; auffî on en fait le même
u&ge, comme quand on dit k boire 9 le manier ^ ces
mots font de véritables noms.
La répétition trop fréquente des mêmes noms eft
defagréable & choquante ; cependant on eft obligé
de parler fouvent des mêmes chofes. On a donc
établi de petits mots pour tenir la place de ces
noms qu'il faudroit repeter trop fouvent. Ces pe-
tits mots font pour cela, appeliez Prênms. On
compte
40 La Rhitoaiqui^ ou l'Art
compte trois Pronoms ; le pronom de la première*
perfonnc tient lieu du nom de celui qui parle , com-
me Moi 9 je. Le Pronom de la féconde perfonne
tient lieu de celle à qui Ion parle , comme Tu ,
ToL Celui de la troifiéme perfonne tient lieu de la
perfonne, ou de la chofe dont on parle, comme//,
E//e» Ces Pronoms ont deux nombres , comme les
noms ; le Pronom de la première perfonne au pluriel
tient la place des noms de ceux qui parlent , comme
Sous. Celui de la féconde perfonne au pluriel tient
la place des noms de ceux a qui on parle , comme
Vous 5 & le Pronom de .la troifiéme perfonne au
pluriel tient la place des noms des perfonnes & des
chofes dont on parle , I/s , E//es.
Pour éviter encore la j-epetition ennuyeufe de ces
Pronoms qui reviennent fouvent , dans les anciennes
hngues on ajoute aux Verbes quelque terminaifon
qui tient lieu de ces Pronoms. C'elt pourquoi un
feul Verbe peut faire une propofition entière. Ce
Verbe Verbero comprend le fens de cette propor-
tion : Ego fum i*erberans. Outre qu'il marque l'af-
firmation & la chofe affirmée , il fignifie encore la
perfonne qui frappe , qui eft celle qui parle d'elle-
même ; parce que ce Verbe a une terminaifon qui
tient lieu du Pronom de la première perfonne.
Toutes les langues- ont été trè«-fimples dan» leur
commencement. C'eft le defir ^'abréger qui, a fait
que de deux ou plufieurs mots oh n'en afaitqu'uir.
11 y a de l'apparence qu'en Hébreu on a dit d'abord
fiakati afa , comme nous difons tu as vifitéy d'où
cnfuite on a hStpakadta^ comme paké^dfi pourra-
kad aniy j'ai viiité.
Nôtre langue & les langues des nations voifi-
ncs font obligées d'exprimer à part les pronoms.
Les Hébreux ont cet avantage pardeflus la langue
• Grecque & la Latine , que non feulement leurs Ver-
bes marquent par leur terminaifon le pronom qui
en
i>B PAULKn. Liv. L Châf. J X. 41
en eft le nominatif, mais encore celui qui en cft le
cas. Ainfi fekéido égnifîe ilk vifitavit eum. Com-
me il n'y a point de noms qui reviennent û. fou-
vent que les pronoms , les Hd>roux donnent pa*
rdllement à leurs noms une terminaifon qui ea
tient lieu. Ainfi Tbahniâ fignifiant difcipk % Ttsl-^
midi fignifie mon iTtfciple.
Ce que Ton afTure du fujct d'une propofition cft
ou pafle , ou préfent, ou futur. Les différentes in-
flexions des Verbes ont la force de marquer la dr-
conftance du tems de la chofe qui eit affirmée.
Les circonfiances du tems font en ^ahd nombre.
On peut confidcrer le tems paffé par rapport aa
préfent, comme lorfque nous difons: /# lifoisiorf"
fs'î/ entra dans ma chambre» L'aéHon de ma leâu-
re eft paiTée au regard du tems auquel je parie;
mais je la marque préfente au regard de la chofe
dont je parle , qui eft l'entrée d'un td. On peut
confidcrer le tems paffé par rapport à un autre
tems paffé. favoîs foupé krrfqu" il eft entré ^ ces deux
avions font paffées l'une au regard de l'autre.
Nous pouvons confîderer le tems paffé en deux
manières , ou comme défini , ou comme indéfini :
marquer piécifément, quand une aétion s'eft fai-
te, ou dire fimplement qu elle s'eft feite. S'il y a
quelque tems , ou fi c'eft aujourdhui , ce que nous
difHnguons. Pierre eft venu à moi , il m* a far lé ,
n'fft pas la même chofe que Vierrt vint à moi , //
me parla. Ces dernières expreflions marquent qu'on
parle d'un tems paffé indéfini. Les premières dé-
fiiiiffent ce tems , (<. donnent à entendre qu'on par-
le d'un tems paffé depuis quelques heures , ou de-
puis un jour. Nous pouvons confiderer le futur en
la même manière , eavifageant un terme précis ôc
défini dans le futur ,. & quelquefois n'y mettant au-
cunes bornes.
Nous ne pouvons fa voir fi dans cette nouvelle lan-
gue
42, La RHÉTàRiQui, ott l*Art
guc dont nous parlons , toutes ces différentes cir-
conftances des tems y feroient marquées par autant
d'inflexions particulières ; car nous ne voyons pas
que les peuple» ayent diftingué avec la même exaai-
tadè toutes ces circonftanccs du tems. Les Verbes
dici les. Hébreux n'ont que deux tems , le prétérit
ou le pafTé ,* & le futur ; ils n ont que deux inflexions
îflfercntes pour exprimer la diverlité du tems. Les
Grecs font plus exaas , leurs Verbes ont tous les tems
dont nous avons parlé. Je ne doute point que les ter-
mes de ce nouveau langage ne portaflent au moins
les fignes de quelqu'une de ces circonftanccs , puifque
dans toute propofîtion il faut déterminer le tems de
Tâttribut, &que le defir d'abréger le difcours eft na-
turel.à tous les hommes. Quand je dis , j'atme^aî,
rinflexion du tems futur que je donne à ce Verbe
Mimer , me délivre de la peine de dire cette longue
phrafe : il arrivera un tems que je ferai aimant.
Quand je dis : j*ai aimé , cette inflexion du prétérit
m'épargne ce grand nombre de paroles , il a été un
tittts fajfé quej'étois aimant.
Lés Verbes ont des rnoJes , c*eft-à-dire qu'ils
fignificnt outre les circonftances du tems , les ma-
nières de l'affirmation. Le premier mode eft /•/;»-
dicatify qui démontre & indique fimplement ce que
l'on affure. Le fécond mode eft P Impératifs dont
//, qui
fë trouve que chez les Grecs : celui-U exprime le
delir ardent qu'on a qu'une chofe arrive. Le qua-
trième mode eft le Subjonélif, ainfi nommé , par-
ce qu'il y a toujours quelque condition jointe a ce
que l'on affure ; je Paimerois i^il m*aim»it : fi cette
condition n'étoit exprimée par le Subjondif , le
fens feroit fufpendu. Le cinquième mode eft /*/«-
finiiif .Un Verbe dans ce mode a une lignification
fort
DE PAELER. LrU.J. Cbéif.lX, 4)
fort étendue dcfoit indéterminée , comme hoîu^
mangtr^ être aimé , êtrefrMffi, Nous verrons dans
la fuite que les Infinitif ont la force de lier deux
propofîtions , 6c que c*e(l leur principal ufage.
Leûxiéine mode eft le Participe. Un verbe dans
le participe ne marque que la chofe affirmée , il ne
fignifie point Taffinnation. C'eft pourquoi les par*
ticipes font ainû appdlez , parce qu'ils tiennent du
Terbe 6c du nom , ugnifiant la chofe que k verbe af-
firme, 8c étant en même tems dépouiHeide l'affir-
mation. Le participe frappé > marque la chofe oue
fignifie le verbe frapper : mais qui ^tfrafùé , n'affir-
me rien » s'il n'ajoute ou ne (ous-entend //^^ ou
il a été fi'Mppé,
Tous les verbes, excepté le verbe Etre^ Sum^ es%
eft y renferment deux idées, ceUe de l'affirmation »
& de quelque aâion affirmée. Oruneaâion a or-
dinairement deux termes , le premier celui dont die
part , le fécond celui qui la reçoit. Dans une aélion
on coniîdere celui qui en eft auteur , qui agit , 6c ce-
lui fur lequel on agit , qu'on appelle communément
le patienu 11 eft néceflaire de déterminer quel eft le
terme de Taélion dont on paiie: fi c'eft le fujet de
la propofition dont on affirme cette adiion qui eft
agifiant ou patient. C'eft pourquoi dans les langues
anciennes les verbes ont deux terminaifons 8c in-
flexions différentes , qui niarquent fi le verbe fe
prend dans une fîgnificationaéliveoupaffive. Petrus
amaty ér Petrus amatur : Pierre aime , 6c Pierre eft
aimé. Dans la première propofition le verbe qui eft
àl'aéHf , marque que c'eft Pierre qui a de l'amour;
dans la féconde ce même veibe avec l'inflexion du
paffif , marque que c'eft Pierre qui eft le terme de
1 aflfeâion dont on parle.
Il fe pourroit donc faire que les verbes de la
nouvelle langue auroientauffideux inflexions, une
aftive , 6c l'autre paffive. Peut-être qu'on y négli-
44 La Rhetoriqjui, ou l*Art
geroit de comprendre dans un feul verbe plufîeurs
autres circonftanccs d'une adlion : Si elle a été faite
avec diligence , fi Fauteur de cette adion agit fur
lui-même , s*il Ta fait faire par quelqu autre ; ce que
kS'Hebreuxfignifient par leurs verbes , félon les in-
flexions qu'ils leur donnent. Ils ont huit conjugai-
Ibus où leurs verbes ont. différentes lignifications;
car ce n*eft pas comme chez les Grées & les Latins,
dont les différentes conjugaifons n'ont aucune force
particulière , & qui ne conjuguent les verbes diffé-
remment, queprcequonnepouiToitpas leur don-
nera tous les mêmes inflexions fans en rendre lapro-
nonciation difficile. Le même verbe Hébreu , felon
la coiijugaifon oùileft, a fept ou huit fignifications
différentes. Par exemple, ce verbe Hébreu malh\
irâdertt félon qu'on le conjugue, lignifie i. Traàl"
dit, 2. Tréniitus eji* 3» Traditfit diiigenter, 4. Tra-
éltfus eft diiigenter, La cinquième conjugaifon répond
à ce qu'on appelle le médium chez les Grecs , où le
verbe a une lignification adlive & paffive. 6. Fecit
tradere, 7. Faélus eft veljujfus eft tradere, 8. Tra»
didit fûpftim. D y a cent manières de s'exprimer qui
ne font pas elTentielles , & qui font particuheres à
certaines langues. Je ne puis pasfovoir fi nôtre nou*
yelle troupe les néghgeroit , ôc fe contenteroit de
celles qui font eifentielles , & fans lefquelks on ne
peut fe faire entendre.
. Nous voyons tant de différence parmi les Nations
en cela , que nous ne pouvons favoir à quoi ils fe dé-
termineroient , fi ce n'ell qu'étant encore fans doctri-
ne, il y a de l'apparence qu'ils prendroient les maniè-
res de s'exprimer les plus fimples & les plus faciles.
Les Turcs ont cela de particulier , que par l'infertion
de'quelques lettres ils multiplient leurs conjugaifons
des verbes , & leur donnent plus de force que ne font
pas même les Hébreux. Le même verbe , felon la
conjugaifon où il cil , marque l'affirmation ou la
nega-
DE PAKIER. Liv.ï. Cksp.IX. 4Ç
légation , la poflîbilité ou rimpoffibilité de Tadioii
qu'il fignifie. Les Perfans ont avec l'impcratif un au-
tre mode qui défend , comme rimperatif commande.
Les Arabes ont auili une conjugaifon qui marque le
rapport de deux perfonnes qui agiffent enfemble.
Ces différentes conjugaifons, 8c tous ces modes
abrègent le difcours. Les Grecs ôc les Latins n*ont
point tant de conjugaifons que les Orientaux; mais
auffi par le moyen des prepofitions quMls lient avec
les verbes , ils expriment une infinité de rapports de
l'aâion oudela paffion que peut fignifier un veri>e,
comme de fer tto ils font ces verbes atffèrikê» cireum^
fcriko, defcrikoy exfiribo^ infertbo^ interfiribo ^ per»
firtbo, tranfcribo, qui marquent nettcmen^des rap-
ports particuliers de Tadion que fignyîeyèr/>o. avec
les verbes fimples. Nous avons pris de la langue La-
tine les verbes compofez. Nous difons écrire^ récrire^
circonjcrire^déçriret infcrire.prefcrtrey tr Mit fer ire.
Nôtre partielle re eft d'un grand ufage pour la
compofition des verbes. Quelquefois elle ne change
lien en leiu" fîgnification : repaître fignifie la même
chofe que paître. Elle donne quelquefois plus de for-
ce; reluire dit plus que luire. Souvent elle marque '
une adion qui fe fiiit une féconde fois; reconquérir ^
c'eft conquérir aie nouveau. Elle donne auffi d'au-
trefois un fens tout contraire à celui du verbe fim-
ple ; reprouxm- a un fens tout autre que proux^er.
Les Grecs qui ont un plus grand nombre de fembla-
bles particules ou prepofitions, font encore plus fé-
conds que les Latins. On le voit dans les^ DiAion-
naires Grecs qui font par racines. D'un même verbe
on en fait une infinité d'autres. Les Hébreux n'ont
point de verbes compofer. : ils ne joignent point à
leurs verbes, ainfi que le font les Grecs & les La-
tins des prepofitions dont le nombre eft petit en
cette langue. Auffi il s'y trouve fouvent des ambi-
suitez, parce ^uc Içs prepofitions déterminent pr6-
cifé-
j|f hk RHB.TORIQUEy OU L*ArT
dfémcnt les rapports de ce qu'on juge , de ce qu'oii
affime, & les manières qu'on juge, qu'on aflure,
ou qu'on nie.
Oiaque langue arfes avantages. Les Latins avec
leurs Gérondifs marquent la néceûité d'une adtion.
jtmaïuùê virtus eft la même chofe que neceffarium
W? > ou 9frttt amare lùrtuiem. Leur fupin marque
lintention de faire une aétion. Eo lufum^ je vais
dans l'intention de jotier. Ces différentes manières
de s'exprimer qui font toutes belles & ingenieufès,
font des preuves fenfibles de la fécondité de Tefprit
humain, de fa fpiritualité & de fa liberté. Les oi-
feaux d'une même efpece n'ont pas un chant diffé-
rent , •& prefque autant qu'il y a de différentes nar
tions , il y a de différentes langues, non feulement
dans les termes , mais dans les manières de s'expri-
mer. Il n'y en a aucune qui n'ait quelque diofe de
particulier.
Chapxtri X.
Ce grand nombre de decRnaîfons des nomsf & de cen^
jugaifons des verbes neft point Mbfolumentnécejjaîrei
Propofition d'une nouvelle Langue , dont in Grnm-
maire fe pourroît apprendre en moins d'une heure,
LE s hommes veulent s'exprimer d'une manière
prompte & facile : ce qui leur a fait introduire
dans le langage cette grande diverfité de declinai-
fons des noms, & cette multitude de différentes con-
jugaifons. Ils ont voulu qu'un même mot mar-
quât plufieurs chofes, afin qu'ils puffent s'exprimer
plus promptement : pour cela ils ont donné plufieurs
inflexions à un même verbe , comme nous venons
de le voir. Ils ont eu auffi égard à la facilité & à
la douceur de la prononciation r<:^ qui a caufé dans
les
la
D£ PAELlR. Liv,L CJfap. X.' 4^
les langues une infinité de chofes dont on fe pour-
roit paifer , s'il n'étoit queûion que de dire ce
qu'on penfe. Les noms & les verbes ne peuvent pas
être tous compofez des mêmes lettres. Or te mots
ui ont des lettres différentes , ne peuvent (bufirir
ans violence les mêmes chutes & [les mêmes in*-
fiexions. C'eil pourquoi dans la langue Latine &
dans la Grecque où les noms ont de difièrentes
diutes ou cas, on voit pluiîeurs manières dededi-
ner les noms. Dans ces mêmes langues , & prefque
dans toutes les autres il y a une rnnde multiplicité
de conjugaifons des veroes, que la feule douceur de
la prononciation rend néceffaires: car elles ne mar-
quent aucune circonftance particulière de Taâion
Que le verbe affirme. On peut compter trentc-fix
différentes conjugaifons dans la Grammaire Hébraï-
que. Il y a 13. conjugaijCbns des verbes réguliers
dezles Grecs, dont cÉicune a trois voix, Taétive,
la paffîve , ôc celle qu*on appelle le médium. Les
Terbes qu'on nomme anomaux ou irregulîers ont
tant d'inflexions particulières, qu'à peine les Gram-
mairiens les peuvent-ils nombrcr ; il en eft de même
de la langue Latine , 8c de plufieurs autres langues.
C'eH ce qui grolllt les Grammaires de ces langues,
& en rend l'étude difficile.
Nous ne pouvons pas favoir , comme j*ai déjà
dit , fi ces nouveaux hommes ne fe feroient point
une manière de parler moins délicate , mais plus
fimple. Les Tartares Monguls ou Mogols n'ont
qu'une conjugaifon ; tous leurs verbes n'ont que
deux tems , favoir le paflé & l'avenir , qu'ils diftin-
gucnt par deux particules. Ba eft la marque du
paffé , & Mou celle du futur. La marque de l'in-
finitif eft Kou 5 c'eft auffi celle du gérondif. La
marque de l'impératif eft B. Celle du participe ad-
jedif eft Gi. Les premières , fécondes & troifiémes
perfonncs plurieles ôc fingulieres des verbes ne font
ijoint
^8 La Rhétorique» ou l*Art
point marquées par des inflexions particulières; on
joint pour les distinguer les pronoms avec le verbe.
Les noms n'ont point d'autre changement dans leur
dedinaifon que celui qui marque la différence du
fingulier au plurieL Mouri un cheval , M^urit les
chevaux. Les comparatifs fe forment en ajoutant
la particule Twtta , qui iignifie plus. Le Mien^
le Tte»t s'exprime de la forte , Mourini » ou Ma»
mai meurt t mon cheval, i^anai mouri y ton chevaL
TeéMai mouri • fon cheval. Les noms des ouvriers fe
terminent en Gi. Les diminutifs fe forment en ajou-
tant Gane. Mouri , un cheval. Mourigane, un petit
cheval.
L'on peut apprendre toute cette Grammaire en
inoins d'une heure. On a propofé quelquefois de
fidrc une nouvelle langue , qui pouvant être appri-
fe en peu de tems , devint commune à tous les peu-
ples du monde, cequiferoit très-utile pour le com-
merce. Pour faire cette langue, il ne faudroit point
établir d'autre Grammaire que celle de la langue
des Tartares; aufli avant que d'avoir vu ime Rela-
tion de cette langue dan^ le Recueil des Relations
curieufes que Moniieur 'Thevenot a fait imprimer,
en parlant de cette proportion d'une nouvelle lan-
le ; voilà ce que j'en avois dit dans la première
lition de cet Ouvrage. „ On a quelquefois propo-
„ fe de faire une nouvelle langue, qui pouvant être
„ apprife en peu de tems, devint commune a toute
„ la terre. Je conjedure que le deffein de ceux qui
„ faifoient cette propofîtion, confiftoit à faire que
„ cette langue n'eût qu'un petit nombre de mots. Ils
„ auroient marqué chaque chofe par un feul terme,
„ & auroient fait que ce feul terme , avec quelque
99 petit changement , eût» pu fignifier toutes les au-
„ très choies qui fe rapportent à celles-là. Ils au-
„ roient fait tous les noms indéclinables , marquant
„ leurs differens cas par des particules , ôc les trois
l>2 p AUX EU. Liv.L Cbaf.X. 4^
'^ genres par trois tcrminaifons. Ils n'aurofent lait
I, que deux conjugaifons » Time pour l'aétif^ 8e
„ i autre pour le paffif : Encore chaque tems n'au-
n roit point eu ces diâbrentes terminaifons , qui
„ tiennent lieu de pronoms: de forte que toute la
„ Grammaire de cette langue fepourroit apprendre
n en très-peu de tems.
La langue •qu'on appdle le Franc e(l à peu près
fcmhlable pour la Grammaire. Elle s'apprend aif6-
ment , & s'entend dans toutesics côtes delà mer Mé-
diterranée. Elle ne conûfte que dans un petit nombre
de mots Italiens, François, qui font néceflTaircs pour
sexprimer groflierement dans les affaires du com-
merce. Ces mots n'ont ni genre , ni nombre , ni cas ,
ni dedinaifons , ni conjugaifons, nifyntaxe: ainft
die ed bien-tôt apprife.
11 y a autant de fimplicité dans la Grammaire
Chinoife , félon que Vvalton le rapporte après AJ-
varcs Semcdo. Les Chinois n'ont que trois cens
vingt-fix mots , qui font tous d'une fyllabe. 11$
ont cinq tons differens, fdon kfquels un même
mot lignifie cinq chofes différentes ; ainfi la diver-
fité des cinq tons fait que leurs 316. monofylla-
bcs fervent autant que cinq fois 316. mots, c'eft-à-
dire 1630. Walton ditnéanmoins qu'on necomptc
en toute la langue que 1118. vocables \ c*eft-à-dire ,
noms qui diftinguez par leurs lettres ou par leurs
tons , ayent des fignifications différentes. Comme
ils n'ont pas Tufage des lettres , chaque nom a fon
caradere ; ainfi autant de noms , autant de caraéleres 1
dont on fiait monter le nombre juft^ues h 1 20000.
Quand les Pères Jefuites allèrent prêcher à la Chi-
ne, & en eurent appris la langue , ih trouvèrent
bien-tôt le moyen d'en écrire tous les noms avec
te lettres de notre. Alphabet. Ainfi ils fe déhvrc-
rcnt.de l'embarras de tant decataderes, cç qui fur-
prit les Chinois. Pour les cinq tons , fdon Icfquels
C un
jfo La Rhetojliqjji, ou x'Art
un même mot a cinq fignifications différentes , ik
les diftinguerent par ces cinq nottes '^ •'^ '*» Ainfi
le monoiyllabe Va , félon <]u'il eit notté de Tune de .
ces cinq notes , il a dnq différentes fignifications.
Yd éfeus 9 y& murus % y à exctlkns , yd ftupor , yff,
anfer. 11 n'y a guère que ceux dupais qui pui£-
fent prononcer diflindement ces difFerens tons.
• Les Chinois n'ont ni genre, ni cas, ni décÛna»»
fons. Les mots fignifîent félon qu'ils font idacex.
De deux mots mis enfemble, celui qui eft le pre*
inier eft regardé comme adjeâif , ainfi aurum 4h
mus i c'efl , aurea domus'^ 6c h9mo Ifonus , c'eft , bû*'
minis bonitas.
Les mots ont auffî la force du verbe , feloa
«qu'ils font placez; un nom qui fîgnifie uneadion»
tient lieu du verbe quand u efl fuivi d'un autre
nom » comme û l'on difoit ego amor tu y pour dire
ggo amo te.
Le pluriel fe dillingue par une feule particule
^u'il n'ert pas permis d'ajouter à un nom lorfque
dans le diicours il paroît d'ailleurs qu'on parle de
plufieurs. Ces peuples n'ont point de conjugaifons;
ils ajoutent des pronoms aux noms qui tiennent lieu
de verbe; ils y joignent la marque du pluriel quand
ils parlent de plufieurs perfonnes. Le préfent , le pré-
térit 6c le futur, les modes comme l'impératif, l'op*
tatif, dcc. fe marquent par des particules^ Lepamf
fe marque aulTi par une particule, ôcquelquefois par
la feule place que tient un nom; les noms fervent
$iuffi de prépoutions. Ainfi il n'eft pas difficile de
comprendre comme les Chinois peuvent avec ua fi
petit nombre de termes s'expliquer fur toutes cho-
ies; car les Grecs, dont la hmgue etl fi féconde»
n'ont pas deux mille racines.
C'cit une queflion fi l'abondance des mots efl une
chofe avantagcufe. ' A quoi fert , dit le Père Tho-
maflîn dans la préÊice de fon Gloâairc » d'avoir
mille
bs PAUL SIR. Liv.L Chmp,X. 51
mille noms pour fignifier uneépéc, & quatre-vingt
mur un Lion , comme ont les Arabes t Mais il me
mUe que l'abondance dans une langue auûi-bien
fa'en toute autre ckofe efl un bien. Car en pre-
nier lieu il elt certain que les chofcs de mcine
efpccc, de même genre peuvent avoir une différen-
ce qui leur eft propre ; Veau , Faut tau , Vacbe ,
Mnj^ font les noms d'une efpcce d'animal , mais
cependant ces quatre noms marquent quatre chofes
fort differentes. Selon qu'on conlidcre de plus
fffèsles diofes , qu*on en fait differens ulages, on
en connoît mieux les différences , qu'on ne pour ex-
primer que par differens noms. Ainfi les mêmes
Arabes qui fe ferment beaucoup de chameaux »
leur donnent plus de trente ditïcrens noms , qui
#dDguent les differens états d'un chameau. Lorf-
qu'il eft dans le ventre de fa mère, quand il ell
■ té, & qu'il tête , fi c'eft im mâle, fi c'ell un pre-
mier né , lorfquil commence à marcher, quand il
, cil fevrc , loriqu'il fe met à genoux pour recevoir la
I diarge » & félon d'autres particularité/, femblablcfi.
Cette grande abondance de termes qu'on a dans U
marine pour s'expliquer ell-elle inutile ? Et com-
j ment fe pourroit faire la manœuvre d'un vailfcau,
! fi chaque manœuvre n'avoir fon nom? C'dtunené-
ccffîté d'avoir des termes differens pour exprimer
des chofes différentes; c'eil donc la délicatcik du
génie de diaque Nation qui diftingue mieux la diffé-
rence des chofes qui font trouver tant de differens
termes. Les Arts en fe fervant d'un plus grand
nombre de differens inltrumens, ont befuindun
plus grand nombre de differens termes. Auflî les
peupks qui les cultivent ont une plus grande abon*
dance de termes.
Mais on réplique > à 6uoi bon tant de fynony-
mes ou termes qui ne diient que la même chofc?
Cme mi^titude de mots d*une mêfne lignification
C 2 c^uc
5^ La RHiToiHQjaE, ou l*Ab.t
que quelques langues fe vantent d'avoir, en marqua
plutôt, dit- on, la pauvreté que l'opulence; car eUçg
p*auroient point tarit de divers mots pour dire une
même choie , fi elles avoient le .mofproprepourltl
fignifier. Je répons en premier lieu , qu'une langue
cft véritablement pauvre quand elle ne fournit ps^
des termes propres pour s expliquer à ceux^uiécrir
vent en cettclangue. En fécond lieu je dis <jue 11
on n'avoit point de fyrionymes on ne pourroit pas
rendre un difeours poli de coulant; carilyade$
mots qui ne fe peuvent joindre enfcmble fans ax
troubler la douceur. Il faut donc avoir à clioifîr en-
tre des termes fynonymes ceux qui s'accommo*
dent mieux. En troifiéme lieu il n'y a rien de fi
ennuyeux que d'entendre trop fouvent les mêmci
termes s'ils font remarquables. La variété dans le
difeours fait qu'on ne s'apperçoit prefque pas qu'on
entend parler , on croit voir les chofes mcmc|fc
Quand cela arrive, un difeours eft parfait; commç
la perfeélion de la Peinture , c'en qu'on la prennç
j)Our les chofes mêmes qui font peintes. Or la va*-
rieté dépend de la fécondité d'une langue.
Chapztiii XI.
Comment Pon peut exprimer toutes les opération^
de notre efprit , é^ les palpons ou ajfe^'wns
de notre volonté.
NO u s avons vu comment fe marquent les dçu?
premières opérations de Tefprit , nos percep-
tions ou nos idées, ôclesjugemens que nous fidfons
de ce que nous avons apperçu. Voyons de quelle ma-
nière nous pouvons exprimer la troilîéme opération,
oui elt le raifonriement. Nous raifonnons lorfquç
a'une ou de deux propofitions daircs & évidentes ,
nous
^f PA&LEiL. Liv.L Cbap.XL ^3
Aous concluons la vérité oulafauffetéd'unetroirié-
mc propofition obfcure 6c contellée. Comme fi
^ur montrer que Milon eil innocent , nous di-
rons : U dl permis de repouffcr la force par la
force; Milon en tuant Clodius , n'a fait que repouf-
ferla force par la force; donc MilonapûtuerClo«>
dius. Le raifonnement n'ell qu'une extenfion de
la féconde opération» 6c un enchaînement de deux
oa de plusieurs proportions. Ainfi il eil évident
que nous n'avons befoin que de quelques petits
mots pour marquer cet enchaînement » comme
ibnt les particules i/onc , enfn , car , partant , fuifi
fvf I &c. Quelques Philofophes reconnoiâent une
quatrième opération de refprit » q^u'ils appellent
MetbaJe. Par cette opération on diipofe 6c on or-
ëonne pluûcurs raifonnemens. On peut de même
czptimer cette difpofition 6c cet ordre par quelques
p^tes particules.
Toutes les autres adions de notre efprit, corne-
tte font celles par lefquelles nous diitinguons ,
nous dîvifons > nous comparons > nous allions les
diofes ,.- fe rapportent à quelqu'une de ces quatre
opérations , & fe marquent avec des particules qui
reçoivent differens noms , félon leur différent of-
&e. Celles qui unifient font appellées cofijonéfivet^
comme & ; celles qui divifent négatives 6c adver*
fâtives, comme non, mais. Les autres font C0»4^'«
tionnelies, comme .Si, &e.
Il y a des langues qui ont un plus grand nom-
bre de ces particules. 11 y en ^ pour l'affirmation ,
la négation , le jurement , la iéparation , la col-
Icôion. U y a des particules de lieu, deicms, de
nombre, d'ordre , de commandement , de défen-
fc, de vœux, d'exhortation , qui marquent fi on
interroge, fi on répond. Ces particules ont une
très-grande force; elles ne fignifient point les ob-
jets de nos penféesy mais quelqu'une decesadions
C 3 dont
54 l'A ItRlT^^KIOJ'K» Olf Ir'AftT
dont nous venons, de parler. Plufieurs d*cntr'ell«
fervent auffi à marquer les mouvemens de Tameç
l'admiration , la jôyc , le mépris , la colère , la dou-
leur. Notre hâ marque hiOpuleur. Ua ^ ba^ be^
h ioye. Ces particules s'appellent iftteijcâif/ons O
en ell une qui fcrt à expnmer quelque mouve-
ment de Tame » une furprife, Tadmiration , Q qufi
malheur i O la belle, cbofe y Ces particules be , he
font auffi des interjetions qui fervent à exprimer
de& mouYemen$ de Tame ; quand on interroge avec
aôion , qu'on exhorte : He de grâce dites- moi ^
Vo répondez - moi. Nous savons |îufieurs particu»
les femblablçs qui ont difFerens uftges. Toutes ne
s'employent gueres que dans quelque mouvement;
comme quand en nous platignant nousdifons» bai^
bai y vous me kleffez. Cette particule fe prononce
tufp lori^u'on le met à rire, ti marque qu'une
chofc eft dégoûtante & vilaine , qu'on n'en veut
point. Nous nous fçrvons de cette particule Helas
dans les lamentations.
Le difcours n'eft qu'un tiffu de plufieurs propo*.
fitions; c'eil pourquoi ks hommes ont cherché les
moyens de marquer la liaifon de plufieurs propo*
fitions <jui fc^fuivcDt.. Notre Que François qui
sépond a l'^Vi des Grecs fait cet office. Comice
2uand on ^t^jejai que Dieu ejl bon, il efl éifi^
cnt que ce mot Que unit ces deux proportions,
^e /ai. , & Dieu ejtbon v il marque que l'efprit
les lie 'enfemble. four abréger , on met le ver-
ke de la fçconde pî-opofition à l'infinitif;, & c'eft
un des plus grands ufages de l'infinitif de lier
ainfi deux propolitiqns : par exemple , Piern
eroît tout /avoir , pour Pierre croit qu'il fm$
tout.
Nous favons de quelle manière on peut ligni-
fier les actions de notre ame ; voyons à préfent ce
^ue la Nature feroit fairje à cçjte troupe de nou-
veaux.
-fft yAKiSn. Liv.L Châp.XL 55
ttinix hommes > poar domier des fignes de leurr
rBons. Confiiltons-nous nous-mêmes fur ce qud-
Dous fait faire quand elle nous porte à donner
des iîgnes de Teflime ou du mépris , de l'amour
ou de la haine que nous avons des chofcs , qui font
ks objets de nos pcnfées & de nos aâèdions. Le
difcours ell imparfait lorfqu*il ne porte pas les mar-
quer des mouvemens de notre volonté; de il ne
reflemble à notre efprit , dont il doit être l'image ,
que comme des gk^vics reflemblent aux corps vi-
vans.
Il y a des noms qui ont deux idées. Celle qu'on
doit nommer Vidée prinapale , repréfente la chofe
qui efl iignifiëe; l'autre que nous pouvons nommer
Kceflbire , repréfente cette chofc revêtue de cer-
taines circonftances. Par exemple , ce mot Menteur ,
fignifie bien une perfonne que l'on reprend de n'a-
wr pas dit la vérité; mais^utre cela il fait con-
noître qu'on lui reproche de vouloir cacher la ve-
nté par une malice hontcufe , & que par conféquent
on le croit digne de haine & de mépris.
Ces fécondes idées que nous avons nommées ac«
cefToires , s'auachent elles-mêmes aux noms des
chofes' 9 & fè Ue&t avec leur idée priiKipale , • ce qui
fk fait ainfi. Lorfque la coutume s'elt introduite
de parier avec de certains termes de ce que l'on
eftime , ces termes acquièrent une idée de gran-
deur: de forte qu'auffi-tôt qu'une perfonne lesem-
I^oye, Von conçoit qu'elle eftime les chofes dont
die parle. Quand nous parlons étant animez de
Quelque paffion, l'air,. le ton de la voix, & plu-
neurs autres circonftances font affez connôitre les
mouvemens de notre cœur; Or les noms dont
nous nous fervons dans ces occafions , peuvent dans
la fuite du teros rcnouveller par eux mêmes l'idée
de ces mouvemens: comme lorfque nous avons
vûpJQÛeurs fois un ami vêtu d'une certaine ma-
C 4 niere,-
^ L'a. Rh 1 to r i<^u e , otr t*A b? t
Bière , cette forte de vêtement eft capable de noufc
donpcr ridée de cet ami. De là vient que prefquc
tous les noms propres des chofes naturelles ont des,
idées accelToires faJes, parce que les débauchez nç
parlant de ces chofçs que d'une, manière infolentc.
& deshonnête , ks fales images dé. leur efprit fc
font attachées à ces. noms; comme un fage Payen
s'en eft plaint il y a long-temsi: Nous n'avons , dit*
il y prefque plus de mots chailes & ïiionnêtes. Hôr
vefia ftêmina ùerditTimus,.
Et c'eft aum ce qui nous fait comprendre pourquoi
avant la corruption univerfdle des hommes, ou;
dans le tems qu'on vivoit plus Amplement , on avoit
plus de liberté de nommer les chofes parleur nom ^
comme le font ceux qui ont écrit les Livres de l'Er
.criture. Ce n'cft pas que ces Auteurs facrez fuflcnt
moins chaftes, mais c*eft que les hommes- font de-
venus plus mahns , 6c qu'ils ont attaché de fales idées
aux chofes naturelles >. dont on ne peut plus parler
innocemment qu'en fe fervant de détouj:, c'eft-àr
dire, d'un long difcours , qui/en même tems'qu'j
fait connoître ks chofes x en feit concevoir des.
idées honnêtes.
Ees mots contraéhnt d'eux-mêmes des idéej ac-
celToires, comme nous venons de le dire, c'cll-à-
dire les ideesdes chofes, & de la manière dont ces
chofes font conçues , notre nouvelle troupe n'aur
roit pas la peine de chercher des noms pour marr
quer ces idées acceflbires. Il fe trouveroit fan$
artifice, que dans cette nouvelle langue il y au-
loit des termes , qui outre les idées principales
des objets qu'ils lignifient , marqueroient encore
ks mouveracns de ccu3t qui fe fervent de ces teir
mes. Comme on connoît que celui qui ti;aite
un autre de menteur le méprife , & l'a en aver-
fion. Outre cela , comme nous ferons voir dans
U fuite de cet Ouvrage ,. ks. paijions fe peignent
'ite'pailiek. LHkL Chap.XJf: 57
die^mêmes. dans, le difcours; & elles ont des ca-
nâercs qui fe fonnent fans étude ôc fans Art.
Chapitre XII.
Qon/hruéiion des mots enfemhk. Il faut exprimer
tatts ies traits du tableau qu'on a firtné
dans fin efprit,-
m
ÂPke' f avoir trouvé tous les termes d'une lan-
gue, il faut penfcr à Tordre &■ à l'arrangement
de ces termes. Si les mots qui renferment un fens,
ne portent des marques de la liaifon qu'ils doivent
avoir, & fi on napperçoit où ils fe rapportent, le
difcours ne forme aucun fens raifonnable dans l'ef-
prit de cciui qui l'écoute. Entre les noms , comme
.BOUS avons remarqué ,lesunsiignifientles chofcs ,les
mtrcs les manières des chofes. Les premiers font
appdlei fiAftantife , les féconds font nommez ad-
jcàife. Ainfi comme les manières d'être appartien-
nent à rctre> les adjeétift doivent dépendre des
fubftantifs , & porter les marques de leui dépendan-
ce. Dans une propofition le terme qui en eft l'at-
tribut fe rapporte à celui qui en=elUefujet: ce rap-
port doit donc être exprimé.
Dans plufieurs langues les noms font diftin-
guez par des terminaifons différentes en deux gen-
res. Nous appelions- le premier le genre mafcu-
lin, le fécond le genre féminin. La bizarrerie de
l'uiage eft étrange dans cette diftribution, tantôt
il a déterminé le genre par lefexe, faifant de rnaf-
culin les noms d'hommes , & tout ce qui appartient
à Thommc : & de- genre féminin les noms de
femmes , & ce qui regarde ce fexe , n'ayant égard
cfu'à la feule fignification : & tantôt fans confîde-
zernila teimkxaifon^ ni la fignification» il a donné
" C 5 aux
5^ La RRSToitr^uB» #v tf*A%Y
aux noms le genre qu'il lui a plû. Les noms adjeâiâ^^
6c les autres noms qui fignifîent plutôt les manieres*-
des chofes que les cKofes, ont ordinairement deux:
terminaifons , une mafculine , l'autre^ féminine.
Cela eft ordinaire dans le Grec & dans le Latin , &
dans les langues qui en dépendent ; ce qui contribue-
à rendre ces langues claires de quelque manière:
qu-bn range le difcours ,. comme nous le dirons.
Les^nomOinglois n'ont ni cas, ni genre, comme
^ tous étoient adverbes , ce qui doit caufer de Tobfcuv
Tité dans leur langue. La langue Hébraïque a . cet
avantage ,. que lés verbes, auffi-bien que les noms,,
font capables de differens genres. On voit fi c'cft
d?un homme ou d'une femme dont il s'agit.
La difFerenC'Ç de genre fert à marquer la liaî-
fon des membres du difcours, & la. dépendance :
qu'ils ont les uns des autres. On donne toujours^
aux adjèfHft le genre de leurs fubftantift;: c'cft-à-
dire,.que fi le nom fubfiantif eil mafculin, fonad-
jeéHf a une terminaifon mafculine; & c'eft cette
terminaifon qui fait connoître à qui il appartient. .
Lorfqu'un ctre eft multiplié, fes manières font auffi
multipliées ; il feut donc encore que les adjeétiô^
•fcivçnt le nombre fîngulier ou pluriel de leur fubftan-
lîf.. Les verbes ont deux nombres , comme les
noms : au fingulier ils marquent que le fujct de la^
propofition eft un en nombre i au pluriel leur figni-
fication enferme la pluralité de ce lujet; parconfé^
3uei1t les verbes doivent être mis dans le nombre
u nom exprimé ou fous-entendu qui eft le fujct
de la propofition.
Les hommes font quelquefois fi occupez des
chofes ^ qu'ils ne font pas reflexion fur leurs noms;,
ils ne prennent pas garde quel eft le genre de ces
Boms, quel eft leur nombre; ils règlent leurs dif-
cours par les chofes : ils placent le verbe au plu-
ikl % q^oi^ue le nom auquel il fe rapporte fait
fiflK
ifB PA^XSR. Lh.F. Chap.XlL 59
ii^gulier, parce qu'ils conçoivent par ce nom une
idée de pluralité. Ainfi Virgile dit : Pars mnfi
tnaêre rmtem^ pom purs merja anuit ratemi parce
me » fans avoir égard à ce nom » pars • qui eft
«féminin, &aunngulier, il envifage les hommes
dont il parler Nous difons en François , ilefl fix
hnris 9 con£derant as fix heurts comme un feul
ttms détemainé» qui eil nommé fix heures. Quel-*
qoefois on dbblie un n^ot , parce que ceux à
((ai on parle peuvent le fuppléer. On dit en Latin ,
tiî^ bspus fiûbulis^ fous -entendant ce mot«^««
n eft évident que , comme le difcours n'ell
S 'une image de nos penfées , afin que le difcours
it naturel, il doit avoir des fignes pour tous les
tnits de nos penfées , & les repréienter toutes
comme elles fe trouvent rangées dans notre efprit.
GeU feroit ainfi dans toutes les langues » fi le de-
fr qu'on a d'abréger , n'a voit porté les hommes
i retrancher du difcours tout ce qu'on y peut fup-
pléer , & choifir pour cela des expreffions abré-
gées; ce qui fe* voit manifeilemcnt dans la langue
Latine. Toutes ces expreffions où ilfemble_que
Tordre naturd n'efl cas gardé , n'ont cependant
rien de particulier , li ce n'eft que l'uiàge en a re-
tranché quelque mot qui fe fuppléoit Êidlemeat.
Cette manière de parler , pœnitêt nu peccati • eft la
même chofe que^on^tf tmet me peccati met. Comme
ccUe-ci , mea reUrf, elt la même chofe que in mea
rtrefert. Sandtius dans l'excellent ouvrage qu'il
acompofé fur cette matière en expliquant la lyn-
taxe Latine , montre que toutes les manières de
cette langue qui paroilfent extraordinaires , ne le
font en effet que parce qu'il y a quelque mot fup-
primé,& qu'ainfi il eil facile de les rappeller à l'or-
dre commun.
Les Maîtres de TArt ont nomm^ figures les
C 6 mah
6« LaRhetokiquEiOit l'Arv
fnanieres de parler extraordinaires. Il y a des fijn?-
rcs de Rhérorique , il y a des figures de Grammaire
Les premières expriment les mouvemens extraor»
dinaires dont l'ame efl agitée dans les. paillons, où
cUes forment une cadence agréable. Les figures
de Grammaire fe font dans h, conftruétion , lors-
que l'on s'éloigne des règles ordinaires : Par exem-
ple cette manière de s'exprimer y pars merji tenuêrw
ratem , dont nous venons de parler , eft une figu^
re que les Grammairiens'appellent5>//^^y^, ouG^i».
€eption 'y parce que pour lors l'on conçoit le fens au-
trement que les mots ne portent, & qu'ainli Toa
feit la conftrudion félon le fcns, & non félon; les
paroles. Trifle /tf/>//x //^W/j , eft ce qu'on appelle
eU'tpfi, c'eft-à-dire cwniflion ou oubli de quelque
chofe , comme ici de ce nom , negoùum. On ap^
pcUe bypei'baie le renverfement de la. manière orr-
ëinaire d'arranger les mots. Ainfi tran/lrsper &
remos pour per tranflra & rtmos^ eft une nyper-
bate. On peut quelquefois fe fervir d'expreflions
différentes qui donnent une même, idée, de fonc
^u'il fcmble indiffèrent de fe fervir de l'une plé?-
tôt que de l'autre., comme dare.clajftbus aujit os, on.
dari claies aujlris , expofer les navires aux vents ,
ou leur taire recevoir le vent, font deux exprefîions
. peu différentes. Lorfque de ces deux façons de par-
xfcr on choifit celle qui. eft moins ordinaire, cela-
is lappelie h.ntillage ou changemenU
; Le difcours doit avoir tous les traits de la forme
idespenfées de celui qui parle, comme on vient de
• Iç dire; 11 faut donc quand nous parlons, que cha-
cune de nos idées que nous voulons faire connoî-
tre , ait dans le difcours un fignc qui la reprefente.
. Mais auffi il faut obferver qu'il y a des mots qui
.. onf la force de fignificr beaucoup de chofes , & qui ,
outre leurs idées principales , peuvent en réveiller
pluficurs^ autres ^ du Rom defquelies ils font par con-
fé-
BrB FAB.111L. Liv,L Cbâp,XlU' fyï
feqaent l'office. Lorfque toutes nos idées font ex-
primées avec leur liaifon , il efl impoflible que Ton
n'apperçoive ce que nous penfons, puifque nous en
donnons tous les fignesnécelTaires. C'eit pourquoi
ceux-là parlent clairement qui parlent amplement ,
qui expriment leur» penfées d une manière natu-
relle , dans le même ordre , dans la tnême éten-
due qu'elles font dans leur efprit. 11 eft vrai qu'un
difcours eft languiflknt quand on donne des termes
ÎWJticuliers à chaque chofe qu'on veut fignificr. On
ennuyé ceux oui écoutent , s'ils ont l'efprit prompt.
Outre ceh , l'ardent deiîr de faire connoitre ce
^u'on penfe » ne fouffre pas ce grand nombre de
paroles. On voudroit , s'il éioit pofilble , s'ex-
pliquer en un feul mot ; c'ert pourquoi on choi-
fit des termes qui puilTcnt exciter plufieurs idées ,
k par conféquent tenir la place de plulieurs pa-
roles : & l'on retranche ceux qui étant oubli C7- ,
ne peuvent caufer d'obfcuriié. La règle , c'eil d'a-
voir ég^d à la qualité de l'efprit de ceux à qui
en parle : fi ce font des perfonnes fimples , il ne
fiiut rien leur laiffer à deviner ,.& leur dire les cho*
fes au long.
L'Ellipfe , cette figure de Grammaire qui fup-
wime quelques paroles , ell fort commune dans les
langues Orientales : les peuples d'Orient font chauds
& prompts ; ainfî l'ardeur avec laquelle ils parlent ,
neleur permet pas de dire ce qui fe peut fous-enten-
dçe. Nôtre langue ne,fe fert point de cette figure ,
ni de toutes les autres figures de Grammaire, tlle
aime la netteté & la naïveté | c'eft pourquoi elle
exprime les chofes , autant qu'il fe peut , dans l'ordre
le plus naturel & le plus fimple.
En parlant, nous aevons avoir un foin particulier
des chofes principales , & choifir pour elles des
expreffions qui faflent de fortes impreflions , foit
par la multitude des idé« qu'elles contiennent , foit
C 7 par
6t- La KVrroEiQnffBf •v't'Kn'T
par leur étendue. Les Peintres groffiffent les traîtr^
Wncipaux de leurs Tableaux y ûs en augmentent-
lés couleurs , 6c afibibliifent celles des autres traits » -
afin que robfcurité de ces derniers relevé l'éclat de
ceux qui doivent paroître. Les petites diofes , &-'
qui ne font pas de l'eflence d'un difcours, ne veu—
lent être dites qu'en paflânt. Ceft une faute de ju*'
gemenit bien grande d'employer pour dles de Ion-'
gués phrafes: c*eil détourner les yeux du Lcâeur
de ce qu'il cft important qu'il confidere , & le**
attacher à tlne bagateHe. On pèche en deux ma-
nières bien différentes contre lejufte choix que l'on î
dojt Élire d'cxpreffions ferrées ou étendues , félon »
que la matière le demande* Les uns font diâus » les •
autres font fecsi les uns prodiguent les paroles, les-
autres les ménagent trop.; les uns font ileriles , les-
autres font trop féconds. Les premiers ne repre-
fentent oue la carcaffe des chofes , & leurs ouvrages »
font femblablesaux premiers deffeins d'un Tableau , •
dans lequel le Peintre n'a fait que marquer par un*
léger cravon la 0ace des yeux, de la bouche & des
oreilles du Portrait qu'il veut iktrc. La trop graû-^
de fécondité desderniers étouffe les chofes. Il faut
apporter un jufte tempérament. Après que lePein-
tre a tiré tous les traits néceffaires, ceux qu'il >
ajoute enfuite gâtent les premiers. Les paroles fu-
pcrfluës obfcurciffent le difcours ; eHes empêchent
qu'il ne foit coulant j elles laffent les oreilles j &
s^échappent de la mémoire.
Ommfufervâeuum flmo de pefiort manat,
La politeffe confiile en partie dans un retranche- -
ment fevere de toutes ces paroles perdues qui en font
comme les ordures. Un corps n'ell poli qu'après
3u*on a ôté avec la lime les petites parties qui ren-
oient fa furÊice raboteufe. -
Les
B< VA«I1E« LhJ. Cbaf. Xîh. 6j
Grammairiens appellent Ttutêkgie cette rc-
edtion des mêmes choies , qui ne ferc qu'à rendre
difcours plus long & plus ennuyeux. Lorfque le
(Ëfcours-eft ainfi chargé de paroles fuperfluifs » -ce dé-
£iut fe nomme aufli PeriffiUgie. Néanmoins on n'dt
pasobli^de.ménager fes paroles avec tant de fcru-
pule, que Ton ne puifle mettre quelque mot déplus
qu'il ne £iut, comme quand on dit en Latin , Vs»
vere vif mm , surikus ëiuRre. Cette manière de parler
fûeft^urée,ie nomme Pleimajme ou mbotUUmee.
Pour évites les deux extremitez de dire trop ou
de ne dire pas aâez , il faut méditer fon fujet avec
beaucoapid application , pour s'en former une ima*
{e nette , qui ait tous les traits qui lui font propret
Se eflenticls; Dans le premier feu delà compofîtion
fl ne hxx^ point ménager fes paroles , mais après
qu'on a dk tout ce qu'on pouvoit dire, il faut, s'il
m'eft permis de parler ainu , mettre toutes ces pa-
roles dans le preubir pour en exprimer le fuc , 5c en
rctrandier le marc. C'eil-à-dire qu'il faut retran-
(àer ce qui eit inutile» avec cette précaution qu'en
coupant des chairs fuperfiuës , on ne coupe point
quelque nerf. Un difcours doit être lié ; une parti-
cule retranchée fait que la liaifon ne paroît plus.
La dclicateflc ,. & en même tems la force du llile
conflue dans l'union & dans la liaifon des parties
du difcours. Il ne faut point laiffer aux ledeurs à
deviner cette liaifon ; & ce ne font , comme je l'ai
dit, que de petits mots qui la font; il faut donc bien
prendfre garde de ne pas les retrancher. Mais auffi
il hvx aroucr que lorfque le difcours eft clair par
lui-même , ces mots étant inutiles, ils ne font que
rcmbaraffcr. C'cft pourquoi on a raifon de con-
damner nôtre car en pluficurs occalions ; par exem-
ple en ccUe-d , il Jsit jour , emr k SqUU eft lti*é.
Cette confequence eft trop claire pour qu'il (bit bc-
foin de la marquer. . Comme un Leâeur eft bien
aifc
é^4 Ea RHEtORlOluE-i aiM'ÀEl'*
aifc qu'on ne l'oblige pas de deviner , auffi toufce
qu'on lui dit de trop , l'importune, U ne faut rie»
oublier pour atteindre la fin , mais c& qui n^fert de
rien ât un embarras qui retarde»
C H A P I T K B XllL
l>e l'ordre é^ék Parrangement des moU.
C'E n'eft.pa^ une chofc auffi aifiée qu'on le pcrf-
Te , de dire quel eft Tordre naturel des par<p
ties du difcours ; . c'eft-à-dire , quel eft Tarrange-
ment le plts raifomiable qu'elles puiflent avoir. L4
difcours eft une image de Telprit , qui eft vif:
tout d'un coup il envifage pluneurs cnofes, don|
il feroit par confcquent difficile de déterminer It
place , k rang que chacune tient , puifqu'il leç
embraffe toutes , & les voit d'un feul regard. C«
qui eft donc- effcirticl poup ranger les termes d*ui|
difcours , c'eft qu'ils foient liez de manière qu'ik
ramaffent 5c expriment tout d'un coup la penfée que
nous voulons fignifier. Néanmoins , fi nous voulons
trouver quelque fucceffion d'idées dans l'efprit , com*
me l'on ne peut concevoir le fens d'un difcours,
fi auparavant on ne fait quelle en eft la matière-,
on pourroit dire que Tordre demande que dantf
toute propofition le nom qui en exprime le fujel
foit placé le -premier; s'il eft accompagné d'un adr
jeélif , que cet adicétif le fuive deprès: ciuc Taiiri-
but foit nris après le Verbe qui fait la liaifon du
fujet avec Tattribut : aue les particules qui fervent
à marquer le rapport aune chofc avec une autre,
foient mferées entre ces chofes ; enfin que tous les
mots qui lient deux propofitions, fe trouvent entre
ces deux propofitions.
AuJÛi voyons -uous que les peuples qui expri-
ment
DE FA&££&. *I^V.X Chef. XI 1 h 6^
neflt fans art leurs penfées , fc font afTujettis à cet
ordre. Les anciens Francs pnrloicnt comme ils pen-
ibicnt. lis ne cherchoient point d'autre ordre que
celui des chofes mêmes y Se les exprimant fulon
quelles fe prcfentoient à leur efprit^ils rangeoient
leurs paroles comme leurs penfées fe trouvoicnt
diTpofees dans leur conception. On penle d'abord
au fujet d'une propofition : TcTprit cnluite le com-
pre , & en allure quelque chofe » ou il nie cette
diofe félonie jugement qu'il fait; ainfi le fujet oc-
cupe la première place , enfuite l'adion de rcfprit
qui juge eil avant la chofe qui eA niée ou affirmée.
Dans nôtre langue le nom qui exprime le fujet de
lapropoiltion va devant; après on place le verbe»
& le nom qui marque l'attribut fuit. Cet ordre
cft naturel > oc c'eft un des avantascs de nôtre lan-
gue de ne point fouffiir qu'où s en écarte. £lle
Tcut qu'on parle comme Ton penfc. , Pour pcnfct
nifonnablement il faut confiderer les chofes avec
cet orvlre , que premièrement on s'applique à celles
dont la lumière fert à faire découvrir les autres. Il
ftut donc qjae les. paroles foient placées félon que
leur fens doit être entendu , afin qu'on paille ap-
percevoir le fens de celles oui fui vent. Le gcnie de
nôtre langue , c'eft qu'un difcours 1^'rançois ne peut
toc beau fi chaque mot ne reveille toutes les idées
l'une après l'autre félon qu'elles fe fui vent.. Nous
ne pouvons fouifrir qu'on éloigne aucun mot, qu'il
fidllc attendre pour concevoir ce qui précède ; en-
nemis pour cela des parcnthefcs & des longues pé-
riodes. Auffi nôtre langue eft propre pour traiter
les fciences > parce qu'elle le fait avec une admira-
ble clarté ,. en. quoi elle ne cède à aucune autre, IL
W s'agit donc en enieignant que d'être clair.
Mais auffi il fiiut avouer quecen'eft pas tant une
tcrtu qu'une neceffité à nôtre langue de fui vre l'or-
dre Qaturcl; ce oui lui eft commun avec toutes le;;
laa-r
#5 Lit RHïToitrQntyE, ov^l'Akt
langues dont les noms n*ont ni genre ni cas. II f
dans un difcours qu'il paroiife où fe doivent r
porter les parties dont il eft compofé: Nous
parlons, des chofes que pour marquer ce que n<
en jugeons , à quoi nous les rapportons. Si cela
garoît , le îfcours eft confus. Qu'on dife en Lat
Deux fiât bomtnemy ou bcmtnem feett Deas, il n'
aucune ambiguïté, pn voit bien que ce n' eft
l'homme qui a £iit Dieu , parce qnbûmtnem eft
accufatif qui marque que Detts qui eft au nomi
tif agit furrhomme; mais dans nôtre langue , I
à fait l* homme y ^.Pbommta fait Dieu* n*eft pas i
même chofc. Ceft le feul ordre qui diftingue
lui qui agit d*avec celui qui eft le lujet de Tadic
quand ondit, DiHimfkit iHtwnrnt^ l'on marque <
c'eft Dieu qui agit. Sans cet arrangenfient ces i
mes mots ont un fens contraire; au lieu qu'en
tin bomtnem fecit Deusy oxx buminem Dtus fecit ^
ffcit bomtnem Deus, ou Deus feeh bêminem^ eft i
même chofe.
Les Latins & les Grecs ne font donc pas obli
de s'aflujettir comme nous à l'ordre naturel. ]
t même lieu de contefter fi c'eft un défaut d
leucr langue de s'en.difpenfer ; car outre que
renverfement , comme on l'a fait voir, quand il
réglé ne caufe point d'obfcurité , on peut dire
le difcours en. dl même plus clair & plus i
Lorfqu'ori parle on ne veut pas feulement n
quer chaque idée qu'on a dans l'efprit par
terme qui lui convienne; on a une conception
eft comme une image faite de plufieurs traits
fc lient pour l'exprimer. U fembie donc qu'il ç
propos de prefenter cette image toute entière ,
qu'on conudere d'une feule vue tous fes traits
tes uns avec les autres comme ils le font ; ce
fe fait dans le Latin : tout y eft lié , comme
chofes font liées dans l'efprit. Dans cette exprçftî
DS parztbk* LhJ: ebnf.xirr. &I
hmhum Jecit Veus , on voit que ce mot tûminem^
s'efl pas là fans fuite, qu'il fe doit ni^porter à quel-
le nonr; & toute Tcxpreffion bmimmfecit Deur.
çprefente la pcnfée de celui qui parle, non parpaïc
tiesbrifécs, mais toute entière, « faifant un corpr
comme elle le^it. Ce premier mot bcminem, ne
fignifie rien ; il faut pour découvrir ce qu'il figni-
fie, envifagcr toute Texpreffion ; ce qui oblige de
confiderer l'expreffion entière. On peut dire qu'en
Fiahçoîs chaque mot fait un fens.. Dieu a fait \ ce-
ti a un fens , mais ces mots bomitiem fecit^ n'en ont
wcun qu'après qu'on y a. joint ce qui fuit. En
^uel(}ue langue que ce foit on n'apperçoit jamais
ftr&itement le (ens d'une expreffion qu'après l'a-
Toir entendue toute entière ;. ainfi Tordre naturel
R'cft pas fi abfolument néceflaire qu'on fe Timagi-
ne, pour faire qji'un difoour» foit clair. Celui qui
dit iominefnfecit Deus , ne confidere l'homme que
&ns ce rapport qu'il a avec Dieu qui eft fon Créa-
teur. Cet acculatif marque ce rapport. Ajoutez
^ le retardement que foufîre le Ledeur , & l'at-
tente qu'on lui donne d'une fuite , le rendent bca\i-
coup 0us attentif. L'ardeur qu'il a de découvrir
b chof^ s'augmente , & çette.attention fait qu'il
te conçoit plus facilement. . Auffi les expreffiôns La--
tincs font plus fortes étant plus liées. Le renverfe-
9ent Qu'on y hxi lie une propofition , & la ramaife
en quaquc manière; car lé Leâeur eft obligé pour
(entendre d'envifager toutes les parties enlemblet
ce qui fait que cette propofition le frappe ^us vive*
ment. Encore une fois , tout eft coupe en François.
Nos paroles font détachées les unes d'avecles autres ;
c'eft pourquoi elles font binguiffantes , à moins que
te chofes dont on parle n'en foutiennent le tiffu.
Je l'ai dit , il ne faut pas s'imaginer que Tefprit for*
©c £ts penfécs avec tant de lenteur, que les chofes
«(quelles il penfa ne fc prefentcnt à lui que fucceffi-
6& La Rhetoriqjje, au l'Aur
vement» D*unc feule vue il voit plufieurs» chofêsi-
On peut donc dire qu'un arrangement eft naturct'
Ibriqu'il prefcnte toutes les parties d'une propolw
tion unies entre elles comme elles le font dant-
l'efprit. Cela s'accommode mieux à nôtre vivacité
naturelle. On perd patience lorfqu'on ne nous dit
lés chofcs que 1 Une après Tautre , d'une manière
interrompue , & par conféqucnt ennuyeufe à un-
efpritquivoudtoit qu'on lui dit les chofestoutd'ua
coup , comme il les voit. Celui qui suécrit des avan-
tages de nôtre langue n'avoit pas fait cette réflexion^
lorfqu^il condamne la manière dont les Latine
pouvoient arranger leurs paroles. Il tâche de k^
rendre ridicules. Il rapporte ces paroles de Cice«
rôn : Quem enim nojî'rûm ilU moriens aùud AimnH^
neam Epatninondas non cum quadam miferatiwu d»*
leéiat ? Cie qu'il traduit ainn : Leqjsel car de noup
ht mourant à Mantmée Epaminondas ne avec queU
fue comf/ijjton deiefiè-t-ii point ï Sans doute que ce
'rançois eft choquant , parce que ce n'eft poinfc
ainfi qu'on parle en. François , & que c'eft l'or^
dre , comme nous avons dit , qui fait connoître oùr
chaque chofe doit fe rapporter ; au lieu qu'en La-^
tin ce font lès cas , lés genres. Aufïï quelque reiw
verfement qu'on trouve dans les paroles Latines
de Ciceron>.à moins qu'on n'ignore le Latin, on-
ce peut y trouver d'obfcurité. C'eft en vain que
cet Auteur dit que les Romains penfoient en Fran-
çois avant que de parler en Latin. Car un Fran-
çois même ne tiendroit guère du génie defa nation j^
s il penfoit fucceffivement & diftindlement à tou-
tes les chofes qu'il ne peut expriaier que les unes
après les autres. On le fait fi bien qu'un tour trop
régulier rend le difcourr languiflânt. Quand on le
geut on s'en écarte , & avec grâce. II périt ce Germa*
vicus fi cher aux Romains > dans une armée où il eût-
êumms à craindre les ennemis de PBmpire i qu*u%
«n PAKLZK. Liv.LChsp.XI7L 6f
ùiftriurquHéivoîtfi bknfervi. Cela a bien plus de
jgrace que ce tour régulier : Ce Germanicus fi cbtr
à* Romains ptrit dans une armée ^ itc.
Néanmoins il ne feut pas conclure de tout cela
çi'îl foit permis aux Latins & aux Grecs de tranfpor-
tcrleurs mots Êins aucune modération. Il n'y a que
de fbibles Ecrivans qui prennent cette liberté , les
bons Font condamnée ; car fans difficulté un mot
ne doit jamais être trop éloigné du lieu où il fe
Apporte. Quand on y manque , cVd un défaut
qui fe pardonne , mais c'eft lorfqu'il eft rare ; &
âors les Grammairiens , comme nous l'avons dit»
en font une figure qu'ns appellent hyperksiei c'eft-
à-dirc tranfpontion , telle qu eft ccUc-ci dans ces
THs de Virgile :
■ Furit immilfis Vulcsnus bakenis
'Drânftra fer & remos»
Difons encore en faveur de la langue Latine,'
3ue cette liberté qu'elle a lui donne moyen de ren-
re le difcours plus coulant 5c plus harmonieux.
Elle peut déplacer un mot de fon lieu naturel fans
que ce déplacement caufe dudefordre, pour le met-
tre ailleurs où fa prononciation s'accommodera
mieux avec celle des mots qui le précéderont on
qui le fuivront. Nous fomipes extraordinairement
gênez en François. Comme ce n'efl que le feul
ordre qui fait la conftruétion , c'eft-à-dire qui fait
<onnoïbe où chaque chofc fe doit rapporter , le
génie de nôfre langue nous affujcttit à l'ordre qiU
eft ufîté, quand même il n'arriveroit aucune obfcu-
rité fi on ne le fuivoit pas : c ell une même chofe
que blanc bonnet ou bonnet blanc 9 noir chapeau ou
dfapeau noir • blanche robe ou robe blanche , cepen-
dant on ne peut pas dire l'un 8c l'autre. On eft
contraint de dire toujours un bonnet blanc , un cba-
f cai»
•^O Lii Rhétorique, ow j^'Aet ii
fefiu noir y uhe robe biancbe , comme au contraire ^ ii
fkvx dire y ne belle femme ^ il n'eH jamais permis 4ç «
^t une femme b^U.
L'arrangement même; ce qui n'efl point en La^ e
tin , dian^e le fehs des mots » car Jage femme > 2ç i
Jmme fage \ greffe femme , & femme greffe i mort britp
îc boU mort > ne font pas une même chofe. ;
Il y a pourtant dé certaines occaiions oî^ le re^r ■
Terfement dé Tordre naturel eft une beauté. Çettf i
«CXprciTion, commedifent les Pbilofopbes y eft plus âfi*
.gante que celle-ci , comme les Pbilofopbes (dijeni. : . ,
Ce qui fait voir que fi ^on ne peut fouf&ir lei
xhangemens qui ne caufcnt point d obfcurité , c'çft
fouvent un caprice. Les Italiens ne font pas fi
cxads obfervateurs de l'ordre naturel que nous^
Ceft Une beauté de leur langue que de dire » il
jmio amore , pour Pamore mto : ils ne fe mettent pas
«n peine que cela feffe quelque écjuivoque» ' Us di-
fcnt Alejfandro Vira vince i ce ^ui peut avoir deut
fens. La coutume fait beaucoup. On conçoit ai-
fément ce qui eft dans les manières ordinaires ; ce
iqui fait qu'elles deviennent naturelles. Les Anr
^ois arrangent leurs fubftantift autrement que
nous. TbeKingsCour4i comme $*ils difoient du R^
ià Cour.
Chavxtre XIV.
De la netteté 4f des vices qui lut font oppoflz»
L'Arrangement des mots mente une application
particulière , & Ton i>eut dire que c'eft par
l'art de bien placer les prties du difcours que leç
cxcellens Orateurs fc diftinguent de la foule ; car
enfin les mots font dans la bouche de tout le mon-
de t les Orateun ne les font pas ; il n'y a que î^
difpo^
lifoofîdonde ces mots qui leur appartienne» &qui
afle dire qu'ils parlent bien.
I>txeris p^regiè^ notum fi CMiûda vtrbim
ëtidéBénit junêiura navum.
Je ne parle pas encore ki de cet arrangement qm
tend le ufcours harmonieux « mais de cdui qui le
tend net. La netteté & la darté font une même cho*
fe. Undifcourseftnet lorfqu'il prefente une peintu-
re nette & daire de ce qu'on a voulu faire concevoir.
Fourpeindrcim objet nettement il en faut reprefen-
ter les propres traits , donnant pour cela les feuls
coups aepmceauneceiTaires. Ceux qui font inutiles
êent l'ouvrage. La darté dépend en premier Ueu
l'airangement des paroles. Lorfqu'on s'attache
à Vùsàre naturd on en dair » ainfi le renverfement
de cet ordre « ou la tranfpofîtion des mots trtjeiih
verkûrttm , cft un vice oppofé à la netteté. Nôtre
langue ne fouf&e point de tranfpofitions que rare-
ment. Ce n*eft pas parler François^ dit Vaugclas,
que de dire ; lin^j en m point qui ùius que Juije M*
vejujiement promettre la^ire : li faut dire* I/ny
99 a peint m P/us juflement que iuife doive promettre
la gloire. C'eft une tranf|>oution que d'éloigner trop
im mot de celui qu'il doit fuivre immédiatement »
comme dans cet exemple; Jeton kfentiment du plus
upakle d^en juger de tous Us Grecs , au lieu de dire t
jîkn le Jentiment de celui de tous Us Grecs qui éteit le
flus capahU d'en juger. Il faut placer chaque mot
iians le lieu où if répand plus de lumière. Ceft une
tfpece de tranlpofition que d'éloigner deux mots
^ui doivent s'édaiwân Afin que cela n'arrive pas »
il Êiut couper une phrafe lorfque la fin eft trop écar-
tée du commencement ; autrement quand le Leéleur
i à la fin , il ne fe fouvicnt prefqueplus du commen-
cement.
Le
Ta. La Rhetoii^qjjê, oo l'Aut
Le fécond vice contre lit netteté eft unembamSl
4c paroles fuperflues. On ne conçoit jamstis nctto^
tnent une vérité qu après avoir fait le difcérnement
de ce qu'-eile eft aavec ce qu'elle n'eft pas » c'cft-
à -dire , qu'après qu'on s'en eft formé une idée nette
^ui fe peut exprimer en peu de paroles. Le froment
tient peu de place après qu'il eft feparé de lapàiUe;
Auffi les paroles qui ne fervent de rien retranchée!
le difcours eft court & net : par exemple , ôtant ât
rexpreiTioA fuivante les paroles inutiles qui Vem^
barraftent : En cela piufieurs abuferH êçus Us jours
vierveiileufementde Uurtoifir ; d'cmbarraffée qu éteit
cette expreffion vous la rendrez nette-, la rcduifaat
à ceis termes : jp« cela piufieurs abufent de leur lo/fir*
Il faut éviter 3e prendre de longs détours , il hMl
mener droit à la vérité.
On doit être exadl à obferver les règles de It
fyntaxe , ou de la conftrudion. Ce n'eft pas par-
ler nettement que de dire : Une fe peut taire ni
parler y car on ne dit pas/^ parler : ainfl il feut
dire » Il ne feutfe taire ni pai^er. Il y a des ter-
mes dont la fignification vague & étendue ne peut
être déterminée que par leur rapport à quelqu'au-
tre téVme ; fe ferrir cle ces termes, & ne pas faire
connoîtr^ où ils fe doivent rapporter , c'eft vou-
loir ufer d'équivoques. Par exemple qui diroiti
// a toujours aimé cette perfonne dans fon advtrfi"
//, il fcroit une équivoque ; car le Lcd:cur n'ap-
perçoit pas où le pronom fin doit fe rapporter , fi
c'eft à cette perfonne , ou à celui qui a aimé: -
cette faute eft très-conliderable. Or une dci
principales applications de ceux qui écrivent,
doit être d'éviter de femblables équivoques , com-
me nous en avertit le plus judicieux de tous les
Rhéteurs , non feulement celles qui jettent le
Leéleur dans l'incertitude , quel peut être le véri-
table fens d'une expreilion ; mais celles même
que
BB PABllI,. LivJ. Ckéff.Xiy, 7)
h fuite du difcours édaircit, & oùperfonne
«ut être trompé. . U en doime des exemples
de la langue Latine. Vit^ndà in prim'ts ambi-
s no» bétc fêlùm j[u£ inarium mteùeétumjmcii ;
Cbr^mettm sudivi percujjiffe Bemeam » Jed ilis
a f «4 itimn fi iurkare non fott/i fenfum , im
tsmen verkinrum v'itium inciaiti uî fi quh di*
vifum à ft hmntntm lihrum fcribtntem \ nam esiam
rmm sk hmine firihi fMtesf , malè tamen CÊim^
rs$ j fittratque smbiguum > quémtum im iffi
3mme dans le François nous ne marquons
t les rapports des noms par des genres & par
cas , nous ferions à tous momens des équivo-
;> fi nous n'employions les articles qui fervent
^tenniner le fens au difcours. Ce feroit une
.voque de dire Pamour de la Vtrtu & Pbilofi*
9 car on ne marque point le rapport de ce
Pbi/û/bpbie , s*il le faut joindre avec /a Ver*
ou avec âmûur. Cette ambiguïté n'ell point
-Atin : quand on dit amor Vtrtutis&Pbi/o/opbiétt
voit que Pbikfopbis étant au génitif comme
utis , il fiiiut joindre ces deux chofes enfemble.
r ôter cette équivoque dans cette expreffion
içoife , il faut mettre l'article » Pamour de U
u et de la Pbilofopbie. Dans Tufage des arti-
il Êiut diftinguer l'article indéfini d'avec ce-
qui efl défirii , & nç pas mettre l'un pour
tre. C'eft mal parler que de dire je n^ai point
éÊTgent , lorfqu'on veut dire en général qu'on
fans argent. En cette occafion il faut écrire je
point dargent. Au contraire quand on ne par-
as en général , mais qu'on indique une chofe
aminée , c'eft une faute de fe feryir de cet ap-
! indéfini pour celui qui efl défini: Dire» par
nple, donniz-moi d argent ^ pour donnex^-moi de
'tnn
D C'cft
•74 La Rhitork^ui, <>u l'Art
C'eft la nécefîité qu'il y a d'éviter Icsëqmvoqtfts
qui npus feit rejettcr les partidpcs autant qu'on k
•peut , je dis autant qu'on le peut, car on eft fott-
vcnt obligé de s'en lervir , parce qu'ils abreg«t
le difcours. Le fens des participes eft indétermi»
né dans notre langue , ils n'ont ni cas, ni geni;e:
ainfi comme leur rapport ne paroît pas , il n'y «
que la fuite qui le faiTe appercevoir ; c'eft poiBV
quoi ils caufent des ambiguitez , comme dans cet
exemple : yîr Pai apperçû Jortant tk l'EgHJè s ôll
ne fait fi c'eft moi qui fortois , ou celui dont jfc
parle. Cette équivoque ne fe foit point en Latin»
car félon ce que je voudrai lignifier, je dirai , vi£
eum egredientem Ecclefiâ , ou vidi eum Ecclefiâ epn»
diens. Pour éviter donc l'équivoque on eft obligé
de dire la chofe d'une autre manière. Je l'ai apper-
çû lorfque je fortois de tEglife ^ ou lorjqu'il fortirit
de PEgftfe , félon le fens qu'on veut marquer. Vau-
gelas remarque fort bien que ce n'eft pas aflcz de
ït foire entendre , mais qu'il faut faire en forte
qu'on ne puiffe point n'être pas entendu. Il n'y a
rien de plus oppofé à la netteté , que le font cer-
taines expreffions que ce même Auteur appelle lou-
ches , parce que 1 on croit qu'elles regardent d'un
côté, & elles regardent de l'autre , comme eft ce
Vers de l'Oracle ,
Ato H ^ Mactda i Rbmanos vîncere pojfe*
Pyrrhus fils d'iEacidas , à qui s'adreflbit cet Gra-
de, l'entendoit de cette manière : O fkdJEacidas^
je dis que tu pourras vaincre le\ Bomains , & le fens
étoit que les Romains remportcroient fur lui la
viéloire. Les Grecs appellent ce vice Amphibologie •
Les parentîiefes trop longues & trop fréquentes (ont
suffi oppofées à la netteté: Les exemples n'en font
. pas rares dans les Auteurs.
Lavis
ox FAiLiBR. Lh.L Cbaf.XV. 7^
Vvns que j'ai donné de placer les particulet
èns les lieux où elles font néceiTaires , eiî très*
œnfiderable. Comme nos membres ne i'eroient pas
n corps s*ils n'étoient liez les uns avec les au*
tici d'une manière imperceptible : au(E des paro-
b 8c des phrafes ne font pas un difcours , fi eÛes
K font liées fi étroitement , que le Ledteur foit
conduit du commencement jufques à la fin , pref-
fie Huis qu'il s'en apperçoive. Ce font ces pe-
ines particules qui font cette liaifon , qui font un
corps de toutes les parties du difcours , & en
VDiÎTent les membres. £lles font h beauté & la
dâicateâe du langage : elles rendent le difcours
couhnt & fuivi: fans elles il eil femblable à un
corps diiloqué , coupé & mis en pièces » à du fa-
Ue fins chaux » Artna fine cake , comme l'Empe-
xeor Qaude le difoit du fiile de Seneque. Ce dé-
duit rend & languifiànt & defagréable tout ce que
Ton dit. Le ménagement des paiticides eil un des .
grands fecrets de l'éloquence, particulièrement dans
u langue Grecque & dans la Latine.
Chapitre XV,
Dt la véritable Origine des Langues.
SI ce que Diodore de Sicile a écrit de Torigine
des langues étoit véritable , ce que nous avons
dit de ces nouveaux hommes qui fe font formez
une langue , ne feroit pas une fable , mais une vé-
ritable Hiftoire. Cet Auteur propofe le fentiment
de quelques Philofophes toudiant le commence-
ment du monde. Après que les élemens eurent pris
leur place dans TUmvers , & que les eaux fe furent
écoulées dans la mer, la terre, difent-ils,quictoit
encore humide, fut échauffée par la chaleur du So-
D 2 kA,
76 La Rmitokiqui, ou l'Art
kfl 9 & devenant féconde , produiiit les hommi
^ les autres animaux , comme elle produit cn<
aujourd'hui des rats , des grenouilles , & la
part des infeâes, qui naiflent» comme on le]^
de pourriture. Tout eft faux dans ce que dit
dore. Quel mouvement pourroit remuer lc$ ^
ties du Hmon, de forte qu'en fe froiflant, câlll
coupant, elles priffent des figures juftes poura
çofer la machine d'un animal? Je ne parle*,
feulement de l'homme , je dis qu'il n'y a p
d'infeâe qui ne foit compofé d'un nombre de icf|
forts qui ne fe pourroient compter, (juandik iN
Toient afiez gros pour être fenfibles. Si on ne pcjM
donc nous faire comprendre que le hazard pîw
former une montre d'une centaine de parties diilii^
rentes , comment nous expUqueroit-on la comp6-
iition d'un animal qui a des millions dç reflbitrt
Mais achevons d'écouter cette fable que DiodoMÎ
raconte. 11 dit donc que les hommes nez de>li
terre, comme les herbes dans un jardin, lesgftf
nouilles dans un étang , que ces hommes , àih
je , qui étoient difperfez de côté & d'autre , appri-
rent par expérience, qu'il leur étoit avantageux de
vivre enfemble pour le défendre les uns les autm
contre les bêtes: Que d'abord ils s'étoient fervisdc
paroles confufes 8c groffîeres, lefquelles ilspolireat
enfuite , & établirent des termes néceflaires pod
s'expliquer fur toutes les matières qui fe préf^
toient: Et qu'enfin, comme les hommes n'étoftK
point nez dans un feul coin de la terre , ôc jquepH
conféquent il s' étoit fait plufieurs focietez diffère»-
tes, (iacune ayant formé fon langage il étoit arri-
vé que toutes les Nations ne parloient pas uoe
même langue.
C'étoit là l'opinion des Grecs Içs plus polis, qui
s'imaginoient être effedivement nez dans les païi
qu'ils babitoient » fe glorifiant d'être enfans de
leor
DS Y AULlK. I/i»./. Cbap.XV. 77
leur propre terre » «»r«>^l«?f $ inJigen£, Si la terre
ne peut pas produire un infede , ou qu'on ne
paiffe pas concevoir comme elle le pourroit foire ,
on ne concevra pas que l'homme foit forti de la
lOïc , ou qu'il fe foit fait. Tous les anciens mo-
Bnmens de THiftoire s'accordent avec rÉcriture,
fù nous apprend que Dieu créa le premier hom-
BC. Les Grecs n'avoient aucune véritable connoif-
fimce de l'Antiquité , comme Platon le leur re-
Rodie dans l'un de fes Dialogues , oïl il fait dire
âTimée, que les Egyptiens avoient coutume d'jp-
pdler les Grecs des enfans , parce qu'ils ne fa-
▼oicnt , non plus que de petits enfans , d'où ils
étoicnt fortis , & ce qui s'étoit paffé avant leur
isdf^ce; ainfi nous ne devons pas nous arrêter à
kuR contes.
Tous les anciens monumens de l'Antiquité, com-
me je l'ai dit, rendent témoignage à la vérité de
ce que Moïfe raconte dans la Genefe de la naif-
fimce du Monde, & des premiers hommes. Nous
a^nrcnons de ce Livre divin , de l'autorité duauel
Mibnne ne peut douter , que Dieu forma Aoam
le premier de tous les hommes ; il le créa parfait,
ivec une compagne; il lui donna donc un langage
qu'ils parlèrent l'un avec l'autre. C'eft cette langue
çd doit être regardée comme la première. Les Sa-
lins aoycnt avoir des preuves que c'eft la langue
Hébraïque dont Dieu s'eft fervi en parlant aux ra-
triarcfaes, Se dans laquelle Moïfe & les autres £cri-
^'aini facrez ont écrit les Saintes Ecritures. On croit
donc que ce premier langage , qui fut cnfuite ce-
i kn des Hébreux , fc conferva après le Déluge jufqu'à
= la confiifîon qui furvint dans le langage de ceux
: qui bâtirent la Tour de Babel. Ce n'eft pas le fen-
timent d'un certain Auteur*, dont le Livre a été
imprimé à Venife il y a quelques aimées. Il fou-
D 3 tient
t
7? La RHET©iiia.uE, ©u l'AiLt
tient que la langue Grecque eft la première dtt(
tes les langues : qu'Adam a parlé Grec. Cespreui
font , qu*auffi-tôt que ce premier Homme ouvrit
yeux , il admira la beauté des ouvrages de Die
6 s'éaia, O; qu'ainli il trouva Vi Grec; cnfu
Yttf lorfqu'après qu'Eve fut fortie de fon côti
dn la Tentant il prononça S S, D dit que le prem:
né d'Adam ayant pleuré en naiiTant, il fit ente
dre î 2 f î. Comme le fécond enfant quiavoit , t
l'Auteur, la voix plus grêle, en criant pronon
7 if I ?. C'eft par de femblables raifons qu'il pi
tend prouver que la langue Grecque eft auffi nat
relie que certains chants à une certaine efpece d'<
féaux. U tombe ainii dans l'opinion de ces Phil
fophes dont nous nous fommes mocquez. Rien <
plus ridicule ni de plus faux qu'un femblable feni
ment. Les Grecs mêmes , comme Hérodote , ]
font pas difficulté de croire que leur langue vie
d'une langue plus ancienne.
Reprenons la fuite conftante de l'Hiftoire d
langues. L'Hébreu , ou la langue des andc
Patriarches fut celle de toute la terre. Avant qi
les enfans de Noé euifent entrepris de bâtir
Tour de Babel, il n'y avoit qu'une leule langue. I
delTcin de ceux oui voulurent élever cette Tou)
étoit de fe défenare contre Dieu même , s'il voi
loit encore punir le Monde par un Déluge ; qu'i
cfperoient ne leur pouvoir plus nuire lor^u'ils ai
roient achevé cet ouvrage. Dieu voyant cette a
treprife téméraire , mit une telle confufîon d^
leurs langues & dans leurs paroles , qu'il leur éto
impoflible de comprendre ce qu'ils s'entredifoici
les uns aux autres. C'eft ce qui les contraignit c
laifTer imparfait cet ouvrage de leur vanité , & é
fe féparer en divers païs.
L opinion la plus commune touchant cette coi
fufion> eft que Dieu ne confondit pas tellement '.
lai
/
i>B PHHLIK. Uv,L Chéf.XV. 79
e de CCS hommes » qu'il fît autant de diffe-
langues qu'ils étoient d'hommes. L'on croit
lent qu'après cette confoûon chaque famil-
èrvît d'une langue particulière : ce qui ût
:s familles s étant féparées » les hommes fu-
liftinguez <iuffi-bien par la différence de leur
;e , que par celle des lieux oîi ils fc retirèrent.
x)UYoit £ûre que cette confulion ne confluât
1 de nouveaux mots , mais dans le duinge-
ou tranfpoiîtion » dans l'addition ou retran-
:nt de quelques lettres de celles qui compo-
les termes qui étoient en ufage avant cette
fion. Ce qui le fait croire , c'eft qu'on tire
cent de la lan£ue Hébraïque ,. qui a été celle
m, & qui s'elt toujours confervéc , l'origine
iciens noms des Villes, des Provinces , &des
es qui les ont premièrement habitées , comme
urs fa vans hommes font très -bien prouvé,
particulièrement Samuel Bochart dansfaGeo-
ie faaéc.
jr a des Auteurs qui prétendent que ce que
: dit de la confudon des langues de ceux
>atiflbient la Tour de Babel » le peut enten-
Tune mes -intelligence qui fe mit entre eux.
raifon , c'dd que les Orientaux après la dif-
m fe font fervis de diverfes Dialeétes plutôt
le diveries langues: Que fans une confuûon
:uleufe de langues, l'éloignement des peuples,
liffement des Empires & des Républiques , la
&é des loix & des coutumes , le commerce
dations déjà féparées purent caufer du change-
dans le langage : Que la Grèce , par exem-
a été habitée par les Phéniciens & les Egyç-
9 de la langue defquels le Grec s'eft formé :
la langue des Pcrfes , des Scythes , & celle
«uples Septentrionnaux , ont beaucoup de
»rt les unes avec lesautres, & tirent toutesleur
D 4. on-
8o La Rreto&iqus, ou l'Art
origine de rHcbrcu. Ccft cequelcPercThom
prouve dans Ton GloUâire.
Ainii ce n'eft point le hazard <|iii a appris
]^omnies à parier ; c'eft Dieu qm kur a d(
leur premier langage; c'eil de la langue qu'il <
na à Adam » que toutes les langues font
nues, cdHe-là ayant été» pour ainûdire, divifif
multipliée. De qudque manière que cela fe
fait » la confufion que Dieu mit dans les pai
de ceux qui vouloicnt élever la Tour de Babd -, :
pas la feule caufe de cette grande diverfîté de i
tiplidté des langues. CeUes qui font en u
aujourd'hui par toute la terre , font en bien
grand nombre que n'étoient les familles des en
ce Noé lorfqu'élles fe féparerent , & bien d
rentes de leur langage. Il fe fait dans les hngi
auffi-bien que dans toutes les autres chofes ,
diangemens infenfîbles » qui font qu'après ^quel
tems eïïes paroiffent tout autres qu'eUes n'éto:
dans leur commencement. Nous ne doutons
que le François que nous parlons maintenant
vienne de celui qui étoit en iifage il y a c
Cens ans; cependant à pdne pouvons-nous ent
dre le François qui fé pâiloit il y a deux cens i
U ne faut pas s'imaginer que ces diangemens n
rivent que dans notre langue. Quintilien dit <
la langue Romaine de fon temps étoit fi di
rente de celle des premiers Romains , que les ï
très n'entendoient prefque plus les Hymnes que
premiers Prêtres de Rome avoient corapofcz p
être chanter devant les idoles de leurs Dieux. I
ton dans le Cratyle dit la même chofe de Tanc
Grec ; que vu les granBs changemens qui
étoient faits , il ne faUoit |)as s'étonner qu'il dil
rat autant du nouveau , que celui-d du Barba
hiif %vf{gtrot âf Hv H 1} 'nuXudà ^«f« <9e?$ 'M 1
^ttçQmeA»ni fèit^tf :^pie9t, PUton appelle B
b
mm F AU LU. Liv.I. Chéip.XV. fit
Wre le langage des peuples qui n'ont aucune po-
: ittffe , qui ne cultivent point ni les Arts , ni les
Sdences.
La différence du langage , ou la férocité des pre«
■ieis hommes qui étoient corrompus , comme
fEoiture le dédare , firent qu'en peu de temps
nés la confuiion de la Tour de Babel , ils fe
fqitrerent , ne pouvant vivre les uns avec les au-
tres. CHiacun fc retira dans les lieux qui n'étoient
point encore habitez , où il pouvoit vivre avec fet
; ibimes &fesenfans, &:re^erfeul. C'efl le grand
sombre d'idées , la diverfite des afiàircs, le trafic,
1k Arts , les Sdences , qui ont fait trouver ce nom-
bre prodigieux de mots dont une langue a befoin , &
cette grande régularité dans la confhuélion des pa-
roles» afin qu'dles foient capables d'un (lile clair»
&ns équivoques. Mais qui étoient-ils ces premiers
hommes qui allèrent habiter les differens climats
de la terre ? Des chaflcùrs qui n'avoient aucune oc-
cupation , ni entretien , ni commerce qui deman-
dât de la fécondité dans les termes , de la régula-
rité dans l'arrangement. Ils n'avoient btfoin que
d'un jargon , qui fe multiplia & diverfifia prodi-
pcufement ; car comme il ne confiftoit que dans
M petit nombre de termes , il fe pouvoit changer
frôlement.
La difiference du tempérament 8c des climats fait
qu'on ne prononce pas de la même manière. Ainfi
ceux mêmes qui avoient dans le commencement le
même langage avant leur féparation , purent dans
la fuite prononcer fi différemment les mêmes mots ,
qu'ils ne parurent plus les mêmes. Ajoutons que
n'ayant eu qu'un très-petit nombre de termes,
quand ils fe féparerent , lorfqu'il en fallut trou-
ver de nouveaux pour marquer les chofes dont
ik commençoient de fe fervir , ils ne pouvoient
pas inventer les mêmes , étant éloignez les uns
D 5 des
Si» La Rhetori<3jj£, ou l'Aut
dés -autres, & ne fe connoiflant plus. Ceft ainfi
€^\xû Y eut fur la terre autant de différentes lan-
gues que de contrées. Cela devoit arriver ^uand
il n'y auroit point eu de confufion miraculeule des
langues parmi les entrepreneurs de la Tour deB^-
bel; & que tous les hommes dans le tems quiîs
fc difperlcrent fe fuflent entendus. Ils ont pu dans
la fuite changer fi fort leur premier langage , qu'il
s'en foit formé de nouvelles langues. L'inconftan-
ce des hommes en eft une des principales caufes.
L'amour qu'ils ont pour la nouveauté leur fait éta-
blir de nouveaux mots en la place de ceux qu'ils
rebutent , & introduire des manières nouveUes de
prononcer , qui changent entièrement le langage,
& qui en font un nouveau dans la fuite des an-
nées.
Chaque peuple a fes manières de prononcer ,
félon la qualité du climat. Ceux du Nort font^
portez à fe fervir de mots compofex de confones
fortes, qui fe prononcent du fpnd du gofier. Les
Saxons changent les confonds , que les Grammai-
riens appellent /^««^x, dans les moyennes, ôccellss-
ci en aipirées; ainfi au lieu de bibimus ^ ils pro-
noncent///>/w//j, pour ^<?»aw ils difent />«»«'», pour
vinum , finum. Il y a des Nations entières qui
ne peuvent prononcer de certaines lettres, com-
me les Ephraïmites ne pouvoient prononcer le
fcbin des Hébreux , & pour fchibboleth , difoieni;
Jibboletb. Les Gafcons & les Efpagnols n'aiment
point la lettre F. Ceux-ci difent barim pour fa^
rina , babulare j>o\xr Ja bu lare : les Galcons di-
fent bille pour fille, Ceft ce qui fait aue chaque
Nation déguife tellement les mots qu'elle emprun-
te d'une langue étrangère , qu'on ne les connoît
plus.
Auffi ceux qui recherchent Tétymologie ou To-
ligine des nouvelles langues , pour faire com-
prendre
-DÉ VARIER. Liv.L Chsp. XV. 83
:e comment elles viennent des anciennes ,
Mn de rapporter quelles ont étc Ica manie-
iflferenies ae prononcer en differcns tems, &
.Tient par ces différentes manières les mots
été changez de telle forte , qu'ils paroilTcnt
: difFerens de ce qu'ils étoient dans leur pre-
.Tc origine. Par exemple , il n y a pas gran-
conformité entre écrire , & le mot Latin /cri»
f, d'où il vient; entre établir^ ^ flabifirt^
)ilà la caufe de cette différence. Nos François
soient coutume en prononçant cette lettre S , de
aire fonner devant elle im Et comme on le fait
encore au-delà de la Loire. Âinil au lieu de /cri"
bere , ils prononçoient efcribere : eflabiiire , pour
fiëbilire. L'on a pris la coutume enfuite de ne
point prononcer la lettre S , après E , au com-
mencement des mocs: ainli on a dit ccr ibère ^ eta"
biftre\ & enfin en abrégeant ces mots , font ve-
nus ces mots François, écrire» établir. Les chan-
gemens qui fe font faits de cette manière dans la
prononciation , ont tellement dcguifé les mors
Latins , qu'il s'en eft feit une nouvelle lançuc. Il
en eft de toutes les langues comme de la Françoi-
se. Notre lançuc, l'Efpagnole, & l'Iraliennc vien-
nent du Latin. Le Latin vient du Grec. Le
Grec vient en partie de l'Hébreu, comme le Chal-
daïqne & le Syriaque. L'on s'étonne d'abord quand
on £iit venir d*une langue plus ancienne quelque
mot dune nouvelle langue, par exemple, un mot
Latin d'un mot Hébreu , fi leur différence efl con-
fidcrable. Cet étonnement vient de ce que l'on ne
prend pas garde que ce mot Latin , avant que d'a-
Toir la forme qu'il a , a pafie par pluiieurs païs ,
& qu'il a été prononcé en différentes manières qui
l'ont défiguré.
Les peuples ont des inclinations particulières
pour de cextaines lettres » pour de cenaines ter-
P 6 mi-
84 La RiiiToiit^uEy ou l'Aiit
mînaîfonSy foit par caprice ou par raifon , tj
vant que la prononciation de ces lettres & de
tcrminaifons eft plus facile , & qu'elle s'accomi
de mieux avec leurs difpofitions naturelles.
h fe remarque particulièrement dans la lan
Grecque ; & c*eft ce qui a introduit dans Tu;
commun de cette langue ces particularité! qi
nomme Dialefies. Les Attiques , par exemp
au lieu de r mettent |7, pS^ taS. Ils ajoutent c
fyllabe Jy, à la fin de beaucoup de mots: ils
grient fouvent i , à la fin des adverbes : ils al
gent les mots ; au contraire les Ioniens les
k>ngent. Les Dores , ou Doriens font dom:
r a , prefqae par tout. Les Eoliens mettent u
avant ^s de deux /uAt, ils font deux a-n-, ils cl:
gent le ê, en ^. Il en eft de même de la lan
Chaldaïque , au regard de la langue Hebraïc
Les Italiens , les François , & les Efpagnok
leurs lettres & leurs terminaifons particulier
comme on le peut voir dans les Grammair
& dans les Didionnaires de ces langues,
particularité! r comme il eft manifefte , cl:
gent beaucoup les langues , & mettent de gi
des différences entfelles; de forte que bien qu
ks viennent d'une même mère , s'il m'eft ]
mis de parler ainii 9 elles ne paroiifent p<
îœurs. Les langues Françoife, Elpagnole, &
Menne femblent être fordes de languesi toutes di
rentes.
Si chaque canton de terre a eu dans fon ce
menccment un langage particulier , commei
me dira-t-on, ces langues générales, étendues,
qu'on a nommé des langues mercs , fe feroic
cUes pu former ^ Cela eft arrivé lorfqu'un hc
me qui avoir plus d'efprit & de force de cor
foit par fon favoir-faire , foit par la force de
armes, a ralTemblé plufieurs peuples qu'il a o
DB »A&£lii. Liv.ï. Cbâp.XV. S5
|é de Tiyre fous des Loix. C'a été une néceffité
qa'Os conTinfTent d*un hngage. Les yaincns pri-
rent cdui des vidorieux y à qui ils voulurent Ai*
rclcur cour , & dont ils recherchèrent les fkveuri.
Alors vivant cnfemble, s'entr*aidant , bâtiflantdef
DMofons, exerçant les Arts, trafiquant; lanéccffi-"
té , le plaifir , Futilité , les omemens , les afiài-
les , les jeux » les converfations , firent qu'il leur
étoit néccflâire d'avoir plufieurs termes pour s'ex-
pliquer. Soit par hazard » foit par choix , ils fe
fervirent des termes les plus propres pour s'expri-
mer fans équivoques & avec agrément. Or quand
un terme cil uiie fois reçu & autorifé , il devient
propre: l'ufaçe en eft plus facile. Ce qui eft fiidlc
plaît : on agit félon les habitudes. Âuifi dans un
£tat il s'efl établi une forte de langage qu'on a par-
lé plus volontiers.
La terre ayant été comme partagée en diffcrens
Etats & Empires , il s* eil fiiit différentes langues.
H n'étoit plus pofliblc que des peuples éloignez ,
fous de mffercntes dominations , fous diffcrens
dimats , inventaflent les mêmes termes , fe for-
maffcnt un même langage. Chaque peuple s'eft
fcrvi des mêmes mots qu'il a trouvé * établis :
qu'il a allongé , abrégé , changé pour fignifier des
diofes à peu près femblables , félon qu'il s'eft
pM à certains fons , à certaines lettres ; ce qui
eft remarquable en toutes les langues ; le feul
fon ou la leulé terminaifon d'un mot faiémt juger
de quelle langue il peut être. C'eft toujours fé-
lon une certaine analogie ou proportion que let
hommes forment lem: langage. On fait plus vo-
lontiers ce qu'on a coutume de faire ; on le fait
Elus aifémént ; & enfuite prefque néccffairement.
>t là vient que chaque langue a fes mots d'un
certain fon t fcs termes particuliers , un ceruin
tour. . - .
D 7 L'ét^.'
86. La R.RBT0RIQJ7E» op l'Akt
L'établiflcmcnt des Empires a été fuivi , com-
me nous venons de le dire , de rétabliflement des
langues mères. Ce font auûî les changement qui
font arrivei aux Etats , qui ont caufé des change-
mens dans le langage. Car dans ces changemens
pluïieurs peuples le Tient enfemble , d'où l'on voit
naître un bngage bizarre. Ainfi nôtre François
ne vient pas femement du Latin , il efl compofë
de plufieurs mots ufîtez aux anciens Gaulois,
avec lefquels lés Romains fe mêlèrent dans les Gau-
les. La langue Angloife a plufieurs mots Fraiv-
çois ; ce qui vient de ce que les Anglois ont long7
têms demeuré dans la France , dont ils poffedoient
une partie très-confiderable. Les Efpagnols ont
plufieurs mots Arabes , fournis qu'ils ont été pen-
dant plufieurs fiecles aux Maures qui parlent Ara-
be. Les termes des Arts viennent pour l'ordinaire
des lieux où ils ont été cultivcx. Ainfi les Grecs
ayant travaillé avec plus de foin à perfeéHonner
lés Sciences , les termes des beaux Arts viennent
prefque tous du Grec. L'art de nuviger a été fort
cultivé dans le Nort ; plufieurs de nos termes de
marine viennent du Nort.
La langue Latine s'eft Corrompue , & de fa déca-
dence font venues les langues Italienne , Efpagno-
le , & Françoife ; ce qui s'eft fait de cette manie-,
re. Les. Romains perdirent l'Empire par leur
moleffe. En dégénérant de la valeur de leurs pè-
res ». ils corrompirent leur langage avec leurs
mœurs. Outre cela les Barbares s'étant rendus
maîtres de l'Italie , de l'Efpagne & des Gaules ,
il fe fit un mélange de mots barbares avec le La-
tin qu'on parloit dans tout l'Empire. Les peuples
devinrent grofllers & ignorans ; ils ne penferent
plus à parler correélement. La langue Latine ne
le peut bien parler fans une attention particulière,
i caufe de tous fes difierens genres &i difierent.es
déck-
DS PAULER. Liv.L Cbap.XV. %i
dédinaifons. Mous voyons que dans nôtre langue
qd eft fi facile , le petit peuple ne peut s'aflujetir
aux règles ; il dira plus fouvent 'fattions , jefifmes^
^e nous alitons » nous pjmts i ainû la langue La«
tme ne devint plus qu'un jargon ; on prit les
manières des Barbares qui n'avoient point de dé-
dinaifons. Lorfque les Italiens , les ETpagnols,
les François commencèrent à fe relever , & qu'ils
fîurent maîtres chez eux, ils travaillèrent à dégrof-
fir ce jargon qui s'étoit introduit après la décaden-
ce de l'Ënopire & de la Latinité. Chacun com«
mença à fe fiire des règles , & à s'y affujettir. Gs
? ai a fait les trois langues Italienne » EJpasnole &
rançoife.
Les Colonies ont fort multiplié les langues.
On voit Que les Tyriens qui trafi^uoient autrefois
par toute la terre , avoient porte leur langage de
tous cotez. On parloit à Carthage , Colonie des^
Tyriens , la langue Phénicienne , qui eft une dia*
kôe de l'Hébreu , comme on le peut démontrer
par plufîeurs argumens , mais particulièrement
par les Vers écrits en langage Punique ou Cartha-
ginois , qui fe lifent dans Plaute. Or ces Colonies
multiplient mie langue , comme nous venons de le
dire , & d'une elles en font plufîeurs. Car outre
que ceux qui vont en ces Colonies ne favent pas
aflei exaiâement la langue de leurpaïs» pour La
conferver fans la corrompre : cette langue rece-
vant dans deux diSerens païs où on la parle des
chajagemens differcns , elle fe divife & fe multi-
plie néceffairement. 11 n'eft pas difficile de trou-
ver la véritable origine des langues , pourvu auc
Ion connoiffe un peu l'antiquité ; mais mon deC-
fcin ne me permet pas de m'arrêter plus long-
tems fur cette matière. De ce que nous avons
dit » il fuit clairement que l'Ufage change les lan-
gues, qu'il les fait ce qu'elles font , &c ^u'il exer*
88 La RHiToiiQuif ou l'Ait
ce fur dits un fouverain empire » comme nous
le ferons voir plus amplement dans le Chapitre
fûivant.
Chapitui XVL
VUfage eft k maître des langues. Elles s^appren^
nent far rujfàge.
IL ne s'agit pas de £dre une nouvelle langue ,
mais d'entendre celles dont on fe fert, & de les
parler purement. Nous avons vu qu'originellement
les hommes font maîtres du langage ; qu'il dépcn-
doit d'eux de choifir comme il leur plaifoit des
fons pour lignes de leurs penfées ; mais que c eft
de la première langue que Dieu forma lui-même,
que toutes les langues font venues. Je ne peux
aonc m'empêchcr de combatre id l'impertinence
d'Epicure , quoique je l'aye déjà fait. Il préten-
doit que les hommes étoient nez de la terre com*-
me des champignons , & que les mots dont ils fe
font fervis étoient naturels , & qu'il ne dépendoit
pas de leur liberté d'en choifir. Voilà comme le
langage fe forma félon ce mauvais Philofophe :
ainu que les animaux à la préfence de qudque
Objet extraordinaire, font de certains cris, les hom-
ines ayant été frappez par les images desdiofesqui*
fe prefenterent à eux , l'air qui étoit renfermé dani
leurs poumons ayant été déterminé à jTortir d'une
certaine manière , forma une voix qui devint le
nom de ces chofes.
Il eil très-certain qu'il y a des voix naturelles , &
que dans les pallions l'air fort des poumons d'une
manière particulière , & forme les foûpirs , & plu-
lïeurs exclamations , qui font des voix véritable-
ment naturelles. Mais il y ai>ien deia différence
entre
V
9B PAULIR. LivJ. Châp.XVL 89
entre ce langage qui n'eft pas Kbre , & cdui dont
nous ufons pour exprimer nos idées. U 7 a plu-
ficurs preuves pour prouver que les mots ne font
point naturels. Premièrement ils ne font pas les
mêmes en toutes les langues , ce qui devroit être
fi la nature avoit trouvé elle-même les mots dont
nous nous fervons. Car les Turcs qui ne parlent
pas François 9 ne foûpirent pas d'une autre manière
que les François. Toutes les brutes d'une même
cTpece font le même cri; & communément nous
ne voyons rien faire à un homme qui foit diffe-
lent de ce aue nous faifons , que dans ce qui dé-
pend de fa liberté. La nature agit de la même ma-
nière en tous les hommes; les peuples ayant donc
Afibens langages , c'eft une marque aflurée que le
langage n'eft point l'ouvrage de leur nature , mais
dcTcur liberté. L'expérience le montre. Tous les
JOUR on fait des mots nouveaux ; on en tire qud-
ques-uns des autres langues; mais on en invente q\û
n'ont jamais été.
Ce n'eft donc point la Nature que nous devons
codiilterpourapprendre d'elle quels termes on doit
employer. L'Ufage eft le maître & l'arbitre fouve-
nùn des langues , perfonne ne lui peut contefter cet
empire. Or cet Ufage n'eft rien aurre chofe que
ce que les hommes uSmt de leur liberté , ont coû«
tnmc de fidre. Un particulier s'avife de propofer
rai certain terme , fi plufieurs veulent bien prendre
la coutume de fe fervir de ce terme , c'en eft fait »
cen'dlplus un fon confus qui ne fignifie rien , mais
«û véritable mot qui a une idée qui fe lie avec lui
parla coutume que Ton a depenler à la chofe qu'il
fignifie , en même tems qu'on le prononce & qu'on
l'entend prononcer.
U Raifon & la neceffité nous oblige de fuivre
llJfage; car il eft de la nature du figne d'être connu
parmi ceux qui s'en fervent. Les mots n'étant donc
^ les
5)o La Rhetoiiiqjue, ou l'Aut
les fignes de nos idées , que parce qu'ils ont été liez
pîir Tufoge à certaines chofes , on ne doit les em-
ployer que pour iignifier celles dont on eft conve-
nu que les mots Icroient les. fignes. Onpouvoit
appeller cet animal que nous appelions Cheval^
un Chien i 6c celui que nous appelions Chien , un
Cheval i mais l'idée du premier étant attachée à
ce mot 9 Cheval , & celle du fécond à cet autre
mot , Chien , on ne peut les confondre & les pren-
dre l'un pour l'autre , fans mettre une entière con-
fufion dans le commerce des hommes , femblable
à. celle qui s'éleva parmi ceux qui voulurent bâ-
tir la Tour de Babel. On méprife la bizarrerie
de ceux qui ne fuivent pas les modes qu'une lon-
gue coutume autçrife; c'eft une bizarrerie bien plus
grande, &qui tient de la folie de s'écarter des ma-
nières ordinaires de parler. Se fervir de termes
inconnus , c'eft envelopper de tencbres ce qu'on veut
cxpUquer.
Il arrive dans le langage la même chofe que dans
les habits; il y en a qui pouffent les modes jufques
à l'excès ; d'autres prennent plaifir à s'oppofer au
torrent de la coutume. 11 y a des perfonnes qui
afifeâent de ne fe fervir que des termes & des ex-
Çreffions qui font reçues depuis fort peu de tems.
ies autres déterrent le l^gage de leurs bifayeuls,
ôç parlent avec nous comme s'ils converfoient
avec ceux qui vivoient il y a deux cens ans. Les
uns & les autres pèchent contre le bonfens. Lorf-
quc rUfage ne fournit point de termes propres
pour exprimer ce que nous voulons dire , on a
droit de rappeller ceux que l'Ufage a rebuté mal
à propos. Un homme elt excufable quand pour
fe faire entendre il fait un nouveau mot ; pour
l9rs on doit blâmer la pauvreté de la langue , 8c
loiier la fécondité de l'efprit de celui qui Ta enri-^
chic. Datur venia verborum noviiatif fibjcuriiati re^
rum
SB PAR LiK. LivJ. Cbâp,XVL 91
rrnm firvienti. Pourvu toutefois que ce nouveau
mot foit habillé à la mode, & qu'il ne paroifTe point
étranger ; c'eil-à-dire qu'il ait un fon qui ne foit
pas entièrement diffèrent de celui des mots ufitez;
qu'en le.&ifant venir, par exemple, du Latin, on
k change félon l'analogie , c'eil-à-dire , en h ma-
mere qu'on change les mots Latins qui ont une
terminaifon femblable , comme de alacer on fait
ëlaigre % de macer on f^it maigre. Au lieu que les
noms en ^, qui n'ont pas ^ devant r, comme /#-
ner, Alexander^ fe changent autrement: nous di-
fons tendre t Alexandre,
Les langues s'apprennent par l'Ufage fans étude
& fans art. Le fils d'un artifan , d'un laboureur
parle le langaj^e de fon père , il fe fert des mêmes
mots, des mêmes manières de parler, & il les pro-
nonce avec le même ton , fans que fon père l'en
inftruifc. On n'a befoin de maîtres que pour les
langues étrangères. Celles-là même s'apprennent
uns prefque aucun defîein d'apprendre , lans écou-
ter aucune leçon , en les entendant parler feule-
ment La Nature eft une excellente maîtrelTe.qui
infhuit efficacement. Les organes de nos fens font
prefque tous liez les uns avec les autres. Lorfque
les oreilles font remuées par un certain mouvement,
h langue eft déterminée à un mouvement propor-
tionné à celui qui fe fait dans les oreilles. De là
vient qu'entendant chanter ou prononcer quelque
parole , nous fentons dans les organes de la voix
une difpofition à chanter le même air, à pronon-
cer la même parole. L'homme eft porté par la
Nature à imiter tout ce qu'il voit faire. Si nous
voyions ce qui fe paiTe dans le mouvement des
nerfs , ou petits filets qui viennent du cerveau ,
nous verrions fans doute cette admirable liaifon ,
& communication des organes. Nous y remarque-
rions que par le chant d'une perfonne les nerfe des
oreil-
ç% La Rhétorique, ou i'Art
oreilles font remuez de manière que leur mou^
ment fe communique aux filets qui fervent aux c
g^nes de la parole , qui reçoivent ainff une difpo
tion pour produire le même chant.
Outre cela nous avons de rempreflement po
dire ce que nous penfons , & la neceffité où no
fommes de demander du fecours, & d'entretei
commerce avec les hommes , fait que nous de
rons ardemment de favoirceque les autres penfei
Nous aimons la compagnie, nous prenons plai
à parler & à entendre parler. Tout cela fait q
dans un pais étranger on en apprend la langue fa
peine autant qu'û eft néceflaire pour entendre ce
avec qui nous converfons , & pour demander r
befoins les plus pre^ans. Les enfans font encc
plus ardens pour tout ce qu'ils fouhaitent ; c*
pourquoi ils apprennent les langues plus facileme
Si on veut jfiiire apprendre le François à un jev
Etranger, il n'y a qu'à le foire joiier avec desFn
çois de fon âge : le defir qu'il aura de prendre
part du pkifir , ce qu'A ne peut faire qu'en exj
mant fes de£u^ , & entendant tout ce que difent
autres, lui fera plus apprendre de François en qu
ze jours , qu'un Maître ne lui en montreroit en
mois.
Il n'eft donc pas difficile de concevoir co
ment un enfant apprend le langage de fon pe
& comment il prononce avec le même ton , &
la même manière les paroles qu'il entend i
père , en lui prefentant du pain , ou quelque ai
chofe , a fouvent fait fonner à fes oreilles ce r
pain. Ainfi , comme nous avons dit ci-de£
Vidée de la diofe qu'on appelle pain •, & le
des lettres qui compofent ce nom, fe font liées c
fa tête ; de forte qu'il eft porté à dire ce m<
mot en voyant du pain , qu'il fe trouve difj
à le prononcer 9 ôc qu'il le fait » l'expérience
a^
D£ PAELIR. LhuL Cbêf.XTlL 93
ayant fait connoître que lorfqu*il prononce ce mot
on lui en donne. Ceft ainfî que plufîeurs oifeauz
apprennent à parler ; mais il ]r a bien de la diffé-
rence entre les ensuis & les oifeaux » qui n|ayant
point d'efprit , ne prononcent jamais le petit'nom-
bre de mots qu'ils ont appris avec beaucoup de
peine, que dans le même ordre & dans la même
occaûon où ces organes ont reçu cette difpofi-
tion pour les prononcer : au lieu qu'un enfant
arrange en différentes manières les mots au'il a ap»
pris, & en fait mille ufaget differens. Il fût dits
difcours foivis , qui ne peuvent être l'effet d'une
impreffion corporelle , amfi que Vir^ dit que les
oifeaux chantent d'une manière particulière , félon
la difpofition de l'air. La parole efl l'appanage de
l'homme.
Chapitrb XVII.
Uy âunhon& un mauvais Ufage. Règles four
en faire la diflinéfion.
QUAND nous élevons l'Ufage fur le trône , &
que nous le faifons Taibitre fouvcrain des
langues , nous ne prétendons pas mettre le fcentrc
entre les mains de la populace. 11 y a un bon
& un mauvais ufage ; & comme les gens de bien
fervent d'exemple à ceux qui veulent bien vi-
nc , aulïï la coutume de ceux qui parlent bien ,
cft la règle de ceux qui veulent bien parler. U/ùm
fw fit arbiter Mcendi , vocamus amfenfum erudita^
fum , ficut Vivendi , cênfenfum bonorum. Or il
n'eft pas diffiidle de faire le difcernement du bon
uiàge d'avec celui qui eft mauvais ; des maniè-
res de parler de la populace qui font baffes , d'a-
vec cdles des perfonnes ôvantcs , 6c que la con-
diûoii
^4 La RHSTORiqjJBy ou t'AmT
dition ou le mérite élevé au deffus du commun.
11 y a trois moyens de faire ce difcerncment.
Le premier eil l'expérience. On peut confuherfur
Xax aoute ceux qui parlent bien : remarquer de
quelle manière ils s'expriment : quel tour fls don*
ncnt à leurs paroles ; ce qu'ils afiedent ; ce qu'ils
évitent. Si on ne peut avoir leur converfation , on
a les Livres , où l'on parle ordinairement avec plu$
d'cxaditude , parce qu'on a le tems & Iç loifir
de corriger les mauvail'es façons de parler qui fe
'gKffent dans le difcours. La mémoire étant plei-
ne des méchans mots qu'on entend continuelle-
ment , il eft difficile qu'il n'en éçiiappe quelqu'un
dans la converfation. Dans la compolition en re-
voyant fon ouvrage , on fait fortir les manières de
parler mauvaifes , qui s*y étoient gLflees fans qu'on
s'en apperçût.
Le fécond moyen que nous avons pour con-
/noître le bon UfîUge , elt la Raifon , comme je vais
le faire voir. Toutes les langues ont les mêmes
fondemcns , guc les hommes établiroient , fi par
une avanture femblable à celle que nous avons fein-
te , ils étoient obligez de fe faire ime nouvelle lan-
gue. Il eft facile , avec les connoifTances que nous
avons données de ces fondemens , defe rendre maî-
tre & juge d'une langue, condamner les loix de l'u-
fage qui font oppoféesà celles de la Nature dcdela
Raifon. Si l'on n'a pas droit d'en établir de nou-
velles , on a la liberté de ne fe pas fervir de celles
qui font mauvaifes. Les langues ne fe polilfcnt
que lorfqu'on commence à raifonner , qu on ban-
nit du langage les expreffions qu'un ufagc corrom-
pu y a introduites , qui ne s'apperçoivcnt que par
des yeux favans , 6c par une connoiffance exade
de l'Art que nous traitons. Or par ce choix d'cx-
prcffions juftes, les langues fe renouvellent , & le
non-ufage , s'il m'eft permis de parler ainû i des mé-
chan*
SK PARLEit. Liv,I. Cbéf.XVïL ^5
cbantes manières de parler établit l'uTage de celles
qui font raifonnables. Ceft de cette manière que
la langue Grecque s*eft polie , & qu elle dl deve-
nue , uns contredit , la plus bdie 6c la plus parfaire
de toutes les langues. On fait que les Grecs s'adon-
nèrent entièrement à la fcience des mots ; leurs
Philofophes méloient la Grammaire avec la Philo-
Ibphie, & en faifoient une partie de leur étude,
Ainfi remarquant dans lêiir langue ce qui choquoit
h Raifon &ies oreilles, ils tàchofent de 1 éviter en
cfaerdiant des expreffions plus raifonnables Se plus
commodes. Ce langage q-i'ils le formoient aani
leur cabinet & dans leurs écoles , paiToit bien-tôt
dans les converfarions du peuple ; car les Grecs ,
fur tout les Athenic^ns , avoient une paffion pro-
digieufe pour Téloquencc. Ceux qui leur pré-
paroieni des difcours étudiez , étoient écourer fa-
vorablement. C'étoitlà un àçs grands divcrt'lTe-
mens d* Athènes. Ainfi ce peuple étant accoutumé
à entendre parler d'une manière belle & polie , ne
parloit que poliment.
Dans rétabliflement du langage, la Raifon, com-
me nous l'avons vu dans les Chapitres précedens ,
ne prefcrit qu'un petit nombre de loix; les autres dé- *
pendent de la volonté des hommes. Tout le mon-
de ne fe propofe qu'une même fin en parlant; mais
comme on y peut arriver par difFercns chemins , la
lil>erté de choifir ceux qui plaifent , caufe les diffé-
rences qui fe remarquent entre les manières de s'ex-
primer d'une même langue. Néanmoins quelque
iil>erté que les pères de cette langue ayent pris en
la formant, on y apperçoit une certaine uniformité
qui règne dans toutes fes exprclîions , & des rerics
confiantes qui y font obfervées. Les hommes fui-
vent ordinairement les coutumes qu'ils ont une fois
cmbraffées ; c'eft pourquoi , bien que la parole dé-
pende prei^ue entièrement du caprice des hom-
96 La Rhetoek^us, ov l*A&t
mes y on remarque , comme il a été dit , une cet
taine uniformité dans fon u^e. Si on (ait don
que les noms qui ont un td fon , font de td gtat
te , quand on doutera du genre de quelqu'antn
nom , il faudra le comparer avec ceux qui fe tennt
nent de la même manière , & dont le genre eft coma\
Lorfque je veux être afluré fi la troifiéme pafoa
ne du parfait fimple d'un verbe qui eft propolé, û
doit terminer en « 9 ie ofnfidere fon iiinniti£ S"!
eft en rr 9 je n'ai plus de difficulté , fâchant qu
dans nôtre langue tous les verbes qui ont un fem
blable infinitif, terminent en ji la troifiéme perfon
ne de ce tems. Nous voyons que les noms en «
ont au pluriel sux » comme cbevalf ckevsuxi smi
mal, antmsux.
Cette manière de cormoître Tufage d'une Jang»
par la comparaifon de plufieiu^ de les expreffîons
oc par le rapport que l'on fuppofe qu'elles on)
entr'elles , s'appelle Anakgie^ qui eft un mot Grec
qui fignifie proportion. Ceft par le moven di
l'Analogie que les langues ont été fixées. C eft pal
elle que les Grammairiens ayant connu les re^e
& le bon ufage du langage » ont compofé de
Grammaires qui font très-utiles , lorfqu'elles fon
bien faites, puifque l'on y trouve ces règles que l'oi
feroit obligé de chercher par le travail ennuyeux d<
l'Analogie.
De tous les trois moyens pour reconnoîtreleboi
ufage , le plus afluré eft l'expérience. L'ufage ef
toujours le maître. On doit choifir les expreflion
les plus raifonnables ; ôc c'eft par ce choix ^ue k:
langues fe purifient de ce qu'elles ont d'impur
Mais lorfque l'ufage ne nous prefente qu'un feu
terme & qn'une feule expreflîon pour exprimer c<
que nous fommes obligez de dire , la Raifon mêm<
veut que nous cedionis à la coutume qui lui eft con-
traire, & nous ne péchons point en employant cett<
expref
DE 9k%li%. Liv.L Cbâp.XVIL 97
effion , quoiaue mauvaife. Car en cette occa-
la maxime des Jurifconfultes fe trouve vcrita-
Communis rrror fâcitjus. L'Analogie n'efl pas
aîtrefle du lan^ge. Elle n'eilpasddcenducdu
pour en établir les loix. £lle montre feulement
s de l'uTage. î^on efi lex loquenéTt, fetl objerva»
comme le dit Quintilien.
yax apprendre parfaitement Tufage d*unc lan-
, il en faut étudier le génie, & remarquer les
mes, ou manières de parler qui lui font parti-
eres. Le génie d'une langue confiflc en de cer-
cs qualitcz que ceux oui la parlent affedcnt de
mer à leur fille. Le génie de notre langue eft la
tcté & la naïveté. Les François recherchent ces
ilitez dans le (lile , & font fort difFerens en cela
> Orientaux , qui n*ont de Teftime que pour les
)rcffions myfterieufes, & qui donnent beaucoup
«nfer. Les idiomes diflingucnt les langues les
es des autres aufli-bien que les mots. Cen'eftpas
a pour parler François de n'employer que des ter-
r$ François; car fi on tourne les termes, &: qu'on
difpofe , comme feroit un Alleman ceux de fa
iguc ; c*efl parler Alleman en François. L'on
pdlc Hebraï/mes les idiomes de la langue He-
llène, Hclhnifmes ceux de la langue Grecque;
ainfi des autres langues. C'eil un Hebraïfme
le de dire vanité des vanitez^ au lieu de dire
plus grande de toutes les vanitez; & de mar-
cr une diftribution par la répétition d'un même
3t , comme dans ce difcours : Noë fit entrer
ns TArdie /^/. & fept^ de tous les animaux:
'Ur dire Nfoe fit entier Jept paires de tous les
imaux. Cefl un Hellenilme que de fe fervir
Tinfinitif au lieu des noms; mais cet idiome fe
)uvc auffi dans notre langue , qui a ime très-gran-
! conformité avec la Grecque. Les exprelilons
li ont été rejettécs par l'ufagc nouveau , &: qui
E font
9^8 La RnEToniQUE, ou l'Art
font ainfi partiailicres aux anciens Auteurs , fe no
ment Arcbaifmes. Chaque Province a fon idioi
au*il n'^ pas facile de quitter. Tite-Live de
1 éloquence eft fi pure, n'a pu purger fon ftile <
manières de parler de Padouc , comme Ta rem;
que Afinius Pollio , félon Quintilien. tn Ttto Lh
mir£ jacundié viro > {utat incjje Pol/io Ajinîus quA
dam Fatavmtatm.
Ch AP ITK S XVIII.
Dt le pureté du langage. En quoi elle conjijîe.
Ce que cefl que inélégance.
PUisoj/'ii. fc faut foûmettre à la tyrannie «
l'ufage » nous devons étudier avec fom fes lo
pour les obfervcr religieufement. La prcmic
étude doit être des mots particuliers , dont il fa
rechercher avec exaélitude les idées , pour ne 1
employer que dans leur propre fignification ; c*c
à-dire , pour fignifier exadement les idées auxqu(
les ils ont été attachez par l'ufage. Outre cela
faut faire attention à toutes celles qui font acceffc
res de cette principale idée qu'ils ont , de crain
de prendre le noir pour le blanc , en donnant ui
idée baffe d'une chofe qu'on a deffein de relever
de faire paroître.
Pour bien parler il ne fuffit pas feulement d'ct
.ployer des mots qui foient autorifez par Tufag^
il faut que ce foit dans la fignification précife qi
leur donne l'ufage , comme nous venons deledii
Pour faire le Portrait du Roi , ce n'eft pas affei «
repréfenter un viiàge avec deux yeux, un nez, m
bouche ; il faut exprimer les traits du vifage <
Roi. On. s'imagine devenir éloquent pour
qu'on' charge fa mémoire de phrafes ramafli
ds
DB FAKLlii. Lrv.L Cbéip.XVIIL 99
dans les Livres de ceux dont réloqucncc cft eftimée.
On fc trompe fort, & ceux qui fuivcnt cette mé-
diode , ne parlent jamais jufte. Car ils accommo-
dait les chofes qu'us traitent à ces phrafes , fans fe
fouvenir du lieu où les Auteurs de qui ils les ontpri-
fâ , les avoient appliquées : ainfi leur difcours eil
fcmblable à ces habits qu'on acheté chex les frip-
TOcrs, qui ne font jamais fi juftesaue ceux que Toit
nit fiire pour foi. Leur ftile eft bizarre , lemblà'
Wc à ces grotefques qui font faits de mille pièces
apportées, de coquillages de différentes figures , de
ërfercntes couleurs , de rocailles qui n'ont aucun
rapport naturel avec la figure qu'elles repréfentent.
Les phrafes font une marque de pauvreté dans
le ftile, comme les pièces dans un habit; elles y re-
mc<Ucnt en rempliflant les places vuides du difcours;
car ci^, quand on eft garni de phrafes, on ne de-
meure iamais court. C'elt pourquoi un de nos Poè-
tes fe plaint agréablement du chagrin de fa Mufe qui
rqcttoit un fecours fi favorable.
Encor fi pour rimer dans ma verve tndifcrete
Ma Mufe au moins fouffiroit une froide épithete-y
Jtferois comme un autre y &fàns chercher Ji loin»
fêurois toujours des mots pour les coudre au kefoini
Si je huois Pbilis en miracles féconde ,
Je trouverois bien-têt : A nulle autre féconde*
Si je vouhis vanter un objet nompareilt
'Jt mettrois à Pinflant : Plus beau que le Soleil.
Enfin parlant toujpurs A» d^Aflre & de merveilles y
ik Qbef'â'atuvres des deux , de beautez fans pareil*
Its»
Avec tous ces beaux motsfouvent mis au bazard^
Jtfourrois aijément, fans génie f & fans Art^
Et tranjpofant cent fois & le nom , & le verbe ,
Dcfir mes Vers recoufus mettre en pièces Malherbe.
El Ct
/
loo La Rhetoriqjji, ou l*Aiit
Ce n*cft pas affez de choifir des termes ufitcx 4
propres, leur liaifon doit être raifonnable; fanscdk
un difcours n'aura aucune forme » non plus quêta
lettres d*Imprimerie qu'on jetteroit auhazardïSi
une table ; car les idées de diaque mot enpartic%
lier peuvent être très-claires, & ne faire cependan)
aucun fens jointes enfemble; parce que les idétt
auxquelles ils ont été joints par iufage, font incoift'
patibles. Ces deux moUûusrréf ècrends fonttr^
bons , leurs idées font claires. On conçoit b^en jQ(
que c'eft qu'être ouarré, ce que c'eft qu'être rond;
mais unifiant ces aeux mots en difant un quarré nmi^
on dit une chofe qui ne peut pas être conçue. (^
ne peut pas comprendre qu'on chauffe des gans, ce-
pendant ces deux ipots chauffer y ^Cganst fonttràn
rrançois; ni qu'on defcende à cheval ^ quand on -y
monte. Lorfque la répugnance de deux idées n'eftm
fi manifefle, 6c que la liaifon de deux termes nit^
pas fi clairement condamnée par l'ufage que cellc4c
ceux-ci, chaujjer desgans^ defcendre achevait dk
n'eft apperçûe que par un petit nombre de perfbn-
nes. La plupart de ceux qui entendront prononça
ces paroles lui vantes, feront furpris par leur édat,
& n'appercevront pas qu'elles ne forment aucun
fens raifonnable. Dr nobles journées qui portent de
hautes dejîinées au delà des mers, N'efi^ce pas U une
confufion de belles paroles qui ne figninent rien 2
Le Vers fuivant eft encore un galimatias.
Le comble des grandeurs fappe leur fondement.
Qui pourroit s'imaginer ce que dit l'Auteur dec<
Vers.^ Les idéc$ de comble » ècdç/appery fe com-
battent, il efi impoflible de lès allier. On fait bien
ce que veut dire le Poëte, mais affurémentilneîc
dit pas. Cette faute eft plutôt une faute dejugemeçt,
qu'une ignorance du langage; ce qui fait voir que
poui
DE PARLEE. LsV,L Ctuf.XVIIL TOT
ir parler iufte , on doit travailler pour le moins
ant à former fon jugement que fa langue.
^our le rang qu'il faut donner aux mots lors-
on les lie enfemble , les oreilles inltruifent fi
fiMcment de ce qu'il y faut obferver , qu'il n'cft
bdbin que j'en parle. L'Ufage ne garde pas
goors l'ordre naturel dans certains mots : il
Il qu'on place les uns les premiers, il veut qu'on
figncles autres. Les oreilles qui font accoutu-
més à cet arrangement, enapperçoiventlcsmoin-
s diangemens, & elles en font blefTées. Nous
mmes plus touchez de ce qui choque nos fens ,
«de ce qui choque laraifon. On fera moins cho-
ie d'un mauvais raifonnement , que de cette tranf-
)fition têti ma , pour ma tête. Ce défaut eft fi vifi-
e , qu*il n'eft pas befoin d'avertir que l'on y prenne
ude.
Le difcours eft pur lorfque Ton fuit le bon ufa-
e: le fervant de ce qu'il approuve , & rejettant
c qu'il condamne. Les vices oppofez à la pureté
ont le barharifme & k foleàjme. Les Grammai-
iens ne font pas d'accord touchant la définition de
» deux vices. Vaugelas dit que le barbarifme eft
IBX mots , aux phrafes & aux particules , & que le
Uedfine dft aux déclinaifons, aux conjugaifons ,
& en la conftruétion. On commet un barbarifme
cndifantun mot qui n'eft point François, comme
?«**, pour pafie'y ou un mot qui eii François en
nnfens, &-nonpas en l'autre, comme ient , pour
fcttift* i en fe fervant d'un adverbe pour une pré-
poiition; comme eteffus la tabht pour y^r la table -^
a ufimt d'une phraie qui n'eft pasFrançoife , com-
me é/rverks mains vers le Ciel t au lieu de dire lever
^ mains au Ciel -, je m* en fuis fait pour cent piftoles
» jeu , comme difcnt les Gafcons , au lieu de dire ,
'asjerdu cent piftoles au leu. C'eft un barbarifme de
iflcr \e$ particulei qu il feut mettre , ou de met-
E 3 uc
ïôi La Rmetoriqjje, ou l'Aut
trc celles qu il faut laifler. Pour le folecifinc q
lieu dans les déclinaifons , dans les conjugaifons
dans la conftrudlion; voici des exemples de 1
les trois. Les emails ^ '^oyxx Us émaux \ ÙaUit^ p
il alla : je n*at point de Parlent , pour je
point iT argent: Vn grand erreur ^ 'poux une gn
erreur : j'avons fait cela \ poiu: nous avons
cela.
Vaugdas remarque qu'il y a bien de la di
rcnce entre la netteté dont nous avons parlé
delTus , & la pureté dont nous parlons préfci
ment. Un langage pur eft ce que Quintilien
pelle emendata oratio s & un langage net ce <;
appelle dilucida oratio. Ce font deiy . chofc
différentes , dit Vaugelas , qu'il y a une infi]
de gens qui écrivent nettement; c'efl-à-dire ,
s'expliquent û bien, qu'à la lîmple ledure onc
çoit leur intention : & néanmoins il n'y a rien
ii impur que leur langage : comme au contrair
y en a qui écrivent purement ; c*eft-à-dirc, i
barbarifme & fans folecifme; & qui néaimioins
rangent fi mal leurs paroles & leurs périodes ,
cmbarrafTent tellement leur ftile , qu'à peine conç<
on ce qu'ils veulent dire.
Les plus belles cxpreffions deviennent baffes le
qu'elles font prophanées par l'ulàgc de la popul
qui les applique a des chofes bafïcs. L'applicat
qu'dle en fait , attache à ces expreffions une ccrta
idée de baffeffe , de forte qu'on ne peut s'en fei
fans fouiller , pour ainfi dire , les chofes que l'on
revêt. Ceux qui écrivent poUment , évitent a^
foin ces cxpremons , & c'eft de là en partie que vi<
ce changement continuel dans le langage.
Utfylva foRis pronos mutantur in annos ,
Trima cadunt \ ita x^erborum -vêtus interit atas,
litjuvenum ritufiorent mode nata, x'igentijue.
Dï PA&LEK. Liv.I, Cbap, XVllL 103
^ Les perfonnes de qualité, & les fa vans tâchent de
s'élever au deffus de la populace. Pour cela ils évi-
tent de parler comme die, & ils n'cmployent ja-
mais ces exprefîions qu'elle gâte par le mauvais ufage
«u'clle en 6it. Les hommes imitent volontiers ceux
«ont ils eftiment la qualité ; ainii on voit qu'en
très-peu de tcms les mots que les riches ou les fa vans
ijannifTent de leur converfation , ne font enfuite re-
çus de pcrfonne. Ils font obligez de quitter la Cour
celles villes , & de fc retirer dans les villages pour
A'être plus que le langage des paifans.
Mais enfin, outre cette exa<flitude à garder les loix
deTufage, & ce foin à n'employer que des façons
de pader pures; il faut avouer que ce qui élevé au
ddOTus du commun ceux qu'on admire , eft un cer-
tain Art , ou un bonheur qui leur fait trouver des
cxpreffions riches & ingenieufes pour dire ce qu'ils
pàfcnt. Avec un peu de foin & d'étude on évite la
cenfure des Critiques ; mais on ne peut plaire que par
Bn bonheur qui eft très-rare. Que peut-on blâmer
dans les paroles fuivantes : djl à Cadmus que /m
^ta eft redevable de Pinventlon des carétéier^ 5 c*eji
^ lui qu*eUe a offris tArt àePEcriture, On ne peut,
is-je ,_ blâmer cette expreffion , mais on eft charmé
lor(qu on entend la même chofe exprimée de cette
inanicre noble & fpiiituelle :
C*^ de lui que nous vient cet Art ingénieux
^f peindre la parole y ^ de parler aux ysux ,
^^par les traits divers de figures tracées ,
l^mner de la couleur et du corps aux penjêes.
Ce choix d'expreffions riches & heureufes , fait
ce qu'on zj>^ç[\tP élégance \ mais outre cela , pour
rendre un difcours élégant, il eft néceflaire que l'on
y ftffe appercevoir une certaine facilité qu'on re-
fiiarque dans ces belles ftatuës qu'on appelle en La-
E 4 ^»
lo4 La Rhétorique, ou i'Art
tin ElegantîM fiina. Cette facilité plaît à la vue, ci
ce qu'dle imite de plus près la Nature, dont les ope
rations nont rien de gêné. Ces Ratuës groffieres dont
ks membres font roides, & collez les uns contre la
autres, rigintiafiinûy choquent les yeux. Quand
un homme a peine à s'exprimer, on travaDle avec
lui y & on reflent une partie de & peine. S'il s'ex-
prime d'une manière naturelle 8c facile , de foite
S^'il femble que chaque mot foit venu prendre fil
. ace, £uis quil ait eu la peine de l'aller chercher»
cela plaît innniment. La vue d'un homme qui ft
joue , rdadie en quelque manière l'efprit de ceux
qui le voyent.
Cette fecilité fe fait fentir dans un ouvrage Ibîf-
que l'on fe fert d'expreflions naturelles; que l'on
évite celles qui femblent recherchées , & qui por-
tent les marques fenûbles d'un efprit qui Êdt ks
chofes avec peine. Ce n'efl pasquepourfcfcrvirdc
termes naturels & propres, fl ne foit befoin de tra-
vail; mais ce travail ne doit pas paroître. Dftntfe
donner la torture en compofànt u l'on veut bien fai-
re , nftds il faut que le Leéteur conçoive à la facilité
3u'il trouve d'entendre ce qu'on Im dit, qu'on étoit
e fort bonne humeur lorfqu'oh écrivoit. Ludmtii
fpeciem dab'tt , et torquebitur. Autant qu'on le peut»
& que la matière qu'on traite le permet , il faut Am-
ner à fon difcours le tour libre des converfations.
Lorfqu'une perfonne parle avec un air facile & en-
joué , cela ne fert pas peu à faire entrer dans fes
fentimens ; le plaiûr de fa çonverfation rend les
chofes aifées. ^
C H A-
^ s ^ A. m I. X IL. jLi-v. h Chap. XIX. 105
ClTAPXTlll XIX.
^ Il btrjt^^itn des lav^^ues. VHebraïque a été par*
jtite ih /« première origine : Ceft à elle que tou'
tB ks autres âfoi-uefft leur première perfeélion*
Jjuwwf i & cotntnertt la Grecque s'eji perfeéiim^
M
0\3s avons compris dans ce premier Livre ce
(\u'ilyade plus effentiel à rArtdeparler; fe$
^dpalcs règles font fondées fur la Raifon; ce n*a
donc été quclorfque les hommes ont commencé
te nifonnablcs , que les langues fe font polies
îtwifeftionnécsi qu il s'cft trouvé des perlonnes
îojïit qui les ont ciiltivées ; qui ont confulté la
Mon m les manières de s'exprimer clairement
j. , &iK)blcmcnt. Puifqu'Adam avoit été crée raifon-
fc \ Mti fiigc, on ne peut pas douter <ju*il n'ait par-
' ié i^nnablcment & fagement ; amfi fa langue
^ cft VHebraïque , fut parfoite dès fa première
Dit \ <^ïi&ÛC..
ïto le temps que Moïfe écrivoit en Hébreu ,
fc Grccc étoit un x>*ïs barbare , & tel que pouvoit
fecrAmcrique lorfque nos Navigateurs la décou-
^nt. Toute l'Antiquité témoigne que ce fut
pinm qui apprit aux Grecs l'ufage des lettres.
Les uns le font Egyptien , les autres Phénicien ;
DJMS tous conviennent que ce fut de la Phenicie
?»i'il alla en Grèce , & que le« lettres qu il donna
aux Grecs étoient Pheniaenncs. Il auroit fallu di-
J'e qu'elles étoient Hébraïques , car les noms des
lettres de V Alphabet Grec font les mêmes que ceux
de l'Alphabet Hébreu; & ce qui démontre que ce
^ font pas les Grées qui ont donné cet Alphabet
^. I aux Hébreux > c'cftquc ces noms en Grec ne figni-
E s fient
s
ic
a-
fc
d-
Lte
DÎT
itis
lî.
ns.
.•^
fes
les
1
ic6 La Rhïtoriqjje, ou l*Art
fient rien, & qu'en Hébreu , ou dans la langue Phé-
nicienne , ils ont une lignification ; comme Plu-
tarque le remarque. Ainfi il^ font barbares au re-
gard des Grecs, & naturels aux Hébreux. Une au-
tre preuve, c'eft que les Grecs s*étant fervisdel'Al-
phaoet pour compter, quand ils ont ceffédefefcr-
vir de quelques-unes des lettres Hébraïques pom
conferveraux autres leur valeur, ilsontfubftituéun
ôgné en la place de l'ancienne lettre; parexempk,
après avoir rejette le vau , qui eft le digame Eoli-
que , & la lettre F des Latins , ils ont mis en fa plaa
cette notre «• pour figne du nombre iîx , dont h
vau Hébreu eft le figne , étant la fixiéme lettre dt
r Alphabet Hébraïque. De même ayant rejette le
Tzade , & le Kopb des Hébreux , ils ont fubftitué
des fignes des nombres que marquoient ces lettres,
afin que les fuivantes confervaflent leur prenaierc
valeur. C'eft donc une. vérité confiante que l'Al-
phabet Grec a été formé fur l'Alphabet Hebrea
Or, comme nous l'avons remarqué, les langues ne
fe font perfeâdonnées que quand on a commence
de les écrire; c'eft donc à 1 Hébreu que les Grca
doivent la première perfection de leur langue , qui
ne pouvoit être que très-groffiere avantl'arrivéedi
Cadmus dans la Grèce , vers le tems que la Répu-
blique Judaïque étoit gouvernée par des Juges. La
Grèce avoit été entièrement barbare jiîfques à ci
tems-là , pendant deux mille cinq-cens ans , ou deos
mille fix-cens.
Cadmus porta la Science des Egyptiens cheî lei
Grecs ; au moins leur donna-t-il plufieurs connoif
fances qu'ils n'avoiem point; il leur donna des loix
illes affembla; il les gouverna. Ce fut vers ce tems
là qu'ils commencèrent d'obéir à des Princes , As
bâtir des Villes. L'Hiftoire Grecque nous apprend
oue la Grèce eut differens Princes , qu'il fe form
oifferens Etats > différentes Républiques.
ISÉ PARLEE. Liv.I. Cbsp.XIX. 107
De là cft venu que tous les Grecs ayant conçu de
hmour pour Téloquence , & chacun travaillant à
polir la langue de fon pais , la langue Grecque fe
puia diâferemment. 11 le forma plulueurs diale(f^cs »
ou différentes manières déparier: chaque peuple fc
fit des termes. Lç^ principales dialedes furent l'At-
tique, rionique, laDonque, l'Eolienne. La Grè-
ce n'eft pas fort étendue : les i\theniens , les Io-
niens, lesDoriens, les £oliens ne font pas éloignez
les uns des autres; ainû le commerce qu ils avoient
cnfcmblc faifoit'que toutes ces dialedes , ou ma-
nières de parler ne leur étoientpas inconnues; leurs
Ecrivains purent donc prendre la liberté defefervir
de toutes les dialeéles , de tous les termes de chaque
£ut; ce qui donna une merveiUeufe fécondité à
leur langue.
•Ce qui contribua particulièrement à dcgrofllr &
i polir la, langue Grecque , & la rendre la plus capa-
ble -de toutes les langues d'exprimer toutes choies
avec énergie , & harmonieufement , ce fut Tamour
qu'ils eurent pour la Mufique. Les inilrumcns de
Mufique furent en ufage parmi eux de fort bonne
heure. Ce n'étoient pas feulement des airs qu'ils
chantoient en pinçant leurs Luts, ou Guitares. En
touchant les cordes ils prononçoient des paroles , 6c
flparoît que leurs premiers Dodeurs,Philofophes,
Théologiens , Hiftoriens étoient des Poètes ou des
CTiantres. Dans le premier Livre de l'Odyffée Phé-
nix chanta fur fa Guitarre les aéiions des Dieux ôc
des hommes > comme le font les Chantres :
Les Muficiens chantoient ainfiles faits des Héros.
Ds expliquoicnt la Religion , fes Myfteres , la Gé-
néalogie des Dieux. Ils rendoient raifon de ce
Qui sobfcrvc dans le Ciel. Ce n'eft point unecon-
E 6 jeauic
Xo8 La Rhétorique, ou l'Akt
Jcôurc en Tair. Strabon en parlant d'Homer
, le premier Livre de fa Géographie , tfjlî
9 dit qu'il y a deux efpeces ou fortes deHifcou
, diez , l'un mefuré , & l'autre libre , c'eft-à-di
, tout difcourseft Vers ou Profe: ilfoutient,<
y premières pièces étudiées furent des Vers: ^
Sue les Vers ayant plû, Cadmus , Pherec
ecatœus qui écrivirent en Proie , con
» rtntles manières des Poètes, àlareferved
, fures. Strabon ajoute que ceux qui écrivirent
, eux, quittant davantage les manières Poët:
, changèrent enfin entièrement le premier fti
, reduifirent la Profe à Tétat où elle eft , l'ajra
, gradée, comme fi on changeoitleftile Tn
, dans celui de la Comédie. Dire & chanter
, toit autrefois la même chofe , ce qui mont
la Poëfie eft la fource de l'éloquence. (Ce
jours Strabon qui parle. ) Tous les Vers é
des chants , on ne l'es recitoit qu'yen chantant
vient que toutes les pièces de Poëfîcs fe non
chant , Rapfodie , Tragédie , Comédie , ce mo
àhi fignifiant chant. Enfin Strabon dit que 1
Grec mi^ci qu'on donne à la Profe ( en Lat
fe nomme pedejiris , ) eft une preuve que 1
cours écrits , ^de Poétiques qu'ils étoierit aut
élevez , Se comme portez dans un diariot , c
abbaiflez , & réduits à marcher à pied;
Ce paflage de Strabon étoittrop confidérabi
ne le pas rapporter tout entier. Il eft facile de
prendre comment les Poètes purent chanj
langue Grecque , en la perfeétionnant , & ei
comme une nouvelle langue toute différente
qu'dle étoit dans fa première origine. Le pla
la Mufique rend indulgents ceux qui écouten
fouffre que les Muficiens prennent la libei
couper, d'allonger le difcours, félon quec^
PB PAKLtu. LivJ, Cbap.XIX, T09
commode avec leur chant. Ces premiers Hifto-
riens'. Théologiens, Philofoiphes , qui étoient en-
femble Poètes ÔcMuficiens, furent les maîtres de la
langue. Ils la polirent comme il leur plût ; ainiï
en peu de tems ils en firent le langage le plus par-
fait. Ailleurs c'eft Tufage qui a été le maître oc la
langue. Ccft un tyran, comme nous l'expérimen-
tons en France , qui fouvcnt commande fans raifon ,
à qui il faut obéir aveuglément. Pdur bien pailer
François il faut parler comme on parle. Nos Poè-
tes mêmes n'ont guère plus de hberté que ceux qui
écrivent enprofe. D'abord qu'on s*apperçoit qu'un
Poëte employé dans fes vers un terme , une cxpref-
fion hors de Tufage , & qu'il paroît que c'eft pour
attraper une rime , on ne peut le founrir ni Im , ni
fcsvers.
Ce n'étoit pas cela dans la Grèce , fur tout dans
les premiers tcmi.' Les favans furent les maî-
tres d'ajouter à un mot des lettres, d*en retrancher,
de l'allonger , de le couper. La Grèce eut des
cforits excellens qui voyageoient en Egypte , en
Pnenide, de tous cotez, pour profiter de la dodtri-
ne & des expériences de tous les peuples. En tou-
tes chofes ils étudioient la Raifon ; ils écoutoient'
ce qu'elle prefcrit. Il ne faut donc pas s'étonner
s'ils réiiffirent. Us fe formèrent un goût admirable
pour l'éloquence, pour les arts. Auffi tout ce qu'on
a pu faire dans la fuite des tems , c'eft de les imi-
ter. Nous n'avons ni Peintre , ni Sculpteur qui les
ait furpaffé. Les Architeéles n'ont réulïi qu'autan^
^'ils ont fuivi les belles proportions que la Grèce
«voit trouvées. On voit dans la conduite des poè-
mes Epiques & Dramatiques, combien les Grecs
font raiîbnnables. Toute la Grèce avoit un amour ,
une eflime infinie pour ceux qui réuffiffoient , &
une déférence entière. Une langue qui a donc
été formée avec une dcinc liberté ôc autorité par
E 7 4es
iiô La Rhétorique, ou l'Art
des Maîtres û raifonnables , comment n auroit-ellc
pas été la plus parfaite ?
Toutes les autres langues ne fe font perfeâion-
néesdans la fuite , que lorfque les Eai vains ont pris
les Grecs pour modèles de Tart de bien écrire. On
peut dire que la langue Grecque étoit déjà dans fà
{)èrfe(iUondu tems d'Homère , trois mille ans après
a création du monde , lorfque Salomon regnoit
en Judée. Rome fut bâtie environ deux-cens cin-
(puante ans après ce tems-Ià. Alors la langue La-
Uhê étoit fort grofîîere. Ce ne fut que dans le lixié •
tne fîecle depuis que cette ville fut bâtie , qu elle
eut des Poètes confiderables , Livius , Nevius , Plau-
te. Us tâchoient d'imiter les Grecs ; ils ne faifoient
prefque que traduire en Latin leurs ouvrages. Ceux
qui' vouloient profiter voyageoicnt dans la Grectf,
Y demcuroient long-tems pour y acquérir la con-
noiffançe des arts , c'étoit la fin de leur voyage :
Âd mercaturam honarum artium y comme parle Ci-
(icron. Enfin la langue Latine a acquis fa per-
fedion fous ce Prince des Orateurs , & fous le ^it-
de d'Augufte , après la mort duquel la langue ne
fit plus que fe gâter, & perdit fon éclat, auilî-bicn
que l'Empire Romain fon luflre & fa grande puii-
Unce. . On n'eut plus le bon goût de Ciceron , de
Virgile, d'Horace. On ne confulta plus , comme,
ils le faifoient, le bon fens; au moins on ne le fit
pas avec tant de foin , ni tant de fuccès. Les peu-
ples qui ruinèrent l'Empire Romain , & fe mirent
en leur place , étoient groffiers , barbares. Ce fut
UTphilasqui apprit auxGoths l'ufage des lettres vers
la nn du quatrième fîecle. Ils étoient encore barbares
quand ils fe jetterent fur l'Empire Romain. Vers ce
tems-là il fe fit plufîeurs Etats , pluficurs Royaumes
du débris de cet Empire. Il s'y forma des lan-
gues particulières que chacun tacha de polir. Dans
Ë fiede paiTé i communément nos habiles ne s'ap-
BX^ARlEll. VilKh Cb4prXIX. II i
plîquoient qu'à bien écrire en Latin. Nôtre langue
ne s'eft perfedionnée que dans ce (îecle , où nos
écrivains s'étant défaits des mauvais préjugez qu'on
avoit contre la bonne éloquence , & formé le goût ,
lifant les Auteurs Grecs & Latins , ils ont rendu le
François fi bcair, fi dair, fi coulant, que quoiqu'il
n'ait pas tous les granès avantages de la langue
\jrecq\ie & delà Latine , il engage tous les étrangers
à l'étudier. On imprime , ôç on Ut hors de Frailce nos
bons Auteurs François. A quoi doit-on cette per-
f eétion de nôtrelaogue , qu'à ce fc^in qu'ont' eu eni^
nos Auteurs d'examiner leurs compofitions à la lu-
mière de la Raifon , & de chercher les véritables fon-
demens de l'Art de parler }
11 eft important pour l'honneur de la Religion ,
qu'on foit bien perfuadé que c'eft aux Hébreux que
les Grecs doivent leur première poUtefle. Hérodote
le déclare nettement; car après a voir dit que ce fut
Cadmus qui apporta les Lettres & les Sciences dans
la Grèce , il ajoute qu'ayant lui les Grecs n'avoient
point l'ufage des lettres : que les premières dont ils
le fervirent étpient Phéniciennes ; & qu'ils en chan-
ferent le fon & la figure dans la fuite du lems. Selon
aufanias les Grecs écrivoient de droit à gauche ,
preuve que c'eft des Hébreux qu'ils a voient appris
féaiture. D parle {Liv, y.) d'une Statue anciennô
où le nom à' Agamemnon étoit ainfi écrit de droit
à gauche. Cette ancienne manière n'avoit donc
changé que depuis la prife de Troie. H dit avoir vu
dans une ancienne Arche ouCofl&e, qui fe gardoit
religieufement dans un Temple , une Infcription
dont les caraâeres étoient rangez comme des fil-
ions , qui recommençoient où ils finiflbient , tantôt
de droit à gauche , tantôt de gauche à droit ; ma-
nière dont nous avons parlé ci-defius.
LA
La RHlTORHiûB,' on l'Art'
RHETORIQUE
0 U
L'ART DE PARLER.
LIVRE SECOND.
Chapitre Premier.
lêmti ctwfii peuvent Stri conduis Jiffèremmtut:
e que la partit, qui efi P image dtl'efprit^,
doit marquer,
1 les hommes concevoient toutes la
chofes qai fe prdentent à knr efinit
fimpîcmcnt comme elles fonteneuc»^
, mêmes , ils en paricroicnt tous de la
même manière. Tous les Geomctrei
tiennent le même langage , quand ils d<!montrent
ce Théorème : i« trvii angles ti'uti trianele font
égaux à deux angles droits. Us fe fervent des mê-
mes cxpreffions , parce que la nature nous détcr-
"mino à parler comme nouspenfons , & que quand
on penle de- même, on tient le même langage.
Mais il s'en faut bien que toutes les penfées des
^Spies ioKSA femblaUes , c'eA-il-4iie qu'ils re-
Dl PARLIR. Liv.ïL Cbap.L iij
gardent toutes chofes d'une même façon. Us en
jugent différemment , & félon le bien ou le mal
qu ils y découvrent , ou qu'ils croyent y décou-
vrir i ils ont difffcrens mouvemens de mépris ou de
haine , d'amour ou d'averfion , c[ui font que dia-
can a des idées différentes. La même diofc ne pa-
roît jamais la même à toutes les hommes. Elle eft
aimable aux uns', les autres ne la peuvent regarder
qu'avec des fcntimens d'averfion. Après qu'on a
une fois regardé un homme comme ion ennemi ,
on ne prend plus çlaifir à confîderer îcs bonnes
qualitez. Cette conhderation augmenteroit la dou-
leur qu'on a de le voir oppofé à fes prétentions ,
parce qu'elle feroit voir la puiffance. On prend
donc plaifir au contraire de fe former des idées
extraordinaires de fes défauts. On trouve de la fa-
tisfaftion à le concevoir foible & méchant. Ses
moindres défauts fe prefentent fous une forme
monflracufe ; comme fes vertus paroilfent toutes
petites & imparfaites ; l'on ne fait attention qu'à
ce qui peut en donner du mépris. Ce n'eft pas en-
core auei ; à l'occafion de fes imperfections dont
on s'occupe volontiers , parce que nous voulons tou-
jours juftifier nos pafèons , on fe reprefente tous
ceux qui fe font fîgnalez parleurs crimes : joignant
^nfi (hns fa penfée cet ennemi avec tous les crimi-
nels qui ont jamais été. La fineffe des renards , la
malice des ferpens , l'avidité des loups , la cruauté
perfc
jet de fon averfîon & de fa colère.
Je fais ici ce que feroit un Peintre qui n'enfeigne
PW à fon élevé ce que les chofes doivent être pour
qu'elles foient paràites , mais qui ne s'âppfique
SUes lui faire bien reprefenter telles (ju'elles font.
tt'cftpasàuaRhcteuràformcrrcfpnt & lecœup
de
114 La Rhëtokiqjue, ou L*AiiT
de celui qui étudie la Rhétorique , & à lui appren-
dre qu'il ne doit pas concevoir les chofes autres
qu'elles font , qu'il n'en doit avoir que des idées
raifonnables , & qu'il ne lui eft pis permis d'en-
tretenir dans fon cœur des mouvemens injuftes.
Cela n'eft pas du retfbrt de fa profeffion. Tout ce
qu'il doit faire c'eft de l'avertir que fi fes penfécs
ne font pas réglées , fi le jugement qu'il èiit des
chofes eft extravagant , le difcours qui en fera la
peinture , fera paroître fon extravagance. Je puis
néanmoins faire cette reflexion , qu'il n'eft pas
p.ofîible que nous regardions indifféremment toute
fprte de chofes. Les pafîions ne font mauvaifes
que par le mauvais ufage qu'on en fait. Elles nous
ont été données par l'Auteur de la Nature pour
nous mouvoir vers le bien, & pour fuir le mal.
Ceft une lâcheté de regarder le bien froidement
fans s'y porter, & de confiderer le mal fans horreur
& fans un violent defir de le fuir. Ainfi il n'y a
qu'une ame molle , & qui n'a aucun fentiment de
la Nature , qui puilTe être indifférente à l'égard de
toutes chofes bonnes ou mauvaifes. Une ame ge-
nereufe qui a du feu , s'excite félon la qualité de
l'objet qui l'occupe; elle en conçoit les idées <ju'U
en èiut avoir, & elle reflcnt les mouvemens qui ne
manquent point de fuivre lorfque la nature eft vi-
ve , & qu'elle eft bien réglée ; de forte qu'il fc fait
une image dans fon efprit , où les chofes fe trouvent
reprefentées avec les traits qui leur font propres, &
avec leurs couleurs naturelles.
Les hommes qui ont été faits les uns pour les
autres , imitent ce au'ils voyent faire. Il y a une
merveilleufe fympathie entre eux. Ils font comme
liez les uns aux autres. Un enfant prononce fans
peine les mots qu'il entend prononcer. Si on en-
tend chanter , on prend le ton que celui qui chan-
te le plus fort, oblige les autres de prendre. 11 faut
fiire
DB PAiiiER. Ltv.IL Çbap.L 115
faire des efforts pour ne pas fuivrc ceux qui vont
devant nous , & pour ne pas marcher avec eux de
compagnie. lêjdjîs cela pour foire comprendre que
tout le fecret de la Rhétorique , dont la fin cil
de perfuader , confifle à faire paroître les chofes
telles qu'elles nous paroiflent; car fi on en fait une
vive image femblable à celle que nous avons dans
l'efprit, fans doute que ceux qui la verront, auront
les mêmes idées que nous ; qu'ils concevront pour
elles les mêmes mouvemens , & qu'ils entreront
dans tous nos fentimens. Il s'agit donc maintenant
d'apprendre comment par le fecours de la parole
on peut faire une image de nôtre efprit, ou Ton
voye la forme de nos penfées , c*eft-a-dire , com-
ment on peut faire que les chofes qui font la ma-
tière du oifcours, foient reprefentées avec les traits
k avec les couleurs fous lefquelles nous voulons
qu'elles foient vues.
n eft certain que nous parlons félon que nous
fommes touchez. Les mouvediens de Tame ont
leurs caraôeres dans les paroles comme fur le vifa-
gc. Le ton de la voix , & le tour qu'on prend ,
Eut connoître de quelle manière on regarde les
diofcs dont on parle , le jugement qu'on en fait,
&lcs mouvemens dont on eft animé à leur égard.
Ce font ces caraéleres qu'il faut étudier & dans la
pratique duanonde , & dans les livres. Les Auteurs
qui excellent dans ces manières vives de peindre
les mouvemens de l'ame , n'ont réuffi que parce
qu'ils ont obfervé ce que chacun fait , & de quelle
manière on parle dans l'émotion. On donne de
grandes loUanges à Ariftote pour avoir marqué
dans fa Rhétorique le caraétere de chaque paiîion ,
& les mœurs de chaque âge , de chaque condition.
Je confens qu'il mérite ces louanges 5 mais je fou-
tiens qu'il eft plus utile de s'étudier foi-même , &
remarquer comme chacun padc & agit. On pro-
fita
ii6 La Rhitoriove, ou l'Art
fitc bien davantage lorfqu'on lit le quatrième Livre
de TEneide , où Ton voit des peintures naturelles
des paffions ; ou que fans s'amufer à lire ides Li-
vres on étudie le monde même. On ne peint ja-
mais bien une paffion qu'après l'avoir vue en ori-
ginal , c'eft-à-dire , qu'après avoir étudié ceux qui
étoient animez de cette paffion. Les Auteurs fc
trompent , & ce qui fait qu'on eft peu touché en
lifant leurs Livres , c'eft qu'ils ne peignent pas les
mouvcmens qu'ils veulent infpirer , avec des traits
naturels. Ils ne veulent employer que de riches
couleurs , des paroles magnifiques , ils rejettent les
expreffions ordinaires qui font pourtant les traits
naturels de ces mouvemcns ; c'eft- à -dire , que
lorfqu'on eft ému , on ne parle point comme ils
le font. Il en eft des figures que les Déclamateurs
cmployent , comme de ces raifonnemenS en for-
me des Philofophes, qui dégoûtent , parce que ce
D'cft point la manière naturelle de raifonncr. 11
fiiut encore remarquer que quoique les hommes
fages n'entrent pas fans de grands fujets en des
mouvemens de colère impétueux , que cependant
ils ne parlent jamais fans quelque feu ; c'eft pour-
quoi dans THiftoire même , l'on ne doit point ra-
conter les chofes froidement. Il y a des tours fi-
gurez de converfation : quand on les fait prendre ,
le Leéleur ne croit pas lire un Livre ; il croit voir
les chofes > ou qu'un homme vivant lui raconte ce
qu'il ht.
Tous ces traits qui peignent les mouvemens de
nôtre ame , l'eftime , le mépris , la haine , l'amour,
confiftent en trois chofes : Premièrement , dans le
ton; il y a un ton railleur & de mépris; Ù y a un
ton d'admirateur. Dans l'empreflement de trou-
ver la vérité , ou de la faire connoître , on preflc
ceux à qui on parle , de la déclarer. On leur fait
die vives interrpgationi d'un ton ^mé. En fécond-
lieu p
DE PARLE n. Liv.lL CbapIL 117
lieu , on donne un tour extraordinaire , tout diffé-
rent de celui qu'ont les paroles d'un homme tran-
quille. Enfin , comme nous allons voir dans le
Chapitre fuivant, dans les grands mouvemens on
employé des mots extraordinaires , parce que la
pamon nous fait concevoir les chofes tout autres
qu'eues ne paroiflcnt quand on les confidcre tran-
quillement.
Chapites il
U n^y a p§int de Ungue ajjez riche é^ ajfez éhn»
iante pour fournir des termes cépables dexprimer
toutes les différentes fmces fous lefquelJes tefprit
ftUt Tropi
vmtion.
LA fécondité de l'efprit des hommes cft fi gran-
de , qu'ils trouvent fleriles les langues les plus
fécondes. Ils tournent les chofes en tant de ma-
nières, ils fe lesreprefentent fous tant de faces dif-
férentes , qu'ils ne trouvent point de termes pour
toutes les diverfcs formes de leurs penfées. Les
mots ordinaires ne font pas toujours juftes , ils font
ou trop forts , ou trop foibles. Ils n'en donnent pas
lajufle idée qu'on en veut donner. C'cft néan-
moins ce que ceux qui parlent avec art recher-
chent avec plus d'empreflement ; car c'eft en cela
uc confifte l'éloquence. On prend les fentimcns
c ceux qui nous parlent , lorfque leurs paroles les
marqiicnt vivement , comme nous l'avons remar-
qué. Si l'on veut donc exprimer les fentimens
«eftimc & d'amour qu'on a pourlachofc dont on
padc, il ne faut employer aucun terme qui ne con-
l
iiÇ La Rhbtorique, ou l'Art
tribuë à donner des idées de grandeur & de pcr-
' fcdion ; c eft-à-dire qu'il fout choifir des termes
2ui foflent Daroître cette chofe grande & parfaite.
]e choix demande un grand difcernement ; ceux
qui n'ont qu'un médiocre génie , fe contredirent à
tous momens. Il y a dans leurs difcours cent chofes
qui font contraires à leur d^ffein , qui font pleurer
lorfque leur principal deffein eft de faire rire , àc
qui ne donnent que du mépris de ce qu'ils avoicnt
•entrepris de faire eftimer. Celui qui rait attention
à ce défaut , & qui tâche de Téviter , trouve fteri-
les les langues les plus fécondes. Ainfi pour expri-
mer exaélement ce qu'il penfe , il eft obligé de fe
fcrvir de cette adreiie dont on ufe quand ne fa-
chant pas le nom propre de celui que Von veut in-
diquer , on le foit par des figncs & par des cir-
conftancesqui font tellement attachées a faperfon-
jie 9 que ces fîgnes èc ces circonftances excitent
l'idée qu'on n'a pu lignifier par un nom propre.
Ccft un foldat , dit-on , c'eft un Magiftrat , c'dft
vn petit homme.
Critfe ruber, ntger ore^ brevis pede^ lumtne Ufus.
Les objets qui ont entre eux quelque rapport &
quelque haifon, ont leurs idées en quelque maniè-
re liées les unes avec les autres. En voyant un fol-
dat , on fe fouvient focilement de la guerre. En
voyant un homme , on fe fouvient de ceux dans le
vLlage defquels on a remarqué les mêmes traits.
Ainfi l'idée d'une chofe peut être excitée parle nom
de toutes les autres chofes avec lefquelles elle a
quelque liaifon.
Quand pour fignifier une chofe on fe fert d'un
mot qui ne lui eft pas propre , .& que l'ufage avoit
appliqué à un autre fujet ; cette manière de s'ex-
pliquer eft figurée; & ces mots qu'on tranfporte de
la
DE PÀmiim. Liv.IL Chaf.JlL 119
la chofe qu'ils fignificnt proprement , à une autre
qu'ik ne lignifient qu'indirectement , font appeliez
Tropes , c'ed-à-dire termes dont on change & on
rcnverfe Tulàge ; comme ce nom Tropes , qui cft
Grec , le fait affez connoître , ^iîw , verto. Les
Tropes ne fignifient les chofes aufquelles on les
applique » qu'à caufe de la liaifon oc du rapport
que ces chofes ont avec celles dont ils font le
propre nom ; c'eft pourquoi on pourroit compter
amant d'elbeces de- Tropes , que Ton peut mar-
quer de differens rapports ; mais il a plii aux pre-
miers Maîtres de l'Art de n'en établir qu'un petit
nombre.
Chapit&£ III.
lifie des e/feces de Tropes qui font les plus confi-
derabies,
METONYMIE.
TE donne entre les efpeces de Tropes , la nre-
J miere place à la Metonvmie , parce que c'elt le
Tropc le plus étendu , « qui comprend fous lui
plofieurs autres eipeces. Métonymie ngnifie un nom
pour un autre. Toutes les fois qu'on fe fert d'un
iwrc nom que de celui qui eft propre , cette ma-
nière de s'exprimer ^s'appelle une Métonymie ;
comme quand on dit : Cefgr a ravagé les Gaules 5
^m le monde lit Ciceron ; Paris efl allarmé : il eft
évident que Ton veut dire que l'armée de Ccfar a
levage les Gaules ; Que tout le monde lit les ou-
vrages de Ciceron; Que le peuple de Paris eft dans
une grande crainte. Il y a une fi grande liaifQji
entre le Chef & fon armée , entre un Auteur 6c fes
faits , entre une ville & fes citoyens , qu'on ne
peut
110 La Rhetoriqjje, ow l*Ailt
peut penfer à l'un , que l'idée de l'autre ne fc p
fente auffi-tôt. Ainfi ce changement de nom
caufe aucune confuûon.
SYNECDOCHE.
LA Synecdocbe eft une efpece de Metonym
par laquelle on'met le nom du tout pour ce
de la partie , ou celui de la partie pour le nom
tout : comme quand on dit P Europe , pour la Frs
ce 9 ou la Frmnce pour P Europe : le rojpgnol pc
un oifeau en gênerai , ou oifeau pour roffigm
mrhre pour une efpece d'arbres en particulier,
ime efpece d'arbres pour toutes fortes d'arbi
On dira : La pelle eft en Angleterre , quoi qu'c
ne foit qu'à Londres; qu'elle eft à Londres , qi
qu'elle foit dans toute 1 Angleterre. On dit en p
lant d'un rofSgnol en particulier, d'un chêne enp
ticulier: Voilà un bel oifeau : voilà un bel arbre:
fervant avec cette liberté du nom de la partie po
fignifier le tout , 6c du nom du tout pour fignif
la partie.
On rappojte à cette efpece de Trope la libci
que l'on prend de mettre im nombre certain & c
terminé pour un nombre qu'on ne fait pas précii
ment. On dira; Cette maifon a cent belles avenu!
lorfqu'elle en a pMeurs , & ^u'on n'en fait pas
nombre. Quand aufïi pour foire un compte ron<
on ajoute ou l'onretrandie ce quicmpêcneroitqi
le compte ne fût rond. S'il y a quatre-vingts m
neuf ans , trois mois , quinze jours ; on dira libr
ment, il y a cent ans.
ANTONOMASE.
L-Antonomafe eft une efpece de Metonymi
Elle fe fait lorfqu'on applique le nom prop
y ' d'ui
Di PARIS R. Liv.JL Ckap.JJL m
ic diofc à plufieurs autres ; ou au contraire
lue ron donne à quelque particulier un nom
mun à plufieurs. Sardanapale étoit un Roi vo-
lieux. Néron un Empereur cruel; c'ellparAn-
)mafe qu'on appellera un voluptueux un Sar^
\ùaU y èc que l'on donnera le nçm de Néron à
Tince cruel. Ces mots d'Orateur , de Poète ,
Philofophe font des noms communs , & qui fe
aent à tous ceux qui font d'une même profef-
: cependant on applique ces mots à des parti-
:rs, comme s'ils leur ëtoient propres. On dit,
ant de Ciceron, l'Orateur donne ce précepte
5 ÙL Rhétoriaue. Le Poète a fiait la delcription
le tempête aans le premier Livre de fon iïincï-
pour dire : Virgile a fait , &c. Le Philofophe
îcmontré dans fa Metaphyfique , au lieu de dire.
Ilote Ta démontré. Dans chaque état ceux qui
xcdlent par-defTus le commun, s'en approprient
î la ^oire & le nom. Tontes les fois qu'on
le de l'éloquence , on penfe facilement à Cicc-
, & par conféquent Tiaée d'Orateur ôcdcCicc-
fc Ûent, de forte que l'une fuit l'autre.
METAPHORE.
Es Tropes font des noms que Ton tranfporte
' de la chofe dont ils font le nom propre , pour
appliquer à des chofes qu'ils ne fîgnifient qu'in-
îCTcment ; ainfi tous les Tropes font des Mefa^
resy car ce mot qui eft Grec, fîgnifie tranfla-
1. Cependant on donne le nom de Métaphore
Antonomafe à une efpece de Trope , & pour
5 on définit la Métaphore un Trope , par lequel
met un nom étranger pour un nom propre, que
1 emprunte d'une chofe femblable à celle dont
parle. On appelle les Rois les Chefs de leur
r»unic, parce que, comme le'' Chef commande
F à to\iii
lit La Rhitohiqûi, ou l'Art
à tous les membres du corps , les Rois com
dent à leurs fujets. L'Ecriture Sainte appela
gamment le Qel durant une fechercire , un
d'airain. On dit . d*une maifon qu'elle ell ris
lorfquc la vue en ell agréable , & femblable en <
que manière à cet agrément qui paroit fur le v
oe ceux qui rient.
L'Megorie fc fait lorfqu'en parlant on fe
dire toute autre chofe que ce que l'on d:
effet*, comme Tétymologie de ce mot le mai
Ceft une continuation de plufieurs Metaphc
comme dans cette Allégorie que fait Ifaïe chs
Mon bien aimé aveit une vigne fur un lieu él
gras & fertile,^ li tenvirojina etune haie , il et
/es pierres, & la planta d'un plan trésor are 6
cellent : il bâtit une Tour au milieu , je* il y fi
prejfêir : il sattendoit qu^ellè porteyoit de bons fy
é* elle n'en a porté que de faur>agès. Mainti
donc , vous babitans de Jerufalem , i^f vous bo.
de jfuda > /oyez, les juges entre moi & ma i^ igné. Q
je dû faire de plus à ma vigne que je n*aye point ^
Eft-ce que je lui ai fait tort d^attendre qu'elle p
de bons raifins , au lieu qu'elle nen a produis
de mauvais f Mais je vous niant y er ai maint ena
ique je m'en vas faire- à ma vigne. J*en arrai
sa baie , & elle fera ex pope au pillage : je di
tài Uus les murs qui la défentlent , é' elle fera
téc aux pil'ds, Je la rendrai toute deferte > é
m fera point taillée ^ ni labourée: Les ronces {
épines la coûter iront j & je commanderai aux
de ne pleuvoir plus fur elle* Ce qu*lfaïe a
fiiit aflci copnoître. que ce.difcours cil une
fforie. Là vigne % dit-il, du Seigneur des armi
% ifiàifbn^d^lfrâ'élt & les /Sommes de Judà %
• 1 F AU L EU. LrvJl. Chup. IIL II]
k flan auquel il prenait fes délices : ^/li atten*
ië qu'ils fjfent des unions juftes. Saint Profpcr
nous donne rexemple d'une Allégorie qui elî en-
core fort éloquente , lorfqu'il décrit les effets de
h Graice.
Ceji elle qui fuivantfin immuable loi,
Sme en l'e/prit ce grain dont doit naître la foi ^
Imî fait prendre racine , é^ par /es thuces fiâmes
îeàtpoujjer puijjamment fon grrme dam nos âmes.
, C^ ella qui d'enhaut veille pour le nourrir ,
Qwt le garde fans cejfe , & qui le fait meurir.
ï6eajêin que fyvraie^ ou les âpres épines
iPilêujfint en croijfant fesfemences divines \
QiCun vent de complaifance ^ unfoufle ambitieux
Nt renverfi l'épi qui monte vers les deux »
Su U torrent bourbeux des cbarnçlles délices
ttemtraine avec foi dans le torrent des vices :
Qu^un lâche amour de Vor ne lefecbe au dedans
fer tinvifible feu de fes defirs ardens\
Ou que i lorJqu*élevéfurJa tige fupei'be ^
liiédaigne de loin la baf[effe de Herbe ^
Un tourbillon d'orgueil t comme un foudre foudain»
Nf lui d§nne en /a chute une bonteujefin.
Prenez garde que dans TÂllegorie il faut fiuir com-
me l'on a commencé, & prendre toutes les Méta-
phores des mêmes chofes dont on a emprunté les
wcnrieres expreffions. Ce que vous voyez que Sainrc
Profper obferve exadement , prenant toutes ces
Meta^ores des chofes qui regardent les bleds.
Quand ces Allégories font obfcures, &qu onn'an-
perçoit pas d'abord le fens naturel des paroles ce
l'Auteur , elles peuvent être appcllées Enigmes \ ref-
le qu'eft celle-a. Le Poète décrit les agitations du
ftng pendant h fièvre.
Fi Ct
1^4 La RHBTORiQjjiy ou l'âht
Cefang chaud é^ bouillant 9 cette flâme liquide f.
Cette four ce de vie à ce coup homicide j
Enfin lit agité ne fi peut repofir y
Et confime le champ qu^elle doit arrofir»
Dans fis canaux troublez fi cour fi vagabonde
Porte un tribut mortel au Roi au petit monde.
Ce dernier Vers partioilierementeft fort Enigma
tiqué, & tout d'un coiip on ne découvre pas qu(
ce Roi eft le cœur qui eft le principe de la vie , pa
lequel tout le fang du corps pafle continuellement
Il faut faire reflexion fur ce qu'on ditquerhomm<
eft un petit monde.
LITOTE.
Litote ou diminution eft un Trope par Iequ«
on dit moins qu'on ne penfe, comme quant
on dit : Je ne fuis vous louer : laquelle expreffioi
eft la marque d'un reproche fecret. Je ne méprit^
()as vos préfins', au lieu de dire: Je les reçois vo
ontiers.
On peut rapporter à cette figure les manière
extraordinaires de repréfenter la baflefTe d'une cho
fe f comme le fait Ifaie en repréfcntant ce qu'd
le monde entier au regard de la grandeur de Dieu
diap. 40. Qui eft celui 9 dit-il » qui a mejuré k
gaux dans le creux de pi maim & qui la tenam
étendue » a pefé les deux ? Qui fiùtient dt tm
doigts toute la majje de la terre » qui pefi les mo»
tagnes ^ & rnet les collines dans la balance ? El
dans le même Chapitre ce Prophète parlant en»
core de la grandeur de Dieu : t\ft lui , dit-flj
qui s*ajjied (ur le globe de la terre , ^ qui \m
tous les hommes qu*elle renfirme comme des /autirti
Us l qui a Jufpendu les deux comme une toile f é
DE PAULIU. Liv.IL Chaf.III, 115
fui les étend comme un favtllon qu*on drejjefour s*y
retirer.
H y P E R^B 0 L E.
L*Hyperboîe eft^un Tropc quirepréfcntclcscho-
fes ou plus grandes , ou plus petites Qu'elles ne
font dans la vérité. On employé les Hyperboles
lorfque les termes ordinaires font ou trop foibles ,
ou trop forts; & qu'ils ne fe trouvent pas propor-
tionnez à nôtre idée: ainii craignant de ne pas afler
dire , on dit plus. Comme fi je veux exprimer la
^iteflc d'un excellent coureur; je dirai qu'il va p/us
rite que ie vent Si je parle d'une perfonne qui
marche avec une extrême lenteur ; je dirai qu'il
marche plus ientemant qu^une tortue. On peut dire
que ces expreffions font des menfonges ; mais ces
mcnfonges font fort innocens, puifqueleurfin c'eft
la vérité; comme le dit Seneque: Jn boc ornais by-
ptrbo/e extenefitur ut ad verum menrlncio ventât. Ces
Hyperboles , comme il paroît dans les exemples
que nous venons de propofer , font concevoir que
a vitefle de l'un eft bien grande , 5c que la lenteur
de l'autre eft extrême , puifque Ton dit du pie-
mier, qu'il \^ p/us vite que le vent\ & de l'autre,
qu'il marcbe plus lentement qu'une tortue. On pardonne
CCS excès; parce qu'en fe fervant de termes ordi-
.naircs, on ne diroit pas alTez , il etl à propos de
dire plus que moins. Conceditur ampli us dit ère , quia
dici quantum ejl , non poteji , meliufque ultra , quàni
àtraftat oratio. C'eft pourquoi Saint Jean n'a pas
ftit de difficulté de dire à la fin de fon Evangile :
y<p/»/ fi fait tant d^autres cbofes ^ que ft on Us raf^por'
fM en détail y je ne crois pas que le monde entier pût
wttenir les Livres qu'on en écrirait.
F 3 JRO'
Xi6 La Rhstoriqjue, ou l'A&t
IRONIE.
I
Ronic cft un Tropc par lequel on dit tout 1
contraire de ce que Ton penfe ; comme quan
on appelle komme de bien une perfonne dont L
vices font connus. Le ton de la voix avec leqi*
on prononce ordinairement les Ironies , & la quj
lité de la perfonne à qui on fait que le titre qu'o
lui donne ne convient pas , font connoîtrc la pei
fée de celui qui parle , comme lorfque le Proph<
te Elie difoit aux Prêtres de l'Idole de Baal, qi
invoquoient à haute voix cette Idole qui ne It
pouvoit entendre : Criez plus haut , car vùit
Dieu Baal parle peut - être à quelqu'un , ou il ej
en chemin 9 ou dans une Hôtellerie : il dort peut
être t é^ il a befoin qu*vn le réveille. L'effet d
rironie c'eft de faire faire attention à la baflcff
de celui qu'on veut faire méprifer , en lui don
nant des louanges , & difant des chofes qui ne lu
conviennent point , & ne font que préparer à fen
tir fa bafleffe. Ce feroit un menfonge que Tire
nie , fi le faux à fa faveur ne devenoit vrai,*di
un célèbre Auteur. C'eft elle qui a introduit o
que nous appelions, contre - vérité ^ & qui fait qa<
quand on dit d'une femme libertine &" fcanda-
leufe , que c'eft une très-honnête perfonne ; tou
le monde entend ce qu'on dit, ou plutôt cequ'oi
ne dit pas , intelligitur quod non dicitur. Les càit
\re'Veritez font ce que les anciens Rhéteurs nom-
moient Antipbrafe,
CATACHRESE.
CAtachrefe eft le Trope le plus libre de tous:
on prend la liberté d'emprunter le nom d'une
chofe toute contraire à celle qu'on veut fignificr,
ne
DI PAELIU. LivJI. Cbaf.IV. T17
ne le pouvant faire autrement; comme lorfqu* on
dit, u» cheval ferré tP argent. La Raifon rejette
.cette expreûîon ; mais u néceflité oblige de s'en
fervir. AUtr à cheval fur un bâton \ Equitareinarun*
âne longa. Un bâton n eil pas un cheval. Ces ex-
preffions enferment une contradidtion » mais s'en-
tend bien.
Voilà les efpeces de Tropes les plus confidera-
blcs; & c'eft à ces efpeces que les Maîtres rappor-
tent tous les Tropes dont on fe peut fer\'ir. Jen*ai
pas prétendu enfeigner la manière d'en trouver.
Outre que l'ufage en fournit un trcs-§rand nom-
bre , dans la chaleur du difcours , on lait fe fervir
de tout ce que l'imagination préfente : & comme
dans la palCon on ne manque jamais d'armes, par-
ce que la colère donne l'adrelTe de s'armer de
tout ce que l'on rencontre , Furor arma mintfirat ;
lorfque l'on a l'imagination échauffée , on fe
fcrt de tous les objets qui fe trouvent dans la
mémoire pour figniner ce que l'on veut dire. Il
n'y a rien dans la Nature que l'on n'applique à la
chofe dont on parle , 8c qui ne fourniffc des Tro-
pes au befoitt > lorfque les termes propres man-
quent.
Chapithe IV.
Les Trofes doivent être clairs»
C'E s T particulièrement dans les Tropes que con- n
fiftent les richeffes du langage. Auffi comme
le mauvais ufage des grandes richeffes caufe le de-
«glement des Etats; le mauvais ufage des Tropes
cft la fource de quantité de fautes que l'on commet
dans le difcours ; c'eft pourquoi il eft important de
le bien régler. Premièrement l'on ne doit employer
F 4 lc$
Ii8 La Rhetoriqui, ou l'Aut
les Tropes que pour exprimer ce qu'on n'auroit pu
lepréfenter qulmparfaitcment avec des termes or-
dinaires; & lorfque la néceflité oblige de s'en fer*»
VÎT, il faut qu'ils ayent ces deux qualitez; en pre-
mier lieu qu'ils foient clairs , & faflent entendre ce
qu'on veut dire, puifque l'on ne s'cnfert que pour
rendre le difcours plus expreffif. La féconde quali-
té , c'cft qu'ils foient proportionnez à l'idée qu'ilr
doivent reveiller.
Trois chofes empêchent les Tropes d'être clairs,
la première s'ils font tirez de trop loin , & pris
de chofes qui ne donnent pas occafion à l'ame de
penfer d'abord à ce qu'il faut qu'elle fe repréfente
pour découvrir la penfée de celui qui parle : com-
me fi on appelloit une maifon de débauche , les
;ijrrtes de la jeunefle , on ne pourroit pénétrer le
. fens de cette Métaphore , qu'après avoir rappelle
dans fa mémoire que les fyrtcs font des bahcs de
fable proche de l'Afrique fort dangereux , ce que
tout le monde ne fait pas ; au lieu qu'en nom-
mant cette maifon l'écueil de la jeunelTe , ce que ■
l'on a voulu fignifier, eft auflî-tôt apperçû. Il n'y a
perfonne qui ne comprenne d'abord ce qu'on a voulu
dire.
Pour éviter ce défaut , on doit tirer les Méta-
phores de chofes fenfibles qui foient fous les yeux,
& dont l'image par conféqucnt fe préfente d'elle-
même fans qu'on la cherche. l:.n voulant indi-
quer une perfonne, dont le nom ne m'eli: pas con-
nu , je me rendrois ridicule fi je me fervois de
certains fignes obfcurs qui ne donneroient aucu-
ne occafion facile à ceux qui m'écouteroient , defe
former une idée de cette perfonne. Mais ce défaut
que l'on évite avec tant de foin dans la converfation,
efl recherché comme une vertu par un trcs-grand
nombre d'Auteurs. Il y a des perfonnes qui pren-
nent plaifir à faire venir de loin toutes leurs Méta-
phores,
BS PAftLSH. Lh.II. Cbap. IV, îlp
phores , & qui les empruntent de chofes incon-
nues , pour faire paroître Içur érudition. S'ils par-
lent d'une Province , ils lui donnent par Syneato-
cbe le nom d'une de fes parties qui fera la moins
connue. Leurs Tropes viennent tous du fond de
TA fie , de T Afrique. Il faut pour les entendre fa-
voir le nom des plus petits villages , de toutes les
fontaines , de toutes les collines du pais dont ils
parlent. Ils ne nomment jamais une perfonne par
fon nom , mais par celui de l'ayeul de fes ayeuls,
ftifant une vaine montre des connoifTances qu'ilsont
de TAntiquité.
La Sageffe divine qui s^accommode à la capaci-
té des hommes , nous donne un exemple dans
les divines Ecritures de ce foin qu'on doit avoir de
fc fervir des chofes connues à ceux qu'on inftruit ,
ïorfqu'il eft queftion de leur faire comprendre
quelque chofe de difficile. Ceux qui ont Fcfprit
petit , & qui cependant ofent critiquer l'Ecritu-
re, condamnent les Métaphores & les Allégories
qui y font prifes des champs,. des pâturages, des
brebis , des chaudières & des marmites. Ils ne
prennent pas garde que les Ifraëlites étoient tous
bcrgen , & qu'ainfi il n'y avoit rien qui leur fût
flus connu que le ménage de la campagne. Les
•rêtres , à qui l'Ecriture s'adreflbit particulière-
ment , étoient perpétuellement occuper à tuer
des bêtes dans le Temple , à les écorcher , & à les
faire cuire dans les grandes cuifmes qui étoient
autour du Temple. Les Ecrivains facre'^ ne pou-
voient donc pas choifir des chofes dont les images
fc préfentafTent plus facilement à l'efprit des Ifraëli-
lites.
2. L'idée du Tropc doit être tellement liée avec
celle du nom propre , qu'elles fe fuivent , & qu*en
excitant l'une des deux , l'autre foit renouvelée.
Ce àéSxoX de liaifon ell; la féconde diofe qui rend
F s les
î3^ La Rbitorique, ou-l'Art
les Tropcs obfcurs» Cette liaifon eft ou nature
ou artificielle. J'appelk liaifon naturelle celle
fc trouve lorfque les chofes fignifiées par les no
propres , & par les Métaphoriques , ont un rap]
fi naturel , qu'elles fe reflemblent , & qu'elles
pendent les'unes des autres: comme quand on di;
aun homme , qu'il a les bras d'airain , pour diip'
que fes bras font forts: on peut appeller naturdfc'
la liaifon qui eft entre ce Trope & fon nom propre.
J'appelle liaifon artificielle celle qui a été faite pf^
rufagc. C'eft la coutume d'appcUer un Arabe ail
homme avec lequel on ne peut traiter: c'eilun to-
me ufité , la coutume qu'on a de s'en fervir dans
ce fens , fait que l'idée de ce mot Arabe, révcilk
celle d'un homme intraitable. Une liaifon artŒr
cielle eft plutôt apperçûe qu'une liaifon naturdlc»
parce que cette première ayant été établie par Fufir
ge , on y eft accoutumé.
3. L'ufage trop fréquent êit% Tropes eft la troi-
£éme chofe qui les rend obfcurs. Les Metapluh
jes les plus claires ne fignifient les chofes qu'indi-
redement. L'idée naturelle de ce que l'on n'cxr
frime que par Métaphore, ne fe préfente point i
efprit qu'après quelque reflexion; on s'ennuycdc
toutes ces reflexions, & l'on fouhaite que celui que
l'on écoute épargne la peine de deviner fes pcar
ïtts. Mais quand nous condamnons le trop fréquent
ufage des 'Tropes , nous parlons de ceux qui iû||t
extraordinaires. Il y en a qui ne font pas moai
ufitez que les termes naturels ; ainfi ils ne peuvent
jamais obfcurcir le difcours.
L'on ne doit jamais fe fervir d'exprefîions Mft*
taphoriques qui ne foient pas ordmaires , fans f
avoir préparé les Ledeurs. Un Tropc doit être
précédé de chofes qui les empêchent de prendre
le change ; & la fuite du difcours leur doit £ûce
connoître qu'il ne faut pas s'airêter à l'idée nattir
L
»t pAftLtK. Lfv.IL Ckâf.V. 131
KHe que préfentent les termes que Ton emi^yc.
A moins que d*être extravagant , ou de vouloir
pendre plaifîr à n*être pas entendu , c-n ne conti-
nue point depuis le commencement d'un dilcours
ou d'un livre jufqu*à la fin , dans de perpétuelles
Allégories. Nous ne pouvons connoure la pen*
tk d'un homme que lorfqu'il nous en donne ,
an moins quelquefois , des ugnes naturels , & qui
ne font point équivoques. Comment favons-nous
qu'une perfonne fe joue , & ne parle pas féneufe-
ment , finon parce que nous l'avons vu féricux
dans d'autres occafions? Comment diftingue-t-on
un bateleur qui fait le fou , d'avec un fou veri-
taUe ? N'eft-ce pas parce que l'on voit que ce
bâtdcur ne joué ce perfonnage que pendant un
peu de temps , & qu'un fou eft toujours fou?
Quand donc on prétend qu'un Auteur n'a ja-
mais exprimé fes penfées que par des Metapho-
les 9 on le juge capable d'une extravagance qui
eft prefque inouïe , à moins que quelque trait
de politique ne l'obligeât à obfcurcir fon dif-
cours.
Chapitre V.
Lu Trcpes Mvent être proportionnez à Pîdé^
qu'on veut donner. Cette idée doit être
ruifonnable.
T 'Usage des Tropes eft abfolument néceflai-
^rc, parce que , comme nous avons die, les
mots ordinaires ne fuflSlent pas toujours. Si je
veux donner l'idée d'un rocher dont la hauteur çft
extraordinaire ; ces termes grand , haut , élevé ,
^ fc donnent aux rochers d'une hauteur com-
mune y n'en feront qu'une peinture imparfaite :
F 6 " mais
131 La Rmïtorique , ou l'Aut
mais difant que ce rocher femble menacer le Ck
ridée du Ciel qui cft la chofe la plus élevée i
toute la Nature , l'idée de ce mot menacer , qi
convient à un homme qui efl au-deflus des ai
très , forme l'idée de la hauteur extraordinai:
que je ne pouvois exprimer d'une autre mani
re que par cette hyperbole. On dit plus , <
crainte de ne pas dire aflez. Mais il faut appo
ter beaucoup de tempérament dans ces exp«
fions, & prendre garde qu'il y ait toujours qu<
que proportion entre l'idée naturelle du fr
pc , & celle que l'on a deflein de donner ; a
trement ceux qui écoutent s'imaginent toute a^
tre chofe que ce que penfe l'Auteur. Si en pa
lant d'une vallée médiocrement profonde , onc
qu'elle va jufques aux Enfers 5 u en parlant d'i
rocher qui eft peu élevé , on dit qu'il t»ucke -
deux 5 qui ne croira pas que l'on parle d'ui
vallée d'une profondeur prodigieufe , & d'un r
cher d'une merveilleufe hauteur ? Il faut f
tout prendre garde que le Trope ne donne ui
idée toute contraire à celle qu'on veut donne
& que voulant faire pleurer , on ne fafle rire ,
la Métaphore dont on fe fert donnoit une idée i
dicule , comme celle-ci: M9rt§ Catonis Refpubli
cajlrata ejl*
Il y a mille moyens de tempérer les exj^c
fions hardies dont on eft quelquefois contraii
de fe fervir. On y peut apporter ces adoudff
mens : Pour ainfl dire î fi j'ofe me fervir de c
termes ; pour m' exprimer plus hardiment ; prév<
nant ainfi le Ledleur , lorfqu'on a foin de fa r
putation : car il eft évident que le mauvais uf
ge des Tropes eft une marque d'une imagin
. tion déréglée. Ces grandes expreffions font h
marques de nos jugemens & de nos paffion
Lorfque les objets nous paroiâent rares , &c qi
no
Mt PktiitIL. th.tl. Cbap.V. T33
nous les jugeons tels » foit pour leur bafleffe > fok
pour leur extrême grandeur, pour lors nous refTen-
tons des mouvemens d'eilime ou de mépris , de
haine ou d'amour , que nous exprimons par des
paroles proportionnées à nôtre jugement & à nô-
tre paffion. Si le jugement que nous avons formé
de ces objets eft donc mal fondé , û les fentimens
que nous en avons conçus font déraifonnablcf ,
nôtre difcours nous trahit , & découvre nôtre foi-
bleffe. Ainfi ce n'cft pas alfcz que les Tropes
foient proportionnez à nos idées ; mais il faut
que ces idées foicht juftes. Les hommes n'aiment
que les grandes choies ; c'eft pourquoi les Auteurs
2ui prennent pour fin & pour règle de leur art la
itisfeftion de leurs Lcdeurs , affeélent de n'em-
ployer que de grands mots , que de riches Méta-
phores, que des Hyperboles hardies; mais ils pa-
roifent ridicules à ceux qui favent juger. Les per-
(oDnes raifonnables ne peavent fouffrir qu'un hom-
me regarde d'un même œil les petites & les gran-
des chofes; que tout lui paroifle grand ; qu'il efti-
mc auffi-bien une bagatelle , que la chofe la plus
fcrieufe & la plus importante, & qu'il parle de tout
avec un ftile égal.
n faut néanmoins diftinguer fi c'eft dans la paf-
fion qu'il piirle ; car c'eft avec fujet que Plutarquc
l'a dit , que la paffion eft comme un nuage , au tra-
vers duquel leis chofes paroiflent plus grandes. Ainfi
les Hyperboles les plus hardies peuvent être prô-
portionées à l'idée de celui que la paffion fait par-
ler. Mais encore une fois , fon idée doit être rai-
fonnable ; c'eft pour cela qu'on ne peut excufcr
l'Hyperbole de l'Epigrammc fuivante de Martial
fur le Palais de Domitien : c'eft une flatterie dérai-
fonnable.
F 7 Quanél
\
134 L^ Rhitouxqjji, ou l'Ailt
^htanJl je vois ce Palais que tout le monde admire l
Loin de l^admirer . jefoupire
' De le voir ainfi limité.
Quoi l prèfcrire à mon Prince un lieu qui k rejfirre f
Une fi grande Majefté
A trop peu de toute la terre.
"'•rr
Chapitre VL
Utilité des Jropes,
X T Es Tropes font une peinture fenfible de la
i-'chofe dont on parle. Quand on appelle un
grand Capitaine un foudre de gutrre , l'image du
foudre reprelentefenfiblement la force avec laquel-
le ce Capitaine fubjugue des Provinces entières, la
yiteffe de les conquêtes > & le bruit de fa repiua-
tion &c de fes armes. Les hommes pour rordinai-
^'je ne font capables de comprendre que les chofes
qui entrent dans refprit par leslens. Pour leur fai-
re concevoir ce qui eft fpirituel , il fe faut fervir de
comparaifons fenlibles , qui font agréables , parce
qu'elles loulagent l'efpnt , & l'exemptent de TappU-
^tion qu'il faut avoir pour découvrir ce qui ne
.tombe pas fous les fens. Ç'eit pourq\)oi lies ex*-
preûlons Métaphoriques prifes des choies &nfiUês^
îbnt très-frequentes dans les faintes Ecritures. Lorf»
.que les Prophètes parlent de Dieu , ils fc fervent
continuellement de Métaphores tirées de chofes cx-
poiees à nos fens , comme nous l'avons déjà remar-
qué. Ils donnent à Dieu des bras , des mains , des
yeux , ils rju-mçnt de traits , de carreaux , de fou-
dres , pour fiiire comprendre au peuple fa puiflànr
ce invifible & fpirituelle par des chofes fenfibles &
corporelles. Saint AugulUn dit pour cette raifon,
SI PAUL su. Liv.ll. Cbaf.VL i^j
que la ûigeife de Dieu n*a pasxiédaigné de jouer en
quelque manière avec nous qui fômnies des cnfiins,
aux paraboles & aux iimilitude$. Sapiemia Dei qum
tum infantU nopra faraboHs & fimitttudinibus quo^
iunmuàQ ludere non dedignata ejl > Propbetas volm$
humano nwre de divinis loqui , ut btbetes bwninumamim
mi divina & cœlejiia, terrejîrium fimititudine inteiH"
gtrent.
Une feule Métaphore dit fouvent plus qu'un
long difcours. Quand on dit , par exemple , que
ks Jciences ont des recoins é^ des enfoncemens fort peu
utiles. Cette feule Métaphore renferme un l'ens que
plufieurs expreffions naturelles ne peuvent faire
comprendre d*une manière auflî feniible. Outre
cela par le moyen desTropes on peut diverfifier le
difcours. Parlant long-tems fur un même fujet,
pour ne pas ennuyer par une répétition trop fré-
quente des mêmes mots, il eft bon d'emprunter les
noms des chofcs qui ont de la liaifon avec celle
qu on traite , & de les fignifier ainfi par des Tro-
pes qui foumiflent le moyen de dire une même
chofe en mille manières différentes.
La plupart de ce qu on appelle expreffions
cfaoifies , tours élegans , ne font que des Meta-
Shores, desTropes, mais naturels, & fi clairs, que
îs roots propres ne le feroient pas davantage.
Auffi nôtre langue , qui aime la clarté & la naive>-
té j donne toute liberté de s'en fervir ; & on y eft
tellement accoutumé , qu'à peine les diftingue-t-on
des e:içpreirions propres , comme il paroit dans
<ïlles-d qu'on donne pour des expreflions choi-
fies : Il faut que la complaifance ète à la feverit^
ce qu'elle a d*amer \ & que la feverité donne quelquâ
éofe de piquant à la complaifance , &c. La fageâe
la plus amlere ne tient pas long-tems contre de
grandes l^rgeifes ; de les âmes vénales fe laiifent
ibleutr par l'édat de l'or. Les dépits déltint la
Jaiû-
I
136 La Rhétorique, ou l'Art
langue des amans. Ces Métaphores font un grand
ornement dans le difcours ; mais , comme je l'ai
dit , il faut en ufer avec retenue , autrement on
tombe en ce qu'on appelle difcours précieux , af-
feélé , qui ne confille que dans un mauvais ufage
des Tropes , comme dans cette expreffion d'une
précieufc ridicule , qui en parlant de ceux qui ont
du goût & du difcernement, difoit des gens qui fa*
vent Jarre un dbux accueil aux heautez d^un ouvrage ,
et par de chatouilîantes approbations vous régaler de
vôtre travail. C'eft le vice des petits génies , qui
yne fe pouvant diftinguer par des penfées nobles,
/^tâchent de le faire par des manières de parler ex-
traordinaires.
1 Chapitre VIL
Les pajftons ont un langage particulier. Les ex^
prejjkns qui font les car aéf ères des fajftons >
font appeliez figures.
OUtre ces expreffions propres & étrangères^
que l'ufage & l'art fourniffent pour être les
fignes des mouvemens de nôtre volonté auffi-bien
que de nos penfées , les palTions ont des caraderes
particuliers avec lefquels elles fe peignent elles-mê-
mes dans le difcours. Comme on lit fur le vifage
d*un homme ce qui fe pafle dans fon cœur; que le
feu de fes yeux , les rides de fon front , le change-
ment de couleur de fon vifage , font les marques
évidentes des mouvemens extraordmaires de fon
ame ; les tours particuliers de fon difcours , les ma-
nières de s'exprhner éloignées de celles que Ton
garde dans la tranquillité , font les fignes & les ca-
raélcres des agitations dont fon efprit cil ému dans
Iç tems qu'il parle.
Lef
DE PARLlR. LivJL Cbap. VIL 137
Les paffions font que Ton confîdere les chofet
(Tune autre manière que Ton ne hit dans le repos
& dans le calme dé lame : Elles groffiifent les ob-
jets, elles y attachent l'efprit ; ce qui fait qu'il en
til entièrement occupé, & aue ces objets font pref-
lae autant d'impreflion fur lui , que ïcs chofcs mè-
nes. Les paffions produifent louvent des effets
x)ntraires ; elles emportent Tamc , & la font paffcr
a un inftant par des changemens bien differens.
Tout Jun coup elles lui font quitter la confidera-
ion d un objet pour en voir un autre qu'elles lui
rcfcntent ; elles la précipitent ; elles 1 interrom-
pent ; elles la tournent ; en un mot , les paffions fônt
lans le cœur de Thomme ce que font les vents fur
amer, qui tantôt pouffent fes eaux vers le rivage,
antôt les font rentrer dans fon fein ; & prefquc
lans le même inftant' relèvent jufqu'au Ciel , &
'emblent la faire defcendre jufques au centre de la
erre.
Ainfi les paroles répondant à nos penfées , le
tours d'un homme qui eftémû ne peut être égal.
Quelquefois il eft diffus , & il fait ime peinture
exade des chofes qui font l'objet de fa paffion : il
tïtlamême chofe en cent façons différentes. Une
autre fois fon difcours eft coupé , les expreffions
en font tronquées ; cent chofes y font dites à la
fois : il eft entrecoupé d'interrogations , d'excla-
mations; il eft interrompu par de fréquentes di-
greflions ; il eft diyerfifié par une infinité de tours
particuliers , & de manières' de parler différentes.
Ces tours & ces manières de parler font auffi faci-
les à dirtinguer d'avec les façons de parler ordinai-
resf; que les traits d un vifagé irrité d'avec ceux d'un
vifage doux & tranquille.
On voit facilement dans le difcours de Didon
combien elle eft animée. Cette Reine parle à Enée
après qu'il lui a déclaré fa rcfolution de quitter
• ^^Car-
138 La Rhetoriqjje, ou l'Aet
Carthage , que les Dieux l'avoient obligé de pren-
dre. Un as nos Poètes la fait ainfi parler en
François, *
*
p Endant qu^il parle aînji 9 Didon de toutes parts
Jette conjupment inille incertains regards ,
Et Tans daigner jamais baijjer fur lui la vuèt
plk entrevoit pourtant Jon aine toute nu'éy
Mais ne voyant plus rien qui le put arrêter >
Le dépit en ces mots la force d^ éclater.
Non y cruel, tu n"* es point le fils eVui^e Déeffe ,
Tufùças en naijfant le lait d*une tjg'reffe:
Et Je Caucafe affreux f engendrant en couroux ^
Te fit Pâme & le\oeur plus durs que fes cailloux.
Car qu'haï -je à ménager , & quai je plus à crêith
drei
A quoi bon deguifer > & pourquoi me contrain-
dre ?
Mes plaintes > mes regrets , é* tout mon dêplaifir
Ont-ils pu de fon cœur an'acher un foupir l
Mes* ji eux noyez de pleurs pour toutes mes aUif'
mes
Ont' ils va de fesyeux couler les moindres larmes i
Et fin ame infenfible aux traits de la pitié
A -t- elle d^un regard flatté mon amitié î
Grands Dieux, pourrez-vous voir de la voûte été
lée
La foi fi lâchement à vos yeux violée t
Helas\ en qui peut- on s\ijjurer déformais f
Ah l qu'on fe fie à tort à la foi des bienfaits l
Qui Peut jamais penfé qu^un traitement fi rude
Eût payé mes faveurs de tant d^ingratitude ?
Ne tefouvient il plus , perfide 9 de ce jour
Que pâle & tout tremblant tu parus à ma Cour i
Qu*t
. ^ Boiletn , Contrôlcar d« rArg«nteiIe da ILoi » fiete
celui 9Hi « coiDpofé les Satyies*
dIi p AR L £&• Liv. IL Ckaf, VIL 139
Qu'incor tout effrayé dts horreurs du naufrage ^
Mb pitié mit ta flotte à l'abri de V or âge ;
h que me demandant fecours en ton maibeur^
Avteque ce fecours je te donnai mon cœur t
0 ciel î qui neferoit tranjforté de furie ^
Quand à Pimpieté joignant la raillerie ,
// veut pour colorer fan départ de ces lieuse
Rendre defon forfait coupables tous les Dieux \
Et i&jfque pour aider à couvrir Pimpofture
Il vient nous effrayer des ordres de Mercure f
Certes^ les Dieux là- haut fer oient bien de loifir
Si des fouets Ji bas aiteioient leur plaifir.
Bé bien , ingrat , bé bien , fuis donc ces vains Ont*
des.
fy confens de hn cœur , é» »> fais phts d*$bfta*
clef.
Va malgré les bjvers & tes lUcbes fermons '^
Expier ta fortune à la merci des vents,
hut-être que la mer ouvrant cent précipices 9
A ta punition offrira cent fupplices,
Akrs en vain , alors , fur la fin de tes jours
T» voudras appeller Didon à ton fecours,
des feux de mon bûcher j^ir ai juf qu'en Pabîme
Allumer dans ton cœur les remords de ton crime ^
h mon ombre par tout tefu'rvant pas à pas ,
Te montrera par tout ton crime & ton trépas i
Etjufques dans PEnfer faifant vix^re ma haine ^
Mon ame chez les morts jouira de ta peine.
Ces Tours qui font les caraâcrcs que les paf-
fions tracent dans le difcours , font ces figures cé-
lèbres dont parlent les Rhéteurs , & qu ils défi-
ûiflcnt des manières de parler éloignées de celles qui
fint naturelles & ordinaires : c*eft-à-dire différentes
de celles qu'on employé quand on parle fans émo-
tion. Cette définition n a rien d'obfcur , & qui
Mérite une plus longue explication. Nous allons
voir
T40 La Rhetoriqui, ou l*A&t '
voir Tavantage & la néccffité de Tufagc de ces fi-
gures.
Chapitre VIII.
Les figures font utiles et nécejf aires,
V
TRois raifons obligent particulièrement à s'en
fervir. Premièrement , quand on fait parler une
perfonne émue de quelque paffion , fi on veut fai-
re une peinture exade de cette pallion , on doit
.donner à fon difcours toutes les figures propres, &
le tourner en la manière qu'une perfonne animée
d'un mouvement femblable , figure & tourne fot
difcours. Les habiles Peintres , pour exprimer les
penfées & les mouvemens de ceux dont ils font le
portrait , donnent à leurs images tous les traits qui
ne manquent jamais de fuivre ces penfées , & ces
mouvemens , dont par confequent ils font les in-
dices.
Les paffions , comme nous avons dit , fe peignent
elles- mên«s dans les yeux & dans les paroles. Les
expreffions de la colère & de la gaieté ne peuvent
être femblables : ces paffions ont des caraéleres dif-
ferens. C'eft donc en vain qu'on prétend les rcpré-
fenter ou par des couleurs , ou par des paroles, S
l'on n'exprime dans la peinture & dans le difcouB
les traits & les figures par lefquelles elle'stfc diftin-
guent elles mêmes les unes des autres.
La fecpnde raifon elt encore plus forte pour
. prouver l'avantage & la neceffité de l'ufage des fi-
gures. On ne peut pas toucher les autres , fi on ne
paroît touché.
— Si vis meflere doîendum ejl
Primùm ipfi tibi.
La
Dl PA&L1&. L'rv.IL Châp.VIlI. 141
Les hommes ne peuvent remarquer que nous
imes touchez , s'ils n apperçoivent dans nos pa-
sles marques des émotions de nôtre ame. Ja-
is on ne concevra des fentimens de compaflion
ir une perfonne dont le vifage ell riant : il faut
»ir des yeux abbatus ou baignez de larmes pour
fer ce lentiment. Il faut parla mcme raifonque
lifcours porte les marques des paiTions que nous
entons » & que nous voulons communiquer à
X qui nous écoutent.
ues hommes font liez les uns avec les autres par
i merveilleufe fympathie , qui fait que n^turel-
aent ils fe communiquent leurs Mflions , com-
: nous lavons déjà obfervé. Nous nous revé-
ns des fentimens & des affeéHons de ceux avec
i nous vivons , à moins qu'il n'y ait quelque
iftade qui arrête le cours de la nature ; êc cela
fait , parce que nôtre corps cft tellement difpo-
, que la feule idée d'une perfonne en colère re-
uë nôtre fang , & nous donne quelque mouve-
cnt de colère. Une perfonne qui fait paroître de
triflefTe fur fon vifage , donne de la triftcflc ; fi
le donne quelque marque de joie , ceux qui s'en
jpcrçoivent prennent part à fa joie. C'eft un s
ret merveilleux de la fagefle de Dieu , aui nous a
it premièrement pour lui; & en fécond lieu , les
QS pour les autres* Car comme les pafHons font
pr l'ame pour rechercher le bien & éviter le mal ,
. nature par cette fympathie nous porte à com-
ittrc le mal qui attaque ceux avec qui nous vi-
ens, & à leur procurer le bien qu'ils fouhaitent.
^fi puifque nous ne parlons prefque jamais que "
•our communiquer nos affeétions auffi-bien que
los idées , il elt évident que pour rendre nôtre
lifcours efficace il faut le figurer ; c*eft-à-dîre qu'il
^feut donner les caraéteres de nos aflèébons,
lui fe communiquent » comme nous vtnbns de
te
i
141 La Rhitork^ue, ov l'Aet
le dire , à ceux qui nous entendent parler
qu'elles paroiflent. Outre cela , comme les r
vemens des paillons font toujours agréables, q^
ils font modérez, c*eft-à-dire, ou'ils ne font i
accompagnez de quelque grande douleur , o
me un ducours animé , qui remue lame , 6
infpire differens mouvemens. Un difcours
pouillé de toutes fortes de figures , eit firoj
bnguifiânt.
Une troifîéme raifon confîderablc prouve '.
lité des figures. Les animaux favent fe défei
& acquérir ou conferver par la force ce qui
cft utile. Ceux qui croyent que ce ne font
des machines , montrent ingenieufement comi
leur corps eft tellement organifé , que fans j
befoin d'im efprit qui les dirige , ils peuva
défendre , & combattre pour leur conferva
Nous-mêmes nous expérimentons que nosn
bres y fans la participation de l'ame , fe difp
en la manière qui eft. propre pour éviter les
res. Le corps prend des poftures propres à atta
& à fe défendre : les mains & les pieds s'expi
pour conferver la tête. Les pieds s'afferm
pour foûtcnir le corps & le rendre capable d
Mer aux ^IfQrts de nôtre adverfaire : Les b;
roidiffent pour firapper avec force : Tout te i
fe plie , fe courbe , fç ramalfe , foit pour é
les coups qu*on lui porte , foit pour fe p
lui-même fur fon ennemi , & le terraffer. '
cela fe fait naturellement , 3c prefque ùlùs au
réflexion.
Il ne faut pas s'imaginer que les figures de
torique foient feulement de certains tours qt
Rhéteurs ayent inventez pour orner le difc
Dievi n'a pas refufé à Famé ce qu'il a accord
corps. ; fi le corps fait fe tourner , & fe dilj
adroitcmiAt pour reppuâer les injures , l'ame
1>l PAKLEK. Lh.IL Cbap.JX. 143
iflî fe défendre : h nature ne l'a pas fait immo*
k lorfqu on Tattaque. Toutes les figures qu'elle
nployedans ledXcours quand elle eil émue, font
même effet que les polturcs dii corps ; i\ celles-
.font propres pour le défendre des attaques des
hofes corporelles , les figires du diUoiii-^; peuvent
aincre ou fléchir les ei'pnis. Les paroles foni le»
rmes rpirituelles de Tame , qu'elle cnipl;ivc pour
icrfuader ou pour diffuader. Je ferai voir reffica-
ité & la force de CCS figures dans ce combat, après
me j'aurai donné la définition de clucune en par-
iculicr. L'on ne peut pas maraucr toutes lespo.lu-
res que les paiïïons font prendre au corps. Il eft
wffi impofllible d'exprimer toutes les figures dont
un homme fe fert dans la paflîon pour tourner fou
difcours. Je parlerai feulement des plus remarqua-
bles , qui font celles dont les Maîtres de l'art trai-
tent ordinairement.
Chapitke IX.
Li/Ie desfguva.
P O u B. entrer dans une véritable connoiffance de
■^ toutes lès figures dont nous allons faire la
lifte , il fuffit de remarquer que ce font des tours
ou manières de parler que la paffion fait prendre ,
comme nous venons de le dire. Ces tours étant
diffcrcns , les Maîtres de l'art leur ont donné des
noms diflferens. Il ell peu important pour la pra-
tique de l'éloquence de favoir le nom de toutes ces
*ê""cs , comme il n eft pas nécelTairc pour bien
combattre que Ton fâche le nom de toutes les poftu*
tes qu'un corps adroit & bien exercé prend dans le
combat. Cependant con>me c'eft un langage ordi-
Wirc dans les Sciences , îl y a quelque ncccffité de
144 ^^ Rhétorique, ou l*A&t
ne pas ignorer ce que veulent dire tous ces noms ;
ainu l'on ne doit pas trouver mauvais ^ je m*arrêto
à les expliquer. Les reflexions que j'ajoute à çq .r
explications ne feront pas inutiles. ' ^
EXCLAMATION. /
T 'Exclamation doit être placée, à mo& -^
^^ avis , la première dans cette Me des toircs,, ^
' pnifque les pallions commencent par elle à le faire '.
paroitre dans le difcours. L'exclamation eft une
voix pouffée avec force. Lorfquc Tame vient à
être agitée de quelque violent mouvement , Ici \
efprits animaux courans par toutes les parties du
corps , entrent en abondance dans les mufdes auî
fe trouvent vers les conduits de la voix , & Icf '
font enfler ; ainfi ces conduits étant rétrécis ,. la
voix fort avec plus de vitefle & d'impetuofité aa
coup de la paflion dont celui qui parle di fi:appé.
Chaque flot qui s'élève dans l'ame eil fuivi du-
ne exclamation. Le difcours d'une perfonne paf-
fionnée ei^ plein d'exclamations femblables } He-
las\.ab\ mon Dieu l ê Ciel \ ê terre ! Il n'y a rien '
de fi naturel. Nous voyons qu'aufl[i-tôt qu un ani-
mal eft blefle , & qu'il foufïre , il fe met à crier,
comme fi la nature lui faifoit demander du tcr
cours.
DOUTE.
T E s mouvemens des pafllons ne font pas moins
^^ changeans & inconllans que les flots d'une mer
agitée: ainli ceux qui s'abandonnent à la violence
de leurs paflîons» font dans une perpétuelle inquié-
tude. Tantôt ils veulent , tantôt ils ne veulent pas.
Ils prennent un dcflcin , & puis ils le quittent ; ib
l'approuvent , & ils le rejettent prcfqu'cn même
tems. .
Bl PARIER. LivJL Ckaf. !X. 14c
:cms. En un mot , Tincondancc des mouvemen»
ie leur paffion pouflc leurs cfprits de difFerens cd-
icz. Elle les tient fufpendus dans une irréfolutioa
:ontinuclle, & fe joue d'eux comme les vents fe
jouent des vagues de la mer. La figure qui repré-
fentc dans le difcours ces irréfolutions , crtappellée
Doute, dont vous avez un bel exemple dans fa pein-
ture que fait Virgile des inquiétudes de Didon fur
ce quelle devoit faire quand elle fe vit abandonnée
par Enéc.
He/éfs l s*écrtM- t-elle au fort de fa mîfere ,
Qutl'frtjet déformais me refîe t il à faire f
cEr« les Rots mes voifins mon cœur humble é^ confus ■
IrS'i'il sUxfofèr au bazard d'un refus :
Eux dont f ai tant de fois avec tant dinfolence
Mifrîfî la recherche , é» bravé la fuijfance ?
Irai-je en fupp liante à la honte des miens y
ImpUrer la ùttié desfuferhes Trovens ? ,
Trop mveugte "Didon y puis^je après cette injure
Ni pas connaître encor cette race parjure f
Et comment mesfoûpîrs pourraient ils retenir
Ceuse de qui mes bien-faits n*ont pu rien obtenir ?
Ou bien irai je enfin jufqu'' au bout de la terre
Avec tous mes fu jets leur déclarer la guerre}
Mais comment voudroieni^ils à travers les dangers
Pouffiiivre ma vengeance en des bords étrangers^
Eux que leur intérêt f & que leur propre vie
Om à peine arrachez dufein de leur patrie F
Moxrons donc y puifqu^njin en Pétat oitjefitis
Le mort efl Pefpoirjeul qui refîe à mes ennuis»
On feint quelquefois de douter afin d'obliger
ceux ï qui Ton parle de confîderer les veritez aux-
quelles ils ne font point d'attention. C'eil ainfi
qu'Ifâïe , pour faire reflbuvenir les Ifraëlites de la
poteâion que Dieu leur avoit donnée , leur de-
14^ La RHETOKiQjaE, ou l'Aut
mande, chap.63. Où eft celui qui /es a tiret
Sa mer avec /es Pafteurs île fin trou[èau\ Où^
àti qui a mis au milieu (feux l'EJprit de fin Sai
Qui a pris Moifi far la main droite , et l'afiùfi
far le bras de Sa Aîajefié j qui a divifé lesnou
fvant eux pour s'acquérir un nom éterne/f Qui k
conduits dans le fond des abîmes comme un chç
qu*on mène dans une campagne fans qu*il fa£e.
faux pas*
E P A H 0 RTH 0 S E.. .
UN homme irrité ne fe contente jamais de #j(
qu'il a dit & de ce qu'il a fait; l'ardeur de Wj
mouvement le pouffe toujours plus loin: ainfi!é|^
.mots qu'il employé ne lui femblant point affez dinf;
ce qu'il fouhaite,il condamne fcs premières cxprefr''
fions y comme trop foibles , 8c corrige fondLTcoizrii^
y ajoutant des termes plus forts. " • -y-
Non, cruel f tu n*es point le fis d'une Déeffet
Tufuças en naiffant le lait iPune tygrefjei ^
Et le Caucafe affi'eux f engendrant en courroux ^ ^
Te fit Pâme & le cœur plus durs que fis cailloux.
Le nom de cette figure eft Grec, & fignific cor^
région,
C'eft une efpece d'Epanorthofe que ces paroi
au Fils de Dieu aux Juifs touchant Saint J^
Qu*êtes vous donc allé voir } Un Prophète} Oui'
je vous le dis , &plus que Prophète»
ELLIPSE.
UNe paffion violente ne permet jamais de dW
tout ce que l'on voudroit dire. La langue â
trop lente pour fuivre la viteffe defesmouvemcni
aiP
»'B 9AILL1&. Liv.IL Cèap.lX. 147
infi dans le difcours d'un homme que la colère
urne. Ton ne trouve qu'autant de mots que la lan-
K es a pu prononcer dans la promptitude de la
iffioa. Quand le mouvement de cette paflion eift
lerrompu» ou tourné d'un autre côté, la langue
il le fuit profère d'autres paroles qui n'ont plus
îfiaifon avec celles qui jprécedent. Dans Teren-
U ce père irrité contre ion fils, ne lui dit que ce
iot wmtum^ que le Tradudeur François a rendu
rareufement par ce mot le plus. Car la colère de
: père eft fi forte , qu'il n'achevé pas ce qu'il vou-
ftt d^e; que fon fils étoit le plus méchant de tous
s hommes. Omnium bominum peffimus. M//ipfe dit
i même chofe c^OmiJfion,
APOSIOPESE.
A Pofiopcfe eftuneefpeced'EUipfcoud'omiffion.
tVEUe le fait lorfque venant tout d'un coup à
changer de naffion » ou à la quitter entièrement ,
on coupe t^ement fon difcours j qu'à peine cetfx
cpn écoutent peuvent-ils deviner ce que l'on vou-
loit dire. Cette figure eil fort ordinaire dans les
menaces. Si je vous y ^c. Aîais t&cc.
Qups eg0, Sed motos prdftat eomponerefludus^
HVPERBATB.
1*Ifyperhau n'eil autre chofe que la tranfpofîtion
^ des penfées ou des paroles dans Tordre & la fuite
d'un difcours. Nous en avons parlé dans le premier
Livre comme d'une figure de Grammaire; mais
nous la devons regarder id comme une figure qui
jotte le caraélcre d'une paffîon forte & violente.
Etteffiftt comme le dit LiOngin» voyez tous ceux ^i
fi»t émus de colère, de frayeur ^ 1^ dépit ^ dejaloufie^
G z on
14^ La RRSTOKfQjJi, ou L'An.t
$u dt quelqu'aufre paffion que te fiiti car il y en a tm
que ton n^en Jait pas le membre » leur efirh eft ékn
une agitation continuelle. A peine ont-ils. formé m
dejfeint qu*ils en conçoivent auffi-tSt un autre. ^ et À
miiieu de celui- ci s*en propofant encore de nouvean^
êù il n*y a ni raifon , ni rapport y ils reviennent fia
vent à leur première réfolution. La pajjion en ctuff
€omme un vent léger et inconftant qui les entra^A
et les fait tourner fans ceffe de côté & d'autre:: m
tien que dans ce flux et ce reflux perpétuel defetA
mens oppofez ils changent à tous momens de penfteé
de langage ^ et ne gardent ni ordre t ni fuite 4W
leurs difcours* .l
PARALIPSE.
CEttc figure n'cft qu'une feinte que Ton fidt de
Touloir omettre ce que Ton dit , mais une feiuc
Gui efl naturelle. Quand on efl animé , les iM-
Ions fe préfentent en foule à TeTprir. Il defirenit
fc fervir de tdutes, mais il craint d'ennuyer, ou-
tre que Taétivité de fes agitations empêche au'iliN
s'arrête à toutes; ainfi il produit on foule les rd-
fons qu'il propofe , témoignant qu'il ne prétend
pas en parler , c'eft-à-dire , s'y arrêter autant de
tems qu'elles ledemanderoient, Je ne veux paspar*
ier 9 Meffteurs , du tort que m^a fait mon ennem»
y oublie volontiers ks in^uret que 'ffi reçues de lui^ft
ferme les yeux à tout ce qu'il machine contre moi. r9r
ralipfe m un mot Grec qui fignifîe OmiJJùm. Dy
en a un -bel ei^emple ds^nsTEpître aux Hébreux»
oti Saint Paul en faifant le dénombrement de ceux
dont la foi avoit été forte , après -en avoir nonuilé
pluiieurs , il ajoute ; Que dirai -je davantage} k
$ems me manquera fi je veux parler encore de Gedeên%
de Uarac, de Samfon » de Jqété , de David ^ de Sa^
tnuelt iat des Brojketet.
RB-
DZ rARLZR. Lh.IL Cbaf.IX. 149
R^E P ETIT I 0 î^.
Répétition eil une fi^e fort ordinaire dans
difcours de ceux qui parlent avecdialeur,
ji défirent avec paûion qu'on conçoive les
s qu'ils veulent fiure concevoir. Quand on
iz prifes avec fon ennemi » on ne fe contente
le lui £ûce une feule bleifure » on lui porte
:urs coups , & de crainte qu'un feul ne fafle
effet qu'on attend, on lui en donne plufienn.
i en parlant , fi Ton craint que les premières
les n'ayent pas été entendues, on les répète,
>ien on dit les mêmes chofes en différentes
[ères. La pafilon occupe refprit de ceux dont
s'eft rendue maîtrcfle. ÈUe imprime fortement
liofes qui l'ont fait naître dans l'ame ; ainfi il
lut pas s'étonner qu'en étant plein , on reparle
ent des chofes. La répétition fe fiiit en deux
ieres , ou en répétant les mêmes mots , ou en
tant les mêmes chofes en differens termes. Ces
\ de David , où 0 parle de Taffurance qu'il a
i les promeifes que Dieu lui a faites de le (ecou-
fcrviron^d'exemple de la première efpecc de
titioiL
€s htx dejon amour font des hîx éumtllis :
fMTx dans mon maJbeur je Paurai pour appui :
}oursfin bras puijjant variera mes quereUesi
ifirs toujours ce qu*il m"^ aujouribu'u
our exemple de la féconde efpece , j'ai choifi
beaux Vers de Saint Profper , dans lefqucls il
ime en différentes manières cette feule vérité ,
nous ne fàifons aucun bien que par le fecours
; Grâce divine.
G 3 Grand
ï$o La Rhetoriqjje, ou l'A&t
Grand Dieu » quoi que foppofi une erreur temt
raire 5
Si Pbommefait le bien, Toifeul le lui fais faire i
Ton effrit pénétrant dans les replis du cœur ..
Pouffe la, volonté vers fin divin Moteur • ..(
Ta ponté nous donnant ce que tu nous demandes ^ «-
Pour accomplir nos vœux forme encor nos demandes» \
Tu conferves tes dons par ton puijfani feeours ^
Tu fais notre mérite -, et Paugmentes toujours'.
Et dans ce dernier prix qui tout autre furpaffe ^
Couronnant nos travaux > tu couronnes ta Grâce*
£n répétant les mêmes paroles , on les peut £t
pofer avec tant d'art , que fe répondant les unei
aux autres » elles fisiflent une cadence agréable aux
oreilles. Je referre à parler dans le Livre fuivant
de ces répétitions » qu*on peut nommer des répéti-
tions harmonieufes.
PAROÎ^OMASE.
C*£ft une répétition du même nom , mail
après y ^voir fait quelque, changement , fait
en ajoutant , foit en retranchant, ftf'exemple fui-
vant eft une Paronomafe très-belle & très-vive. El-
le eft tirée de Ciceron. Après avoir dit à Céfar;
Vous avez déjà vaincu tous les autres vainqueurs par
votre éfuité & par votre clémence 9 mais vous vous
êtes aujourd'hui vaincu vous-même: il ajoute: Vxu
avez 9 ce femble,t vaincu la viéloire même^ en rmie^
tant aux vaincus ce qu'elle vous avait fait remporter
fur eux : car votre clémence nous a tous fauvez 9 non
que vous aidiez droit y comme v/élorieux , de faire pe^
rir. Vous êtes donc le feul invincible % par qui la
viéloire même , toute fiere & toute violente qu'elle j/f
de fa nature , a été vaincue,
PLEO-
DE PARLER. L'tV.lL Cbdf. IX. 25X
PLEONjtSME.
lonaûne , c'eft quahd on dit plus qu'il n'ctoit
cci&ire , comme quand on dit : Je rai emen-
mes oreille}. Ce mot vient d'un verbe Grec
piifie furnhonder. Or il ne £iut pas que ce
ajoute foit entièrement faperflu. Un Pleo-
qui ne feroit pas une plus grande impreflîon,
n^eil pas néceifaire d*en fau-e une plus gran-
videux: ainû dans ce diTcours : ,, Comme ie
Auteur , il faut que je réponde en homme
métier; c'ell-à-dire que j'examine fclon les
les que nous ont donné nos Maîtres ; fans
\ on ne me dillingueroit pas du commun peu-
L'Auteur des Réflexions fur Tclcgance &
LtelTe du ililc, remarque fort bien que com-
:n cet endroit eil unPleonafme inutile, puis-
fuple tout court fait le même effet que ctun*
fupU.
rfquc ce que l'on ajoute dit plus , & qu'on
: comme par dcgrez , cela fait une figure que
on appelle C/imax , tantôt Auxeje , qui font
lots Grecs. Le premier iignifie gradation »
ion qui fe fait de degré en degré. Le fécond
•M/M».
SYl^OSTME.
lonymey c'eft quand on exprime une même
ofe par pluûeurs paroles qui n'ont qu'une mê-
piification: ce qui arrive quand la oouchene
Qt pas au cœur , on fe fert de tous les noms
fait pour exprimer ce que l'on penfe. Abiit,
, erufiti U s* en eji alié^ il a fris la fuite\ i)
èappé.
Synonymes font comme autant de coups
G 4 de
"151 LAllHKToiijttvï, o» t'AmT
de pinceau. Mais ouand ils font inutiles ils font
vicieux , comme le fécond pinceau ne fait que ^
ter ce qui eft fini. Auffi pn critique ce vers :
Fuîr i*un fi grand fardeau la charge trofpefana.
Parce qu'il n'y a pas de différence tvAxt fardeau tfi
charge. Si ces fortes de Synonymes font vicieioc»,
il faut condamner ce grana nombre d'épithetesiwh
tiles dont les mauvais Orateurs chargent leurs dif-
cours; comme font ces épithetes: V éclatant emkar*
ras des plus fuperbes équipages. Le pompeux fracât
de ces grands divertiflemens.
HYPOTYPOSE.
T Es objets de nos paffions font prefque toûjoiut
•*^ préfens à Tefprit. Nous croyons voir & enten-
dre ceux à qui l'amour nous attache.
— • Illum ahfens abfentem audttque vîdetqtte.
Nous penfons auffi fortement à ceux que nom
croyons nous vouloir nuire.
fe les vois, je les vois s'' apprêter au carnage ^
Comme des lions rugijjfans^ é^c.
Ceft pourquoi toutes les defcriptions que Ton fiât
de ces objets font vives & exades , comme cette
que fait Orefle dans Euripide, des furies de TEnfer
qu'il aaint.
Mère cruelle 9 arrête , éloigne de mes yeux
Ces files de l'Enfer y ces Jpeéjlres odieux.
Ils viennent , je les vois : mon Juppiice s'apprête 9
Mille horribles ferpens leur fifflentfur la tète.
Ces
oi PA&tim. LhJL Chtp. IX. 1^3
Ces defcriptions ^uî font fi vives» fc dîftinguent
des defcriptions ordinaires. Elles font appellécshy*»
potypofes, parce quelles figurent les chofes y de en
forment une image qui tient lieu des chofes mêmes;
c'eft ce que fignifie ce nom Grec Hjpoiypo/è. Da-
vid parlant du fecours que Dieu lui devoir donner
contre fes ennemis » & que fa foi & fon efperance
tû rendoient préfent , if s'explique , comme fi fes
amemis étoient déjà abatus à fes pieds.
Tu nCentens, ks voilà qut tombent
, « Ces hommes pleins tf iniquité :
Tu confonds leur témérité ^
ïi tM^ré leur orgueil fous ta main ils fuccomkent,
DESCRIPTION.
T "Hypotypofe efl une efpece d'enthoufiafme qui
fait qu'on s'imagine voir ce qui n'ell point pré-
fent, & qu'on le repréfcnte fi vivement devant les
yeux de ceux qui écoutent , qu'il leur femble voir
ce qu'on leur dit. La defcription eft une figu-
re aflez femblable , mais qui n'eft pas fi vive.
Elle parle des chofes abfentes comme abfenies,
cependant eQe le fait d'une manière qui fait une
grande imprefljon , comme il paroît dans cette
dcfcriptioii qu'ifaïe fait d'une Nation que Dieu de-
yoit appeller pour punir les Juifs de leur rébel-
lion. Ce Prophète parle ainfi , chap. 5. Dieu elle*
verê fin étendard pour Jervir de fignal à un peuple
trh éloigné', il l'appellera d'un coupdefiflet des extre^
mitez de la terre , & il accourera aujji tôt avec une
vitejde prodigieufi. Il ne fentira ni la iajfitude ni le
travail i il ne dot mira ni ne fommeil'era point j Une
quittera jamais le baudrier dont il efl ceint , et un
ftul cordon de fes fouHers ne fe rompra dans fa maW"
tbc. Toutes fes flèches ont une pointe perdante » é*
G 5 'Ma
I$4 La Rhitorxqjje, ou l'Art
Uns fis arcs font toujours bandez. La corne du pie
de fis cbex*aux ejî dure comme les cailloux , et L
roué de [es chariots ejl rapide comme la tempête, l
rugira comme un lion , il pouffera des burlemens terri
hles comme les lionceaux. Il frémira » il fi jettera fut
fitproyet & il remportera fans que perfinne lak
puiffe ôter.
''oilà Texemple d'une defcription fort vive àqu
on pourroit donner le. nom à*hypotjpofi. Ceftk
Soleil qui décrit à Phaëton la route qu'A dcvor
tenir.
Aufjltùt devant toi s* offriront fept étoiUs:
Vreffe parJà ta cour [è y et fitis le droit chemin»
Phaéton à ces mots prend les rênes en main :
De fes chevaux aîlez il bat Jes flancs agiles.
Les courjiers du Soleil à fa voix fint dociles.
Ils vont ; le char s* éloigne y & plus prompt p^m
éclair 9
Pénètre en un moment les vafles champs de Pair*
Le père cependant plein d*un trouble funefte^
Le voit rouler de loinfisr la plaine celrfie%
Lui montre encorfa route • et du plus haut des deux
Le fuit autant qu'il peut de la voix & des yeux.
Va par-là y lui dit- il ^ reviens i détourne: arrête.
Ne diriei-vous pas, dit Longin, quel'amed
Poëte monte fur le char avec Phaëton; qu'elle pu
tage tous fes périls, &c qu'elle vole dansFairaveclc
chevaux? Car s'il ne les fuivoit pas dans les Cicux
s'il n'affiftoitàtoutcequis'ypaffe, pourroit-ilpeia
dre la chofe comme il le fait.
DISTRIBUTION.
LA Difbibutîon cil encore une efpcce d'Hypc
typofe; Ton s'en fert lorfque l'on fait un d<
noB
0E PAmiim. Lh.Il. CbéÊp,lXL 155
flombrement des parties de l'objet de fa paffion.
David nous en fournit un exemple, lorfquedansle
mouvement de fon indignation contre les pécheurs ,
ilfiût une vive peinture de leur iniquité. Leurg9^
ftr. eft comme un fepuicre ouvert , ils fefonifervis di
Itur langue pour tromper avec adrtjfe , ils ont fur
iatrs lèvres un venin d*afpic , leur bouche eH remplie
àma/ediéfion & d'aigreur , leurs pieds font vîtes &
h^rs pour répandre UJang.
Voici un exemple rort animé tiré de Saint PauL
fii été battu de verges par trois fois: j'ai été lapidé
une fois y jai fait naufrage trois fois y fai pajjé un
J9ur & une nuit au fond de la mer \ fui été jouvent
étns les voyages 9 dans les périls fur les fleuves , dans
ks périls des voleurs % dans les périls de la partdeeeUx
ée ma Nation > dans les périls de la part des Pajens t
iins les périls au milieu des villes ^ dans les périls au
uilîeu des deferts » dans la peiilsjur la mer^ dans le$
ftrils entre les faux frères y &c.
ANTITHESES^ 0U OPPOSITIONS.
T Es Antithcfes ou oppoiîtions, les comparai-
fons , les fimilitudes qui font des figures pro-
pres à repréfenter les chofes avec dartc , Ibnt les
effets de cette forte impreffion que fait fur nous
l'objet de la paffîon qui nous anime ; & dont par
conléquent il eft facile de parler clairement 6c
Qttâement, rayant préfent devant les yeux de l'a-
inc. On fait que les chofes oppofées fe font ap-
pcrccvoirles unes les autres: la blancheur éclate au^
près de la noirceur. Voici un exemple d'une An-
tithefe aue Je tire de Saint Trofper , qui dit, en
pwUnt de ceux qui agiffent fans être pouffez par le
Saint Efprit :
G 6 Leur
Ij;6 La Rhbtoiiiqj7S, ou l'Art
LeMT ami en cet état recule en s" avançant ,
En veuUmt monter tombe • ëv* perd en amajpin
Comme eUefuit P attrait ePune lueur trompeufe,
Sa lumière reffufque ^ & la rend tenebreufe.
Ce paflage du Chapitre troiiîémc d*Ifaï<
▼ous allcx Hrc , contient de fort belles Anti
Parce que les files de S ion je font élevées , qu\
marché la tête haute en faifnnt des fignes des y
des gefles des mains ^qu* elles ont me/ùré tousleu
A* étudié toutes leurs démarches , le Seigneur
chauve la tête des files de Ston , éf il arrache
leurs cheveux. En ce jour- là le Seigneur leu
ieurs chaujfures magnifiques ^ leurs croijjans d^Oi
celliers , leurs filets de perle , leurs brajfelefi
co^es , leurs rubans de cheveux , leurs jarr^
leurs chaînes d^or , leurs beetes de parfum , leu
dans d'oreilles y leurs bagues ^ les pierreries q
pendent fur le front. ^ leurs robes magnifiques
efcharpes% leurs beaux linges y leurs poinçons
mans t leurs miroirs, leurs chemijes de grant
leurs bandeaux , é^ leurs habillcmens légers a
ehaud de Pété. Et leur parfum fera changé et
teur 5 leur ceinture d'or en une coide ; leurs i
frijex, en une tête nue &fans cheveux » & lem
corps de iuppe en un cilice.
Le Sonnet fameux de l'Avorton contient
belles Antithefes ou oppofitions. Une fÛleei
pour fauver fon honneur fit mourir fon fru
lonfein. Le Poëte parle. On fait parler cett
cet Avorton :
Toi qui meurs avant que de naître ,
AJJemblage confus de Pêtre & du néants
' Trtfle Avorton , informe enfant^
Rebut du néant & de Pêtre*
Toi que tAmwrft par un crime ».
Et que tHmmur défait par vn crime à fan ieitr ,
Funefte ouvrage de. P Amour y
De PHonneur funejfe viSime^
Laiffe-moi cakner mon ennui ^
Et du fond du néant où tu rentre aujourdkni ,
Nt trouble poini Pbarreur dont ma faute efi fuivie.
Deux tyrans oppofez ont décidé ton fort :
V Amour malgré PHonneur te fait donner Ut vie,
UEonneur malgré P Amour te fait donner la mare.
• Je ne voudroîs pas foutcnir que ce Sonnet foit
également beau en toutes fes penfées , & à couvert
d'une critique raifonnable.
SIMILITUDE.
POur la Similitude , je ne puis choifîr un plus
bel exemple que celui que je rencontre dans la
Paraphrafe qu'a faite Monlieur Godcau du premier
des Pfeaumes de David; où il cft parlé du bon-heur
des Juftes.
Comme fur le bord des ruifjeaux
Vn grand arbre planté des mains de la Nature y
Malgré le cbaud brûlant conferve fa verdure f
Et éf fruit tous les ans enrichit fes rameaux:
Ainfi cet homme heureux fleurira dans le mondes
Il ne trouvera rien qui trouble fes plaifirs i
Et qui confîamment ne réponde
A fes nobles projets > à fes juftes defirs.
COMPARAISON.
IL n*y a pas grande différence entre la fimilitude
&la comparaifon , fi ce n'efl que celle-ci eft
plus animée » comme il paroit dans cette comp^*
G 7 rai-
1^8 La R^bt^ki^ve, ou l'Ajl,t
raifon où David fait connoître qu'il préfère IcsLoix
de Dieu à toutes chofes.
Vor me paraît moins defirable
Que/es divins Cêmmandemens :
Pour moi les riches diamans
N^onP rien qui leurfoit eomparabk i
Et le miel le plus deux efifans douceur pour moi
Auprès déjà divine Loi*
Voici plufîeurs exemples dé cette figure tirez
d'Iûiïe; on..ne peut rien voir de plus animé, ch. i.
Le bœuf connoU celui à qui il eft ^ & l'âne Pejîa*
ble de fin maître \ mais Ifrael ne nia point con*
nu y é^ mon peuple a été fans entendement. £t
dans le chap. lo.- ce Prcphetç reprime Tinfolence
de ceux qui s'élèvent contre Dieu même , à cau-
fe de la puifTance qu'il leur a donnée pour châtier
fon peuple. La coignée fi glorifie-t^elle contre celui
qui s*en fert ? La fiie fe fiuleve t'cUe contre la
main qui remployé f C^ejl comme fi la verge s^éle»
voit contre celui qui la levé i & fi le bâton fe glo*
rifioit , quoique ce ne fioit que du bois, £t chap. 45.
Malheur à Pbomme qui dijpute contre celui qui Pa
créé , lui qui n'efi qu'un peu d'argile , à* qtCun vafe de
terre. Vargile dit-elle au Potier', Qtiavez-vousfait}
Remarquez deux chofes dans les comparaifons;
La première , que Ton ne doit pas rechercher un
^'rapport exad entre toutes les parties d'une compa-
raifon & le fujet dont on parle. On y fait entrer
de certaines chofes qui n'y font placées que pour
rendre ces comparaifons plus vives, comme dans la
comparaifon que Virgile fait de ce jeune Ligurien
vaincu par Camille, avec une Colombe qui eft en-
tre les ferres d'un Epervier :• après avoir dit ce qui
cft de principal , & fur quoi tombe la comparaifon »
il ajoute t
Tum
»1 rÀAtxm. Liv.IL Cbêf.ïX. 159^
Tm crut ^ & vu^d Muntur ah dtbm plumet.
Dji'étoit pas néccffaircdçdirc qu'on voit le fanj
qui coule 9 & les plumes ^ui tombent, cela n'cA
point de la comparaifon » èc ne fert qu'à faire une
peinture fenfible d'une Colombe qui e(l déchirée
parunEpcrvicr. Je fais la féconde remarque en fa-
veur de cet admirablePoëte, pour le défendre con-
tre la critique de ceux oui condamnent Tes compa-
nifons comme étant bafies. Mais c'ell avec bien de
Fatt que dans fonËneïde il tire fescomparaifonsde
diofes fimplcs : il veut délafler l'efprit de fon' Lec-
teur, que la grandeur & la dignité de fa matière
avoit tenu dans une trop forte application. Et pour
reconnaître qu'il a eu ce deffein , on n'a qu'à con-
fiderer lescomparaifonsdefesGeorgiques, qui font
aa contraire grandes & relevées.
SUSPENSION.
T Orfqu'on commence un difcours de telle-fortc
que l'Auditeur ne fait pas ce que doit dire celui
qui parle , & que l'attente de quelque diofc de grand
le rend attentif, cette figure efl appellée Sufpenfion.
£11 void une de Brebœuf dans fcs Entretiens Soli*
taires. 11 parle à Dieu.
Les Mtbres et ia nuit i h clarté du jour ^
Us tranfforts de la rage aux deuceurs de Pamour »
A retraite amitié la dï/corde ou l'envie i
la fins bruïant orage au calme le plus doux :
la douleur au plaifir « le trépas à la vie
SêHt bien moins oppofez que k pécheur à vous.
Autre exemple. L'oùl n'*a point vu , Poreilli
^tk Paint cntwdu '^ & le cœur de l'homme n'a ja»
mais
l6o La Rhstohiqjje^ ou l'â&t
mais conçu ce que Dieu a fréfaré pour ceux fui fat*
ment.
PROSOPOPEE.
QUand une paflîon cft violente , elle tend in-
fcnfei en quelque façon ceux qu'elle poflc-
de ; pour lors on s'entretient avec les morts &
avec les rochers , comme avec des perfonnes vi-
vantes : on les fait parler comme s'ils étoient ani-
mex. C'eft de là que cette figure s'appelle Prefr
Mée f parce qu'on £iit une perfonne de ce qui
n en efl pas une : Comme dans l'exemple fuivant »
où un Etranger ayant été accufé d'homicide» par-
ce qu'on le trouva feul enterrant im homme mort.
ce ^ue la charité lui avoit fait faire : Jufte Dieu^
dit-il , prote fleur des innocenst permettez que Nrdre
de la nature foit troublé pour un moment % & que
ee cadavre déliant fa langue , reprenne tufage de
la voix» Il me femhle que Dieu accorde ce miracle
à mes prières : Ne rentendez vous pas , Mejpeurst
comme il publie mon innocence , & déclare les au*
teurs de fa mort ? Si c'eft un jujle rejjentiment > dit-
il 9 contre celui qui m'a mis dans le tombeau , qui vous
anime , tournez» vôtre colère contre ce calomniateur
qui triomphe maintenant dans une entière ajfuran»
ce » après avoir chargé cet innocent du poids dé feiu
erime.
Quintilîen dit que cette figure doit fe faire avec
beaucoup d'art , & qu'il faut qu'elle touche beau-
coup , ou qu'on en foit extrêmement rebuté :
Magna quadam vis eloquentia depderatur. Fa^a
enim et incredibilia naturâ neceffe efl , aut magis mth
veant , quia fupra vera funt , out pro vanis acei*
fiantur quia vera non Junt, Ce Maître des Ora-
teurs dit qu'il faut adoucir cette figure , comme
le Eût Ciceron dans cet exemple. Etenim fi mecum
patrie.
^B PAULBt. Lh.IL Chêtp.IX. 161
ftiriê i qu£ miki vità nuâ muhl eft cbarÎ9r » Ji ctm&m
liêBa 9 / 9nmu ELtJfuhRc» fie loquatur , M* DM^
pùfégrs ?
La figure que fon appelle en LiûnfirmodmMiici
c'eft-à-dire dia/êgue » entretien » eft une efpece de
Profopopée. L'Orateur feint de fe taire pour ftire
parler celui qui eft le fujetde fondifcours. Envoi-
là un riche exemple : ce font des vers que Patris
compofa peu de jours avant ùl mort.
Ji/ingeeis eeite nuit que de maleenjumé ^
Cite à cête tTun fauvre on m'avait inhumé t
Et que n*tn pouvant pasfifuffrir le voifinage^
En mort de qunfité je lui tins ce langage :
^ire toit coquin % va pourrir /ain alci :
a ne ^appartient pas de m* approcher ainfi,
Ctf>/ff ^ce me dit- Ht d^une arrogance extrême ;
Ve àercoir tes coquins ailleurs > coquin toi- même*
id t$usfent égaux > je ne te dois plus rien :
Jfjuisfir mon fumier comme toi fur le tien»
SENTENCE.
L'Es Sentences ne font que des réflexions que l'on
^ hit fur une chofe qui furprend , 8c qui mérite
d'ôrc confiderée. Une fentencc fc fait en peu de
pMolcs, qui font énergiques, &qui renferment un
pandfens; comme eft celle-ci : llny a point de
Îuifmont qui puiffe lofig-tems cacher Pnmour ok il
, ni le feindre oà il n'*efi pas.
On peut mettre au nombre des fentenccs toutes
ccsexpreflSons ingenieufcs, qui renferment en peu
de paroles de grands fens , ou qui difent plus de
chofcs que de paroles. Néanmoins leur prix ne
confifte pas tant dans les chofès que dans le tour des
pwolcs, ou Tart avec lequel on peut avec peu de
pvolesdire beaucoup. U y a des fentences dont le
fens
'tel La Rhstorxojvs, ou l'Art
fens fait la beauté ; n'importe yxe ce fens foit ex-
primé avec étendue. La réflexion. <}\ie Lucain fait
fur rcrrcur des andens Gaulois ; qmaoyoient que
les âmes ,ne foitoient. d'un corps que pour rentrer
dans^ autre ^ fejvirâ d'exemple d'une efpece de
fentence qui eft plus étendue.
Odieux, mentongeX agréable impojîureX
Lajrayeur de la mort 9 des frayeurs la plus dure^
N^a jamais faii piltr ces fieres Nations
Qui trouvent leur repas dans leurs illufions.
De là naît'dans leur cœur cette bouillante envie
V^ajfronter une mort qui donne uno autre vie 9
De braver les périls > de cffercber les combats
Ot^ l'on Je voit renaître au milieu du trépas.
EPIPHONEME.
EPiphonême eft ime exclamation qtii contient
quelque fentence ou quelque grand fens que
Ton place à la fin d'un difcours : c'eft comme le
dernier coup dont on veut frapper les Auditeurs,
& une reflexion vive & prcflante fur le fujet dont
on parle. Cet Hemifliche de Virgile eft un Ept-
phonème.
y'
Tantane animis ccelejlibus ira ?
Lucain finit par une efpece d'Epiphoncme cette
plainte qu'il fait faire aux habitans de Rimini coor
tre la fituation de leur ville » qui étoit expofée aux
premiers mouvemens de toutes les guerres civiles
& étrangères.
Et Rome n a jamais vu tûftner de tempêtes »
Que Ifur premitr tokt fiait Jondu fur nos têtes*
/N-
BB FARLE&. lÀV.IL Chef. IX. 16}
INTERROGATION.
T Intcrrogatioii règne preique par tout dans un
JudMcom figuré. La. paflion porte continua»
lemerit vers ceux que Ton veut pcrfuader , & fidt
qu'on leur adreffe tout ce que Ton dit. Auffi cette '
%ure eft merveiUeufemcnt utile pour appliquer les
Auditeurs à ce qu'on veut qu'ils entendent. Voici
l'exemple d'une interrogation très -animée; c'eft
David qui fe plaint à Dieu dans le neuvième l'fcau-
me, de ce qu'il femble avoir abandonné les inno^
cens affligez.
Quoi ? Seigneur , eft-ce awfi que tu veux féhîgntr
Du Jufte en fa mifere'i
Efi'ce ainf que tu veux d*un Sauveur it d^tm
Père
Les tendres Joins lut témoigner ?
Il gémit Jbus le faix de fis vives douleurs l
Son ennui le confume >
Tendis que le méchant plus fer que de coutume^
Rit & triomphe defesfieurSé
Ceft par une figure femblable que Jésus-
C H K I s T fait faire attention aux Juifs qu'il eft
le Meffie f puifque Jean Baptille , qu'ils avoient
r^édé comme l'Ange du Seigneur , le leur avoit
dédaré. C'étoit un fait auquel il étoit important
que les Juifis fiffent attention ; car en leur fatfant
confiderer que Jean étoit le Précurfcur , il letûr
Mbit appercevoir qu'il étoit le Meffie , fuivant le
témoignage que Jean lui avoit rendu. Ceft pour
cela, dis -je, que Jefus-Chrift employé cette figure
qui eft fi propre pour rendre un efprit attentif à la
vérité qu'on hû veut faire ientir. Qu*êtes^ous éill^
chor*
t64 La Rbstokiqjjb» du l*Art
dfircber dans le dejert ? Un rofeau agUé du vent t
Qu^êSes VMS • iSs'je , allé voir ? un bommi vêtu avec
luxe ^ avec moUejfe ? Vous favez que ceux qui s^ba*
kilient de cette forte 9 font dans les matfint des Rois*
Qu'êtes vous donc allé voir 1 Un Propbete ? Oui cer»
tes je vous le dis ^ if plus que Propbete i car €*e/i de
lui qu'il a été écrit : Renvoyé devant vous num Ange
qui vous préparera la voye. Naturellement quand
on parle avec chaleur » dans l'envie qu'on a de per-
fuaaër & d*étre écouté , on agit de la main auffi-
bien que de la voix , & on tire celui à qui on parle
par fes habits ; on lui frappe le bras ann qu'il foit
attentif. Ceft là Tefifet de l'interrogation.
APOSTROPHE.
»
L'Apoftrophe fe fait lorfqu'un homme étant cx-
traordinairement émû , il fe tourne de tous co-
tez , il s'adrcfle au Ciel , à la terre , aux rochers,
aux forêts , aux choies infenfibles » aulli-bien qu'à
celles qui font fenfibles. Il ne fait aucun difceme-
raent dans cette émotion ; il cherche du fecoun
de tous cotez : il s'en prend à toutes chofcs com-
me un enfant qui frappe la terre où il eft tombé.
Ceft ainfi que David au i. chapitre du i. Livre
des Rois, étant vivement affligé de la mort deSatil
& de Jonathas » fait des imprécations contre les mon-
tagnes de Gelboë , quiavoient été le théâtre funefte
de cet accident.
Et vous, montagnes de G elbois que jamais la rofie
if la pluye ne vous rafraicbijfent , que jamais on ne
trouve de moiffins fur vos funeftes coteaux qui ont
vu la fuite de tant de Capitaines d'ifraél , & fui
ont été teints de leur fang, L'Apolïrophe figmfie
çonverfion.
Ifaïe apoftrophe le Ciel & la terre pour les prici
de donner le Meille qu'il attendoit avec tant a im*
pa
»1 FAtLBt. Lh.IL Cbap.JX. x6$
patience. CîeuM » tnwiyez» d*enbaut vôtre roftt ,
et qnf Us nuées fnffent defiendre ie jyfte somme
m phye \ fite U terre iouvre^ & fu*eUe gsrme h
Setveitr»
E P JSTR 0 P H E.
Notre langue n'a point de termes propres poui
exprimer le nom que les Rhéteurs Grecs don-
noient a cette figure.
VEprfiropbe cft une cfpcce de convcrfion , ou
plutôt a une reverfion ou retour lorfqu'on répète
le même mot d'une manière fort éncmque » comme
dans ce raifonnement de faint Paul : Sont-ilsHe*
hrnx ? Je le fuis auffi. Sont-iis Ifraérttût ? Je le fuis
egffi, Sont'ils de la race d^ Abraham t J^enfuis auf*
fit &c. Elle a beaucoup de force, & rend fenfibic
ce qu'on veut iaire concevoir; comme quand Ci-
ceron veut pcrfuader qu'Antoine étoit la caufe de
toos les maux de la Republique. Do/ais très exer»
iitas f$pttli Romani interfeâios ? Jnterfeeit Antonius.
Ltfideratis clarijfmios cives ? Ees queque eripuit vobis
Ammius, Aufleritas bujus ordinis affliéia eft ? Af-
fixitAntoitiuSf&e. Quislegemtulit} RuUus, Quis
ntâjerem p&puH partem fuffragiis privavit ? BmTus,
Quis c$mitiis frsjuit ? Idem Rulhs^
PROLEPSE, ET UPOMOLE.
ON appelle Prekpfi cette figure que l'on fait
lorfque l'on prévient ce que les Adverfaircs
poiuToicnt objeder ; & Upobok la manière de
rtpondre à ces objedions que l'on a prévenue,
k trouve dans faint Paul un exemple de ces deux
figures. Ce Saint parlant de la Refurreétion futu-
i^c, s'objedc une oifl&culté qu'on pouvoit lui pro-
x66 La Rhetouxqjjs» ou l'A&t
pofcr , & il y répond : Aiaîs quelqu'un me dira ^
in quelle manière les morts rejfufcitent ' ils » ^ quel
Êmm0^ ÏÏm >tA«*A* ^JÊaétm iMMatMM S/f tf»^*»mam^i^ekmm^ S Wmafmmmfma»
' VOUS fé
^^ ,. -^ ,,. ,. ,,- reprend ^ — — , ,^
Mi^i/r/ auparavant j éP* jiv^M^ vous limez , vm/x m
/«mrs dii/ /r corps de la plante qui doit naître , mais
ia gratne feulement j eomme du bled j ou quelque aw»
tn cbofi.
C 0 M MUN IC ATIO N.
TA Communication fe £iit lorfqu'on délibère
*^avcc fes Auditeurs , qu'on demande quel cft
leur fentiment. Que feriez - vous > Meffieurs Jidam
une occafion Jèmblable F Quelles mefures prendriex^
vous autres que celles qu*a prifes celui que je défens^ •
Ceft une efpece de communication que £ût ikint
Paul» Iprfque dans le fixiéme Chapitre de TEp^
tre aux Romains , après leur avoir rapporté les
avantages de la Gracè » & les miferes qui fuivent
le péché , il leur demande : Quel fruit tiriez^
vous donc alors de ces defordres dont vous rou^*
fez maintenant » puifqu^ils n*avoient pour fn que iê
mortt
C 0 N F ES SI ON.
CEtte figure eft un aveu de fes fautes , qui en-
gage celui à qui on le fait de nardonner la
faute que Tcfperance de fa douceur donne la har*
dieffe d'avouer. Ceft une figuie fort ordinaire
dans les Pfeaumes de David ; Texemplc fuivant
eft beau. U parle à Dieu dans le vingt-quatrième
Ffeaume :
NT.
»B PAELfift. Liv.IL Cbêf.IX. 167
Nf regarde peint mts forfaits,
Jifiis qui du furdon iis me renient indigue i
tUgarde ta Benté uui ne tarit jamais.
Pius ies pecbex, fSnt grands , fins la GréTce efl ith
fignei
Vwr Pamour de toifinJ, non pour mon repentir t
FaiS'm'en les effets rfffentir,
EPJTROPHBf (m CONSENJBMEUT.
Quelquefois on*, accorde liberalemeut ce mt
Ton peut refufcr, afin d'obtenir ce que Von de-
mande. Cette figure eft fouvent; malideufe^» comme
cdle-cL C'cft riUuftre Poète Satyriquc qui répond
à ceux qui le reprenoient d*avoircenfure avec trop
d'aigreur les vers d'un honnête homme.
Ma Mufe en Pat taquant charitable & difcrète^ '
Sait de Pbomme dbonneur dijiingùer le Poète :
2»Vff vante en lui la foi ^Pbonneur^ la probité >
Qi^on prife fa candeur et fa civilité :
Qtj^iljoit doux , complaifant , officieux 9 fincere >
0» le veut: fy foufiris, enfuis prêt de me taire*
Mais que pour un modèle on montre fes éerits :
Qu^ilfoit le mieux rente de tous les beaux E/prits :
Comme Roi des auteurs qu*on P élevé à P Empira
Ma bile alors s^écbatsffe, &je brûle décrire.
Ccft encore par cette figure que pour toucher un
tocmi, 8c lui donner horreur de fa cruauté, on rin-
▼itc quelquefois à faire tout le mal qu'il peut faire.
Blc eft auffi ordinaire dans les plaintes qui fe font
^ amis , comme dans celle que fait Ariftéc dans
"iîgilc à fa mcrc Gyrenc.
Qui»
l68 La RHETORiQjuSy ov L^Aiir
Quin âge y & iffa manufelices eruejylvas,
Ferjiabulis inimicum i^nem atque interfice meffis,
Urefatë > & vaUdam m vîtes moRre bi^ennem :
limta meafi U ceferpnt uiia laudïs.
Je puis donner pour exemple de cette figure
Sonnet fuiTant \ qui eft admirable.
Grand Dieu, tes îvgemens fini rempiis ^ équité i
Toujours tu frens fU^r à hous être propice:
Mais f ai tant fait de mal que jamais ta bonté
Ne me pardonnera Jhns ctoquer tajufiice.
Oui, mon Dieu 9 la grandeur de mon impiété.
Ne laijfe à ton pouvoir que le choix dujupplice :
Ton intérêt s^oppofe à ma félicité »
Et ta clémence même attend que je perij/i.
Contente ton dtfir puifqu*il feji glorieux :
Offenfe-toi des fleurs qui coulent de mes yeux i
Tonne » frappe , il efi tems ; rends-moi guerre pou\
guerre;
^ adore en periffant la raifon qui t^ aigrit*
Mais deffus quel etidroit tombera ton tonnerre
Qui nejoit tout couvert dufang de]%sy3 s-C H R X s T
PERIPHRASE.
TA Periphrafe eft xm détour que Ton pend
•■^ pour éviter de certains mots qui ont des idée
choquantes , 6c pour ne pas dire de certaines dio-
fes qui produiroient de mauvais effets. Cicerofl
étant obligé d'avouer aue Clodius avoit été tu^
par Milon , il fe fert a adrefle. Les ferviteurs à
Milon % dit-il , étant empêchez de fecourir leur Mal-
tre, queClodiuffe vantoa d'avoir tué ^ & le croyant
il
DB PAULBu. Ltv.JL Cbap.X. 169
\ frent dans fin abfince , /0ns fa participation ^ &
ms fin aveu , ce que chacun aurait attendu de fis
rviteurs dans une occafion fimblable, U évite ces
3ms odieux de tuer ou de mettre à mort.
La Periphrafe eft particulièrement d'ufagc lors-
a'on eft contraint de parler de chofes qui pour-
>icnt falir l'imagination fi on les exprimoit natu-
llcment. 11 faut les défigner par des circonftan-
s & des qualitez qui leur font propres , & qui ne
iffcnt f>oint de mauvaifes imprcffions dans ref-
it. Il n*étoit pas fort néceflaire de traduire
t endroit d'une des Odes d'Anacreon , où ce
)ëte hit le portrait de Venus qui fe baigne , ou
li traverfe quelque bras de mer à la nage. Mais
\bbé qui a fait cette traduction , le fait avec
mte la circonfpeftion poffible , ufant de Pcrî-
iiafe.
Sur la mer il la reùréfinte
Tout aujji belle . au fi charmante
Quelle eft la haut parmi les Dieux ,
Sans que défi beauté celefte
U cache aux regards curieux
Que ce qu'Hun ufage modefte
Dérobe a ordinaire aux yeux.
Chapitre X.
1a nombre des figures eft infni. Chaque figure fi
peut faire en cent différentes manières*
[E n'ai point rapporté dans cette Lifte des H7-
' perbolcs , les grandes Métaphores , & plufieurs
itrcs Tropes , parce que j'en ai parlé ailleurs:
î font néanmoins de véritables figures; & quoi-
iic la difcttc des langues oblige d'employer aflez
H fou.
170 La Rhïtoriqjti , ou l'Akt
fouvent ces cxpreffions tropiques , lors même qm
Ton cft tranquille ; cependant on ne s'en fert ordi
nairement que durant la paffion. Ccft elle qui far
que les objets nous paroiflcnt extraordinaires, &
€ue par conféquent on ne trouve point de terme
cans Tufage ordinaire qui les repréfentent aufl
grands & auffi petits qu*ils nous paroiffent. Ootn
cela , je n'ai pas prétendu parler de toutes les figo
Tes; il faudroit a auffi gros volumes pour marque
les caractères des pallions dans le difcours » q»
pour exprimer ceux que les mêmes pafTions pd
gnent fur le vifage. Les menaces , les plainte»
les reproches, les prières ont en chaque langue leur
ligures. Il n'y a point de meilleur Livre <^ue fo)
propre cœur; & c'eft une folie de voulou* allé
chercher dans les éaits des autres ce que Ton trouvt
chez foi. Si on deiire favoir les figures de la cole
le , qu'on s'étudie quand on parle dans le mouvc
ment de cette paflion.
Enfin , il ne faut pas s'imaginer que les figure
doivent être toutes femblables aux exemples qu<
j'en ai donné, & que ces exemples foient commi
des modèles fur lefquels on. doive former toute
les figures que l'on fera. L'Apoftrophe , l'Intenro-
gation , l'Antithefe fe peuvent faire en cent ma-
nières : ce n'efl point Y An qui les règle ; ce n'd
point l'étude qui les doit trouver, cefontdescffcfi
naturels de la palTion , comme nous l'avons déjj
remarqué. Je le ferai voir encore plus amplcmcnl
dans le Chapitre fuivànt.
1..
C H
Di pk%tM%. LhJL Cbap.Xl. 171
Chapitre XI.
îgures Jhnt comme les armes de Vame, VaraU
lele (Vun Soldat qui combat y avec un Ora*
teur qui parle.
tjR faire comprendre encore plus clairement
; aue i'ai dit ci-deffus , que les figures font les
> de 1 ame , je ferai ici le paralicle d'un Soldat
ombat les armes à la main, & d'un Orateur
wurle. Je conlidere un Soldat en trois états :
cmicr cft lorfqu'il combat avec forces égales,
le fon ennemi n'a aucun avantage fur lui:
le fécond, il elt environné de dangers: &dans
)ifiéme , étant obligé de céder a la force , il
lus recours qu'à la clémence de fon vainqueur.
\ le premier état ce Soldat eft appliqué i trou-
es moyens de gagner la vidoire ; tantôt il at-
:, tantôt il repouffe, tantôt il recule, tantôt
ance : il fait mine de fuir pour retourner avec
d'impetuofité; il redouble fcs coups, il mc-
, il le rit des efforts de fon adverfaire. Quel-
bis il s'excite lui-même , 6c combat avec plus
leur. Il prévoit tous les deffeins de fon enne-
n s'empare des lieux qu'il juge lui être avanta-
c; en un mot, il eft dans un perpétuel mouve-
it; toujoiu-s difpofé, foit à fe défendre, foit à
luer.
orfque l'ame combat par les paroles , les paf-
s dont elle eft échau'fïée ne la portent pas avec
ns de chaleur à fe tourner de tous cotez , pour
ivcr des raifons & des preuves, des vcritez
:11e foùtient. Dans l'ardeur que Ton a de fe
:ndre , & de faire valoir ce que l'on dit , on
îte les mêmes chofes , on les ait en diffcicmei
H 1 X£Ar
i
J71 La Rmetohiqui, ou l'Ait
manières : On en fait des defcriptions , des hy;
typofes ; on fc fert de comparaifons , de fimili
des; on prévient ce que l'adveifaire doit objeâ
(Se l'on y répond. Quelquefois pour marque
confiance Ton accorde tout ce qu'on demande:
Ton témoigne que Ton ne veut pas fefervirdeti
tes les raiions que la juflice de la caufe poun
fournir. Un Soldat tient fon ennemi en haleine;
coups (ju'il lui porte continuellement , les affii
qu'il lui livre de tous cotez le tiennent éveillé, 1
Orateur entretient l'attention de fes Auditci
Lorfque leur efprit s'éloigne , il les rapelleàluii
des Apoilrophes , par des Interrogations^ oui cl
gent ceux à qui elles font faites de réponore à
qu'on leur .demande. Il les réveille , & les fitit
venir de leur aflbupiflcment par des exclamatic
fréquentes & réitérées.
un Soldat environné d'ennemis, fans fecou
il s'en plaint > il reproche à fes ennemis leur lad
té. La colère le porte contre eux, la crainte
rapelle aufli-tôt. Il demeure immobile & pl<
d'irrefolutions; cependant le defir d'éviter le p(
qui le menace, le preflc & réchauffe; il tente <
fuite toutes fortes de voyes , il s'anime, il s'ex
te ; la pafîjon le rend adroit & ingénieux ; c
lui fait trouver des armes; & il employé tout
Su'il rencontre pour fa défenfe. Un Orateur pci
étouffer les fentimens de douleur qu'il reffent,
ne les point témoigner par des exclamations , i
des plaintes , par des reproches , lorfqu'il appcrç
que la Vérité eft combattue ou obfcurcie .'^ Dans(
occafions l'ardeur qu'il arde la garantir destcneh
dont on veut ï'oflfuiquer , fait qu'il avance preui
fur preuves. Tantôt il les explique , tantôt apj
les avoir feulement propofces , il les abandonn
pour répondre aux objeélions des adverfaires,
demeure quelque tems dai^ le filence & dans 1'
Bi PAKiin. LtvJï. Chap.XL 175
ition fur le choix de fcs preuves. Il avance
[ue chofe , auffi-tôt il ccniure ce qu'il a avan-
comme n'étant point aflez fort. Quand les
^es lui manquent , ou que celles qu'il produit
)nt pas fuffifantes , il apoftrophe toute la Na-
il lait parler les pierres, il fait fortir des tom-
X les morts , & il oblige le Ciel & la terre à
ier par leur témoignage la vérité pour laquelle
le avec tant d*ardeur , & qu'il veut établir.
»ur achever le parallèle que j'ai commencé, je
dere ce Soldat dans le troiiiéme état auquel
: réduit , lorfqu'il ne difpute plus la viéloire ,
l'il efi obligé de céder à ion ennemi. Pour lors
:mplo>e plus les armes qui lui ont été inutiles ,
■aits de fon vifage n'ont plus rien de menaçant;
oppofe que des larmes , il s'abaifTe encore da-
age que fon ennemi ne l'a abbaiiSc ; il fe jette
; pieds , & embrafle fes genoux. L'homme eft
pour obéir à ceux de qui il dépend , & dont
foutenu , & pour commander a fes inférieurs
reconnoiffent fa puifTance. Il fait Tun & l'autre
plaifir. Deux perfonnes fe lient f^rt étroite-
t cnfemble , quand l'une a befoin d'être foula-
, au'dle le denre , & que l'autre la peut foula-
Dieu ayant ftdt les hommes pour vivre en-
ble, il les a formez avec ces inclinations natu-
îs. Une perfonne affligée prend naturellement
lCS les poftures humiliées qui la font paroitrc
leflbus de ceux à qui elle demande du fecours ;
.DUS ne pouvons fans refider aux fenti mens delà
ure , rcfufer à ceux que nous voyons humiliez le
mrs qu'ils nous demandent. Nous les fecou-
s avec un plaifir fecret , qui eft comme le prix
nous paye du foulagement que nous leur don-
is: Et c'eû cette efpece de récompenfe qui entre-
nt un commerce entre les malheureux & ceux qui
foulagent.
H 3 Dans
174 La Rhstokiqjuï, ou l'A«.t
Dans le difcours il y a des figures qui répon-
dent à ces poftures d'afiliélion & d'humilité , aux-
quelles les Orateurs ont fouvent recours. Les
hommes étant libres , il dépend d'eux de fe laif-
fer perfuader. Ils peuvent détourner leur vue
pour ne pas appercevoir la vérité qui leur eft
propofée, ou diflimuler qu'ils la connoiffent ; ainfî
un Orateur eft prefque toujours dans ce troifié-
me état où nous confîderons ce Soldat. Lors-
qu'un homme fe voit contraint de céder, &quc
le defîr qu'il a de fe conferver l'oblige à s'ab-
baifler, & à gagner par fes prières ceux qu'il ne
peut vainae par la force de fes raifons ; pour
lors il eft éloquent à perfuader le malheur de
rétat auquel il eft réduit. Les prières ordinaire-
ment font pleines de defcriptions de la mifere de
celui qui les fiait. Job dit en parlant \ Dieu, qu'fl
n'cft qu'une feuille dont les vents fe jouent, une
paille lèche. Contra foiium quod vento rapitur ofltB»
dis potentiam tunm , & Jîifuiam ficcam ptrjefutris.
Et David , •—
Jefoupîre le jour fous les rudes atteintes
Dt mes longues douleurs :
Le repos de la nuit ejl troublé par mes plaintes »
Jb/ mon lit agité nage prefqu^en mes pleurs.
En un mot , comme il y a des figures pour me-
nacer, pour reprocher , pour épouvanter; il y en
a pour prier, poiu* fléchir, pour flatter.
C n k*
DE FAHiiE. LiVéJL Cbâp.Xn, X75
Chapitilb XII.
45 figures éclaircijfent ies veriuz oh/cures» it rendent
reffrit attentif.
ON ne peut douter d'une vérité connue. On
peut bien h combattre de bouche , mais le
cceur lui eft véritablement aflujctti. Ainfi pour
triompher de l'opiniâtreté ou de l'ignorance de
:cux qui refillent à la Vérité, il fuffit d'expofer à
brs yeux fa lumière , & de l'approcher de iî près ,
'uc fa forte impreffion les réveille , & les oblige
l'être attentifs. Les figures contribuent mer\'eil-
brcment à lever ces deux premiers obftacles qui
împêchent qu'une vérité ne foit connue , Tobfcu-
ité & le défaut d'attention. Elles fervent à mettre
anc propqfition dans fon jour , à la déveloper , &
U'étendrc. Êles forcent un Auditeur d'être atten-
tif, elles le réveillent , & le frappent fi vivement ,
lu'dles ne lui permettent pas de dormir, & déte-
nir les yeux de fon efprit fermez aux veritex qu'on
bipropofe.
Comme je n'ai deflcin de rapporter dans la Lifie
^t j'ai donnée des figures , que celles que les
Rlictcurs y placent ordinairement , je n'y ai pas
▼ouh parler des Syllogifaies , des Enthymêmes ,
te Dilemmes , & des autres efpcces de raifon-
ntmens que l'on traite dans la Logique; cepen-
dant il eft manifefte que ce font de véritables fi-
sses, putfque ce font des manières de raifonner
extraordinaires , qu'on n'employé que dans l'ar-
fcur que l'on a de perfuader ou de difluader
ceux à qui on parle. Ces raifonnemens ou figu-
res ont une force merveillcufe , qui confille en
w que joignant une propofition claire & incon- •
H 4 tefta-
1^6 La RfiiTOKiQUi, ov t'AnT
tcftablc avec une autre qui n'eft pas fi dair
qui cft conteftée , la clarté de Tune diffi]
ténèbres de l'autre: & comme ces deux pn
tions font étroitement liées ; fi ce raifonnc
cft bon , on ne peut confentir que Tune foit
table , que l'on ne demeure d'accord que Y
Teft aufli. Mais la chaleur de la paffion ne pc
pas que Ton s'aflujettiflc entièrement auxre^c
la Logique préfente pour faire ces raifonneme
forme.
Un raifonnement folide accable & defarn:
plus opiniâtres : les autres figures n'ont pas
vérité tant de force , mais elles ne font pas i
les. Les Répétitions & les Synonymes éclaira
une vérité : fi on ne l'a pas comprife par une
miere cxpreffion , la féconde la fait conce
Ce font comme autant de féconds coups de
ceau , qui font paroître les traits qui ne font
afiez formez. Quelles ténèbres peuvent obfci
la vérité d'une chofe qu'une perfonne éloqu
explique , dont il fait de riches defcriptions ,
dénombremens qui nous mènent , s'il eft pc
de parler de la forte, par tous les recoins &
cnfoncemens d'une affaire , des Hypotypofes
nous tranfportent fur les lieux , & qui par un
chantement agréable font que nous croyons '
les chofes mêmes ? Les Antithefes ne font pa;
vains ornemens ; les oppofitions des chofes (
traires contribuent à réclairciffement d'une ^
té , comme les ombres relèvent l'éclat des (
leurs.
Notre efprit n'eft pas également ouvert à i
tes veritez. Nous comprenons bien plus fa<
mène les chofes qui fe piéfentent à nous tou:
jours, & qui font dans Tufage commun des h
mes, que celles qui en font éloignées , &donti
n'entendons parler que très-rarement. C'ell p
&I f AniBH. Lh.lL Chêp.Xli. 177
quoi les comparaifons & les fimilitudcs que Ton ti-
re ordinairement des chofes fcnfibles , font entrer
fecîlcment dans Tintelligence des veritez les plus
ïbftiaites. 11 n'y a rien de fi relevé & de fi luStil
qu'on ne puiire foire comprendre aux efprits les plus
Eits, pourvu qu'entre les chofes qu'ils connoif-
t , ou qu'ils peuvent connoître , on en trouve
tdroitement de fcmblables à celles qu'on veut leur
apliquer.
Nous trouvons un exemple merveilleux de cette
adrcffe , dans un difcours que fie Monficir Pafchal
î un jeune Seigneur , pour le foire entrer dans la vé-
ritable connoiflance de fa condition. 11 luiprupofa
cette Parabole.
Un homme tfl jette par la tempête /fins une ÏJÎi
ncânnii'ét ^fit i*^ hahitans étaient en peine de tiow
Vr kur Roi qui s^étoit perdu 5 & ayant beau-
f9Bp de rejfemblanee de C9rps et de viffge avec
ce Rfii y il efl pris pour lui , if reconnu en cette
fuaHié de tout ce peuple, V^abord il ne favoit
quel parti prendre j mats il fe refolut enfin de fe
fréter à fa bonne fortune. Il reçût tous Arr rv/-
peÛs qu'on lui voulut rendre. ^ & il fe lai (fa traiter
de Hpi.
Mais comme il ne pou voit oublier fa condition
natitreUe , il fongeoit , en mhne temps quii recevait
tes refpe&s , qu'il n était pas ce Roi que ce peuple
éercboit « àt que ce Royaume ne lui tippartenott
pas, Ainfi il avait une double penfée ; l'une par
laquelle il agiffoit en Roi , rautre par laqueJ/e il
ftcmnoijjait fon état véritable , & que a nJtoit
q»e,le bazard qui Pavait mn en la place où il t'«
tnt. Il cachait cette dernière penfée > & découvrait
famre. C*ét§it par la première qii*il trnitoit avec
k peuple t & par la d&niere quil t rai toit avec foi'
fÊeme,
Dans cette image Monfieur Pnfchal fait confi-
H s dcrcr
178 La Rhitorique, ou l'Art
dcrcr à ce jeune Seigneur , que c eft le haiard
de la naiffance qui Ta fait grand ; qne c'eft l'ima-
gination des hommes qui a attaché à la qusdi-
té de Duc une idée de grandeur , & qu'en ef-
fet il n*eft pas plus grand qu'un autre. Il loi
apprend de la forte quels fentimens il devoit i»
voir de fa condition , & lui fait comprendre ds
veritez qui euffent été au delTus de fon âge , s*ï
ne les avoit rendu fenlibles par un .tour & ior
genieuz.
Chapitre XIII.
Les figures Jhnt propres à exciter les pajjùms^
SI les hommes aim oient la vérité , il fuffiroit de
la leur propofer d'une manière vive & fenfibk
i>our les pcrfuader; mais ilslahaïfTcnt, parcequ'i
le ne s'accorde que rarement avec leurs interêtti
& qu'elle n'éclate que pour faire paroître leurs ai-
mes ; ils fuyent donc fon éclat , & ferment les yeux
de crainte de l'appercevoir. Ils étouffent cetamoitt
naturel que nous avons pour elle , & ils s*cndur-
ciffent contre les blelTurcs falutaires que font kl
traits dont elle frappe la confcience. Ib ferment
toutes les portes desfens , afin qu'elle n'entre j^
dans leur efprit ; ou ils la reçoivent avec tant d in^
différence , qu'ils l'oublient aufli-tôt qu'ils l'ont ap-
prife.
L'éloquence ne feroit donc pas la maîtreflfc to
cœurs , & elle y trouveroit une forte refiftancci
fi elle ne les attaquoit par d'autres armes que cch
les de la Vérité. Les paffions font les reiîorts de
l'ame , ce font elles qui la font agir. Ceft cm
lamour , ou la haine , ou la crainte , ou ^cfp^
raticei
DX FAELEt. LIV.IL Cbéif.XIIL fjf
ace, qui confcillcnt les hommes , qui les déter-
inent : ils fuivent ce qu'ils aiment , ils s'cloi-
ent de ce qu'ils haïflent. Celui qui tient les ref-
rts d*une machine n'cft pas tant le maitre de tous
effets de cette machine , que celui-là l'eft d'une
rfonne dont il connoit les inclinations , & à
i il fait infpirer la haine ou l'amour , félon qu il
it le faire avancer vers un objet , ou l'en cloi-
cr.
Or les paflions font excitées par la préfcnce de
ir objet : le bien préfent donne de lamour , &
la joyc. Lorfqu'on ne le poflede pas encore,
ais qu'on le peut poflcder , il brûle Tame de de-
s , dont il entretient le feu par Tefperance. Le
al qui eft préfent caufe de la haine ou de la
iftcffe; s'il cft abfent , Tame cfl tourmcnice par
s craintes & par des terreurs qui fe changent en
rfcfpoir lorfqu'on n'a})perçoit point le moicn de
Wtcr. Pour donc allumer les paffions dans le
EUT de l'homme , il faut lui en préfentcr les ob-
ts , & c'ell à quoi fervent merveillcufemeni les
Nous avons vu comme les figures impriment
irtement une vérité , comme elles la dcvelop-
ait, comme elles l'expliquent. Il faut les em-
oycr en la même manière pour découvrir l'ob-
t de la paffion que l'on defïre infpirer , & pour
ire une vive peinture qui exprime tous les traits
t cet objet. Si on parle contre un fcelerat qui
icrite la haine de tous les Juges , on ne doit
3int épargner les paroles , ni éviter les répéti-
ons , & les fynonymes pour frapper vivement
or dprit de l'image de les crimes. Les Anti-
rfcs font nécciTaires pour faire concevoir l'é-
>rmité de fa vie par l'oppofition de l'innoceh-
de ceux qu il aura perfecutez. On peut le
mparcr aux fccierats qui ont vécu avant lui ,
^ H 6 &
tSo La Rhétorique, ov l'art
& faire voir que fa cruauté ,eft plus grande qoc
celle des tigres & des lion?/ Ccft dans la def-
cription de cette cruauté , & des autres mauvai-
fes qualitez de ce fcelerat que triomphe Télo-
ouence. Ce font particulièrement les Hypotypo-
fcs , ou vives defcriptions , qui produifent reffct
oue Ton attend de ion difcours , qui font élever
aans Tame les flots de la paffion dont on fefcrt
pour faire aller les Juges où Ton veut les me-
ner. Les exclamations fréquentes témoignent la
douleur que caufe la vue de Unt de crimes fi
énormes , & font reflcniir aux autres les mêmes
fentimens de douleur & d'averfion. Par les Apollro-
phes , par les Profopopées , on fait qu'il fcmUc
oue toute la Nature demande avec nous la con-
aamnation de ce criminel.
Chapitre XIV.
Reflexion fur le bon ufage des figures,
LE s figures étant , comme nous avons vu, Ic!
cara(fteres des paflTions , quand ces pâmons
font déréglées , les figures ne fervent qu'à pein-
dre leurs déreglemens. Elles font les inftrumcDi
dont on fe lert pour ébranler l'ame de ceux i
qui on parle. Si ces inftrumcns font manici par
un efprit animé de quelque paffion injullc, ces
figures font dans fa bouche ce qu'eft une épéc
dans la main d'un furieux. Il ne faut pas s'ima-
giner qu'il foit permis de noircir par de fauflcs
accufations ceux contre qui on parle , & que
pour parler éloquemmcnt il foit nécelTairc d'em-
ployer contre eux îes mêmes figures dont on fc
lerviroit pour porter des Juges à condamner le
pltf
SB PAEtZE. Liv.iLCBétp.XIV. xBf
us criminel 8c le plus abominable de tous
s hommes. Les Dédamateurs » à qui ce dé-
ut eft ordinaire , ne trompent jamais deux
»is. On s'accoutume à entendre leurs excla-
lations , & il leur arrive la même chofc qu'à
îux qui ont coutume de feindre qu'ils font ma-
ies. Quand ils le font effedivement , on ne les
roit pas.
Necjèmel irrifus trivîis attollen curât ,
hiflo crure flanum : licet ilii plurima munit
Aéryma : ftr Jandum jurëtus élUat Ofirim »
'"éUdite : non ludo : crudeies tollite claudum,
^âre peregrinum , vicinia raucM réclamât»
Ce défaut dans les uns efl une marque de ma-
lice , & dans les autres de légèreté & d'extra-
ragance. C'eft une malice lorfqu'on prend plai-
Gr à combattre la vérité ; ^ue l'on ne defire pas
édairer l'efprit de fes Auditeurs , mais le trou-
bler par les nuages de quelque injufte paflion
jui leur dérobe la vue de la vérité. On ne doit
pas toujours accufer les Dédamateurs de cette
malice : fouvent ils ne prennent pas garde aux
impreffions que peuvent faire leurs figures ; leur
dcflcin n'eft pas de perfuader , mais feulement
ie paroître éioquens. Pour cela ils s'échauf-
fent y 8c ils employent toutes les plus fortes figu-
res de la Rhétorique , quoiqu'ils n'ayent point
f ennemis à combattre ; femblablcs à un phre-
actique qui fe fert de fon épce pour combat-
tre un ennemi phantaftique que fon imagina-
tion troublée lui fiait voir en l'air. Ces Déda-
mateurs entrent dans des Enthouiiafmes , qui
leur font perdre Tufage de la Raifon , 8c leur font
îoir les cnofcs tout d'une autre manière qu'elles ne
font pas.
H 7 i»
l8i La Rhitohiqjje, otj l'Art
Et fbiem gemînum , et dupUces fe eftendere
bas.
Ce défaut eft le caraâere d*un enfant qui
chc fans fujct : néanmoins les Ecrivains les
élevez y tombent , parce qu'on ne croiroi
pouvoir pafler pour éloquent lî on ne faifoi
figures. 11 faut pour cela parler avec chaleu
toutes les matières, fe corrompre refprit , & a
cevoir toutes les chofcs autres qu'elles ne fon
faut faire des reflexions fur tout ce qui fe prefi
& ne parler que par fentences. Mais ce qui (
plus ridicule , c'eft que dans toutes ces figura
mauvais Orateurs ne tâchent qu'à plaire , fa
mettre en peine de combattre , & de terraflci
ennemi par la force de leurs paroles. On pei
re qu'en cela ils font femblables à un infe
qui dans un combat ne fe fouci croit pas de
per fon adverfaire , & d'en être frappé , po
qu'il attirât fur lui les yeux de fes fpe<flat<
qu'il combattît avec grâce , avec un air gj
& agréable. Ce font ces mauvais Orateurs
Perfe raille dans une de fes Satyres en la perfî
de Pedius.
Fur es , att Pedio ; Tedius quid} cr'imtna rapi
Librat in Antitbetis , dçfias pojuijje figuras
Laudatur*
Ces mauvais Orateurs, dis -je , afTeéïen
mefurer toutes leurs paroles , de leur do
une cadence jufte qui flatte les oreilles. Ils
portionnent toutes leurs exprefîions : En un r
ils figurent leurs difcours , mais de ces fi|
qui font au regard des figures fortes & pcrfuaii
ce que font les pofhires que l'on fait dam
B 1 ^ A K L K K. . Liv. IJ, Cbsf. XIV, 183
ballet y au regard de celles qui fe font dans un
combat. ^
L'étude & Tart qui paroiflent dans un dis-
cours peigné , ne font pas le caraélcre d'un ciprit
qui eft vivement touché des chofcs dont il par-
le, mais plutôt d'un homme qui ell dégagé
de toutes affaires y &c qui fe joue. Ainfî on ap-
peUe ces figures mefurées , qui ont une cadence
agréable aux oreilles , des figures de Théâtre ,
HeâiraUs fguré. Ce font des armes pour la
montre , qui ne font pas d'affez bonne trempe
pour le combat. Les figures propres pour per-
luader ne doivent point être recherchées, c'cft
la chaleur dont on efl animé pour la dcfenfe
de la vérité qui les produit , qui les trace elle-
même dans le difcours > de telle forte que
l'éloqutnce n*eft que l'effet de ce zcle. C'efl
ce que dit faint Augultin du flile éloquent de
fàint Paul : D'où vient , dit -il , que les E^îtrcs
de ce grand Apôtre font fi animées, qu il fe
fiche, qu'il reprend, qu'il fait des reproches,
qu'il blâme , qu'il menace ? qu'il marque les
differcns mouvemens de fon cfprit par le chan-
gement de fa voix ? L'on ne peut pas dire
qu'il fe foit étudié puérilement , comme font
les Dédamateurs , a faire à^s figures : ncan-
ffici^is fon difcours efl très -figuré; c'ell pourquoi ,
comme nous ne pouvons pas dire que faint
Paul ait recherché l'éloquence , nous ne pou-
vons pas nier que l'éloquence n'ait fuivi fon dis-
cours. Quid fie indignatur yîpoflo/us in Epijîolis
fuis , fie çorripit , fie exprobrat , fie increpat , fie
nifïêiur ? Quid eft quùd animi Jui ttfftfium i^m
crebm & Um afpera vocis mutatiçne tefieiur ?
^uilus dixerit more Sopbiftarum puerilit4r & eojf*
fidth fgurajje orationem fuam. TameH multh figu-y
fis djftinûa eft.^ iMoj^roptfr ficut, \ 4fofifiium préz
cepta
•v
ï84 La RHSTORiQjtfiy eu l'Akt
iepta eloquentU non fecutum ejfe dicemus , ita qnhd
ejus fap'tentiam fecuta fit eloquentia non denegtt*
mus.
Mais ce n'eft pas feulement dans les gran-
des occafions que les figures doivent être em-
ployées. Les paillons ont plulieurs degrez. Tou-
tes les colères ne font pas également grandes i
Toutes les figures n'ont pas aufii la même for-
ce. Il y a des Antithefcs pour les grands niou-
vemens , il y en a pour de légères émotions ;
c'eft pourquoi on ne doit pas condamner tou-
tes fortes de figures dans un difcours qui cft fait
fur une matière qui femble ne donner aucune
occafîon d'émotions juftes & raifonnabîes. L'ar-
Xdeur que Ton a de fe bien exprimer , & de fài'
re concevoir les chofes que l'on enfeigne , a fcs
figures comme les autres paflions. Dans la con-
Terfation la plus douce , quoiqu'on ne trouve
aucune refiftance dans Tefprit de ceux avec qui
Ton s'entretient , cela n'empêche pas que pour une
plus grande explication on ne répète quelquefois
les mêmes mots , qu'on ne fe ferve de différentes
expreffions poUr dire la même chofe. Il eft per-
mis d'en faire des defcriptions exa(f^cs , de dicr-
cher dans les chofes naturelles & fenfiWes des com-
paraifons & des images de ce que l'on dit. On peut
demander le fentiment de ceux qui écoutent , les
interroger pour les rendre plus appliquer , ou pour
retenir leurs efprits dans l'attention nécefraire , &
leur faire faire des reflexions fur ce que l'on a dit.
Ainfi la converfation , comme nous avons dit , a
fes figures aufîi-bien que les harangues & les dédar
mations.
On appelle froid le flile de ces Orateurs qui
font un mauvais ufage des figures , parce que
quelques efforts qu'ils faffent pour animer leurs
Auditeurs, on les écoute aycc une certaine froi-
' #1eiir •
DI FARLEK. LHf. 1 1. Cb/ff, XlV. 185
rtir, qui cft d'autant plus fenfible , que Ton n'cft
;ité d'aucune des émotions qu'ils avoient voulu
cciter. Car enfin on fe rit d'un homme & de fes
jmes quand on le Yoit pleurer uns fujet. S'il X
Qtre en colère fans que perfonne s'oppofe à fes
effeins , cette paffion paffe pour une véritable
olie. On ne peut donc être touché quand on
'oit quelqu'un émû , fi l'on ne trouve qu'il y
i fujet de l'être. Un homme qui pleure dans
qh péril évident y oblige ceux qui le voyent de
pleurer avec lui. La colère d'un miferable qu'on
voit accablé injuftement , engage dans fon parti
ceux qui font témoins de cette injultice. Ainfî
pour toucher , ou pour faire que les figures Qu'on
employé faflent leur effet , il faut que les pâmons
qu'elles peignent foient raifonnables , c'eft- à-dire ,
que l'Orateur doit faire paroître les chofes qu'il
traite fous une telle forme , qu'on ne les puifle
voir iâns en être émû. il faut difpofer le cœur du
Lcfteur , n'entreprenant jamais d'y exciter au-
cun mouvement qu'après 1 y avoir préparé. Si on
veut le porter à la compaffion , il faut lui faire
voir une grande mifere , gardant ce tempéra-
ment que la paffion qu'on exprime par des figu-
res ne loit pas plus grande que ne le mente le fu-
jet , & que ce foit toujours la paffion qui fâffe
produire les figures extraordinaires au milieu de
quelque grande circonftance. Cela demande une
glande prudence ; c'eft auffi , comme nous di-^
ions très-fouvent , le jugement qui fait les grands
Orateurs. Les François font particulièrement en-
nemis de ces figures qui font trop fortes. On a
en France de la douceur & de la politefle ; on
M peut fouffrir les humeurs chaudes & violentes.
On eftime & l'on aime ceux qui favent fe mo-
iercr 5 c'eft pourquoi les figures extraordinaires
noiis
i86 Là Rhbto&xqjji, ou l'Ait
nous paroiflcnt ridicules , fi ce n'eft dans certai-
nes occafions qui font rares. Car il n'arrive pas
fouvent que la Raifon permette de laifier agir les
mouvemens d'une paffion. Cet avis bien médité
donnera de grandes lumières pour l'éloquence.
LA
»1 PAKLEX. Liv.III. Cié^.I.
RHETORIQUE
0 U
L'ART DE PARLER-
LIVRE TROISIE'ME.
CB&PITKt PrIMISK.
R^j» Je et Livre. On y trtile de b partit matt-
rieiie de it furtie, e'e/t-i-éirtf iufims dtiti les (tt-
n&i/tnl nmptfiis. On décrit ctmmtnt fe ftrmtnt
7 E donne beaucoup plus d'étendue 1
l'ouvrage que j'ai entrepris, qaen'en
ont pas les Rnetoriquei ordinaires.
Mon but eft de découvrir les ibnde^
mens de l'Art que je uaittc. Je tî-
che de ne rien oublier pour cela.
Nmij avons vu comme fc forme la voii. Nous
uons dit que nous avons une orgue naturelle ;
Çtt les poumons en font les foufflets ; & que ce
^nA par lequel nous rcfpirons , qu'on appelle la
1 Ttadiée artère , ou 1 apre-arterc , eft comme le
I '"yw de l'Orgue. A préfent que nous cntrepre-
I nons
|S8 La Rretokiqub, ov l'Aut
nons de traiter à fond de la partie matérielle de
la parole , c*eft-à-dire des fons dont elle eft com-
poiée, il hut expliquer avec plus d*exaditude com-
ment fe fait la voix , & comment fe forme le
fon de chaque lettre. Il lâut donc conUderer en
premier lieu , que le larynx , c*eft ainfi qu*on
nomme le haut de l'àpre-artere , eft entouré de
mufclcs. L'ouverture du larynx fe nomme g/otte^
ou languette qui s'ouvre & fe ferme plus ou
moins par le moyen des mufclcs qui la font mou-
voir. Cette gjotte eft compofée de deux mem-
branes cartilagineufes. Lorfque ces membranes
font tendues , & qu'elles ne laiflent qu'un petit
paflage , comme une fente , l'air qui fort foudaine-
ment des poumons , les fecouë ; ce qui fait le fon
de la voix , de la même manière que fe fait le fon
d'une mufette & d'un haut-bois. Les anches de
ces inflrumens font le mcme effet que la glotte.
Les cartilages dont elle eft compofée , reçoivent
un tremoulîemcnt de l'air qui les fepare avec con-
trainte quand nous parlons. Les bons Anato-
miftes en diftinguent cinq aflei. folides , poHs , &
faifant reifort. Ils font entourez de plufieurs p^
tits mufclcs qui ont une admirable liaifon avec
les oreUlcs , les yeux , les parties du vifage , avec
le cœur , la poitrine ; ce qui fait que le feul fon
de la voix fait connoître l'état de celui qui pjtf-
1« , & qu'on lit fiu: fon vifage ce qu'il dit aux
oreilles.
C'eft ainfi que fe forme la voix , qui nous ffr
roit commune avec plufieurs animaux , fi cUc ni
recevoit point d'autres formes que celle qucDc
prend en fortant du larynx. Les mufcles qui font
attachez à cette partie , fervent à la modifier.
Elle eft douce ou rude , félon la qualité des mem-
branes de la glotte; & elle reçoit plufieurs degreii
ou tons , félon que l'ouverture du larynx eft plus ou
moins
»B PAAIEH. LivJII. Ckap,T. 189
moins grande : quand dlc cft petite le fon en eft
aieu; mais ce n'eft pas ici le lieu de faire ces con«
fiderations qui regardent la Mufique. Confiderons
que la voix, après être forrie du larvnx, reçoit d*au-
tres modifications différentes , félon qu'on difpofe
k lieu où elle eil reçue, que la langue la porte con-
tre différentes parties de la bouche qui s ouvre ou
fe ferme différemment par le moyen des dents Bc
4es lèvres. Ainfi qu'on voit dans les orgues que le»
tuaux ont des fons tout dififerens , félon leurs diffè-
l lentes formes. Ces différentes modifications font
lésions qui compofent les paroles : les lettres font
les fignes de ces fons.
On voit par l'expérience qu'on en fait dans les
orgues j qu'on peut imiter toutes fortes de fons.
On imite avec un appeau le chant des cailles,
j 4ans lequel on entend le fon de quelques fyUa-
^ bcs ; ce qui a fait croire qu'on pourroit faire par-
j 1er une machine. Il n'y auroit , dit-on , qu'à re-
marquer la difpofition particulière des organes de
la voix , ôc la difpofition de la bouche qui eft
néccffaire pour faire le fon de chaque lettre.
£n faifant autant de tuïaux qu'il en faudroit pour
prononcer toutes les lettres, on feroit une orgue
wriante , qui prononceroit des paroles félon qu'el-
le feroit toucnée. Remarquons combien la diffi-
culté de cette entreprife eft grande , afin qu'on
comprenne l'habileté de celui qui nous a fait »
ce que nous ne pouvons alTcz confiderer. S'il
sagifToit de faire parler François à une orgue,
comme nous avons cinq voyelles , & dix-fept con-
fcncs, il faudroit déjà vingt-deux machines diffé-
rentes, & il ne feut pas croire qu'elles fuffent tou-
te* également fîmples , que ce ne fuffent que des
tuïaux. Il y a des letties qui demandent , que h
niachine qui les feroit fonner , fe fermât & s'ou-
vrit, ce qui ne fe pourroit faire qu'avec pluHeurs
190 La Rhzto&xqjue, ou t'Air
rcflbrts. Il y a bien delà différence entre le ft
deux lettres qu'on prononce feparémcit» 8c li
de la fyllabe <|u elles compoient Ces deux
s'aQient pour n eh fiadre qu'un ; ainfi deux m
aes y dont l'une feroit , par exemple , a , Faut
ne feroient pas ^r^ , ni ta. Combinant donc
ces deux manières avec les dix-fept confone
fiudroit trente-quatre diiBFerentes madûnes
marquer ces fyllabes » & comme il en faudroi
tant pour chacune des cinq voïeUes , qui dema
toient pareillement trente-auatre madunes difii
tes , il en faudroit par confequent pour toutes
foixante-dix.
U y a des fyllabes de trois lettres , don
unes ont une voïelle entre deux confones , <
me bab , 6c les autres une confone entre
voïelles , comme aba, La voïelle a fe peut (
biner avec les confones pour faire une fy
de trois lettres pour le moins en deux*cens
tre-vingts neuf manières différentes. Multiplia
nombre par le nombre des voyelles , c'dt-à
par cinq , cela fait mille quatre cents qua:
cinq ; u faudroit autant de differens inlhra
Les fyllabes de trois lettres fe font encore <
autre manière. On peut à la fyllabe ab aj<
une confone , comme abb • abc , akd ^ ce
demanderoit encore une infinité de mad
Je n'ai point voulu remarquer ici que nous a
plus de cinq voïelles , comme nous le ferons
Nous avons deux fortes de a , trois fortes d
deux fortes de 0 > deux de 1/ > ce qui augi
teroit infiniment l'orgue dont nous parlons,
quand auroit-on inventé un il grand nombr
madiines qui pût les faire jouer avec la vi
néceflairc ? Car comme les fons de deux 01
plufieurs lettres qui font une fyllabe , doivent
unis f il faut que les fons desYyllabcs qui fon'
I
SE ^AmiBR. Liv.JII. Chéif.L 191
t , foîent liées enfemble , autrement on entend
fyllabes » & non point des mots. II faudroit un
irier d'une infinité de touches , & on eil embaiv
'é quand un clavier n'en a qu'\m certain nombre
eft alTez petit.
Umirons donc ici la diQK)fition merveilleufe
organes de la parole qui n'ont rien d'embafw
imt , & qui font tellement placez , qu'on s'en
S lus facilement ç^u'on ne peut remarquer com-
s font fsdts. Dieu dont nous fommes l'ouvra*
, nous fait fidre , fans que nous appercévions
Q y ait de la difRoilté , ce oui eft impofSble à
t. Nous faifons avec la bouoie ce que ne pouN
t pas faire un million de machines; car ce nom-
: ne fuffîroit pas encore. Il y a plufieun mil-
as de differens mots qui demandent des difpofi-
ns particulières dans les organes de la voix ;
fi la langue qui en eil un des prindpaux , eft
npofée d'un nombre innombrable de petits
ts 9 qui font comme autant d'inftrumens par
luels elle fe tire , elle s'allonge , elle fe replie,
; fe tourne en tant de manières qu on ne les peut
npter.
Lis lèvres ont pareillement plufieurs mufclcs
i les font jouer en différentes manières. La bou-
î fe peut ouvrir différemment ; de forte que
n'cft point une exagération de dire qu'on ne
oit pas avec un million de madiines ce que
us faifons avec la bouche. Après quoi qu'on
î vante tant qu'on voudra ces têtes parlantes,
fuis perfuadé que ce n'étoient que des mario-
ttcs. On trompoit avec efprit ceux à qui on
î donnoit pas le tems de remarquer l'artifice
Mit on fe fervoit. Les Hiftoricns qui nous par-
ant d'une tête femblable faite par Albert le Grand ,
ops content ce qu'ils veulent. Il n'y a que ceux
^ n'ont pas fait attention à la manière dont
ipz La RHETo&iQju£y ou L'Amr
nous parlons , qui croyent qu'on puifle i
un ouvrage au(& admirable qu'eft la tête de 1*
me.
Mais il eft très-vrai que fi on ne peut pa
te parler une tête artificielle , on peut fain
1er un muet avec artifice. Il n'y a qu'à lui
prendre garde à la difpofition quu voit
prennent les organes de la voix de ceux qui
lent pour £ûre fonner chaque lettre , reït
fouvent la prononciation d'une même le
dont on lui fidt voir en même rems le caraé
afin qu'il remarque les mouvemens de la lan
l'ouverture de la bouche, comment les dents
peut les fons , comment les lèvres battent '.
contre l'autre pour faire enfuite ce qu'il
faire. Les muets ne font muets que parce <
n'entendent pas ; ainfi ils ne peuvent pas ap]
dre à prononcer le fon de chaque lettre a
ment que par. cet artifice , qui leur fait vo:
qu'ils ne peuvent pas entendre. Monconis
porte dans fon voyage d'Angleterre , qu'un
cellcnt Mathématicien d'Oxfort fit lire en fa
fence un muet , & que c'étoit le fécond
avoit fait parler. 11 avoue néanmoins qu'il ne
foit que faire fonner les lettres feparement
qu'il ne pouvoit her leurs fons. J'ai fou
entendu parler de plufieurs fourds qui au mo
ment des lèvres , & à la manière qu'ils voyc
qu'on ouvroit la bouche , connoilîoient ton
qu'on difoit. Je le crois ; car j'ai vu dans le ]
cefe de Grenoble , dans la Paroiffe de Beflc ,
femme fourde , à qui fes parens faifoient ente
tout ce qu'ils vouloient. Ils lui parloicnt fort
de manière qu'elle ne pouvoit remarquer que
mouvemens de leurs lèvres , & la difpofition c
bouche ; j'en û$ faire plufieurs expériences en
prefence.
C
I
»B PAR lin. Lh,ïîT. Chnp,h i(>3
ctte quatrième Edition étoit commencée lorf-
j'ai vu une excellente DiiTerraiion d'un Me- '
n Suifle qui refîde en Hollande , 8c fe nom-
Amman. Il aflure qu il a açpris à plufîcun
bnncs fourdes & muetes à parler, lire & écri-
■II explique fa méthode, qui confiile en deux
fes , dont la première eft d'obfervèr avec les
s les diffcrens monvemens desorgaHcs de
•pononciation. II décrit les difpofitions pahi-
ercs à chaque lettre, & comment il les fait rc-
quer & diilingucr à ceux qu'il inflruit. Pour
il les oblige, en fe regardant dans un mi-
, de s'habituer à faire les mêmes mouve-
15 qu ils lui voient faire. L'autre partie de fa
hoae , c'eil de donner lui-même au gpfier de
difcipk la difpofition qu'il doit avoir pour
aines lettres , comme peut faire un Maître
crire, quv prend la main de fon difciple , & la ;
iduit, ou comme un Maître à danfcr qiii tour-
les pieds de fon écolier, & lui fait faire les
qu'il veut qu'il faife. Cet admirable Maître
muets , quand il leur donne fes premières le*
s , forme avec fes mains dans leurs organes la
)ofition qui eft neceflaire pour prononcer cha-
î leitire. ' Il preflc leurs lèvres Tune contre l'au-
,"0U ft ie^ fepare ; il leur fait étendre la lan-
\\ ou la replier, Tcnfler, félon que cela eft ne«
aire. Dans les lettres à la prononciation def-
tlles le nez contribue , il leur prefle cette ^r-
de la manière qu'il convient. Sans doute
1 faut pour cela beaucoup* d^tidrefle & d'exer-
5. Car fi nous avons tant de peine à foire des
uvemens extraordinaires, qu'il y a des lettres
r- chaque langue qu'on ne peut prononcer
î^n'on n'y a point été habitue dès la naiffan-
il ne faut pas s'étonner qu'il fe trouve de la ,
iculié à £ûre prendre la coutume à ceux qui
I n'ont
194 La Rrztorx^ue, ou l'Art
n'ont point d'ouïe , de prononcer des lettres
n'ont jamais entendues.
'C'eft une excellente remarque de ce fçaya
ingénieux Médecin , que fi Dieu n'avoit j
donné la parole au premier des hommes, l'i
en auroit été ignoré. Je reconnois volontiers
poffibilité de la fuppofîtion que j*ai faite (
nouvelle troupe- d nommes nouvellement :
de la terre y ou defcendus du Ciel. Ces bon
n'auroient poiiit pu fe former un langage arti<
non plus que des muets. L'expérience le fait
noître, que des muets, qui, étant inUruitsco
nous venons de le dire, peuvent apprendre à
1er, ne le peuvent faire fans Maître. Tout 1<
Î;age n'eft qu'un aflcmblagc des fons fimples,
es lettres que nous appelions les élemens di
cours, font les fignes. On n'a point vu qu'a
muet ait inventé de lui-même la prononci
de ces lettres. La chofe eft aifée à ceux qi
tendent parler ; car naturellement nous in:
ce que nous entendons. Mais un fourd , qui
je, un fourd ^ un enfant , un homme, qu
âge qu'il eût, quand il auroit de bonnes '
les , s'il ne converfoit point avec des hoi
qui fçûffent parler , il ne parleroit jamais ,
à-dire , qu'il ne formeroit jamais aucune j
articulée. C'efl un conte que ce qu'on nous
dire de ces enfans , qui nourris avec des anin
prononcèrent . naturellement de certains
Aufii les miracles que faifoit Notre-Seigne
les fomds Se fur les muet& étoient grands, ei
mier lieu , parce qu'il leur rendoit l'ouïe , &
i'inftant même ils entendoicnt ce qu'on lei
foit; chofe aufll furprenantç que ii tranfport'
XTix .les Chinois « nous connufllons à la i
hçurc tout ce qu'ils nous diroient. En fi
'li^u> ce qui xendoit les miiaclcs de Notr
DB PABLBR. Liv. JÏI. Cbêp. L X^;
' plus admirables, c*e(l que fans inftmétion
Duets parloient didindlement» ce qui ne fe
3it pas faire naturellement, puifqu'en mille
s plus aifées, il eft impoffible de faire cer-
mouvemens qu'après un long exercice. Je
ois pas que jamais les hommes eulfent pro-
h les diflTerentes lettres de l'alphabet , s'ils ne
oient entendues prononcer. Ils peuvent bien
anger, les altérer, & faire de nouvelles lan-
; mais je ne conçois pas que s'ils n'avoient
s entendu parler diftin(5lement , ils eufTent
ré d'eux-mêmes le fon de chaque lettre. L'ex-
HCC le prouve comme je Taidit , puifqu'onn'a
[s vu de muet parler de lui-même.
feroit à fouhaiter que la méthode dont nous
>ns f fut connue , qu'en tous pais il y eût des *
)nncs qui en fuflent parfaitement inftniits. II
des muets par tout , & des enfans à qui il ne
: pas d'entendre parler pour parler eux-mê-
: n y a des lettres qu'ils ne peuvent pronon-
Cettc méthode s'emploie avec fuccès pour
:-ci. La facilité avec laquelle nous parlons ,
laufe qu'on ne fait prefque aucune attention
difoofition des organes de la parole. On croit
l CK inutile de le faire. Un fameux Come-
i en a ^t un fujet de raillerie dans l'une
fes Comédies, où il joue un Bourgeois, qui
es avoir amaffé du bien , vouloir pafler pour
nmc de qualité , & en avoir les airs. Pour cela
nx>ioit qu'il falloit fçavoir quelque chofe ; il
t donc un Maître. Ce Bourgeois étoit fi grof-
r & fi fot , que l'idée qu'il avoit de la fcience fe
Imfoit à vouloir apprendre l'Orthographe ôc T Al-
a, pour favoir ^uand il y a de la Lune &
il n'y en a pomt. Il fsilloit donc que fon
lilofophe qui l'inftruit fur le Théâtre , choifit
IC leçon accommodée à fa capacité ^ à celle
I z da
tç6 La Rhetohique, ou l'Art
du peuple. 11 lui apprend donc feulement com-
ment fe forme chaque lettre, les voielles & les
confones.
Un homme feroit ridicule qui croiroit que
c'eft là une grande fcience ; qui s'écriroit
en écoutant de femblables leçons : Ab i que ctU
efi ht au l vive la fcience \ comme àit^Ie
Bourgeois qui traite fa fervante d'ignoran'tc ,
parce qu'elle ne fait pas ce qu'elle ait quand
cUe prononce un V, Un homme , dis-jc , qui
8*imagineroit que cela eft neceflaire pour parler,
feroit auffi ridicule que celui qui croioit ne pou-
voir manger à moins que de (avoir tout ce que
les Anatomiftes difent de curieux fur la maniè-
re dont les viandes fe broient dans la bouche, &
fc mêlent avec le fuc falivaire qui en fait la pre-
mière digeftion. Cette connoiiTance li facile de la
manière dont chaque lettre fe forme , eft le fon-
dement de prefque tout ce qu'on peut dire de
curieux fur les irregularitez de la Grammaire.
Elle fert à rendre raifon d'une infinité de dio-
fes qui regardent la manière de décliner les noms,
de conjuguer les verbes ; ainfi quoi qu'on en
puifle penfer & dire , je m'arrêterai ici quelques
momens. Outre qu'à prcfent on ne peut plus mé-
prifer une recherche qui a appris le fccrct de feire
parler les muets , & de faire que les fourds peu-
vent lire fur le vifage de celui qu'ils voient parier,
ce qu'ils ne peuvent entendre; car fans doute que
ceux qui ont obfervé les difpofitions que prend
la bouche propres à la prononciation dechaquelet-
tre , & il ne faut avoir qu'un miroir pour Maître,
peuvent au feul mouvement des lèvres concevoir
tout ce que Ton dit en leurprcfence, quoiqu'ilsnc
l'entendent pas. C'eft un fait dont j'ai fait desex-
perienccs certaines.
DB PARLER. Uv. IIL Chef. IL 197
C H A P l.T R 1 IL
Dit lettres dont les mots font compofez. Première''
ment des voielles. Comment Uur Jon fe
forme*
PErfonne n'a recherché plus utilement que ce
fçavant Médecin dont nous venons de parler ,
w manière dont fe forment les lettres. Il en traite
^ns deux Ouvrages qu'il a faits. Le premier a
Pour titre Surdus & mutas loquens. Le dernier
qui vient de paroitre eft une excellente Diffcrtt-
tion fur cette même matière. Je n'ai pas vu le
premier Ouvrage. Voilà ce que j'avois écrit dans
rEditipn précédente avant que d'avoir vu cette
Diffcrtation.
La voix , comme on Ta dit, n'eft que le fon
que fait l'air qui fort des poulmons lorfqu il
pafle avec contrainte par l'ouverture du larynx
entre les deux membranes de la glotte. Cette voix
fe modifie différemment dans la bouche; il s'en
fait differens fons dont on compofe les paroles ,
& qui font comme les membres , ertus , du dil-
cours, ce qui fait qu'on dit que la voix ell ar-
ticoléc , après qu'elle a reçu ces différentes for-
mes. Les caraâeres qu'on a choifis pour être les
figncs de chacun de ces differens fons , s'appcl-
knt lettres. Les lettres qui marquent les diffé-
rais fons qui fe font feulement par les différentes
ouvertures de la bouche , ' s'appellent voyelles ,
parce que leur fon n'eft prefque que la feule voix
yû n'a pas encore reçu de grands changemens.
La voix eft la matière du fon de toutes les lettres.
2>i l'on ne faifoit que faire battre les lèvres Tune
contre l'autre, ou remuer la langue, onnef'e'^i^
I 3 çovut
îpS La Rhitorioue, ou l'Aut
point entendre le fon d'aucune lettre ; de mê-
me qu'une flûte ne dit rien quand on n*y pouiTc
point d'air, & qu'on ne fait que remuer les doigts,
il faut que la voix i^irécede ou accompagne le
mouvement des organes qui font les lettres qu'on
appelle confines , qui font ainii nommées , par-
ce qu'elles ne font point entendues qu'on n'enten-
de en même temps le fon d'une voyelle , c'eft-
à-dire , qu'on n'entende une voix qui leur tient
lieu de matière, à qui elle donne une forme parti-
culière.
Il faut donc parler des voyelles avant que de
venir aux conlbnes. Les différentes manières
dont. on ouvre la bouche , font qu'il y a dif-
férentes voyelles. Ce palîage de la glotte oii
fe forme la voix , peut s'ouvrir ou fe refferrer.
.Les poulmons peuvent renvoyer plus ou moins de
cet air qui fait la voix ; outre que félon qu'on
ouvre la bouche plus ou moins, on y fait reten-
tir la voix dans fes différentes parties > ce
oui la diverfifie. Alors la ilangue ne fait rien »
u ce n'eft dans fa racine, comme nous Talions voir
en examinant comme* fe forme chaque voyelle.
Elles ont une grande affinité entr'elles; parce que
les manières dont elles fe forment font peu dif-
férentes, ce qui fait que dans toutes les langues on
change facilement une voyelle dans une autre
voyelle.
A. Lorfqu'on ouvre la bouche , la voix qui fort
fait ce fon qu'on appelle A , leauel fon reten-
tit dans le fond du golier. La langue ne feit
rien. Elle demeure fufpenduë fans toucher aux
dents, laiffantainfi couler la voix qui eft portée en
haut.
E. Quand le larynx ferefferre, que les poulmons
pouffent moins d'air , que la bouche eft moins ou-
verte» 6c que les lèvres fe replient en dedans, la
voix
il i»AELEii. Liv.IIL Chap.IL ^99
lix au'on entend efl la lettre £. Il femble que
gouer retienne le fon de cette lettre, & que ce
Q s'appuie fur la racine de la langue dont la pointe
ache pour lors les dents, qui font médiocrement
paiées.
I. La voyelle / fe prononce avec moins de
ivail. Il faut peu dair pour la former. Le fon
m e(t point retenu dans le gofier. Il eft porté
Ts les dents qui contribuent a le diftinguer. La
mdie eft un peu ouverte , 8c les lèvres s'éten-
sit. Nous verrons qu'il y aiin J confone.
O. Le contraire arrive lorfqu'on prononce la
)yelle O. Le larynx s'ouvre , le goiier s'enfle ,
fc fait creux : on y entend fonner cette let-
^ Toute la bouche s'arondit, & les lèvres font
i cercle ; au lieu que dans la prononciation d'un
!lles font comme une ligne droite. Le fon de
tte lettre approche de celui de la lettre A ;
:ft pourquoi il y a des nations qui les confondent ,
mme le font les Allemans. Le fon de la Diph-
ongue ou diffère de l'O feulement parce qu'il eft
os obfcur.
U. La prononciation de \U eft douce. Le la-
nx contraint moins la voix qui fort des poul-
ons, ainfi cette voix eft moins forte. Le go-
ïr ne s'ouvre pas , ainfi l'on n'y entend pas la
)ix raifonner. Les lèvres avancent en dehors ,
: fe raffemblent pour faire une très-petite ou-
ature. Ceft ce qui tait que les Hébreux ran-
!nt cette lettre entre les confones qu'ils appellent
êkîa/es.
Le fon de Yu , quand il eft adouci , approche
ufonde-l'/. Ceft pourquoi les Latins confon-
loicnt autrefois ces deux voyelles. Ils diloiént
pimus , & optumus. Ce fon adouci de Vu ,
lue les Grecs appellent upfilon , c'eft-à-dire u
>ctit, eft bien diôerent du ion de la diphthonguc
I 4 •»•
iibo La Rhétorique» ou VJ^^r
fiu. Cette voyelle fe range comme Vi eiitr
. confones, comme nous lèverions; c'cft-à-c
qu'il y a un 1' confone.
Chacune dé ces cinq voyelles peut fe pro]
cer différemment, félon la mefure du temps a
s'arrête à. les faire fonner , afin qu'elles le
mieux entendîmes, ce oui les diilingue en vc
les longues & en voyelles brèves. Nous n'r
point de caraâeres, non plus que les Latins j
. marquer ces différences, comme en ont lesGr
qui pour cela comptent fept voyelles. 11 dépen
ceux qui parlent de s'arrêter plus ou moinî
temps fur les voyelles, & ainfi de mettre e
elles plus ou moins de différence.
C'eft pourquoi le nombre des voyelles conf
rées félon le temps qu'on met à les prononi
n'cft pas le même dans toutes les langues.
Hébreux en comptent jufques à treize, parce q
ont, par exemple, un a long, un a bref, u
irès-bref.
C'eft une qucftion que nous examinerons <
la fuite, fi en nôtre la.*gue une même voyell-
prononce toujours dans des temps égaux, c'cf
dire, fi quelquefois elle eft longue, &c qudq
fois brève. Mais il eft certain que nousprononç
différemment une même voyelle, fans que n
mettions de différence dans le tcms que noiis <
ploions à la prononcer. Lorfqu'on ouvre la b(
che davantage, le fon en eft plus fort & plusda
quand on l'ouvre moins , le fon eft plus' foiNc
moins clair. Ces differens degre7. de force aqf»
cette différence qui eft entre un e ouvert, & u
fermé, & un ^ muet. L eft ouvert dans/>r<|^i
excès t fer y enfer. Il eft ferme dans bonfé , p/at
Il eft muet dans grâce , p/ace. Il y a de la d
ference entre p/ace en Latin fe^fes , & p/acé
qu'on dit en Latin Ucafus, La différence de
»l »AmLSK. Ltv. in, Chap IL tôt
Yy Grec vient de la même caufc. Nous
•us fervons pas de differens cara(flercs pour
ler ces différences > on met feulement fur la
ordinaire une note au on appelle accent^
'ertit qu'il faut élever la voix. Nos voycî-
t une prononciation toute différente quand
■yïiX accentuées. On prononce diffcremmênt
une efpece de coffre, & mâle en Latin
^us : ce mot hôte en Latin bofpes & bote
\. une efpece de panier. On compte jufques à
voyelles différentes dans notre langue. Outre
erence que le temps qu'on employé aies pro-
:r peut mettre entr'ellcs , il elt certain qu*cl-
it differens fons , félon qu'on les retient dans
lier, qu'on les pouffe vers le palais, qu'on
rte vers différentes parties de la bouche. De
nt que les mêmes voyelles n'ont pas le même
ans la bouche de différentes nations.
remarque qu'entre les voyelles celles oui
m fon plus fort , font particulièrement Va
, cnfuite Yo, Le fon de Yt eft fourd , par-
i'il fc fait dans la bouche qui en retient le
Ceux qui ont aimé les voyelles fonnantes,
vite cette voyelle r, lorfqu'elle ne fe ren-
oit pas avec des confones qui en rclevaf-
le fon. Quoique Yo foit plus fort, auel-
ons ont mieux aimé You que le {Tmole o,
lu'on lie le fon de deux voyelles, il s'en
a troifiéme , ce qu'on nomme une diphthon-
c'efl-à-dire ,. une lettre qui a deux fons,
ne ^y or.
mme chaque voyelle a un fon qui lui efl
nilier, plus fort ou plus foible; chaque na-
, félon fon inclination dominante, affeéle
î fervir des voyelles qui conviennent plus à
lumeur; &: c'eft ce qui a fait lés différentes
êtes de la Grèce. Cela fe voit dans les !an-
I 5 gués
101 La Rhetoriqjje, ou. l'Aut
gucs vivantes; car les Efpagnols qui font na
rdlement graves & fiers, fe font fervis de m
qui rempliflent la bouche, qui demandent i
grande ouverture, de grands mots, qui fonn
beaucoup. Ainfi ils répètent beaucoup VAy voy<
magnifique, qui fe fait par une grande ouver
re. Ils terminent plufieurs de leurs mots en
& Os y terminaifon qui eft fort fonnante. I
François qui n'aiment point l'affedation , fe i
vent volontiers de YEy dont la prononciation
ÎAus douce; & c'ell pour cela que les élifions , <
ont rudes dans les autres langues, n'ont rien
defagréable dans la nôtre , parce que plufieurs
nos mots fe terminent en"£, dont l'élifion
douce , comme il paroît dans le vers fuivant.
^aime une amante ingrate » é^ n*aime qu\
au monde*
C'eft ce que montre fort bien TAuteur (
Avantages de la langue Fran^oife , qui reraarc
qu'un François n'elt point obligé de parler de
gorge , d'ouvrir beaucoup la bouche , de fir
per de la langue contre les dents, ni faire
lignes & des gefles, comme il paroît que fi
la plupart des étrangers , quand ils parlent le 1
gage de leur pais , & comme nous femmes a
traints de faire lorfque nous voulons parler 1
langage.
o
Chapitre III.
Ves Confones, Comment elles fe forment*
N peut [dire que les voyelles font au if%
des lettres qu'on appelle confones, ce^Q
. Mt rATtlT»; LIikIII: Cbap. ÏIL 163
n d'une flûte aux différentes modifications de
lême fon que font les doiets de celui qui joue
et inûrument. Dans le ion des voyelles, la
ne , comme on Ta dit , ne fait preique rien ;
ntend imo voix continue. Au contraire dans
ronfones Ta voix eft interrompue: tantôt la
ue Tarrête, & tantôt la laiiTe couler; elle eit
}ée par les dents , & battue par les lèvres,
langue efl un des principaux organes de la pa-
. Ceft elle qui conduit la voix , qui la dé-
line, 6c la change félon qu elle fe replie ou qu'el-
déploye , & qu'^elle frappe certaines parties de
ouche. La capacité du goûer fait que la voix
lifonne. Il y a des confoncs dont le fon fe
ne dans cette partie. Les lèvres donnent auiTi
forme particulière à la voix, félon quelles
:cnt les uiics contre les autres, quelles fe
nent ou qu elles s*ouvrent. Les dents contri-
nt pareillement à articuler la voix. Il y a des
fones dont le fon fe forme dans le palais,
as avons dit qu*on entend toujours lorfqu*on
nonce une confone , le fon d'une voyelle , qui
entendue dans le lieu de Tor^ane qui la mo-
e pour en faire une confone, loit danslegolier,
: dans le palais , foit fur la langue , entre les
its, fur les lèvres. D*où vient que les Hébreux
inguent les confones en différentes clafles , à
. ils donnent le nom des organes qui fervent à
former, c'eft-à-dire qu'ils les diftinguent en
Tes du gofier , ou gutturales ; lettres des lèvres , ou
iales; lettres de la langue, lettres du palais i &
Tes des dents.
1 y a des peuples dans l'Orient qui ont des let-
S que leurs Grammairiens appellent Uvalesy
ce qu'elles s'entendent dans cette partie de la
iche'où eft la luette, qu'on nomme en Latia
u Ils ont des lettres qu'ils ne prononcent qu'en
I 6 fiffiatit »
104 La Rhétorique, ou l'Ailt
fîfflant, d'autres qu'ils prononcent en bega^
balbuttendo, II y a des lettres dans leurs al
bets qui fe prononcent la langue repliée proch
la racine des dents.
Les Grammairiens Grecs diftinguent leurs
très en voyelles, c*eft-à-dire lettres qui fon
fon, & en lettres muet f^ y qui font celles qui
dles-mêmes n*ont point Me fon, & en lettres
ont un demi-fon. Ils comptent fept voyelles , coi
nous avons vu , & neuf muettes qu'ils difting
en trois claifes , chacune de trois lettres. La
micre clafle comprend celles qu'ils appellent//!
dont le fon eft foible , fa voir , «-, x. t. qu
pondent à nos lettres p. k. t. La féconde <
contient les lettres qui ont un fon qui n'efl ni
ni foible, qu'ils nomment pour cela moyen
& qui font C, y. /. b. g. d. La troifiéme (
prend les afpirées qu'on ne prononce qu'ave
piration , favoir ^. z- ^. que nous exprimons
ph. ch. th. ajoutant h. qui eft la . marque de 1'
ration aux lettres tenues.
Les lettres d'un demi fon font celles qu
Grammairiens appellent iiquides , qui ont
prononciation coulante. On compte quatre 1
des, favoir, a. a*, r. p, 1. m. n. r. Les lettr<
demi-fon font en fécond lieu toutes les letrres <]
appelle doubles , parce qu'elles ont la force de
lettres, comme font •»/.. |. ^. qui enferment
muette avec un fîgma , c'eft-à- dire avec unei
lettre double ^, vaut /3o». tstt. çt. La lettre Ç.
jtr. yv, x^' & C V^^^ ^°'*
Il y a des lettres fort oppofées à ces le
doubles , qui font celles que les Hébreux appe
quiejcentesy parce qu'elles femblent fe rep<
& ne rien faire dans la prononciation. Nous a
de CCS lettres dans notre langue, dans ce
pft , comme quand jaous difons ([u'il fujï
l
BB PâHIElL. LÎV.JIL Cbâf 111. 105
lettre s. ne fc prononce pas. Cependant elle n'eft
pas inutile» non plus que dans ce mot paon lalettte
0. Ces lettres ^uon appelle quîefcentes^ ne font
pas une clafle a part» parce quen gênerai une
lettre eft quiefiente ou de repos dans le mot où
elle fe trouve , lorfqu'elle n'y confcrve pas toute
fa force: ce qui arrive fonvcnt dans les langues
qui aiment une grande douceur dans la pronon*
dation. Il 7 a des rencontres» où û l'on n*adoii->
dflbit pas certaines lettres » la pronondation feroit
fort rude.
Avant que nous confiderions comme fc forme
diaque confone » il fera bon de remarauer que les
oiganeç de la parole peuvent divernfier la voix
en tant de manières différentes, que fi on mar-
^uoit ces manières par autant de caraâeres par-
ticuliers » on feroit oes alphabets qui auroient une
infinité de différentes lettres. On le voit par expé-
rience; chaque nation a des manières fi particu-
lières de prononcer certaines lettres , que s'il leur
f^oit donner un figne propre, il faudroit leur
en donner un tout différent de ceux qui font or-
dinaires. Ct^ ce qui fait que les alphabets ne
font pas les mêmes dans toutes les langues. Il y
a des peuples qui ont plus de lettres que nous»
comme nous avons des lettres qu'ils n*ont point,
La prononciation fe peut diverfifier , comme nous
venons de le dire. Lorfque cette diverfité eft no-
table» on eft obligé de la marquer par un figne
particulier , ccft-à-dire, par une lettre ou caraôe-
re particulier, qui ne peut- être bien prononcé
que par ceux du païs , parce que la pronondation
oc cette lettre confîfte dans une manière à laquel-
le il faut être habitué. On ne peut pas non plus
l'exprimer avec nos caraderes, qui font les fignes
d'une prononciation différente. Nous le voyons
lorfque nous voulons exprimer avec nos caraâeres
I 7 Grecs
j,o6 La RHBTOniQj'Ey ou L'AUT
Grecs ou Latins les caraâcrcs Hébreux. PcrfotMM
ne s'accorde: les uns les expriment d'une manière,
les autres d'une autre; & tous fe trompent , parce
que les Hébreux prononçoientces lettres d'une ma-
nière qui leur étoit fi particulière , que nous n'a-
vons point de lettres qui en puiâent être un figne
propre.
L'ordre qu'on peut garder en examinant com-
me fe forment ces confones, c'eft de fuivre k
diftribution que les Hébreux en font félon les or-
ganes où elles s'entendent. Commençons par les
confones du gofler ou gutturales , qui font dans
la langue Hébraïque, aUpb, be^gbet om cbett
bgain ou grMÎm ou niim -y car les Grammairiens
ne s'accordent pas entr'eux touchant la pronon-
ciation de ces lettres que les anciens Grecs ne
regardoient que comme des afpirations; c'dl
pourquoi en exprimant les noms Hébreux ou
Grecs , ils ne marquoient point ces lettres. Elles
font appellées gutturales , parce qu'elles fe pronon-
cent in gutture, dans le fond du gofîer, c'eft-à-
dire que pour les prononcer il faut ouvrir le go-
fier plus qu'on ne fait pas pour les autres lettres.
C'eft ce qu'on appelle afpirer une lettre. Nous
avons en Latin & en notre langue un caradere
particulier pour marquer l'afpiration, qui eft H.
qui n'a point d'autre uiâge. SpirHus magh quàm
Uttera, Nous n'avons point d'autres lettres afpi-
rées. Pour exprimer les afpirées des Grecs nous
joignons aux lettres tenues , comme nous l'avons
dit, une h. Âinfi pour ^. nous mettons pby pour
X' nous mettons eb, &c tb pour $, Le ^. eft un
p. prononcé auec afpiration. Le >j. un c, avccaP
piration , &tf un/ avec afpiration; mais l'alpi-
ration de Yb eft douce. On voit dans les mots
Latins qui viennent du Grec, & oui commencent
par une voyelle qui s'afpirey quon met une b
de-
DB PAB^tSB.. Liv.I h Chef. 111. 107
devant cette voyelle. Comme de i^/u^fim on fait
barmonia , barmonte. Les Orientaux afpirent
plus fortement que les Grecs ; & ils afpirent des
lettres que nous prononçons doucement. Les Hé-
breux prononcent leur aieph dans le fond du go*
fier d'une manière fi particulière » que leurs Gram-
mairiens prétendent qu'on n'en peut exprimer le
fon par aucune lettre des langues Européennes.
Vakpb tient le milieu entre a èc e. Le be S^
le ctet ne font que des afpirations. L'afpira-
tionde be efl douce, c'eft l'epfillon des Grecs»
qui en traduifant les mots Hébreux, oublient
cette lettre. Le cbet c'eft Yetba du Grec. Le
insim ou aiim leur omicron. Cette dernière let«
tre a cela de particulier, que la voijc eft portée
vers les narines où elle fonne. Nous n'avons point
de guttm^es que notre b. qui eil la marque de
l'afoiration.
Les lettres des lèvres font en Hébreu betby vaui
mm, fe; dans le Latin & dans le François, b^
PiMfVtf. On entend ces lettres fur l'extré-
mité des lèvres, auffi voit-on qu'elles fe confon-
dent fiidlement, parce qu'elles fe prononcent à
peu près de la même manière , qu'elles font
entendues dans un même organe; ce qu'il eft bon
de remarquer pour appercevoir comment il fe fait
que ceruins peuples prononcent une lettre pour
une autre, ce qm change tellement une langue,
(pi'à peine peut-on connoître fon origine. Les Al-
lemans confondent ces lettres labiées; ils difent
ponum pour bonum^ & finum pour vinum. Les
Gafcons binum pour vinum. Les Latins ont de
même confondu l'v avec /. de /&/($►* ils ont fait vita.
Nous avons changé v en ^, de corvus nous
avons fait corbeau, & le ^ en v , à'Aprilisj
Avrils de cuffa^ cuve y de nepost neveu. Chez
I^ Hébreux le beib a tantôt le fon de ^ j & tanr
tôt
îo8 La Rhitoriqjji, ou L'AiT
tôt celui de V. Voyons comme chactme de ces
lettres labiales fe forme.
B. La lettre b, s'entend lorfque la voix fortant
du milieu des lèvres , elles les oblige avec une mé-
diocre force de fe feparer.
P. La lettre p, fe prononce en étendant les lè-
vres, de forte qu'elles ne font pas li grofles; elles
fc compriment plus fortement que dans la pronon-
ciation du b. ainfi la voix fait plus d'effort pour
les feparer.
. M. Le fon de la lettre m. eil fourd , mugiènt
iittera. On ouvre d'abord la bouche en la pronon-
çant, & on entend une voix qui prend la forme du
ion de cette lettre lor^ue les lèvres viennent à s'ap-
procher fans fe battre , & qu'elles ferment la bou-
che; ce qui fait qu'on entend un bruit obfcur com-
me dans une caverne.
V. Uv confone efl le Vau des Hébreux. Les
Grecs l'avoient dans les commenccmens , Tayant
j-eçûë des Hébreux avec le refte de leur alphabet.
Cètoit leur fixième lettre comme elle l'eft dans
l'Hébreu. C'eft pourquoi après qu'ils l'eurent re-
tranchée, comme ils s'en étoient fervi , comme de
leurs autres lettres, pour notes numériques, ili
mirent en fa place f , qui n'eft point une lettre
Cette confone V eft proprement une afpiration; les
Latins l'ont prife pour cela, faifant, par exemric,
ve/per de 'iartp(^. Ce qui fait que v diffère de >,
c'eft que les lèvres ne battent pas quand on le pro-
nonce. La voix fort du milieu des lèvres , au liea
que dans la prononciation du b les lèvres battent
1 une contre l'autre.
F. Le fon de / eft encore une afpiration. Quand
on commence de prononcer cette lettre, laboudie
«'ouvre, enfuite elle fe ferme un peu, la lèvre
inférieure fe colant par fon extrémité fur ta
-dents. Le ^ avec l'afpiration tient Ueude cette lc^
• - trc
trt chez les Hébreux comme chei les Grecs. Les
Latins ont mis quelquefois / au communcement
des mots Grecs ^ui commençoient par une afpi-
lation. Ils ont ait frsng§ de fmym. Les Efpagnols
f en h > d*où ils font éfârins de farina , leur bs^
iUrt de fahuiare. On voit affez Tutilité des re-
marques que hôûs fâifons ici» & qu'elles donnent
de grandes lumières pour découvrir Torigine des
langues. On voit comment les Romains ont faity^r»
Mê de /Kf f ^^ » p^fcê de ^êtnctt , fremo de /8^f ^« Qoin-
tilien» ce grand Maitre de Rnetorique, veut qu'on
ii^t faire ces reflexions aux jeunes gens. Difcni
fw quid in iituris proprium^ quid commune, quét
cum pitbiâs cognaÙQ : nec miretur cur tx Jcamn$
fit fcëbellmB.
Les lettres du palais chez les Grecs fonti^imr/»
W, ïa^ , hyfb\ en Latin, 8c parmi nous g. i. c.
k. d ou l'on apprend pouiquoi ces lettres fc
mettent û -facilement les unes pour les autres»
comment de fervicns on a fait fergeans , de %x%^
îieriét, giibernmtort de xv^t^^ntmit 8c que de l'Ho-
breu^iim«/ona fait V/u4A<^. Dans la prononr
dation de ces lettres la langue en fe repliant porte
la voix contre le palais.
G. Quand on prononce un ^ , la pointe de h
langue s'approche du palais; les lèvres s'avancent 8c
le replient un peu en dehors.
J. Quand on prononce j confone, la voix s'en-
tend au milieu ae la langue 8c du palais. La bou-
che ne s'ouvre qu'un peu,'
. C, &i prononçant c la langue fe replie en dc-
.dans, 8c porte la voix contre le palais, où elle s'ar-
: -rttc, ce qui oblige de la pouffer avec force. Les
• lèvres font étendues, 8c ainfi elles ne s'ouvrent
\ ^ue médiocrement.
- K. Les Hébreux ont deux fortes de c, fçavoir le
; Kaph 8c le Khoph. 11 nous feroit hier difficile de
t dit"
*To La RniroRiQUE, ou t'AkT
diftinguer ces dci^x lettres en les prononçant
que nou$ n'y fonimes pas faits. Le k ne
guère du e que par une afpi ration. Nous
dflbns en pluiîeurs rencontres le Ton duf , d<
qu'il approche du fon de Vs , comme en ce
€9mmenqa : alors on niet deffous ce c une n(
que les Efpagndls appellent eedilk.
Q. Le ^ eft proprement une lettre doul
a la force du <: & de Vu vojcelle. Les Grecî
point cette lettre. Le x Latin qui répond a
Grecs, eft aufli une lettre double compo
« de de j.
Les lettres de la langue font en Hebrei
ieth, Tctb y Lamtdy Nuny Tau y D, TI
N , T. Ceux qui ont la langue épaiffc ou
de ont pcii^e à prononcer ces lettres, qui f
fondent facilement propter cognationem» I
on a fait fans peine Deus.
D. Lojfqu'on jappuye Textrcmité de la
fur la racine des dents de delTus , & qu'en
voix l'en fepare pour couler entr'elle ôtles
t)n entend fur l'extrémité de la langue le fo
lettre d.
T. s'entend pareillement fur rextrémîtt
langue qui alors touche les dents de deflus
plus près de leur trenchant. Les Hébreux
Grecs ont deux / qui fe diUinguent par TaQ
que nous marquons en Latin & en François
lettre b.
L. En commençant de prononcer /, on<
bouche, ainii cette lettre n'eft pas muette
Tcment La langue travaille peu: elle port»
ment la voix contre le palais, contre leqi
s'appuve par fon extrémité. La mâchoire d
contribue à la prononciation de cette lettrt
tant la voix en haut. La Trachée-artere
auffi la voix , de forte que cette lettre fc pr<
BX PARIS R. LÎV.IJL Ckétp.IIL II X
irite^parce que le larynx fc ferme promptcmènt,
ut à coup, & qu'on ne &it point d'effort pour
!cr la voix-
La bouche s'ouvre auffi en prononçant ni
pourquoi elle n*e(l pas muette entièrement
ingue fe replie» & porte la voix dans cette
t du dedans de la bouche où eft la communia
n des narines. Le fon de cette lettre refonne
t lieu 9 parce que la bouche fe ferme fur la fin
prononciation y ce qui fait qu'on appdle cette
t iitterû tinniens.
)us adoudfTons le fon de cette lettre dans ces
gagner i agnès, tgmrer^ comme nous le
is de la lettre /, particulièrement quand
eft double, comme dans ce mot fii/e, dont
:ux lettres ne fe prononcent pas comme dans
• Ceft de là que de foi on hit fou ^ de coi
ic maia maux , de me/ mreit de fe/fieL Ces
/^ ont en notre langue un fon particulier qu'on
t pu marquer avec un figne particulier pour
ire une lettre diftinguëe de /, quand cette iet-
& prononciation ordinaire.
s lettres des dents chez les Hébreux font
, /àmecb » tjà/ie , refcb , îfibht. Nous n'a-
que s , z , r , qui fe changent facilement les
dans les autres. Les Latins ont dit VmUfius
iterius. bonos 6c bonor. Il y a des lieux en
« où Ton dit courin pour cçufin, Naufes
de favTîu,
La. lettre s fe prononce lorfque les dents ap-
ant les unes des autres , coupent la voix
3ule fur la langue , laqucHe s'appuye dans fon
nité contre les dents de deffus , & demeure
;; c'eft pourquoi la voix n'étant point arrê-.
au contraire étant contrainte de paflcr avec
; entre les dents , on entend unfiflementfem-
à celui d'un vent qui paflc avec violence
par
• iTi La RHBtORiQUB, ou t'Auf
par une fente. Il faut pouffer h voix fortement
pour faire fonner cette lettre; c'eft ce <j[mla fti-
foit éviter aux Grecs, qui aimoient mieux dire
rwXmrlêt (jue Texucart/. Ils faifolent des pièces de
. vers où il n'y avoit pas une feule s, qu'on ap-
- pdloit pour cela «#xy^«i« «JW(. Nous adonai^
' ions cette lettre en ces mots caufè^ AJir^ fi^fir*
• Nous la prononçons comme le tfade des Hircin.
Nous la doublons quand nous lui confervons k
fon qu'elle a, comme dans ces mots, auffi^
kaigery laijfer. Les Latins fe font fervi de celte
lettre pour marquer Tafpiration. Ainfî de $< 3i
ont hit fus j de ùxifyha. Nous avons mis un «
devant s, pour en faciliter la prononciation, difàit-
itablir de fiabilire^ & écrire de Jcribere. DlU
]dufieurs Provinces au-delà de la Loire, onnepu»-
nonce point cette lettre quand elle commence k
mot , qu'on ne mette un e devant; on dit ^dti^%
9fpefiacie.
Le Samech 8c le Schin des Hébreux ne fe diflift*
• guent que par la force de la prononciation.
Le Z des Latins 6c le nôtre , comme le zaia
des Hébreux, & le zêta des Grecs, eft une let-
tre double , qui vaut un d avec s , comme le
tfade vaut un / avec s. Nous donnons aa x
ime prononciation douce dans ces mots, «Mft
douze y treize.
R. Cette lettre n' eft pas entièrement muette,
parce qu'on commence par ouvrir la bouche. Oa
. pouffe enfurte fortement la voix , qui étant anê»
tée par les dents qui ferment le paffage , eUc d
obligée de rouler dans le palais , à quoi contlh
buë la langue qui fe replie un peu dans fon a-
trémité. U faut pouffer la voix fortement; ce q«
rend la prononciation de cette lettre affex rude ft
difficile. Ceux qui ne la peuvent pas prononcer»
mettent / en fa place. Au lieu de roturier iis
Di PAULI n. Lh.IIL Cbnp. Ut. 213
îSent ktu/ier y d'où Ton a dit «Aiff-t®- pour lcfi4-
*f<^> & que pour foûtenir la voix on a mis b de-
vant cette lettre , comme fi^^év pour fi^êf^ bru/eus
)OUt rufcust 5c qu'on a fait train de rugire^ cbémt»
re de caméra.
On comprend aifément que Tclon la difpofî-
ion des organes il y a des lettres qu'on ne pro*
lonce qu'avec peine; ce qui oblige d'en iùbfti- .
net d'autr'es; Ceft qudàuefdis par affedatiqn,' .
x>rnme le fait cette Gfanaycuré de la Comédie
le r Après fouppé des Auberges, qui change tous
es G en D, tous les K en T, tous les J en Z,
ions les Gi en S. Elle dit Dalant potir Galant ,
Tour pour Cour» Zoli pour Jo/i, Soux pour .
éoux. Cela vient auffi de l'incuhation naturelle ;
&. c'eil ce qui change entièrement une langue,
lorfqu'elle paffe d'un peuple à l'autre, & aune
langue en fait plufieurs , comme on le voit dans
les différentes diale(ftes de la langue Grecque. Auffi
tous ceux qui travaillent fur les Etymologies,
mettent à là tête de leurs Ouvrages de longs Trai-
te! des changemcns des lettres; Ôc font remar-
quer comme les lettres d'un même organe, par
exemple les dentales , fe mettent facilement les
unes pour les autres: que félon les différentes difpo- •
iitions, les habitudes qu'on a prifes , on évité les
lettres labiales, ou on les affede; on change ks
tenues en afpirées , ou les afpirées en tenues pour
adoucir la prononciation, pour l'égaler, pour la
fortifier^ Ainfi au lieu de fcribtum defcribo , on a
hit fer ipium: poviY firib fi on 2. àîtferipfi. On en ,
pourroit donner un million d'exemples. Ces deux
lettres V & F ayant quelque liaifon , du Latin c<i/>- ^
tivuSi au lieu de captivy nous ZYons. hit capnf, .
de brms on n'a pas fait brev^ mais bref-y-pn coi^
fcrvc V dans ces noms, brcvty ca^ttvitç,
• C H A-
1X4 La RHBTOiiiQjrfijOV l'A^r
Chapxt&i IV*
J)e rdtrungtment des mots. Ce qu*il y faut «^
ver ou éviter.
G'Eft un effet de la Sageffe de Dieu qui t\
^créé rhomme pour être heureux, que t
ceHjui cft utile à fa çonfervation lui eft agréa
Le plaifir qui eft attaché à toutes les adions
peuvent lui conferver la vie , fait qu'il s*y p<
volontairement. Nous n'avons pas de peine à m
ger , le goût que nous trouvons dans les viaB
nous feifant trouver la neceffité de manger agi
blé. Et ce qui autorife cette remarque que Die
joint l'utilité avec le plaifir, c'eft que toutes
viandes qtii fervcntd*ahmensontdugoût:le$au
chofes qui ne peuvent être changées en notre fi
tance , font infipides.
Cet affaifonnement de l'utile avec le dele
ble, fe rencontre dans l'ufage de la parole: ;
a une fympathie merveilleufe entre la voix
ceux qui parlent , & les oreilles de ceux qui
tendent. Les mots qui fe prononcent avecpei
choquent ceux qui les écoutent : les organes de l'c
font dîfpofez de telle forte , qu'ils font bleflcz
un difcours dont la prononaation bleffe les a
nés de la voix. Le difcours ne peut être agré
à celui qui écoute , s'il n'eft focile à celui qu
prononce, & il ne fepeutprononcer facilement
qu'il foit écouté avec plaiiir.
On mange plus volontiers les viandes dâic
qui confervent la fanté, & qui font agréables
goût On prête auiS plus facilement les ordlI<
lui difcours dont la douceur diminue le travai
Vattcntion. n en cft des fçiences comme des t
D9 'ABiia. Uv.lIL Châf.JV. 1x5
iit fi^nt ÂugufHn; il £iut tâcher de rendre t?*
[e ce. qui eft utile. i2f!^»/0iif wmnuiUtm imttr
fnt'fimilituéincm vefcentés atque AJcentts^ pro*
fmfiigTta plurimûrum.^ nUm ip(a fim quikut
têm poteftt Mlimtnta cêndieiida funt. Le plai-
ire après lui tous les hommes , c'eft lui qui
principe de tous leurs mouvemens» 8c qui
It agir. La prudence demande qu'on fe fer-
;. ce pefichant pour lés conduire là où l'on
qu'As aillent ; &afin que nos paroles reçoi«
un fisivorable accueil » qu'on gagne les oreil-
)ui en fait de fons font comme les portières
ime » outre que le plaiiir que nous donnons
u:hnt eft précédé de notre propre utilité» le
gement de celui qui parle faiiànt le contente*
: de celui qui écoute.
ms toutes les langues polios , c'efl-à-dire dans
s des: peuples qui ont écouté la Raifon , on 7
tjpurs' évité.ce qui pouvoit choquer les oreil-
ce qui a caufé ces grandes irregularitez qu'on
dans leuis Grammaires ; car fi on n'avoit
l qu'à fe faire entendre » on le fcroit d'une
ère uniforme» comme le font les Barbares,
les Grammaires font extrêmement iimples.
Dt peu de focieté entr'eux , ils vivent prelque
me des bêtes farouches; idnfi failant. peu d'u-
de k parole , ils ne penfent pas à polir leur
âge » & ils ne s'apperçoivent pas de ce qu'il
rude. Las Hébreux , les Grecs 8c les Latins
Duffirnt point d'expreffîons rudes. Ils les chan-
)^. quoiqu'elles foient conformes à l'analogie
I langue , c'eft-à-dire à la manière commune.
r Hébreux doublent quelquefois une confone,
ils la changent; ou 'ils l'accompagnent de
'çïlcs longues ou brèves. Oh découvre affez
Icment que ce n'eit que pour rendrt <B pro^
idatien i^us aifée^ Pouirquoi^ange-t-on dan9
le
le Grec les lettres douces ciï fortes , otfcèUêÎ!
font fortes en douces; .^ pourquoi tanrôt ajo
t-on, & d'autres fois on retranche, que de c
voydles on n*en fait qu'une , lefquelles on- fe
en d'autres lieux ? cela ne fe fait que pour la <
ceur de la prononciation. Les irrégularités r
point d'autres caufes. Tous les noms fe dédinerc
delà même manière y 6c tous les verbes auro
les ïtêmes inflexions, fi la douceur de la prol
dation n'ôbligeoit point d'éviter les inflexions
dinaires à caufe du concours de quelques confi
qui ne s'accommodent pas enfemble. il fautrei
quer que les Grecs ^ auffi-bien que les Orientî
ont aimé des fons diUinéb &: forts; ils ont,
exemple, préféré, felonDenys d'HalicamaflCj
lettres doubles aux lettres fimples , ce qui feroit
la rudeife feroit plus fenilble dans leurs lang
s'ils n'avoient eu loin de l'éviter ; car les feux
d'une trompette font plus remarquables que c
d'une flûte douce. Dans la langue Françoifc
fons ne font pas fi forts ; c'eft pourquoi fi elle i
pas capable d'une fi grande harmonie , elle i
pas fujette à une fi grande rudefTe , qu'il f<
très-difficile d'éviter à caufe qu'elle eft afTujctt
l'ordre naturel que nous ne pouvons pas ren
fer, non. plus que celui que l'ufage a une fois
torifé; car quoique bJanc hwet 6c bonet blanc et
une même chofe , on ne dira jamais le pra
qu'en riant.
Avant que d'entreprendre la recherche de ce
peut, rendre un difcours harmonieux , tâd
premièrement de découvrir ce qu'il faut é^
dans l'arrangement des mots; quelles feutes q
peut commettre , 8c qu'eil-ce qui rend la ■
Donciatiou difficile. Le premier pas qu'on'
faire pour arriver à la lagefle, cil de s'âoij
du vice. Saftentié frima Jiuhitiâ ^aruiffi. \
• iPAaLin. Liv.IIf. Chef. IV. xif
tre cela» dans ce qui regarde les fens , tout ce
oui ne choque pas eil agréable , comme dit
uint AugudiA : Id omne deleéiat ^uod non vffen*
Entre les lettres , les unes fe prononcent avec
Elus de facilité, les autres avec peine; celles dont
prononciation efl facile , ont un l'on agréable :
celles qui fe prononcent avec difficulié écorchent
les oreilles. Les confoncs le prononcent avec plus
de difficulté que les voyelles ; aufli leur fon eft
moins doux & moins coulant. U e(l bon de tem-
pérer la rudeffe des unes parla douceur des autres,
plaçant des voyelles entre les confones,afinqu*el«
les ne fe trouvent pas pluûeurs enfemble. Quin-
tilien dit agréablement, qu*il en ell comme des
pierres raboteufes, irregulieres, qui tiouvent leiur
place dans une muraille , quand elles font em-
ployées par un artifan.
La rudefle du concours des confones e(l fenfi-
ble dans les langues du Nort. Le Polonois , TAl-
- lemand , rAnglois font infupportables à ceux qui
n'ont point néncôlre endurci leurs oreilles à la ru-
defle ae ces langues. La coutume fait qu*on ne
s'apperçoit pas de ce que les mots ont de rude ;
néanmoins on remarque , x]ue félon les differens
degrez d'inclination que les peuples ont eu pour la
déUcateiFe, ils ont compofe.leurs mots de lettres
ou plus ou moins douces: ils ont eu moins d'é-
gard à fuivre la Raifôn, qu'à flatter les orçilles:
c'eil pour cette douceur de la prononciation que
les Latins ont dit aufero pour ahfero, coUoeo pour
cumkcÊ, comme l'analogie les obligeoit de parler.
On a obtenu de l'analogie qu'elle relâchât de fes
droits en faveur de la douceur de la prononcia-
tion. ImperMium eft à confuetudinc ut fuMvitatis €mu'-
si Peccan iiceret.
Locfque les confones font afpirées y ou qu'elles
K ft
1x8 La Rretorioub, o* l'Art
fc prononcent d'une manière toute contraire, ot
doit particulièrement en éviter le concours. Il y
« des confones qui fe prononcent la bouche fer-
mée, comme eil le P. Il faut pour prononcer
les autres ouvrir la bouche : le C eft de ce nom-
bre. Ces confones ne peuvent marcher de com-
pagnie ; elles ne s'accordent pas , & on ne peut
les prononcer immédiatement les unes après les
autres fans quelque difl5culté, parce qu'on eft obli-
gé prefquc en même temps de difpofer les or-
ganes de la prononciation d*une manière difi^
rente.
Le concours de deux ou de plufieurs voyd-
Ics eft defagréable pour une raifon toute contrai*
rc. Les confones fe prononcent avec peine , les
voyelles avec facilité; mais cette grande fiidlité
qui eft accompagnée d'une grande viteffc , fait
ou e Ton ne diftingue pasaflez nettement leur fon,
ce que Tune de ces voyelles ne s'entend pas; ain-
fi il fc fait un vuidc dans la prononciation , &
une confufion qui eft defagréable. En prononçant
plufieurs voyelles de fuite, il arrive prefque la mê-
me chofe que lorfque l'on marche fur du marbre
poli; la trop grande facilité donne de la pciçc;
on ^iife, & il eft difficife de fe retenir. En pro-
nonçant ces deux inots , hardi , Ect^er , fi Von
ne fait quelque effort pour s'arrêtfer un temps coh-
fiderable fur la dernière leth'e du premier mot,
ni interfifiati et labnet éntmusy le fon de I, fin
du mot hardi , fe ct)nfbnfd avec la voycUc E^
par oti commence le mot fcrivant , £<r<^fr ; ce
iqui empêche que les oreilles ne foient fatisfaitcs,
ne pouvant dmingucr aflez clairement ces deux
difFerens fons.
Pour empêcher ce concours , ou l'on retranche
une des voyelle^ qui fe trouvent cnfemble , ou
bien l'on infère wine confone pour remplir le vui-
dc
WM FAELIR. Lh.IJL Ckâp.IV. 1x9
de qui fe fieroit Ikns cet artifice ; c'eft pour cette
Dtifon que nous difons en notre langue , qu'il fit
four fM il fit : «•/•// fait pour a il fuit : fira*
^i/pour fera il. Quand une des deux voyelles
mn fbn affcx fort pour fe faire diilinguer, cet
ttdfice t& mutile. Ce foin d'arranger les mots
Ut être fans inquiétude: on ne doit pasconfide-
tr comme des eûtes confiderables , les manque-
nais qui fe font dans cette partie de l'An de
ttdar. : î^on id u$ crimen ingens ixpavefanm
km ifi 9 ae nefcio oh negltgentia in boc > sn folm
mtmth fit pejer. Je ne fai ce que Ton doit évi-
er davant^e de l'inquiétude» ou de la négligence,
Kt Quintilien. La négligence a cet avanuge ,
p'elle âdt juger qu on s'applique plus aux c^o-
es qu'aux paroles : Indicium ejl kominis de rt
mgis quàm de ver bis labcrëntis. Mais enfin
niurellement » félon qu'on a plus de polit elle,
m érite ce qui eft rude » ou on l'adoucit ; on
Fiçprime quelque lettre, ou l'on en infère. Le«
penbnnes polies prononcent nous marcbons , com-
me s'il y avoit nQu marcbons ; il parle , comme
rtly avoit i parle. Pour éviter le bâillement on
Gût fbnner ta confone dans ces mots , Nous al-
kns i vous irez. On infère des lettres , comme
a&Ueude mon ami 9 on prononce mitnnamii au
Uea de ton ame , on prononce ton natne » fclon la
remarque d'un favant Académicien.
La prononciation change continuellement, foit
parce qu'on la veut adoucir, foit par caprice; car
en toutes chofes il y a des moaes. Cependant
en ne change pas a'abord la manière d'écrire;
linfi l'orthographe ne s'accorde plus avec la ma-
nière ufitée de prononcer; ce qui trompe les étran-
gers, & ceux qui ignorent les Etymologies des
Boms. Nous écrivons toujours avec un PH , les
10ms qui viennent du Grec , & qui commencent
K 1 par
110 La Rritouxqui, ou l'Arr
par un ^. Ceux qui favent quelque chofc
fignorcnt pas , & prononcent PH , comme
Une Dame qui 'n'en favoit pas tant , lifant i
Livre où l'ancienne orthographe étoit obfervé
& pbsijkns étoit écrit pour JéÊt/an s : croyant doi
que la lettre H étoit inutile dans ce mot pk
/ans 9 comme elle Teft fouvent, & prenant^
fans & Payfans pour un même nom , s'écria qu'J
liogabate étoit bien cruel de fe faire faire des p
tel de langues de/^y2r*/5 ce qu'elle croyoit fi
dans fon Livre.
Ceft une queftion s'il faut écrire comme <
prononce. U y a un tempérament à prendre,
faut que la nouvelle prononciation foit bien U
blie 9 & confirmée par un long ufage , avant qi
de dianger l'ancienne manière. Mais a|^ès ce
je ne vois pas par quelle raifon on retiendic
l'ancienne orthographe. Si c'eft pour confern
les marques de l'origine de certains mots • poi
quoi n'ecrit-on pas eftuiTter^ eftablir^ pour ma
aucr que ces verbes viennent du Latin /?iw6n
fitfiUire, On voit dans les anciennes langua
dans le Grec » dans le Latin , qu'on n'a point a
dé cette re^e; au contraire il iemble aue lesta
gués n'acquièrent leur perfeélion eue lotfqa'cDi
font tellement changées , qu'il efl difficile de ooi
noître leur origine.
ChapxtubV.
Mn pariant la voix fe reftofi dt temps en temfs, fl
peut commettre plufieun fautes en plaçant mai
les repos de la vçix.
L
A neceffité de reprendre haleine oblige Ht
tenompre le cours de la prononciation; Sck
dcfir de s'expliquer diftinAement fait qu'on choi-
fitpour le repos de la voix la fin de cnaque fens,
poor diftinguer par ces intervalles les différentes
chofes dont on parle. Naturdlenjent quand on a
commence une a6Hon , on ne fe'repoîe qu'après
qn'eUe dl faite, an moins on diffère à fc repofcr.
^Mne partie foit achevée. Âinfî ayant commen-
a de dire une chofe , de l'exprimer > on continue
jusqu'à ce qu'on achevé cette expreflîon. U eft
donc naturd de ne reprendre haleine, ou de ne
fe repofer conllderablement qu'à la lin d'un
fens complet , & de ne s'arrêter en aucune ma-
nière qu'après une partie de l'expreffion qui ren-
ferme un lens. L'on peut commettre deux fau-
tes en diUribuant mal ces intervalles. Si les ex-
preffioDS de chaque fens font trop courtes , & par
conféquent que la prononciation foit fouvent m- v <
tem)mpaê, cette interruption diminuant la for-
ce de Li voix y & la faifant tomber , l'efprit du
Leâeur qu'on devoit tenir en haleine , le relâ-
de, l'ardeur qu'il a fe refroidit. U n'y a rien
fd fiifle plus ralentir le feu d'une aéiion , que de
«difcontmuer, & de la faire à trop de reprifes.
Le travail rend l'ame vigoureufe & attentive;
fctf veté h plonge dans le fommeil & dans l'aA
tmpiffement ; Fit aticntior ex difficuitstet dit St.
Auguftin.
Lorfque les fens ne font point trop coupez»
b qu'il faut que l'efprit du Leâeur attende quel-
^ temps pour concevoir , ce retardement le
tient en naleine: ce oui f^it qu'étant plus atten*
tif , il conçoit mieux le fens du difcours. Nous
tvons dit dans le premier Livre, que les Latins
pour ce fujet rejettoicnt à la fin de la fentence
quelque mot , duaud dépend l'intelligence des
premiers termes. Mais fans cette tranipofition £e
ce renverfement de l'ordre naturel, il fuffit pour
K 3 cm-
111 La RRETomaj^By o« l'Art
empêcher que la prononciation ne foit trop fouvcnt
interrompue, de choifir des expreffions un peu
étendues qui contiennent un allei grand nombre
de mots ; où bien il faut que les chofes qu'on
exprime foierit liées fi étroitement , que les pre-
. miers mots excitent le defir d'entendre les der-
niers , ôc que la voix fe repofe après chaaue fens ,
de telle forte que l'on connoifle qu'elle aoit aller
plus loin.
Si une penfée eft exprimée par un trop grand
nombre de paroles , on tombe dans un autre excès.
Comme on continue l'adion qu'on a commencée,
la voix ne fe repofe qu'à la fin du fens dont elle
a commencé de prononcer l'expreffion. Si ce fens
comprend donc trop de chofes, la longue fuite
de paroles qu'il demande , & aufquelles il eft en-
chaîné, échauffe les poumons, & épuife les ef-
prits; ainfi la prononciation en cfl incommode &
a ceux qui parlent , & à ceux qui écoutent.
\ Une des plus grandes difficultés de Téloauen-
^ y, ^ ce, eft de lavoir tenir un milieu, & de séloi-
l gner de ces deux défauts. Ceux qui parlent fani
Sttt, &qui n'bnt qu'un foible génie, tombent or-
dinairement dans le premier défaut ; à peine peu-
vent-ils dire quatre mots qui foient liez : chaque
fens finit auffi-tôt qu'il commence. L'on n'en-
tend que des car , enfin , après cela , ce élit^ii , &
autres femblables expreffions dont ils fe fervent
pour coudre leurs paroles détachées. II. n'y a
A" point de défaut dans le langage ^ méprifablc & fi
infupportable que celui-là. Ceux qui veulent s'é-
lever , paflent dans une autre extrémité. Les
premiers marchent comme des boiteux ; ceux-ci
ne vont ^ue par bonds & par faults ; de crainte
de s'abaifïer ils montent toujours : ils n'employcnt
que de grands mots , jefquipedalia verba. Ils ne
tt fervent que de longues phrafes» capables de
met*
9 M PAUL! A. Liv.IIL Cbêf.V. 11}
tre hors d'haleine les plus forts,
dl facile d'abréger oud'alongerlecorps d*une
cnce : on peut lier deux ou plufieurs fens ,
t fidre qu'un , ôc ainfi foûtenir le difcours par
longue fuite de mots qui ne faflent qu'un feul
; Hn'efl pas befoin pour cela d'avoir recours à
phrafes creufes 6c vuides , & d*enfier fon difcours
laroles vaines. Au contraii:e û une fentence con-
it trop de chofes qui demandent un trop grand
abre de paroles » il eil facile de couper les
; de cette fentence , les feparer , & les lignifier
des expreffions détachées » qui foient par con-
sent plus courtes que ccUequiexprimoittoucle
ps de. cette fentence.
sous prenons naturellement des difpoGtions con-
mes à l'aétion que nous allons faire. Nous al-
s vite fur un mot quand nous en devons pro-
icer un fécond; c'ed pour cela que les Hébreux
ingent les points » c'ell-à-dire les voyelles d'un
>t, lorfqu'en le prononçant on le doit lier avec
mot qui fuit , avec lequel il a un certain rapport,
chuigcht, dis-je» les points qui font longs dans
; points brefs : ils l'abrègent afin qu'il fe pronon-
vîtc. Ainfi au lieu de dire debMrimJebQVMtVer^
Dû 9 ils difent dibn Jebovs. Ceft la douceur
h prononciation qui fait dire grand' peine >
ind* chère. Grand' Méfie» contre la Grammaire
i voudroit qu'on dît , grande peine , grande cbe-
. Grênde Mejfe. On ne fait point ce retranche-
nt lorfque le mot fuivant elt compofé de plu-
os fyllaoes . 6c qu'il efi neceflaire que la voix
ppuye pour les prononcer. On dit grande c/f-
>^'> grande mijericorde.
On peut encore commettre une troifiéme faute
Dtre la julle difiribution des repos de la voix.
\ commençant une fentence on élevé la voix
[enfiblemcnt > ce que les G recs appellent m«i s » 6c
K4 ^
114 La RrIktoiii^ui, eu L*A&t
à la fin du fens on la rabaiife ; ils appelleiit i
rabaiffement ^m. Les oreilles jugent de la lot
^eur d'une phrafc par Télement de la voix : u:
grand élevement de voix leur fait attendre ph
Seurs paroles ; fi ces paroles attendues ne fuivca
pas 9 ce manquement qui les trompe leur Eût de h
peine, auffî-bien qu'à celui qui parle. Il dtdiffi
cile de s'arrêter au milieu d'une courfe y quand h
nuit on eft arrivé au plus haut degré d'un efcalicf
fans s'en appercevoir , 6c que l'on croit pouvdt
monter encore» le premier pas qu'on fait aprèson
chancelé y &on reuent la même peine que fi le
{>lancher fur lequel on eft , fe déroboit de àtSom
es pieds.Toutes les particules expletives , comne
font notre /AT > notre point, & les autres, ontété
trouvées pour tenir la place des mots que Toteille
attendoit. Les Grecs ont un tres-granclnombitfie
ces particules, qui n'ont point d'autre ufage qM
d'alonger le difcours , & d'empêcher qu'il se
tombe trop tôt. Les oreilles font aufQ choqaéei
d'un difcours qui va trop loin: tous les mots qo'd*
les n'attendoicnt pas iont importuns. Qcen»
comprend tout ce que nous venons dédire, daM
le paflàge que je vais rapporter entier; car il le
mérite. Aurcs quid plénum , quid inamfitJÊâ^
cant : & nos admonent complere verbis qu£ prtfO'
/ueiimus , ut nibil defiderent , nibil éufbu
ixpeéient. Cùm vox ad [ententUm exproimiém
Mttoiiitur , nm'tjfu donec conciudatur arrêté fint,
quo ùerfeâo completoque ambitu gaudent > et cv
$éÊ fentiunt , née amant redundantia» lÀcïré H
mutiU fint & quafi decurtat£ JententU , boc ^
von ante tempus cadant cavondum , m fûf
prvmijjis auns fraudentur , aut produétioribus, ii^
immoderatiùs excurrentibus Udantur.
Entre les défauts de l'arrangement des mots, OB
compte la iimilitude , c*eil-à-dire une repetidoi
trop
Dl PAUIIIL. Liv.IIL Chap. V. tiç
trop fréquente d'une même lettre , d'ime même ter-
minaifon , d'un même fon » & d'une même cadence.
La diverfité plaît ; les meilleures chofes ennuyent
brfqu'elles font trop communes. Ce défaut eil a'au-
tant plus coniiderable , qu'il fe corrige facilement ; il
se faut que pafler les yeux pardeiïus fon ouvrage»
danger les mots , les fyllabes , les terminaifons
qui reviennent tropfouvent. On peut exprimer les
mêmes chofes en cent manières ; l'ufage fournit
des expreffions différentes pour exprimer une mê-
me penfée.
On rend le dîfcours égal & coulant lorfqu'on
éfite les défauts dont nous avons parlé. On marche
irec peine par un chemin raboteux ; on ne peut
manier un corps plein d'inégalité fans fouffrir
^que douleur: une prononciation eft auili in-
commode & auffî importune > lorfque fans aucune
proportion , il faut tantôt élever la voix, tantôt la ra-
raifler , allant d'une extrémité à l'autre. Les mots,
les fyllabes qui entrent dans la compoûtion du dif-
couis, ont desfons differens: le fon des uns eir
dair, le fon des autres eft obfcur : les uns rem-
jfifTent la bouche , les autres fe prononcent avec
mi ton foible. Tous ne demandent pas une mê-
me difpoûtion des organes de la voix : cette diï-
ference fait l'inég^té de la prononciation. Pour
foûtcnir le difcours , & le rendre égal , il faut re-
lever la cadence d'un mot trop foible par celle
le celui qui aura une forte prononciation , tem-
fcrcr la trop grande force des uns par la dou-
ccor des autres , faire que la prononciation des
mgts^qui précèdent, difpofc la voix pour pronon-
cer lés fui vans, & que. dans ceux-là la voix fe rxr
baiffc par degrez.
Je pounoïs donner quelques autres préceptes;^
mais ce que j'ai dit fuffit pour faire faire refle*
Xion à ceux qui veoïent écrire avec foin* fur ce
%x6 La RHiToaKtyi» ou l'A&t
qu'il cftneccflaire de confidcrcr dansTarrange
des mots. La principale utilité, &prcfqucla
qu'on retire des préceptes , c*ell qu'ils noui
prendre garde à de certaines chofes iufauell
ne pcnfe pas. Pour vous perfuader encore aava
deTutilité des conlîderations que nous ven<
faire fur Tarrangcment des mots , remarque
•vous prie , encore une fois , que les anomal
îrrcgularitez qui fe font glilTées dans les lan
y font fouffertes pour éviter les défauts que
venons' de cenfurer. Pourquoi dans THebre
te miûtitude de points qui tiennent lieu de\
les dans cette langue ^ Pourquoi cette diflfe
de points longs, de points très-brefs, quife
gent félon les différentes inflexions des vc
& la difpofition des notes qui marquent le
vations , les rabaiffemens , & les repos de la
Pourquoi enfin un Scbeva qui efl un point qi
tôt fe prononce , & tantôt ne fe prononce po
ce n'eft pour rendre égale la prononciation, 1
tifier par des pdînts longs quand il en eft h
& diminuer fa force par la brièveté des ]
dont on fe fert quand l'égalité de la proni
tion le demande f
La délicateffe des Grecs eft connue de t
monde. Confîderez en paflant comment poi
ter le concours trop rude de deux confoncs
rées , ils changent la première dans une
quilui répond , difant , par exemple , «i ^«yj^
Ai^ayxit : comment pour remplir ce vuid
fe rencontre entre deux voiclles de deux
ils n'en font qu'un; par exemple, de fù îyi
font xayù ;^ OU ils infèrent une confone JïJ^ki
pour /V^Ki uÔTùf: comme ils ne fe fervent
ce cet artifice lorfque Tune de ces voyelles ei
gue > & qu'elle a un fon affez fort pour fe
*2iftiûguer^ comme dans u^V^^ifi. Vous
Dr r> & 1 1 11. Liv. III, CtMp. V. 1V7
ne pour fortifier la prononciation «lorfauc le mot
iivant commence par une voycUc aipircc , ils
hangent les tenues en afpirées aans la fin du mot
[ui précède, comme dans cet exemple, nî^jé* «a ^/,
}our ttîic?' «>iitt^f cet cxLu ayant un cfprit rude , il
icmande une forte prononciation, qu'il fcroitdif-
Sole de faire après avoir prononcé les tenues « &
f dont le fon cft foible. Les Grammairiens remar-
quent que les Grecs difcnt tihtrji^ au prétérit du
mcdion , pour /V^«/JW , afin d'éviter la triple re-
pctition de la jncme confone Jl
Chacun peut faire les mêmes reflexions fur la
lingue Latine , & généralement fur toutes lcs.lan-
gucs qui lui font connues. Cette grande multitude
de termes qu'a chaque langue , differens par leurs
tennînaifons , & par le nombre de leurs fvllabes ;
k cette abondance d'exprdiîîons , dont les unes
font courtes , les autres longues , n'ont été inven-
tées que pour rendre le diicours égal, & donner
ie moyen de choifir dans cette variété les paroles
& les phrafes les plus commodes, rejcttant ccl-
b qui ne pourroient pas s'allier avec les autres,
ii câmfofistone rixantes , êc mettant en leur place
xlles qui font plus accommodantes. Ce qui don-
Qc encore le moyen d'éviter la répétition trop fre-
loente des mêmes mots, & de diverûfier le flile,
^ quoi confifte en partie Télo^uence. Outre que
^'df une marque de pauvreté d employer toijy ours
ts mêmes expreflions ; lorfque le oifcours eu foit
»arié, on ne s'apperçoit prefquc pas qu'on en-
tend parler; il femble qu'on voit les chofcs inc-
lues , ce qui n'arrive pas fi les mêmes exprciTions
fcncnnent trop fouvent. Aufli les bons Ecrivains,
^près s'être fervis d'un mot remarquable, ils ne
l'cmployent que lorfqu'ils croyent que le Lcâeur
ic s'en ïouvicnt plus. Les Grecs & les Latins ont
î^us de facilité & d'avantage pour cela que nous
Ko n'en
lit La Rritouxqjdb, ou l'Aut
n'en avons pas. Il ne nous cft point permis de
faire de nouvelles phrafes. Nous fommes telle-
ment affujettis à Image, que pour parler François
ce n'eft pas affez de fe fervir des termes ordinai-
res , il faut prendre les tours qu*on prend ordi-
nairement.
Chapitkb VI.
Lis mots [9nt des fons, ContTtttons nécejjahres anx
fonspour être agréables,
I.
Un fin vh/mt ejî dejagreàble \ un fin modéré fiait*
NOus venons de voir ce qu'il faut éviter dans
Tarrangemcnt des mots pour ne pas cho-
quer ^cs oreilles; voyons ce qu'il faut faire, afin
que lés fons qui compofent les mots foient agréa-
bles. Tout fentiment , lorfqu'il eft modéré , caufe
quelque plaifir; les viandes qui remuent douce-
ment les nerfs de la langue, font reflentir à l'amc
)e plaifir de la douceur; celles qui la coupent &
qui Tagitent avec violence , font aigres , piquan-
tes & ameres. L'ardeur du feu caufe de la douleur;
la rigueur du froid eft infupportable ; une' chaleur
modérée eft utile à la fanté ; la fraîcheur a fe$
agrémens. Dieu , pour rendre à l'efprit de l'hom-
me la prifon du corps agréable , & la lui faire
aimer, a voulu que tout ce qui arrive au corps,
& qui n'en trouble point la bonne difpofition,
lui donnât du contentement. On ^rend plaifir à
voir, à fentir,à toucher, à goûter: il n'y a point
de fens dont la privation ne foit fâcheufe. Le fen-
timent d'un fon doit donc être agréabîc , & plaire
aux oreilles , k>rrque ce fon lei frappe avec mo^
dcxa-
Dï PAmiBK. Liv.IJI. Chef. VI. 11)
ration. Les fons doux font ceux qui fi^ppent
X cette modération les organes de 1 ouïe; ceux
i les bleflent , font rudes 0c defagréables.
I I.
fm doit ttre diftinH. far cçnfequent éijfezfirt
pour êtn entendu.
iAis auffi un fon doit avoir aflez de force
pour fe faire entendre ; les viandes qui font
ipides forit plus capables de fiure perdre rappe-
y que de Texciter. L'on eA çbligé de les afui*
mer, & d'en relever le goût avec dufel & du
laijgre. Il en eft des fenfations comme des con-
iflances qui ne dépendent point du corps; une
onoiflance imparfaite ne fait que mortifier U
âofité; die fait feulement connoitre qu'on igno-
qudque chofe. On reflent anfïï une efpece de
igrin quand on apperçoit obfcurément un ob-
: la vue d'une campagne que le Soleil éclaire ,
ane du plaifir. Tout ce qu'on appptrçoitavec
itéy foitpar lesfenSy foit par rdprit, donne
plaifir. Voilà donc deux conditions neceffaires
Kfims» afin qu'ils puiiTent être agréables. La
îmiere, qu'ils ne foient pas il violens qu'ils blef-
it les oreilles: la féconde, qu'ib foient daire-
àit & diflinélement entendus. Ceft pourquoi »
mme nous l'avons remarqué^ les Grecs eftim oient
is leslettres doubles , que celles qui font fimples.
; préferoient leur betba à leur epphn.
III.
^égalité des fons contrîbut à les rendre diftinéls.
"^E n'efl pas toujours le manque de force qtu
^ rend les fons confus , mais leur inégalité. Les
%t in^ux qui^ frappent les organes fortement
K 7 M ^
.%io La RiiitORtQjaiy ou i'Art
& foiblemcnt, avec vitcfle & avec lenteur, bi
aucune proportion, troublent l'amc, comme 1
diverfité des affaires trouble un homme f^m 9
peut s'appliquer à toutes en même temps. La yÛi
d'une multitude de differens objets difpofez fan
ordre, eft confufe. Voyez un cabinet enrichi à
bijoux, orné de Tableaux, de Bronzes, d'Eftam-
pes, de Médailles: la vûë de toutes ces ridieffo
n'eft point agréable fi elles ne font difpofécs avoc
ordre. Pourquoi cft-cc que les arbres plantez ia
échiquier plaifent davantage que lorfqu'ils . (c
trouvent rangez fans art comnic la nature les a &â
paître? Pourquoi une armée rangée en bataîDCj
plaît-elle à la vûë en même temps qu'elle époit
vante ^ On peut affigner plufieurs caufes dfe a
pîaifir : pour moi je crois que la principale é
oue l'égalité & l'ordre rendent une lenfation pini
ûiftindc. Cette clarté avec lamielle Tame apçcr-
çoit les chofes entre lefquelles il y a de r^lit^
& de l'ordre, lui donne une feaette fatis^aioa
Elle jouît pleinement de ce qu'elle defirc. ffi
Vv a quelque ordre entre lesimpreffionsdesfoûs,
elles ne peuvent être diftinguées par l'ame. DaBî
une affemblée de plufieurs perfo^mes qui païknl
toutes à la fois , on ne peut difcerner aucune »
rôle. Dans un concert réglé & cdmpofé de po*
fleurs voix , & de differens inflrumens , on entènj
fans confufîon & fans peine le fon de chaque inflriir
ment , & le chant .de chaque Muficien ; & c^efl
cette diflinélion qui plaît aux oreilles. EUes fe*
roient choquées n ces voix & ces inflrumens d«
s^accordoient. Je ne m'en étonne pas , puifqtfen
fonnant mal une doche , il on lui fait faire tu
faux fon , quelque folide & forte qu'elle foit , <lfc
fe cafle auffî facilement que il file n'étoit quç^
ycrrc. ^.
m FAmtiK. Liv.III. Cbsf.îV. 131
I V.
^iverfité tfl aujji necejfaire que régaUté four
rendre les Jwis agréables.
ccron dit agréablement, que les oreilles font
liffidles à contenter: Fajiidlofijftma funt
; fouvent on leur déplaît en penfant leur
e. L'égalité eft neccuaire , & lans elle au-
fcntiment n'eft diftinél : l'on n'appcrçoit rien
confufément , & avec un chagrin femblabJe
ui que Ton reçoit lorfqu'on ne jouît pas pld-
ent des chofcs cju'o^i aime & qu'on délire;
ndant cette égalité devient infupportabJe lorf-
le continue trop long-temps. Les oreilles
inconftantes, comme tous les autres fens.
plus grands plaifirs font fuivis de près de quel-
dégoût : Omms voluptas kabet finiùmum
Sum. Ceux qui fa vent Tart de plaire > pré-
icnt ces dégoûts i & font goûter fucceffive-
: differens plaifirs, furmontant par la va-
cette humeur difficile des hommes qui s'en-
SLt de toutes chofes. Ce n eft pas néanmoins
al caprice qui rend la variété neceffaire : la
rc aime le changement , & en voici la raifon.
on lafle les parties de Torgane de Touïe qu'il
« trop long-temps; c'eft pourquoi la diver-
A neceffaire dans toutes les aélions , parce
le travafl étaût partagé, chaque partie d'un
oe en eft moins fatiguée,
harmonie fuppofe donc delà variété. Le mê-
6n, quoique doux & agréable, ennuy eroit s'il
it trop long-temps. Au contraire les fons def-
ibles d'eux-mêmes , pourvu qu'ils frappent
ille avec ordre , deviennent agréables ; ce qui
marque dans la chute des goûtes d'eau qui
:nt lorfqu elles tombent différemment, & par
valles réglez > comme Ciceron le dit éiegam*-
menti
431 La Rhitoiiiqjti« ev i'Art
ment: Sumerus in contmuatione nulius eft , dîj
£^h & dquaiium intervallorum pcrcujfto ^ numt
amfàti quem in cadentibus guttis j quhd intervt
iRfiinguuntur notart fojjumus ^ in smni pr£cipiSi
non pojfumuu
V.
JJfaut siRer les condtHons précédente*
IL femble que les deux dernières condidi
foient incompatibles» & que l'une détniifel'
tre; mais elles s'accordent- fort bien, 6c l'onp
allier l'égalité avec la variété fans aucune o
fufîon de ces deux qualitez. Il n'y a rien
plus dlverfiiié qu'un parterre de fleurs. Oi
voit des œillets, des tulippes, des violettes,
rofes. Les compartimens en font fort difibc
il y en a de circulaires, il y a des ovales,
quarrez, des triangles; cependant fi ce paru
a été tracé par un habile homme, l'égalité
rencontre avec lar variété, étant partagé en dcsj
ces proportionnées entr'dles, & ornées de fijgi
femblables.
Nous allons flaire voir comment l'on peut al
TégaHté & la variété dans les fons : c'eft cette
liance oui fait la beauté & l'agrément des cono
dé munque: car, commeditS.Auguftin,lesoi
Icsne peuvent recevoir un contentement plusgR
que celui qu'elles reflentent lorfqu'elles font d
mées par la diverfité des fons , & que cepend
elles ne font pas privées du plaifirquedonneFé
lité. Quîd entm auribus jucundius potefl effi n
cum & varietate mulcentur^ nec £qua/itate. frt
dàntur l
Ci
PA11IB&. Lh.IIL Châf.VL 133
V I
née de Végûlité & de ia dherfité d$H
tfikle: ee^u^ilfaut obferver feur cela,
Uiance de Tégalité avec la irarieté doit
nfible; il faut que les oreilles appercoi*
nperament ; c'eil pourquoi tous fes Ions
els elle fe trouve , doivent être liez en-
c il eil neceflaire <)ue les oreilles les en-
is aucune intenuption notable. La fym*
m bâtiment ne peut être remarquée lorf*
le découvre qu'une petite partie de ce bâ-
!S habiles Ârchiteâes réUniflent pour ce
ouvrage y de manière qu'il putfle toe
d*une feule vue. Afin que les oreillei
ent l'ordre ôc la proportion de plufieurt
ut qu'elles les comparent. Or toute com-
dppofe que les termes de la comparaifon
fens, êc joints les uns avec les autres; il
unir ces fons : ce qui les rend plusagréa-
lor&u'ils font fcparez; parce que cette
fuifant fentir tous en même tems, l'im-
[u'ilsfont eft plus forte , & par confcquent
qu'ils caufcnt eft plus grand. Pius dt/ec^
ta , ^ukmfinguîa • fi foffmt fentir i emniû »
iguflm. Seneque exprime élégamment
)us voulons marquer ici, qu'il faut unir
'< la diverfité des fons, & rendre cette u-
ible, comme elle l'eft dans un concert de
voix & de plufieurs inflrumens. Chaque
tellement unie avec les autres , qu'aie
• ainfi dire, cachée dans toutes les autres
fient toutes enfenible. No» vides fuhn
vocibus chorus confiet} Unus tamen ex
lonus redditur. Aliqua iUic aeuta eft^
rsvis , alloua médis. • Accédant virh
i}4 La RRSTOKi^uiy «u l'Aut
fiemindy interpênuntur tibU^ fingulorum îki ùh
Sent voces , omnium apparent.
gT— r» 1 — n ■ ■ .^ ... _ ■ ■
Chapitre* VIL
Cg qêi lis oreilles diflinguent dans le fin àt
paroles f & ce qu'elles y peuvent appercevoir
. avec piaifir»
CEs conditions dont nous venons de parler
dans le Chapitre précèdent» fontneceflaircsji
tous les fons pour être agréables» foit aux ibof de '
la voix» foit aux fons dès inûrumens: cependantje
ii*ai prétendu parler que des fons de la voix hih*
maine. Encore je diitingue deux fortes deviHXf
une que j'appelle contrainte, Tautre que je nomme
fimplic & facile. La voix contrainte ell celle doitf
on le fert en chantant, lorfque l'air qui faitleiioni
fort avec violence des poumons. La voix fimpleeft
ceHe que l'on forme en parlant , qui fe fait va
£icilite, & qui ne laffe point les organes commeb
première. Ce que je dirai dans la fuite de ce traité
ne regarde que le fon de la voix fimple : il faut W
maintenant comment on peut faire que lesfoitfoâ
les mots ayent les conditions qui les doivent rendre
agréables aux oreilles.
L'on peut facilement arranger fon difcouii de
tdle manière que la prononciation n'en foit ni
violente , ni trop foible; qu'elle foit modcréc S
diilinéte , & que ce 4ifcours ait par conÎTçqucitf
les dçjix premières conditions. On a vu ce que
Von doit faire ou éviter, afin que le difcouis
n'écorche point les oreilles , & qu'il puiffc être
entendu. L'on a fait voir avec quel loin il fiut
éviter la rencontre des confones rudes, comme il
£iut rempUr les vuides qui fç rencontrent cnucto
BE.PAKLSR. Uv.JÏL Cbêf.VIL I35
otSy'oùle cours de la prononciation fcroit ar-
té; ave<: quelle prudence on doit modérer laru-
:âe Àt certaines fyllabes par la douceur de celles
li font plus douces; en un mot, comment Ton
:ut égaler la prononciation , & foûtenir le ion
^ lettres foibles> en les faifant accompagner de
ttres plus fortes.
Les quatre autres conditions fe peuvent trouver
i différentes manières dans le difcours ; les oreil-
s apperçoivent dans la prononciation plufieurs
lofes outre le fon des lettres. Premièrement elles
gent de la mefure du temps dans leouel onpro-
>nce chaque lettre y chaauefyllabNe» cnaquemot»
itque expreflion. En lecond lieu» elles apper-
âvent les éievemensôc les rabûflemensde voix»
rlefquels on diilingue en parlant chaque mot,
aque expreffion. £n troiRéme lieu les oreiUes
marquent le filence ou le repos de la voix à It
1 des mots & du fens: quand on lie deux mots,
iau*on les fépare: lion mange quelque voyelle;
luulîeurs autres cbofes qui font comprifes foiis
nom d'accenSy dont la connoiffance eft;abfolii-
ent necefiaire pour la prononciation. Ces accent
avent être en très-grand nombre. L'on en compte
os de trente dans les Grammaires Hébraïques. Il jr
. a huit chez les Latins , félon Servius Honoratus »
roir Paigu ainfî figuré (') qui montre quand
&ut hauifer la voix: U grave {) quana il la
ut abaiifer; It circumflexé, compofe de Taigu
du grave (^ ovl^\ U accent long figuré ainfi
") qui avertit que la voix doit s*arrcter fur U
ïycUe qui a cette marque : it bref (" ) que le
mps de la prononciation doit être court. Hy-
wi, ou conjon<ftion (-) quil faut joindre deux
lots enfemble, comme dans male-jànus^ qu'on
efepare pas dans la prononciation. DiaflçUf ou
ivilion marque qu'il faut feparçr les mots entre
lefi>
236 Là RHETouXQjriy ou L*AllT
Icfqucls clic fc trouve. LApoftropbe montre qu'oa
a rejette une voyelle. La Diaftole & rApoftro- \
phe , ont une même marque ( * ) mais dans TApot j:
trophe elle fe met au haut de la httrc, êia^ \.
fut ihter^ 'y dans la Diaftole au bas , ad peém. )
Il ne faut jpas oublier ce <jue les Grecs appcDeat i
§fprit^ qui cft une note qui fe met au commcû* |
cément d'une voyelle. Il y a deux fortes d'efprits , ï
rua doux & Tautre âpre, qui ont chacun leur ji
note qui marque s'il faut afpirer fortement ou do* i
cernent cette voyelle. 11 ne faut pas juger dctoo» i
tes les langues par la nôtre ; nous ne conceToM p
pas qu'on puifle diftinguer tant de difièrentescho- j:
Tes en prononçant, parce que nous fommcs accou-
tumez à prononcer d'une manière fort unie; ce
qui fait que nous ne pouvons point compreûdre
comment les Chinois prononcent un même mot
monofyllabe avec cinq tons differens, & qu'on lei
diflingue aflèz pour donner à ce même mot cinq
différentes fîgnifications.
Or Ton peut faire que les oreilles apperçoivcflt
toutes ces chofes avec plaiiir, y faifant trouver
les conditions que j'ai propofées d-deflus. Difpo-
fant, par exemple, le mots avec cet artifice, qne
les mefures du temps de la prononciation foieni
égales , que les pauies de la voix ; ou les interval-
les de la refpiration fe répondent , que la voix
t'éleve & fe rabaiflc par des degrez égaux. On y
peut allier l'égalité avec la variété, fâifant que
plufieurs mefures liées enfemble foient ^fa,
Î[uoique les parties dont elles feront compofto
oient inégales , & que les oreilles apperçoivcntcc
tempérament avec plaifir. Maisavantquedcpaflff
outre , à prefent que nous parlons de l'art déplaire»
& que nous fommes tout occupez à chercher dans
le difcours ce qui peut divertir l'oreille, il cft b<»
de faire quelque renexion fur cette maxime àtïv^
de
»t FAmLl&. Lîv.ïlL Chaf.VIL 137
lairc , que les chofes les plus agréables font
n:éables eu certaines rencontres. Le divertifle*
: n*ell pas toujours de fàifon, le travaille les
ne s'accommodent pas enfemUe» perfonne
larche en cadence pour aller à Tes affiures,
lu'il s'agît de découvrir Amplement fa pen*
^u'il eft utile de aire connoître aux autres ce
*on a dans l'efprît, un homme de bon fcns ne
jfert jamais à comparer fes paroles » à mefu*
s mots 9 &à placer avec juftelTe les paufesdela
ondation. Le plaifir n'eft plaifîr que lorfqu'on
iihaite; s'il vient à contre-temps» il déplaît «
: qu'il détourne 8c divertit de 1 application fe^^
î où l'on étoit.
faut donc diftinguer le difcours en deux efpe^
il eft naturel y ou artificiel. Le naturel eft ce
ont on doit fe fervir dans la converfation pour
rimer» pourindniire, & pour faire connoître
kouvemens de fa volonté» &les penféesdeibn
:. L'artificiel eft cdui que Ton employé pour
:, & dans lequel s'éloignant de l'ufage ordi-
& naturel, on fe fert de toutrartificepoffi-
our diarmer ceux qui l'entendront prononcer,'
le difcours naturel , il fuflit d'obfervcr avec
itudecequia été prefcrit dans les premiers
itres de ce Livre. Ce n'eft pas qu'on n'ypuiife
lier l'art à fon fecours; car les matières ne
pas toujours ï\ aufteres qu'elles ne permettent
[ue petit divertifiement.
rfonne n'ignore la différence qui efl entre la
î & les Vers , elle eft trop fenfiblc. Le dif-
» qui eft lié par les règles étroites de vcrûfi-
n eft entièrement éloigné du difcours libre ,
!ft celui que l'on employé lorfque l'on parle
tflemcnt & fans art ; c'cft pour cette raifoa
es difcours en Vers font appeliez particuliere-
i artificiels. Nous fommes obligez de com«
mcft-
138 La RHiTomctuB , ^v t'Au Y
meneur l'art que nous traitons » par enfeigner ,com«
me l'on peut donnera un dîfcours libre & naturel»
c*efl:-à-dirc à la pit)fe , les conditions qui rendent
les fons agréables, fans que ces conditions lui
ôtent fà liberté; après cela allant par ordre , nous
viendrons aux difcours artificiels, tels que font les
Vers. Cet art dans la Profe fe réduit à deux chofes ,
eu à rendre la Profe Periodiaue, ou à la figurer.
K Voyons ce que c'eft que période , ce que c*eft que fi-
gure , comment Ton peut rendre le diîcouis periodi-
que.comment on le peut figurer.Nous verrons enfui*
te comment on le peut mefurer pour faire des vers.
Avant que de palTer outre, remarquons, i. que
ce n'eil pas Tefprit, mais les oreilles oui jugent de
cet arrangement. Or elles font ^ftiaieufes,&ce
qui leur plaît une fois ne leur plaît pas toujours,
comme on l'expérimente : ce qui nous paroifibit
bien rangé dans un temps , dans un autre paroif-
fint rude. 1. La Raifon demande bien qu'on tra*
▼aille à ranger un difcours , afin qu'il ne foit ni
rude ni obîcur; mais elle n'approuve ni les affc-
éhtions , ni cette grande application à ordonner
tous les mots , comme pour les faire marcher en
cadence, & par leurdifpofition& arrangement en
faire des figures qui plaifent. C'eft la marque d'un
petit génie qui s'occupe de rien , comme le dit
Quintilien dans fon neuvième Livre à la fin, où il
donne d'excellens avis pour l'arrangement. Jotus
vero bic locus non ideo traéHatur à nobis $ u$
$ratîo quée fcrri débet ae fiuere • àmetieniTis fedi"
bus y ac perfendendis fylUbis confenefcnf, nom id
tum miferit tum in minimis occupati eft» Nifta
enim qui fe totnm in bac cura confumpferit » fo-
tioribui vaeabit: fi quidem reliflo rerum ponde
ret ac nitore contempto^ tejferulas^ (ui ait La
iiUus) Jiruet t et vermiculatè inter je lexeis cm
miitit, Nêmh ergo ufrigeretur ^ fi cahr & nul
BB FAKLIB. LtV.IÏL Ch.VIJJ. If^
r fifist, ut equûrtm curfum', qui dlrîgif^ mi*
ifi & paJfMS qui ésquat^ frungit.
. I , 111
Chapxtub VIII.
mmtnt il faut diftrihuer ks inttrval/ts et Ai
refpirutian , sfin que les rep^s de Is v$ix fiieni
frofortiênnez* Cemfofitiw des Perioeles»,
T Ous fommes obligez de prendre haleine de
^ temps en temps. La neceflké qu'il 7 adefe
re entendre, fait que l'on s'arrête ordinairement
la fin de chaque expreflîon pour refpirer » afin
le des repos de la voix fervent en même temps
rendre le difcours plus clair , & à reprendre de
)iivelles forces pour parler plus long- temps. La
>ix ne fe repofe pas également à la fm de tous les
hs. Dans une fentence qui a beaucoup de fens ,
Elfe repofe un peu à la fin de chaque fens; mais ce
rpos n'empêche pas au on ne s apperçoive fort
[en qu'on a deffein d'aller plus loin.
La partie d'un fens parfait ^ui fait partie d'un
Qtre plus grand fens » eit appellee des Grecs f(9>/K^j
tes Latins incifum, Quana on entend prononcer
a partie d'un fens entier, l'oreille n'eft point con-
ente, parce que la prononciation demeure fuf-
)CQduë jufques à ce que le fens foit achevé. Par
temple lonqu on commence en Latin : Cùm r«-
\nmpt bene facere , & audire mmlè -y ou en Fran-
çois: Put/que c^eft une vertu royale de faire k
(ira, lors même qu*on ejl mefrtfé j les oreilles
lont attentives & appliquées à entendre la fuite.
Les Grecs appellent un fens parfait, mais qui fait
partie d'un iens plus achevé, »•>•«,' les Latins
9imbrum , membre. Les oreilles font fatisfaites
^près avoir entendu le membre d'une fentence :
140 La RffiroftïQjji, OIT l'Aut -
néanmoins elles défirent encore quelque chofe de
plus partit» comme on le fent dans ces paroles
Latines. Si quantum in a^ris , Acijque defertit
mudâcia potefl > tuntum in foro âtque judkiis
impudentia vakst. Cela eft auffi dans k Tnh
dudtion. Si Peffrontirie était aujji MVMnh^ah
fi à ceux qui parlent dans le Barreau dievaai
kt Jugett que Pefl la hardiejfe aux voleurs eut
les lieux écartez. Vous pouvez juger par vos ordI«
les Gue ce fens parfait contente, mais qu'il n'Ate
pas le defir dç quelque chofe de plus accomjdi, 8c
que Ton defire entendre le corps de la fçotcDCS
après avoir entendu ce membre.
La voix ne peut fe repofer qu'en fe rabaiffantt
ni recommencer fa courfe qu'en s*élevant; c^eft
pourquoi dans chaque membre il y a deux partieSi
une élévation & rabailTement de voix: tamt
& XsR^dffx. La voix ne fe repofe entiéremeflt
qu'à lafindelafentence, 6c elle ne ferabaiflè qu'en
achevant de prononcer cette fentencequ'jelle avdt
commencée. Lorfque les membres qui compi^^pt
le corps d'une fentence font égaux, oc que la voix
en les prononçant fe repofe par des intervalles é-
gaux, & s'élève &fe rabaiffe avec proportion l'cir
preiSon de cette fentence fe nomme Période: dA
un mot qui vient du Grec, ôc qui fîgnifîe circuit.
Les périodes entourent & renferment tous lesfeos
qui font les membres du corps de la fent ence qu'el-
les comprennent. L'artifice dont nous parlons id
confîfle à rendre égales les expreflîons de chaque
membre d'une fentence; à proportionner ces w-
ties du difcours où l'on reprend haleine; où Voo
finit un fens pour en recommencer un autre. CZif-
dendi incboandique fententias ratio.
Pour compofer une période^ ou, ce qui cftfc
même chofe , pour exprimer une fentence qui cft
compofée de deux ou aeplufîeurs fens part iculieiif
»l Pk%J.i%. Lh.llL Châp.VjJt, 141
ec cet ait , eue les expreffions de cette fentence
'cnt les conditions neceflaires pour plaire aux
tffles; il £iut premièrement aue ces exprefllout
: foient point trop longues , & que toute la pe-
ode (bit proportionnée a l'haleine de celui qui la
)it prononcer y tsI wf liffjim Ai^ft^ 91/1*1141 T^^uf.
. D faut cnvifager tout ce que contient la fenten-
: ^ue l'on veut comprendre dans une période ,
loifir des expreffions terrées ou étendues ; retran-
lerou ajouter , afin qu'elle ait fa jufte longueur,
ais on doit prendre garde de ne point inférer
s paroles inutiles ôc fans force pour remplir le
iak de la période, & en achever la cadence,
MM compicmenta , & ramentâ numerorum.
2. Les expreffions des fens particuliers qui font
s membres du corps de la fentence , doivent €-
e rendues égales , afin que la voix fe repofe à la
i de ces membres par des intervalles égaux. Plus
tte égalité eft exadle , plus le plaifir en eft fenfi-
e, comme on le peut voir dans cet exemple.
€C eft enim non fafla » fed nata lex \ quam non
Acimus 9 accephttus y legimus ; verùm ex naturâ
fi âtripuimus • baufimus » expreffimus : ad quant
m diéii t fed faut 5 non infiituti^ fed imbuti fum
us.
3. Une période doit avoir tout au moins deux,
lembres , & quatre pour le plus. Les périodes
oivent avoir au moms deux membres, puifque
ior beauté v/ent de l'égalité de leurs membres.
)r l'égalité fuppofe pour le moins deux termes.
^ Maîtres de l'art ne veulent pas qu'on fàife en-
icr dans une période plus de quatre membres «
aice qu'étant trop longue , la prononciation en
eroit forcée \ par conféquent elle déplairoit aux
)rdlles, puifqu un difcours qui incommode celui
lui parle ne peut être agréable à celui qui l'écoute.
4* Les membres d'une période doivent être Uez
L fi
24% La Rhitorxqub, ou l'Art
fi étroitement» que les oreilles appcrçoivcnt l'égi-
lité des intervalles de la prononciation. Pour cela
les membres d'une période doivent être unis par
l'unité d'une feule fentence , du corps de laqudk -■
ils font membres. Cette union eft très-fcnliWCt
car la voix ne fc repofe à la fin de chaque mem- -■
bre , que pour continuer plus loin fa courfe : clic '
ne s'arrête entièrement qu'à la fin de toute lafenr .
tence. On peut dire que la voix roule en pronon-
çant une période , qu'elle fait comme un ccfde ':
qui renferme tout le fens d'une période : ainfi les* ^
oreilles fentent facilement la difiindlion ,6c l'union
de fes membres.
5. La voix s'élève & fe rabaiflc dans chaque j
membre: les deux parties où fe font les inflexions 1
doivent être égales, afin que les degrez d'élcft- ^
tion & de rabaiffement fe repondent. En pronom
Î;ant une période entière on clcve la voix jufau'à
a moitié de la fentence , 6c elle fe rabaifTe oans ,
Vautre moitié. Ces deux parties qui font appel- j
lées 7K9i$ d)C>aiiù7tç, doivent fc répondre par leur
égalité.
6. Pour la variété , elle fe trouve dans une pé-
riode en deux manières; dans le fens, & dans les
mots. Premièrement , les fens de chaque membre
de la période doivent être difrcrensentr*eux.DiDS
le difcours la variété s'y rencontre d'elle-même: .
on ne peut exprimer les différentes penféesdefon
cfprit, qu'on ne fe fervc de difFerens mots. On- |
tre cela on peut compofer une période de dem
membres , tantôt de trois , tantôt de qoane
membres. Les périodes égales ne doivent pas ils
Âiivre de fort près ; il eit bon que le diicoan
coule avec plus de hberté. Une égalité trop exic*
te des intervalles de la refpiration, pourroitdctfr
nir ennuyeufe.
Voici quelques paiTages de Ciceron que j'ai pris
Door
»B rA&LiR. Liv.IIL Ck VI IL i^y
r exemples despériodes Latines » parce que la
:nce de nos Françoifes n'eil pas fi fenfible.
mple d'une période de deux membres. i.Quid
^ admirsèiU » quàm ex tnfinita multitudim h0'
m ixfiftere unum , , i. Qui id quoJ ofnuibus na*
! fit datum , vel Jolus y vel cum faucis frcetê
t. La période fuivante a trois membres.
Sâm cùm antes fer £tatem , bujus ouéloniM"
loci cêntingtre non autUrem » i. Siatuiremquê
l hue mfi perfeêium induflrrd , eiaborâtum in*
io ddferri oporterey y Meum wnpus omne ami"
ntt temforibus tranjmittendum futavi. Celle-
eft de quatre membres, i. Si quantum in a*
S locijquf defersis audacia potefl , z. Tantum in
i ac in judiciis impudentia valeret^ 3. Son mi"
r in caufa ctderet Au/us Cacinna Sexti /Elfutii
fudentia» 4. Quantum in vi jacienda ce (fit an
ùa,
Sielquefois l'on termine la fin de chaque m cm-
*une période par desterminaifonsprerauefcm-
ibles;ce qui fait quil fe trouve une égalité dans
> diutes de ces membres , & que l'harmonie de
période eft plus fenfible , comme vous pouvez
marquer dans les exemples que nous venons de
.pporter. Toutes les périodes ne font pas ^ale-
lent étudiées.
Le foin que Ton a de placer à propos les repos
fi la voix dans les périodes , fait qu'elles fe pro-
OQcent fans peine. Nous avons remarqué que
K chofes les plus aifées à prononcer , font aulfî
ei plus agréables à Toreille : Id auribùs nojlris
[filMPi eft inventum y quod bominum iàterikus non
Wft» tolerabile , fed etiam facile ejfe potejî, Ceft
cette raifon qui oblige les Orateurs à parler pério-
^aement. Les périodes foûriennent le difcours:
eBcs fe prononcent ayec une majeflé qui donne
^ poids aux paroles. Mais il eit bon de remar-
L z ^tt
^44 ^^ Rreto&iqjje» ou l'Art
quer <{uc cette majelté eft hors de faifon loi
1 on fuit le mouv'ement de fa paflîon , dont la
cipitation ne fouflfre aucune manière réglée
ranger & de compofer fes mots. Un difcours
Icment périodique ne peut fe prononcer qu*
froideur. Les périodes, comme j'ai dit, ne
bonnes que lorfque Ton veut parler avec maj
ou plaire aux oreilles. On ne peut pas courir
en même temps marcher en cadence.
C'cft dans cette jufte mefure des intervalle
^ ^ ^ le fens finit, qu'il paroît fi un homme fait i
re. Ceft le fin de l'art de favoir couper les :
à propos , & de donner une jufte étendue à
cxpreffion. Ceft autre chofe d'écrire que de pa
Le ton de la voix , l'air du vifage , les g<
font connoître ce qu'on veut faire entendre
fuppléent à tout;ôtent les équivoques, empêd
Îiue le difcours ne paroifle fans force & fans-
on, rude, embarraflé. Un difcours écrit n'a
les mêmes avantages. Il eft obfcur, il eft ennuyi
îl eft infupportable fi la compofition eft fans
fi les mots font mal rangez, compofez de vo
les qui fe mangent, qui fe confondent , & de c
fones qui ne peuvent s'allier, qui fe choquent
tantôt on perd haleine , parce qu'il y a trop
paroles pour chaque fens , ou que les fens fo
coupez, & finiiTent trop tôt , de forte qu'il li
ble que ce difcours ne forte de la bouche
par fccouflcs, comme une liqueur fort d'une h
teille; il n'y a point de Leàeur qui n'en foit
buté. Le ftile doit être égal , doux. Pour ce
fiiut éviter ce qui arrête ou précipite trop la ]
nonciation; mais fur toutes chofes il fauta
égard à la jufte mefure des intervalles, dans
?uels h, VOIX fe repofe à la fin de chaque fi
tendant ou refferrant l'expreflion , afin que
fc faffc avec proportion ; que ces intervalle
fi
BS PA&LER Zits ///. Cbâp, IX» 145
ibient ni trop éloignez , ni trop proches» que le
dlfcours fe foutienne , & qu'il ne tombe pas. Ceft
en cela que conûfte l'art.
Chapitrb IX»
th tûrrmngement figuré des mets. En qupi
cela confijîc.
NO u s avons dit fort au long dans le fécond
Livre » aue les figures du difcours étoient
les caraâeres aes agitations de Tame ; que les pa«
loks fuivoient ces agitations; & que lorfque Ton
ptdoit naturellement , la pailîon qui nous faifoit
eCTyfe peignoit elle- même dans nos paroles. Les
res dont nous allons parler font bien difTeren-
ta: elles fe tracent à loifu: par im efprit tran-
quille. Les premières fe font par faillies; elles font
iridentes» elles font foncs» propres à combattre»
k à vainae un efprit qui s'oppofe à la vérité :
cdies-cifont fans force; elles ne font capables que
de donner quelc|ue divertiflfement. Je parle de
cdet qui font étudiées ; car il fe peut faire que
la conditions de ces dernières figures dont on or-
ne le difcours pour le divertiflfement» fe trouvent
erhaurddans ces figures quon employé pour
combat.
Nons avons dit aue la répétition d'un même
mot» d'une même lettre , d'un même fon étoit
dcTaÉréable : mais auffi nous avons remarqué
fM lorfque cette répétition fe fait avec art , elle
ie doque point. En effet les fons les plus defa-
jréables plaifent lorfque l'on les entend par de cer-
Hins intervalles mcfurcz. Le bruit des marteaux
âonrdit ; cependant lorfque les forjgerons frap-
pent fur leurs enclumes avec plDportion > ils font
L 3 une
^4^ La Rhbtoriqui, ou i'Ar!
une cfpccc de concert où les oreilles trou
Tagrément. La répétition d'une lettre,- d*
me terminaifon , d*un même mot , par d(
mefurez » & par des intervalles égaux , de
être agr^ble. Cette répétition Te fait ta
commencement» tantôt à la fin , tantôt ai
d'une fentence , comme vous l'allez voir
exemples que j'ai donné de ces figures , •
tirées pour la plupart de nos Poètes; il c
die d'en trouver dans notre Profe. Ne fi
tention dans ces Vers ç^u'aux figures dont n
Ions. l>ans la fuite je fierai remarquer 1
de la Poëiîe.
Ces figures peuvent être infinies , puifqi
répétition qui les fiùt^fe peut faire en une
de manières toutes différentes. On peut
.Amplement le même nom , fans lui faire
fa fignification, comme dans cet exemple
Dieu • mon Dieu , reffanfez-mvi j ou ei
géant la fignification de ce mot.
Un père ejl toujours fere, éf mafgrê (on coi
Quand il nous veut frttffer l'amour retient J
Le mot de perc eft pris la féconde fo
les mouvemens de tendrefle que reflentent
res pour leurs enfans. En voici un autre
pie merveilleux des Entretiens Solitaires c
bœuf 9 d'où j'ai tiré plufieurs autres ex
Vinflinfl règle bien mieux les plus x>ils an
Jls ufent mieux que nous éf des biens é^ des
Aux noirs dereglemens ils ne font point en
Et fans autre jecours que ce léger appui,
La brute ne fait rien d^ indigne de la hrute :
Et tout Ci que fait l\bomme efî indigne de lui
DB PAU 1ER. Liv. m. Cbêf. IX. 147
Oo répète la même expreffion au commence-
nent de chaque membre du difcours,
// If V? ertmis abominables.
Il n*efi bruules m fiions^
Iln*èft infâmes pMjJûms 9
Iknt tes mortels nefoient coupables.
h ee fieck maudît à peine un feulement
Âjoin de vivre jujlement.
On place le même mot à la fin 8c au commen-
cement d'une fentence.
Vtngezvous dans le temps de mes fautes pajpet ,
Mais dans P Eternité ne vous en vengez, pas.
On place le même mot à la fin d'un membre, 8c
tu commencement du fuivant , ou au commence-
ment d'un membre , & à la fin du fuivant : comme
tous voyez dans les Vers fuivans.
Se voyant Pennem) de Ton Jugefuprimey
^*thrit plein de fon ertme > ennemi de foi-mime ^
d pi-même à toute heure il devient odieux ,
yijait fouvent qu^en lui tout contre lui s'irrite^
En tous Reux if s* évite ,
Etfe trouve en tous lieux.
AUTRP EXEMPLE.
Bten'tôt , vous difoit-il , je veux furvre vos tra»^
^itthtôt vous me verrez confentir à ces grâces
Que vôtre bonté me départ ;
Cr hten^têt toutefois eft arrive bien tard,
L 4 Cette
148 La Rhbtoriove, ou l'Aat
Cette répétition de mêmes mots fe £ût à
milieu des membres d'une fentence.
Le dtfir dts honneurs ^ des biens ^ & des dé&c
Traduis feu/ /es versus , comme il produit fes vit
Et Pmveugle Intereft qui règne détnsfin cœur^
Vit d*ohjet en objets it d^ erreur en erreur \
Le nombre de/es maux s^accroit par kur remeà
JLu mal qui Je guérit un autre malfuccede,
Au gré de ce tyran dont l'empire ejt eacbéy •
Vn péché fi détruit par un autre péché.
On répète le même mot dans toutes les ]»
du difcours, comme il parolt dans la defcri]
fuivante de Tinconilance d*un homme qui q
Tunique & le véritable bien , pour s'abandc
à la pourfuite des aux biens qui ne peuve
contenter.
Il veut > // ne veut (as : // accorde , // rèfufe
Jl écoute la haine , ilconfuhe V amour : •
llajfuret ilretrafie\ Ù condamne y ilexcufei
Et le même objet plaît j it déplaît afin tour.
On met dans le même membre les mêmesi
au commencement > 6c puis changeant cet 01
on les place à la fin.
Ainfi rhomme infinfé ^ fans trêve &/ans relt
Va du remords au crime, & du crime au remon
Jl pèche t // s'en repent $ // seniporte , il s* en fie
Mais ces vaines douleurs nont que de vains ^ot\
AUTRE EXEMPLE.
Dieulnniten Tere fui veut guérir fe s enfam
»B DAHLIA. Lh. III. Chef. IX. i4f
hiimi hrs mhmt qu'U Us Mise j puifqu'il m Its
f^tt §m parée qu^il ks aime.
AUTRE EXEMPLE.
dieu n'a foi deux vçyes peur fauver ie rieke :
Ht é kri/er & de ruiner fin cœur dans fes tiens:
eu et ruiner fes kiens dans fin eeeur, La main
é Dieu m^^ pas moins adorable lorfyu'elle tué,
ioe lerfqu*eile reffufeite » puifqu^lle ne tué fes Elût
f If pour les rejfufeiter ; it que comme ce qui pa*
rnt vie dans les méchans eji une véritable mort^
aiafi ce que parois mort dons les Juftes^ eft une
yHffitêble vie.
n 7 a une efpece de répétition qui fe foit en.
diDgeant un peu le mot que Ton répète.
Les traverfes qu*il endure^
Contre leur propre nature 9
Luifent un don précieux f
£/ quoique vous fuiOiez faire ^
Rien ne déplait a fes yeux ,
Que ce qui peut vous déplaire.
AUTRE EXEMPLE.
le temps d*un infenfible cours
Kous Perse à la fin de nosjoursi
Cefi a notre frge conduite %
Sens murmurer de ce défaut «
Dr nous confoler défit fuite
En le ménageant comme ilfnut^.
lEnfuite Ton peut en même temps faire toutes les
^esde répétitions, comme dans ce bel exemple
Kl de la, tiaduâion du Poëme de S.Profper.
L s Nul
ifo La Rhetoriqub, ov l'Aiii
Nul ne prévient la Grâce , é* lorfqu*on h defin
C*ejl par le faïnt deflr que fon feu nous inffire :
Jl faut p9ur la chercher qu^ elle guide nos pas \
Si Pon ne va par elle on ne la trouve pas;
jiinfi ^ejl le chemin qui meine au chemin même%
Nul fans un jour du Ciel ne voit ce jour fuprême.
Qui tend à Dieu fans Dieu , fait un fuherbe effori
Et mort cherchant la vie , // trouvera ta mort.
Les Rhéteurs donnent à ces différentes figur
qui font des éfpeces de répétition , des noms p
ticuliers qu'ils trouvent dans la langue Greq
Ils nomment Anaphore la répétition d'un mfc
mot qui recommence une période ou un ti
Epiflrophoy c'eft quand on finit par les mér
paroles. Symploque, l'union de V Anaphore,
de VEpiflropbe. Us nomment Epana/effe la
pétition qui fe fait au commencement d'uncj
riode précédente , & à la fin de celle qui v
UAnadiplofe , c'ell tout le contraire. LiOric
l'on répète tout de fuite le même mot , qu'on
joint , c'eft ce qu'on nomme Conjnnfium en I
tin, &*en Grec, Epizeuxe. Si on répète, &qu'
augmente, c'eft une Gradation, Quand on
tourne au même mot, ctilEpanodoy ou
tour. Il y a des répétitions où ce n'eft pts
même mot qui eft répété, mais feulement le n
me fon , ou la itiême terminaifon , ou h mêi
fyllabe , ou la même lettre ; ce qui fe peut h
en différentes manières aufquelies ces Rhctc
donnent des noms. Il n'eft pas neceflairc d
charger fa mémoire. Voffius les explique, &iî
donne des exemples dans fcs Commentaires
Rhétorique.
Je n'ai pas deffein de comprendre toutes
cfpeces poŒUes de ces Figures dont nom F
la
0B rARL'EK. Dv.JIL Cbap. IX. 1^1
Ions; j*ai crû qu'il fuffiroit d'en donner quel-
ques exemples. Ces expreffions qui font lîgu-
fes en cette manière , peuvent être ellimablcs ,
2 caufe du fens qu'elles renferment ; mais il e(t
aident que ces figures ne méritent par ellcs-
îiêmes qu'une médiocre eftime. L'artincc qu'on
mploye pour les produire y e(l trop fcnfible » 6c
our parler franchement , trop grofliere ; auflî
otre langue, qui efl naturelle, ne les aime pas,
: nos excellens Auteurs les évitent avec plus
e foin que quelques Ecrivains ne les recher-
lent. A peine les fouffrent-ils , lorfqu'elles fe
refentent elles-mêmes , & qu'elles fe placent
.ns qu'ils s'en apperçoivent. Les petits cfprits ai-
lent CCS figures, parce que ce foiblc artifice eit
IFcz proportionné à leur force , 6c conforme à
:ar génie. Puerilibus hgeniis hoc gratius , qub prp^
Il n'y a rien de fi fadle que de figurer un
ifcours de cette manière ; c'cft pourquoi ceux
tti ne font pas capables d'une véritable éloquen-
î, s'attachent à ces figures. Ils les aiment, par-
e qu'ils les remarquent , & qu'ils les imitent fa-
ilcment. Un efprit folide examine de quoi il s'a-
it , 6c après il s'y applique. Les chofes ne font
eUes que par rapport a leur fin ; c'eft cette fin
tfil confîderc. Oue fert un jeu de paroles à la
larté du difcours r Si la matière eft ferieufe , il
fi hors de faifon : on ne joue point quand on a
a tête une affaire importante. Cependant je ne
nis pas fi critique que je condamne toutes ces fi-
Snres. Elles font belles quand elles ne font pas re-
icrchces, qu'il ne paroît pas .que l'Auteur, au
icu de s'appliquer à la venté , s'eftamufé à badi-
ner. Il y a des répétitions figurées qui font natu-
relles 6c élevantes , comme celles-ci.
L 6 Les
i;i La Rhitouklvb, ou l'Aut
Lis Grunisfe plaifent dans Us défauts dont il t
' s que Us Grands qui f oient cafabUs»
Vamaur profre efi flus babiU que U plus bel
homme du monde.
J*0ubli€ que je fuis malheureux^ quand je fn.
que vous ne m^avez pas oublié.
Il s*eft efforcé de connoître Dieu , qui par
grandeur efi inconnu aux hommes ^ it de coua
tre Phomme , qui par fa vanité efl inconnu à i
tneme»
Noos pouTom comparer toutes ces figures a
figures d un parterre. Comme celles-là plaiiéni
la vûë par leur variété, & par cet ordre avec'
quel elles font difpofées ingenieufement; les k
ou les mots dont un difcours eft compofé étt
^urez de la manière que nous venons de le dii
ils font agréaUes aux oreilles. On les peut an
comparer à ces figures qu'on voit fur les oavni|
de la nature, ou il femble quelle ait voulo
jouer en prenant plaifir à les cliverfifier. Unvoj
geur fe doafie quelauefois en confiderant uneo
quille , une fleur. Un Ledeur mélancolique i
auffi reveillé par cet arrangement %uré de moi
Ces figures renouvellent fon attention, & cesp
tits jeux ne lui font pas defagréables. J'ai renu
Qué quelques-unes de ces ^ures dans les Livr
iacrez , particulièrement dans le texte original d*
ûïe , qui eft le plus éloquent de tous les Propb
tes. Les Percs ne les rejettent point , ibk poi
s*accommoder à leur fiecle qui y prenoitpiaifi
foit parce que l'on retient mieux une fcntOK
dont Texpreûion a quelque cadence.
Cil
»1 »▲&!!&. LhJlI. Chsp, X. %5)
Chàpit&s X-
b nu/yrc du temps aucune JylUtt fs ptut pr$»
nonar. De la JtruÛure des Vers*
\ voix s'arrête nccedàirement quelque temps
ur chaaue fyllabe pour la fisiire Tonner & la
entendre. Nous cherchons maintenant les
ens de mefurer la quantité de ce temps de la
ondation, de le proportionner , & de lui don-
es conditions que doivent avoir les chofesque
'eillesapperçoivent dans la prononciation. La.
ère de prononcer n'efl pas la même chez tous
îuplcs. La prononciation des langues vivantes-
Lurope eil entièrement différente de celle des
Etes mortes qui nous font connues y comme
atin , le Grec , l'Hcbreu. Dans les langues vi-
es on s'arrête également fur toutes les fyllabes;.
les temps de la prononciation de toutes les
•Ues font égaux , comme nous le ferons voir»
; les langues mortes les voyelles font dillin-
s entr*elles par la quantité du temps de leur
ondation. Les unes font appellées longues».
squ*ellesne fe prononcent que dans un efpace
nnps conûderaDle, lesautresfont brèves, 6c fe
iOncent fort vîte.
ous ne devons pas nous imaginer que nous
lOndons aujourd'hui le Grec « le Latin corn-
es andens Grecs & les Latins prononçoient ces.
ues: ils diîlinguoient en parlant la quantité
iiaque voyelle. Nous ne marquons en pro-
çant un mot Latin, que la quantité de la
jltiéme voyelle de ce mot. Nous ne pro-
jons pas une finale brève d'une autre ma-
e qu'une finale longue. Cependant iaint Au*
- - - - - guftitt
IJ4 La RRifoniQuii tr\r t'Aàt
guftin dit, que celui qui lilant ce Vers de Virgile;
jfrma y tùrumquc cano j Tr(^£ qui primus ab orîsr
prononceroit prtmts ^oxax prtmust cette fVllabe h
étant longue, & us bref, il troubleroft toute
rharmonie de ce Vers. Qui de nou$ autres a des
oreilles affez délicates pour appcrcevoir cette dif-
férence ; Quts fe fintit ffefirmitate fini offenfum 5
comme les oreilles des Romains du temps de S.
Auguftin étoient choquées par ce changement?
Quelle étoit donc cette délicatefle fous l'Empire
d'Augufte ? Ciceron dit que le plus petit peuple
s'appercevoit des fautes qu'on faifoit dans la ré-
citation d'un Vers. La véritable prononciation du
Grec & du Latin ell perdue depuis long-temps. Il
Îr a plufîeurs liecles qu'on n'a plus d'égard à la
ongueur & à la breveté des fyllabes, mais aux ac-
cens qui fe font introduits dans la prononciation»
difFcrcns de ceux que les plus habiles & anciens
Grammairiens ont marqué en certains noms; ce
qui change entièrement la cadence du vers. Ifaac
Voffius le montre en quelques vers d'Homerc,
dans lefquels il rétablit les accens qu'ils devroient
avoir. Cette remarque eft de la dernière impor-
tance pour ne pas juger de l'harmonie de Tan-
cienne poëfie par ce que nous y fentons^ aujour-
d'hui.
On nomme mefure un certain nombre de fyllabes
que les oreilles diilinguent 5c entendent féparément
d'un autre nombre de fyllabes. L'union de deux
ou de plufîeurs mefures tait un vers. Ce mot qui
vient du Latin , verftts, iignific proprement ran-
gée; & on donne ce nom aux vers,- parce que
dans l'écriture ils font difringuezde la Profequori
n'écrit point par rangs, mais tout de fuite, à*oh
die eft appeliéc Profu Orath, quafi frvrja ûratio.
Marius
Marius VidorinuJs prétend que ce mot Latin , ver^
fast vient à veifuris ^ iJ ift à refefitâ Jcripturâ
M ex farte in qumn définit. Les anciens Latins
Arivoicnt par filions, ayant commencé de la
gauche à la droife , ils écrivoicnt le fécond vers
commençant de la droite à la gauche, comme
les bœuft font en fillonnant la terre ; c*cft pour-
quoi, comme remarque le même Auteur, cette
manière d'écrire étoit nommée Buflropbe, à boum
vtrfatime. C'eft ce que nous avons dit de la pre-
mière manière dont les Grecs écrivoient.
L'égalité des mefures du temps de la pronon-
dation , ne peut être agréable , comme nous avons
dit, fi elle n'eft fenlible. Pour cela il faut que les
oreilles diftinguent ces mefures , & (ju'cn même
temps qu'elles font entendues fcparemcnt, elle»
foicnt liées enfemble, de forte que les oreilles
puiffent les comparer les unes avec les autres, &
appercevoir leur égalité qui fuppofe tout au moins
deux termes, & quelque diilincflion entre ces ter-
mes. Car on ne dit point de deux grandeurs
au'elles font égales, que lorfqu'clks font toutes
deux prefentes à rcfprit. Outre cela Tégalité des
mefures doit être alliée avec la variété , comme
nous l'avons fait voir avec étendue dans le Cha-
pitre huitième; d'où nous apprenons que l'artifice
& la lîruÂure des Vers.conhlle dans 1 obfervatioa
de ces quatre chofes.
I. Chaque mefure doit lêtre entendue diftinéle*
mcnt, & féparément de toute autre mefure.
Z, Ces mefures doivent être égales.
' 3. Ces mefures ne doivent pas être les mêmes,
Dfeut qu'il y ait quelque différence entr'elles afin
que la variété & l'égalité y foient alliées l'une
avec l'autre
4. Cette alliance de l'égalité avec la variété ne
l>cut être îenûblc dans CCS mefures , fi cllc«nefont
liées
%^6 La Rhetouk^vi^ ou x.*ApLT
liées les unes avec les autres. 11 &ut oacics •
les les entendent toutes enfembley^qu'eUes les
parent» & que dans cette comparaifon elles a
çoîvent redite qu'elles ont aans leur difièr
La prononciation des langues étant difieri
la flruélure des Vers ne peut être la même
toutes les langues. Toute cette diflference i
moins fe réduit à deux chck; car la Poëfîe
ne & la Poëûe Grecque ne différent delà P
Françoife, Italienne» &£rpagnole, que parc
dans ces dernières langues on prononce touti
fyllabes paiement» & qu'elles n'ont point
diftindion de voyelles brèves & de voyelles
gués; c'efl pourquoi ie ne ferai point obli£
parler en particulier de la ftrudure des Vei
chaque langue; il fuffira pour mon defleii
découvrir les fondemens aes règles de la P<
Latine , ôc de celles de la Poëûe Françoife. .
prétens pas qu'on devienne Poëte en lifant a
e vais aire. Mon defiein eft de faire conn
es principes de l'art,, ce qui doit plaire à
ui font ^i rituels, beaucoup plus que rhami
e la Poëue ; les plaifîrs de refprit étant plusgt
que ceux du corps , certainement ils font p
râbles ; d'où S. Auguftin conclut que ce fcro
dérèglement d'aimer mieux un vers que la
noiuance de l'artifice avec lequel il eft com;
Ce feroit une marque qu'on fait plus d'état
oreilles que de l'efprit. NonnulU perverse i
Mmant verfum^ quàm artem ipfam quâ cm
sur ver/us, quia plus amibus quàm intelligi
fe Ce de/ierunt, Lorfque Cyrus faifoit voir a
fander fes jardins, fes vergers, fes boccages
tous les arbres étoient plantez avec ordre ; Ce!
admirable, dit ce Grec ; mais celui qui eft I
teur de cette belle difpofition , me paroît en
plus digne d'admiration. Je tâche par ces r
J
BZPA&LEK. Lh. IlI.Ckaf. XL 1^7
ns de prévenir ceux qui vont voir le détail dans
uel je defcends. Il cil neceûaire pour connoî-
l'art de la Poëfîe Latine. Or» félon ce que je
:iis de dire» cette connoiiTance doit plaire à un
prit raifonnable, pour le moins autant que les
lyrages de cette Poëfie.
Cmapit&b XI.
u mefaretf qu pieds dont Us Grecs & les Latins
compofint leurs Vers.
"^Haque mefurc dans la Pocfîe Latine eft en-
■'tcnduc fcparément & diftinélemcnt par une
î^atîon de voix qui fe fait au commencement,
par un rabaiffement de voix qui fe fait à la fin,
3 mêmes mefures font appcuées pieds; parce
11 femble que les vers marchent en cadence par
moyen de leur mefure. Ainfi les pieds dun
îB Latin , comme le remarque Marins Viélori-
5i fe forment par une élévation & par un rabaif»
ncnt de voix, Ik^iri & JiW, id ejl y alterna fyiUs-
^^m [ùblati^ne & pofitione fedes nituntur ^&
iMtar, Les Romains battoient la mefure en
itant leurs Vers: Plaudendo recitabant. Pe*
palfus ponebatur , tollebaturque ; d'où vient
tte manière de parler, percutere pedes verfûs%
»ur dire diflinguer les pieds ou les mefures d*un
ers.
Poju" déterminer combien il peut y avoir de
fifercntes mefures, ou de difFcrcns pieds dans
Poëfie Latine, il faut faire attention aux te-
« fuivantcs , qui font fondées fur cette ner
îffité qu'il y a de rendre les mefures nett^ &
ffiuftcs.
PRE-
158 La RHETORiQjaE, ou l*Art
PREMIERE REGLE.
II cft confiant qu'un pied doit être cora
tout au moins de deux fyllabes, fur la prcn
dcfquelles la voix s'élevé, & s'abaiflcfur lafc
«le, aûn de la faire remarquer.
SECONDE REGLE.
Les deux fyllabes d*un pied ne peuvent paî
toutes deux brèves, parce qu'elles pafferoient
vite ,• & que Toreille n'auroit pas le temps de
ti^guer deux differens degrez dans la voix qo
prononce; fçavoir, une élévation & un rabs
ment.
TROISIEME REGLE.
. Deux brèves dans la prononciation ont la
leur d'une longue, c'efï- à -dire, le tenipsc
prononciation d'une longue eft égal a. (
que l'on employé pour prononcer deux vOy
brèves.
QUATRIE'ME REGLE.
Un pied ne peut être compofé de plus dc(
fyllabes longues, ou équivalentes à deux
gués; car celles qui fc trouvent entre les fa
mes , fur lefquelles la voix s'élève & fc rai
fc, troublent l'harmonie, & empêchent 1'^
des mefures , comme nous le dirons. Je ne
le à prefent que des pieds Amples qui pcff
former une harmonie parfaite. On appelle ^
€omp9f€z^ ceux qui font faits de deux pieds
pics,
C
Di PARLER. Lh\ IJL Chp. XL 1J9
CINQUIEME REGLE.
Un pied ne peut être compofé de plus de trois
iyliabes: Il îie peut letre de quatre; car ces fyl-
labes feront ou toutes brèves, ou quelques-unes
ftront longues. Si elles font toutes brèves » la
prononciation en fera trop gliflante, & par con-
fcqucnt vicieufe , une mefure de quatre brèves ne
pouvant être entendue dillindlement. Si dans
une mefure de quatre fyllabes il y a une longue
êc trois brèves , ces trois brèves valent plus
d'one longue : ainû cette mefure pèche contre la
qoithéine règle.
SIXIFME REGLE.
Les oreilles rapportent toujours les mcfures
Compofèes aux plus fimplês , parce que leis chofcs
fimples s'entendent plus facilement ôcplus diftinc-
temcnt. Ainfi d'une mefure compofée de quatre
^bcs longues 9 les oreilles veulent qu'on en
Mc deux.
Ces règles nous font connoîtrc que tous les
pieds fimples font ou dedeu^ fyllabes» ou de trois
lyDabes. Voyons de combien de fortes il peut y
iToir de pieds de deux fyllabes, de combien dfé
Ws fyllabes.
Dans un pied de deux fyllabes , ou ces fylla-
tefont deux longues, & ce pied s'appelle Sfcn-
*•
. On ces deux fyllabes font deux brèves , & ce
•ïCd eft nommé Pyrrhlque,
Ou la première de ces deux fyllabes eft longue ,
la féconde brève, ce qui fait le pied qu'on nom-
e Trochée.
Ou la première eft une brève, 6c la derniè-
re
i6o La Rbstohiqjue» ou l'Art.
rc une longue; ce qui cft appelle lêmbe.
Dans un pied de trois iyllabes,-ou ces
fyllabes font longues, & ce pied eft ne
Ou ces trois fyllabes font brèves, ce qi
kpied qu'on nomme Tribraque.
Ou la première eft longue , & les deux \
brèves; ce qui eft un Daflyle.
Ou la dernière eft longue , & les deux pr
res brèves, ce qui eft nommé AnapeftB^^
Ou la première eft brève, & lesdeuzriS
longues : ce qui eft nommé Bachique.
Ou les deux premières font longues. &I
niere eft brève, qui eft appelle Antibacbîqui
Ou les deux extrêmes étant longues , elle
ferment une brève : on appelle ce pied d
wiacre.
Ou les deux extrêmes étant brèves, ell(
ferment une longue; ce pied fe nomme ^
bruqui»
Or tous ces pieds ne peuvent pas entre
la compofition des Vers, parce qu'ils n'o
les conditions qui doivent fe trouver dan
mefures. Plufteurs font exclus de la Poefie
règles précédentes. Le Pyrrhique par la C
règle. Le Moloflepar la quatrième. ^Le Ba
& l'Antibachique par la même règle. L'i
înacre & TAmphibraque par la nxièmc.
cda nous ferons voir que Tégalitè ne pc
gardée dans ces deux dernières mefures;
mfil n'y a que fix pieds; favoir, le 'Spon<
Trochée, l'ïambe, le Tribraque, leDaâ
r Anapeftc. On compte plufîeuft autres picc
ils fe rapportent naturellement à ces fix fc
pieds dont nous venons de parler. ^
DS PAULBi. Liv.IlL Cbsf. XI L z6i
Chapxtii XII.
\ fuoi eonfifte régaVitè dis me fur es du Vers Greci
& Latins \ ou ce qui fais cette égattié.
•
Otfi}ue deux fyllabes ib prononcent en temps
toiiiXy on dit Gué la quantité ou le temps de
; deux fyllabes eit égal. Cette égalité fe trouve
tre deux fyllabes & unetroifiéme» lorfquedans
temps qu'on prononce une de ces fyllal>es,ona
[oifir de prononcer les deux autres. On dit que
temps d'une fyllabeeft ou le double, ou le triple
temps d'une féconde fyllabe , il dans le temps
'on prononce l'une , l'autre fe peut prononcer
nsle même elpace de temps ou deux fois» ou
m ibis. Alnfi le temps d'une longue eil double
temps d'une brève. Lorfque les temps de la pro-
ndation de deux iVllabes peuvent être mefurez
r une mefure précîle ; par exemple , que le temps
Tune eft double de cdui de l'autre , cette pro-
ndation empêche la confuiîon , 8c fsiit que les
tilles apperçoivent diUindlement la quantité de
s fjOanes; ce qui doit plaire infailliblement»
Âque l'égalité» comme nous avons vu» eila-
àue, parce qu'elle rend les fons diflindts» 8e
leh confufion. D y a dans une mefure» ou pied
name il a été dit» une élévation» &un rabaiffe-
icnt : Pes habet elatiouem & pifitiottem. Afin
(toc que l'égalité y foit gardée , le temps de l'é-
^on doit être égal à celui du rabaiiTement.
^ un Spondée les temps de Tabaiffement & de
Sevation font parfaitement égaux » puifque ce
ied eil compofe de deux longues. La même cho-
• arrive dans le Daétyle & dans l'Anapefte» le
'mps de deux brèves étant égal à celui d'une Ion*
164 La Rhetori^vb» ou l'Aki
Spondée & un ïambe : mais, comme nou
dit, la différence n'eft pas grande. On çeu
compofer des Vers des iîx fortes de pied
nous avons parlé L puifqu'ils font ou ^i
prefque égaux. 11 faut encore remarquer
mêmes voyelles, quoique toutes brèves , p
n'être pas égales dans la prononciation , fi
trouvent entre des confones qui retardent |
moins leur prononciation. Par exemple» 1<
mieres vovelles de ces quatre noms Grec
brèves: «/«t» fôf»(^ r^mç^ fpo^ç; mais
de la différence entre les temps de leur pron
tion. C'eff à quoi il faut fure attention ,
on veut rendre im vers harmonieux«
Chapxtks XIII.
De Ut variété des mefuresy & de t alliance de
Uté avec cette variété. Comme fe trouve fi
l'autre cbofe dans les Vers Grecs & Latins.
LA variété eft fi néceffaîre pour prévc
dégoût qu'on prend des chofes les plus î
blcs, que les Muficiens, qui étudient avect
foin la proportion & la confonance des fon
fcôent même de temps en temps quelque
nance dans leurs concerts. C'ell-à-dire ,
négligent d'unir leurs voix par un parfait ao
afin que la rudeffe par laquelle ils piquent
lors les oreilles , foit comme un fel qui 1(
-veille, Quand les Poëtes fe difpenferoient
quelquefois des règles dont nous avons parlé
ne devroit pas ni les reprendre , ni blâme
règles , aufquelles nous ajoutons celle-ci ;
feut relever la douceur de l'égalité par 1
BB PAKLEK. Lh.IIL Cbap. XI IL 16;
e la variété» s'il m'eft permis de parler de te
>rte.
La Tarieté fe trouve en plufîeurs manières dans
s Vers Latins. Je ne parle point de celle qui
onfifte dans la difièrence du iens » & dans la di-
crfité des mots. Premièrement , il eft confiant
[ucdansle Dad^lc .TAnapefte ,1e Trochée, Tlam-
le, leTribraque l'élévation eil fort diflfcrcnte du
alÂiiTement : & quoique le temps de deux voycl-
es brèves foit égal à celui d'une longue, cepcn*
bntles oreilles apperçoivent fenliblemcntla Jiflfe*
xnce qui efl entre une longue & deux iyllabes
brèves. De même , quoique les temps d'un Spon-
dée, d'un Daélyle , d'un Anapelle loicnt égaux,
cependant leur aifferenee eft très-fenliblc. In Dac^
tjhtaiHtur una longa^ pomtntur du£ brèves : in A*
ufé^o totluntur du£ brèves j ponitur una longa: in
Sfvndio toUitur & ponitur una longa.
On ne compofe pas ordinairement des Vers d'u-
ne feule forte de pieds. Les Vers Hexamètres font
compofez de Spondées & de Dadlylcs , les Vers
Pentamètres de Spondées , de Dadtyles , & d'Ana-
peftcs. L'ïambe reçoit plufieurs pieds. Les Vers
Lyriques font encore plus diverlifiez que les au-
tre, parce que non feulement ils reçoivent difFc-
Tcns pieds , mais encore le nombre de ces pieds
cftin^l, tantôt plus grand, tantôt plus petit.
Un vers compofé tout entier de spondées ou
deDaâyks-, ne plairoit pas; il faut tempérer la
viteife desDaélyles par h lenteur & par la gravité
det^ndées. Les Vers ïambes peuvent être com-
JoTci de purs Ïambes , parce que ce Vers patfant
extrêmement vîte , quoiqu'il loit compofé de ilx
inefures, il femble qu'il n'en ait que trois. Ainfi
h trop grande égalité de ces mefurcs dans un fi
Petit nombre, ne peut être ennuyeufe , comme il
eft évident en celui-ci.
M Suis
^66 La Rbetoriqjje» ov l'A«3
Suh éf îpfa Homa viribus ruit.
Les mefures de THexametre font grai
fort fenfiblcs : ainfi fi leur égalité ne f<
accompagnée de la variété , ce Vers <
greable.
Les Vers Lyriques font compofez ordins
de plufieurs fortes de pieds , parce que •
étant faits pour être chantez en Mulique ,
n'en fcroit pas agréable , fi la différence c
ne donnoit le moyen aux Muficicns de d
leurs voix.
L'alliance de la variété avec Tégalité c
fefte dans la Poëfie Latine. Premieremei
chaque pied; car il eft évident, par cxem
dans un Daâ:yle TégaUté & la variété s
vent; l'égalité, puîfque le temps de deu;
cft équivalent à une longue; la variété, ]
comme nous avons dit , les oreilles appe:
bien de la différence entre une fyllabe lo
entre deux fyllabes brèves. En fécond lie
alliance eft fenlible dans les vers entiers
font compofez de pieds qui font differei
même temps égaux, puifque les temps
prononciation font égaux.
Ce n'eft pas affez, félon ce qui a été
tré ci-deffus , que les Vers foient comj
mefures égales , il faut rendre cette .égal
ble , & pour cela lier ces mefures enfemb
Latins le font par la céfure , qui eft un re
ment de quelques fyllabes du mot p
pour en faire un pied, avec celles qui
commencement du mot fuivant, comme
exemple.
liU mtas trrari bovcs i é^c*
Bl rAKLSK. Lh.IIL Chap.XIIL t6j
Ce mot cé/ure» vient du Latin c£/o , qui figni-
: couper. La fyllabe as dans meas , eil une cé-
re," cette fyllabe atf avec la fyllabe er , du mot
vant errare^ faifant un Spondée. Ccft cette
fore qui fait un corps des mefures , 6c qui les
êfente toutes enfemble aux oreilles; car la voix
lyant pas coutume de s'arrêter au milieu d'un
ot, & de le divifer, elle achevé vite de le pro-
incer. Or la céfure fût que les pieds finirent, ôc
mmencent au milieu des mots; ainfl la voix qui
: fe repofe point dans ces lieux , 6c qui lie lei
Qabes de chaque mot , lie en même temps les
eds,6cles enchaîne les uns dans les autres. Cette
ifcrvation fe peut rendre fenfible aux yeux , en
upant les deux Vers fuivans par leurs cé«
tts.
^mi \as er] rare ho ] ves ut \ cetnis & \ ipfum
id&e I qiue vel \ tem cala \ mo per | m{fi$ a \ greflu
La voix diftinguc chacune de ces mefures , com-
c no"us avons dit , par une élévation au commeri-
ment, 6c par un rabaiffement à la fin. Or elle
: auffi ces mefures par la céfure : car quand la
lix a prononcé la fyllabe me dans meas » elle
ononce de fuite as^ qui fait partie de la mè-
re faivante ; ainfi elle lie 6c la première mefu-
, & la fuivante. Cette féconde mefurc cft liée
tcla troiliéme; caria voix ne fe repofant point
i milieu du mot crran , elle pounuit fans in*
niption , après avoir dit er , la prononciation
la fin rare-^ ainfi les oreilles les entendent unies
jointes enfemble. La troifiéme mefure eft liée
la même manière avec la quatrième. Les Vers
is céfures ne paroiffent pas Vers , parce que ,
mme nous avons dit , Tégalité des mefures qui
\, la beauté des Vers , ne peut être fenfible fi
M X elles
1(58 Là RHETOHIQrSjOU l'Ar"
elles ne font liées , & fi les oreilles n'appt
leur liaifon. On liroit le Vers fuivant fa
dre garde que c'eft un Vers , parce qu'il :
de câfure.
Urbem I fortem I cepit \ nuptr \ fortior \
Il ne me reftc plus qu'à parler du noi
mefures qui doivent compofer les Vers. 1
dent qu'un Vers demande tout au moi
mefures. Nous venons de dire que c'eft
de ces mefures qui plaît aux oreilles , lo
mefures leur étant prefentées elles en app(
régaJité en les comparant les imes avec 1<
Or» comme nous avons remarqué, tout
laifon fuppofe tout au moins deux term(
nombre de ces mefures étoit trop gran»
évident que les oreilles qui les doivent o
toutes enfemble y feroient accablées de •
nombre; c'câft pourquoi on ne compofe j
Vers de plus die fix grandes mefures , t(
font les Spondées & les Dadyles. Les \
bes reçoivent jufqu'à huit pieds , parce qi
3ui donne le nom à ce Vers, pafle fortvît<
e ces mefures ne font que quatre grand
res. Il y a cette différence entre lei
des Anciens, & les Vers; quelesRythmi
bien compofez de plufieurs pieds; mais
bre de ces pieds n'étoit point déterminé,
cft celui des Mètres , ou des Vers. Ce <
nous avons dit ici de la Poëfie Latine , r
Poëûe Grecque qui a les mêmes règles.
M p ARL EU. Liv. ilL Cbsp. XIV. 269
C H API THE XIV.
V premières Po'éfies dn Hébreux t & de toutes
ks autres Nations > n'ont été vraifemh/ab/t*
ment que des Rimej dèns leur commencemenh
A Poëiie n*a pas été d*abord parfeUe. La ca-
^ dence qui fe trouva par hazard dans 4^ue]-
'cxpreffion , plut , avant même qu'on fût ce
e c*étoit que Vers , comme le dit Qumtilien ;
^te enim carmen ortum eji , quàm obfervatio
minis. En fuite on afFeétt de mcfurer fcs pa-
cs, afin qu'elles euffent quelque cadence , ce
i fc faifoit tfabord fort groflierement. Les
ecs sy appliquèrent avec foin ; & ce qui contri-
I à perfeâionner les premiers commencemens de
r Foëfie , ce fut que long-temps avant la guer-
de Troie leurs Poètes joignirent la Foëfie avec
Vfufique » comme nous l'avons remarqué. Ils
itoient leurs Vers au fon des inftrumens. Auffi
deux Arts femblent être nez en même temps;
îl-vicnt que les Poètes font encore appeliez
intreSy Muficiens. Les Vers étoient des chants;
fe recitoient en chantant. Dans la fuite la Mufî-
îs'cft diftinguée de laPoëfie; &, comme le dit
intilien , la recitation des Vers tient un milieu
rc le chant & la manière de parler ordinaire.
is dans les commencemens la roëfie étoit une
iique. Ifaac VofTius dans un Livre qu'il a fait
»rtt pour cda , démontre fort bien que cette
fîque n'a voit pas befoin de notes; les longues
es brèves en tenoient lieu; d'où vient que tous
Vers d'une Ode très-longue fe chantoient éga-
cnt bien , parce que les mêmes mefures y étoient
:rvées. Nos Muficiens en faifant aujourd'hui
M 3 ua
'%^0 La RBBTO&IQJÎlf ov k'Ak
un air fur une Ode Latine » ne s'aflu
ni à la lon^eur , ni à la breveté des fyllabi
cet air qui convient aux premières ftropl
$'accorde pas toujours avec les autres ûro
- Il dl facile de concevoir comment Is
Grecque fc perfectionna, c'eft-à-dire qu
vint plus charmante aux oreilles , les N^
s'en mêlant, & les Grecs leur donnant toi
té fur le langage , pourvu qu'ils le poliflTei
rendiifent harmonieux. Les Poètes Grecs
^uûciens purent donc aflujettir à des p
Vers, qui dans le commencement n'ctoi
dci3 cadences groilleres, imparfaites, con
Proie rim^. C'efl ce que dit Quintilicn
mifM dukitaverfi imferito quodam inutê
et aurium nunfurâ , et fimUitar decm
fpatiorum $kfervatkne iffi generatum ,
€9 npirtos fedes. Les mtervalles de la
don pouvoient avoir qudques mefures
rimes réndoient fenfibles. C'eft un ardf
Baturel, & uiité de tout temps. Encore
d'hui les* Poëiies des Perfes , des Tartai
Chinois, des Arabes, des Africains, de
peuples de l'Amérique ne confident que
rimes , dans Ats terminaifons , ou chutes
blés. La langue Hébraïque eft la pren
toutes les langues : certainement elle eft
denne que la Grecque. Or , on voit qui
breux avoient des Poè'fies dans le tem'
fprtirent de l'Egypte. Marie après cette i
cka un Cantique que Moyfe rapporte. C
ve dans TEcriture pluiieurs Cantiques. Le
mes font une véritable poëlie. Les Sça^
purent fur la nature de cette poëfie. Ce
ctre confiant, c'eft qu'on y obferve une cadc
intervalles égaux, ou des expreffions égî
quelle égalité eft rendue fenuble par la re
1^1 PAKLCR. Ltv.JIL Chaf.XIV. 171
lêmes fyllabes , ou mêmes lettres. C'cft ce
l'Auteur de la Bibliothèque univerfelle a ob-
. U le fait voir dans plufieurs paflages qu'il
ofe, oii il montre comme c'eft l'égalité des
îffions , & les mêmes chutes ou rimes qui en
toute la cadence. 11 en donne tant d'exem-
qu'on ne peut douter de fes fçavantes ob-
tiens. On ne les avoit pas faites , parce
Q n'avoit pas pris garde à la négligence des
[lies , qui en décrivant les anciens Cantiques
s Pfeaumes, n'ont pas eu le foin dclesdecri-
omme ils le dévoient , en la manière que fe
ent écrire les vers , finiffant chaque ligne
la rime. Ainfi une partie de l'inauftrie de
Auteur confifte dans le retablifleraent de la
:able écriture , finiflant ou commençant cha-
ligne comme la rime le demande ; en quoi
iiflit fi ordinairement, qu'on ne peut pas pen-
[uc ces rimes foient un effet du nazard. Au
raire, s'il y a quelque partie d'un Pfeaume
«la ne s'obferve pas , on peut penfer que cela
rrivé par quelque tranfpoiition qu'un Copiile
■habile aura pu faire. L'Auteur en convainc
homme docile qui aime & écoute la venté ,
uelque bouche qu'elle forte,
lilon & Jofephe , & après eux Saint Jérôme »
avancé qne dans la Poëlie Hébraïque il y
t des pieds comme dans la Poëfie Grecque ;
{ on ne fait pas s'ils ont bien examiné la me-
de cette poëfie. On foupçonne Philon & Jo-
e d'avoir fû peu l'Hébreu. Ce foupçon eft
fondé. Saint Jérôme les a pu croire fans au-»
•ail on que celle qui fe retire de leur autorité. Go-
a fait un Traité qu'il a intitulé: DavidtsLyrOy
es pour foûtenir le même fentiment ; mais
id il vient au détail , il ne réuifit pas. Louïs
el Ta refaté. Quand on approfondit la-chofei
M 4 OCL
^^l La Rh£toxxqji7B» ou l'Aut
on trouve même que la langue Hcbraiqi
pas capable de mefures ou pieds des vers G
Latins. Ce qu'il faut confidercr ici.
Nous avons dit que les anciens Poètes Gr<
formé la langue Grecque, qui dans foncon
cernent fut fort imparfaite. Elle tire fa pr<
origine de la langue Phénicienne ; ce f<
Poètes qui Tont changée. Les Grecs n'avoic
bord que des noms & des verbes monof;
iâns temps : leurs noms n*avoient point c
adons ou de cas, comme n'en ont point les]
ciens ou Hébreux; car c*eft la même langii
mefure des vers oblige à des tranfpofitioi
cauferoient de robfcmité fi les noms.n'avoi
difierens cas de difierentesterminaifons, qv
quent leurs rapports. Or , il n*y a pas ma
faire des vers oui aient des pieds iànstranipo
Pans ce Vers ae Lucain ^
Belia per Ematbi$s plufquàm civilia camfi
le mot clvirta , n'eft pas en fa place natu
mais on voit où il fe doit rapporter. L'Heb
foufire point de renverfemens femblables. Il
point de diflferens cas en cette langue , ta
différentes terminaifons. Le fubftantif pi
toujours Tadjeélif lorfqu onne fous-entendri'
tre deux; comme ten cbacam, c'e(l-à-dire,
foge : & on ne peut point dire chacam ben;
jne en François on ne peut dire que moupen
tnere. Dans THebreu le fubftantif qui cft '
gime, doit toujours précéder; comme ^
Scbalmé r Les paroles de Saiumon , &
mais Scbolmo debarim, £n Latin, Salomonl
^ ba , Se verbû Salomonis , c*eft la même <
Enfin les affujetiflemens de cette langue à
dre naturel , les terminaifons prefque fei
blesi car tous les noms pluriels mafculinsfi
Bi PAULEK. Uv.ïtL Cbap.XIK 173
lincnt en I M , & les féminins en O T , ont
mpêché les Hébreux de faire des Ters Métriques,
u des vers compofez de pieds.
Ifjcs Hébreux, auûi bien que prcfque toutes les
Qtres langues du monde , excepté le Latin & le
îrec, n'ont donc pu avoir qu'une poëfiefimple,
onfiftant dans Tégalité des expremons d'un égal
tombre de voyelles , 8c dans la rime qui rend
énfible cette égalité. Ce mot rîmes 9 vient fans
bute de Rythme , fvàfMf Rytbmus » mot Grec
roi fignifie un arrangement harmonieux , ou ca-
[ence a^éable. Ce mot Grec comprend tout ce
[œ l'oreille apperçoit demefuré» foitprofe» foit
reis,^ comme Cîceron le définit. Quidqutd eft
«nu quod Jitb atrium menfuram aliquam cadit 9
tfâm fi itbej^ à verfuy numerus vocatur^ qui
rrech fvéfAêç dkitur. La profe même eft ainfi ca-
pable de rythme ; car on en peut difpofer les
mots dont elle eft compofée, de manière qu'iU
àflcnt une cadence lente ou accélérée, douce ou
Sorte, félon que le fujet le demande. Dans les
rcrs ce font toujours les mêmes mefures : dans la
Sfc-il faut une grande variété. Lemot/?y//&OT/iXj
lifie beaucoup : félon fon idée générale , qui
«nferme toutes les fignifications qu'on lui peut*
lonner , c'eft une compolition réglée , qui fe
iit avec un certain ordre, raifon, proportion du
bû & du mouvement des paroles.
Dans toutes les langues qui ne font pas capa-
fcs d'avoir des vers qui ayent despieds , la poëfie
onfifte principalement en ce que nous appelions
mes^ Quand la prononciation de la langue La-
ne commença à fe perdre , qu'on ne diftingua
lus la longueur & la breveté des voyelles, qu'on
î8 prononça toutes prefque également , on fe con-
înta d'une profe rimée, comme font ces fortes de
'êntipes 9 Hymnes > Profes , qui fC\ chantent
M 5 " dans
174 ^^ Rhetohiqjje, ou l'Ak.
dans nos F^iTcs, dont l'artifice ne coi
dans des cxprcŒons égales » qui fe tcn
la même manière. Ceft ce <me les bons!
tins évitoient avec autant de foin qne
vais Poètes l'ont recherché depuis la c
de la langue Latine. On fçait combien (
Ciceron a été mépxifé^
Ofirtuamum astétm me Comfuk Rom
n ne fe feroit jamais fait de jaloux
qu'il a dit eut été de ce (lile, comme J
dit agréablement en raOlant ce mauvais
Afttomî ghuTtos fo$uit conUmnere, fi fie
Ommis iUxiffct.
Ilàac Voffius obferve, que pour évit
mes Virgile a mieux aimé écrire»
Cifm câniktts timi£ ventent ad pocnh
que de mettre comme il le pouvoit
11 ajoute qu'on fe trompe fi on s'im^
avoit une rime dans ce vers.
Cernua velatarum obvertimus mntennm
Les deux dernières lettres de veiatn
mangeoient , & n'ctoient point entend
qu'un Romain prononçoit ce vers. L
Grecque & Latine avoit d'autres char
les nôtres. Nous l'avons dit , ils rccitoi
vers d'une manière qui ne nous eft guei
difficile de concevoir que les cinq tons
quels les Chinois prononcent differemn
même mot monofyllabe; c'eft pourquoi
B B F 1.1. L 1 &: Lh. m. Chef, XV. i7f
icore une fois qu'on a tort de s'imaginer que
s peuples pûflent fentir autre chofe dans 1 liar«>
onie de leurs vers» que ce que nous y Tentons
gourd'hui.
Chipxtrb XV.
h la Poefie Franqoifi $ & de alie it foMtis lu
ëutres S étions qui fit des rimes.
I^Ous l'avons dit que l'artifice de la |>oëfie
^^ Grecque & Latine eft fi particulier à ces
leur langues» qu'aucune autre langue n'a rien de
emblable » fe que pour toutes les autres poèfiei
ndennes & nouvelles» elles ne confifioient que
bns l'égalité du nombre des fyllabes, dedans les
imes. Avouons néanmoins ici qu'il y a des en«
iroits des Ffeaumes 6c de quelques Cantiques oik
I n'cft pas poffible de trouver ces rimes, & qui
ependant difTerent de la profe. Les manières
ontraintes & obfcures de ces endroits marquent
Q'il faut que celui qui en eft Auteur fe foit af-
yeti à des mefures que nous ne diilinguonspas.
1 n'eft pas toujours neceflairc que ila rime fc
t>nve à la fin du vers; on peut lier des paroles»
e forte qu'dles ayent une cadence , comme on en
Dit des exemples dans les langues Efpagnole,
alienne 6c Angloife, dans lefquelles on fait de
rt bons vers fans rimes. Ceux qui poffedent ces
Mucs peuvent examiner ce qui produit cette
fcnce , 6c fait que fans rimes queliques-uns de
1rs vers ont de l'harmonie. Cela peut venir de
que les terminaifons dans ces langues étant plus
tes, elles font plus d'impreffion ; ainfi Téga-
5 dans les cxpreffions-, dans. le nombre des
labes peut faire une harmonie fenûble. Il n'en
M 6 clb
^^6 La R à'i Vo r < ^tr « ; é # VA k i
îeft fas de même dans rk>trt lanniê à-ca^
doucair. die ne irappe pas n fbttei
breJDes. . Cependant on parle d'une pieo
qui n'avoîent point de rimes , faits par
ziriac : c'étoit une traduétion des £pitres
qui n*a point été imprimée. Nous ne pari
que des vers' avec des. rimes : & comme i
Ucher à des exemples ce que nous allô
nous ks tirerons de la po^bûe Françoiiè.
Ce qui. fût la. difièrence eâeutieUe <
loëfic d'avec la Latine & la Grecque » c^
pronônciatioif difRïrehte de celle dont on
^it autrefois le Grec & le Latin. Nous
fons d'une taaniere unie, & prefqae éi
toutes les voyelles. Il eft vrai que nous è
Voix fur certaines; ce qui a fait croire
]^énneque nos voyelles étoient longue
ves comme les voyelles Latines. Il doi
exemple ces mots, grâce ^ race , jnatim
^ixjûir^ & matin y le nom d'un chien; /t
mangé» & hpa$e d'un chien*, il dit que
font trois brèves ; maitréjje , une long
deux brèves; mifertcordëy trois brèves
trochée. C'eft pourquoi il prétend qu on]
^es-vef s François, femblables aux vers L
pour exemple il traduit «en François ce
Latin : .
Tbofibore^ reêié âiem\ eur gaudia mftra\
' Cefamvintm'9^^ fbêfpboret rtdde diem.
ni célui<i v
m
'fdubet réaiUe h jour : pourquoi notnêîfi
tu }
Céfar doit revemr : auife , rekai/Zt Uf
• t
VS PAKLBB.. Liv. /i/. Ckip. XT. 177
Henry Efticnnc trouvent ces deux vers François
fort beaux. Feu de gens feroicnt de fongoût.
Quand les voyelles en François pourroicnt faire
différentes mefures , & que ce ne ieroit pas feule-
ment par l'accent qu'une me me voycHe pût diffe-
Bcrd'cHc-même, mai^ encore parce qu'elle peut
être prononcée différemment » en peu de temps ,
ou dans un temps plus long , perfonne ne pour-
roit difconvenir que pour la plupart elles fe pro-
noncent également. Nous les iaifonsprefque toutes
kreves ; ainli il n*y a pas alTez de voyelles lon-
gues pour faire différentes mefures. On' ne peut
ws faire des vers Latins de voyelles toutes brèves,
rious fommes donc obligez de donner de l'har-
monie à DOS paroles d'une autre manière que les
Grecs & les Latins. L'art que nous fuivons ,c'cft
celui de toutes les nations du monde depuis plu-
ficuTS fiedes , comme nous l'avons dit : il ne con-
fifte aue dans un certain nombre de fyllabes : U
dans les rimes.
* Nous n'élevons- la voix qu'au commencement
iafensy & nous ne la rabaiffons qu'à la fin. C'eil
pourquoi (i une mel'ure dans notre poëfie commen-
Çoit au milieu d'un mot , & finilfoit au milieu d'un
ïQtre mot , h voix ne pourroit dillinguer par au-
cune inflexion cette mcfure, comme elle le Ait
en Latin. Afin donc de mettre de la diftindioa
^treles mefures, ëc que les oreilles apperçoivent
cette diflindion par une élévation de voix au
Commencement > & ua rabaiflcment à la fin , cha-
que mefure doit contenir un fens parfait : ce qui
&t qu'une mefure doit être grande , & que cha-
cun de nos vers n'eft compoié que de deux mefu-
f^y qui le partagent en deux parties égales, dont
fa première eft appellce Hemifticbcy Les mefurei
*ïc nos vers fe mefurcnt d'une manière fort natu-
f^i pi^Que naturellement Se fans aa on élevé
M 7 U
178 La Rhitork^ui; oit l'Aut
la voix en commençant Tcxpreffion d'un f
parfait, & qu'on la rabaifle fur la fin de cette •
preffion. L'égalité de ces mefures dépend d
nombre égal de voyelles. Toutes les voyelles
notre langue fe prononçant en temps égaux , il
évident que fi deux expreflionsontunégalnoml
de voyelles, les temps de leur prononciation &
égaux.
L'égalité de deux mefures dont chaque vers 1
conapofé, ne peut donner qu'un plaifîr médioa
Âum on lie tout au moins deux vers enfembIe,Q
font quatre mefures. Cette liaifon fe fait par 1 1
nion d'un même fens. Pour rendre encore cet
liaifon plus fenfible , on fait que les vers qui rci
ferment un même fens , riment enfemble; c*cft-s
dire qu'ils fe terminent de la même manière,
n'y a rien que les oreilles apperçoivent plus fcni
blement que le fon des mots ; ainfi la rime qui n'e
que la répétition d'un même fon , eft tres-pron
pour faire diflinguer feniiblement les mefures du
vers. Cette manière eft tres-fimple; auffi ellea
nuye bien tôt , li Ton n'a foin d'occuper l'efprità
Ledeurs par la richeffe & par la variété des peu
fées , afin qu'ils ne s'agpcrçoivent point de fa fin
plicité.
Voilà en peu de mots les fondemens denotr
poëfie: pour rendre plus fenfibie ce que j'en ai dit
j'en ferai l'application aux deux vers fui vans..
fe chante cette guerre
Où Pbarfaiâ jugea
en cruauté féconde ^
de VEmphe du monde»
■ L'oreille n'apperçoit que deux mefures dans dtf
cun de ces vers, & elle les diftingue, parce quel
voix s'élève au commencement, & le rabaincàli
fin de chacune de ces mefures qui contiennent de
fens parfeits. Les quatre mefures de ces deux v»
fofll
B B p A R I B ft. Lh. ///• Cbap. XV. 17^
iont liées enfcmble par l'union d*un même fens
dont elles font les membres, & par la rime. Ou-
trcr^alité du temps , nous pouvons remarquer que
l'égalitc du repos de la voix, quife rcpofe en pro-
nonçant nos vers par des intervalles égaux, contri-
bue fort à leur beauté. Je ne parle point des diffé-
rais ouvrages en vers, des vers Alexandrins, des
Sonnets , des Stances , & c. Ces vers ne font diffe-
lens entr*eux que par le nombre de leurs fyllabes*
Les uns font compofezde plus grandes, ou de plus
courtes mefures; danslesuns les rimes font entre-
mêlées. Comme chez les Latins on compofe des
ouvrages de différentes fortes de vers, en François
en lie de petits vers avec de grands vers. L'arti-
fice qu'on employé dans ces ouvrages n'a aucune
difficulté qui mérite que nous nous anêtions à
Tcxpliquer-
Ce n'eil pas affezr pour donner à un verslajufte
Biefure, d'avoir égard à la quantité du temps de
^quc voyelle , ou au nombre des mêmes voycl-
fa: leurs concours & celui des confones avec qui
elles fc trouvent , augmente ou diminué leurs me-
ures. Entre les inots qui ont même quantité , ou
jui contiennent un égal nombre de voyelles , les
^ font rudes , les autres font doux , les autres
coulans , les autres , languiffans : c'ell pourquoi
pour rendre les mefures d'un vers égales , on doit
avoir prefque autant égard aux confones qu'aux
yoyclles, comme nous l'avons dit de la poëlie La-
tine. Il faut fur-tout prendre garde aux accens,
®u fi l'on veut , à la mcfure des voyelles , & pren-
dre garde fi elles font brèves ou longues; m/i/e^
Hne efpece de coffre, nepeutpas rimeravec ma/ey
«n Latin mafcu/us, comme l'enfeigncnt ceux qui
fraitcnt eiprcflément de la Poëlie Françoife.
C M k^
i8o La. RKixoiiia.uE, ou l'A&t
C H A I» I T H £ XVI.
É
U y a une jjmfathte merve'ilUafi entre notre
it la cadeyice du dijcvurs y quand cette ca^
dence convient^ à ce qu*U exprime.
NOux avons vu qu'un difcours cft agréabtfc
lorfque les temps de la prononciation des
fyllabes qui le compofent, peuvent être mduraî
par des mefures exaaes: que le temps , par exem-
ple , d'une fyllabeeftexadement ou le double, oo
le triple de celui d'une autre fyllabe. Lcsmefuitt
cxades font celles qui s'expriment par dés nont-
bres. Dans la Géométrie toutes les raifonsexaâb
font nommées raifons de nombre à nombre i c'eft
pourquoi les Maîtres de l'Art de parler ont ap- •
pelle nombres , numéros , tout ce que les oreilles
appcrçoivent de proportionné dans la pronondt- \
tion du difcours , foit la proportion des mefarei
du temps , foit une jufte diftribution des interval-
les de la refpiration. C'eft ce que dit Ciccroii
Numero/um ejl id in omnibus fonis atque vodktt
quod babet quafdatn imprejjiones , é* quod metirif^
Jumus intervaUts étqualibus, £n Latin , Numirtfê
oratio , c'eft ce que nous nommons en Fianfoil
difcours harmonieux.
Oue l'harmonie plaife , c'eft une chofc qoi
ne demande point de preuves; &nous ne devotf
pas être furpris fi nos oreilles font choquées d'un
ton qui n'eft pas réglé, puifque pour rompre
les plus groflcs cloches il ne faut que les fonncr
de manière qu'elles faffent un faux ton. Tous loi
Auteurs conviennent, &entr'autrcs S. Augufli»f
qu'il y a une merveilleufe alliance de notre cP
prit avec les nombres, que les differens mouvc-
meo»
'.-•
i>ï PARLE %. LiV.ÏJI. Chap. XVL i8i
mens de Tame répondent à certains tons de la
voix , avec qui elle a je ne fai quelle efpece d'ha-
bitude. . Miré animi noflri cum numeris cognnth.
Omnes tiffefius fpiriiùs, nojîri p7'o juî d'tverfitate
babtnt proprios modos in vûce 9 quorum nefch
quâ QCcultâ familiaritate eonneêtantur. D*où Lon-
fin, cet excellent Critique, conclut quele<înora-
res font des inilrumcns merveilleufemcnt pro-
pres à remuer 8c à faire agir les pallions. Jw
fi^TlOV TméSi 0ç^1fOfi
Pour pénétrer dans les caufes de cette mervcil-
leufe fympathic des nombres avec notre efprit,
& de leur puilTance fur nos paffions » il faut fa-
voir que les mouvemens de l'arae fuivent ceux
des efprits animaux. Selon que ces efprits font
plus lents ou i^us vîtes » plus tranquilles ou plus
violens, l'ame fefent émûë de différentes paffions.
La plus petite force eft capable d'arrêter ou d'ex-
citer ces efprits animaux: ils refiftent peu, & leur
IcgereTié feit que le plus petit mouvement étran-
ger les détermine^' le mouvement, par exemple,
d'un fon peut ks ébranler. Notre corps eft telle^
ment difpofé, qu'un fon rude & violent les fait
-. couler dans les mufcles qui le difpofent à la fuite »
de la même manière que le fait la vûë d'un objet
affreux , comme nous l'expérimentons tous les
jours; au contraire un fon doux & modéré a ht
force d'attirer. En parlant rudement à un animal >
il s'enfuit: on-l'apprivoife en lui parlant douce-
ment ; d'où l'on apprend que la diverfité des fons
produit des mouvemens differcns dans les efprits
animaux.
Chaque mouvement qui fe fait dans les orga*
nesdesfens, & qui ert communiqué aux efprit»
animaux, ayant donc été lié par l'Auteur de h
nature à un certain mouvement del'ame, les fons
peuvent exciter ks paillons; ôc l'on peut dii:e que
cha-
ï82 La Rhetork^ite, 6v l'Art
chacun répond à un certain fon , qui eft celui qui
excite dans les efprits animaux le mouvement avec
lequel elle eft liée. Ceft cette liaifon qui eft là
caufe de la fympathie que nous avons avec les-
nombres , & qui fait que naturellement , félon le
ton de celui qui parle, nous reffentons differens
mouvemens. Un ton languiflant nous infpircde
la trifteffe, un ton élevé nous donne du courage:
entire les airs , les uns font gais , & les autres mé-
lancoliques , félon la paffion qu'ils excitent.
Pour découvrir tous les iecrets de cette fympa-
thie, & expliquer comment entre les nombres
les uns caufent plutôt la trifteffe que la joye , il
feudroit examiner quel eft le mouvement des ef-
prits animaux en chaque pafîion. On conçoit fa-
cilement que fi l'impreffion d^un tel fon dans les
organes de Touie eft fuivie d'un mouvement dans
les efprits animaux , femblable à celui qu'ils ont
dans la colère, fî, par exemple, ce fon.lesagitd
violemment & avec inégaUté , qu'il pourra exci-
ter la colère > & Tentretenir : au contraire qu'il fera
languiflant 8c mélancohque fi l'émotion qu'il caufe
dans les efprits animaux eft foible.ôc languiffante ,
telle qu'eft celle qui accompagne la mélancolie.
Ce que je dis ne doit pas furprendre , après ce
que nous rapportent tant d'Auteurs célèbres des
effets de la mufique. Ils difent qu'il y a eu ^es
Muliciens qui favoient joiier fur leurs flûtes des
airs propres à guérir toutes les maladies, qui pou-
toient appaifer les douleurs , & rendre la fanté
aux malades*
Peut-être qu'on en dit trop; mais nous ne
pouvons pas douter de ce que nous expérimen-
tons tous les jours, que lorfque nous entendons
quelqu'un chanter, rire, ou pleurer, que nous le
voyons fauter , danfer , nous fommes invitez à faire
la. même chofe. La nature nous a liez enfemblè.
' ^ Da&s
PB PAjiiER. Lh. Il L Ckap, XVI. 28 j
Dans un Luth , lorfqu'on pince une corde , ccMe
qui eft à l'uniflon fe remue fans qu'on y touche , *
quoiqu'elle foit éloignée , & qu'entr'ellcs il y ait
plufieurs autres cordes qui demeurent immobiles.
La nature, dis-je , nousaliezenfemble; ainfinous
reiTentons les mouvemens que nous appercevons
dans les autres : auffi il eft indubitable que la feu-
le cadence peut exciter les paffions.. Ceft delà que
Platon, dans fes Livres de la Republique, tire cette
confequence, que félon qu'on change lamufique,
les mœurs des Citoyens changent. Cela paroît pa-
radoxe , mais il n'y a rien de plus véritable. Les
chants effeminez amollilfent. 11 y en a de mâles ,
de graves , de religieux que les Muficiens obfer-
vent félon les mouvemens qu'ils veulent infpirer.
L'expérience & l'autorité ne permettent pas d'en
douter. In certaminibus facris non eadem rafione
concitant animos ac remittunt , nec eofdem modat
ëdbibent càm beUicum eft canendum , é^ cùm
fofito gcnu fupplicandum j nec idem fignarum
concentus eft procedefite ad pr^lium exercttu^
idem receftiû carme». Ges paroles font de Quin*
tdlien.
On ne peut donc douter que les fons ne foient
fignificatifs, & qu'ils ne puiffent renouveller les^
idées de plufieurs chofcs. Ainii comme lefonde
la trompette fait naturellement penfer ■?. ;a guerre r
Thucydide, par la cadence élevée qu'il donne à fe*
paroles en parhnt des combats , fait , comme Ci-
ceron dit de lui , qu'il femble qu'on foit prefent
à une bataille, éc qu'on y entende la* trompette:.
2>tf bellicis firibens concitatiori numerè , videtur
beUicum canere. Quand on entend le bruit de lar
mer on fe l'imagine; facilement, quoique les yeux
ne la découvrent point. Quand on entend parldr
un homme qui eft connu d'ailleurs , onfc lerepre-
feite avant qu'il foit prc(entaux.yeui«. Lesidéeé
z^4 La RHCTo&i^rx, ou i*A&r
des chofes font lices entr'eUcs , & sVxdteiit lés
unes les autres. Ainfi il efi hors de doute que
certains fons » ceitains nombre» » & cenaines ca-
dences peuvent contribuer à réveiller les images
des dioies avec lefquelles ils ont quelque npport
& liaifon.
Nous expérimentons qu'en parlant no« prenons
un ton conforme à nos difpofitions intérieures.
Ce n'cft pas feulemeût fur le vifage queparoiflèct
les mouvemens dont nous femmes a^^tez. La
feule manière dont nous parions Êiit connoitie
ces mouvemens , nous prenons un autre ton en
raillant que loré^ue nous parlons ferieufemcnt
Notre voix n'efl point lamêmequandnousloâons
que quand nous blâmons. En un mot » nous chan*
geons de voix félon nos differens mouvemens : auffi
on fait bien mieux connoitre ce que l'on pcofe
quand on parle, que lorfqu'on écrit.
Cependant il eft certain qu'on peut donner uni
cadence à fes paroles y qui tienne lieu d'une voix
vivante. Virgile réiiflit admirablement en et-
la: il donne à fes vers une cadence qui peutdk
feule exciter les idées des chofes qu'il veut figni:
fier. £n lifant ces paroles : £/ ithQi<bufc€n£tfu'
ribunda rogos , qui eft-ce qui ne conçoit pas par
cette cadence précipitée & élevée , la précipitation
avec laquelle Didon, dont il eft parlé en ce lieu,
monte en furie fur le bûcher qu'elle avoit préparé
pour s'y brûler. Quand je lis cette defcription du
ibmmeil:^
Temfus erat quo- prima quies mortalibus Mjni
Jncifity it'dono divûm graûj^tna ferait i
la douceur de ce vers qui glifle, me donnel'idéé
du fommeil qui fcnible fe glilTcr , & couler dans
nos membres, fans que nous nous en apperco*
YÎOM
yions. Ce nombre languiflant de cette Harangue
du fourbe Sinon:
Heu l qu£ nuttc iellus , inqutt, qu£ me dquors
> fôjjtmt
Accipere j aut quîdjam mtferê mibi denique reftat ?
Ce nombre, dis-je, n*étoit-il pas capable d'ex-
citer la compaffion dans le cœur des Troyens.
La feule cadence du vers fuivant exprime le ton
languiCant avec lequel on parle d'un accident
fâcheux ;
Partent opère in tanto ^.fineret difUr^ Icare , Jfa*
beres,
Ce^crs fuivant marque la gravité & tranquilli-
té du Jloi dont parle le Poëte ,
oui fedato rejfondît.eorde Latînus»
Souvent la manière de dire les chofes , la po-
fture , les habits font plus éloquens que les paro-
les. Un habit négb'gé, une mine trille fléchira
plutôt que les prières 6c les raifons. AufH la ca-
dence des paroles fait fouvent plus que les paroles
mêmes., comme nous l'avons vu dans le .premier
Livre de cet Ouvrage. Un ton ferme imprime la
crainte , un ton languifl*ant porte àla compadion.
Un difcours perd la moitié de fa force lorfqu'il
n'eft plus foutenu de l'adion & de la voix : c'efl
un inîlrumcnt quil reçoit fa force de celui qui le
manie. Les paroles fur le papier font comme un
corps inort qui cft étendu p^r terre. Dafts U bou-
che de celui qui les profère elles vivent, elles
font efficaces : fur le papiçr'elles font: fcns vie*
incapables ce.produke les mêmes effets. Une ca-
dence
1.86 La Rhstork^ui, ou t'Axt
tlence conforme aux chofes confervc en quelque
manière la vie au difcours , en confervant le ton
avec lequel il doit être prononcé.
Chapithe XVII.
Moyens de donner à un difcours tme cadence qui
réponde aux chojes quilfign'tjie.
PLaton, comme nous Tavons dit, prétend que
les noms n'ont point été trouvez par hazard.
Sa preuve c'cft que les premières racines d'où font
dérivez les autres mots, ont été compofées de
lettres dont le fon exprimoit en quelque manière
la chofe iignifiée. Cela n'eft vrai que dans un
petit nombre de racines. Mais il eft confiant que
la beauté d'un difcours confiftant dans le rapport
qu'il a avec la chofe qu'il fignifie , fi fa cadence
convient, il efl plus fignificatif, & parconfequent
plus agréable. Or , pour lier fon difcours par une
cadence conforme au fens; on n'a qu'à con-
fulter les oreilles , & apprendre d'elles quel efl le
fon de toutes les lettres , des voyelles , des con-
fones, des fyllabes, & à quelle chofe ce fon peut
convenir. 11 y a des Auteurs qui fefont appliquer
à remarquer ces ufages. Ils obfervent , par exem-
ple, que la confoneF , exprime levcDtCàmjlam"
tua furentibus aujlris : que là confone S , réveille
l'idée d'une chofe qui coule , d'un courant ou d'eau,
ou de fang, étfienes fanguine riv$s: comme auffi
les tempêtes,
Luêianus ventes t Umfeflatêfqut finofàs.
La lettre L convient aux chofes douces;
' MMé
» E p AR 1« R. Lh. ni. Cbap. XVIî, 187
Moilta iuteela pînpt vaccintacaltha^
■ eft mollis flamma mcâuUas*
Virgile fe fcrt heureufement de plùficurs M^
|)our un bruit fourd & confus.
lâagno cum murmure montts
Ctrcum claufira fremunt.
Le fondement de tout cda eft ce que nouJ
avons dit, qu'un fon excite naturellement Tidée
de la chofe qui peut produire un fon femblable,
Ainfî comme chaque lettre a un fon qui lui eft
particulier , il eft certain qu'il y a des lettres qui
font plus propres à marquer de certaines choies ,
comme le fon de la lettre M, & de TO, pour
exprimer un fon obfcur. Platon dit que ces mots,
<wA«^7^f ) f^^i • qui fe prononcent diffidlcr
ment, marquent bien par cette rudeffe ce qu'As
iignifient. Au contraire , la prononciation douce &
facile de ce mot yxvxv ^ contribue à faire connoî-
tre la douceur dont il eft le nom. Il eft certain qu'en
parlant d'une chofe douce , on eft porté à en par-
ler avec un fon doux. Les mots qui font donc
compofe^ de lettres d'une prononciation douce &
facile , tiennent lieu fur le papier de ce ton avec
lequel on auroit parlé. Il eft naturel de prendre
les fignes qui font les plus convenables. Il n'y a
pas de termes plus propres que ceux dont nous mar-
quons le cri des animaux , parce qu'ils expriment
ce cri; ainfi c'eft la nature quia fait trouver itcopm
4e mugijjement des Taureaux, le binniffement des
Chevaux; corhme nous difons auiB ^ %;r , béeler.
3^fi^,m7ety^y rue*»*/»*^ font dcs noms naturels
•comme nos noms Ynn%oi%JifourdonnemcntJîffiement.
Nous
i88 La RffiTdRXQj/i, eu l^àrt
Nous avons vu la nature du ton de chaque lettre ; il
cft faciïc déjuger à quoi elle peut être propre: & par
confequcnt un Orateur peut connoître entre plu-
fieurs mots qu'il a pour s'exprimer, ceux: dont le
fon eft plus propre pour fon deffein.
Entre les voyelles , les unes ont un fon clair 8c
élevé ; les autres ont un fon obfcur & foible. On peut
faire entrer dans lacompofitiondefondifcourscel-
lies qui font propres au deffein que Ton a.pris de faire
une cadence plus foible ou plus forte , plus élevée ou
plus baffe.
n faut avoir particulièrement égard aux mefures
du temps. Entre les mefures, les Dadlyles coulent
avec viteffe: le Spondée va gravement, Hambe mar-
dievîte; le Trochée femble courir: aufliil prend
fon nom d*un verbe Grec qui lignifie c(?»nV. L' Ana-
pcfte , tout au contraire du Dady le , coule avec vi-
teffe dans fon commencement, & fur la fin il fem-
ble qu'il va heurter contre quelque corps qui 1ère-
pouiâe & qui l'arrête , d'où il a pris fon nom , qui
fignifie repcrcufjion. Les effets de ces mefures font
tout di ffcrens. Celui qui veut accorder la cadence de
fes paroles av.cc les chofcs qu'il traite, doitchoiiir
entre ces pieds ceux qui l'accommodent. Virgile fe
fert de daâyles pour exprimer la viteffe d'une acr
tion.
lirt iequore apefto
jinte Notbosy Zepbtrumque voknt: gémît uhimapu{fu
Thraca pedum.
Fer te cttiferrum , date te/a , fcandtte muros»
Au contraire il évite les Daélyles, & choifît le«
Spondées; lorfque la gravité convient mieux à l'cx-
preffion.
w Magnurn Jovu incrementum.
Tftfita moiis.frat Romanam condere gentem,
lUi interfefe rmtgnâ vi bracbia to/lunt, éfc.
Ciceron
-B4 pnuLSn. Ltv.JIL Chap.XVII, i8f
'Ciccron rapporte que Pythagorc empêcha des
jeunes gens d'entrer par force dans une honnête
nnifon, & qu'il leur fît quitter leur mauvais def-
ian , ayant commandé à une femme qui chantoit »
de Élire entrer des Spondées dans fon chant. Pytba^
fir«f C9nciîatos 4id vint putticd eïomus inftrendam
jnenes jujft mâture in Spondeum modes tibicinâ^
mpeCcuit. Le Spondée & le Daâyle font les deux
grandes mefures. Ceft pourquoi les vers Hexamè-
tres font les plus majeftucux. Le Spondée qui fe
trouve à la fin , fait qu'on les prononce avec un ton
ferme, parce qu'il foutient la voix. L'Anapefte qui
cft à la fin du rentametre , fait tomber la voix ; c'cil
Pourquoi ou employé le Pentamètre pour exprimer
les plaintes danslefquclleslavoix tombe à tous mo-
mcns, & fon cours eil interrompu. On joint le
P-cmamctre avec l'Hexamètre, afin que la force de
Tim foûtienne la foibleffe de l'autre. L'ïambe eft fi
tîic, que la cadence du vers qui en eft compofé, n'eft
pasfouvent fenfible. Elle paife avec tant de vitefle ,
îtfon apeineà dirtinguer ce vers de la Profe ; C'eil
pourquoi on employé ce pied dans les pièces de
Théâtre, dont le itile doit être fort naturel, &
peu différent de la profe.
"11 eft facile de rendre la cadence du difcours dou-
ce ou rude. Pour la rendre douce , il faut éviter le
concours des voyelles qui caufe des vuides dans le
dilcours , & empêche qu'il ne foit imi & égal. Ce
concours de voyelles, & celui de plufîeurs confones.
Particulièrement de celles qui font afpirées , ou qui
pe s accordent point , rendent le difcours raboteux.
>lï difcours rude convient aux chofes rudes & defa-
K'^bles, • Rébus atrocibus conveniunt ver ha num
f'^^alperâ. Pour décrire de grandes chofes il fout
^piloyer de grands mots dont le fon foit éclatant,
^%\à\ rempliflent la bouche. La cadence du difcours
^ doit être négligée ôc languiflantc, pourcefujet
* QutntUien, N il
»ço La Rhétorique , ou l'Art
il eft à propos que tous les termes dontonfcfciti
ayent un fon foiblc.
Plus les périodes font longues, Faction de la voix
cft plus forte. Lorfqu'il eft important de parler avec
douleur , les cxpreflions doivent être courtes & cou-
pées. Si Fadion eft véhémente , s'il eft befoin de
donner du poids à fes paroles, comme ceux quife
veulent faire craindre font un grand bruit , il faut fc
fcrvir de longues périodes, qu'on ne peut prononcer
fans prendre un ton plus ferme qu'à l'ordinaire.
Je n'en dis pas davantage : ce feroit abufer du
temps que de vouloir donner des règles plus parti-
culières pour chaque nombre. Cela ne s'acquiert
que par une longue habitude , & par une forte appli-
cation qui fait qu'on s'anime en compofant , & que
naturellement on choiiit des termes rudes ou doux ,
qui conviennent à ce que l'on veut exprimer. Je ne
confeillerois pas à un Auteur de s'opiniâtrer à trou-
ver une cadence lîgnificative avec les mêmes gênes
gueTon cherché une rime. Il eft difficile d'y réuffir:
)uvent c'eft tenter l'impofTible.
La plupart des Poètes femblent avoir ignoré cet
accord des nombres avec les chofes. Ils ne cherchent
dans leurs vers qu'une douceur qui devient fede dans
la fuite. Chez eux les affligez & les jqyeux , les maî-
tres & les valets parlent d'un même ton. Un païfan
parlera avec autant de délicatefTe qu'un courtifan.
Cependant cesPoctes ont des adorateurs qui croyent
fort favorifer Virgile quand ils difcnt , des vers rudes
& négligez, avec lefquels il décrit les chofes baffes ,
qu'il s'eft négligé dans ceux-là pour faire paroître la
douceur des autres. Ils n'eftiment pas cette cadence
admirable de ces vers , où il décrit le foible coup que
le vieillard Priam porta à Neoptolemus,parce qu'elle
cft foible&languiffante, comme elle le doit être.
Sic fatus/iniçr j ulumfui mMhfim i(lu
Conjtcit» J'ai
DB PARIER. Lh.JÏL Cb,XVÎL 19 1
Pai honte d'employer Tautorité des Maîtres de
l'Art pour les convaincre d'une vérité qui n*a pas
bdbin de preuve. Ciceron & Quintilien donnent de
grandcsloiiangesàceux qui accordent les nombres
avec le fens. Les Hiftoriens ,les Poètes , & les Ora-
teurs ont recherché avec foin cette beauté. Ulpien,
dans les Commentaires qu'il a faits fur les haran-
gues de Demofthcne , remarque que toutes les fois
que ce Prince des Orateurs Grecs parloit des pro-
grès de Philippe, il arrctoit le cours de la pro-
nonciation de fon difcours, y faifant entrer à cette
finjdiifîeurs particules , pour faire voir combien
Philippe marchoit lentement dans fcs conquêtes ,
^9ties tardas Phillppi frogrejjus voluit vf! entier e^
tirdam muitis inttrjeàis particuiis oratiomm facie*
iit.
Pour Virgile, on peut dire que c'cft en cela
2u*il,eft inimitable, & qu'aucun Pocte n'approche
e lui. 11 ne feroit pas befoin d'en apporter des
exemples , parce que chacun a ce Poète entre les
mains: néanmoins pour vous faire remarquer l'ex-
cellence de fes vers, je rapporterai quelques-uns
des plus beaux endroits qui fe prefentent à ma me»
ïftoire. Lorfqu'il fait parler Neptune dans le pre-
mier Livre de l'Enéide , il donne à fes paroles une
cadence élevée, majeftueufe, & qui convient à ia
Q)tjefté de celui qu'il fait parler.
Tantane vos generts tenuit fiducîa vejlri}
7«m eœlum^ terramque , rneû fine numini% ventl
Mifiere » & tantas autietts toUere moies.
Remarquer la pompe des fuivans, avec lef-
^ucls il flatte l'Empereur.
l^afcetur pulcbrâ Trojanus ortgîne Cdfar ,
^^ptrhim Ocâano » ftmam qui termines aflrts»
Ni îtt-
29* La Rhétorique, ou l'Art
Perfonne ne lit les vers aveclefquels il décrit P0I7-
pheme , cet horrible & difforme Géant, faiTs reffen-
tir quelque mouvenaent d'horreur & de crainte.
Monjlrum bârrendum, infirme, ingens t eut lu*
men ademftumi
comme auffi les fuivans :
Tela inter média , atque borrentes marte Latinos^
La cadence de ce vers, Procumbit bumt bos % qui
tombe tout d*un coup , imite la chute de ce pe-
lant animal. 'Celle de celui-ci :
Quadrupedante putrem Joriitu ^uatit ungula cant"
pum :
imite Tallurc ou Tardeur d'un cheval fougueux^
Peut-on mieux exprimer la triftefle que par cette
cadence interrompue ,
O pater, ê bominum, divùmque dterna potejîasl
O lux Dardanu , 6 fpes fidijjima Teucrûm \
Les vers fuivans font pleins de la douleur dune
perfonne affligée, qui regrette la perte de fon ami :
Te y amice^ nequivî conjpicere» i^,
Implerunt rupes , flerunt RbodopeU arxes.
Denys d'Halicamafle que nous citons fi fouvcnt J
montre qu'Homère lie ordinaitcment des nombres
propres à fa matière. 11 cite quantité de vers de ce
Poète , fur lefquels il fait fes reflexions avec une
élégance dont vous pouvez juger par cet échantil-
lon. U rapporte ces vers , dans lefquels Homese
fait
DE r A R I E R. Liv. IIL Cbap, XVII. 293*
fait raconter à Ulyflc les travaux que fouflïc Sify-
phe dans les Enfers.
K«c/ fBfi 2i(7r/^«» Hnlhfj x^Ttp' «Ayi* i/l^^i
A««# «vnr ii')%TKt mn Atf^tff. OdyiT. /! I !•
Denys d'Halicamaflc fait cette reflexion judi-
cieufe ëc élégante;
Homère , continue cet habile Rhéteur , fe fert
dans fes vers de voyelles qui s'entre-choquent ,
wuyxçHfihtff , & qui arrêtent le cours de la pro-
nonciation. Pour exprimer la longueur du temps
que Sifyphe employé dans ce pénible travail, il fe'
wrt de fyllabes qui ont des arrêts , ^e^yfuiç Kèf
iyt(sitSîorfi^tct ; pour fignifier la refiltance de cette
pierrqà caufe de fa propre pefanteur , & de la ren-
contre des autres pierres , rlu^ m-nivmu/it j^ li fietph
9j T» f*,û24u Et afin qu'on ne croyepasquecefoit
par hazard que les nombres répondent aux chofes
dans ces vers, il montre comme la cadence des vers
fuivans eft toute différente , dans lefquels il décrit
la chute de la pierre de Sifyphe, & comme elle
roule du haut du> rocher où il l'avoit portée avec
peine. Cette cadence eft extrémenxent vite; ilfem-
ble , dit-il , que les mots a-t^oMsuivuTi coulent
& roulent avec la même précipitation que cette
pierre. Cet Auteur fait les mêmes remarques fur
pluiicurs paflages de Demofthene, & montre que
jipn feulement la poëfie, mais encore la profe eil
N 3 capable
M
'%p4 L* RHETOUKU'It OU L'AxT'
capable d'un cadence qui contribue 1 donner 4
jullcs idées des chofes.
On ne doit pas s'imaginer qu'il foit nece^ireen
traitant toutes fortesde matière, de l'étudicr à ren-
dre le Ton de fes paroles expieflif: cette exaâîtqde
n'ell point neceffaire partout , mais feulement d^
quelque partie d'un Ouvrage qui elliaplusenvflè',
K dans laquelle on veut toucherplus vivementfci
Auditeurs. Outre cela , cette cadence doit ftrcni-
lurelle. Il n'eft paspermisdercnvetfcrrordKiia-
turel, de tranfpofer les mots, de retrancher quel-
que exprcffi on utile , ou d'en inférer d'inutile, pour
fiire une jullccadence. Quelquepriitqu'aitundif-
cours dont le nombre peut eupriraerleschofesau-
lantquelesparoles, on doitbienfe donner de garde
de préférer cette beauté à une plus folide , qui tft
celle de la jullelTe du raifonnement, & delaçnn-
deur des penfées. Notre efprit ne peut pas toujoui
fitre attentif à deux différentes chofes i la fois; c'eft
pourquoi il arrive fouventquelorfqu'ils'appliquei
contenter les Sens, il déplait à la Raifon. Laplusso'
ble partie du difcours cfl lefensdcs paroles qui en
eft 1 ame ; c'eft cette amc qui mérite nos prûnica
foies.
SE fARtEit. Liv. IV Cbap. I.
RHETORIQUE
0 U
L'AjVT DE PARLER.
LIVRE QUATRIE'ME.
Chapitre Prs*
Sttjtt de et ^ualTiénie Livre. Des Jiffen
Ce fue c'tjl qiieJUle.
! fiiht:
3iOu5 avons remarqué que tousles mots
1 ne donnent pas la mcmeidecdescho-
I Ces qu'ils fijnifient , & que pour faire
! connoître la forme de nos penfées , il
' falloit choifir ceux qui reprefentcnt
en même temps leurs traits véritables , & leurs
couleurs -naturelles; c'eft-i- dire qui réveillent dans
l'efprit des autres les mêmes idées & les mêmes
fentimens que nous en avons.Nous ferons connoître
dans ce quatrième Livre, que félon la différence
de la matière , il faut employer une manière d'é-
crire particulière, 8f que comme chaque chofe de-
mande des paroles qui lui conviennent, auffi un
fujet entier requiertuBlUlcquiluifoit propre. Les
N 4 règles
'i<}6 La RHÈTôntQuï, ou l'Art
règles que nous avons données de rélocution ci-
deflus , ne regardent , pour ainlî dire , que les mem-
bres du difcours. Ce que nous allons enfeiper en
regarde tout le corps.
Stile, dans fa première iigniiîcation, fe prend pour
une efpecc de poinçon dont les Ancien^le fervoient
pour écrire fur Técorcc, & fur des tablettes cou-
vertes de cire. Pout dire quel eft l'Auteur d'une
telle écriture, nous difons que cette écriture eft de
la main d'un tel : les Anciens difoient , c'cft da
ftile d'un tcL Dans la fuite du temps ceimotdcfti-
le ne s'eft plus appliqué qu'à la manière de s'ex-
primer : quand on dit qu'un tel difcours eft du
îtile de Ciceron , on entend que Ciceron a coutume
de s'exprimeï de cette manière.
C'eft une choCê admirable que chaque homme
en toutes chofes a des manières qui lui font parti-
culières dans fon port, dans fes geftcs, dans Ibn
marcher. C'eft un effet de fa liberté , de ce qu'il
fait ce qu'il veut, & qu'il n'eft pas déterminé
comme les animaux quiagilfcnt également, parce
que c'eft une même nature qui les fait agir. On
voit donc que chaque Auteur doit avoir dans fes
paroles ou dans i^ts écrits un caraélere qui lui eft
propre & qui le diftingue. Il y en a qui ont des
manières- plus particulières & plus extraordinaires,
mais enfin chacun a les fiennes.
Le fujet de ce quatrième Livre, commcjcfti
dit, eft le choix d'un ftile qui convienne à la
jiwtiere que l'on traite : Quel doit être le ftik
d'un Orateur , d'un Hiftorien , d'un Poète qui veut
plaire , & de celui qui inftruit. Mais avant que
de déterminer avec quel ftile il faut traiter chaque
chofe, j'ai cru qu'il neferoitpas inutile de recher-
cher les caufes de cette différence qui fe remarque
dans les manières dont s'expriment les Auteur
Quoiqu'ils parlent la même langue , qu'ils écriwnt
fis
»i pauler. Liv. ly, Cbaf, IL 297
ftir les* menues matières, & qu'ils tâchent de pren*
dre le même ftile , chaeut a une manière qui le
caraéterife. Les uns font diffus, & quelque retenue •
Sn'ils affeélent , on pourroit retrancher la moitié
e leurs paroles^ fans faire tort au fens de leurs
difcours. Lesautresfontjecs', pauvres, fteriles; &
quelque eflfort qu'ils faffènt pour revêtir les cho-
ies, ils les laiflcnt demi-nues. Il y eu a dont le
ftile eft fort, les autres font languiffans : les uns
font rudes, les autres font doux. Enfin comme les
vifages font differens, les manières d'écrire le font
auffi; c'eft de cette différence dont nous allons
rechercher la caufe.
C H A F r T » E II.
tes quaittez» du fit le de chaque Auteur dépendent
de celles defon imagination t de fa mémoire ,
& de fin effrit.
LOrfqueles objets extérieurs frappent nos fens?;
le mouvement que ces objets y excitent, fe
communique par le moyen des nerfs jufques au
centre du cerveau, dont la fubftance molle re-:
çoit par cette impreffion de certaines traces. L'é-
troite îiaifon qui eft entre l'ame & le corps, -fait
que les idées des chofes corporelles font liées- avec
ces traces; de forte quelorfque les traces d'ua ob-
jet, par exemple celles du Soleil, font imprimées
dans le cerveau , l'idée du Soleil fe prefenteà l'ame j-
& toutes les fois que l'idée du Soleil fe prefente à
Famé, ces traces que caufelaprefencedecetAftrfe-
fe r'ouvrent. Nous pouvons appeller ces tracés les
images des objets. La puiffance qu'a l'ame de for-
mer fur le cerveau les images des chofes qu'on a
tmc fois apperjûë^, s'appelle imagination ; & ce
N 5 ^ mot
298 La Rhetoriqjje, ou l*Art
mot fignifie en même temps & cette puifTance de
Tame , & ces images qu'elle forme.
Les qualitez d'une bonne imagination font fort
ncceflaires pour bien parler : car enfin le difcours
n'eft rien qu'une copie du tableau que Tefpiit fc
forme des chofes dont il doit parler. Si ce tableau
cft confus , le difcours ne peut être que confus. Si
l'original n'eii pas reflemblant, la copie ne le peut
être. La forme, la netteté, le bon ordre de nos
idées dépend de la netteté & de la diftinélion des
traces que font les impreffionsdes objets fur le cer-
veau. S'il eft propre pour recevoir ces traces , on
fe forme fans peine les images des chofes aufquel-
les on penfe; ainfi on en parle aifément, comme
les ayant devant les yeux. C'efl: ce qui s'appelle
avoir une imagination vive. Ceux en qui elle fe
trouve peuvent faire des peintures vives & natu-
relles de ce qu'ils s'imaginent, qui font des im-
preffions prefque auflî fortes que la vue des cho-
Us mêmes. L'imagination eft proprement ne-
cefTaire à ceux qui traitent des chofes fenfibles
comme à un Poëte , dont une des qualitez eft
d'être ce que les Grecs appellent « tf^«i»T«ai«T^ ,
homme dlmagination. On ne peut donc douter
que la qualité du ftile ne dépende de la qualité de
l'imagination. Tous les hommes n'imaginent pas
de la même manière : la fubftance du cerveau
H*a pas les mêmes qualitez dans toutes les têtes :
c'eft pourquoi l'on ne doit point s'étonner û les
manières de parler de chaque Auteur lui font par-
ticulières.
Les mots que nous lifons ou que nous en-
tendons , laiflent auffi-bien leurs traces dans le
cerveau, que les autres objets. Ainfi, comme
ordinairement on penfe aux mots 6c aux cho-
fes en même temps , les traces des mots & des
cbofcs qui ont été ouvertes de compagnie plu-
fieurs
MOMfa
DB PAUL St. LhuIV, Cbap.IH. ij^
fleurs fois , fc lient ; de Tortc que les chofcs fe
reprefentent à refprit avec leurs noms. Lorfque
cela arrive , on dit que la mémoire eft heu-
reufe , & fon bonheur ne coniifte que dans cette
facilité avec laquelle les traces des mots & celles
des chofes avec qui elles font liées , s'ouvrent
en même tems , c*eft-à-dire que le nom de la
chofe fuit la penfée que Ton en ». Lorfque la
mémoire n*eft pas fidèle à reprefenter les ter-
mes propres des chofes qu'on lui avoit confiées,
l'on ne peut parler jufte. L'on eft ^obligé de fe
taire , ou de fe fervir des premiers mots qui
fe rencontrent, quoiqu'ils ne foicnt pas faits pour
exprimer ce que l'on eft preffé de dire. Les ex-
preffions hcureufes & juftes font l'effet d'une bon-
ne mémoire.
Enfin il eft conftant que les qualitez de l'efprit
font caufe de cette différence que Ton remarque
entre tous les Auteurs. Le difcours eft l'image
de refprit : on peint Jfqn humeur & fes inclina-
tions dans fes paroles Tahs que l'on y penfe. Les
efprits étant donc fi^ differéhs , quelle merveille
que le ftile de chaque' Auteur ait un caractère qui
le diftingue de tous lés autres , quoique tous pren-
nent leurs termes &: leurs -expreffions dans Tufage
commun d'une même langue?
■/
j_ ■-- -^— ^^^— ^-^— — ■ _-■ - ^. ^ iii I r - I I ■ - —
t 9
Chapitre III.
Qualhez àe la fuh fiance du cerveau , 6^ det
efprits animaux , necejfa'tres pour faire
une bonne imagination,
DAns l'imagination il y a deux chofes i la pre-
mière eft matérielle-, la féconde eft fpirituel-
le. La matérielle ce- font ces traces caufécs par
N 6 rim-
•joè La RhitoriO-VI, ou L'Airr
rimprcûîon que font les objets fur le& fens j h
fpirituelle eft la perception ou connoiflancc que
1 ame a de ces traces , ôc la puifTance qu'elle a et
les renouveller ou ouvrir quand elles ont été fai-
tes une fois. Il n*eft queuion ici que de la par-
tie matérielle ; je ne puis expliquer éxa<fteniciit
ces tracesr fans m'engager dans des- difcuifions
philofophiques dont mon fujet m'éloigne: je di-
rai feulement que ces traces font faites par lc$
efprits animaux quir font la partie du fang la plus
pure qui monte en forme de vapeur , du cœurau
cerveau. Ces efprits font indéterminez dans leurs
cours : lorfqu'un nerf eft tiré , ils. fuivcnt fou
mouvement, & ç'eft par leur cours qu'ils tracent
différentes figures fur le cerveau , félon que les
nerfs font différemment tirez. De quelque mar
niere que cela fc faffe , il clt confiant que la net-
teté de l'imagination dépend du tempérament
de la fubilance du cerveau^, & d^.Ia qualité des
efprits. animaux.
Les figures que l'on décrit fur la furiàcc de
Teau n'y laifTent aucun vellige; les traces qu'elles
Îr font étant aufïi-tôt remplies. Celles aulii que
'on grave fur le marbre font ordinairement im-
parfaites à caufe de la rcfillance que trouve le
cizeau fur la dureté de cette matière. Cela nous
fait connoître que la fubftance du cerveau doit
avoir de certaines qualitez , fans lefquelks elle ne
F eut recevoir les images exades des chofes que
ame imagine. Si le cerveau ell trop humide, &
que les petits filets qui. le compofcnt foient uop
foibles , ils ne peuvent conferver les plis que les
efprits animaux leur donnent ; c'efl pourquoi les
images qui y font tracées font confufes , & fem-
blables à celles que l'on tâche de former fur ht
fange. S'il efl trop fec , & que les filets foient
uop durs , il eu impoffible que tous les traits des
objelt
M p A R I S R. Ltv, IV. Cbap. ///. 301:
objets y foicat imprimez: ce qui fait que toutes
chofes paroiflent maigres à ceux qui ont ce tem-
pérament. Je ne parle point des auires qualitezda
cerveau, de fa chaleur, de fa froideur : quand il'
eft chaud , les efprits animaux le remuent plus fa-
cilement: fa froideur rallentit le feu de leur cours,
elle fait que l'imagination eft pefante,& qu'on ne
peut rien imaginer qu'avec peine.
Les efpriis animaux doivent avoir ces trois qua-
litez^ils doivent être abondans , chauds, & égaur
dans leur mouvement. Une tête épuifée d'elpritr
animaux eft vuidé d'images , Tabondance des ef-
prits rend l'imagination féconde; les veftiges que*
tracent ces efprits par Icuiî cours étant larges, pen-
dant que la fom-ce qui les produit n'eft point épui-
fée , on fe reprefente facilement toutes chofes , &
fous une infinité de faces qui fourniffent une am-
ple matière de parler. Ceux oui n'ont point cette
fécondité que l'abondance des efprits animaux
entretient, font ordinairement fecs. Comme les
chofes ne s'expriment que foiblement fur le fiege
de leur imagination , elles leur paroiifent maigres^,
pentes , décharnées. Ainfi leur difcoui s qui n'ex-
prime que ce qui fe pafle dans leur intérieur, eft
fec, maigre & décharné. Les premiers font grands
caufeurs , ils ne parient que par hyperboles , tou-
tes les chofes leur paroiflent grandes. Le difcours
des derniers eft fimple & bas; l'imagination des
premiers groflit les chofes , celle des derniers les
rétrécit,,
Lorfque la chaleur fe trouve avec Tabondantre ,
que les efprits animaux font chauds, prompts, 8c
en grande quantité ; la langue n'eft point aiTez
prompte pour exprimer tout ce qui eft reprefente
dans l'imagination ; car outre^ que la première
qualité fait que les images des chofes font tracées
Cans toute leur étendue; la féconde qualité qui eft
*^ • N 7 lai
301 La RiHiTOKiQus, ou l*A»t
la chaleur , rendant les efprits animaux vi6 & l^crs^
rimagination eft pleine dans un inftant de diffc-
rentes images. Ceux qui poffedent ces deux quali-
tés , fans méditation trouvent fur le champ plus
de chofes fur un fujet qu on leurpropofc, que les
autres, après avoir médité long-temps fur ce mê-
me fujet. Un efprit froid ne peut remuer fon imagi-
nation qu'avec des madhines. L'expérience fait con-
noître que le défaut de chaleur eft un grandobfta-
de à Teioquence. Dans une violente paflion, lorf-
que les efprits animaux font extraordinairement re-
muez 9 les plus fecs parlent avec facilité , les plus
fteriles ne manquent point de paroles, & cette di-
verfité d'images dans lefquelles le fiege de l'ima-
gination fe métamorphofe , pour ainfi dire ^ aufe
une agréable variété de figures 6c de mouvemeos
qui fuivent ceux de l'imagination.
Afin que l'imagination foit nette & fans confo-
fion, le mouvement des efprits animaux doit être
égal. Lorfque leur cours efl déréglé , qu'ils font
tantôt lents dans leur mouvement, tantôt vîtes,
les images qu'ils tracent font fans proportion, com-
me il arrive à ceux qui font malades , 6c dont la
maladie conlifte dans un mouvement dérègle de
toute la maife du fang. Ceux qui font gais , &
d'un tempérament fanguin , s'expriment a vecàd-
litc & avec grâce. Dans ce tempérament les efprits
animaux ont un mouvement prompt & égal; ainfi
leur imagination étant nette , leur difcours qui eft
une copie des images qui y font tracées , eft nécei&i-
rement net 6c diltinét.
Cma-
«B paklee. Lh. IV» CBétf. ly. 30]
L;
Chapitrb IV.
"De ce qui rend la mémoire beureufe.
A bonté de la mémoire dépend de la nature
& de rexercicc. Puifqu'elle ne confifte que
dans la facilité avec laquelle les traces des objets
que Ton a apperçûs fe renouvellent ; elle ne peut par
confcquent être neureufe , fi la fubftance du cerveau
n'eft propre à recevoir les traces des chofes , & à les
conferver, & fi ces traces qui ne peuvent pas tou-
jours être ouvertes , ne fe rouvrent facilement.
L'exercice donne de la mémoire ; chaque chofe
fe plie facilement du côté qu'on la plie fouvent ;
aum les filets du cerveau s'endurciflent , pourainfi
dire, 8c Ton fe rend incapable d'apprendre par mé-
moire , fi Ton ne prévient cet endurciflcment en les
pliant fouvent, c'eft-à-dire en répétant fouvent ce
que Ton a appris , & tâchant tous les jours d'ap-
prendre quelque chofe de nouveau. Il eut remplir
fa mémoire de termes propres , & faire que la
liaifon des images des chofes & de leurs nomsfoit
fi étroite , que les images & lesexpreifionsfepre^
fentent de compagnie. Un excellent homme z,
dit que la mémoire étoit comme une Imprimerie..
Un Imprimeur qui n'a que des caraéleres Gothiques,
n'imprime rien qu'en caradlere Gothique , quelque
bel ouvrage qu'il mette fous la prefle. On peut dire
de même, que ceux qui n'ont la mémoire pleine
que de mauvais mots, n'ayant dans l'efprit que,
des moules Gothiques, leurs penfées, enferçvê-^/
tant d'expreffions , prennent toujours un air Qi^
thique.
C'eft pour cela que les perfonncs, de qualité
parlent bien. Ils vivent '& convçrfentivecdespcr-
ion-
;o4 La' RhitoricL^s, ov i:'A«.t
(bnnes d'efprit» qui s'appliquent à ne dire aucun
mot qui ne foit du bel ulage. Comment donc en
diroient-ils de méchans qu'ils ignorent, ou s'ils
les ont entendus , c'eft fi rarement , qu'ils les ont
oubliez ? La même chofc arrive à ceux qui ne li-
fent que de bons Livres , à qui la mémoire ne prc-
fente que des termes purs. Les enfâns parient la
langue de leur pcre & dcleurpaïs, qu'ils appren-
nent entendant parler. En lifant les Auteurs on ap-
prend leur langue; mais fi on s'attache également
a plufieurs qui aient vécu en difFerens fiedcs,
comme chaque fiecle a, pour ainfîdire. falangnc,
on fe forme un ftile bigarré qui n'eft d'aucun fic-
elé. Ceft ce qu'on reproche à Erafme , qui ayant
beaucoup lu , &: conier\'é dans fa mémoire lescx-
preffions qu'il avoit lues ,' il s'en eft fait un ftile mêlé,
qui n'eil pas toujours pur. Heureux neanmoini
celui qui peut auffi bien écrire qu'il le fait. Ce que
j'ai voulu dire ici , c'eft qu'il ne fuffit pas de
confervcr en fa mémoire les phrafes ou manicrei
de parler délicates qu'on a lues ou entendues de
tous cotez. Nous l'avons déjà dit, qu'un ftilede
phrafes ne vaut rien ; qu'il faut imiter èes abeilles,
qui des difi^erensfucs qu'elles cueillent fur les fleurs,
en compofent leur miel, liqueur fimple; de même
que la nature forme le chrie de dinerens alimcns
qu^elle digère. Sans cela ces différences ledures
qu'on fait feront non feulement inutiles , maif mê-
me nuifibles, comme le dit Scneque. Afesà*
btmus imturi , é* qutcumque ex diverfii congf^
fimus feparare deinde adbibitâ ingenii «••
Jîri cura & facu/tate , sn unum Japorem varié
iila libaments confundere : ut etiam ft afparutr'n
vnde fumptum fit , aliud tamen ,ejje quàm unit
fumptum eft , appareat, Quod in corpore nofin
vîdemus fine ul/a opéra nojlra facere naturétm,
Mmenta qu4S accepimus , quêndiu in fus quâff
Utê
m PAR Lin. Liv.IK Chef. V. 3or^
UU perdurant , é^ foUda iniuttant 'JUmacbo ^
0nera funt : at cùm §x eo quod trttnt , mutât a
funtt tune demùm in vires & in fânguinem trun^
feunt. Jdem bis^ quitus a/untur ingenis , prdfiemust
ut qudcumque baufimus , non^ patiamur intégra ejfe t
ne aliéna fint.
Chai^xtri V.
Qualitez de l'efprit neceff aires pour l^éUquencev
CE qpe nous venons de dire ne regarde aue les-
organes corporels ; les qualitez de lefprit
font plus corifiderables & plus importantes. Ceft
la Raifon qui doit régler les avantages de la na^
ture , qui: font plutôt des défauts que des avanta-
ges à ceux qui ne favent pas s'en fervir. Ce-
lui qui a riraagination féconde , mais qui ne:
Ciit pas fiiire le choix de fes richeffes , le perd
& s'égare dans de Jongs dîfcours. Parmi la mul-
titude des chofcs qu'il dit, il y en a quantité de
mauvaifes : & les bonnes^ font étouffées par le
grand nombre de celles qui rie vallent rien. S*il
a de la chaleur avec cette fécondité, & s^il fuit
le mouvement de fa dialeur, il tombe, dans une:
infinité d'autres défauts; fon difcours eft un tilTa
perpétuel de figures : il ne parle jamais fans paf*
fion, mais prefque toujours fans raifon. Etant
prompt ôc chaud, les plus petites chofes l'exci-
tent., & lui font prendre feu* Sans avoir égard
à la bien-féance; tfans: confiderer fi la ,chbfe le
mérite.; il entre en fureur; il fe laiffe emporter à
k fougue de fon imagination, dont fes paroles
peignent le dérèglement & l'extravagance.
Pour acquérir la perfeébon fouveraine de Mo-
quence , il faut que Fefprit: foit doiié de ces
uoi»
5o6 La RHETfoRi^ui, ou l'Art
trois qualités ; la première (eft une capacité , on
une étendue d'efprit qui fait qu'on découvre fur
le fujet qui eft propofé, tout ce qui fe peut dire
avec abondance. Un efprit borné eft incapable
4e donner à une matière l'étendue qui lui eft ne-
ceffaire.
La féconde qualité confifte dans une certai-
ne délicateflc , une certaine vivacité qui entre
d'abord dans les chofes , qui les aprofondit ,
& en éclaire tous les recoins. Ceux qui ontl'ef-
prit pefant & groffier ne pénètrent pas dans les
replis d'une affaire , ils n'en voient que le gros ;
ainfi ils ne peuvent qu'effleurer la furface des
chofes.
La troifiéme qualité eft ,1a iuftefTc de refprit ,
c'eft elle qui règle toutes les autres qualitei , foit
de l'efprit , foit de l'imagination. Un efprit juftc
choifit ; il ne s'arrête pas à tout ce que fon
imagination lui prefente; il fait le difcernement
de tout ce qui fe doit dire , & de ce qui fe doit
-taire. Il n'étend pas les chofes félon la gran-
deur de leurs images ; il amphfie ou abrège fon
difcours, félon que la chofe & le bon fens le
demandent. Il ne fe fie pas à fes premières idées ;
il juge fi les chofes font auffi grandes qu'elles
lui paroilfent , & choifit des exprefCons qui leur
conviennent , fclon la lumière de la Raifon , &
non pas fdon le rapport de fon imagination,
qui fouvent eft fembiable à ces. verres qui font
Êaroître les objets plus grands qu'ils ne leiforit.
. l'arrête lorfqu'elle eft trop légère : il l'excite ,
. il l'échauffé lorfqu'éUe eft trop ffoide: en un mot,
il ufe bien des avantages que la nature lui t
donnez; il les perfeétionne; & fi elle ne lui i
Sas été favorable , il combat fes défauts , & tâche
clés corriger.
Lcsbonncs qualitcz de l'efprit ne fc rencontrent
pas
DE PARLER. Liv.IV, Chef. V. 307
pas toujours avec celles d*une bonne imagination,
& celles d'une mémoire heureufe; ce qui met une
différence très-grande entre parler & écrire. Sou-
vent ceux qui écrivent bien , lorfqu*on leur donne
du temps pour penfer , parlent mal fi on les obli-
ge de parler fans préparation. Pour écrire il lï'eft
pas befoin d'une imagination fi féconde , fi chaude
& fi prompte. Quand on a un génie qui n'eft pas
entièrement malheureux , en méditant ferieufe-
menr on trouve ce que Ton doit & ce que l'on
peut dire fur un fujet propofé. Ceux qui parlent
avec facilité , fans préparation', reçoivent cet avan-
tage d'une imagination abondante & pleine de feu,
lequel feu s'éteint & fe rallcntit dans le repos Ôc
dans la froideur avec laquelle on compofe ime
pièce dans un cabinet.
Les qualitez de l'efprit font préférables à celles
du corps : l'éloquence de ceux qui ont ces der-
nières qualités, eft comme un grand feu de poudre
à canon, qui paffe en un moment. Cette éloquen-
ce fait du bruit d'abord, elle éclate, mais auflî-
tôt on n'en parle plus ; au contraire un ouvrage
compoic avec jugement, conferve fa beauté, 8c
plus il eft lu, plus il eft admiré, comme rremar-
que Tacite au fujet d'un certain Halerius qui fut
célèbre pendant fa vie , mais dont les écrits n'eu-
rent pas le même fuccès que fa perfonne , parce
qu'ayant plus de feu d'imagination aue dejufteffe
d'efprit; ion talent étoit de parler lur le diamp,
& non pas d'écrire. Un Ouvrage folide & travaillé,
dit Tacite, vit dans l'eftime des hommes après la
mort de fon Auteur : la douceur & l'éclat de l'é*
loquence d'Halerius s'éteignit avec lui : Quîntus
Halerius eloquentU quoad vixit oclebrutétf
montmenta ingenii ejus bnud ferinde retinentur.
ScUicet impetu magis quàm cura vigebat : tttqut mC'
tfitafio aliorum & Mûr in fffiirum vêUfcii , /c
3oS La RHiTom^ut, ou l'Art
Malerii canorum illud & pr»fiuens cumipfojimulex"
iinéium efi,
„ Il y adesefpritsd-unordrefupericur, qui ont
„ une élévation naturelle , nourris au Grand > pleins
^ & enflez, d'une certaine fierté noble &gencrcufe,
„ comme parle le Traduéteur de Longin. L'élcva-
,> tiond'efprit, dit-il, eft une imagede la grandeur
,,. d'ame ; & c'eft pourquoi nous admirons quelque •
„ fois la feule penfée d'un homme, encore qu'Û ne
„ parle point . à caufe de cette grandeur de courage
,» que nous voions. Par exemple, le filence d* Ajax
y^ aux Enfers , dans l'Odyffée : car ce filencc a je ne
)j fai quoi de plus grand que. tout ce qu'il auroit
M pu dire.
„ La première quaKtéqu'ii faut donc fuppoferen^
n un véritable Orateur, c'eft qu'il n'ait point l'ef-
»> prit rampant. En effet, il n'eft pas noffiblc
s» qu'un homme qui n'a toute fa vie que àcsfen-
t% timens&des inclinations baffes 8c ferviles, puifTe
M jamais rien produire qiri foit fort merveilleux »
^ ni digne de la pofterité. Il n'y avrai-femblable-
y^ ment que ceux .qui ont de hautes 8c.dc fdidcs
>^ penfées qui puiffcnt faire des difcours élevez ; 8c
„ c'eft particulièrement aux Grands Hommes qu'il
„ échappe de dire des chofes extraordinaires. Voiez,
„ par exemple, ce que répondit Alexandre quand
„ Darius lui fit offrir la moitié de l'Alîe avec fa
„ fille en mariage. Pour moi, lui difoitParme-
» nion, /i j^éfois Alexandre y jlaccepterois ces of-
»» jres. Et moi aujji^ répliqua ce Prince yfi'fétois
,, Parmtnion, N*eft-il pas vrai qu'il falloir être
„ Alexandre pour faire cette réponfe ?
„ Et c'eft en cette partie qu'a principalement
^excellé Homère, dont les .penfées font toutes
^ fublimes , comme on le peut voir dans la def-
^. cription de la Déeffe Difcorde. quia, dit-il,
i> La tête- dâm kt QUun ^ it les pifdsfurla terre.
Car
«B VAULSIL. Lh. IV. Chef, VI. 309
.;, Car on peut dire que cette grandeur qu'il lui
i, donne eft moins la mefure de Ta Difcorde , que
w de la capadtc & de l'élévation de rcfprit d'Ho-
ir mère.
Chapitre VI,
Le êTroerfiU des ineùnâtims & du tiJi^g*
ment drverfifie le ftile. Chaque per/orme »
cbéique cGmât m fin fiik qui lui eji parti-»
tuUer.
TE difirours eft le cara(ftere de Tamc; notre
hupieur fe peint dans nos paroles; & chacun
làns y pcnfer fuit le (lile auquel fcs difpofitions
naturelles le portent. Elles font toutes différentes
dans chaque homme : c'eft pourquoi il y a autant
4e difierens ililes qu'il y a de perfonnes qui par-
lent.ou qui écrivent. De là vient encore <juc cha-
que climat a une manière de parler qui lui eft
particulière. Car, comme ordinairement ceux qui
font d'un même païs , ont beaucoup de rapport dans
kur tempérament , ils ont auffi des manières de
parler aflci fcmblables , & conformes à ce tempe-
tament qui leur eft commun. Les Efpagnols , par
Memple , qui font tous graves , choinront bien
Dlûtôt des mots dont la cadence fera majcftueufe ,
& des expreffions nobles , que des mots doux &
languilTans, & des exprcûions délicates , comme
feroicnt les Italiens.
Les Orientaux qui ont l'imagination chaude Se
;>leine d'images, ne parlent que par métaphores
Bc par allégories; parce que lorfqu'ils fe propo-
fcnt de traiter quelque fujct, auifi-tôt leur imagi-
nation leur prelcnte mille images qui ont du rap-
port ï ce fiàet, dont ils peuvent tirer plufieursmé-
taplio-
3T0 La RniToiii^uiy ov l'Art
taphorcs. Ainfi fi ce fujct eftpcufenfible, comme
CCS images font fort vives , qu'elles frappent for-
tement leur cfprit, & le tournent, pour amfi dite,
vers elles , ils font bien plutôt portez à fc fcrvir
du nom de ces images avec lefquelles ce fujcta
rapport, que du nom propre. Ils quittent dondcs
expreffions naturelles, pour employer celles qui
font figurées ; c'eft ce qui rend leur ftile obfcur à
ceux qui n'ont pas une imagination auffi prompte
qu'eux; car pour pénétrer dans le véritable Icni
de leurs paroles, il ne faut prefque jamais confi-
derer ce qu'elles fignifient naturellement, mais ce
qu'elles peuvent fignifier prifes dans un fens mé-
taphorique qu'il n'eft pas facile d'apperccvoir ,
parce aue les métaphores dont ils fe fervent, font
tirées d'objets qui ne nous frappent pas auflivite-
ment qu'ils en font frappez i ainfi nous ne pouvoni
pas découvrir d'abord la liaifon qu'ils Ont avccll
chofe qui efl le fujet du difcours. '
Cela fc remarque dans les Poëfies que nous avons
des Orientaux : l' Ecriture fainte nous en fournit mê-
me des exemples dans les Cantiques de Salomon.
Nous fommes furpris d'abord , que ce Prince , en
décrivant les beautcz defonEpoufe, compareibn
vifage au côté de la Tour du mont Liban, qui^^
gardoit la ville de Damas, & fes dents à une trou-
pe de brebis nouvellement tendues, quifortcntda
bain : mais avec un peu d'applicaûon on pénètre
dans fa pcnfée , & l'on apperçoit qu en mêmetcmp!
qu'il penfc aux beautez de fonEpoufe, il efl frap-
pé des images de ce qu'il avoit vu de plus beau
La Tour du Liban fe prefente à fon imagination,
qui faifoit une face extraordinaire ment beUe du cô-
té de Damas; il eil frappé de la blancheur des brcWJ
oui fortent du bain , & qui commencent à fe revêtir
a une nouvelle toifon. Les Septentrionaux n-ontj»J
tant de feu : leur imagination ne reçoit pas une fi
grande
AB PARtlii. Liv. IV. Cbâf. VL 31X
grande variété d'images. Quand ils pcnfcnt à un
fujet, ils en font occupez; ainfi s'ils le fervent de
métaphores; ils ne les prennent que de chofes qui
ont une liaifon fort étroite avec ce qui fait le prin-
cipal fujet de leur difcours. Ceft pourquoi leuràÛe
eu fimple , naturel , & s'entend facilement. Ils fc
donnent tout le temps quieftneceffaire pour expli-
quer les chofes qu'ils propofent. Ce que les Orien-
taux ne peuvent faire, étant emportez par la vivaci-
té de leur imagination, qui les oolige de quitter* ce
qu'ils avoient commencé de dire, pour paflertoirf
d'un coup à d'autres chofes.
Les anciens Rhéteurs diftinguent en trois claflcs
les differens ftiles que les diferentes inclinations
des peuples leur font aimer. Le premier eft
l'Afiatique , élevé , pompeux , magnifique. Les
peuples de l'Afie ont été toujours ambitieux,
leur difcours exprime leur humeur , ils aiment
le luxe; leurs paroles font accompagnées de plu-
fieurs vains orncmens qu'une humeur féverc ne
peut fouffrir. Le fécond ftilc ell TAttique : Les
Athéniens étoient plus réglez dans leurs maniè-
res de vivre : auffi font - ils plus exafts , &
pour ainfi dire plus modeftes dans leurs dif-
cours. Le troifiéme eft le ftile Rhodien : Les
Rhodiens tenoient de Ihumeur ambitieufe &
paffionnée pour le luxe des Afiatiques , & de
la modeftie des Athéniens : leur ftile caraéle-
rife leur humeur ; il garde un milieu entre la
liberté du ftile Afiatiquc , & la retenue du ftilc
Attique.
C H A-
311 Là RHtT^HtQjcri, eu l'A&t
L
Chapitkk vil
Chagut fiecle n fin flile*
A divcrfité des ftilcs vient encore des pr^a-
' gez avec lefquels on parle. Quand on con-
çoit dans le monde de refÙme pour quelque ma-
niera d'écrire , & qu'il s'en fait une mode , chaam
tâche de la fuivre , & de s'y conformer; mais com-
me Ton fe lafle des modes > & que ceux qui les
ont inventées en cherchent de nouvelles aptes
que celles-là font devenues communes , pour k
diilinguer de la foule; ainû il fe fait un change-
ment perpétuel dans le langage auûi-bien que (Uns
les habits » comme nous l'avons dit aillcus.
C'efl ce qui fait que chaque âge , chaque fiede
a fa manière de parler qui lui eil particulière. Les
bons Critiques reconnoiffent le temps auquel on
Auteur a écrit en obfervant fa manière d'écrire, &
fon goût : c'eft-a-dire l'eilime qu'il a pour de cer-
tains tours , pour de certaines expreiEons qu'il af-
fccfte d'employer.
Sencque a remarqué qu'en chaque fiede il y a
toujours quelque Auteur de réputation , qoi eft
le modèle de tous ceux qui écrivent , lequà pcoi
ainfi introduire de certaines manières qui , bien
Quelles foient mauvaifcs, quand elles ont àénne
lois applaudies, font enfuite en ufagc, & tout le
monde les afFe'de. C'cft ainfi qu'on voit de
certains défauts autorifez pendant des fiedes en-
tiers. Hâc vitia unus aiiquis inducit , fib ##
tune eloquentia eft : ceteri imhantur , et éii^
atteri tradunt. Il en donne un exemple dans
Salufte. On aima , dit-il , de fon temps les exprrf-
fions concifcs , & une breveté obfcure. Sic Sahftk
vi£(9ff
HE jARtiR. Ltv. IV, Cbap. VIL 313
vlgente ampuiaU JenttntUi & Virba ante expec'
tatum cadentU fuere pro cultu. Et comme on
ilfedc d'imiter les grands hommes, ce qu'un
Auteur de réputation a dit une fois , on le dit à
chaque page. Sencque reprend de ce défaut
Aruntius : Qua atud Salufiium rara fuerunt , a»
pud bunc crebra Junt é^ penè cêfitinuat ftec fine
4:aufa. llle enim in baç incidcbat^ at bic illa qu€'
rebat.
Le ftile de chaque fiecle fait aujîî connoître
quelles en ont été les inclinations & les mœurs.
Ordinairement dans les fiecles où les peuples ont
€té férieux & rcglei , le ftile ell fec , auftere , 8c
fans ornement. Le luxe s'eft introduit pendant
le dérèglement des Republiaues , auffi-bien dans
le langage que dans les habits , dans les tables ,
& dans les bâtimens. Séneque avoit Èiit cette
obfcrvation : Gtnus dkendt imitât ur pub/icos m0-
res. Si. difciplina civitatis laboravit^ é^ fe in
éêlicias àediiy argument um^ ejl /uxurid publicés
crationis lalcivia : fi modo non in uno aut in /?/•
terofinft fed «pprobata eft et recepts. Non poteft
alius effi ingenio^ alius an'tmo color y fi ilk /f-
nus efii fi compofitusy gravis ^ temperans, ingc
nium quoque ficcum ac fitbrium eji. C*eft ce
qui eft arrivé à la langue Latine. Dans les frag-
mens qui nous reftent des premiers Auteurs de
•cette langue, nous voyons que les Romains fe
contentoient feulement de fe faire entendre , 6c
qu'ils ne cherchoicnt aucune douceur dans leurs
paroles. Elles ctoient grofBeres, rudes, & ne fe
pouvoient prononcer ni être entendues qu'avec
peine. Aum on fait qu'en ce temps les Romains
ne recherchoient aucune façon, ils ne favoitnt ce
que c'étoit que de cuiiiniers, de ragoûts; leurs
maifons étoient de briques fans peinture , fans
architcélurc ; en un mot, tout ce qui s'appelle
O agré-
3T4 La Rhetohiqjue » ou l'â&t
' agrément étoit mal reçu chez eux; ilsn*aimoicnt
que l'utile. Lorfcju'ils commencèrent de fefcrvir
de leurs grandes nchefles , après ces grandes vic-
toires qui les rendirent maitrcs de prcfque tout le
monde , en même temps qu ils modérèrent cette
première feveritc, & qu'ils ne furent plus fi enne-
mis des plaifirs , on voit que leur langue fe po-
lit , & s'adoucit par degrez : ce qui continua d^
puis le fieclc des Scipions jufques à cqJui'dcrEm-
pereur Augufte. Elle retint néanmoins encore ce
premier air qui étoit fimple & naturel , axant
feulement retranché ce qu'elle avoit de dur &
de groffier. Ce changement lui fut ainfi a?aiitah>
geux, 6c la mit dans fa pcrfeélion. C'eft pour*
quoi on a toujours regardé comme des moddo
achevez les Auteurs Latins qui écrivirent en a
temps- là.
Mais enfin quand les Romains n'eurent phi
d'ennemis conuderables , & qu'ils ne penfeiot
plus qu'à fe divertir, leur langue fiit pleine d'if*
fedations , do- tours étudiez qui ne font point
ïiaturels. Ils ne recherchèrent plus dans 'leur fi-
le que ce qui peut flatter les oreilles ; des c»-
dences agréables, des jeux de mots, des alhh
fions; en un mot, comme ils ne recherdïcrent
plus dans les viandes une nourriture folide, mais
des plaifirs qui font nuifibles à la famé; anffi dans
le difcours ils quittèrent cet air naturel & cette
dartc qui font fi neceflaires pour fe faire enten-
dre; ils n'aimèrent plus dans les paroles que de vains
ornemens qui en couvrent le fens » & empédieot
qu'il ne paroi fie.
Le même Philofophe que je viens de dteTi
recherche la caufe de cerenvcrfcment: c'eft, «Si'
il, la vanité & le luxe, qui ne fe contentent
point de ce qui eft commun & ordinaire. Qnand
on a de la vanité , l'on n'aime que la nouveao-
tt
»B FARLB&. Liv.lV. Cbap.VJJf. 3TÇ
té. Commtndéttto ex novitase^ ex fiHti ordinU
^ommutéttîone eaptatur. L'ambition porte à fe
Eure diftingucr, & le luxe, ou Taniour de la
tolupté fait qu'on n*eft point content de ce qui
eft ordinaire. Cette corruption s*ctend furie ftilc
lufli-bien que fur les mœurs ; après q^uoi on ne
peut rien trouver de beau dans le dilcours, qui
ne foit éloigné des manières ordinaires. Càm
nBuevit ammus fajiidire qu£ ex more funt^ &
wi fro fordidis follta Junt , etiam in oratione «
U9d novum quétrit. Auffi ceux qui ont le goût
bon , fe donnent bien de garde d'imiter les Au-
teor^ Latins qui ont écrit en ce temps-là ; & ils
regardent toutes ces chofes que ces Auteurs elli-
ment» comme des défauts qui trompent parquel-
gn'agrémenty dukia vitia. Quand la décaden-
ce fe mit dans r£mpire Romain , quelque temps
même auparavant , lorfque toutes les Nations du
Inonde fe mêlèrent avec eux , il fe fît un langage
mêlé y & tout plein des impuretez des autres lan-
gues. Ceux qui écrivirent pour lors, & que l'on
appelle les Auteurs de la bafle Latinité , ne paf-
KBt que pour la honte 5c l'infamie de la langue
Latine , deboneflâmenta Latinitaiis»
Chapitre VIII.
Im matière que Pon traite doit déterminer dans
le choix du ftiU.
C*Eft la matière qui doit déterminer dans le
choix du ftile. Ces expreffions nobles qui
icndent le ftile magnifique , ces grands mots qui
Kmpliflent la bouche, donnent aux chofes un
tir oc grandeur, & font connoître le jugement
avantageux qu'en fait celui qui parle d'elles d'une
O Z \SAr
3i6 La Rhetoriqui, ou l*Art
manière fi relevée. Si donc ces chofes ne méri-
tent point cette eftime , fi elles nefont grandes que
dans l'imagination de l'Auteur, cette magnificen-
ce fait remarquer fon peu de jugement, en ce
qu'il eftime des chofes qui ne font dignes que de
mépris. Les figures , & ces tours éloigner de l'or-
dre naturel du difcours, découvreur auffi les mou-
vemens du cœur: or, afin que ces figures foient
juftes , la paflion dont elles l'ont le caraélere doit
être raifonnable. 11 n'y a rien qui approche plus
de la folie , que de fe laifl*er aller à des emportc-
mcns fans aucun fujet, de fe mettre en colère
pour une chofe qu'on doit traiter avec froideur .
Chaque mouvement a fcs figures. Les figures en-
richifl*ent le fiile , mais elles ne peuvent méri-
ter de louanges fi le mouvement qui les caufc
n*eft louable , comme nous l'avons dit ci-dcffus.
Je dis donc encore que c'eft la matière qui rè-
gle le fiile; lorfque les chofes font grandes, &
que Ton ne peut les envifager fans reffentir quel-
que grand mouvement , le ftile qui les décrit doit
être néceflairemcnt animé, plein de mouvemens,
enrichi de figures , de toutes fortes de métaphores.
Si le fujet qu'on traite n'a rien d'extraordinaire , fi
on le peut confidcrer fans être touché de paffion ,
le ftile doit être fimplc. L'Art de parler n'ayant
point de matière limitée , & toutes les chofes qui
peuvent être l'objet de nos penfécs pouvant être
matières de parler, il y a une infinité de ftilesdif-
ferens , les efpeces de chofes que l'on peut trai-
ter étant infinies. Néanmoins les Maîtres de TArt
ont réduit toutes les manières d'écrire particulières
fous trois genres. La matière de tout difcours eft
ou extrêmement noble, ou extrêmement baflc,
ou elle tient un milieu entre ces deux extrémitez ;
favoir, la nobleflc & la baflefl*e. Il y a trois
genres de fiilcs qui répondent à ces tioi$ genres
de
»B par'lbr. LhJV, Chêp. VU h 317
de matières; favoir, le fublime, lefirnple, & le
médiocre. L'on appelle quelquefois ces ûiles',
caractères ; parce qu'ils marquent la quali*
té de la matière qui cft le fujet du difcours.
Quand on entreprend un ouvrage , on fe propofe
toujours une idée générale. Le dcffein , par exem-
ple, d'un Orateur qui fait le Panégyrique d'un
rrince , cfl de relever l'éclat des adions de fon
Héros , & de porter fa gloire dans un fi haut point ;
qu'on le regarde comme le premier de tous les
hommes. Un Avocat qui plaidera la caufe d'un
pauvre, fe contentera de perfuadcr à fes Auditeurs
que celui dont il a pris la défcnfe , cft un bon
homme, fort innocent, & qui parmi ceux de
fon ordre s'acquitte de tous les devoirs d'un bon
, citoyen. Ce que je dirai de* ces trois caractères
regarde la prudence avec laquelle on doit condui-
.rc un ouvrage, fans perdre de vue cette idée géné-
rale qu'on s'eft propofé d'en donner; car quoique
toutes les chofes qui entrent dans la compofition
d'un difcours ne foientpas d'une mcmc cfpece,
il faut pourtant faire cnforte qu elles aycm un rap-
port avec le tout dont elles font partie. On ne
doit rien dire qui ne convienne au principal fujet,
& qui n'en porte le caraélere. On reprit aveorai-
fon les Alabandins commç d'une grande indécence ,
de ce que les Statues qu'ils avoient placées dans le
lieu de leurs exei\cices , reprefentoient des Avocats
qui plaidoient des caufcs ; & que celles de leur Audi-
toire étoient des perfonnes qui s'exerçoicnt à la
courfé, & qui jouoient au palet 8c à la paume.
Ceft pour éviter un femblablc défaut, que nous
recherchons dans les Chapitres fuivans cequicon^
Tient à diaque caradere.
P 3 C H A-
3i8 La Rhetoriqjji, ou l'Aut
Chapithb IX.
Règle pour le Jlile fublime.
A Pelles pour faire le portrait de fon ami An-
tigonus, qui avoit perdu rœil gauche à l'ar-
mée, le peignit de profil, faifant feulement paroî-
tre la partie du vifage de ce Prince qui étoit fans
difformité. Il faut imiter-cet artifice. Quelque no-
ble que foit le fujet dont on, veut donner une
haute idée , on ne peut réiiffir qu'en le faifant
voir par la plus belle de fes faces. Les plus bel-
les chofes ont leurs imperfeélions ; cependant la
moindre tache qu'on découvre dans ce qu'on dH-
moit auparavant , eil capable de faire perdre tou-
te Teftinie qu'on en avoit conçue. Après avoir dit
mille belles chofes; fi on ajoute quelque chofe de
bas , il fe trouvera des efprits allez malins pour
ne foire attention qu'à cette bafleffe , & oublier
tout le refi:e.. On ne doit rien dire qui démente ce
que l'on a dit , & qui détruife la première idée
qu'on a donnée. Longin reprend Hcfîode de ce
que dans le Poème qu'il a intitulé : Le Bouclier-,
après avoir dit ce qu'il pouvoit pour faire une
peinture terrible de la Déefle des Ténèbres, il
gâte ce qu'il avoit dit en ajoutant ces mots :
Un€ puante humeur lui couhit ides narines.
Cette circoriftance ne rend pas cette Déefle terri-
tte , qui étoit le deffein d'Hcfiode, mais odieufc
& dégoûtante.
Il faut donc cacher les défouts, ou pour mieux
parler, puifque la vérité doit toujours paroîtrc,
û faut s'attaàicr à tourner les chofes dont on veut
doa-
Dl rARtiK. LhK IV. Cbâp.IX. 319
donner une grande idée, de manière qu'elles pa-
roiffent par leur bel endroit. Zcuxis , pour repre-
fenter Hélène aufli belle que les Poètes Grecs la
font dans leurs vers , étudia les traits naturels des
plus belles perfonncs de la ville oii il faifoit cet
ouvrage, & donna à fon Hclenc toutes les grâces
que la nature avoit partagées entre un grand
nombre de femmes bien foites. Lorfcjti*on eft
donc maître de fon fujet, qu'on peut ajouter ou
retrancher : qu'un Pocf te , par exemple , entreprend
de faire une defcription d'une tempête, il doit
confiderer tout ce qui arrive dans les tempêtes ,
les circonftances , les fuites, pour rapporter ce
qui eft de plus extraordinaire & de plus furprc-
nant, comme le feit l'Auteur des vers fuivans.
Cmme Von voit les flots foûlevez par Porage >
"Fondre fur un vaijfeau qui s^oppoje a leur ritge ^
Lt vent avec fureur dans les voiles frémît \
La mer bl^cbit détourne , & Pair au loin gemiP*.
Lie. Matelot troublé ^ que fon art abandonne^
Croii voir dans chaque flot la mort qui Penvi*
ronne.
Les cxpreffions du ftile- fublime doivent être
nobles, & capables de donner cette haute idée
«ju'on cnvifage comme fa fin. Quoique la ma-
tière he foit pas également noble dans toutes fes
parties: néanmoins il faut garder une certaine
uniformité de ftile. Dans un Palais il y a des ap-
partemens aufli- bien pour les derniers Officiers , que
pour ceux qui approchent de la perfonne du Prin-
ce. Il y a des fales&des écuries. Les écuries ne
doivent pas être bâties avec autant de magnifi-
cence que les fales, cependant il y a quelque pro-
portion entre tous les compartimens de cet édifi-
ce, & chaque partie, pour baffe qu^elle foit, fait
O 4 affez
â
32.0 La Rhetokiquè, ou l'Art
aflcz voir de quel tout elle cft partie. Ainfî dans
le ftile fublirae , quoique les exprcflions doivent
répondre à la matière , il faut néanmoins parler
des chofes qui ne font que médiocres avec un air
qui les relevé de leur balfefl'e , parce qu'ayant dcf-
iein de donner une haute idée de fon fujet , il eft
ncccfTairc que tout porte fes livrées, luifaflc hon-
neur , & que l'ouvrage entier faffe connoîtrc dans
toutes fes parties la qualité de ce fujet.
Les Ecrivains ambitiçux, pour avoir fujet de
n'employer que ce flile fublime, mclent avec tout
ce qulils traitent , des chofes grandes & prodigicu-
fes, fans prendre garde û l'invention de ces prodi-
ges efl fondée fur la Raifon. Les Grecs appellent
ce vice rt^rôXo^îu. Florus qui a fait un petit
abrégé de l'Hilloire Romaine, me fournit un
exemple aflez remarquable de cette Tératologie.
11 n'étoit queftion que de dire^ comme fait Se»-
tus Rufus : ^ue r Empire Romain s' é toit éten^
4fu jujques à l'Océan , par la conquête que De*
cimus brut us avoit faite de toute l^Lfpagney CC
qu'il exprime ainfi en Latin. Hifpanias per Deci*
inum Brutum obtinuimus, & ujque ad Gades é^
Oceanum pervenimus, Florus prenant un vol plus
élevé y dit : Decimus Brutus aiiquanto iatius
GaliUcos > atque omnes G^/Uci£ populos y formi"
datumque militibus fiumen vblivionis , peragra"
toque viSior Oçeani littore non pviùs figna con-
vertit quàm cadentem in maria Jolem , obru*
tumque aquis ignem non fine quodam facriiegii
metu & borrore deprebendit. U groffit ainfi fa
narration de prodiges: il s'imagine que les Ro-
mains ayant porté leurs conquêtesjufques aux ex-
:trémitez des Efpagnes, frémirent de peur , apper-
cevans l'Océan, & qu'ils fe crurent coupables d'a-
voir regardé avec des yeux téméraires le So-
leil dans foA couchant, lorfqu'il fembk étein-
dre
DE PAUL SU. Lh.IV. Cbap.IX. 311
dre fes feux dans les eaux de TOcean.
Ce déÊiut efl auffi appelle Enflure , parce que
cette manière de dire les chofcs avec un air fu-
blime qui ne leur convient point , eft femblable
à ce faux embonpoint des malades qui paroiflcnt
gras lorfque la fluxion les rend bouffis. Le carac-
tère fublime eft difficile : tout le monde ne peut
pas s* élever au déflus du commun , & continuer
long- temps le même vol. 11 elt facile de s'élever
par la grandeur des expreflTions ; mais fi ces ex-
preffions ne font pas foutenuës par la grandeur du
fujet, & remplies dé chofes folidcs, on les com-
pare juilement à ces grandes échaflcs qui font re-
marquer la petite taille de ceux qui s'en fervent ,
en même temps qu'elles les élèvent. On peut bien
par la machine d'une phrafe faire monter une
bagatelle fort haut ; mais elle tombe bien-tôt ^
dans fon néant , & cette élévation ne fait que
l'expofer aux yeux de ceux qui ne l'auroient ja-
mais appcrçûë , fi elle étoit demeurée dans fon
obfcurité. Cette afFeélation de donner un air de
grandeur à toutes les chofes que l'on propofe , &
de les revêtir de paroles magnifiques , fait naître
ce foupçon aux porfonnes judicieufes, qu'un Au*
téur a voulu cacher la bafleffe de fes penfées fous
cette vaine montre de grandeur. Auffi , comme
dit Quintilien, plus un efprit eft rampant 8c
borné, plus il afîede de paroître élevé ëc fécond.
Les petites gens alfcdent de paroître grands en
s' élevant fur la pointe de leurs pieds Ceux qui
font foibles, font le plus de rodomontades. Cet-
te enflure . du llilc , ces afFedlations de mots qui
font du bruit, font plutôt des témoignages de
foiblclfc que de force. Quo quif/ue ingenio jm*
ftùs valet , boc fe viagis attoilcn & diktare c(h
ftatury éf ftaturâ brèves in tiigitoî erigmitur p
4gt [Jura wjîrmi tninantur 3 nam é* tumidëSy & cor"
O 5 r;//>-
3*1 La Rhetoriquï» ^w l'Akt
ruptoSf & tînnulos s & quoeumque alto CmuRi
génère peccantes certum haheo non virtmn tfedhh
frmitatts vitio laborare,
Longin donne pour exemple derenflure Tcx-
preflSon de Gorgias , qui a appelle Xerxès te Jt*
fîter des Perfes < & les Vautours des fepulAra
animez» Il compare les Auteurs enflez à ces
oifeaux qui s'élèvent fi haut qu'on les perd de
vue. 11 dit qu'ils n'ont que du vent & drrécor-
ce, qu'ils reffemblent à un homme qui outtcubc
granae bouche pour fouffler dans une petite flûte
Cet habile Rheteiu* fait cette reflexion importan-
te , qu'en matière d'éloquence il n'y a rien de
plus diflScile à éviter que l'enflure. Car comme
en toutes chofes naturellement nous cherdions le
grand , & que nous craignons fur tout d'être tc-
cufez de fechcrelfe , ou. de peu de force ; il anitc
je ne fai comment que la plupart tombent dans
ce vice : fondez fur cette maxime commune»
Dans un nobh projet on tombe noblement. \
Un ftile enflé eft ordinairement fioidy ar loif-
qu'on veut dire une grande chofe , & que ce- j
pendant on ne dit qu'une puérilité , au lieu d'é-
chauffer on refroidit. Qui n'auroit pas été glacé
par cet Orateur, qui pour loiier Alexandirc le
Grand , difoit de lui qu'il avoit conquis toute
l'Alîe en moins de temps qu'Ifocrate n'en avoit
employé à compofer fon Panégyrique? Les
grandes expreffions, les mots magnifiques de
plufîeurs fyllabes, une cadence fonore, élevée»
conviennent aux grandes chofes qui iméritcnt d'ê-
tre dites noblement. Le llile fublime demaode
aufïi des reflexions férieufes, desfentencesj c'cfl-
à-dire, des manières de s'exprimer ingenicufcs,
courtes, vives, qui par un tout non coDunim
cxr
{
tÉ p AK.LER. Liv. IV. Cbap, X* 313
excitent l'attention. Mais pour cela il faut que le
fujct foit digne de ces reflexions. Les figures con-
viennent au ftile fublime, parce que le fujet en
étant grand , on ne peut point Fenvifager froide-
ment; n'être point toucké & émû de ce qu'il y a
d'extraordinaire. Ainfile difcours qui expnm'e ces
môuvemcns , cft néceflairement figuré : mais ces
figures marquent l'égarement, & pour ainfi dire,
Tyvreffe de celui qui entre dans de grandes paf-
(ions fans raifon. Ceft aflez parlé des défauts
où tombent ceux qui emploient le ilile fublime
mal à propos ; donnons au moins un exemple
d'un difcours qui en ait les bonnes qualitez fans
ces défauts. Monfieur Flechier parle avec ces paroj
les magnifiques contre les Juges qui ne s'acquit-
tent que négligemment de leur devoir; quiren"
verfdnt Pordrt des cbofis^ \fe font une occupa*
tion de leurs amufemens^ y & qui ne donnent à
ieurs Charges que les reftes d^une otfiveté ]languif^
fante% comme s^'ils n*étoient Juges que pour être dt
temps en temps fur les Fleurs de 4ysy où Us vont
peut-être rêver à leurs divertijfemens pajfez dont
ils ont encore l^ imagination remplie , ou reparer
par un mortel affoupijfemént les veilles qu'ils ont
donné à leurs plaifirs.
Chapitre X.
Dufîilei ou camper e fimple*
C'Eft une règle de bon fens , qu*il faut que
les mots conviennent aux chofes. Ce qui efl
•grand demande des mots qui donnent de grandes
Idées. Il faut dire -fimplement ce qui eft bas, ôt
rien d'extraordinaire , Ti» ^' fit^x» fityoihtt^ ,
w a fitic^à f^txpai. Or c'cft ce qui cft difficile
O 6 non
'gi4 La RHEroRiQuE, ou l'Art
noîTpour le choix de la matière , mais pour l'é-
locution. Il faut avoir une connoiflance par-
faite de la langue dans laquelle on écrit, pour
(écrire fimplemcnt , & fe foûtenir fans tomber. Il
y a des termes & des tours qu'on n'emploie que
dans les grandes occafions ; mais ordinairement
ce qui fait le ftile fublime dont nous venons de
parler , ce font les métaphores , les figures où
l'on a une grande liberté. Mais quand il s'agit
de dire qudquc chofe Amplement , c'eft-à-dire ,
d'en parler comme l'on parle ordinairement, on
cft affujetti à l'ufage ordinaire , qu'il faut par
confequent poffeder en perfeélion pour réuffir dans
le ftile fimple. C'eft pourquoi on eftime plus pour
la pureté de la langue les lettres que Ciceronécri-
voit à fes amis , que fes Harangues. Il en eil de
même de ce que Virgile a écrit dans ce ftile , com-
me font fes Bucoliques..
Le caradere fimple dont nous parlons ici, a
donc fes diificultez. Le choix des chofes n'y eft
pas difficile , comme nous l'avons dit , puifqu' elles
doivent être communes & ordinaires; mais c'eft ce
qui le rend difficile : car la grandeur des chofes
éblouît & cache les défauts d'un Ecrivain. Quand
on parle de chofes rares & extraordinaires, on
peut emploier des métaphores , parce que l'ufage
îie donne "point d'expreffions aflez fortes. Ledif-
cours peut être enridii de figures,, parce que Ton
n'envilagc giieres ce qui eft grand tranquillement,
ni fans rcffeatir des mouvemens d'admiration,
d'amour ou de haine, de crainte ou d'efperance.
Au contraire , li l'on n'a pour fobjet que des
chofes communes, qn eft obligé de n'employer
que les termes propres & ordinaires : iln'eftpas
perjîiis. de figUicr ion difcours-j il faut parler fim-
.plemcnt,. ce qui n'eil' pas fans difficulté. Car en-
fin, ceux qui écrivent ne peuvent ignorer que la
liber-
I
B E p A n 1 1 K. Lrv. JV, Cbap, X, 315'
liberté de recourir aux figures eft fouvent commo-
de pour s'exempter de la peine de rechercher des
mots propres qui ne fe trouvent pas toujours.
L'expérience fait connoître qu'il eft plus facile de
faire des figures , que de parler naturellement.
J'ai toujours obfervc que c'cft le cara(flerc det
petits génies que l'affedation dans le difcours; un
cfprit élevé, lolide, n'établit pas fa réputation fur
des plirafes , fur des expreffions .qui n'ont que le
tour de rare. Pourauoi ne pas dire les chofcs
d'une manière naturelle ? Pourquoi dire obfcuré-
ment que nous nous devenons plus chers à mefu^
re que nous fommes plus près de nou^ perdre ;
pour dire que quand on eft vieux, & fur le point
de mourir y on ménage davantage la vie } Cette
penfée eft-elle fi rare, li myfterieufe, qu'il la fal-
lût ainfî envelopper ? 11 en eft de même de' cette
CxprefCon : A parler fainement , nous nous fom»
mes les premiers fâcheux dans un commerce trop
long & trop ferteux avec nous-mctnes. Ne paf-
leroit-on pas plus raifonnablement en difant nm-
plement ce qu'on veut ici marquer : qu'on s'en-
Duye quand on eft feul , fi cette folitude dure long-
temps ? Le fameux Rhetpur que je cite fouvent,
Lpngin, remarque qu'un difcours tout fimple ex-
prime quelquefois mieux la chofe, que toute la
pompe .& tout l'ornement : qu'on le voit dansles
affaires de la vie; une chofe énoncée d'une fa-
çon ordinaire fe faifant plus aifément croire : car
les exprcflîons fimplcs marquent un îiommc qui
dit bonnement les chofes , & qui n'y entend point
de fincfle. Je fuppofe que ces cxprefïîônsi enfer-
ment un fcns qui n'a hcn de grofiier ni de iriviâl.
Cet avis eft de la dernicre impoitnncc pour les
conversations & pour les compolîtior.s; on doit
par tout éviter ce qui s'appelle phrafc , & faire
confifler l'efprit à dire d« chofcs raifonnables ,
O 7 6c
5i6 La Rhetoriqûi, ou l'Art
?c à les dire d'une manière naturelle, en fcfer-
vant des termes .propres que l'ufagc a établi,
fans en afTeéler d'autres.
C'efl: donc dans ce que nous appelions le IK-
le fîmple, qu'un honnête homme doit particu-
lièrement s'exercer. Or , il y a bien de la dif-
férence entre la fimplicité & la baflefle qui n'cft
jamais bonne , & qu'il faut éviter. La matière
du ftilc fimple n'a aucune élévation ; mais ce
îi'eft pas à dire que le difcours'quirexpriracdd-
ve être vil & méprifable. Elle ne demande pas
les pompes & les ornemens de l'Eloquence, ni
d'être revêtue d'habits magnifiques; mais aaffi
elle rejette les façons de parler baffes 5 elle veut
que les habits que l'on lui donne foient propres
& honnêtes ; & ce qu'il faut bien remarquer,
c'ett que dans ce llife on peut être fublimc ,
penfer & parler fublimement. Car , comme le
remarque le fameux Tradudleur de Longin,pir
le fublime, dont Longiaa fait un excellent Tiai-
té, on ne doit pas entendre ce que les Oratttrs
appellent le fille fublîtne ; mais cet extraordhuùre
& ce merveilleux qui frappe dans le difcours^ if
qui fait quun ouvrage enlevé , ravît , trânfpêrte*
Le fiite fublime veut toujours de grands mots^fuk
te fublime fe peut trouver dans une feule peth
pi , dans une feule figure , dans un feul tint
de paroles. Une chofe peut être dans /ejlikA'
blime , ô* n*être pourtant pas fublime 5 c'ç/ï-i-
dire , n'avoir rien d'extraordinaire , de furfrt-
ftant. Le fublime demande donc quelque chofe
de nouveau & dans le tour, & danslapenfée. On
donne ce Quatrain comme un chef-d'œuvre ea
naïveté. L'expre Jion en eft fimplc , mais la pcn-
fée du Poète furprend , Sz donne en un mot pluî
d'idées que ne feroit un long difcours,
Ct
91 PitïitEii Ltiu IV. Cbap, XL J27
' Co/as efl mort dé maladie ;
Tu veux quej^en pleure le fort :
Mé bien , que veux-tu que yen die l
Colas vivoit , Colas efl mort.
Chapitre XL
^ "Duftile médiocre.
JE ne dirai rien du 'caraftere médiocre , parce
qu'il fuffit de favoir qu il confifte dans une
médiocrité qui doit participer de la grandcurdu
caraélere fublime, & de la fimplicité duçaraélere
fimple. Virgile nous a donné l'exemple de ces
trois caraéleres. Son Eneïde efl dans le caractère
fublime : il n'y parle que de combats , que de ^^t%f
que deguerres,que de Princes, que de Héros. Tout
y eft magnifique j les fentimens 8c les paroles : la
grandeur des cxpreffions répond à la grandeur da
fujet. On ne lit rien dans ce Poërae qui foit ordi-
naire. Ce Poëte ne fe tfert point de termes que
l'ufage de la lie du peuple ait , pour ainfi dire , pro-
fané. S'il ett obligé de nommer les chofcscommu*.
nés , il le fera par quelque tour particulier , par quel-
que Trope , par exemple , pour panis , du pain ,
il mettra Cerhy qui étoit parmi les Payens, la
Déeffe des bleds.
Le caraétere des Eclogues eft fimple. Ce font
des Bergers qui parlent , qui s'entretiennent de leurs
amours , de leurs troupeaux , de leurs campa-
gnes d'une manière fimple, & qui convient à des.
Bergers.
Les Georgiques font d'un caradere médiocre.
La matière qu'il y traite n'approche pas de .celle
de l'Eneidc. Virgile ne parle' point dans cet ou-
vrage
A
3iS La RHifotrojîïi ot l'Ait
vrage de ct< graniîs guerres, de ccsilîuflrcscoîi^
baiv, & de îe:ab::iremcr*: de l'Empire Romain,
çui font le fu;e: de foa. Eneiic ; miis rjLÎn les Gcor-
giques ne for.r pas r^valczj'-fqucsâîacoadirion des
Bergers. Car dans cci llivfes il pénètre dans les
caufes les p:<^ cachées de la nature , il découvre
les myileres de la Religion des Romains; îF y
mêle de la Phi'.ofophie , de la Théologie, de
l'HL^oire : ce oui l'oblige à tenir un milica en-
tre la majefté de fon Ëneide, èc la fîmplidtcde
fes Bucoliques.
C'efl au;u dans le ilile dont on parle en ce
Chapitre , qu un honnête homme doit s'exercer.
Le Kile grand & fublimc n*efl que pour les cho-
fcs fort extraordinaires, & par conféqucnt qui font
hors de l'ufage commun. La plupart des chofes
qui font le fujct de nos entretiens & de nos diP-
cours, font médiocres. Laque/lion cft donc de
les envifager telles qu'elles font, d'en juger lai-
fonnabiemcnt, comme le doit faire un honnête
homme. Il y a des cfprits de travers qui pren-
nent les choîcs tout autrement qu'elles ne fonti
Tant^ot les colines leur paroifl'ent des montagnes.
Ils fc récrient fur tout ; & tantôt ils regardent
avec froideur les chofes qui font les plus dignes
d'admiration. Il y a auul des efprits groffiers qui
ne découvrent ricr, ncn pas mcme ce qui leur
fau*c aux ycu:;. Lii h-orncre homme , c'eil-à-dir
rc, un hoiniTit qui adujrj-:ment, qui eft délicat,
voit ce que font 1er cli;. es , il ne lui ècbape
rie;;; &: cnruitv; il s'en fortr.c des idé:s veritablcii
îî'il en parle , il le fait nanircllc-acnt , les pci-
gii'iiil avec les ^'ouleiirs na*i;iei'es , c'eil-â-àre,
ex;- -tnrint les idées qu'il en a avec les termes
<ju: T'iiu fA'iT, pour cr«^ i:iccs; (> 'bric qu'on voit
claî , l'on jlilc un cfprit railbnnabic & narurd
qui ij'ouire rien, qui juge des chofes comme il
fau!;
x>E PARLIR. LhK Il(. Cbétp, XL 319
faut; qui ne les fait point plus grandes .^qu'elle?
font , qui ne les fait point plus petites , & qui en
parle ;^ns les termes qu;*on en parle lorfqu'on ny
cherche point de façon , qu'on n'afFede rien , qu'on
fuit laRaifon, la bien-ieancc, rufagedeshonnôr
tes gens. Ceit. là le caraôcrc d'un lefprit poli ,
qu'on prend dans la converfation de ceux qui ont
l'efprit naturel , bien fait , & que par conféqucnt on
ne le peut empêcher d'aimer & d'honorer ; ce
qui leur fait donner le nom d*honnêtes gens ," à
caufe de l'honneur dont ils^ fc rendent dignes. Il
y a peu d'Auteurs qui tyent ce caraderc; e'eft
pourquoi,, en lif^rlcs Livres * on y prend le plus
îbuvent un caradcrç oppofé, qui eft celui de Pf-
0lanf. £n lifant beaucoup Homère, on prend un
ftile naturel. Les lettres de Qceron, fur tout celles
qu'il a écrites à Atticus> les Satyres & lesEpitrcs
-d'Horace; Virgile, Salufte, Cefar donnent cette
politefTe qui fait ce qu'on appelle un honnêtç
homme. , On: voit dans cc& ouvrages des modèles
parfaits du. ûile doBt nous.paiioEfê. Peu en jugent
bien; car on n'aime que ce qui a un air de gran-
deur. On pardonne à un Auteurcent endroits bas,
fi on en trouve un qui biille. Seneque redrelTeun
de fes amis qui avoir ce mauvais goût , qui n'ai-
moit que ce qui étoit élevé, & prenoit pour baf-
feffe l'égalité & la douceur qui font les qualitez du
ftile médiocre. Les paroles de Seneque renferment
un grand fens. Humii'm tibi vidtri dicis omnië ^
éy farùm ertâi^ îlon funt bumiita ilia j
J<eti placida» Sunt mhn tendre qtûeta eompofitoqus
formata , nec sieprejjfa , fed plana . Dteft iliis oratoriuà
vi^or y Jîimulique quos quarts , é^ fubiti idui
fentent'tarum : fed totum corpus vidcris y quamvU
Jit 'mcomptum.i bonejîum efi.
jjo La Rhetohiqub, ou t*A»-T
Chapitui XI L
Stîia propres à certaines matières, Quaistet m»
munes à tous ces ftîlis.
NO u s allons parler des lliles particuliers qrâ
font afFcdcz à certaines matières, comme
font les ftiles des Poètes, des Orateurs, des Hit
toriens, &c. Mais il cft à propos de faire a»;
paravant quelques obfervations fur les oualitciqiti
îbnt communes à tous ces ftiles. Car de plaficoa
Ecrivains qui s'exercent dans un même ftilc, kt
uns font plus doux , les autres font plus forts : lei
tins font fleuris , les autres font auftercs. Voiœii
en quoi confillent ces qualitez, & comtnent on la
peut donner à un ftile lorfqu'elles conviefineotà
la nature du fujet.
La première de ces qualitez eft la douceur. Oa
dit qu'un ftile cft doux lorfque les chofesj[foat
dites avec tant de clarté , que Telprit ne nit aih
cun effort pour les concevoir, comme nousdifons
que le penchant d'une montagne eft doux, lorf-
que Ton y monte fans peine. Pour donner cette
douceur à un ftile, il ne faut rien lailleràdcri^
fier au Leéleur. On doit débrouiller tout ce qô
pourroit Tembarraflcr; prévenir fes doutes. Êa
un mot, il faut dire les chofes dans l'étendue ça
cft necelTaire, afin qu'elles foient apperçûès; ce
qui eft petit fe dérobant à la vue. J'ai dit dia
fe Livre précèdent de quelle manière on adoucit
foit la cadence & la prononciation du difcou»
La douceur du nombre contribue mer>'eDlcnfr
ment à la douceur du ftile. Cette douceur pe<
avoir plufieurs degrez. On dit d'un Auteur qi
écrit avec une douceur extraordinaire, qucW
ni-
i>B PARLE n. Liv.IF. Chap. XI L 33:1
ftile cft tendre & délicat. Je ne veux pas oublier
ici qu'il n'y a rien qui contribue davantage à là
douceur du ftile , que le foin d'inférer où il faut ,
toutes les particules neceffaires pour faire apperce-
voir la fuite & la liaifon de toutes les parties
du difcours. On donne pour modèle d'un ftile
doux Hérodote dans là langue Grecque , &pour
la Latine Titc-Live.
La féconde qualité eft la force. Cette qualité
cft entièrement oppofée à la précédente : clic
frappe fortement l'efprit , elle l'applique , & le
rend extrêmement attentif. Pour rendre un ftile
fort, il jfeut fe [fcrvir d'expreflions courtes, qui
fignifieût beaucoup, & qui réveillent plufifeufs
idées. Les Auteurs Grecs 5c Latins , comme
•Thucydide & Tacite, font pleins d'expreffions
fortes. Elles font rares dans le François cesei-
preffions. Notre langue aime que le difcours ft)it
naturel, libre, & un peu diffus; c'cft pourquoi ôii
ne doit pas s'étonner quelestraduélionsFrançoifes
des Auteurs Grecs & Latins foicnt plus abondan*-
tes en paroles que les originaux, puifqu'cfn ne
peut pas fe fcrvir d'expreffions fi courtes & fi
îerrées , félon le génie de notre langue , qui veut
qu'on développe toutes les idées que le mot GreC
ou Latin rcntermc. Saint Paul, par exemple, dit
d'une manière noble, qu'il eft prêt de mourir, fb
feryant de cette expreffion : êyà ^^ î*^ rm^^ôfisM^
que la verfion Latine rend par ces mots : E^
tnim jam deiibor : Pour traduire en François ce
pafTage, il faut necclTairement le faire dfe cette
manière : Car pour moi , je fats comme une vic"
time qui a déjà reçu rafferfion four être facrî^'
fée. Toutes ces paroles ne font que développer
les idées que donne le mot Grec carn&ùiifff
lorfqu'on confidere fa force avec toute Tattcnrion
necelfairc. - . •
Je
351 La Rhetôhi^ub, ou l'Ai.t'
Je le penfois ainfi lorfque j*ai fait imprimer ce
Livre les premières fois. Je crois à prcfent qu'il
faut traduire 5 Car pour mot y jifuis comme une vie*
$ime, dont le facnfice va être bien-tôt achevé:
Âéja on fait reffufion de mon fang. Saint Paul fait
allufion aux Sacrifices Judaïques. Il n'eft point
vrai qu'on fît aucune afpcrfion fur la tête de la
Tidlime, comme cela fc pratiquoit chci les Gen-
tils. Après la macftation on verfoit le fang de là
vidtirae au pied de l'Autel; & c*ell cette aâion
dont le verbe flw-iip^«^t{^ donne l'idée. Enfuitc on
coupoit la vidtimc, on la partageoit^ & c'eft ce
que Saint Paul appelle tempus rejolution'n medi Le
temps de la fcparation de fon amc d'avec foa
corps.
Y La troificme qualité rend un flile agréable fc
fleuri. Cette qiwl'té dépend en partie de laprcr
micre, & elle en veut éire précédée, l'efprit ne
fc diverti (Tant pas lorfqu il s'applique trop forte-
ment. Les Tropes & les Figures ibnt les flcua
du flile. Les Tropes font concevoir fenûblc-
ment les penfces les plus abllraites. Ils font une
peinture agréable de ce que l'on vouloit figni-
fier. Les figures réveillent l'attention , cDc!
échauffent, elles animent les Lcéleurs, ce qui
lui eft agréable; le mouvement étant le pnnf
cipe de la vie & d*:;s plaifirs ; la froideur au con-
traire mortifiant toutes chofes. Quintc-Curcecft
fleuri.
La dernière qualité efl aufterc , elle retrandie
du flile tout ce^uin'eflpasabfolumentnccef&irc,
elle n'accorde rien au plaifîr, elle ne fouflre aa-
cun ornement, & comme un Juge de l'anafl
Aréopage, elle ne permet pas que le difcours /ôtf
animé -, elle en bannit tous les mouvcmens capf
blés d'attendrir les cœurs. Lorfque l'auflcriti «
trop loin , elle dégénère en fecherelTe.
L'on
»1 PARLER. LiV.JV. Chap, XJlî. 33}
L'on doit faire en forte que le flilc ait des qua-
îitci qui foient propres au fujet que l'on traite.
Vitruve, cet excellent & judicieux Architedequi
Tivoit fous Auguftc, remarque- que dans la rt rue-
turc des Temples on fui voit Tordre qui expri-
moit le caraiftere de la Divinité à qui le Temple
àoit dédié. Le Dorique qui eft le plus foiide&le
çlus fîmple , étoit employé dans les Temples de
Minerve, de Mars & d'Hercule; les deli cat elfes &
Icsomcmens des autres ordres ne couvcnant pas à
la Décifc de la Sagefle , au Dieu des combats,
ni à l'exterminateur des Monftres. Les Temples
de Venus , de Flore , de Proferpine , & des Nym-
phes étoient bâtis félon l'ordre Corinthien , qui eft
tendre , délicat , chargé de fêlions , de feuillages ,
& paré de tous les ornemens de l'Archiieélurc.
L'ordre Ionique étoit confacré à Diane&à Junon,
k aux autres Dieux ; les règles de cet ordre don-
nent le caraélere de leur humeur. H tient un mi-
lieu entre la folidité de Tordre Dorique, ôclagen-
tiHcflc du Corinthien. Il en eft de même du dif-
cours, les fleurs &les gentiJleflcs de l'éloquence ne
Ibnt pas propres pour un fujet grave & plein de
majcfté. L'aufterité du Itile eft importun lorfque
la matière permet de rire : la force des expreiiîons
eft inutile quand les efprits fe gagnent par la
douceur, & qu'il n' eft pas befoin de les combattre
&i de les forcer.
Chapitre XIIL
Quel doit être le Jlile des Orateurs,
XL femble que ceux qui ont traité jufqu'à pre-
*-fent de TArt de parler , rfayent écrit que
pour les Orateurs, Ùs ne donnent des préceptes
^
334 La Rhétorique» ou l'Ar t
que pour leur ftilc; & ceux qui étudient cet art
regardent Tabondance & la richefle des expref-
fions que nous admirons dansledifcours des grands
Orateurs , comme le principal & l'unique fruit de
leur étude. 11 eft vrai que l'éloquence paroît avec
éclat dans ce ûile , ce qui m'oblige de lui donner
la première place.
Les Orateurs parlent ordinairement pour édair-
cir des veritez obfcures ou conteflées ; ce qui de-
mande un ftile diffus , puifque dans cette occafion
il eft néceflaire de diffiper tous les nuages & toutes
les obfcuritez qui cachent ces veritex. Ceux'qui
entendent parler un Orateur , ne prennent pas au-
tant d'intérêt que lui dans la caufe qu'il défend;
ils ne font donc pas toujours attentifs, ou n'ayant
pas l'efprit alTei vif, ils ne conçoivent qu'avec pei-
ne ce qu'on leur dit. L'Orateur efl donc obli-
gé de redire les mêmes chofes en plulîeurs ma-
nières , afin que fi les premières paroles n*ont
pas porté coup , les fécondes falTent l'effet qu'il
fouhaite.
Mais cette abondance.ne confiftc pas dans une
multitude d'épithetes , de mots , & d'expreflions
entièrement fynonymcs. Pour perfuader une vé-
rité , pour la faire comprendre par les plus grol-
fiers , & la faire appercevoir aux efprits les plus
diftiaits ; il faut la reprefentcr.ibus plufieurs fa-
ces différentes , avec cet ordre que les dernières
cxpreffions foient plus fortes que les premières ,
& ajoutent quelque chofe au dîfcours; de forte
que îans être ennuyeux , on rende fenfible & pal-
pable ce que l'on vouloir faire connoître. un
habile homme s'accommode à la capacité des
Auditeurs, il s'arrête aux chofes qui font obfcu-
res, & il ne les quitte point jufques à ce qu'elles
foient entrées danî leur efpriî:, & qu'elles s'y foient
établies. . . , ^
Les
9£ ^ARLZR. Liv.JV. Cbap.MH, ^;5
Les vcritez qui fe démontrent dans les plai-
doyers & dans les harangues, ne font pas de la
nature des veritci Mathématiques. Ces dernières
lïc dépendent que d'un tres-pctit nombre de prin-
cipes certains & infaillibles. Les premières dé-
pendent d'une multitude de circonftances qui , fé-
parées , n'ont pas de force , & qui ne peuvent con-
vaincre que lorfqu'elles font ramaflees 8c unies en-
femble. On ne peut les ramaifer fans art, & c'eft
où paroît radrelte des Orateurs. Ils ménagent les
moindres circonftances, & fouvent ils font le fon-
dement de leur preuve d'une particularité qu'un
autre auroit rebutée , & n'auroit daigné employer.
Pourquoi Ciceron groffit-il fes Oraifons de cir-
conftances qui femblent inutiles & bafles ? A quoi
bon rapporter que Milon changea de fouliers ,
qu'il prit fes habits de campagne, qu'il partit tard,
attendant fa femme , laquelle tut long-temps à
fe préparer, félon la coutume des femmes; Ceft
que cette peinture fimple & naïve qu'il fait fans
oublier le moindre trait de l'aéHon qu'il veut met-
tre devant les yeux des Juges , perluade eflScacc-
lîient qu'on ne peut rien appercevoir dans la con-
duite de Milon qui le faflTe foupçonner d'avoir
Srémedité d'aflafrmer Clodius , comme prétcn-
oient fes ennemis.
Les grands Orateurs n'emploient que des ex-
prcffions riches, capables de foire valoir leurs rai-
fons. Ils tâchent d'éblouir les yeux & l'efprit, 8ç
pour ce fujet ils ne combattent cju'avçc des armes
brillantes. L'ufage ne leur foumiffant pas toujours
des mots propres pour exprimer le jugement qu'ils
font des chofes , & pour les faire paroîtrc auiS
grandes qu'elles font : ils ont recours aux Tro-
!>es, qui leur fervent encore à donner telle cou-
eur qu'ils défirent à une aétion , à la faire pa-
roîtrc petite ou grande , lotiablc ou méprifable,
juftc
3^3^ ^^ Rhitohique, ou l*Akt
juïlc ou injufte , félon que les termes métaphori-
ques dont ils fe fervent, la relèvent ou l'abaiffent.
Mais l'abus qu'ils font de cet art les rend fou-
vent ridicules. On n'a pas droit de dcguifer. une
aâion , de l'habiller comme l'on veut , de donner
le nom de crime à une faute excufable , & d'en
parler comme d'une faute légère , fi elle eft cri-
minelle. Les mots de crimes & de fautes donnent
des idées contraires. Si l'on n'appUque ces ter-
mes avec juflefle, on doit pafTer ou pour n'avoir
pas de jugement, ou pour avoir peu de bonne foi.
Les perfonnes fages qui écoutent , s'^attachent aux
çhofes , & avant que de fe lai (Ter perfuader par
. les mots , ils examinent s'ils font juftes. J'admi-
re ces Déclamateurs qui croyent avoir triomphé
de leur ennemi, quand ils fe font raillez defesrai-
fons : ils croyent l'avoir terrafle quand ils l'ont
diargé d'injures, & qu'ils ont cpuifé toutes les fi-
gures de leur art pour le rcpreJcnter tel qu'ils veu-
knt qu'ils paroifTent.
"Mais aufli un Orateur ne doit pas être froid &
indiffèrent. On ne peut défendre fortement une
vérité , fi l'on ne s'interefle dans fa défenfe. Le
difcours eft languiflant qui ne part pas d'un cœur
échauffé & ardent à çombatre pour la vérité ,
dont il a pris le parti. Nous avons montré dans
le fécond Livre, aue comme la. nature fait pren-
dre aux membres au corps desr poflures propres à
attaquer & a fe défendre dans un combat fingu-
lier , elle fait aufli que l'on figure fon difcours ,
& que Fon lui donne des tours propres à foutenir
une vérité conteftée , à l'établir , & à réfuter ce
q,u*on lui oppofe. Aufli nous voyons qu'il n'y a
rien de plus figuré que le difcours d'un grand Ora-
teur qui entre dans tous les fentimens de celui
.dont il plaide la çaufc , & fe revêt de toutes fcs
afifeâions,
Ccft
f<
Bi PARLER. Ltv.lV. Chap.Xllî, 337
Ceft la qualité des chofcs dont il parle,
qtri doit régler fon ftile : lorfque les chofcs le méri-
tent , fl doit s*échaufFer : on attend de lui de la
véhémence. Par exemple , quand il déclame con-
tre le vice , contpc les crimes énormes , il ne le
doit pas fidrc foiblement, comme le dit Seneque
•écrivant à un -de fes amis. Defideres , inquies , con^
ira Initia aliquid afperè dici ^ contra pericula animosè 9
eontra fortunamfuperbè , contra ambitionem contume*
Sosè. Volo luxuriant objttrgari, Hbidînem traduci,
impotentiam frangî : fit aliquid oratoriè acre , tra»
jicè grande y comice exile. Ces paroles Latines di«
Sent beaucoup: elles peuvent tenir lieu de pluficurs
préceptes.
La-,darté eft particulièrement neceflaire à un
Orateur; mais il faut prendre garde gu'en voulant
trop dire, il ne fatigue; car on n*aime pas à en-
tendre rebattre ce que Ion fait déjà. Quand
on eft ferré, on n*eft pas entendu: ce qui eft
étudié & profond, eftobfcur: ce qui eft dair,fu-
pcrficiel , connu , & entendu de tout le monde , eft
méprifé. La difficulté eft de trouver le jufte mi-
lieu. Auffi il fe peut faire que deux Orateurs ,
après s'être entendus , eurent raifon de dire l'un
de Tautre ; l'un , après que le premier eut parlé :
Les eaux claires ne font 'jamais profondes y le
premier ayant entendu le fécond : Les eaux pro^
fondes ne font jamais claires -, fe reprochant ré-
ciproquement leurs défauts; à l'un d'être fuper-
ficiel , à l'autre d'être obfcur. Eft-il neceifairc que
j'avertifle que c'eft une extravagance, ou un
orgueil mal entendu que d'affederl'obfcurité pour
faire mine qu'on dit de grandes chofes ? La ré-
putation eft facile à acquérir à ce prix-là ; mais
il faut parler devant de fottes gens , qui efFeéti-
vement n'admirent que ce qui eit énigmatique,
que ce qu'ils n'ejatçndent point. Aulli , coniftie
P il
335 La Rhitokiqjui, ou l'Aut
il ne s*cn rencontre que trop, je nem*ctonnepM
s'il s'cft trouvé un mauvais Maître qui donnoir
pour préceptes à fcs écoliers, de jetterde robfcU'-
lité fur leurs écrits, fans doute pour paroître mer-
veilleux. Son mot ordinaire • étoit , aHcimt i
c'eft-à dire, ôbfcurcifTez ce que vous dites. Quin-
tilien parle de ce mauvais Rhéteur, à qui les
chofcs paroiflbient d'autant meilleures , qu'il avoit
peine à les entendre: Tanto meliory ne eg9 quUem
inutiexi : Cela eH exce^ent , je ne Tentens pac
moi-même.
Pour le nombre , ou cadence propre à TOrateur ,
fon difcours doit être périodique de temps en
temps ; les périodes fe prononçant avec plus de
majefté, elles donnent du poids aux chofes.
Chapitre XIV.
Quel doit kre îeftile des Hijîoriens.
A Près les harangues, il n'y a point de fujct où
l'éloquence fe fafle davantage admirer, que
dans l'Hiftoire; car c'eft le métier de l'Orateur
d'écrire l'Hiftoire , comme dit Ciccron : WJioria
§pus efl maxime Oratorium, Ceft par fa bouche
que les aétions des grands hommes doivent être
publiées: c'eft fon ftile qui en conferve la mé-
moire à la pofterité. Les principales qualitci du
ftile hiftorique font la clarté & la brièveté. Un
Hiftorien éloquent fait une vive peinture de
l'aétion qu'il rapporte ; il n'en oublie aucune no-
table circonftance. Celui qui eft fcc ou aride,
ne reprefente que la carcafle des chofes, il ne
les dit qu'à demi : ainfi fon Hiftoirc eft mai-
gre & décharnée. Quand on rapporte un com-
bat qui a été fuivi d'une viâoue fi^alée, ce
n'cft
t>i ^AHiHii. Lh.IV. Cbap, XJV, 339
ti'cft pas être Hiftorien que de dire ifimplement
^ue ion a combattu ; il faut rapporter les cau-
fes de la guerre, dire comment elle s!eft allu-
mée, faire connoître quel étoit le deflcin des"
Prince's , quelles étoient leurs forces ; il faut
faire une defcription du lieu du combat , pac?
trculierement fi ce lieu a été caufc de quelque
accident confidcrablc, & découvrir tous les fèa-
tagèmes dont on s*eft fervi. Mais il faut fur
toute chofe que l'Hiftoirc foit comme un miroir
qui rend les objets tels qu'ils fe prefentent à lui^
fans augmentation ni diminution de leurgrandeus
naturelle.
La brièveté contribue à la clarté : je ne parle
point de celle qui confifte dans les chofcs, 6c
dans im choix de ce qu'il faut dire & de ce
qu'il fout négliger. Le ftilc d'un Hiftorien doit
être coupé, dégagé de longues phrafes, & de
CCS périodes qui tiennent l'efprit en fufpens. n
faut que fon cours foit égal, & qu'il ne foit
point interrompu par ces figures extraordinai-
res , par ces grands mouvemens qui font dé*
fendus à un Hiftorien dont le devoir eft d'écri-
re fans paffion. Ce n'eft pas qu'un Hiftorien
Gui eft bon Orateur , ne puifle faire ufage de
ion éloquence. L'occafion s'en prefente aflez fou-
vent. Comme il eft obligé de rapporter ce qui
a été dit , auffi-bien que ce qui a été fait , il y
a des harangues à faire dans l'Hiftoire, où les
figures font néceflaires pour peindre la paiEon de
ceux qu'on fait parler.
P 1 C H A-
340 La Rhetork^ue, ou lAkt
Chapitue XV.
Quel doit être le Jîile Dogmatique.
LE zelc que Ton a pour la défenfc d'une vé-
rité conteftée, caufe dans l'ame des mou-
vemens qui font qu'elle fe tourne de tous cotez ,
quelle cnerchc par tout des armes, & qu'elle
employé toutes les forces de l'éloquence pour
triompher de fes adverfaires. Dans les matières
dogmatiques , où pour Auditeurs on n'a que
des perfonnes dociles , qui reçoivent ce qu'on leur
dit comme ils recevroient des Grades, ces fu-
i'ets de zèle & de chaleur ne fe prefentent point.
)ans unTraité deGeometrie,quel lujet auroit-on de
s'échauffer ? Les veritez qu'on y démontre font
évidentes. Elles n'empruntent point leur darté
des lumières de l'éloquence: il ne faut que les
propofer. Ce n'eft pas comme dans les procès,
où la vérité ell ftcheufeaux uns, & avantageufe
aux autres, & où étant reconnue, elle enrichit
l'un, &apauvrit l'autre. Qui eft celui qui prend
intérêt à contefter ou à défendre une propofition
de Géométrie ? Les Géomètres démontrent que
les trois angles d'un triangle font égaux à deux
angles droits. Que cela foit vrai ou faux, cela
ne fait ni bien ni mal à perfonnc, l'on ne s'y
oppofe point. C'eft pourquoi le ftile d'un Géo-
mètre doit êtrelîmple, fec, & dépouillé de tous
les mouvemens que la palfîon infpire à l'Ora-
.teur. Outre que plus une vérité eft claire, &
conçue avec évidence , on eft plus déterminé à
l'exprimer d'une même façon , & en peu de pa-
roles.
En traitant la Phyfiquc & la Morale, on peut
prea-
BE PA&tBR. Lh. IV. Ckap. XV, 34t
prendre une matière d'écrire moins feche que
ceftilc des Géomètres. Un homme qui s'appli-
que avec contention à refoudre un problème de
Géométrie , à trouver une Equation d'Algèbre ,
cft chagrin & auftere ; il ne peut fouffirir ces pa-
roles qui ne font placées dans le difcours que
pourrornement. Mais la Phy (îquc & la Morale ne
font pas des matières fi épineufcs , qu'elles ren-
dent de mauvaifc humeur les Lecteurs. Il n eft
donc pas neceffaire que le llile de ces Sciences
ibitfi fevere.
Les veritez qui fe démontrent dans les Sciences
pio&ncs, font lleriles, & peu importantes. Les
ptflions ne font julks & . raifonnables que lorf-
^a'cUes portent Tame , & la pouffent à chercher
im bien iblide , & à fuir un mal véritable; c'eft
donc une chofe aifez ridicule de fe paifionner
pour foûtenir ces veritez qui ne font ni «bien ni
nul y d'en parler avec des emportemens , des
tranfports & des figures que le bon fcns veut
qu'on rcferve à d'autres occafions. Je ne puis
xuffrir ceux qui fe paffionnent pour défendre la
leputation d'Ariflote, qui difentdes injurcsàceux
fd n'cftiment pas aflez Ciceron, qui font des
exclamations 6c des figures contre ceux qui fe
trompent en parlant des habits des Grecs & des
Latins. Mais auffi je ne puis difllmuler que c'eil
avec peine que je lis les ouvrages de ces Théo-
logiens qui parlent avec autant de froideur & de
Icchcrefie, des principales veritez de notre Reli-
BÏon» que fi elles n'etoient importantes à perfon-
de. C'clt une efpece d'irréligion que d'envifager
les chofes de Dieu fans des mouvemens d'amour,.
le refped ëc de vénération qui fe faffent paroître
au dehors. On ne peut affilier aux faints Myfte-
que dans une polture refpeélueufe. Ceux qui
mêlent de parler de Théologie, qui veulent
P 3 inf-
i
moWÎ'^5„,,eS , °\:, CUV 1=^°^ ni4C'
B 1 p AK L £ K. Lh. IV. Chaf. XVî. 34J
âans la poëfie, l'ufage ne foumiffant pas défi
termes aflez forts. Le tour du difcours poétique
doit être auflî figuré pour la même raifon ; car la
dignité de la matière rempliffant l'ame du Poète
de tranfports d'eftime & d'admiration, le cours
de fes paroles ne peut être égal ; il eft neceffaire-
ment interrompu par les flots de ces grands mou-
vemens dont ion efprit eft agité. Auffi lorfque
le fujet de fes vers n'a rien qui puifle caufer ces fou-
gues & ces tranfports, comme dans les Comé-
dies , dans les Eclogues , & dans quelques autres
efpeces de vers dont la matière eft oalfe , fon ftilè
doit être fimple & fans figures. C'eft la qualité
des chofes qui font grandes & rares, quiexcufe &
aùtorife la manière de parler des Poètes; car fi ces
chofes font communes, il ne leur eft pas plut
permis qu'à un Hiftorien de s'éloigner de rufï^c
commun.
On n'aime pas ordinairement les vcritcz abf^
traites , qui ne s'apperçoivent que par les yeux de
Fcfprit. Nous fommes tellement accoutumez à
ne concevoir que ce que les fens nous prefentent,
que nous fommes incapables de comprendre un
raifonnement s'il n'eft établi fur quelque expe*
rience fenfible: de là vient que les cxpreffions
abftraites font des Enigmes à la plupart des gens,
& que celles-là plaifent , qui forment dans l'ima-
gination une peinture fenfible de ce qu'on leur
veut faire concevoir. C'eft pourquoi les Poètes
dont le but principal eft de plaire , n*employent
que ces dernières expreffions; & c'eft pour cette
même raifon que les Métaphores, qui rendent
toutes chofes-lenfibles, comme nous avons vu,
font fi fréquentes dans leur ftile.
Ce defir de frapper vivement les fens , & de
fc foire entendre lans peine , a porté les anciens
Poètes à ufer fi fouvcnt de fiélions , donnant à
P 4 cha-
344 Là Rhetoriqjue, ou l'Aut
chaque chofe un corps fait comme le nôtre, une
amc & un vifage. Lorfqu'un Poète eft une fois
échauffé, il ne coufidcre plus les chofes dans
leur état naturel.
Ce nejl plus la vapeur qnt produit le tonnerre»
(Ttfi Jupiter armé pour effrayer la terre :
Vn orage terrible aux yeux des matelots ,
C*ejl Sept une en courroux qui gourmande les fiots»
Cela touche d'une autre manière que les ^Jg
preflions communes. Quand un Poëte vient a
parler de la fguerre , & qu'il dit que Bellonne ,
Déeffe de la guerre , porte la terreur & répou-
vante dans toute une armée , que le Dieu Mars
anime Tardeur des foldats; ces manières de dire
les chofes font bien une autre impreffion fur les
fens, que celles-ci dont on fe fert dans Tufage
ordinaire. Toute l'armée fut épouvantée : Les
foldats étoient animez au combat. Chaque ver-
tu, chaque paffion eft une Divinité dans la Poëiie.
Minerve eft la Prudence. La Crainte, la Colère,
l'Envie font des Furies. Ces noms de crainte , de
eolere^ d'envie ^ quand on ne confidere que les
idées que l'ufage y a jointes , ne font pas gran-
de impreffion. Mais on ne peut fe reprefenter la
Déeflc de la colère avec fes yeux pleins de fu-
reur, fes mains teintes de fang, ces fiâmes qui
fortent de fa bouche , ces ferpens fifRans autour
de fa tête, cette torche allumée quelle tient à la
main , fans frémir & fans s'effrayer.
Dans les Poëfies faintes . c eft-à-dire , dans
celles mêmes qui fe chantoient devant le Sanc-
tuaire , les Prophètes fe fervoient de manières à
feu près femblables pour fe rendre intelligibles
la populace. David fait concevoir comme Dieu
l'avoit fecouru £c protégé contre fes ennemis, d'un
ftilc
D EPAULER. Z/V. 7 V, Cbap, XV L 345
ftile qui eft auffi vif & aufli hardi que celui des
Poètes profanes dont nous venons de parler. 11
reprefente Dieu qui defccnd du Qcl, & vient
combatre pour fa défenfc.
En cette extrémité dernière
J^invoquai le Seigneur y j* eus recours à mon Dieu ^
Et voilà que de fin haut Heu*
Jl entendit ma voix y il ouït ma prière*
Pour moi fis firces il affemble :
Ces hauts monts dont Porgueil s^éleve jufiiu*aux
deux
Agitent*leurs fronts glorieux 5
Etjufqu^au findement toute la terre tremble.
De courroux fin vifige fume ,
De fis yeux irritez fort un feu dévorant*
Qui court comme un affreux torrent ,
Et tout ce quil rencontre a'ujji-tôt il rallume.
Les deux pour le la ijjer def cendre
Abaijfent par rifpeSl leurs grands cercles voûtez \
Et fius fis pas de tous côfez
Les nuages épais commencent de s^étendre.
Let Chérubins qui deja gloire
Sont avec tant d'ardeur les Minijlres favans^
Tirent fur les allés des vents ,
Son char 9 où fa puiffance attache la vÙioire,
Jl cache fa Majefté fainte
Sous un noir pavillon fait de fombres brouillards t
Qui comme de fermes remparts ,
l'ont autour de fon trône une effroyable enceinte.
Laprofe endort, la poëfîe réveille. Les narra-
P 5 tions
34^ La Rhitôukujs, ou l'Art
tions que font les Poètes font interrompues par
des exclamations , par des apoftrophes , par des
digrcffions , 8c par mille autres figures qui entre-
tiennent l'attention. Ils ne regardent jamais les
chofes que par les endroits capables de charmer.
Ils n'en apperçoiveht que la grandeur & que la ra-
reté : ils ne confiderent rien de tout ce qui pour-
roit refroidir la chaleur de leur admiration; ce qui
fait qu'ils fortent, pour ainii dire, d'eux-mêmes,
& que fe laiflant aller au feu de leur imagination ,
ils deviennent femblables à une Sibylle, qui étant
t>leinc d'un efprit extraordinaire, ne parloitpluslc
angage ordinaire des hommes.
Sed pefius anhelat ,
'Et rahU fera corda tument 5 maj orque videri ,
J^ec mortale fonans , ajjiata eji numine quandê
Jam propiore Dei.
La cadence des versleur donne une force particu-
lière, d'où vient que les mêmes chofes infipides
en profe, font picquantcs en vers. Eadem negii»
gentiùs audluntur , mînuffue percuttunt , quandiu
folutâ oratiêfte dicuntur : ubi accejfere ttumeri y é^
egregium fenfum afirhfsùere certî pedes , eadem illa
fententîa velut lacerto excujja torquetur» Mais pe-
fez, bien ce que dit ici Seheque, qu'il faut que les
vers renferment quelque beau fcfttmient : car il
en eft de la poëliè comme de toutes les autres cho-
fes que le feul plaifir fiait rechercher. Ce n'eft pa>
•aflez qu'elles foient bonnes, il fiaut qu'elles foient
agréables. AmTi on ne peut lire un roëte qui
n'cft que médiocre.
Cha-
0 r ? AR L m. Liv. IV. Cbap. XVI J. 347
C H A P I T n E XVII.
De^ ornemeftSf premièrement de ceux ^u* on peut nom'»
mer nature/s^
I'L fcmble que nous n'aions travaillé jufqu*à
ipréfent qu'à irendrc folidcs les ouvrages qu*on
a entrepris, fans penfer à leur embelli ffement.
On fe trompe; car la beauté, ainfi que Ta dit un
Ancien , n*eft autre chofe que la fleur delafanté.
Les fleurs font un eflfet & une marque du bon
état de la plante qui les a produites. Les ome-
mcns du difcours naiflent pareillement de fa fan-
té; c*eft-à-dire , de la juftefle avec laquelle il a été
compofé. Ainfi il ne faut point d'autres règles
pour parler avec ornement, que celles que nous
avons données pour parler julle.
La même chofe reçoit differens noms, félon
les différentes faces par lefquelles on la regarde.
Quand on confidere la beauté en elle même, c*eft
la fleur de la fanté ; mais quand on la confidere
par- rapport à ceux qui jugent de cette beauté ,
on peut dire que la véritable beauté eft ce qui
plait aux honnêtes gens, qui font ceux qui ju-
gent raifonnablement des chofes. Il n'cft pas ûif-
licile de déterminer ce qui plaît , & en quoi con-
fifte ce «que Ton appelle , un je ne fat quoi ,
que Ton fent dans la leélurc des bons Auteurs ;
car fi on refléchit un peu fur cefentiment, on
trouvera que le plaifir que l'on fent dans un
difcours bien fait , n*eft: caufé que par cette
relfemblance qui fc trouve entre Timage que les
paroles forment dans Tefprit , & les chofes dont
elles font la peinture. De forte que c'eft la vé-
rité qui plaît ; car la vérité d'un difcours n'eft
P 6 au-
34^ La Rhétorique, ou l*Art
autre chofe que la conformité des paroles qui le
compofent avec les chofes. Ainfi lorfque cette
conformité eft cxtraordinairement parfaite , le
difcours eft extraordinairement parfait. Il en
cft comme de la peinture , lorfqu'elle eft reffem-
blante , elle plait , quoique les chofes qu'elle re-
prcfente, foient en elles-mêmes defagréables &
horribles. Le plus affreux ferpcnt plaît dans un
Tableau. De même quelque médiocres que foient
les chofes qu'un Ecrivain raconte, s'il le fait clai-
rement & vivement, il fe fait lire.
L'harmonie contribue à la beauté. Le difcours
eft un inftrument qui eft fait pour lignifier ce
que l'on penfe : cet inftrument plaît quand il rend
le fervice que l'on en attend , & qu'il le fait
d'une manière facile. Nous avons fait voir aiU
leurs qu'un <iifcours qui fe prononce facilement ,
donne du plaifîr. D'oii l'on peut conclure qu'il
n'y a rien de véritablement beau dans un dif-
cours , que ce qui eft utile , foit pour la clarté
des exprefîions, foit pour la facilité de la pro-
nonciation. Il eft conftant que dans les ouvra-
ges de la nature , tout ce qui eft beau , eft ac-
compagné d'une grande utilité. Dans un verger
la difpofition des arbres qui font plantez à la ligne,
& en échiquier , eft agréable & urilc ; car elle
fait que la terre communique également Ton Aie
à tous ces arbres. Arbores in ordinem certaque
ititerva/Za reda6la placent ; quincunce n'tbil jite»
c'wfius eft , fed iil quoque prodeft , ut fuccum ter»
YA éiqualiter trabant. Dans im bâtiment les
colomnes qui en font le principal ornement , y
font fi neceffaires, & leur beauté eft li étroite-
ment liée avec la folidité de tout l'édifice, qu'on
ne peut les renverfer fans le ruiner entièrement
Cependant nous fommes obligez de reconnoî-
tre qu'outre cette beauté uaturcllc, il y a de cer-
tains
BB PARLIR. Liv^JV, Chap.XVlIL J4f
tains omcmcns que nous pouvons appellcr artifi-
ciels, en les comparant à ceux dont les perfon-
nes bien-faites, accompagnent les grâces natu-
rdles de leur vifage. Il faut avouer que dans
les ouvrages des Ecrivains les plus judicieux, on
trouve de certaines chofes qu'on pourroit retran-
c4ier fans faire tort au fens de leur difcours ,
< fans en troubler la clarté, fans en diminuer la
force. Elles n'y font placées que pourl'embel-
lilTemcnt , & elles n'ont point d'autre utilité que
celle d'arrêter l'efprit du Ledleur par le plaifir
qu'il reçoit de fa ledure , & àc faire qu'il s'appli-
que plus volontiers. Souvent après avoir dit tout
ce qui eft neceflaire , on ajoute quelque chofc
d'agréable.. Après que les mots & les expreffions
font affez bien arrangées , & qu'elles fe peuvent
prononcer commodément , on fait davantage ,
on les mefure, & on leur donne une cadence
agréable aux oreilles. La Nature, fe joué quelque-
fois dans fcs ouvrages , toutes les plantes ne por-
tent pas des fruits , quelques-unes n'ont que des
fleurs.
Chapitre XVIIL
Des orAemens artîfcteh.
*
LES orncmens artificiels confident dans les
Tropes, dans les Figures, dans un arrange-
ment harmonieux des paroles qui compofent le
difcours, dans des penfées fpirituelles conçues en
dés termes rares , dans des allufîons , & des appli-
cations ingenieufes de paflages de quelque Au-
teur fameux. Allons jufqu'à la fource du plaifir
que donnent ces ornemens. L'homme étant fait
pour la grandeur, tout ce qui en porte les mar-
P 7 ques
yço l'A Rhetohiqjdb, ou L'Aar
ques , donne du plaifir. Ainû la fécondité , là
richcfle des expreffions , lés grandes périodes ^
les grands mots , les figures hardies , les penfée^
relevées font agréables. De cette inclination que
nous avons pour la grandeur y vient cet amour
que nous avons pour tout ce qui eil rare & ex-
traordinaire. La capacité de notre cœur eft in-
finie, il n'y a que Dieu qui la puifle remj^.
Tputes les chofes communes , 6c que nous avons
mefurées, pour ainfi dire, avec cette capacité,
nous doivent donc paroître petites , & nous dé-
goûter. Ce qui n'arrive pas fi-tôt quand les chofes
font extraordinaires , parce que nous n'en avons
point encore .trouvé les bornes , ainû eUes nous
plaifent. Il femble que tout ce qui fe prefcnte
a nous d'extraordinaire , eil ce qui nous va iâ-
tisfaire. Ceft pour cette raifon que les Méta-
phores èc les Figures , qui font des manières de
parler extraordinaires , & généralement toutes Icf
expreffions qui ne font pas communes , nous font
agréables.
Nous avons auffi naturellement de l'eftime &
de l'amour pour ce qui eil fait avec efprit, &
ce qui marque quelque rare perfeélion. Ainfi
qnand un Auteur dit fur un fujet quelque chofc
qui ne vient pas dans la penfée de tout le mon-
de, quand il fe fert adroitement d'un pafTagedc
quelque Auteur, qu'il l'applique bien, qu'il ait
quelque allufion fpirituelle, qu'il trouve un moicn
fin de s'exprimer , il plaît , parce que ce font là
des marques de fon efprit qui brille dans fon ou-
vrage.
De là vient encore que les imitations ingc-
nieufcs font fouvcnt auûi agréables que la vérité
même. Ne prend-on pas autant de plaifir à en-
tendre un homme qui imite fort-bien la voix
d'unroffignol, que le roffigaol môme ? Quand
un
Ue parle r. Lh.IV. Cbap.XVJIL 35^
nri Orateur fe fert de quelque expreffion qui n'eft
pas naturelle , & qui néanmoins fait concevoir
les chofes , cette imitation eft agréable , l'adrefle
avec laquelle il s'ell fervi de cette expreffion, qui
n'étoit pas faite pour cet ufage, plaît. Ceft pour
cela que les allulions font agréables j maiscen'eft
pas la feule beauté de l'efprit de l'Auteur qui char-
me dans ces occafions ; un Ledleurfpirituel prend
part à fa gloire , parce qu il remarque qu'il a lui-
même de l'efprit, puifqu'il a pu appercevoir fa
pcnfée au travers au voile de Tallufion dont il
l'avoit couverte.
Les emblèmes doivent être mifes dans le rang,
de ces expreffions ingenieufcs, qui font conce-
voir d'une manière courte & rare ce que veut
dire celui qui les propofe. Il plaît, parce qu'il
fe fert adroitement de quelque peinture fennble
pour faire concevoir une penféé fpirituelle.
Comme dans cet emblème qu'un Sujet prit pour
Symbole de fa fidélité à fon Prince . auquel
il demeura attaché après que ce Prince fut tom-
bé dans une difgrace fâcheufe. Le corps de
cet emblème étoit un lierre qui embralloit le
tronc d'un chêne , & qui demeuroit enlaffé après
que le chêne avoit été renverfé par terre , avec
ces mots : Héretque cadenti. Les hommes ne
conçoivent qu'avec une application pénible les
choies fpirituelles; les expreffions fenfibles qui leur
épargnent cette peine, leur font agréables ; c^eft
pourquoi les emblèmes qui font dt^ peintures fen-
fibles, plaifent. Pour cette même raifon,- comme
nous l'avons dit fouvent, les -Mettphbres qui font
prifes de chofes fenfibles , font mieux reçues , 6c
Guelquefois font plus claires que les expreffions or-
dinaires.
Enfin un difcours figuré , & qui porte les ca-
raélercs d'un efprit animé, doit cauler un plaifir
fe-
j5* La R HE torique, ou l'Art
fecret : car, comme nous avons vu, la Nature*
mis les paflîons dans le cœur de l'homme , com-
me des armes dont il fe peut fervir pour re-
poulTer le mal, & acquérir ce qui lui eft avan-
tageux. Ainli le mouvement de ces paflîons qui
font il utiles pour fa confervation , eft toujours
accompagné de quelque plaifir fecret. Une trop
grande tranquilitc de l'ame caufe de Tcnniu.
On aime à rcITentir quelques petites .émotions,
qiiand on ne craint point d'ailleurs aucune f3-
cheufe fuite. Selon ce qu'on a dit, les figures
impriment dans refprit des Leéteurs les paffions
dont elles font les carad^eres. Un difcours figuré
doit donc être beaucoup plus agréable qu'un dif-
cours uni. On ne Jit jamais les vers fuivans fans
reflentir des mouvemens de tendrefle ôc de dou-
leur. Virgile fait dans ces vers la peinture de
Nifus, lorfquc Volcens s'avançantrépéeàlamaia •
contre Euriale qu'il croioit avoir mis à mort Ta-
gus : Nifus , pour mettre à couvert de ce danger
Euriale fon ami , fe déclare auteur de cette
aélion : il dit que c'cft lui qui a tué Tagus, ilfc
prefente pour recevoir le coup dont Volcens al-
loit frapper Euriale.
Me me, adfum qui feciy in me convertite ferrum,
O Rutuli : mea fraus omnis , nibi/ ijîe nec aufus ,
l^ec potuit : cœ/um boc éf confcia Jydera tefiçTy
Tantùm infelicem nimiiitm dilexït amicum.
Chapitre XIX.
Des faux ornemens*
L'On trouve peu de perfonnes qui examinent
avec jugement .les chofes qui le préfenterit..
On
Di PARLER. Lh.IV. Cbaf.XIX, 3^53
On fe laiffe furprendrc par les apparences. Ainfi y
parce que les grandes chofes font rares & extraor-
dinaires , les hommes fe forment une telle idée de
la grandeur, que tout ce qui a unairextraordinai-
rc, leur paroît grand. Ils n* eiliment enfuite que ce
qui n'eft pas commun ; ils méprifent les manières
de parler naturelles, parce qu'elles ne font pas ex-
traordinaires. Ils aiment les grands mots , les phra-
fes enflées , Sefquipedalia verba & ampullas. rour
les éblouir , il faut feulement revêtir d'un habit
étranger & magnifique ce qu'on leur propofe. Ils
ne rechercheront pas fi fous cet habit extraor-
dinaire il y aquclque chofc de caché , qui foit effec-
tivement grand & extraordinaire. Ce qui feit
remarquer encore plus fenfiblement leur lottife ,
c'cft qu'ils admirent ce qu'ils n'entendent pas »
mirantur qns non intelligunt ; parce que l'obfcurité
a. quelque apparence de grandeur , & que les
chofes fublimes & relevées font ordinairement obf-
cures & difficiles.
Les hommes ayant donc une fi fauffe idée de la
grandeur , il ne faut pas s'étonner fi les orncmens
dont ils chargent leurs ouvrages, font faux, &en
fi grand nombre ; car enfin , comme nous avons
dit ailleurs , ils ne veulent rien dire que de grand-
Leur ambition les porte plus loin qu'ils ne peuvent
aller, ainfi ils tombent en voulant s'élever, &
acvent en voulant s'enfler. La fécondité eft ime
marque de grandeur ; Tardeur qu'ils ont de paroî-
tre féconds , fait qu'ils étouffent leurs penfccs par
orne trop grande abondance de paroles. Quand iUel-
que chofe leur plaît, ils s'y arrêtent, ilslarep<ï*:eht:
Hefciunt quod bette ceffft reiinquere. Ils font
comme ces jeunes chiens qui ne peuvent quitter
leur proye, & qui s'en jouent long-temps. Il faut
donner à chaque chofe Ion étendue naturelle^ Une-
ttatuc dont les parties ne font pas proportionnées^
qui
354 La Rhetohioué, ou l'Art
qui a de grandes jambes & de petits bras, unpetit
corps ^ une groffe tôtc, cft monflrueufc; Le [dm
grand feaet de l'éloquence eft de tenir les efpriti
attentifs, & d'empêcher (qu'ils ne perdent de vûëlc
but où il faut les conduire. Quand on s'arrête
trop long-temps à de certaines parties , leLeâcor
en eft fi occupé, qu'il ne fe fouvient plus dufojet
principal, La fécondité n'eft donc pastoûjoursbon-
ne. Les repletions, aufli-bien que le jeûne, au-
fent des maladies.
Entre les favans^, on eftime ceux qui ont plus
de leéhu'e; la difficulté des Sciences en relerelc
prix; on a de l'eftime pour ceux quifaventl'^-
be & le Perfan. On n'examine pas fi par lemoien
de ces langues on acquiert quelque rare connoit
fance qui ne fe puifle trouver dans nos Auteoxs.
Il fuffit que ceux qui ont chargé leur memoiie
de ces langues , fâchent ce qu'il- eft: difficile dr
favoir, & ce qui n'eft fû que d'un trèfrferit
nombre de perfonnes. L'ambition qu'on a de pi-
roître favant^ & de faire remarquer fonéruditioDr
Ait donc qu'en parlant ou en écrivant on aDc*
gue continuellement lès Auteurs , quoique leur
autorité ne foit neceffaire que pour foire &•
voir qu'on les a lus, & pour paner pourdoâe,
comme faint Auguftin le reproche à JuKco.
Quis hétc audîat, é^ non ipfê nominum JtSê*
rumque conghbatarum flrepitu terreatur , / jf
ineruditus qualis eft bominum multitudot & exh
Jiimtt te aliquem magnum qui hac Jcire potuerH ^
On entaflc du Grec fur du Latin , de l'HcbrcB
fur l'Arabe. Une fottifc , lorfqu elle eft dite c»
Grec , eft fouvent bien reçue : un mot Italien disf
un difcours, quelque application qu'on en ûfir
fait pafler fon Auteur pour galand & poli. S f**
cette coutume n'étoit point ordinaire, nous lé* £^^
dons auffi étonnez de cette manière bizant *
tél.
BE PAUIEE. Lhu JV. Cbap. XIX. 3^5
parler , que d'entendre un phrenetique. Ce défaut
gâte un ftile, & empêche qu'il ne foit net & cou-
lant. Si c'eft pour donner du poids à fes parolet
qu'on allègue les Auteurs , on ne le doit faire
que dans la neceffité d'appuyer ce que l'on avance
de l'autorité d'un Auteur de réputation. Qu'eft-il
bcfoin d'alléguer Euclide pour prouver que le
tout eft égal à fes parties : de citer les Philofo-
Î)hcs pour perfuader le monde qu'il fiiit froid
'hyvcr. Je ne blâme pa^ toutes les citations:
au contraire , je les approuve lorfque les paroles
font belles , & qu'il eft à propos de réveiller l'ef-
prit du Lcdeur par quelque divcrfité;le feu! excès^
en eft blâmable.
Les fentences trof) fréquentes troublent auflî
l'uniformité du ftile. Par fentences on entend ces
penfées relevées qu'on exprime d'une manière
€oncife , ce qui leur fait donner le nom de
pointes. Je ne parle point de ces fentences pué-
riles & fauffes qui ne contiennent rien d'extra-
ordinaire & de particulier qu'un tour forcé, &.
qui n'eft point naturel. Les plus belles , fi elles
font placées trop près-à-près, s'étouffent, & ren-
dent le ftile raboteux : 6c comme elles font déta*
chées du refte du difcours , on peut dire d'un ftile
qui eft chargé de ces pointes , qu'il eft hériffé d'é-
pines. Ces penfées détachées font comme des pie-
ces coufuës & rapportées , qui étant d'une couleur
différente du refte de l'étoffe, font une biiarreric
ridicule; ce qu'il faut éviter avec grand foin; C«.
randum eft nefentetttU emineemt extra corpus oratiom
nis exprejj£ , fed intexto veftlbus colore n'tteant. On
aime à parfcmer fes ouvrages de fentences, parce
qu'on croit qu'on pafferapour un homme d'efprit»
F acte ifigenii blandluntur.
En effet , comme on l'expérimente en ouvrant
Scncque, on eft charmé de cette manière inge-
nieufc
356 La R,hitoxiqjje, ou l'Art
nieufe de dire beaucoup de chofes en fi peu de
paroles , & d'un tour rare & nouveau , comme
quand pour exprimer l'entière ruine de la Ville de
Lyon, qui avoit été réduite en cendre, il dit,
Lugc/unum quod ojiendebatur in G allia , quart"
fur. On cherche à prefent dans les Gaules où
étoit autrefois la Ville de Lyon. Et pour mar-
quer en peu de paroles la rapidité de fon incen-
die, il ait : In bac , una mx fuit inter urbem
maximam_y éf nullnm. On rencontre dans cet
Auteur à chaque page des chofes admirable-
ment dites, d'un grand fens, exprimées^ en pei»
de mots : Quicl ejf Eques Romantts , aut liber»
iinus , aut fervus ? Nomina ex ambitione aut ex-
ifijuria nata. Mais afin que ces expreflîons
plaifent , il faut les lire détachées de l'ouvrage ;
car il en ell comme de toutes les chofes où
Ton ne cherche que le plaifir : on s'en dégoûte
bien-tôt» lAuffi ces penfécs & ces expreffions
ingenieufes, qui d'ailleurs ornent un ftile , le gâ-
tent , fi elles ne font fi bien enchaffées qu'elles
y foient comme naturelles , & ne paroilTent point
étrangères : que ce foit 1^ nature même qui les
prefente , qui les faiTe naître. Tout ce qui eft
redierché , ou femble l'être , qui eft tiré de
loin, n'a point une certaine naïveté qui fe fait
aimer & eftimer. Faites attention aux paroles La-
tines fuivantes du Maître des Rlietcurs, Quinti-
lien. Nihil videatur fiflum ^ nibil foUicitum :
omnia potius à caufa quàm ab Oratore proféra
videantur. Ces paroles font du même Rhéteur :
Qptima nùnimè accerfita , éf fimplicibu^s , atque
ab ipfa veritate profeétis fimilia. Ces paroles
contiennent un grand fens ; ce font des règles
qu'il faut avoir toujours prefentes pour fe défen-
dre de la corruption qui s'introduit dans l'éloquen-
ce, qu'on gâte par des afFcélations dans la trop»
gran-
»-B PAKLER. Lîv, IV. Cbap XX. 357
grande paffion de s'exprimer avec, efprit.
En parlant des omemens , il ne faut pas oublier
les portraits dont on embellit un difcours , com-
me on fait ime fale & une gallerie en y plaçant
les images des Princes , des Rois , des Grands-
bommes; car comme les images fe peuvent dé-
tacher du lieu où elles ont été mifcs , auffi ce
^u'on entend par portraits dans le difcours , ce
font des defcriptions fur lefquelles on s'arrête,
& qu'on auroit pu pafler. Voilà le portrait de
ces flateurs qui affiegent les Princes , & corrom-
pent leur vertu.
Par de lâches adrejjes
J>es Princes malheureux nourrtjfent les foibhjjes^
Les pûufjent au penchant oà Itur cœur ejl enclin
Et leur çfent du vice applanir le chemin :
Detefîables flateurs , prefent le plus fune fie
Que fuijfe faire aux Rois la colère celefle»
Chapitke XX.
Piegles qu^on doit fuivre dans la dijlribution
des Qrnemens artificiels.
L'On ne peut pas condamner abfolument les or-
nemens artificiels , qui ne font inferez dans
les ouvrages que pour divertir ôcdélafler les Lec-
teurs, comme nous l'avons dit ci-deflus. Ils ont
leur prix ; mais c'eft le bon ufage qu'on en fait
qili le leur donne. Les règles fuivantes ne fe-
lont pas inutiles pour bien ufer de toutes ces
richenes du langage , & pour les ménager avec
î>rudence. La première règle que l'on doit fui-
Vre dans la diftribution des omemens artificiels,
c'eft de ks appliquer en temps & lieu. Les jeux
358 La Rhbtoiiiqjjb,ou l'Art
font importuns , quand on cil accablé d'affaires»
Quand une matière eft difficUe , èc que la dii-
culté rend le Leâeur chagrin , il faut éviter tous
les jeux de paroles qui ne feroient qu'augmenter
fon travail, le détournant de fon appliatioi
ferieufe. Si on ne dierche que Futilité , Tagréa-
ble déplatt. Il y a des matières qui ne fouffi«&t
aucun ornement , telles que font celles qu*oa ap-
pelle dogmatiques.
Ornart res îpfa negat ^ contenta doceru
Lorfque la matière du difcours eft fimpki
tout doit être fimplc. Les habits chargez de pic^
reries , & extraordinairement ornez , ne fe p<M>
tent Qu'à certaines Fêtes dans les cérémonies ex-
traordinaires. Il faut proportionner les paroles aux
chofes , & avoir toujours égard à la bien-feancft
Ceft pourquoi , comme le remarque faintAugofr
tin , lorfqu'on traite quelque matière ferienfti
comme font celles qui regardent la Religion , 8
ne faut pas donner à ces paroles une cadence
qui leur faflc perdre beaucoup de ce poids & de
cette gravité qui les doit rendre vénérables. C^
vendum ne divinis gravibufque JententUs èm
ndditur numerus , pondus detrahatur.
Les omemens doivent être raifonnables, c'eft-
à-dire , qu'il ne faut rien dire qui choque k
fens commun. Vous trouverez de petits cflpili
qui ne fe mettent pas en peine de dire ime impef»
tinence , & d'avancer une chofe fauife , powît
que ce qu'ils difent ait l'air d'une fentence ; de
parler fans jugement , pourvu qu'ils fâffent en-
trer une métaphore & une figure dans leur df
cours. Es ne font pas de reflexion û ce qu'*
difent eft pour ou contre eux. S'ils peuvent fii*
une antitbefc, une répétition , une cadence 91
m FAHLiR. Lh.lV, Ckap.XJt. jy^
flatc les fens , n'importe qu'ils bleffent la Raifon;
ils font fatisfaits de leur cfprit. On doit être
convaincu qu'il n'y a rien de beau qui ne foi*
f aifonnable , & fi on ellime quelquefois ces faux
omemens. , c'eft qu'on fe lailfe éblouir par leur
faux brillant, & étourdir par un certain bruit qui
ne fignifie rien ; ou pour le dire franchement
c'eft qu'on a l'efprit petit. Une ame élevée aime,
iSc cherche dans le difcours la vérité , & non pas
des paroles. Bonorum ingeniorum infignïs efi in»
iioks 9 in l'erbis verum amare non i^erba. Je
ne puis eilimer un difcours dont k fon flate les
oreilles , lorfque les chofes dioquent le bon fens , di-
foit S. Auguftin. Nulkmçdo miki fonst diferù^
quod dteitur inepte»
Les omemens font raifonnablcs lorfque la tc-
rité neft point choquée , c'eft-à-dirc, que toutes
les exprefïïons dont on fe fert , ne donnent que
des idces véritables. Ceux qui veulent éblouir , ne
parlent jamais naturellement ; leurs paroles font
paroître tout ce qu'ils difent fi extraordinaire,
qu'il n'y a point de vraifemblance. Pour rendre
ce défaut fenfibl# , je rapporterai ici un paflagc
de Vitruve, qui eft admirable pour cela. Ce ju-
dicieux Architeéle fe plaint de ce que dans la pein*
ture Ton ne prenoit plus pour modèle les chofes
comme elles font dafis la vérité. On met, dit- il,
pour colomnes des rofcaux : on peint des chande-
liers qui portant de petits châteaux , defquels ,
comme fi c'étoient des racines , il s'élève quan-
tité de branches délicates , où l'on voit des figures
affifes , 5c fortir de leurs fleurs des demi-figiires ,
les unes avec des vifagcs d'hommes , les autres
avec des têtes d'animaux , qui font des chofes qui
ne font point, & qui ne peuvent être , comme elles
n'ont jamais été. Les nouvelles fantaifies préva-
lent 4e teHc forte » qu'il ne fc trouve- prefque
■ - • per-
360 La Rhetoriqjje, ou l'Art
perfonne qui foit capable de découvrir ce -qu'il y
a de bon dans les Arts , & qui en puiffe juger.
Car quelle apparence y a-t-il que des rofeaux
foûtiennent un toit ; qu'un chandelier porte des
trhâteaux; que de foibles branches portent les fir
cures qui y font comme à cheval , & que d'une
fleur il puifle naître des moitiez de figures ? Pour
moi (dit Vitruve) je crois qu'on ne doitpointefti-
-mer la peinture fi elle ne reprefentc la vérité.
Ce n'eft pas alTez que les chofes foient bien
peintes^ il faut auiïï que le deflein foit raifonna-
bleî, & qu'il n'ait rien qui choque le bon fens.
Il faut appliquer à l'éloquence ce que Vitruve dit
ici de la peinture. Quand on parle , il faut pren-
dre la vérité pour modèle , & il ne faut pas pour
donner plus d'éclat aux chofes, les repréfcnter au-
tres qu'elles font.
C'eil donc à quoi il faut travailler , que les
chofes paroiflent ce qu'elles font ; fimples , fi
elles font (impies. PMoflrate louant un taUeau
où étoient repréfentez les chevaux d'Amphia-
raiis , dit que le Peintre les avoit rcpréfentez
baignez de leur fueur , & couverts d'une pouflSe-
re qui les rendoit moins agréables , mais plus
reflemblans à ce qu'ils étoient ; Deformîorest fed
veriores. Il y a des perfonnes à qui tout eft égal,
qui habillent tout le monde magnifiquement;
c'eft-à-dire, qu'ils parlent fur un même ton des
grandes & des petites chofes , & prodiguent par-
tout les omemens de l'élocution. D'où vient cela?
C'eft qu'il eft aifé d'employer de riches couleurs ,
& qu'Û eft difficile de tirer les traits propres d'un
objet qu'on veut peindre. C'eft ce qu'Apellés
difoit à un jeune Peintre : N'ayant pu faire Hé-
lène auffi belle qu'elle eft , vous l'avez fait riche.
Je dis donc encore, qu'il ne faut rien eftimer ni
dire que ce qui eft véritable : il le âut faire
d'une
1>1 p Al L ZK. Liv. IV Cbap, XX. 361
d'une manière noble , rare , nouvelle , qui attire
Tattention; mais que la vérité s'y trouve. C'eft
en quoi pèchent les Vers fuivans de Racan fur
Marie de Medicis,
Paîffez , chères brebis y jouijjez de la joyi
Que le Ciel vous envoyé.
A la fin fa clémence a pitié de n9s pleurs.
Allez dans la campagne , allez dans la prairie\
N^ épargnez point les fleurs \
lien revient ajjezfous ks pas de Marie.
Cela n'eft fondé fur aucune vérité. C'eft une
ilaterie ridicule. Je fai qu'on dit que c'eft une
allufion à ce que quelques anciens Poètes ont
dit : Cette allulion ne me paroît pas fort inge-
nieufe , ni à propos ; car ce n'eft pas loUer une
Reine que de lui attribuer ce qu'elle fait ne lui
pouvoir convenir. On dit que dans l'Epigramme
fuivante fur l'incendie du Palais ,• le faux y do^
mine, & que le vrai n'y a nulle part: càa ne
Hie paroît pas.
Certes' Ton vit un iriflejeu^
Qvand à Pariî Dame Jujlice
Se mit le Palais tout en Jeu
Pour avoir trop mangé d^êpices.
Cette allufion fait appercevoir un reproche réel
-qu'on fait aux Juges de prendre trop d'Epices.
Avant ijue de penfer en aucune manière aux
ornemens, il fiaut travailler à rendre utile ce qu'on
doit dire , choififfant des expreffions qui puiflent
imprimer dans Tame les penfées & les mouvemens
qu'on en veut donner. Après, filabien-féancelc
permet, on peut travailler à rendre agréable ce qu'on
a dit utilement. Un fage Architcftc fongc premié-
Q re-
3^t La Rhétorique, ou l'Ai
rement à jettcr de bons fondcmens : il éle^
railles capables de foûtenir le faîte de la m
bâtit.S'il veut que fon ouvrage foit agréab
il y ajoute des omcmens. Mais remarque
CCS ornemens qui pourroient être retrancl
à-dire , qui ne font pas abfolument utile
placez c\u* après qu'il a travaillé àlafolidii
lice. Lèç colonnes de marbre qui ne fe m
four rornc ment, ne fe placent que lorfqi
de Touvrag e eft adicvé.Ce n'eft qu'après c
qu'on taille les ornemens , &<, qu'on pofc
Nous pG uvons prouver la même
tme comparaifon du corps humain, d
il -fcrable qu\r. la nature établit les os pc
tenir & fortifier, avant que de le couvrir»
peau qui le reiid agréable. C'eft ce que di
In corpore nojiro offa , nervique & nrtic,
vienta totius éf vitalia , minime fpeciofa •
ordinantur\ éfeinde héic y ex quibus omnù
affeéîumque décor ejî : pofl bac omnia , q
cculos rapit color , uhimusperjefiojam cor
4litur.
Enfin ,1a raifon demande qu'on garde qu
deration dans les ornemens. Ils ne doive
trop frequens. Les grandes douceurs fon
n'y a rien de plus beau que les yeux ; n
un vifage il y en avoir plus de deux, au lieu
il feroitpeur. La confufion des ornemen
qu'un difcours ne foit net : & ce queje v(
rcmatquer coinme un des plus importai!
j'ay e donné dans ccTraité,c'elt que l'excèî
mens fait que refi)rit des Auditeurs , qui •
tiéremcnt occupé, ne s'applique pointa
Cela arrive affez fouventdans îesPanegy:
les Orateurs prodiguent leur éloquence,
à pleines mains toutes les fleurs de l'art,
teur fc tcxiït pkiu d'admiration pour o
Di PAKLER. Liv.IV. Cbap.XX. • 363
parlé , & à peine penfc-t-il à celui dont on a fait
le Panégyrique. On doit toujours dans chaque cho-
fe en rechercher la fin.- Quand on veut arriver où
Ton s'eft propofé d'aliter , on choifit un beau che-
min , mais qui y conduife. Lorfque les feuilles cou-
vrent les fruits, & les empêchent de tneurir, on les
6te , fans avoir égard qu'on dépouille l'arbre de
fes orncmens.
Il y adcsefpritsfipetits, qu'ils n'eftiment que le«
bagatelles: ils ne font point d'attention à ce qui eft
folide , fi on ne retire de devant leurs yeux ce qui
les amufe, comme on ôte aux ehfans les jouets qui
les arrêtent trop. C'eft ce que fitProtogene , qui
ayant apperçû qu'une perdrix qu'il avoit peinte
dans un de fes Tableaux pour ornement , attiroit les
yeux du peuple , & l'empêchoit de çonfiderer ce qui
le meritoit plus , refolut de l'effacer. Elle étoit fi bien
peinte, cette perdrix , que les véritables perdrix s'ap-
prochoient d'elle comme d'une de leurs compa-
gnes. Mais il voulut ôter au peuple cet amufement ,
pour tourner ailleurs fes yeux. Il gagna les Offi-
ciers du Temple où étoit placé fon Tableau , & y
étant entré fecretement, il l'effaça.
C'eft pour cette même raifon que le Saint-Efprit
qui conduifoit la plume des Ecrivains facrez , n'a pas
permis qu'ils employafîent cette -éloquence pom-
peufe des Orateurs profanes, qui arrête les yeux , &
fait que l'on ne confidere que les fuperbes paroles
dont les chofes font revêtues. Les faintes Ecritures
ne nous ont pas été données pour entretenir notre
vanité, mais pour rempUr le vuide de notre ame.
Ceux qui ne recherchent dans les Livres qu'un di-
vertiffcmentftcrile , les méprifent ; ceux qui aiment
les chofes , trouvent de quoi fe remplir dans ces Li-
vres divins. Unfeul Pfeaume de David vaut mieux
que toutes les Odes de Pindare , d'Anacreon , &
.d'lr]|orace : Demofihene èc Ciceron ne méritent
Q X pas
364 L* Rhïtôriqjji, ou l'Art
pas d'êlrc comparez i Ifaie. Tous les Livres de
Platon & d'Anftote n'égalent pasunfeul Chapitre
de S. Paul. Car enfin , les paroles ne font que des
fons : on ne doit pas .préférer le plaiCr que peut
donner l'harmonie de ces fohs ."à celui de la con-
Boifl'ance folide de la Vérité, Pour moi , je n'cf-
time l'Art de parler , tjue parce qu'il contribue à
!a faire connoîtte , qu'il la tire , pour ainfi dire ,
du fond de Vcfprit où elle étoit cachée ; qu'il la
dévelope , qu'il l'eipofc aux yeux, C'cft ce qui
m'a porté à travailler avec foin à cet Artquipoiji
cette raifon m'a paru û utile & £. neceflàire.
■ I PAXLIK. liv.V. Ciép. I.
RHETORIQUE
VART DE PARLER.
LIVRE CINQUIE'ME.
Chapitre Pkimiek.
^ifl un ^ri que de Jàveir f»rler de manière f a'm
' jf*/""^! Ce qu'il fMut faire [Qur e*im.
Priyfl de et Livre.
^ Idée de la Rhétorique comprend l'Art
^ de perfuadet , au fïï- bien que celui de
■^ parler. L'on n'étudie la Rhétorique
Jf que pour parkrde manière qu'on faffe
. _. acequ'ondefireenparlant; &cequ'on
K*ùe, c'eft de perfuader. Ainfiileftévident^uela
g|*etorique. qui elll'Artdeparler, doit enfeigner
^ïftoyens de perfuader, Cesmoyens neconfillent
2* femement en des paroles. 11 ya desmanieres
* gagner les cœurs, & de les remuer. C'eit pat-
^**lictement de ces manières que je dois traiter
***j ce dernier Livre , où je renfermerai Icschofcs
Q l , ^
^66 La Rhitoriqjjh, ou l'A* t
qui fe trouvent dans les Rhétoriques ordinaires , &
dont je n'ai point encore parlé.
Ce n'eft pas feulement en prêchant & en plai-
dant qu'on veut perfuader ; on a cette intention
dans toutes les occafions où l'on parle. Car nous
defirons qu on croye que les chofes font comme
nous le difons , ou au moins fi nous rapportons
les jugemens des autres , nous voulons qu'on foit
perfuadé que le rapport que nous faifons elt fidèle.
C'eft pour cela que la Rhétorique eil très-utile j &
fi effedivement elle pouvoit donner des moyens
fûrs pour perfuader , il n'y auroit aucun autre art
qui fût d'un plus grand ufage dans la vie. Mais
je fais voir qu'il faut plus de connoiflance
que la Rhétorique n'en donne, pour perfuader les
hommes en toutes rencontres. Les Maîtres de
Rhétorique ne fe font appliquez qu'à donner quel-
ques préceptes pour perfuader des Juges en plai-
danf dans un Barreau. Ils ne fe font attachez qu'à
fuivre ce que les anciens Payens ont écrit, qui
n'ayant point d*autres Orateurs que des Avocats ,
leur Rhétorique n'étoit occupée cju'à leur donner
des préceptes. Quoique je ne juge pas ce qu'ils
difent là-deffus fort utile aux Avocats mêmes, je le
rapporte fommairement , mais de telle forte que û
on compare cette Rhétorique avec les autres , on
trouvera que ce que j'en dis , eft plus que fuffi-
fant , & que je m'applique plus qu'aucun autre à
donner les véritables moyens de perfuader. Ce
qu'on trouve en ces Rhétoriques , ne fert prefque
point pour cette fin. Voilà les préceptes que les
Rhéteurs donnent pour perfuader.
Il faut trouver les moyens défaire tomber ] dans
fon fentiment ceux qui font dans un fcmiment con-
traire ; m ettre en ordre ce que l'on a trouvé , Se em-
ployer les paroles propres pour s'exprimer. Il faut
enfin apprendre par mémoire ce que l'on a écrit >
pour
DBPARLER. Liv. t'. Ckûp, L 367
pour le prononcer enfuite. Ainfi TArt deperfuader
a , dit-on , cinq parties. La première eft l'inven-
tion des moyens propres pour perfuader : la fécon-
de la difpofition de ces moyens : la troifieme l'c-
locution : la quatrième la mémoire : la cinquième
la prononciation.
Si on conteile une vérité de bonne foi , fi ce
neft point l'intérêt , ni la'mauvaife humeur, ni
la paflion qui aveuglent , & qui empêchent qu on
ne fe rende , il n'eit befoin que de bonnes preu-
ves , qui lèvent toutes les difficultez. , & qui diffipent
par leur clarté les obfcuritez qui cachoient la vé-
rité. Mais lorfqiVon a affaire à des gens qui ne
l'aiment pas, qa'ii s'agit deleiirpeifuaderunecho-
fe qui choque leur inclination, & dont leurs paflTions
les éloignent, la Raifon feule ne fuffit pas : l'adrelfe
eft necelfaire. Dans cette occafion il faut faire deux
chofes. Premièrement , il faut étudier leur humeur
& leur inclination pour les gagner. En fécond lieu ,
puifquc chacun juge félon fa paffion, qu un ami a
toujours raifon,qu un ennemi eft toujours coupable,
il faut leur infpirer des mouvemens qui les faflent
toutner de tïotre côté. Ainfi les Maîtres de l'Art
reconnoiffent trois moyens de perfuader, les argu-
mens ou les preuves, les mœurs, & les pafDons. Il
faut trouver des preuves , il faut parler conformé-
ment à l'inclination de ceux que l'on veut gagner , il
faut exciter les paffions dans leur efprit , qui les faf-
fent pancher du côté où l'on veut les conduire. Ceft
ce que nous allons voir en détail. Nous parlerons
premièrement de l'invention des preuves.
Q4 Cha-
i
368 La Rhétorique» oxr l'Àrï
Chapitre IL
frmierc partie d$ l'Art dt ferfuadert fui eft Pin*
vention,
A clarté eft le caradlcre de la Vérité, l'on ne
' peut douter d'une vérité claire. Lorfque fou
évidence eft dans le dernier degré, les plusopiniâ-
tres font obligez de quitter les armes , ôcdes'yfoû'-
mettre. Peifonne ofera t-il nier que le tout ne foit
pIuS grand que fa partie : que les parties prifes en-
femble n'égalent leur tout ? Quelquefois on détour*
ne la vue pour ne pas-appercevoir des veritez claires
qui bleflent. Mais enfin, lorfque leur éclat, malgré
toutes nos fuites, vient à frapper nos y eux, il faut
fc rendre, & la langue ne peut démentir Fefprit;
Pour perfuader ceux qui nous conteftent quelque
propofition , parce qu'elle leur femble douteufeôc
obfcure , il faut fe fervir d'une ou de plulicurs pro-
pofîtions , qui ne fouffrent aucune difiiculté , & leur
faire voir que cette propofition cojiteftée eft la mê-
me (que celles qui font inconteftables. Les Juges
de Rome doutoientfi Milon avoit commis un cri-
me en tuant Claudius. Us ne doutoient point qu'ik
ne fût permis de rcpoufler la force par la force.
Ciceron voulant donc prouver l'innocence de Tac-
cufé , il leur étale ces deux propofitions : qu'on peut
tuer celui qui nous veut ùter la vie i que Clnudius
voulait ôter la vie à Milon* L'une eft claire,
l'autre eft obfcure ;rune conteftée , Tautre reçue ;
étant bien éclaircies , la confequence étoit claire
& certaine , que Milon en tuant Claudius , n'a-
voit fait que repoufler la force parla force, ce qui
étoit excul'ablc.
C'efii
]$ E p A R L E R. Zn». Vi Cbap. //• 3(^9
C'eft à la première partielle la Philofopliie ,
qu'on appelle Logique 9 à donner les règles du
raifonnement. Celt pourquoi , vous pouvez
commencer à reconnoître des rentrée de ce dif-
cours,;que pour traiter T Art deperfuaderdànstoiï-
te fon étendue , il faudroit cmbraffer plufieurs au-
tres Arts , ce qui ne fe pourroit faire fans confu-
iflon. La matière de l'Art de perfuader n'eft point
limitée. Cet Art fe fait paroître dans les Chai-
res de nos Eglifes, dans le Barreau, dans tou-
tes les négociations , dans les converfations.
En un mot , le but que nous avons dans tout le
commerce de la vie , eft de perfuader ceux avec
qui nous traitons, •& de les faire tomber dans
nos fentimens. Pour être donc parfait Orateur,
& parler utilement fur toutes les matières qui fe
prefentçnt, comme les Rhéteurs prétendent que
leurs diiciples le peuvent faire , il faudroit poflc-
der toutes les connoiflances , & n'ignorer rien.
Car enfin , un homme n'eft capable de raifonner
que lorfqu'il connoît à fond le fujet fur lequel
il parle , & qu'il a Tefprit plein de veritez conf-
tantes, de maximes mdùbitables, dont il peut
tirer des conféquences propres à décider la quef-
tîon qui eft agitée. Par exemple , un Théologien
raifonne bien, & perfuade lorfqu'il tire des fain-
tes Ec-ritures, des Pères, des Conciles, 8t de la"
Tradition , les témoignages propres pour faire voir-
qçie fon fentiment a toujours été celui de l'Eglife. •
Q5 G H A-
370 La Rhetohiciue, ou l'Art
iChapitre III.
Des lieux communs d^où Von peut tirer des freuva
générales.
ON ne fe remplit refprit de veritez cenaines
fur les matières qu'on eft obligé de traiter
que par de fericufes méditations , & par de lon-
gues études , dont peu de gens font capables. La
fcience eft un fruit environné d'épines , qui éloi-
gne de lui prefque tous les hommes. Ainfi s'il
n'étoit permis de parler que- de ce que Ton fait,
la plupart de ceux mêmes qui font métier de ha-
ranguer, feroîent . obligez de fe taire. Pour re-
médier à une neceflité qui feroit fi facheufe à
plufieurs Déclamateurs , on a trouvé des moyens
courts & faciles de difcourir fur des fujets entiè-
rement inconnus. On diflribue ces moyens en cer-
taines clailcs qu'on appelle lieux communs , parce
qu'ils font expofez au public , & que chacun y peut
prendre librement des preuves, pour prouver avec
abondance tout ce qui lui fera contefté , quoiqu'il
ignore d'ailleurs la matière fur laquelle il difpute.
Les Logiciens parlent de ces lieux communs dans
la partie de la Logique qu'ils appellent la Topique,
J'expliquerai en peu de paroles l'artifice de ces
lieux. Enfuite nous verrons quel jugement on en
doit faire.
Les lieux communs ne contiennent proprement
que des avis généraux , qui font reffouvenir ceux
qui les confultent, de toutes les faces par lefquelles
on peut confiderer un fujet : ce qui peut être
utile , parce qu'envifageant une matière de tous
cotez , on trouve fans doute avec plus de facili-
te tout ce que Ton en peut dire. On peut re-
gar-
»I FARLER. LiV. V. Cbap. JJh 371'
garder une chofe par cent endroits differcns : ce-
pendant il a plû aux Auteurs de la Topique de n'é-
tablir que feize lieux communs.
Le premier de ces lieux eft \t Genre; c*eft-à-di-
re , qu'il faut confiderer dans un fujet ce qu'il a
de commun avec tous les autres fujets femblables.
Si on parle de faire la guerre contre le Turc , on
pourra confiderer la guerre en gênerai, & tirer des
preuves de cette généralité.
L c fécond lieu eft appelle Différence , il faut exa-
miner ce qu'une queftion a de particulier .
Le troifiême eft la Définition ; c*eft-à-dirc , qu'il
faut confiderer toute la nature du fujet. Le dif-
cours qui exprime la nature d'une chofe, eft la dé-
finition de cette chofe.
Le quatrième lieu çft /e Dénombrement des par^
tiesy que le fujet que l'on traite contient.
Le cinquième, fEtymologie du nom du fujet.
Le fixicme, les Conjuguez^ qui font les noms
qui ont liaifon avec le nom du fujet, comme ce
nom , amour y a liaifon avec tous ces autres noms /
aimer, aimant y amitié y aimable y ami y &c.
On peut confiderer que les chofes dont il eft
queftion , ont quelque reffemblance , ou diffem-
blance. Ces deux confiderations font le feptïéme
ôcle huitième lieu.
On peut faire quelque comparaifon, & dans cet-
te comparailbn remarquer toutes les chofes auf-
quelles le fujet dont o» parle eft oppofé : Cette
comparaifon & cette oppojttion, font le neuvième &
le dixième lieu.
L'onziénie heu eft la Répugnance; c*eft-à-dire,
qu'en examinant une chofe, il faut prendre garde
à celles qui lui répugnent , pour découvrir les
preuves que cette vûë peut fournir.
Il &}. très-important de confiderer toutes les
circonjiances de la matie/e propoféc. Or, ces
Q 6 cir-
^7^ La Rhetoriqui, ou l*Akt
circonftances ont ou précédé, ou accompagné , oh
fuivi la diofe dont il cil queftion : ainfi ces cir-
conftances font diftribuécs en trois lieux , qui font
le douzième, le treizième, & le quatorzième lieu.
Toutes les circonftances qui peuvent accoilipagner
une adlion., font comprifes dans ce vers Latin.
Quhf.quidy ubt y. quitus auxiiiisy.'curt quornodo-x
quando,
Ceft-à-dire qu'il faut examiner quel efirauteui
deTacftionj quelle eft cette aélion; où elle s'eit
faite ; par quels, moiens y pourquoi,. comment,
quand..
Le quinzième lieu eft l'Effet; îefeiziémc, h
Caufe ; c'eft-à dire , qu'il faut avoir égard aux
effets dont la chofe que vous traitet , peut êtro
la caufe , & aux chof^ dont elle-même eft: Tef-
fct.
Ces lieux communs fourniflent fans doute- une
ample matière de difcourir. Ces confiderations dif-
férentes font que l'on apperçoit plulieurs preuves i
& cette méthode^ pourroit rendre féconds les efprits
les plusfteriles. Je n'examine pas à prefcnt fi cet-
te fécondité eft loUable ou inutile. Selon cette.
méthode , fi on parle contre un parricide , oa
s'étend fur le parricide en général , & on rappor-
te ce qui eft. commun à l'accufé, & à tous leS'
autres parricides : ôc après on defccnd aux cir-
conftances du parricide : on en reprefcntc la noir-
ceur d'une manière étendue , par des défini-
tions, par des defcriptions, par des dénomhre-
mens. Quelquefois l'Etyniologie du nom delà-
chofe. fur laquelle on. parle, ôc les autres noms,
qui ont liaifon avec celui-là, donnent fujet dc.
parler, & font trouver de bonnes preuves. On
peut difcourir long-temps de l'obligation. que les.
Chré-
9t FAR t EU. Lh, V. Ctaf. IK jjy.
Chrétiens ont de bien vivre , en les faifant refibu-
vcnir du nom qu'ils portent.
Les grands difcours font groffis par les fiimïh'
tildes» les diflimilitudes , les comparaifons , qui
fervent à éclaircir june difficulté , & mettre une
venté obfcure dans^ un grand jour. £n un mot ,
quand on veut circonllancicr ime aéUon, rap*.
porter ce qui Ta précédé, & ce qui s'en eft en*
îuivi, les circonftances qui Tont accompagnée,
ce qui Ta caufé , ce qu'elle a produit : on lailTe^
roit plutôt Tes Auditeurs, qu'onnemanqueroitdo
matière..
G H A P I T R F. IV.
Dis Rettx proprts à certains fujets tt où je peuvent ti*
r^r des preuves»
C Es- lieux dont nous venons de parler, font-
appeliez communs , parce qu'ils foumiflent
des preuves pour toutes les caufes : il y a d'autres*
lieux qui font propres à certains fujets. Avant*
que de parler de ceux ci, il faut confiderer qu'il-
]f a deux fortes de queilions : la première s'ap-
pelle Thcfe; la féconde Hypothefe. Thefe, c'eft;
Une queîlion qui n'eft point déterminée par au-
orne circonflance , foit du lieu, foit du temps,
fcit de la perfonne^ comme fi on doit faire la-
guerre. Hypothefe , c'eft une queftion finie ôc
Cârconftanciee , comme eft celle-ci , s'il faut fai-
ïc la. guerre avec le Turc en Hongrie cette an-
née, &c. Or, toutes ces queftions fe peuvent rap-
porter à trois genres. Car l'on délibère fi on doit
feire une adHon , ou l'on examine quel juge-
ïnent on doit faire de cette aélion , ou on lotie ^.
!Qu.on blâme cette aétion. Le premier genre
Q 7 s'ap-
3^74 La RHEToniQUBr ov l'Akt
s'appelle Délibéra f if : le |fecond genre Jué/iciaîrer
le troifiéme genre Demon/h-atif, Chacun de ces
genres a fcs lieux propres, c'eft-à-dirc, comme
nous avons dit pour chacun de ces genres, on
donne de certains avis : comme pour le Déli"
beratif , félon qu'on voudra confeillcr d'entre-
prendre une adion ou de la quitter, il faut foi-
re voir quelle eft utile ou inutile ; néceflaire ,.
ou qu'elle ne l'cft pas j qu elle eft poflîble ou im-
polTible; que l'événement en fera avantageux,, ou
fâcheux : que l'entreprife eft jufte ouinjufte.
Une queftion dans le genre judiciaire peut être
confiderëe en l'un de ces trois états. Ou l'on ne con-
noît pas l'auteur de l'adlion qui fait le fujet dudif-
cours : 6c pour lors , parce que l'on tâche de dé-
couvrir cet auteur par des conjeâ:ures; cet état eft
appelle état de conjeSiures, Si l'Auteur eft connu ,
on examine qu elle eft la nature de Tacflion : par
exemple, un voleur a pris dans un Temple les cof-
fres qu'un particulier y avoir mis en dépôt , on exa-
mine fi cette aélion doit être appellée oufacrilege,
ou un fimple vol : on cherche la défioition de ce
crime : ainfi cet état s'appelle l'état dt la définition.
Le troifiéme état eft appelle Yétiideia qualité yjttX"
ce qu'on examine la qualité de Tadion, fi elle eft
jufte, ou injufte.
Pour le premier état , il faut confîderer fi celui
qu'on foupçonne a voulu faire une telle adlion,
s'il l'a pu, & fi on en a quelque marque. On
confidcrc qiielle eft fa volonté, en confiderants'il
avoit quelque intérêt à commettre cette adion; fa
puilTance, parla coniideration de fa force, de les
moicns. On r^connoît s'il eft efl edivem en t auteur
de radiv-n propofée, parles circonflanccs de cette
aéfion, comme s'il a été trouvé fcul dr.ns le lieu
où elle s'eîl f-iite^ fi avant ou après ceitcf .idion
il a fait ou dit quelque chofe qui le puiifc faire
foup-
DE PARtlR. Lîv. V, Cbap. IK 57^
foupçonner raifonnablement. Pour le fécond état^
il fauc Amplement conliderer la nature de cette
action. Tout ce qu on en peut dire , dépend de-Ia:
connoiflance particulière que Ton en a. Pour le
troifiéme état, on confulte la raifo"*!, lesloir, la
coutume, les préjugez, les conventions , l'équité.
Dans le genre Démonftratif, pour loUer ou blâ-
mer, il faut rapporter le bien ou le mal. 11 y a trois
fortes de biens dans l'homme; les |uns regardent le
corps , les autres Tefprit , les autres dépendent de
la fortune. Les biens du corps font , line patrie
glorieufe, une naiflance noble , une bonne éduca-
tion , lafanté, la force, la beauté. Les biens de l'ef-
prit font, les vertus, la fageffe, la prudcncc;, la
fcience, & les autres vertus & bonnes qualitez. Les^
biens de la fortune font, les richeffes , les dignitez,,
les charges , &c. Remarquez que dans ces dénonir-
bremens je rapporte les fentimens des autres.
Tous les lieux propres & communs à chacun des
trois genres dont nous avons parlé, font appeliez
intérieurs ou intrinfeques , pour 'les dillinguer de
ceux qu'on nomme extérieurs ou extrinfeques, qui
font quatre 5 fçavoir, lesloix, les témoignages , les
tranfadlions , les réponfes de ceux que l'on met à
la torture. L'Orateur n'a pas befoin de chercher ces
preuves; celui qui donne une caufe à plaider, met
entre les mains de fon Avocat Tes pièces , fes con-
trats , fes tranCadiops ; produit les dépoiitions des-
témoins , & les ré^ionfes de ceux qui ont étéappli--
quez à la torture.
Cha-
3f7<5 La Rhetoriqj/e, ov l'Akt
Chapitre V.
Reflexhit fur cette Méthode des Heuxi
Voilà en peu de paroles quel eft Tart de trou-
ver des argumens fur toutes fortes de ma-
tières , que les Rhéteurs ont coutume d'enfeigner,
& qui fait la plus grande partie de leur Rhétorique,
Cen: à vous a juger de l'utilité de cette méthode.
Lé refpeél que j'ai pour les Auteurs qui Tont louée,
m'a obligé a en faire un abrégé , & de vous en fai-
re connoître le fond. On ne peut douter quclcs
avis qu'elle donne, n'àyent quelque utilité : ils
font prendre gardée plufieurs chofes dont on peut
tirer des argumens; ils montrent comme Ton peut
tourner un fujet de tous côtex , & l'envifager par
toutes fes faces. Ainfi ceux qui entendent bien la
Topique , peuvent trouver beaucoup de matière
pourîgroffir leur difcours : il n'y a rien de fterilc
pour eux ; ils* peuvent parler fur tout ce qui fc pre-
fente autant de temps qu'ils le voudront, comme
nous l'avons dit.
Ceux qui méprifent la Topique , ne conteftent
point fa fécondité. Ils demeurent d'accord qu'elle
fournit une infinité de chofes; mais ils foûtiennent
que cette fécondité eft mauvaife, que ces cho-
fes font triviales , & que par conséquent la To-
pique ne fournit que ce qu'il ne faudroit pas dire.
Si un Orateur, difent-ils, connoit à fond le fujet
qu'il traite, s'il ell plein de maximes incontelta-
hles , par lefquclles il peut refoudre toutes les diffi-
cultez qui s'élèvent fur ce fujet; Ç\ c'cft unequef--
tion de Théologie , & qu'il foit Théologien ; par
la connoiflance qu'il a des Pères , des Conciles ,
des faintes Ecritures,. il appercevra d'abord fi le
dogv
9E PAKLER. LhuV. CbapW. }77
d'ogme qu'on a propofé cft Hérétique ou Catho-
lique. Il ne fera pas neceffaixc qu'il confulte la
Topique , qu'il aille de porte en porte frapper
à chacun des lieux communs , où il ne pourroit
trouver les connoiflauces neceflaires pour décider
la queftion prefente. Si un Orateur ignore le fond
de la matière qu'il traite ,. il ne peut atteindre que
la fur face des chofes, il ne touchera point le nœud
de l'affaire; de forte qu'après avoir parlé long-
temps, fon adverfairc aura fujet de lui dire ce que
difoit faint Augullinà celui contre qui ilécrivoit:
Laiflez ces lieux communs qui ne difcntrien, di-
tes quelque chofe, oppofez des raifons à nos rai-
fons , & venant au point de la difficulté , établif-
fèz votre caufe , & tâchez de renverfer les fohdc-
mens far lefquels je m'appuie. Separatis locorum
cêmmunium nugis^ res cum rf , ratio cum ratimi^^
CMufa cum cttuja conpgat.
Si on veut dire en favçur des Heux communs^
qu'à la vérité ils n'enfeignent pas tout ce qu'il fout
Are, mais qu'ils aident à trouver une infinité de
raifons qui ie fortifient les unesles autres: ceux qui
prétendent qu'ils font inutiles » répondent , &. je
fcroisbien de leur avis, quepourpcrfuaderiln'cft
befoin que d'une feule preuve qui foit forte &.
folide, & que l'éloquence confifte à étendre cette
preuve, & la mettre en fon jour, afin qu'elle foit
apperçûë. Car enfin , il le fout avouer , les preu-
ves font foibles qui font communes aux accufez,
& à ceux quiaccufent, dont on fe peut fervir pour
détruire & pour établir. Or ,. celles qui fe tirent
des lieux communs font de cette nature : ce font
de mauvaifes herbes qui étouffent k bonne fc-
mence.
Cet Art efl donc dangereux pour les pcrfonnes
qui n'ont qu'un petit favoir, parce qu'ils le conten-
tent de ces preuves qui fe trouvent fedlcment ,
378 La Rhetoriq^ue, oit l'Art
& qu'ils ne prennent pas la peine d*cn cherchai
d'autres qui foient plus folide?. Un homme d'dl
prit , en parlant de cette méthode que Raimonil
Luile a traitée d'une manière particulière , dit quel
c'efl un Art qui apprend à difcOurir fans jugemcnlj
des chofes qu'on ne fait point , ce qui eft un dé-
faut indigne d'un homme raifonnable. J'aimerois'
mieux, ditCiceron, êtrefage, & ne pouvoir par-
ler , que d'être parleur & être impertinent. Mal-
le?» indifertam fapientîam , quàm Jiultittûtn /#•
quacem. Ajoutez que dans toutes fortes rde dif-
cours il faut abfolument retrancher tout ce qui
ne peut fcrvir à la refolution de la difficulté.
Après un tel retranchement, je crois qu'il ref-
teroit peu de chofes que la Topique auroit four-
nies.
Chapitre VI.
Il ny a que la Vérité , ou l'apparence de la Vérité gui
(erfuade*
i
E ne font point les feules paroles , ni Tabon-
'dance des chofes qui perfuadent; c'efl pour-
quoi , tout ce qui fe tire des lieux communs ne
peut être utile qu'aux jeunes gens, quin'étantpas
capables de trouver des raifons folides , connues
feulement de ceux qui ont étudié à fond les ma-
tières , ont befoin de ce fecours pour pouvoir faire
leurs déclamations de Collège. C'cft pour cela
que les Maîtres qui fe ferviront de cet ouvrage ^
pourront traiter cette méthode des lieux avec plus
d'étendue , donnant fur chacun des exemples qui
fe trouvent dans plufieurs Livres de Rhétorique.
Il y en a de beaux : car quoique les grands .Ora-
teurs ne s'amufent pas à confulter les hcux com-
muns,
c
BE PARLE n. Liv.V. Chap. VI, 379
miins, cependant on peut rapporter tout ce qu'ils
dilent à quelqu*un de ces lieux communs. Ciceron
n étoit point allé frapper à la porte du douzième ,
du treizième & du quatorzième lieu, lorfquepour
faire voir que Rofcius n'avoit pas été capable de
commettre les crimes effroyables dont onl'accufoit,
il dit : Qua in re pratsreo illud , quod mibi ma-
x'imo avgumento ad hujus innocentiam poterat ejjè ,
in rujîicis moribus , in vi^u arido , in bac borrida
incuhaque vita illiufmodi maieficia gigni non
Jolcre. Ut non omnem frugem , neque arborem
in oimii agro reperire pojjis : Jtc non omne faciKus
in vmni vit a nafcitur. In urbe iuxuries crcn^
fur : ex /uxuria exiftat avaritia neceffe eft } ex
avaritia erumpat audacia : inde omni^ fcelera , ac
maieficia gignuntur. Vita autem rujîica qua?n & /?-
£rejhm vocas , par/tmeni£ , diiigenti£ , jujlitia ma*
giftra eft, Ciceron dans ce lieu preffc Taccufa-
teur de Rofcius . & fait voir par toutes les cir-
conilanccs poffibles, qu'il n*a point tué fon propre
père , comme on Ten accufoit.
On trouve affez de ces exemples dans les Rhé-
toriques ordinaires. Je crois devoir m'appliquer à
des chofes plus utiles. Ce que je vais dire dans ce
Chapitre, appartient à la Logique 5 maisjenepuis
xne difpenfcr de le rapporter, parce que c^^ eft
neceflaire pour découvrir les fondemens de l'Art
que j'entreprens d'expliquer.
L'homme eft fait pour connoître. Nous ne
pourrrions vivre , ni arriver à notre fin , qui eft la fé-
licité, fi nous étions fans connoiffance* Il eft pa-
reillement nccelTaire que nous puiflions connoître
les chofes comme elles font, ^ que nous ne nous
trompions pas. La capacité que nous avons de fa-
voir, nous feroit defavantageufe fi nous n'avions
aucun moyen de diilingucr la vérité d*avec lafauf-
feté. On peut biem concevoir q^ue Thomme ufe
mal-
3S0 La Rhetorxqjdi, ou i*Akt
mal de fes facilitez ; mais on ne peut pas penfér
que la nature dont Dieu eft rAuteur, (oit d'eII^
même mauvaife: toutes les inclinations vraymcnt
naturelles font donc bonnes» & nousnepouvom
manquer en les fuivant. Voilà un principe dontfl
faut voir les confequences » par rapport à ce qoe
nous cherchons.
L'expérience fait connoître qu'il 7 a des ooo*
noiffances claires, aufquelles nous nous lentoi»
comme forcez deconfentir. Je ne puis point doB-
ter que jen'exille, que je n'aye un corps, qu*!»
& deux ne foient pas trois. Âinfi toutes lesfiÉ
que je fentirai que ma nature m'oblige deconfor
tir à ce q^ui m'eft propofé avec une pareille d» \
té, c*eft-a-dire que je me trouve eg^emcotc^.
gagé de confentir , je puis croire que je ncfli
trompe pas. Car fi je me trompois» ce fcroitir
nature qui me tromperoit, puifque ce feroitifc
qui m'engageroit dans Terreur. Nousn'avoitf»
cun lieu de nous défier de la bonté de celui qoinoè
a fait; ainfî nous devons être certains que les dO'
fes font comme nous les connoiflbns, lori^
notre connoiflance eft fi évidente que nous ne jo*
vons pas fufpendre notre confentcmcnt. Lrarf
eft donc le caradere de 'la Vérité, ccft-à-<liiti
que toute connoiflance évidente eft conformctk
chofe qui eft connue , & par confequent qu'dka
▼raye: la vérité eft un rapport de confomiirfî.
c'eft ainfi quelle perfuade. Comme nous Ib»
mes tellement faits que la volonté fuit le Itoi
& que c'eft par le plaifir que nous fentons , qucDfl*
defirons le bien , l'efprit fuit de même la TcriÉ
& il eft attiré par la clarté, comme la volfl*
Feft par le plaifir; c*eft lui oui nous fait agiTi'i
ce qui nous perfuade , c'eft la vérité.
Mais outre que l'homme étant libre, il peut*
tourner fon efprit de laconfiderationd'uncTcriif»
k
DH PARIER. Lh.V, Cit. VL 381
& par confequent empêcher que la clarté ne le
perfuade; il peut ,fans bien écouter la nature , don-
ner fon confentement , comme il peut aimer une
chofe avant que d'avoir reconnu certainement
qu'elle eft capable de lui procurer un véritable
plaifir. L'apparence du bien trompe & engage :
la feule apparence de la vérité éblouît pareille-
ment. On ne fe veut pas donner la peine d'écouter
la nature , de fonder fes inclinations véritables.
D'abord on confent , fans examiner fi elle nous y
oblige : ce qu'il fàudroit faire ^owx éviter l'erreur,
comme pour juger fans erreur fi le fucre eft doux,
on le met fur la langue , on le goûte , on fait at-
tention à ce qu'on fent, ou à ce que la nature nous
fait fentir. Le peuple qui ne raifonne point, eft
fujet à cette erreur. Ce n'eft prefque jamais la vé-
rité qui le perfuade, ce n'eft que la vrai-femblance
qui le déternîine , de la même manière qu'il ne
cherche que les biens apparens, & qu'il les préfère
aux biens réels & folides.
Il n'eft pas inutile à un Orateur qui doit s'accom-
moder à la foibleffe de fes Auditeurs, de confidcrer
en quoi confifte cette vrai-femblance qui perfua-
de le peuple , puifque pour le perfuader ce n'eft
pas aflei de lui propofer la vérité. 11 n'arrive que
trop fouvent qu'il n'eft pas capable de Tapperce-
Toir. Il n'a que les yeux du corps ouverts ; & il fe-
roit neceflaire qu'il ouvrît les yeuxdcTefprit. Ar-
rêtons-nous un peu ici.
Nous expérimentons que nousfommestriftesou
joyeux , félon que notre confcience nous rend té-
moignage que nous nous fommes tromper, ou que
nous fommes exempts d'erreur. Un nomme qui
fent que fa caufe ne vaut rien , eft abattu. S'il fe
fent coupable , il eft trifte. Au contraire il parle
avec confiance quand il a pris le bon parti. Il eft
gai, il ofe attaquer les ennemis, & û les infulte.
- Voilà
3S1 La Rhitoriqjui, ou l'Art
Voilà ce qui arrive ordinairement ^uand on fuitl
la nature, & qu'on ne combat pas les fcntimens.
Ceft pourquoi , pour peffuader le peuple qu'on dit
vrai , il fufnt de parler avec un difcours encore
plus hardi que fon advcrfaire ; il n*y a qu a crier
plus fort, &lui dire plus d'injures qu'il n'en dit
)as, fe plaindre de lui plus aigrement , propofcr
out ce que l'on avance comme des oracles , fe nil- 1
er de fes raifons comme fi elles étoient ridicules,
pleurer s'il en eft befoin , comme fi on avoit une
véritable douleur que la vérité qu'on défend fut
attaquée & obfcurcie. Ce font la les apparences
de la Vérité. Le peuple ne voit gueres que ces ap-
parences , & ce font elles qui le perfuadent.
Les Déclamateurs n'étudient guère que cette vrai-
femblance; & c'eft là leur différence d'avec un vé-
ritable Orateur qui aime la vérité. Comme le peu-
i>lc n'examine point, qu'il juge par la couleur fous
aqueUe paroi fient les chofes , le Dédamateur ne
penfe qu'à donner cette couleur qui trompe. Le
véritable Orateur inftruit , il aide fon Auditeur à
découvrir la Vérité. Il ne néglige pas de fe fervir
de tout ce qui peut toucher le peuple; &c'eflpour
cela qu'il allègue quelquefois des raifons foibles en
elles-mêmes , mais qui font fortes par rapport à
ceux à qui il parle, parce qu'elles s'accommodent
avec leurs prqugez. Néanmoins la principale ap-
plication eft de prouver folidement la vérité, de
la bien mettre en fon jour: nous allons voir com-
ment cela fe peut faire.
ChA"
DE ? A R L E R. I/V. V, Cbap, VIL 3Ç3
Chapithe VII.
Comment on peut trouver la Vérité , la fatn
connottre y & découvrir l'Erreur,
'Eloquence feroit pcrnicieufe fi- elle n'avoit pour
fa fin que de tromperie peuple. Elle ne reuffi-
roit pas même li elle ne fa voit que tromper ; car
enfin, on ne fe laiflc guère tromper deux fois de
fuite. Un Sophifte n'eft eftimé que peu de temps:
aufîi-tôt que l'art dont il s'eft fervi ell connu , on
le méprife. Puifqu*il s'agit donc de perfuader, &
non pas de tromper , qu'il n'y a que la vérité qui
perfuade pour toujours , il fout voir comment on
la peut trouver , & la foire connoître.
On peut dire en un mottoutccquieftncccffaire
pour cela. Nous avons propofé le principe fur
lequel nous pouvons être aflurez que nous ne nous
trompons pas. Lorfque la clarté d'une propofition
nous paroît fi évidente qu'il n'eft pas en nôtre
pouvoir de fufpendre notre confentement , que nous
nous (entons comme forcez d'acquicfcer, nous n'a-
vons point fujet de craindre de nous tromper. Nous
avons dit qu'alors c'eft la nature qui nous fait
agir. Tout ce qu'elle fait eft bien foit: elle a Dieu
pour Auteur, qui ne peut tromper ni être trompé.
Nous ne devons point craindre Terreur pendant
que nous ne fuivrons que les inclinations qu'il nous
donne ; mais il faut bien diftinguer la voix de la
nature d'avec ce que nous difcnt nos pallions & nos
préventions. Nous allons quelquefois trop vîte ;
nous donnons d'abord notre confentement avant
que d'avoir bien confultéla nature; Nous ne nous
tromperons pas en la fuivant : mais il ne la fout pas
prévenir, il fout marcher après elle.
Voilà
\
384 La Rhbtork^b, ou t'Aur
Yoilà donc en peu de mots tout ce qu'il fautfâi-
TC pour ne fe pas tromper. Comme les Oratems
ont plus fouvent à combattre PErreur qu'à établir
la Vérité , ils doivent examiner en détail tout ce
que leurs adverfaires ont avancé comme indubita-
ble, pour reconnoître fi elFeétivement la vérité ea
c(l fi claire , qu'on ne puiflc s'empêcher d'y con-
fcntir, & que ce foit parler contre ce qu'on fent,
que de la contredire. Si on découvre au contraire
qu'ils fe font trompez, il faut rendre fenfible leur
erreur. Je fuppofc qu'ils ne trompent que parce
qu'ils font trompez. Voions ce que doit faire un
Orateur: mais auparavant faifons cette remarque,
que pcrfonne ne peut être convaincu entièrement
que de ce qui eft vrai , ou de ce qu'il croit vérita-
ble, & que ceux qui fe trompent, croyent voir la
vérité auffi-bien que ceux qui ne fe trompent pas:
ils font prêts de foûtenir avec une égale fermeté leurs
fcntimens. Or , qu'eft-ce que voit celui qui fe
trompe, croyant voir la vérité qu^il ne voit pas?
Car enfin, il voit quelque chofe , fans cela ilfe
rendroit. Je répons en premier lieu , qu'on ne
voit rien clairement que ce qui eft vrai. Que voit
donc celui qui fe trompe? C*eft une confequencc
qui fuit clairement d'un principe qu'il n'a point
examiné , & qui eft faux. Il n'envifage que cette
confequence qui eft vraie , fuppofé le principe le-
quel il ne conudere point. Un exemple éclaircira
cette importante remarque. Allant par la Ville,
j*ai vu un homme habillé comme Merius , & defa
taille. D'abord , fans aucune autre refiçxion , j'ai
conclu que c*étoit Metius; j'ai ainfi fuppofé que je
l'ai vu : venant enfuite à parler de lui , on dit qu'il
eft à la campagne , moi je foutiens qu'il efî à la
-Ville. Je ne confidere que cette confequence qui eft
claire. Je l'ai vu en Ville, donc il y cil; &c'eft ce
qui me rend opiniâtre : car je ccdcrois fi j'exa-
minois
Dl PARLER. Lh. V. Ciétp.VIL 38^'
minois bien le principe dont je tire cette confe-
quencc, faifant reflexion que deux perfonn es peu-
vent être habillées de même manière , £c avoir beau-
coup de rapport pour la taille, & qu*efFcétivement
je n'ai vu autre chofe quun homme fait comme
Metius que je n'ai point vûauvifage. Cet exem-
ple dit beaucoup. Avec un peu d'attention il fera
facile de reconnoître l'erreur de ceux qui ne
conteftent que parce qu'ils n'apperçoivcnt pas ce qui
les trompe Ceft toujours, comme nousTavon»^
dit , l'aj^arencc de la venté oui féduit. Ainfi l'ap-
plication d'un Orateur doit être d'examiner ce qui
-a pÛ tromper ceux qu'il veut defabufer, c*eft-à-
dire de quels principes ils tirent leurs confequenccs :
s'ils ont fuppofé ces principes pour vrais fans en ^
être convaincus, ou s'ils ont tiré de fauffesconfe-
quences. Il n'y a rien qui perfuade mieux ceux dont
on combat les fentimens, que de démêler ainfi les
chofes oviilsont raifon, d'avec celles où ils fetronjh
pent; de leur accorder ce qui eft vrai, & de leur
faire voir ce qui efl faux & ce <jui les aféduits.
Tout ceci demanderoit peut-être plus de détail,
mais cela appartient à la Logique, dont l'étude eft
abfolument neceflaire à un Orateur. Nous avons
dit qu'il faut connoître à fond les matières dont il
s'agk. Pour connoître une vérité inconnue , ou
pour la faire connoître , il la faut déduire de fcs
principes. Comme dans la* nature tout fe fait par
des loix (impies, & en petit nombre, auffi dans les
Sciences tout fe peut déduire d'un petit nombre de
veritez. Ceft a ceux qui traitent les Sciences par-
ticulières d'indiquer ces premières veritez, qui font
des fources fécondes d'où coulent toutes les autres
veritez. On fe trompe fi on croit qu'en lifantune
Rhétorique bien faite , on apprenm-a à difcourir
raifonnablement fur toute forte de matière.
R Cha-
i
.}86 La Rhetoriqjui, ou x-'Art
Chapitre VIII.
Vattention eft fiecejfaîre pour eonnoître U VerîU.
Comment on peut rendre attentif un Jlnditeur.
PArlant en général de ce qu'il faut faire pour
perfuader, je ne veux pas oublier une choie qui
«fl plus confîderable qu'on ne pcnfc , pruifque fans
elle les plus folides raifonnemens font inutiles 11
«'y a que ceux qui font fouvent reflexion fur notre
corruption , qui apperçoivent que la caufe de Tigno-
rance des hommes , & du peu d'effet des plus beaux
êc des plus forts difcours ne vient que du défaut
d'attention. 11 arrive à Tefprit ce qui arrive au corps.
Un corps malade & languiflant ne peut agir. Une
ame qui eil malade, eft fans a^on; fi elle travaille
à connoître la Vérité , aufli-tôt elle eft fatiguée. Les
corps qui font imprelTion fur elle , l'en détournent ;
eue ne la peut donc envifager fans combatre con-
tre fon corps; & dans l'état de langueur où le péché
l'a réduite , elle n'en eft prefque plus capable. On
aura peine à le croire ; cependant il n'y a rien de
plus vrai , que de mille perfonnes qui écoutent un
Prédicateur un peu fpintuel, il n'y en a peut-être
pas dix qui foient attentifs. Le fon de fes paroles
frappe bien les oreille's ; mais la vérité que fes pa-
roles expriment , eft peu apperçûë : elle n'cft à leur
égard que comme une image qui paiTe prompte-
ment devant leurs yeux. Nous l'expérimentons ; il
y a des veritez que nous avons entendues mille fois
fans en être touchez; & lorfque Dieu tourne vers
elles notre efprit, nous nous trouvons frappez, &
nous les voyons d'une manière fi particuhere, que
nous croyons ne les avoir jamais vues. Ce n'eft
que l'attention qui diftinguc les habiles gen&d'avec
^ les
DE PARLER, i/v. V.Cbap. VIIL 38^
les ignorans. Tout homme qui eft capable d'atten-
tion, eft en même temps capable de toutes les pla«
hautes Sciences ; rien n'eft difficile pour lui.
Ceft à quoi un Orateur doit prendrcgarde: au-
trement il parle à des rochers. Toutes les figures
de Rhétorique ne s*employent que pour cela. Les
Apoftrophes , les I nterrogations ne fc font que pour
réveiller les Auditeurs , & les tourner vers ce que
Ton veut qu'ils] confiderent. Interroger , c'eft com-
me tirer un homme parle manteau, pour lui faire
appercevoir ce qu'il ne voit pas. Les defcriptions ,
les Hypotypofes , les dénombremens reprefentcnt
fous différentes faces la venté qu'on veut perfua-
der, afin que fi elle n'eil pas vue fous une fiice,
on la voye fous une autre. Les Métaphores , les
^^legories en font des peintures fenfîbles qui frap-
pent les fens. Cela a été dit avec étendue dans le
fécond Livre; mais la chofe eft fî importante,
qu'on n'en peutaflez parler: c'eft de ce côté-là que
TOrateur doit tourner fon adrciTe.
Comme l'ame eft faite pour la Vérité , qu'elle
a un defir ardent de favoir , aufïi-tôt qu'elle ap-
' perçoit quelque chofe qu'elle n'a point vue, ôcqui
'la frappe d'une manière extraordinaire, elle a de
la curiofîté , elle la veut connoître. Ainfî pour
rendre l'ame attentive, c'eft-à-dire, pour lui don-
ner de la curiofité , il n'eft queftion que de trouver
- des-tours ingénieux, qui donnent un air extraordi-
naire à ce qu'on veut faire confiderer. La nouveau-
té attire: qu'un homme vêtu en étranger pafle
par une rue , il fe fera regarder de tout le monde.
Vitruve rapporte qu'un fameux Architeéle n'ayant
-pu obtenir audience d'Alexandre le Grand pour
lui propoferle deffein d'un grand ouvrage; comme
on le rebutoit, & qu'on lelaiffoit parmi la foule
du peuple, à qui on ne donnoit pas la liberté d'ap-
procher du Prince, il s'ayifa de paroître nud à la
"^R a por-
- «.j
3S8 La RuïrouiauE, o« t'AnT
porte du Palais, couvert de feuilles. Alexandre
l'ayant apperçû dans cet habillement extraordi-
naire, eut la curiofité de lui demander ce qu'il étoit,
& pourquoi il paroiifoit dans cet état. Ce qui lui
donna Toccafion de propofer fondeflcin, ce qu'il
n'avoit pas pu faire auparavant. Quand on a trouvé
la Vérité , pour en perfuader les autres , il ne s'agit
que d'infoirer un dcfu: véritable de la connoître, en
la proposant d'une manière qui la fafTc regarder.
Lorfquon lit les Orateurs, il faut remarquer Ta-
drefle dont ils fe fervent pour fe faire écouter. Les
{)receptes fervent peu de chofe , fi l'on n'obfervc
'ulage qu'en ont fait les grands Maîtres.
Il ne fera pas néanmoins inutile de faire ces
deux reflexions, aufquelles fe peut réduire Fart,
s'il y en a un, de rendre attentifs ceux à qui on
parle. Confiderons donc , i. Que les hommes dc-
firant fa voir , & ce defir ayant pour fin un objet
infini , il fout que la chofe dont on promet de
parler, foit grande, ou paroiffe grande; car fi on
connoiffoit qu'elle eft petite , on la négûgeroit.
1. De ce que l'objet de notre curiofité naturel-
le eft une diofe infinie , je conclus encore que
le grand fecret pour entretenir le feu de la curio-
fité, c'eft de ne point faire connoître entièrement
ce qu'on propofe, qu'après qu'on ne demande
plus d'aUention , n'ayant plus rien à dire. Jufqu'à
ce moment il faut nourrir la curiofité fans la
remphr, l'enflammant toujours, afin qu'elle foit
plus ardente. Car enfin , tout ce qu'on peut en-
seigner n'eft point ce que la nature fait defîrer.
Ainfi on fe dégoûte de ce qu'on a appris , & le
temps du plainr ne dure que pondant ces mo-
mens que ce qu'il entrevoit lui donne l'efperance
de connoître quelque chofe de nouveau &.decon:
fiderablc.
C'eft ce que les Foëtes favent fi bien prati-
quer.
»E PARLEiu Liv, V. Cbap.VllU 3^(>
quer. Voyez dans TEneide comme Virgile propofc
d'abord une hiltoirc fameufe d'un homme de
conlîderation , qui par Tordre des Deftins étoit ve-
nu en Italie y jetter les fondemens de TEmpire
Romain. Il ne Commence pas cette hiftoire par
la naiflance de fon Héros. Il le reprefente au mi-
lieu de la mer , battu de la tempête qu'une Déeffe
avoit excitée ; les Dieux prennent parti , les uns
font pour lui , les autres contre. Sa flotte eft dif-
fipée. Il fait naufrage , dont à peine il fe fauve ,
jette fur un bord étranger. Cela donne la curio-
fité de favoir qxiel étoit cetEnée, & comment un
fugitif comme lui , fi malheureux , pourroit enfin ,
arriver dans l'Italie, & y établir un puiflânt Empire,
A mefure qu'on lit l'Eneïde, on apprend ce qu'on
defire favoir;. mais il y a toujours quelque cir-
confiance qui éloigne le dénouement des diflScul-
tez qu'on voudroit voir éclaircics. La curiofîté eft
de plus en plus fatisfaite j mais jufqu'à la fin il
relie quelque chofe qu'on ignore, ce qui fait
qu'on Et avec ardeur ce Poëmc depuis les pre-
miers vers lufques aux derniers.
Je puis dire que c'eft en cela que confïfte un des
grands fecrets de l'éloquence; car pour perfuader,
il faut fe faire écouter. Or , quand un Orateur trou-
ve le moyen de donner de la curiofité pour ce qu'il
va dire, qu'il l'entretient, & que ce n'eft que
lorfqu'il ceffe de parler qu'elle eft parfaitement
contente, on peut dire qu'il a réuffi. Autre-
ment fon Auditeur s'ennuye. C'eft ce qu'il doit
le plus appréhender. La plus méchante qualité
d'un Orateur c'eft d'être ennuyeux. S'il ne plaît
pas , s'il dégoûte , de quelle utilité font fcs difcours ?
Fourquoi s'emprefle-t-il de parler?
Naturellement on eftime & oa prend plaifîr à
ce qui eft bien, fait , & répond à la fm qu'on s'y eft
propofé. On eftime le portrait d'une chofe mé-
^ 3 Rfi-
39^ La Rhetoriqub, ou l'Art
prifable en elle-même, s'il eft rcflemblant. Ainfî
quoiqu'après avoir lu TEneide , quand on le relit ,
on n'ignore plus toute rhiftoired'Ènécj cependant
on y prend encore plaifir, parce que fi ce n'eft
pas les nouvelles connoiflances qu'on acquiert qui
divertiflent , le Poète qui fait conduire fon ouvra-
ge , plaît par fon efprit. Ce n'eft pas feulement dans
le Poème Epiaue & dans les pièces de Théâtre ,
mais dans les plus petites pièces que cette conduite
reuffit. Quand im Auteur commence demanicit
qu'il fait attendre quelque chofe de rare , de nou-
veau, fans faire connoîtrecc qucc'eft , on fentfa
curiofitc émue. Il l'enveloppe , il la cache en même
temps qu'il la laifle entrevoir jpar quelque bd en-
droit j ce qui augmente le denrde la voir entière.
La difficulté où U jette leLeéleur, le rend plus at-
tentif ; Animusfit ettentior ex tTifficultate, Ainfî il
s'applique davantage; &c'eftce quilui fait trouver
bon ce qu'il lit, comme c'eftl'appetitqiii nous fait
trouver bon ce que nous mangeons. Ne pouvant
pas produire ici une pièce d'une longueur confide-
rable pour prouver ce que j'avance; en voici une
petite qui rervira d'exemple.
Elevé dans la vertu ,
Et malheureux avec elle 9
Je dîfois, A quoi fers-tu ».
Fauvre é* miferaîle Vertu t
Ta droiture et tout ton zèle.
Tout compté 9 tout rabattu»
Ne valent pas un fétu.
Mais Vivant que fon couronne
Aujourd'hui le grand Pompone ,
Aujji tôt je me fuis tû j
. A quelque chofe elle efl bonne.
Cha-
PE PARLiR. Liv, V. Cbdf. IX. 391
C H A P I T R 1 IX.
€e qui fait la dijfertnce de POrateur d'avec U Pbik^
Jo^he*
NO us pouvons ici décider une qucftionqui
fcrvira à réclairciflement de TArt de perfua-
dcr. On demande ce qui fait la différence de
l'Orateur d'avec le Philofophe : d'où vient que le
Philofophe peut convaincre , & qu'il ne perfuade
prefque jamais; au lieu qu'un excellent Orateur
ne manque point de faire l'un & l'autre. On peut
comprendre par ce que nous venons de dire, qu'il
n'y a que la Vérité qui puiflc convaincre & pcr-
fiiadcr; mais comme elle ne le peut faire qu'étant
connue, ce n'eft pas afTez de la propofer, fi on ,
ne trouve les maniérés de la foire appercevoir,& fl
ca même temps Ton n'ôte les préventions qui lui
font un obftacîe.
Le Philofophe fe contente de donner les prin-
cipes fur lelqucls il s'appuye. Il les expliç^ue en
peu de paroles , fuppofant que fon difciple eft
attentif, qu'il a de la curiolité pour l'écouter, de
l'empreflement pour être inftruit : qu'il ne veut
que voir la Vérité pour lafuivre : ainfi il ne cherche
aucun tour rare pour le tenir attentif. Il ne s'a*
vife point d'exciter en fon ame aucun mouvement
pour le porter vers la Vérité, &pour l'éloigner des
objets qui l'en détournent. EfFedlivement il ne feroit
prs neceffairedele faire fitousles hommes étoient
dans cette difpofition au regard de la Vérité , oh
ce Philofophe fuppofe qu'eft fon difciple : mais il
n'en eft pas ainfij les hommes ont peu de curio-
fité; le defir que Dieu nous a donné pour la Vérité
eft languiiTaot , il ne fe réveille que lorfqu'il fe
R 4 prc:
39X La RHEToitiQUE, ou l*Arx
prefente des objets extraordinaires. Nous arom
tous refprit fort diftrait , peu perçant; ainfiàmoins
qu'on ne s*accomm'ode à notre foiblcffe comme fait
l'Orateur pour nous faire voir la Vérité par tant
d'endroits qu'enfin nous Tappcrcevions , nous nch
concevrons jamais.
On voit donc pourquoi les Philofophes con-
vainquent bien, c'eft-à-dire, qu'ils obligent d'a-
vouer qu'on ne peut tenir contre ce qu'ils veulent
prouver , & que cependant on n'entre point dans
leurs fentimens. C'ell qu'on fent la force de leur
raifonnement fans le comprendre, & qu'on ne
fort point de l'état où l'on fc trouvoit avant que
de les avoir entendu parler. L'Orateur ne foume
point d'indiflferencc dans fon Auditeur; il le re-
mue en tant de manières, qu'enfin il trouve par
où il le pourra renverfer , & pouffer du côté où
U veut qu'il tombe. Perfonne ne peut refiàer à
la force de la Vérité. Les hommes l'aiment natu-
rellement; il eft impoflible qu'ils ne fe laiflfent ga-
gner quand ils la connoiffent avec tant d'évidence
qu'ils n'en peuvent douter , ni s'imaginer qu'elle
loit autre qu'elle leur paroît. Ainfi l'Orateur qui
a le talent de mettre la Vérité dans un; beau jour,
doit charmer, puifqu'il n'y a rien de plus charmant
que la Vérité , & elle doit triompher de la refif-
tance qu'on lui feifoit , puifqu'effedivement pour
être vi(ftorieufe , elle n'a qu à fe taire connoître.
Nous allons parler de ces manières qui font parti-
culières aux Orateurs.
C H A*
DB PAR Lia. L!v,K Chétp. X. 393
Chapitkb X.
Des manières de slnfinuer dans Pe/^rit de ceun à f[ui
fenparh.
SI les hommes aîmoient la Vttité plus que ce
qui flatte leurs paffions , & s*ils la chcrcnoient
fincerement , il ne feroit befoin pour la leur faire
recevoir , que de la leur propofer fîmplcment, &
fans art. Ils la haïflent, parce qu'elle ne s'ac-
commode pas avec leurs intérêts, & ils s'aveu-
glent volontairement pour ne la pas voir ; car ik
?aiment trop pour fe lailfer perfuader que ce qui
leur eft defagréable , foit vrai. Avant que de re-
cevoir une vérité, ils veulent être affurei qu'elle
ne fera point incommode. Ceft donc en vain
qu'on fe fert de fortes raifons quand on parle à
des perfonnes qui ire veulent pasles entendre, qui
perfccutent la Vérité ,& la' regardant comme leur
ennemie, ne veulent pas envifager fon éclat , de
crainte de reconnoître leur injuftice. On eft donc
contraint de traiter la plupart des hommes qu'on
veut délivrer de leurs faufles opinions , comme on
traite les phrenetiques , à qui on cache avec arti-
.fice les remèdes qu'on employé pour les guérir,
n faut propoferies veritez dont il eft necefTaire
qu'ils foient perfuadct , avec cette adrefle qu'elles
foient maîtrefles de leur cœur avant qu'ils les ayent
appcrçûës ; & comme s'ils étoient encore enfans , il
faut obtenir d'eux par de petites carefles, qu'ils
veuillent bien avaler la médecine qui eft utile à
leur fanté.
Les Orateurs qui font animez d'un véritable zè-
le, étudient toutes les manières poffibles de gagner
les hommes, pour les gagner à la Vérité, Une
R 5 me-
394 La Rhetoriqjji, ou l'Akt
merc parc fcs er.fons avec foin, & Tamour qu'el-
le a pour eux la porte à faire que toutes les autres
perfonnes les aiment avec la tendreffc qu'elle rcf-
fent. Si nous aimons donc finceremcnt la Vérité,
nous devons travaillera ce qu'elle foit aimée. Les
laints Pères de l'Eglife ont toujours tâché d'éviter
tout ce qui la pouvoit rendre odieufc. Lorfquc
J 1 $ u s-C H R I s T commença à prêcher ion
Evangile aux Juifs, qui étoient jaloux de la gloi-
re de la Loi de Moïfe , pour ne les pas choquer,
comme remarque faint Jean Chryfoftome, il té-
.moigna qu'il ne prétendoit pas renverfer cette
Loi ; mais au contraire qu'il éoit venu pour l'ac-
complir. Sans cela ils euflent bouché leurs oreil-
les pour ne le pas entendre , comme firent ceux
que par un juue jugement il ne daigna pas ga-
gner.
Nous avons dit que les anciens Maîtres font
confifter l'Art de perfuader dans la fcience de fai-
re ces trois chofes , infirmée , gagner , & émou-
voir : Dvcere , fitSître , ô* movert. J'ai rap-
porté les moyens que ces Maîtres ont découvert
pour trouver les chofes qui peuvent inftruirc &
éclaircir la matière fur laquelle on parle. Je fe-
rai ici quelques reflexions fur les moyens de s'in-
finuer danslles cœurs de ceux que l'on veut ga-
gner. Dans les . Rhétoriques ordinaires on ne
fait point ces reflexions : ainfî , quoique je n'ayc
pas eu deflein de traiter l'Art de penuader dans
toute fon étendue , j'en dirai plus que ceux qui
promettent de ne rien oubUer. Il eft vrai ope
la fcience de gagner les cœurs eft bien au dcflbs
de la portée d'un jeune écolier, pour lequel on
fait des Rhétoriques. Elle s'aquiert par aefubli-
mes fpcculations , par des reflexions Uir la nature
de nôtre efprit, fur les inclinations, fur les mou-
vcmcns de notre volonté. Ccft le fruit d*unclon-
guc
D B F AU t m. lirtr. V, Cbap. ' Xf, 395
guc expérience qu'on a fait delà manière que 1^
hommes agiflent , & qu'ils fe gouvernent. En un
mot , cette Icience ne fo peut enleigncr methodi-^
quementque dans la Morale,
Chapitre XI.
Quaihez requifes dans U perfinnt dt celui qui veuf
gagner ceux à qui ilfarhm
IL eit important que les Auditeurs ayent de
l'eftime pour celui qu'ils écoutent » & qu'il
paiTe dans leur efprit pour une perfonnefage. Un
Orateur doit donner des témoignages d'amitié à
ceux qu'il veut perfuader, & fiire paroîtreque
c'eft un zèle fîncere de leur intérêt qui le fait
parler. La modellie lui efl neceifaire» la fierté
& l'orgueil étant d'invincibles obihdesàlaperfua-
fion. Ainii il faut qu'on remarque ces quatre qua-
litez dans la perfonne d'un Orateur j de la probité,
de la prudence, de la bien-veillance , &delamo-
deftie; comme nous Talions faire voir plus au long.
Il eft confiant que l'eftime que l'on a de la
probité & de la prudence d'un Orateur, fait fou-
:vent une partie de fon éloquence, à laquelle on
• fe rend avant même que de fa voir ce qu'il doit
dire. C'eft fans doute l'effet d'une grande pré-
occupation : mais cette préoccupation n'dl pas
mauvaife , & on ne doit pas la confondre avec un
certain entêtement , par lequel on demeure atta-
ché à defauifes opinions fans aucune raifon. Ou-
tre que les paroles qui fortènt d'un cœur plein d'ar-
deur pour la Vérité, émbrafent le cœur de ceux
qui écoutent; il eft fort raifonnàble d'ajouter foi
à ce que dit un homfixe de bien 9 Se qu'on fait
R 6 ne-
)96 ^ La Rhetokkuje» ov l'âht
n'être point un trompeur. Ceft pourquoi ilcff
plus/avantageux à un Orateur que la vertu éclate,
que fa dodrine * Jn Oratare non tûm dicenâ
facuhns quàm hontfia %*ruendt ratio tkcut.
Le Chriftianifme oblige ceux qui font profef-
lion de pcrfuadcr les autres , de travailler à s'ac-
quérir de l'autorité dans Tefprit des peuples; &le
même Evangile qui commande à tout le monde
de ^r Téclat, les oblige de faire éclatter leurs
bonnes œuvres» avec cette intention que ceux
qu ils inftruifent , foicnt autant portez par leurs
exemples à embraiTer la vertu» que par leurs pa-
roles. S Je iuceat lux veftra coram bêm'mibus% ut
vii/eant optra x*ejîrn kona. Cette neceifilé a
porte quelquefois les ^\às modefles à fc donner
.des louanges, & à défendre leiu' réputation en
même temps que la patience ôcla douceur lespor-
toient à aimer les mjurcs dont on les chargeoir.
La bonne vie efl la marque que J e s u s-Chkiit
nous a donnée pour dillinguer les Prédicateurs deh
Vérité d'avec ceux queTEfprit d'erreur envoie pour
tromper les hommes.
On eft bien aife de fe décharger de la peine
d'examiner un raifonnement , & pour cela dcs'cn
fier à l'examen de ceux que Ton eftime, &dc
foûmcttre fon jugement aux lumières de ccta
en qui on voit briller une grande fagefle. \A%'
étoritati iredere magnum compentlium , ^ nuhs
labor. L'autorité d'un homme de bien, fagc.&
éclairé , eft à ceux qui fe défient de leurs lami^
res , ce qu'eft un appui à un malade. Peifonncnc
veut être trompé, peu fe peuvent défendre de l'er-
reur ; c'eft pourquoi l'on eft ravi de trouver une
perfonne fous l'autorité de laquelle on fe tienne
a couvert. Dans toutes les difputcs on voit q*
deux ou trois têtes, à qui leur fuffifancc a aq*
de
* QutntilUn. f S. Ju£u/fh,
IDE l»ARItR, Liv.K Châp,lfL •j<}f
de Teilime, partagent tout le monde, & que cha-
cun fe range du parti de celui qu'il croit être le
plus habile. Lorfqu*un Otateur n*a pu encore ga-
gner une grande autorité 5 il n'attirera jamais-dans
fcs fentimens qu'un très-petit nombre de perfon-
nes , parce que peu font capables d'apperccvoir la
fubtilité de fcs raifonnemens. S'il veut avoir la
multitude de fon côté , il faut qu il falTe voir qu'il
a pour lui ceux à l'autorité de qui elle a. coutume
de fe rendre, & dont elle fuit les fentimens avcu-p
glément.
Il n<Y ^ rien qui foit plus capable de gagner
les hommes, que les marques- d'amitié au'oii
leur donne. L*amitié donne toutes fortes die droits
fur la perfonnc aimée. On peut dire toutes chofes
à ceux qui font convaincus qu'on les aime : Ama ,
^ d'rc qu4id 'Vis, 11 faudroit que Tamour qu'on
a pour la Vérité fut bien defmterelfé pour vouloir la
recevoir lorfqu'elle vient de la bouche d'un en-
nemi. L'on ne peut pas s'imaginer qu'une per-
fonne ennemie veuille procurer un auflî grand bien
qu'eft la connoiflance de la Vérité. LesEpîtresdc
faint Paxd font pleines de marques d'affeélion &
de tendreife , qu'il faifbit paroître à ceux à qui il
ccrivoit; & jamais il r>e les reprend de leurs dé-
fauts , qu'après les avoir convaincus que c'étoit le
aele qu'il avoit pour leur falur, qui l'obligeoit de
les en avertir.
La quatrième qualité que je drois neceffaire \
tin Orateur, eil la modeftie. Souvent la relif-
tance que quelques-uns font à la Vérité, n'ell
caufée que par la fierté avec laquelle on veut extor-
quer de leur bouche un aveu de leur ignorance.
Pourquoi chicane-t-on dans les converfations ?
pourquoi cft-ce qu'on difpute fans vouloir demeu-
rer d accord des veritez les plus inconteftables ?
C'cft que les uns veulent triompher, ôc les autres
so-
398 La Rhétorique, ob l'Aet
s'opiniâtrcnt à ne pas céder, & à difputcruncviC'
toire , dont la perte leur paroît hontcufe. Ceux
qui font fages , laifTcnt refroidir la chaleur de
la difpute , & lailfent paffer le temps de l'opi-
niâtreté. Ils cachent tellement leur triomphe, qoc
les vaincus ne s'apperçoivent pas de leur défaite; &
qu'ils ne fe connderent pas tant comme vaincus,
que vidorieux de l'erreur où ils étoicnt engagez.
Non de adverjario viéioriam , Jed contra mendêàm
quécremus veritatem , difoit faint Jérôme écrivaitt
contre les Felagiens.
Un fage Orateur ne doit jamais parler de foi
avantageufcment. 11 n'y a rien qui foitpluscapir
Wc d'éloigner de lui l'efprit de fes Auditeurs,
& de leur infpirer des fentimens d'averfion ôcde
haine; que cette vanité que font paroître ceux
qui fe vantent. La gloire eft un bien oiichacim
prétend avoir droit. On ne peut fouffiîr qu'un
particulier fe l'approprie ; car , comme Quintt-
lien l'a fort bien remarqué , nous avons tout
une certaine ambition qui ne peut rien fouffiir
au delTus de foi. De là vient que nous prcnonf
plaifir à relever ceux qui s'abaiflent eux-mêmes 1
parce qu'il femble que nous le faifons comme
étant plus grands qu'eux. Habet enim mens wtf"
ira fublime quiddam , ist impatiens fuperioris \
ideoque fubjefios & fubmittentes fe iubenter «^
ievamus , q:iia boc facere tanquam . majores vidh
mur. Cette modeitie ne doit rien avoir àc
bas : la fermeté & la generofité font inféparaUei
du lele que notre Orateur a pour la défenfe de
la Vérité, & comme elle ell invincible, il doit
être intrépide. Il eft confiant qu'un homme fe
rend redoutable, qui ne craint rien davant:^
que de blcffer la Venté; ainii il ne fied pas mal
quelquefois de relever les avantages de fon parrii
qui Cil celui de la Vérité. Ajoutez quelccUfcoaii
doit
BE PAKtiR. Liv, IV. Cbitp. XI T. 39^
<loit convenir à la qualité de celui qui parle. Un
Roi, un Evêquc doivent parler avec majefté; &
ce qui eft la marque d'une autorité légitime dans
leur perfonnc, feroit en celle d'une perfonne pri-
vée une marque de fierté & d'arrogance.
Chapitre XII.
Ce ([u'il faut çb/aver dans Us cbofss (font on fark
pour stnfinutr dans Peffrit des
jeudi leurs.
A Près avoir parlé de la perfonne de l'Orateur ,
•*^ voions. ce qui regarde les chofes que Ton trai-
te. Si les Auditeurs n'y prennent aucune part, &
qu'elles ne blefîcnt point leur intérêt, l'artifice
n'eft pas ncceflaire. Lorfqu'il n'eft queftion que
de prouver que les trois angles d'un triangle font
égaux à deux angles droits , il n'eft pas befoin
de; difpofer les efprits à 'recevoir cette vérité : ne
pouvant caufer aucun dommage, il ne faut pas
craindre que quelqu'un la rejette. Mais lorfqu on
propofe des chofes contraires aux inclinations de
ceux à qui on parle, Tadrefle eft ncceflaire. L'on
ne peut s'infinuer dans leur efpritque par des che-
mins écartez & fecrets; c'eft pourquoi il faut faire
en forte qu'ils n'apperçoivent point la vérité dont
on veut les perfuader , qu'après qu'elle fera maî-
trefle de leur cœur; autrement ils lui fermeront la
porte de leur efprit, comme à une ennemie, ainfi
que nous l'avons dit.
Les hommes n'agiflant que par intérêt , lors
même qu'il femble qu'ils y renoncent, il faut
reccfFairement leur faire voir que ce qu*on leur
pcrfuade , ne leur fera- point defavantageux. On
doit combattre leurs inclinations par leurs incli-
na-
4Po Ua Rhétorique, ou l'Aut
nations , & s'en fcrvir pour les attirer dans te |
fentimens qu'on leur veut faire prendre , comme
les Matelots fe fervent du vent contraire pour ar-
river dans le port d'oii le vent les éloignoit: cdi
fe comprendra mieux par des exemples. Afin'
d'infpirer de l'averfîon pour lé fard à vme femme
qui n*a de Tamour que pour cUe-mênne , & qoc
rien ne touche que fa beauté , il faut, félon le
confeil de faint Jean Chryfoftome , fe fervir de
la paflSon qu'elle a pour fa beauté , pour mode^
rer cette pafllon , en lui montrant que les pou-
dres ôcle fard gâtent le teint. On détache delà
débauche uû homme qui ne refufe rien à fes plai-
firs., en lui propofant des plaifirs plus doux , ou
le perfuadant fortement que ces débauches feront
fui vies de quelque grande douleur. Il faut tou-
jours dédommager l'amour propre ; c'èft-â-c^rc,
défintereffer ceux que l'on veut faire renoncer à
Quelqu'interêt. Car enfin , à moins que la Grâce
divine ne change le cœur , lès paffions peuvent
changer d'objet : mais elles demeurent tonâjours
lès mêmes. Or , ce changement d'objet n'en pas
difficile.. Un orgueilleux fera tout ce qu'on voucua,
pourveu qull évite l'humiliation, & que fon orgueil
foit content. Ainfîil n'y a rien qu'on ne puiflc per-
fuader, quand on fait bien fe fervir des inclinations
des hommes.
Lorfqu'on veut obtenir de ceux à qui on parle
une chofequ^ils onfdefTein de ne point accorder,
quoiqu'on la puiflc exiger d'eux avec droit , il iiut
fe contenter de la recevoir comme une grâce. On
ne doit pas leur ftire cette demande qui les cho-
que , après qu'on aura clairement prouvé que
ce qui leur reliera , fervira plus à leur gloire , &
fera plus avantageux que ce qu'ils accorderont.
JSaint Jean Chryfoftome loiie la prudence de FTa-
"irien , Patriarche d'Antioche , qui fit révoquer à
l'Em-
i
î
IVE PARLER. Lh*V. Cbap.XIh 40Ï
TEmpercur Theodofe l'Arrêt fatiglant qu'il avoit
donné contre les habitans de cette Ville , qui
avoient rei)verfé les ftatues de l'impératrice. Ce
Patriarche étant venu à Conftantinople pour flé-
chir la colère de Theodofe , il exagéra la faute de
ceux d'Antioche; ilconfeffa qu'une femblable fau-
te mcritoitles châtimens les plus rigoureux. Mais
enfuite ayant montré que la gloire du pardon fe^
roit d'autant plus illuftre oue L'ofFenfe étoit graa*-
de , & qu'un Prince Chrétien ne pouvoit ranger
une injure avec une fi grande fe vérité , il gagna
Pcfprit de Theodofe , qu'il auroit irrité , s^Ûcût
entrepris de diminuer le crime du peuple d nn-
tioche, outre qu'il eût fcmblé approuver leurfédi-
tion , & en eût paru complice.
Il dk avantageux à un Orateur , que fes Audi-
teurs, foient perfuadei qu*il entre dans leur fen-
timcnt : ce qui n'cfl pas impoiTiblc , quoiqu'il
travaille à ce que fes Auditciurs changent de len-
timent. Dans une opinion , quelle qu'elle foit^
toutn'eft pas faux, tout n'eft pas déraifonnable».
On peut ,ians bleffer la Vérité» s'attacher d'abord
à ce qui eft vrai , dans l'opinion que l'on veut
combattre, &. la louer en ce qu'elle a de vérita-
ble » & qui mérite des loiiangcs. Un peuple , par
exemple, s'eft révolté contre fon legirime Souve-
rain ; & a enlevé la puiffance d'entre fes mains
pour la partager à ceux qu'il a choifts pour le
gouverner. On pourra donc commencer fon dif-
cours par louer l'amour, de la liberté, Enfuite
faifant voir à ce peuple que la liberté eft plus
grande fous un Monarque que dans une Repu-
blique , où cent tyrans ufurpent l'autorité foii-
verainc ; on le gagne , & on fe fert de la paffion
qui la porté à la révolte, pour le ramener à l'o-
béïfT^nce.
C'eft avec cette même prudence, que J'on dér
ta.-
402; La. Rhetoriqui, ou i'Akt
tache les hommes de ceux pour qui ils ont un
amour dcraifonnable , contre lefquels par confc-
qucnt il faut bien fe donner de garde de dédamer
d'abord : au contraire il eft bon de commencer
par leur donner quelques louanges. Par exemple:
11 eft vrai, ô Romains, que pcrfonnen*a jamais été
plus hberal que Spurius- Mclius ; il vous a fait des
profufions de toutes fes richeffes. Mais prencigar-
de que c'eft un ambitieux ; que toutes fes libcn-
liteï. font des appas pour vous furprendrc , & que
tous ces prefcns qu'il vous fait, font le prixavccV
quel il prétend acheter votre liberté, & fc rendre
votre maître.
L'humihté eft la plus rare de toutes les vertus;-
elle eft l'appanage des âmes innocentes , 6c de
ne fe rencontre que fort rarement dans ceux qm.
font criminels i c*eft pourquoi ces dernien ne;
peuvent fouflfrir que Ton leur reproche leurs ftotes.
Il eft difficile par confequent de gagner ceuxqa'on'
veut corriger ; néanmoins lorfque les coupablafi)tat[
cffeftivemcnt perfuadeiqueleur faute leur eftpcr-
nicieufe, que c'eft l'amour de leur intérêt qui ftit
parler celui qui les reprend , qu'ils rcconnoiflcnt
qu'ayant plus de prudence, il prévoit les malheurs
qui les regardent, & qu'ils n*appcrçoi vent pas; ils
fupportent avec patience ce reproche pénible , com-
me les malades foufFrent qu'on leur coupe un mem-
bre pourri.
Ce qui fait fouvent que les avertiflcmens font
defagrcables , c'eft qu'on les fait avec empire &
avec infulte. Quand on veut corriger les coupables,
on doit quelquefois fe contenter de leur montrer
ce qu'il lalloit faire , fans leur reprocher ce qu'ib*
ont fait. Il y a de certaines chofes qui ne font matt-
vaifes que par le défaut d'une circonftance ; on peut
louer cette chofe , mais faire voir qu'elle n'a pas été
faite dans le temps ni dans le Ueu neceflaire.
DE PARLER. Liv,V, Chap,XlL 403.
Afin qu'un coupable n*ait point de honte d'a-
vouer fa faute, & de s'en repentir, il eft bon de
la faire paroître petite^ en la comparant avec une
plus grande : &afin qu'il ne la foutienne point , il
faut trouver des moiens de l'en décharger. Il y a
de certaines gens qui ne veulent jamais condam-
ner ce qu'ils ont fait. On doit feparer l'erreur de
ces perfonnes , & ne point prouver qu'ils en font
coupables qu'après qu'ils l'auront condamnée. Ceft
ce que fit le Prophète Nathan , lorfqu'ayant voulu
reprendre le Roi David de l'adultère qu'il avoit
commis , il lui fit des plaintes d'un homme qu'il
difoit coupable d*uneaéUon qui étoit moins crimi-
nelle que celle de David. Après que ce Roi eut con-
damne cet homme , pour lors Nathan lui dit que
c'étoit de fa Majcfté même dont il avoit parlé , &
qu'il étoit plus coupable que cet homme qu'il
yenoit lui-même de condamner.
(Quelquefois on eft fi attaché aux rcfolution»
qu'on a prifes fur une afikire ,. qu'on ne veut
plus écouter de nouvelles propofitions. L'artifice
eft donc necelfaire ; celui dont fe fervit Agrippa
eft admirable. Il vouloit rappeller le peuple Ro-
main qui avoit quitté la Ville , fe plaignant de
la dureté des Magiftrats , qui fans rien faire , vi-
voient de fon travail. Il leur propo& la parabole
de la guerre qui s'éleva entre les parties du corpsv
humain, qui ne voulant plus rien donner à l'efto-
mach, qui étoit, difoient- elles, un parefleux, re-
connurent enfuite par l'expérience , que l'eftomach.
leur rendoit bien ce qu'elles lui àonnoient. Cette
feule parabole que le peuple écouta avec plaiiir»
ne voyant point où elle alloit , fuJQBt , après qu'il
en vit l'application , pour lui fsure quitter là pre-
mière relblution. Il n'y a point de meilleure ma-
nière pour inftruire les peuples , que les parabo-
les. Elles inftruifent en un mot de pluûeurs cho-
fes~
404 Là Rheto&xqjje, ou l'Akt
fcs qu'on ne pounoit cxpli^cr autrement <jae
par des difcours ennuyeux , & dLQSdles à comprco-
dre.
I
SE
Chapzt&s XIIL
Les qualHez necejfaires à un Orateur pour
gner ceux a qui il parlé , m doivent
pas être feintes.
JE ne doute point qu'on ne puiflc faire un très-
mauvais ufage de cet Art que nous cnfeignon^
ce qui n'empêche pas que les règles qjic no»
avons données ne foienttres-îùft'es^ On peut feindre
que Ton a de Tamour pour ceux à qui Ton parle,
afin de cacher le mauvais deflein que \x haine au-
ra fait concevoir contr'eux. On peut prendre Ifr
mafque d'honnête homme pour lurprcndre ceox
qui ont, de la vénération pour tout ce qui a les ap-
parence de la vertu. Mais il ne s'enfuit pas qtfoa
ne doive point témoigner d'amour à les Audi-
teurs , & s'acquérir quelque ellime dans leur et
prit lorfque cet amour eft fincere comme ilîcddt
être, & que Ton n'a point d'autre fin quel'intcrêk
de la Venté;
Les Rhéteurs Païens ont donné ces mêmespr^
ceptes que nous donnons, &les Sophiftess'enioiit
fervis. Il eft vrai; mais c' eft ce qui nous obligcdc
les fuivre avec plus de foin. Les impies auront-Us
plus de zèle pour le Mcnfonge , que les Chrétien!
pour la Vérité? Ce feroitune chofc hontcufc aai
amis de la Vérité, de rcjetter les moiens nattt-
rels qu'ils ont pour la faire recevoir , pendantqoe
les partifans du mcnfonge employent tant d'arti-
fices pour tromper. Ces moiens u>nt bons&jute
d'eux-mêmes ; & tout homme qui a de la dit-
I
Dfi FARIEH. Llv, y, Cbap.XIIt. 405
nté & de la prudence les employé, quoiqu'il n'y
^flc pas de reflexion.
Il faut aimer les hommes. On ne doit reffen-
tir pour leur perfonne que de la tendrefle, quand
même ils feroient criminels. Il n'y a que leurs
crimes qui méritent de la haine. DU'tgite botni^
nés , interficUe errons. Ceux qui ont de la pie-
té , Ji'ont pas befoin de feindre : leur charité fc
peint elle-même dans leurs difcours: ellefuppor-
te avec patience les fautes des autres: elle les cor-
rige avec douceur , elle ne les conûdere que du
côté qu'elles paroiffent plus légères. Elle cherche
tous les moyens pour ne point choauer , pour né
point contnfter les perfonncs qu'elle eft obligée
■ d'avertir; & pour cela elle adoucit les correc-
tions qui font un remède amer: • elle tâche
de répandra un miel fur fes paroles , qui en puif-
fe ôter toute l'amertiunc. En un mot , elle fait
pour Dieu tout ce que fait Élire l'amour de fon
propre intérêt; de lorte que la conduite extérieu-
re ac l'une ne paroît pas différente delà conduite
de l'autre; la manière d'agir de l'une n'cft diftin-
guée de l'autre que par fon principe. Un Ora-
teur Chrétien n'a pas moins de complaifance pour
ceux qu'il veut perfuader, fans aucun autre inté-
rêt que celui de la Vérité, que les gens du monde
en ont pour ceux 4e qui ils ;ittciîdcDt quelque re-
compenfe.
Quand j'ai dit qu'on pe doit pas choquer
ceux à qui on parle , je n'ai pas confeillé de fe
fervir dune lâche complaifance, qui n'a point
d'autre fin qu'une vaine fatisfaétion de n'être pas
rebuté. Les hommes aiment qur'on les entretienne
de chofips qui leur plaifent: Loquere nobis pU^
csntia. Celt le métier d'un flateur d'entretenir les
hom-
* Mmtiê éietrhkêiip êbJmiétHê tmmiM mm. CiceM
4o6 Là Rhbtokiqjpï» ov l'Art
hommes dans cette humeur délicate. Pen3«l
ou un Orateur Chrétien efpcredc gagner fcsAt|
ûitcurs par la douceur , il s'en doit fervir: m
s'ils font endurcis, 6c qu'ils ne veuillent point qv
ter les armes qu'ils ont prifes contre la Vérité, ctl
feroit pour lors flaterie, & non pas charité» qoel
de s'amufer à vouloir leur plaire. Si les prioBl
n'ont point de force» il faut avoir recours am
menaces. '
Ceft la conduite que les Pères de rEglifeort'
toujours tenue. Ils ont commencé par la dou-
ceur; mais ils ont fini par la fcverité, lorfque h
douceur a été inutile. Saint Auguflin dit qu'A
n'avoit pas voulu nommer Pelage dans les pre-
miers Livres qu'il compofa contre cet Hérétique,
afin de lui épargner la honte de fc voir reconnn
pour Auteur d'une Herefie. Mais quand ce Pcre
vit que cet Herefiarque ne profit oit point de cette
retenue , & qu'elle pouvoit contribuer à lui donner
de la fierté, il crut que la même charité qui Tavoit
fait parler d'abord avec douceur, l'obligeoit à fe
fervir de remèdes plus violens , & proportionnel à
la maladie de cet Herefiarque, ou pourIeguérir>
ou pour avertir les peuples du danger qu*il yavoit
de communiquer avec lui.
Chapitre XÎV.
Manières éTixciter dans Pefprît de ceux à qui Po»
parle j ks pajjions qui les peuvent fvrtcr
où on les veut conduire»
cfprit lespaifions qui les feront paa-
chcr du côté où il les veut porter, 8c d'éteindre le
feu
f Di PARti-R. Lh. V. Châf XIV. 407
feu de celles qui pounoient éloigner de lui fesmê-
- mes Auditeurs. Mais on me dira qu'il n'ell point
' permis d'ufer de moyens aufli injuftefi que font les
* -paffions: Que c'eft mal s'y prendre pour régler &
' .pour éclairer TcTprit de fes Auditeurs, que d*y ex-
' citer les troubles & les fumées obfcures des paf-
■ fions. Répondons à cette objeélion que nous avons
prévenue : la chofe mérite qu'on la confidere.
Les paffions font -bonnes £n elles-mêmes : leur
feul dérèglement cft criminel. Ce font desmouve-
mens dans Tame , qui la portent au bien , & qui
-réloignent du mal, qui la pouffent à acquérir l'un,
.& qui l'excitent lorfqu'cUe eft trop pareffeufe, à
fuir l'autre. Juiques-là il n'y a point de mal dans
les paffions; mais lorfque les hommes, fuivantles
iauffes idées qu'ils ont du bien & du mal , n'aiment
que la terre, alors ces paffions qui les font agir,
^ui étoient bonnes par leur nature, deviennent cri-
minelles par les qualitcz mauvaifes de^ l'objet vers
• lequel on les tourne . Qui peut douter que les paf-
' iîons ne foicnt mauvaifes , lorfque dans l'idée de
• ce lïom de paffion , on comprend les mouvemens de
• Tame avec tous fes déreglcmens? Si par la co-
■ 1ère il faut entendre ces rages , cesemportemens,
ces fureurs qui troublent la Raifon,j 'avouerai que
la colère eft une chofe tres-mauvaifc. Mais fi on
la prend pour un mouvement, pour une affedion
. de l'ameqvii nous anime à vaincre les empêche-
mens qui nous retardent la poffeffibn de quelque
bien , 8c pour mie force qui nous fait combattre ôc
•furmonter le mah je ne crois pas qu'on puiffe
<iire raifonnablement qu'il n'eft pas permis d'ex*
citer la colère, &£efervir de fon mouvement pour
animer les hommes à chercher le bien qu'on leur
propofe.
Dans les paffions les plus déréglées, dans celles
'^ui n'ont pour objet que de. faux biens, il y a
tou-
4o8 La R.RETO&IQJUE, ou l'â&t
toujours quclauc chofe de bon. N'cft-ce pas une
bonne chofe a aimer ce qui efl bien fait, cci^ui
cil grand» ce qui eft noble? On peut doncfe
fervir de ce mouvement qui nous porte vers la bcto-
té & vers la grandeur» pouriaireagir les hommes.
On peut (ans fcrupule réveiller dans leur coeur ce
mouvement, cnpropofant la beauté & la grandenr
de la chofe vers laquelle on les porte, puifqucje
fuppofe qu'on n'entreprend de taire aimer que ce
^ui eft beau d'une veriuble beauté , 6c ce qui poflède
une grandeur réelle.
L'on ne peut fidre agir les hommes que par k
mouvement des paifîons; chacun eft emporté par
le poids 'de fon amour, & Ton fuit . ce qui don-
ne plus de plaifir. Il n'y a donc point d'autre
moyen de conduire les hommes » ^ue celui dont
nous parlons. Vous ne détournerez ]amaisuDaTi-
re de l'indination qu'il a pour l'or 8c l'argent, m
par Tefperance de quelques autres richeiîes pbi
grandes; un voluptueux de fes fales plaifîn, que
par la crainte de quelque grande douleur , ou pv
l'efperance d'un plus grand plaifir. Pendant que
nous fom mes fans paifion, nous fom mes fans aâioDi
& rien ne nous fait fortir de l'indifférence que k
branle de quelque afFedion. On peut dire , que kf
pafTions font le reifort de l'ame : quand une kà
l'Orateur s'eft pu faifirde ce reifort, & qu'il Jcfiit
manier, rien ne lui eft difficile, il n'y a rien qu'il
ne puiflie perfuadcr.
Les Chrétiens favent que tant d'illuftrcs Mtf-
tyrs n'ont tiiomphé que par un fecours du Qài
que tant de faintes Vierges n'ont foûtenu dansJ*
corps foible une vie auftere , & accablée de p^
nitence, que parce qu'elles étoient aidées de Ji
Grâce. Il eft pareillement , confiant que les pi*
mcchans font capables d'entreprendre les nifflj ^
aétions; & de faire tout ce que les Maiçfffi
«s exemples d?,„i"^ ^" «marque i^'®^«^i>ant
««oient que lei ri" "J^e ces vcXP*^*"*^^ cj.
»<^ parle ^Z mÎ5"'"'!i «J'^^n aÏLîf P''"«=''f«
£« 'ntKpr^d?e .-?,?' P'o"ver «„ Jf. «« Ais
loof cela . af " :"' ^^l'P^rer Jes paffi^,*°ninic.
e la Vérité ?er,f. ^" «^onfcqucnt u l^^op^s
;^ la crainte deTpâfes''?. •'« P«^*e«. f,;
B laire encore Dar .C » ceque vm», _ ' ^a^-
Sf' dune aSfca""' ^«'a^<^
*U1 amour Hi- n- ^ ^^^ ne Deu^ -^ ^^•'adc-
: artifice par l'ufjl " P^rcs oat am,r" ^. Pas
d«playesTeftS;|?* «« on?ÏÏ"''^,^«
*"-ft point ici Je aJ-g^lcriàns
H 4.
410 La Rmetokiqjje» ou l*A&t
Chapitre XV.
Ce fu^iifaut faire pour exciter les paffkns*
LE moyen général pour remuer le cœur dei
hommes, eft de leur faire fcntir vivement
Tobjet de la paffîon dont on deûre qu*ik foicoc
émus. L'amour eft une affeâion qui cil excitée
dans rame par la vûë du bien prefent. Pour al-
lumer donc cette affeétion dans un cœur capable
d'aimer, il faut lui prefenter un objet qui ait
des qualitez aimables. La crainte a pour objet
des maux qui arriveront certainement» ou qui
peuvent arnver. Pour donner de la crainte à m»
ame timide , il faut lui faire connoStre les maux
qui la menacent. On aquelque raifon de nepatfé-
parer TArt de perfuadcr de TArt de bien dire; cir
l'un ne fert pas de grand' chofe fans l'autre. Ponr
émouvoir une ame , il ne fuffit pas de lui repre-
fenter d'une manière feche l'objet de la ps^ffion
dont on veut l'animer : il faut déployer toutes les
richeffes de l'éloquence, pour lui en faire une
peinture fenfible & étendue , qui la frappe vive-
mejit, &qui nefoit pas femblable à ces vaines
images qm ne font que paffer devant les yeux,
n ne fuffit pas, dis-je, poiu: donner de l'amonr»
de dire fimplcment que la chofe qu'on Diopofc
eft aimable; il faut approcher des fens les bon-
nes qualitez, les faire fentir, en ^re des def*
criptions, les reprefenter par toutes leurs faces,
afin que fi elles ne gagnent pas , étant vues d'an
certam côté, elles le biffent quand elles font re-
gardées de l'autre. On doit s animer foi-méme;
il faut, fi je l'ofe dire, que notre cœur foit em-
brafé, qu'u foit comme une fournaife ardente,
d'où
DE PAUlEft. Liv. V. Cbâp.XV. 4TI
d*où nos paroles fortent pleines de ce feu que nous
voulons allumer dans le cœur des autres.
Pour bien traiter cette matière, je ferois obli*
gé de parler au long de la nature des paffions,
de les expliquer toutes en particulier, de dire
quels font leurs objets, quelles chofes les exci-
tent & les calment. Mais il iaudroit pour cela
comprendre dans cet Art laPhylîque& la Morale,
ce qui ne fe peut faire fans confunon ; néanmoins
je ne puis m'exempter de parler plus exadement
ici de quelques-unes de ces paffions : favoir,
de Tadmiration, de Teilime, du mépris, & du
ris, qui font de très-grand ufage dans l'Art de
perfuader.
L'admiration eft un mouvement dans Tame,'
qui la tourne vers un objet qui fe prefente à eue
cxtraordinairement , 6c qui l'applique à conliderer
fi cet objet eil bon ou mauvais, afin qu'elle le
fuive, ou qu'elle l'évite. Il eft important à un
Orateur d'exciter cette paffion dans l'efprit de fés
Auditeurs. La Vérité perfuade, mais il feut pour
cela qu'elle foit connue. Or, afin qu'elle foit
connue , il faut que celui à qui on la déclare ,
. s'applique à la connoître. Tous les jours nous
vovons que de certains raifonnemeos n'ont point
été goûtez, qui font approuvez dans la luitc,
lorfqu'on prend la peine de les examiner. Il y
% de certaines opinions, oui après avoir été négli-
gées pen^ntplufieursfieaes, fe réveillent, & font
du bruit , parce qu'on les étudie, & ouc par l'étu-
de on en reconnoit la veritéou hfituuete. Ainfi
ce n'eft donc pas aflez de trouver de bonnes rai-
fons, de les expofer avec clarté: il. faut les dire
. avec un certain tour extraordinaire quifurprennc ,
qui donne de l'admiration, & qui attire les yeux
de tout le monde.
Saint Jean Chryfoftome remarque que faint
,... Sx Mat-
i
»
4T1 La Rhétorique, ou l'Art
Matthieu commence rHifloirc dvt Fils de Kal
pas dire qu'il étoit Fils de David & d'AbrahanJ
au lieu de dire Fils d'Abraham & de David, pwl
obliger les Juifs à lire fon Hiftoire avec w
d'attention; car les Juifs attendoient le Mcffici
la Famille de David; ainfi rien n'étoit plus et'
pable de les rendre attentifs , que de leur pailfl'
d'un Fils de David. Tous les Livres qui fontltsi ,
tous les Orateurs qui font écoutez , ont tousqud-
que choie d'extraordinaire , foit pour la matière'
qu'ils traitent, foit pour la manière de la traiter,
loit pour quelques circonftances de temps & de
lieu
L'admiration eft fuivie d'eflime ou de mépris.
Lorfqu'on remarque du bien dans l'objet qu'on a
cnvifagé avec application , on reftime, on le re-
cherche , on l'aime. Ceft pourquoi , comme vov
le voyez , on n'eftime proprement que ce qui eft
véritable , que ce qui eft grand , que ce qui eft
bien fait , «: lorfqu'on fait eftime des chofes mau-
vaifes , c'eft en fe trompant dans fon jugement,
ou en confiderant ces chofes fous une fece quin'rf
pas mauvaife. Ainfi un Orateur trompeur ne pcr-
fuade que pour quelque temps , & fes Auditcui»
changent leur eftime & leur amour en haine & en
mépris aulfi-tôt qu'ils reconnoiiTent qu'ils ont été
trompez.
Le mépris a pour objet la baflcflc & l'erreur;
c'eft-à-dire , que cette paffion eft excitée lorfqnc
l'ame n'apperçoit dans l'objet qu'elle confiderc,
que de la baffefleôc de l'erreur. On fclaifTc aller vo-
lontiers à cette paffion. Elle eft agréable : eDc
flatte cette ambition naturelle que tous les hom-
mes ont pour la fuperiorité & pour l'élévation.
On ne meprife véritablement que ce qu'on regar-
de au deflbus de foi. Ce regard donne du plaifir,
au lieu que ce n'cft qu*avec chagrin qu'on levé
les
DB PAKLER. Lh. V. Cbâf. XVm 413,
eux pour confiderer ce qui eft au deflus de
î, parce que nous nousappercevons de ce que
i ne fommes pas. Les autres paflions épuifent ,
tereflcnt la îanté ; mais celle-là lui eft utile ,
1 peut dire qu'elle eft plutôt un repos qu'un
ycment de l'ame, quife délaffe dans cette paf-
, au heu que dans les autres elle travaille a-
contention.
>ut mépris n*eft pas agréable : car fi le mal
:n eft Tobjct, eft redoutable, pour lors on
tit de la crainte , qui eft une véritable dou-
. mais fi ce mal. ne nous touche pas de fort
, & qu'on n*)r prenne pas grand intérêt , le
is qu'on en fait donne du plaifir , & eft fuivi
s; qui accompagne ordinairement les excès
>yc imprévus ôc extraordinaires. 11 n'y a rien
us utile pour détourner les hommes de qud-
crrcur, que de leur en donner du mépris,
z la faire paroître ridicule. Car il n'v a rien
n appréhendé davantage que d'être méprifé , &
t expofé à la rilee de tout le monde. Aufii
raillerie faite à propos » fait quelquefois plus
h» que le plus fort raifotmement.
Rid'iculuny acri
lus if meliùs magnas plerumque fecat res.
uand on combat avec de fortes raifons, la
c que trouve l'Auditeur à concevoir la fuite
raiibnnementférieux, le rebute. Lorfquon
>ropofe quelque chofe de grand , cette gran-
l'eblouït , & lui eft un fujet d'humiliation ;
ilorfqu'il n'eft queftion que de rire & de fe
rtir, cet Auditeur s'applique volontiers, cette
ration lui tenant lieu de divertiffement. Ou-
«la, le mépris qu'il fait de la chofe qui lui
tt ridicule, 6c qu'il regarde de haut en bas,
S 3 flatte
'4T4 La Rhbtouxqjje, ov l'Art
ftitte fa yanité. Ceft pourquoi on excite êc oi
entretient plus facilement le mépris, que touta
les autres paffions » puifque les nommes aimeot
mieux méprifer qu'emmer» fe divertir que detn-
Tailler. Ajoutez quil y a beaucoup de diofet
qu'il hvit ainfi méprifer» & rendre ndicules, de
peur de leur donner du poids en les combittnt
fâieufement. Multëfuntfic dignm nvincs mpt^
vitste aclorentur.
Chapxtilb XVL
Comment on peut donner du mépris des Aofts p
Jont dignes de rijee»
PUifqu'il eft permis de fe fervir du m<n^^
ment des paffîons pour faire agir les hoB-
mes. Ton ne peut pas blâmer TÂrt que noos »
feignons , de rendre ridicules les chofes dont (V
veut détourner ceux que l'on inftruit. Maiii
faut avouer que fi les railleries ne font faites a?a
Ï)rudence , elles ont un effet tout contraire à »
ui que l'on en attendoit. Les Poètes prétendent
dans leurs Comédies combattre le vice enlcr«"|t
dant ridicule: leurs prétentions font bien vaioffilt
rexpericnce ne faifant que trop connoîtrc que II
ledure de ces fortes d'ouvrages n'a jamais pro-
duit aucune véritable converfion. La caufc enrf
bien évidente. On méprife & on.nefcij
que d'une chofe baffe que l'on regarde coBUKfc^
un petit mal. L'on ne rit pas du mauvais i*|iknt
tement que foufFrent les innocens. Si les ï^^lju \ç
tins fe raillent d'un adultère , &de crimesirt*! Puif
blés» qui font un fuiet de larmes aux gens dem4&s/'2
c'eft qu'ils ne confiderent ces crimes quccoB>'ltiBioj
des bagatelles. ^^itn
d Di PARLER. Liv. V. Chap. XVL 41 j
^B Or les Poètes dans les Comédies ne travaillent
ô,point à infpirer Taverfion qu'on doitavoir du vice,
^s tachent feulement de le rendre ridicule; ainft
^jIs accoutument leurs Ledeurs à regarder les dé-
^^uches comme des fautes de peu de confequen-
^C€. On n'y conçoit point ccttchorreur neceflaire
ipour refifter àlaconcupifcehce. La crainte d'être
^raillé, ne peut point dompter l'amour desplaifirs;
auffi voyons-nous que les débauchez font les pre-
miers à fe railler de leurs défordres. Il y a des vi •
- cts qui ne fe furmontentquepar le fîlence& l'ou-
bli, & dont la bienféancene permet jamais de par-
ler. Les defcriptions d'un adultère n'ont jamais rcn*
, du chaftes ceux qui les ont entendues : cependant
ces fortes de crimes font la matière ordinaire des
Comédies.
L'Orateur doit garder la bîen-féance dans les
railleries, & ne s'arrêter jamais aux chofes que
l'honnêteté oblige de pafler fous filence. Puif-
qu'il eft fage & homme de bien , il n'eft pas ne-
ceflaire de l'avertir qu'il doit éviter ces railleries
bouffonnes & ridicules qui fefontà contre-temps,
& qu'il n'y a que le mal qui mérite d'être raillé. Si
ce mal elt pernicieux & conliderable , il ne doit pas
fe contenter de le rendre ridicule, il faut qu'il en
donne de l'horreur. Néanmoins on peut quelque-
fois commencer par les railleries , en combattant
des erreurs de grande confequence, lorfque c'eft
une neceflité de rendre fcs Auditeurs attentifs par
le plailir; ce qui eft l'effet & l'utilité des railleries,
& ce qui m'oblige de donner quelques règles tou-
chant la manière de tourner en ridicule les chofes
qui le méritent.
Puifque le ris eft un mouvement qui eft excité
dansl'ame, lorfqu'après avoir été frappée de la vûë
d'un objet extraordinaire, elle apperçoit qu'il eft
extrêmement petit: pour rendre une chofcridicu-
• S 4 \Cp
41^ Lit Rketo&iqjte, ov l'A&t-
le , :! faut troTîvcr une manière rare & extraordi-
r.a::c de repre.cnrer û baucife. L'on ne peut don-
ner cts p:ecep:es particuliers pour £ùre des hlO-
lenes. Ceux qui ont voulu , comme dicQccron,
cnfeigr.er le moyen de railler les autres, fe font
iai: railler eux-o^émes. Néanmoins on peut re-
marquer que tous les tours & toutes les maniciti
extraordinaires for.t propres pour fiire une raille-
rie , c'c:i-a-dire pour faire appcrcevoir.la baffcllc
de l'objet que l'on veut faire m'éprifer. Ceft pour-
2uoi rlronie eil de grand ofage dans ces oco-
ons y parce que diGint le contraire de ce que l'on
penfe , & avec des termes extraordinaires qui ne
conviennent pas à la chofe dont on parle, cette
difpofition fait que l'on remarque ce qu'elle cft
cfïeclivemenr. Quand on donne à un fripponla
qualité d'honnéte-homnie, cette expreflion ait
relTouvenir de ce qu'il n'cll pas. L on ne peut 6i-
re connoitre plus fenfiblement la lâcheté d'un
homme fans cœur, qu'en lui mettant désarma
entre les mains , dont il n'a pas la hardiefle de
fe fcrvir. Ainfi quand le Prophète Elle difoit
aux Prophètes de Samarie, qui invitoi jnt avec de
grands cris leur Idole à faire dcfcendre le feu dn
Ciel , pour réduire en cendre k facnfice qu'ils lui
offroient; Criez encore plus haut y car peui-hn
que ce Dieu ne vous entend pas , à cauje fnV/
parle à J'autres perjonnes^ ou qu'ail ejî dans «M
hôtellerie^ ou en chemin ^ ou qu'il dort ^ é^ lufaâ
être éveillé que par un grand bruit j cette manicff
de parler de cet Idole , qui étoit extraordinaire,
faifoit faire attention à fon impuifTance & àfabaP
fefle.
Les allufions font, propres pour les railleries,
parce que la difficulté qu'il y a de les entcndrci
fait qu'on s'applique à en pénétrer le fens, &ceiK
application elt caufe qu'on le découvre avec bcas-
C03
9
D'i PAR LE R. Liv. V. Cbap. XV r. 41 7
coup plus de darté. Lorfqu*auffi après avoir loiié
^ la chofe qu*on veut foire méprifer , & l'avoir re-
' levée par des cxpreflions magnifiques , qui font at-
' tendre quelque chofe de grand , on vient tout d'un
coup à marquer fa baffefle , cette furprife fait qu'on
s'applique: ainfi l'on rend tres-fenfible ce que
l'on dit , comme dans cette £pitaphe de la façon
de Scarron.
Cygtt qui fut de belle tar//e»
Qui favoit danjer & chanter ,
haifoit des vers , vaille que vaille ^
Et les favoit bien reciter.
Sa race avoit quelque antiquaille y
Es potivoit des Héros compter j
Même ilauroit danné bataille t
S'il en avoit voulu tâfer»
il parloit fort bien de la Guerre^
Des deux , du Globe de la Terre ,
Du Droit Civil i du Droit Canon 9
Et connoijfoit affez, les cbofes
Par leurs effets & par leurs caufes :
Ètoit'il honnête homme f Oh non l
Quand on expofe toute nuë la baflefTe d'une
diole, en lui ôtant toutes les qualitez dignes
d'eftime, dont elle paroît revêtue, on la rend
ridicule- infailliblement. Lucien ne rapportie rien
des Dieux & des Sages de la Grèce , que ce que
les adorateurs des uns , ôc les admirateurs des au*
très publient dans les louanges qu'ils leur donnent.
Mais dans les écrits de cet Auteur ils paroiflcnt
ridicules , parce qu'il détache la baffefle des Divi-
nitez de la Gentilité & des Sages de la Grèce , de
ces qualitez imaginaires que les Anciens admi-
roient dans leurs Dieux & dans leurs Sages; ainfi
on ne peut lire fes ouvrages fans concevoir du
mépris de la Religion & de la vaine fagefle des
S 5. Grecs.
fl
'41% La Rhetouxqjis» o« L*AtT
Grecs. Outre cela la nature des Dialogues, qd
eft la manière d*écrire éc Luden , cft tres-propie
pour découTrir la bafTefle de ceux qo'on Tedt jouer ,
car les faiûnt parler conformément àleursprop»
inclinations, k aux principes qu'ils fiÛTent; on fidt
qu'ils publient eux-mêmes ce qu'ils ont deridicn-
le & de bas; de forte qu'il n^dl pas poffiUe d'en
douter.
Chapitre XVIL
Seconde partU de tArt de perptaékry qm efi kd^
fijUsion, EUe m quatre parités. Dclsfri'
miere, qui eft fExÊrdi,
POur perfuader , il faut difpofer les Auditems
à écouter favorablement les diofes dont ob
doit les entretenir. En fécond lieu il faut kor
donner quelque connoiflance de l'afifàire que Fos
traite , afin qu'ils fanent de quoi il s'agit. Oone
doit pas fe contenter d'établir fes propres preuves,
i\ faut renverfer celles desadverfaires; êcloif^uon
difcours eft grand , & qu'il y a fujet de craindie
ou'une partie des chofcs qu'on a dites avec éten-
due , ne fe foient échappées de la mémoire des Au-
diteurs , il efl bon fur la fin de dire en peu de
mots ce qu'on a dit plus au long. Ainfi im Dif-
cours doit avoir cinq parties; l'Entrée ou rEx(M>-
de, la Narration ou la Propofition de la chofe
fur laquelle on doit parler, les Preuves oulacoo-
firmation des veritez que l'on défend , la Réfitt-
tien de ce que les ennemis de ces vcritez allèguent
contre, & l'Epilogue ou la recapitulation de tout
ce (jui a été dit dans le corps du Difcours. Jcpa^
hrai de ces cinq parties feparément.
L'Orateur doit fe propofer trois chofes dam
lExor-
I
oc ? A A t m. Lfv, V, CUttp. xnr. 4T9
PExordc ou rentrée de fon Difcours, qur font la
ftivcur , l'attention & la docilité des Auditeurs.
H gagne ceux i qui il parle , & acquiert leur fa-
veur, en leur donnant d*abord des marques fenfi-
Ûes qu'il ne parle que par un zèle iincere de la
Vérité , & par un amour du bien public. D le»
rend attentifs , en prenant pour Exorde ce qu'il
y a de plus noble , de plus édatant dans le fu-
Tct qu'il traite , & qui par confequent peut exciter
le defir d'entendre la fuite du Difcours.
Un Auditeur efl docile lorfqu'il aime , & qu'il
eft attentif. L'amour lui ouvre Tefprit, & le dé-
gageant de toutes les préoccupations avec lef-
quelles on écoute un ennemi , die le difpofe à
recevoir la Vérité. L'attention lui fait percer
dans les chofes les plus obfcures. Il n'y a nen de
«adié qui ne fe découvre à une perfonne oui s'ap-
plique 9 8c qui s'attache aux chofes qu'eue veut
connoître.
J'ai dit qu'il étoit bon de furprendrc d'abord
fes Auditeurs 9 en plaçant quelque chofe de noble
à l'entrée de fon Difcours; mais il faut auffi pren-
dre garde de ne pas promettre plus qu'on ne peut
tenir» àc qu'après a'être élevé dans les nues, on
ne foit contramt de ramper par terre. Un Ora-
teur qui commence d'un ton trop élevé , excite
dhnsl'efprit de fes Auditeurs une certaine jaloufîe,
qui fut qu'ils fe préparent à le critiquer , & qu'ils
conçoivent le deflem de ne le pas épargner, en
eu qu'il ne foûtienne pas ce ton. La modeflie
fled fort bien en commençant, & gagne un Au-
ditoire. Outre cela c'ell aller contre laRaifonque
it commencer d'abord par des mouvemens extra-
ordinaires, avant que d'avoir fait paroîtrequ on en^
aiifujet. Un Auditeur fage ne peut concevoir que
du mépris d'un homme qui fui paroît s'empor-
ter ftns raifon.. Auffî les Maîtres donnent cette
S 6 règle
410 La Rhitosiqjii» ou l'Art
règle , qu'il faut commencer Amplement, h
traitent de ridicules ceux qui commencent d'une
manière élevée qui ne fe peut point foutenir, qui
j>romettent beaucoup , êc donnent peu ; de qui
on peut dire:
Quiil dignum tanto ùret hic promijfor biitu}
Parturiunt montes i ns/cctur ridiculus mus*
Ce n'cft pas que le commencement d'"un Dif-
cours doive être fans art , puifque tout dépend
de ce commencement. Si un Orateur ne tQurac
vers lui refprit de fes Auditeurs , c'eft en vain
qu'il parle , & il ne le peut faire qu'en leur don-
nant de la curiofitc. Il eft donc obligé de fâircp-
roîirc ce qu'il va dire, extraordinaire. On n'cft ï>oint
touché de ce qui eft commun. Mais la prind-
pale chofe qyc doit foire un Orateur , c'eft de pré-
venir d'abord fes Auditeurs de quelque maxifflC
claire , évidente , qui les frappe , d'oii il puiffcçon-
dure dans la fuite ce qu'il veut prouver. S*iik$
trouve prévenus de quelque fentimcnt contraireaui
fentimens qu'il leur veut infpirer , c'eft pour Ion
qu'il doit employer l'adrede ; car s'il ne peut pas
leur ôter ces fentimens, il faut au moins qu'illa
détourne, afin qu'ils ne lui foient point oppofia.
Cela ne fe peut point enfeigner. Ccft en vain qu'on
veut donner des méthodes pour trouver desÉxor-
des ; car tous ces préambules qui peuvent être coffl*
muns à toutes fortes de matières , ne fervent de
rien. Ils font inutiles & ennuyeux , puifqu'on te
peut retrancher.
Tout ce que l'on peut dire de raifonnable toih
chant la manière de commencer un difcours,c'd
que lorfqu'on a un fujet à traiter, il faut cxarninfl
k'S dirpofitions de ceux à qui l'on va parler, &vûJ
ce qui leur peut être agréable, ce qui leur dcplai
ce <jui les gagne. 11 n'y a point de fujct qui n'ait
plulieurs faces, & qu'on ne puifTe tourner en diffé-
rentes manières. Quand on a du jugement, (or
commenousravons démontré en tant d'occalions,
c'elt le jugement qui fait les grands Orateurs ;)
Quand , dis-je , on a du jugement , on fait com-
ment il faut prendre un Exorde par rapport à la
fin qu'on doit envifager , c'ell-à-dire pour ouvrir
le cœur auffi bien que les oreilles de ceux qu'on a
pour Auditeurs. Ceft par confequent du fujet mê-
me, ex vifceribus caujx, qu'il faut tirer un Exor-
de 5 ce qu'on ne peut faire qu'après qu'on a médité
ce fujet , & qu'on a trouvé l'endroit par lequel il
le faut fidre paroître. Ceft pourquoi r Exorde de-
vroit être la dernière chofe dans le projet , quoi-
que la première dans le Difcpurs; car il faut qu'on
y voye en quelque manière tout le fujet. Ceft
Tunc aifpofition , une entrée dans tout ce qui fc
iJira. Pritjcipium aut rei iotius qu£ agitur fignïfca"
ttofum huheat , aut aditum ad caufam. Les
exemples font plus utiles que les préceptes; mais
Suand il eft queftion de faire remarquer l'adrefle
ont un Orateur s'eft fervi , il ne faut pas fe con-
tenter de propofer le commencement de fon Dif-
cours , il feut rapporter l'état de toute l'affaire fur
laquelle il a parlé , afin de faire remarquer avec
Suelle adrcffe il traite fon fujet, comment il le fait
'abord paroître par la plus belle de toutes fes fa-
ces , qui eft propre pour rendre fes Auditeurs at-
tentifs, & les prévenir de fentimens qui lui foient
fti^rablos.
S 7 C H A-
'4^^ La RHiTomiqui, ou L'AmT
C H A P X T & S XVIIL
D^ Uf€€onde fartk de U Difp^fiti&mt fmi ^UFn^
fêfition,
/quelquefois on commence fon TXfcouR p»
^cn propofcr le fujet , fans fc fenrir d'Exor-
de : ce qu il fiiut Êiîre de telle manière aue lajoî^
tice de la caufe qu'on défend» paroifie dans cette
Propofition » qui ne conûdant que dans une déda-
ration de ce qu'on a à dire, elle n'a p<Miit de rè-
gle pour fa longueur. Quand il ne s'agit que de trai-
ter une quedion, il fuffit de la propofer,. ce qai
demande peu de paroles. Si c'ell une aâion qui
foit la matière du Difcours , on doit faire un redt
de cette aâion , en rapporter toutes le» dr-
confiances . en faire une pieinture qui l'expcfeaux
yeux des Juges , afin cu'ik jugent aufG exaâe-
ment que s'ils avoient été prefcns lorfqu'eUe s*di
faite-
Il y a des perfonnes qui ne font point de fera-
imle pour faire paroître une adion telle qu'ils fou#
naitent, de la revêtir de drconilances favorables à
leurs deiTeins, & qui font contraires à la venté»
Ils croient le pouvoir faire , parce que, comme
ils le difenty ce n'cil que pour faire valoir la caufc
qu'ils défendent. Il n'eft pas neceffaire que jecom*
batte cette fauffe perfuaiion ; car il eft manifefle
qu'emploier le Menfonge contre la Vérité , c'cfl
une chofe mauvaife , puifqu'on abufe de la
parole qui ne nous a été donnée que pour ex-
primer la vérité de nos fentimens : ii c*efl pour
la défendre, cet office quon lui rend lui cft defa-
Çrcable : elle n'a pas beioin du fccours du men-
îongc pour fe défendre.
On
»s fARLER. Lh.V. Châp. XVin, 41^
On doit donc dire les chofcs fimplcmcnt comme-
clles font, & prendre garde de ne rien inférer <jui
puifle porter les Juges à rendre un jugement m-
iufte. Mais aufïi une affaire a plufîeurs faces dont
les unes font plus agréables, les autres ont quelque
chofe de choquant , & qui peut rebuter les Audi-
teurs. 11 cft de Tadrcflc d*un fage Orateur de ne
pas propofer une affaire par une face dioquante,&
qui puifTe donner une opinion defavantageufe de
ce qui doit fm^re.
L'Orateur doit £iire choix des drconflances de
Taélion qu'il propofe. II ne doit pas s'arrêter à
toutes également. Il y en a qu'il hut palTer fous
iîlence , ou ne dire qu'en paffant. Quand oa eft
obligé de rapporter quelque cîrconftance ôdieufe,.
& qui peut faire paroîtrc criminelle TaéHon que Ton
défend, il ne faut pas paffer outre fans avoir re-
médié au mal que ce récit pourroit faire, Ôclaifler
TAuditcur dans la mauvaife opinion qu'il aura
pu concevoir. Il faut apporter quelque raifon»
ou quelqu'autre circonftance qui change la £ice de
h première, & lui en fafle prendre une moins
odieufe. Vous êtes obligé de rapporter la mort
de celui qui a été tué par celui que vous défendeir
comme vous ne parlez que pour un homme inno*
cent, en même temps que vous rapportez cette
mort, il faut rapporter lesjulles caufes de cette mort„
& faire voir que celui qm a tué , ne l'ia feit que pàf
mallieur, que par hazard^ & fans deffein. Oa
doit aulTi prévenir Tefprit des Juges, & faire pré-
céder toutes les raifons, toutes les occaiions, tou-
tes les circonftances qui peuvent juftifier cette
aélion , afin que lorfqu'ils en entendront la pro-
pofition, ils foient difpofez à l'examiner , & à
reconnoitre qu'elle n'a que l'apparence de crime ,
& qu'en effet elle eftjufle , puifqu'elle a été accom-
pagnée de toutes les circonltances qui rendent
in-
^14 La Rhetohique, ou l'Arx
ihnooentes de femblables adtions.- Non feulcm«nr
cet artifice n'eft pas défendu , mais ce fcroit une
faute de ne s'en pas fervir. L'on doit craindre de ren-
dre la Vérité odieufe par fon imprudence. Cénfe-
roit une bien grande que de dire les chofes d'une
manière dure , & de donner occafion à ceux qui
écoutent, de faire un jugement téméraire. Les hom-
mes jugent d'abord, &fuivent après leurs premiers
jugcmens; .ainfi il eft important de les prévenir.
Les Rhéteurs demandent trois chofes dans "une
narration, qu'elle foit courte, qu'elle foit claire,
qu'eue foit probable. Elle eft courte lorfqu'on dit
tout ce qu'il faut, & que l'on ne dit que ce qu'il
faut. On ne doit pas juger de la brièveté d'une
narration parle nombre des parole?, mais par l'exac-
titude à ne rien dire que ce qui eft neceflaire. Ùl
clarté eft une fuite de cette exadlitude; le nombre
des chofes inutiles étouffe une hiftoire , & empêche
qu'elle ne reprefente exaélement à Teipritradioft
qu'on raconte. 11 n'eft pas difficile à notre Ora-.
teur de rendre vrai-femblable ce qu'il dira , puifquU
n'y a rien de fi femblable à la vérité- qu'il défend,
que la Vérité même. Cependant pour cela il hutwx
peu d'adrefle , & il eft évident qu'il y a de certaines
circonftances qui toutes feules feroient fufpedcs,
& ne pourroient être crues fi elles n'étoîentfoutc-
nuës par d'autres circonftances. Pour faire donc pa-
roître une narration vraye comme elle Teft ene^
fet , il ne faut pas oublier ces circonftances.
C H A^
BB PARIS n. Liv. V. Cbsf.XJ X 4t 5.
Chapitre XIX,
De le trêijume partie ie la Difpcfitimf qui eft lm>
Cûnfirmatien y au de VétabUffemetU des preuves ^i^^
en même temps de la Réfutation des rai/ons des ad*
verjairef,
S Avoir établir par des raifonnemens folides la..
vérité, rcnvcrfcr le menfonge qui lui eft oppo-
lë» c'eft ce que la Logique emeigne. C'eft a elle
qu'il £iut apprendre à raifonner, comme nous
lavons dit. Cependant nous pouvons donner ici
quelques règles , qui avec ce que nous avons enfei-
goé dans le Chapitre fécond, pourront fuppléer
en quelque manière à la Logique , que ceux qui
lifient cet Ouvrage n'ont peut-être point encore
étudiée.
Premièrement, il faut étudier fonfujet, faire at-
tention à toutes fes parties, les envifageant toutes,
afin d'appercevoir quel chemin l'on doit prendre
Qu pour fidre connoître la Vérité, ou pour dé-
couvrir le Menfonge. Cette règle ne peut être pra-
tiquée que par ceux qui ont une grande éten-
due d'efprit, qui fe font exercez à refoudre des
Îneftions difficiles , à percer les chofes les plus ca-
hées , qui font rompus dans les affaires , qui d'a-
bord qu'on leur propofe une difficulté , quoi-
qu'embarraffée , en trouvent auffi-tôt le dénouc-
iQent, & ayant Tefprit plein de vues & de veri-
te^t, apperçoivent fans peine des principes incon--
teftables pour prouver les choies dont la vérité
«ft cachée, & convaincre de faux celles qui font
fiufles.
La féconde jregle regarde la clarté des princi-
pes fur lefquels on appuie fon raifomiement. La.
four-
4ii5 La Rhitoukujb, •« t'AmT
fource de tous les faux raifonnemens que font les
hommes, cft cette fecilité de fuppofer téméndie-
ment pour vraies les chofes les plus douteufes. Ils
fe laiflent éblouir par un faux éclat , dont ils ne
s'apperçoivent que lorf^u'ilsfe trouvent précipitez
dans de grandes abfurditez , & obligea de confen-
tir à des proportions évidemment àufles» s'ils ne
fe retracent.
La troifiéme règle regarde la liaîfon des prin-
cipes, avecleurs conféquences. Dansunraifonne-
ment exaél les principes & les conféquences font
fi étroitement liez, qu'on eft obligé d'accorder
h confequence , ayant confenti aux principes ; puis-
que les principes & la confequence ne font qu'une
même chofe ; ainfî vous ne pouvez pas raifonna-
blement nier ce que vous avez une fois accordé.
Si vous avez accordé qu'il foit permis de repouf-
fer h force par la force , & d'ôter la vie à un enne-
mi , lorfqu'il n'y a point d'autre moien de confcr-
ver la fienne ; après qu'on aura prouvé que Mi-
Ion en tuant Clodius n'a fait que repouffer la force
par la force , vous êtes obligez d'avouer que Mi-
Ion eft innocent; parce qu'effcdivemcnt en con-
fentant à cette propofition, qu'il eft permis de re-
poufler la force par la force , vous confentez que
Milon n'eft point coupable d'avoir tué Clodius qui
lui vouloit ôter la vie ; la liaifon de ce prindpe &
de cette confequence étant manifefte.
Il y a bien de la difterence entre la manière de
raifonner des Géomètres, & celle des Orateurs.
Les veritez de Géométrie dépendent d'un petit
nombre de principes : celles que les Orateurs en-
treprennent de prouver , ne peuvent être éclaircics
que par un grand nombre de circonftances qui fe
fortifient, & qui ne feroient pas capables de con-
vaincre , étant détachées les unes des autres. Dans
les preuves les plus folidcs , il y a toujours des àif-
fi-
Bi PARLER. Lh. V. Chap. XIX. 417
iicultez qui foumiflent de la matière de chicaner
aux opiniâtres, qu'on ne peut vaincre qu'en les
accablant par une foule de paroles, par un édair-
dflement de toutes leurs difficultez & de toutes
leurs chicanes. Les Orateurs doivent imiter un
foldat qui combat fon ennemi. Il ne fe contente
pas de lui faire voir fes armes, il renfiappe,il s'é-
tudie à le prendre par fon défeut , par ou il lui fait
jour , il évite les coups que cet ennemi tâche de lui
porter. En un mot, il prend toutes les poftures
que la nature & l'exercice enfeigne pour attaauerôc
rourfe défendre, comme nous avons dit ailleurs.
-es Géomètres fe contentent de propofer leurs
preuves , & cela leur fuffit.
Il y a de certains tours & de certaines maniè-
res de propofer un raifonnement , qui font autant
que le raifonnement même , qui obligent l'Audi-
teur de s'appliquer, qui lui font appercevoir la
force d'une raifon , qui augmentent cette force ,
qui difpofent fon efprit , le préparent à recevoir
la vérité , le dégagent de fes premières paffions ,
& lui en donnent" de nouvelles. Ceux qui favenf
le fecret de réloquence , ne s'amufent jamais à rap-
porter un tas & une foule de raifons : ils en choi-
nifent unebonne,& la traitent bien. Ils établiffent
folidementle principe de leur raifonnement, ils en
font voir la,clarté avec étendue. Ils montrent la
liaifon de ce principe avec la confequence qu'ils
en tirent, & qu'ils vouloient démontrer. Ils éloi-
gnent tous ks obftades qui pourroient empêcher
qu'un Auditeur ne felaiflatperfuader. Ils répètent
cette raifon tant de fois, qu'on ne peut pas en évi-
ter le coup. Ils la font paroître fous tant de faces,
qu'on ne peut pas l'ignorer, ôc ils la font entrer avec
tant d'adreflc dans les efprits , qu'enfin elle en de-
vient la maîtreflc.
Les préceptes que Ton trouve dans IcsRhetori?
ques
4x8 La Rhetokiq^ux , ou i*A»\t.
ques communes touchant les preuves &la Rcfiita*
tion , ne font point confiderables. Les Rhetcu»
Gonfeillcnt de placer d^abord les plus fortes rai-
fonsv^ dç les mettre à la tête dudifcours, les
plus foibles au milieu, & dereferver quelqu'une
des plus fortes à la fin. L'ordre naturel que Ton
doit tenir dans la difpofition des argumens, c*cft
de les placer de forte qu'ils fervent de degrez aux
Auditeurs pour arriver à la Vérité, &qu3sfâffcDt
cntr'cux comme une. chainc qui arrête celui que
l!on veut affujettir à la Vérité.
La Réfutation ne demande point de règles 'par-
ticulières. Qui fait démontrer une vérité, peut
bien découvrir Terreur oppofée, 6c la faire-paroi-r
tre. Ce que nous venons de dire du. foin que
FOrateur doit avoir de bien faire paroître la
force de fes principes , & leur liaifon avec les con-»
fcquences qu'il en tire , s'entend pareillement du
foin- qu'il doit avoir de faire remarquer la fkuffeté
des principes des adverfaires , ou fi leurs principes
font vrais , que leurs conféquences font très mal
tirées.
C H A P I T R K..XX.
l>e PEpUt£ue , dernière partie de la Difpofition»
UN Orateur qui appréhende que les chofcs
qu'il a dites ne s'échappent de la mémoire
de fon Auditeur, doit lui renouveller ces chofcs
avant que de finir fon difcours. 11 fe^ peut faire
que ceux à qui il parle ont été diftraits pendant
quelque temps , & que la quantité des chofes qu'il
a rapportées n'ont pu trouver place dans fon ef-
prit; ainfî il eft à propos qu'il répète ce qu'il
a dit| 6c. qu'il faffe. comme une efpece d'abrégé
qui
Dl PARLXR. Liv.K Cb. XXI. 4lp
[ui ne charge point la mémoire. Tout ce grand
lombre de paroles, ces amplifications, ces rc-
lites ne font que pour expliquer davantage la
écrite, & la mettre dans fon jour. C*eft pour-
quoi après avoir convaincu les Auditeurs , après
leur avoir fait comprendre nettement toutes cho-
ies, afin que cette conviélion dure toujours, il faut
faire en forte qu'ils ne perdent pas facilement le
fouvenir de ce qu'ils ont entendu. Pour cda il
faut faire ce petit abrégé , & cette petite répéti-
tion dont je viens de parler , d'une manière ani-
mée, 6c qui ne foit pas cnnuyeufe, réveillant
les mouvemens qu'on a excitez, & r'ouvrant,
pour ainfi dire , les playes qu'on a faites. Mais
u levure des Orateurs , fur tout de Ciceron qui
excelle particulièrement dans fes Epilogues , vous
tcra connoîtrc mieux que mes paroles , cette adrefle
^ cet art de ramalTer dans l'Epilogue , qe qui ell
-lépandu dans le difcours.
Chapitre XXI.
-Dis trois Mutns parties de PArt de perfmder , qm
fint PElocution i la Mémoire^ é^ ia Pronott'
dation.
JJ^Eftent trois parties à expliquer, TElocution;
*^ ou la manière d'exprimer les chofcs que l'on
m trouvées, & difpofécs, la Mémoire, & la Pro-
nonciation. J'ai donné quatre Livres à la pre-
mière de ces trois parties. Pour la féconde ,
În eil la Mémoire, tout le monde demeure
accord qu'elle eft un don de la Nature
^[ae l'Art ne peut perfeélionner que par un con-
tmud exercice qui ne demande point de precep-
La Prononciation eft trop avanugeufe à un
4î0 La Rketoriqui, ou l'Art
Orateur pour être dite en peu de paroles. Il y
une éloquence dans les yeux , & dans. Tair de'
perfonne , qui ne perfuade pas moins que les il.
fons. Dès qu'un Orateur qui a cet air commahl
ce à parler , on lui donne les mains. Telles Pre-l
dications font bien reçues, étant bien prononce
qui font méprifées dans la bouche d'un hommel
oui prononce mal. Les hommes fe contentent de
1 apparence des chofes. Dans le monde ceux qô'
parlent avec un ton ferme & élevé, & qui ont Tair
agréable , font affurez de remporter la viâoirc
Peu de perfonnes font ufage de leur Raifon. On
ne fe fert ordinairement que des Sens : On n'en-
mine pas les chofes que dit un Orateur : On en
juge avec les yeux & avec les oreiUes.S'il contente
les yeux, s'il flatte les oreilles, il fera maître du
cœur de fes Auditeurs.
La n^ceffité de prendre les hommes par lent
foible , oblige donc notre Orateur zélé pour h
Vérité, à ne pas négliger la prononciation. Il y
a fans doute de certains défauts , des poftures in-
décentes, ridicules, afFeétées, baffes, qui ne fc
peuvent fouffrir, & des tons de voix qui bleffent
fes oreilles, &: qui les fatiguent. Il n'eft pas ne-
ceffaire que je les fpecifie , elles fe remarquent
affez. Les fentimens » les affeélions de l'ame ont
un ton de voix , un gefte & une mine qui leur
font propres. Ce rapport des chofes & de la ma-
nière de prononcer , fait les bons Dédamatcurs.
Ils étudient le ton de voix qu'ils doivent pren-
dre , leurs geftes. Ils favent quand ils doivent
s'animer, & parler avec véhémence. Un Prédi-
cateur qui crie toujours, eft importun. U doit
élever ou rabbaiffer (à voix , félon les imprcf-
fions que fes paroles doivent faire. Tout doit
être étudié dans un homme qui parle en pu-
blic i fon gefte» fon vifagc;.dc ce quiiend cette
étu-
»E PAKLER. Lh, V, Chap. XXL 43X
étude difficile , c*eft que fi elle paroiflbit , elle ne
feroit plus fon effet. Il faut employer Tart , 8c
il n'y a que la nature qui doive paroître ; auffi
c'cft elle qu'il faut étudier. Quand eUe agit ,
qu'elle nous fait parler, le feul air avec lequel
nous parlons , le ton de la voix , font autant 8c
plus que nos paroles. Ceux qui nous voyent8c
entendent, favent, pour ainfi dire, ce que nous
voulons 4ire avant que de nous avoir entendu.
Jamais Dédamateur ne réuûlt que quand il a
acquis d*être naturel, parlant néanmoins avec art,
c*eft-à-dire, qu'il peut dire ce qu'il a appris car
cœur, comme fi la nature feule fans art 8c fans
préparation le faifoit parler.
Dieu ayant fait les hommes pour vivre cnfem-
ble dans une grande union, il les a tellement
dlfpofex, qu'ils prennent les fentimcns de ceux
avec qui ils vivent, lorfqu'ils paroifTent naturel-
lement. On s'afHige avec une perfonne qui pa-
roît affligée : On a de la joie avec ceux qui
lient. Les fignes naturels des paflîons font im-
preiTion fur ceux qui les voyent , & à moins qu'ils
ne fàifent de la refîflance, ils s'y laiirent aller.
Ainfi tout homme qui parle naturellement , fé-
lon les fentimens qu'il a dans le cœur, ne man-
que point de toucher fans qu'il y penfe : ceux
?ii l'écoutent, prennent fes mêmes fentimens.
omme les hommes n'agiflcnt prefque point par
raifon , que c*cfl l'imagination ou les fens qui
les gouvernent , on voit que ceux qui favent re-
prefenter au dehors les fentimens qu'ils veulent
mfpirer, ne manquent point de réiifQr. Les Dè-
clamateurs ordinaires n'affecflent qu'une pronon-
ciation éclatante, qui cfFeétivement donne de
l'admiration; & en cela ils réuffiflenticar comme
naturellement on parle avec un ton élevé, 8c avec
des geftes extraoroiçaires de ce qui ça extraordl-
nai-
43* La Rhitoriqjje, ^u l'Ak*
naire, & dont on eft furpris, quand un Déclama-
teur ouvre la bouche fort grande , qu'il fait degranà
geftcs , le peuple ne manque pas de croire qu'il
dit de grandes chofes , il Tadmire , mais cette ad-
miration n'a aucun fruit. 11 ne fait pas même at-
tention à ce que dit le Déclamateur;ilcfttropoC'
cupé de fes manières extraordinaires.
11 faut déclarer naturellement comme parlent
ceux qui font véritablement perfuadex des mêmes
fentimens qu'ils veulent infpirer. Alors, com-
me on -vient d'en donner la raifon , les Auditeurs
font portez par la nature à .prendre ces fentimens.
Il y a peu de gens 'qui déclament naturellement:
^ On s'imagine que pour bien faire il faut faire
quelque chofc â'extraorJinaiie. Au contraire on
ëiit toujours ni.;! quani on ne fuit point la natu-
re. Il cfl rare que ';eux qui recitent despiecesap-
prifcs par mé'v.irc, aycnt un grand talent pour
la prononciaiiun, parce qu'ils difent les chofes
comme la mé»îioire les leur rend. Cependant Tamc
ne prend pas de fuite les mouvemens félon Tordre
qu'ils ont été couchîezfur le papier, & qu'ils font dans
la mémoire. 11 eft difficile fans un grand art de
feindre des mouvemens qu'on n'a pas. Com-
me le Déclamateur ne peut donc faire paroître dans
ies yeux , dans fon air , les mouvemens que cespa-
rôles marquent , les Auditeurs ne reffentent pomt
les effets de cette Sympathie mutuelle , qui M
Î)rendre les mouvemens de ceux qui en paro^
ent touchez.
Ch*^
D« VAHLIA, Uv. V. Chef. XX IL 4)3
C H ÀP X T n s XXII.
fyf diffofition qui efl particu/iere aux DiJi^Mrs
Ecclejtajîlquts , ou Sermons.
)
N ne doit pas s*étonner que je n'ayc e&core
rien dit de la Prédication. Ce n-eft pas la
fttume de le foire dans des Livres de Rhétorique.
>ut ce qui fe dit de cet Art dans les écoles , eft
i des anciens Rhéteurs. Ni les Grecs, nileiRo-
lîfts ne faifoient point d'aflcmblécs pour rinftruc-
n du peuple, comme on le fait parmi lesChré-
ns. Leurs Difcours publics ne regardoient que
affaires du Barreau ou de TEtat; quelquefois ils
nnoient des louanges en public à ceux qui a voient
▼i la Republique. La Rhétorique, comme ils
nfcignoient, & comme onl'enfeigne aujourd'hui,
ivoit point d'autre fin. Les préceptes qu'elle doh-
,' ne font que pour ces fortes de pièces. La coû-
me n'excufe pas \ ainfi lî c'étoit pour moi une
digation de donner des préceptes pour les Difcours
dïc font pour l'inllrudlion des peuples, je fe-
ôs coupable, à moins que ce que j'ai dit en ge-
aal touchant l'Art de parler ^ de perfuader , ne
Itfuifire^ & c'eil ce que je prétends. Car je crois
'oir cnfeigné toute la Rhétorique qui eft neceflai-
aux Prédicateurs , & qu'ils ne peuvent attendre
cet Art , que ce que j'en ai dit. 11 eft vrai au'il
r en a point alfez pour prêcher; maisc'eftquoii-
• la manière de dire les chofes, ce que TArt de
"Icr enfeigne , il faut avoir de quoi parler. Je
gnore pas qu'il y en a qui fouhaiteroient que
3imc jai donné des lieux communs auxAvo-
4 pour trouver de la matière de quoi compo-
T fer
4VI La RNiTûniQj'Ef ov i.'A«t
fer leurs plaidoycz , j'cndonnaffc aux PrcdiatcuB j
pour prêcher, fans qu'ils fuflcnt obligez d'étudier;
mais ceux qui auront fait attention aux refiexioni
que j'ai faiitcs fur ces lieux commxms , jugèrent
bien qu'ils leur feroient inutiles. Ils nefontcapi-
i)les que de faire de médians Orateurs » comme
nous l'avons fait voir. Il faut favoir , pour inf-
truire, dlfce quod dacitu. CeA en vam qu'on
veutfuppléer à l'ignorance deceuxquiontramU-
tion de prêcher avant que .d'avoir rien appris. Un
Ecdefiaftique (}ui a de la pieté & de l'humiiitéyft
contente de faire des initruétions familières, qp
lie demandent point d'art , .& peu d'étude. H i)
a qu'à méditer les premières veritez de notre Rdh
gion, pour les accommoder à l'inte^igence du petit
Ïieuple. Ceux qui par le devoir de leur Chaige
ont obligez de faire des Difcours plus forts, es
trouvent des modèles fur lefqucls ^ peuvent ft
régler, même les débiter comipe ils font, ccqm
leur acquerra plus de gloire , quand même oi
connoîtroit les fources oti ils puifcnt , que ceux
qu'ils feroient par le moyen de certains lieux
communs.
Je n'ai donc rien oublié que je duflc traiter, fi
ce n'eil; que je n'ai point parlé de cette difpofitioa
qui eft particulière aux Sermons, comme j'ai par-
lé de la difpofition 6c des parties d'une Harai^ue
telle que font les Harangues deDemofthenc&de
Ciceron. Il fera facile d'y fuppléer, & de le faire
len peu de mots. Il y a deux manières d'inftruizt
le peuple , fans parler de celle où l'on catechifc
Teulement les enfens. La première , prefquc îi fcu'
le ufîtce dans les premiers fiecles de l'Eglife, ne
conliftoit que dans une explication de l'Ecriture.
"Celui qui faifoit la fonélion de Ledleur, en li-
iBitunouplulieurs verfets» doatr£vêque4onnoit
l'ex-
m FAHiift. lir. V, CÊNip, XXfl. 43c
Texplication , s*appliquant à combattre les Herc-
.fiesqui troubloient TËglife, ou prenant occafîon
. de reprendre les vices qui regnoient. Cela s'appel-
-loit , Home/ie f Sermon; c*cft-à-dirc entretient
converfation , parce que ces Difcours fe faifoient
d'une manière âmiliere qui ne demande point d*art.
Ceux qui voudront bien faire une Homélie, n'ont
qu*à lire Saint Chryfoftome, 6c les autres Pères.
on profitera plus en confideraiit ces modèles ani-
-meif qu'en hfaht des préceptes fecs, qui font peu
d'imprelTian.
Aujourd'hui on a une autre manière qui a plut
d'art. On ne choifit qu'un verfet de l'Ecriture ,
qu'on applique à fon fujet. On propofe d'abord
ce fujet: & pour le traitter comme il le doit être,
on demande les lumières du Saint £fpritparrinter-
ceffion de la Vierge, qu'on faluëen redtantl'^rtf
Maria. Ënfuite on partage fon Difcours en deux
ou trois points , aufquels oa rapporte tout ce que
iTon a à dire. Il y en a ^ui font ce partage avant
Y Ave Maria i après lequel ils commencent àexpli«
quer leur premier point.
Cette difpofition eft arbitraire , & n'eft fondée
que fur la coutume. Ujive Maria eft aflez nou-
veau. On remarque que cette prière commença
.defe faire à la naiffance des dernières HereiieSp
pour diftinguer les Prédications des Catholiques
d'avec les Prêches des Hérétiques. La divifion ea
'trois points vient de la Scholaftique , qui expli-
que les Sciences par diviûonsScfubdivifions. Les
anciens Sermonaires ne fe contentoient pas de
trois points. Voyons ce qu'on peut dire d'utile
touchant cette difpofition reçue 6cautoriféedant
i'Eglife.
Un Prédicateur doit choiiîr pour matière defe»
.iafiruâionsy ce qui convient au lieu 6c au temps
T 1 qtf fl
^^6 Là Rhetoriqjis, ou.x'Art
qu'il prêche, & à la condition de ceux à. qui il par-
le. Pour fatisfoire à la coutume, il.doitptendrtn
Texte, ou paflàge de l'Ecriture, dont le fens litté-
ral , s'il e(t pofiible , ne foit pas éloigné de et
qu'il va dire : car ceux qui ont quelque connoit
lance de TEcriturc , font choquez lorique dès ren-
trée d'un Difcours oin l'on fût profeûîon d'expliquer
rEcriture,.on la prend à contre-fens.
A l'entrée de fonDiicours il faut donner uncidée
générale de Ibnfi^et, préparer Tciprit des Audi-
teurs, leur faire voir l'importance jdc ce qu'on
va traitter. Ce que nous avons dit touchant te
Exordes, cft d'ufiigc ici pour fe faire écouter. Uo
Exorde doit avoir quelque trait extraordinaire»
qui puifleprocurer l'attention. La pieté, ^lacofi-
noiiiance que nous avons de la neceflité delà Gn-
ce , nous oblige auffi de ne pas continuer un àf-
cours fans l'interrompre, pour attirer Tcfpritdc
Dieu par nos prières.
Puifque c'elt l'ufage , ilfautreduirèvce qoel'oo
veut enfeigner à deux ou trois cheft , qui aycnt
du rapport à une principale chofe, & que lePr^
dicateur doit avoir en vue; car comme il s'agit (te
pcrfuader & de toucher, il ùut tenir en haleine
Ion Auditeur, le tenant toujours attentif à cette
principale vérité , qui eft le lujct de fon Difcouis. i
Nous l'avons dit, l'Orateur doit donner une gran-
de idée de ce qu'il va dire i enflammer fes Audi»
teurs du defir de lefavoiràfond; entretenir ce dfr
fir, éclairant toujours de plus en plus cequ'ilacn-
Irepris d'éclaircir, mais jufqu'à la fin, à diaque
pas, pour ainfi dire, faifiint entrevoir qu'il y a de
plus grands éclaireiffcmens à attendre; ce qui fait
que la curioiîté eft toujours ardente tout ietemps
qu'il continue de parler. Pour cela il faut qu'il y
^t de l'unité dans fon deflein > c'eft^à-dire qu'à
ait
DS PMLttu. Ltif.V. Chàp'XiCTh 437
att en vûë une grande vérité dont il veuille con-
vaincre , & qu'il veuille faire aimer. Il peut dire-
plufieurs chofes, mais c'eft à cette vérité que tout
doitfe rapporter. Or, c'eft cette liaifon qui cft
rare dans une Prédication. Ceft foùveftt un ramas
de différentes chofes , de differens genres , un pot
pourri. Quand l'Auditeur fe fent pouffé d'un côté ,
prefque auffi-tôt on le rappelle ailleurs, & il ne
fait ce qu'on veut faire de lui. Ceft pour cela
qu'il eft rare qu'un homme d'efprit ne s'ennuye
pas au Sermon , & qu'il y puiffe être attentif. Je "
parle de ces Sermons oti le Prédicateur veut plai-
re. Car ces Prédicateurs qui n*ont point d'autre
vue qued'inftruire, felonrobligation de leur Char-
ge, font toujours écoutez avec édification.
Revenons à un Prédicateur qui employé toute fa
Rhétorique pour bien faire. Fuifque e'cft Tufage ,
il peut divifer fa matière en deux ou trois points,
Mais ces trois points doivent être trois parties tel-
lement liées, qu'elles ne faffent qu'un tout; qu'el-
les ne compofent qu'un corps proportionné qui ait
une feule forme , & qui ne foit pas monftrueux ,
compofé de parties diflferentes qui ne feréUnififcnt
point fous un chef, ut nec pesj nec eaput uni redr
daturjormé. Un Prédicateur ne réunît point, à
moins qu'il n'y ait pas un fcul mot qui ne porte
TAuditeur vers le terme où il a deffeinde le con-
duire; ce qui demande beaucoup d'art, & une
gvande juftcffe d'efprit.
Je n'ai rien à dire de particulier fur k manière
dont un Prédicateur doit traittcr fa matière. Pour
perfuader, il faut propofer la venté: il faut établir
les principes d'où die fe tire, & les mettre dans
un grand jour. Les principes fur lefquelss'appuyçnt
les Prédicateurs , c'eft TEcriture, c'eft la Tradi-
tion, ce font les paflâges des Conciles & des Peres^
T 3 qui
1
43^ La RHîTORiauB» ou l^Akt
qui nous ont confervé cette Tradition. Ainfilenh
fonnemcnt d'un Prédicateur confiftedans Texpofi-
tion des paflagcs de TEaiture & des Pères II faiffit
ordinairement de rapporter le fens despadâges»
fans alléguer les tentes originaux, parce que cda
fait une bigarrure defagréable. On s*en fie au Pj^
dicateur ; il ne doit point citer les propres parolâ
des Auteurs , que dans de certains points impor-
tans, ou de temps en temps pour réveiller Tattcn-
tion par un langage extraordinaire. Iln^flpasne-
ceffaire que je répète ici ce que j*ai dit de la ma-
nière d'éclaircir la Vérité , & de la faire compren-
dre aux efprits les plus fîmples & les plus abftraits,
comme auin ce qui a été propofé touchant l'c-
xaélitude avec laquelle on doit pourfuivre le fit
d'un raifonnement* On a vu combien les Tropet
& les Figures étoicnt utiles pour mettre la vérité
dans un beau jour , & pour toucher. Il ânt rap»
pcller tout cela ici.
Ce qui fait la principale différence des Prédi-
cateurs qui inllruilent les peuples, &desAvocats>
c'eft que ceux-ci ont pour Auditeurs des Juges
qui ne fe laiiTent perfuader que par la force d'un
raifonnement exaét, & des adverfaires qui exami-
nent leurs raifonnemens. Tout l'Auditoire cA con-
vaincu de ce que dit le Prédicateur : on ne le va
entendre que pour être touché de quelque fentiment
de dévotion. Il n'eft donc pas neceflaire qu'il entre
dans des controverfes, comme s'il avoita difputer
dans une Conférence contre des Heretiques,ou dans
une école contre des adverfaires qui impugnentfes
fentimens. 11 ne doit pas fai re une leçon de Théo-
logie: il faut qu'il évite tout ce qui e(l abilrait,
les raifonnemens trop fubtils ; choLfîilânt ceux
que les peuples entendront le mieux, les plus forts
à leur égard , parce qu'ils font plus d'impreiiion fur
leu£
D£ PARLER. Lh. V. Chap. XXJL 439
eur efprit, nefuppofantrien, expliquant tout, dé-
rdoppant la vérité. £n un mot , il ne doit rien laiir
ier à deviner^ fe fouvcnant qu'il parle au peuplo
peu inftruit, à qui tout efl nouveau , tout elt obf-
mr. Comme fon but efl de porter à Dieu fes Au-
diteurs» de les détacher du monde, de leur faire
embrafler la Pénitence , haïr le péché , aimer la
▼ertu» il doit ménager tous les avantages qu'il
» pour cela ; c'ell-à-dire , qu'après qu'il voit que
fon Auditeur eil convaincu d'une vérité, il doit
en déduire toutes les confequences favorables à It
fin qu^il a en vue , faifant de vives defcriptions de-
la beauté des chofes qu'il veut faire aimer, de la
4ifformité de ce qu'il veut fiûre haïr. Nous avons
donné des règles pour cela.
Pour dire beaucoup en peu de mots, difons que
^eft le jugement qui fait les grands Prédicateurs p
auffi-bien que tous les autres grands Orateurs.
Je parle d'une grandeur réelle, qui n'eft pas fondée
fur une vaine réputation , fur le peu de jugement
â*une populace qui fe laiiTe furprendre par l'appa-
rence , & émouvoir fans raifon« Outre que parmi
la foide il fe trouve des gens d'efprit, tout ce
qqc l'on dit doit être raxfonnable. Les mou-
vemcns qu'on veut infpirer doivent naître de
h connoi (Tance de la vérité qu'on a expofée , au-
trement on ne touche que pour un moment. L'Au-
diteur qui fe retire fans favoir ce qui Ta émû , re-
prend les premières inclinations auffi-tôt qu'il n'en-
tend plus le Prédicateur; au lieu quelorfqu'onla
convaincu d'une vérité , cette conviélion entretient
les bons mouvemens qu'on lui a donnez. Je crois
4YOir dit ce qui fe peut dire d'utile pour cela, ôc
Scncralement pour tout ce qui regarde l'éloquence
le la Chaire; quand j'en dirois davantage, ceux
Sui m'écouteroient n'en deviendroient pas meU-
turs Prédicateurs.
T4 E»
'440 La Rretokiclub » ou l*A%t
En finiffant cet Ouvrage il faut que je ftflcal|
aveu finccrc, qu'il ne-pcut être utile qu'à celui qâ
lira avec foin les Ouvrages de ceux qui écrivat
avec TArt que nous avons enfeigné. Comme a
fe promenant au Soleil on prend un teint baiâoé'
fans qu'on s>n apperçoive, auffi on prend les ma-
nières des Auteurs en les lifant. Cela ne fe fait
qu*à la longue » & infenûblement ; car il ne faut pas
s'imaginer , par exemple, que pour avoir lu une
fois Ciceron d'un bout à l'autre , on prenne fon ftilc
U fout s'attacher à un petit nombre d'Auteurs cx-
ccllens qu'on life affidument. Cet Ouvrage ne
doit fervir qu'à faire remarquer les beautez qu'on
lencontre dans les Orateurs fameux. On imite
plus facilement ce qu'on connoît ; ainfîles fpecu-
lations qu'on fait fur la Rhétorique , ne font pai
inutiles. Elles fervent à former le goût, qui ncft
autre chofe qu'une habitude de bien juger fur
les idées qu'on a prifcs en lifant les excellens ouvra-
ges, comme on le forme legoût delà peinture en
voyant d'exccllens Tableaux. Tout cil beau à ceux
qui n'ont rien vu. Qui n'auroit jamais lu ni
Virgile ni Horace, ne feroit pas fi difficile à fe con-
tenter en lilhnt des vers Latins. Accoutumé aux
bonnes chofes , on fe dégoûte des communes. Le
goût efl donc une habitude de bien juger furies
idées juHes qui viennent de la leif^ure de ceux qui
au jugement de tout Je monde , dnt parfaitement
réiiffi. Legoût, dit un Auteur célèbre, efl un
fentimtnt naturel qui tient à tame , & qui efi indé^
fer.dant de toutes ies Sciences qu'on peut acque^
riy; le goût n^eft autre cbofe quun certain rapport
qui fe trouve entre fefprit ô* les objets qu'on lui
frefentei enfin le bon goât eft le pi'emier mouve^
ment^ ou pour ainfi dire, une efpece ttinfltnfi de
U droite Bjiifën qui l*<ntraîne avec rapidité ^ & qui
la
SE PARim. Uv.VChap.XXît 44ii
nnduit plus fureminl fut tout les raifittntment
'tUt pturrùt piirf. Jc n'œ dcmentc pas d'ac-
rd, & poiir exprimer plus fimplCtu'cnt ce quer
■& que le goût ; jc dis que fi un Peintre qui fait
fond les principes de fon Art , remarque mieuï
beautei d'un Tableau, & dlplus en état d'en
>fiKr, Se de fe former une ^os excellente idée
la Peinture; aulîï celui qui fait fat quels fon-
mcns les règles de l'Art de parler font ap-
yées, fc met lui-même au deuus de l'Art^ il
peut juger, 8r fe fonner une plus par&itc idé*
ce qu'on doit appellei beau ca nutieie d'â»^
4^
AVIS
DE
L' I M P R I M E U R.
TL y a plus de trente ans que rAnteetr eom-
-^ mumqua^ àfes amis les premiers effau de tOn»
Ifr^ge qi^on vient de lire. Le R. P, Mafcê"
ron alors Prêtre de rOratoire^ anjotir^bmi Er
vêque J^Agen . dont il avoit eu le bonheur d^i*
tre le Dtfcipïe , lui fit faire un reprache oili»
géant de ce qu'ion ne lui avoit point fait voir cet
effai, U Auteur le lui fit prejènter , avec uue
Lettre ofi il ntarquoit fa Joie d* apprendre qtCil
avoit été nommé a rEviché de Tulles. Ce Pré-
lat fit la réponfe qu'yen va lire avec plaifir; car
les matières les plus fecbes fleuriffent fous laplih
me de ce grand Orateur. Auffi cette Lettre peut
s* ajouter aux ex£mples d^éloauence qu*oH a pro-
pofédans cet Ouvrage^ Elle fut à r Auteur un
frefage que fan travail pourroit être bien reçA,
£1 tâcha donc de le fUfir , là il le publia pour la
première fois Pan 1670 // Pa retouché dans
toutes les Editions qui s* en font faites à Paris..
Après celle-ci il n*y a pas cf apparence qu^il y faf
fu déformais de changement..
i.ET.
Fi
443
LETTRE
pM Rfverend Père Mét/earoUt Prêtre de POréioîr^
nommé s PEvêcbé Je Tulles ^ étvjeunTbui Eveque
étAgen ^au P» Lam^f , Prêtre de P Oratoire.
IL y a trop long-temps que je connois le canc«
tore de votre efprit ëc de votre cœur, mon Ré-
vérend Père, pour pouvoir douter de la beauté
de l'un , & de la bonté de l'autre. J'ai toujours
crû que vous feriez un progrès fi confiderable
4ana toutes les Sciences aufquelles vous vous ap-
^iqueriez, que vous vous trouveriez à la fin en
état de vous mettre à la tête de ceux que v6us
auriex fuivi quelque temps; Ce temps eft venu
taffivite que je le fouhaitois; 8c par ce que le
Pflio Malebraache m'a fait voir de votre paît , je
fins tout convaincu que vous êtes arrivé où les
aMPCS ne fe trouvent d'ordinaire qu'à la fin de
leor vie« Vous m'avez fait connoître la Théorie
4e cent chofes^ dont je ne favois que la pratique,
Se ce que je ne croyois que de la jurifdiélion de
sues oreilles » vous Va vez porté jufques au tribu-
iai de ma Raifon, Vous êtes à l'égard des élo-
quens de pratique, ce que font ceux qui étant é-
reillez, voyant marcher des hommes endormis.
Ils leur voient faire avec une Raifon diftinde, ce
Sue les autres ne font que par le feul mouvement
es efprits qui les font mouvoir. Nous n'allons
que par les fentimens où Tinilinét d'une éloquen-
ce naturelle nous fait marcher. Vous allez , mon
Père, jufques à la fource de cet inftind. Nous
jouïlîbns de la nature telle qu'elle eft : vous au-
riez été capable de la foire fi elle n'étoit pas. En-
fin votre connoiflance eft celle du matin , & nous
n'avons poiu: partage que celle du foir. Tout de
•V , .- T s bon.
444
bon 9 on ne peut pas démékr lyec plus de péné-
tration & de netteté les caufes Phyfiqacs de l'Art
de bien dire; de fi je crois n'en avoir lu que la
moindre partie, qui eft rélocution : & je penft
que vous allez bien plus loin dans le Traite des
Figures du diicours , qui ne s'arrêtant pas à cha-
touiller l'ame » la remuent jufques au fond. Vo-
tre ftile eft très-net , très-poli r & très-exaA: & i
me femble oue pour le ftile dogmatique, on ne
fauroit en choinr un qui foit plus propre. Voi
Comparaiibns font belles & juftes; je ne les voih
drois pas tout à fait û longues que font cdlcs do
Parterre, & d'autres. Tout ce que j'aorois
remarquer fur cet écrit que j-ai renvoie au Poe
Malebranche , eft fi peu de diofe» que je le r^
garde comme de petites taches qu'une petite ap»
plication de votre cfprit diffipera avec autant de
fiacilité , que le Soleil diffipe celles qui le cou-
yrent en tant de petits endroits. Cependant ne
vous abandonnez pas tellement à la ipeculationy
eue vous en ruiniez votre fanté. La rhilofophie
doit être la méditation de la mort ; mais il ne fiiut
as qu'elle en devienne l'inftrument. Faites-moi
a grâce de m'aimer toujours, & d'être perfuatf
que je fuis très-veritablementy mon R. r. Votre
trcs-humblc ôç très-obéiflant ferviteur ,
M A S C A R 0 H
l
lioe
NOUVELLES
REFLEXIONS
SUR
L*ART POËT1Q.UE.
Dans lerquelles.en expliquant quelles fone
les caufes du plaifîr aue donne la Poë-
fie 9 & quels font les rondemens de tou-
tes les Règles de cet Art > on fait
connokre en même tems le danger qu'il
y a dans la leâure des Poètes.
S0r h Co^ie in^riméc à Paris en 1678.
J '
i .
. I
»»8-W
AVERTISSEMENT.
I N ne fefropofejas dans ces Refie-
; lions fur P Art Poëti<fMe\, dt parler
; dei Reghs de la verj^eation, en
j fa fait fuffifamment danj PArt dt
parler ; on pr/tend feulement exa-
•MÎMer celles du Poème y i^ particnlicrêutent du
Poème Epique y des Pièces de Théâtre ; lef-
f utiles font auffi eommunet à tes Hijloires Poh
tifues, ^u'on appelle Romans, Comme on a £-
verfes raifons par lepjuelies on juge que ett Art
u'ejlfai fort utile , on n'a pas deWeiu £en fai-
re ict l'Apologie ; mais feulement de donner quel-
ques moyens pour faire que la jeunej/i life avee
mtilité des Poètes , fui peuvent fervir afin inf-
truÛion , isf pour lui donner du dégoût des Ou-
vrages qu'elle ne peut voir fans danger ; Cepen-
dant ce petit Trait/ donnera peut-être plus de
4ennoi£anee de CArt Poétique , que ces grtt
Volumes compofez fur cette matière par de fa-
meux Auteurs, Les cammencemens de la Poi-
fie y comme de toutes les autres chofes ^ ont itf
fort gr offert . Les Povtes s'/tudieretit peu àpeu
à eompofer leurs Ouvrages félon le goût de leurt
Jbiditeurs ,doiit le plaifirfut la feule règle qu'ils
448 Avertissement*
fiûvirenà iéms U comlmite it kmr$ Onrê'
Ar^ùte Témn renurfmi , fit Jes règles à tt
qm Us Poètes^ ymi flmfoifMt ^ évmemt c§ifmm
éi^oifenier, ^ reJMsJâfmr ce meiem UPêifie eu
Art. Ce Pbiloptphe raifonne fort fett/ttr les re*
Îles fM*il fropofe : il ne dit foiwt jueb enfiwt
fs fomdetHens ^ ^ ceux jni ont écrtt defms Av,
fentbUut frefque tons n avoir point eu JtoKtrt
bntj^ que de nous infirmre de fes fentimens.
Ces nouvelles Réflexions ont cela de partUw'
Tter^ qsâil tfy a point de règles dans ta Poèfie
dont elles ne découvrent les principes^ ^eft i
dire , les caufes du plaijir que donnent Us PoP'
Jies^ ok ces règles font gardées. Pour faire M
découvertes^ Pon s^appUqne i connoitre la natu^
re de Pbomme : Pon entre dans fin efprit (^
dansfon cœur , Çjf Pon recherche quel eft U ref'
fort de tous fes mouvemens. Ce font des vues
très-importantes ^ ^ dont la connoiffance àH
plaire a tout le monde.
Quoi aue les perfonnes defteti frayent pas U"
foin de favoir PArt Poétique ^ne s*amufantpoint
à compofer de ces fortes a^Ouvrages j ^ en li*
fant encore aujfi peu , elles pourront néanmoint
prendre plaifir à lire ces Reflexions , parce qi^fU
Tes peuvent beaucoup fervir a faire connoitre
Phomme^ ^ le néant des créatures aufquelUs^
s* attache \ ce qui a été la principale raifonqmÊ
forte P Auteur à les donner au public.
NOU-
P»g-449
NOUVELLES
REFLEXIONS
SUR
UART POETIQUE.
PREMIERE PARTIE.
ta fo'êfii efl um peimurt parlante àt ce fii'Uy a it
plus beau dam Ut Crtatures j elle fait enbliir
Dieu , àunt ces Créatures font Vîmage.
UÏ^^ Ire <^ /a Pe/Jleefl une peinture par Un-
HMHtl "• *"'^' ^^ pas une nouvelle rcmar-
HHB* '^^^' ■'-*^ peintures ordinaires lie s'«- .
ïinn(*B primant que par des- coukurs grolEcres
& matérielles, ne font que de (bibles imprcffions r '
au Heu que la PoëCe pir l'harmonie &la cadence
de fes Vers , en fait dans l'Ame de fi vive) & de
ji agréables 1 que l'on ne fe doit pas étonner fi uit
des Ma!uc3 de l'Art a pu dire ^ue les Poètes ren-
fcr-
4fO NouYiLLEs ReflsxioïTs
fermant leurs penfées dans les bornes d'un Ven,
& donnant une prifon étroite à leurs mots, ft-
vent par là énchamer laRaifon avec la Rime. Les
Peuples les plus fauvages ont été fenfibles à la dou-
ceur des Vers : c'eft jpourquoi lorfque les hommes
étoient encore difperiex par les Forêts commodes
bétes farouches , ceux qui les voulurent rafTem-
bler & les faire vivre fous des Loix dans une Ke-
publique , fe fervirent de l'harmonie pour les pcr-
luader. C*eft ce qui a donné heu à la Fable, qui
nous raconte qu'Orphée , un des Grecs, apprivoi-
fa les hons , & adoucit les tigres par les vers qu'il
chantoit fur le Luth; ^ que le Poet« Âmphion
obligea les rochers ^ les bois de fe mouvoir, &
de fe ranger avec ordre pour former une nouvel-
le Ville. Perfonne ne contefte que la manière de
parler des Poctes ne foit mcneiUcufe : que lent
langagenefoit divin. Ils donnent un tour à ce qu Os
difent qui n'ell point ordinaire , & qui nous en-
chante de telle manière, que ne nous fcntantplus
nous-mêmes , nous entrons avec plailir dans tous
les fentimens & dans toutes les Pallions qu'ils veu-
lent exciter dans nôtre Ame.
La matière de leurs Vers eft ordinairement
grande, & ils n'emploient de fi riches couleun
que pour peindre ce qu'il y a de plus excellent.
Les yeux ne voient rien de beau ni dans le ciclni
fur la terre , & l'imagination ne fe peut rienrcprt-
fenter de grand , dont l'on ne trouve chci eux
des defcriptions exaéles. Tout ce aue Ton peut di-
re de l'excellence de la Poëfie a été dit, & n'eft
ignoré de perfonne : mais tout le monde ne ^^
marque pas quelles font les chofes que noQsfiût
oublier cette peinture fi vive que les Poètes
font ordinairement des grandeurs d'ici- bas; ceo»
qui les hfent ne s'apperçoivent pas que ccsgnB-
dcurs qu'on leur rcprefçntc , ne font que de i^
sv% L'AâT PoiTiQjj». Part. L Ch.J. 4^1
mages de celles qui font en Dieu» auquel ils ne
penfent jamais; & ils ne voient pas lors qu'ils s'at-
achenc a ces images, qu'ils ne font pas moias in-
fenfez que le feroit un homme que la mort de
fil femme auroit rendu û extravagant , qu'il pren-
dront pour elle-même un Portrait bien fait. Ce-
pendant c'eft une vérité; mais comme elle cft
lurprenante» & que les admirateurs des Poétet
propfaanes que j'attaque id, ne fe perfuadent
pas facilement que leur erreur foit grande 8c fi
dangereufe, il faut faire quelques réflexions pour
les en convaincre.
Les Créatures font fans doute une image de
Dieu 9 &: chacun de leurs traits porte le carac*
tere de quelqu'une des perfeétions de la Divi*
nité. Cette vaile étendue de l'Univers, dont les
bornes nous font inconnues , reprefenterimmen-
fité de celui qui leur a donné l'Etre : Cette va-
riété admirable , qui paroît dans les ouvrages de
h Nature, fait connoître quelle eft la fécondi-
té de fon Auteur : Le cours réglé & confiant
des Aftres publie rimmortalitc de celui qui Ta
une fois ordonné , 6c ce plaifir que donne la
vûë de tant de belles chofes que le Monde ren-
ferme, eft comme un échantillon du plaiûrfou-
Yerain , dont jouïfl'cnt ceux qui poffedent Dieu.
Les hommes charnels ne peuvent compren-
dre ces veritn : ils ne portent leur vûë que fur
les Créatures; & ils ne s'élèvent jamais au def-
fiis d'elles , pour contempler cet Etre , 4e la
beauté duquel elles ne font qu'une peinture très-
imparfaite. Ainfi, comme un homme, qui au-
roit été attaché toute fa vie dans le recoin d'u-
ne caverne, en forte qu'il n'eut pu voir que les
Qmbres de plufleurs belles flatuës éclairées par
un flambeau qu'il ne voioit point, ne pourroit
prendre ces ombres que pour des réalitez :Aui&
pea-
451 NOUTELLBS REFLEXifOfr'S
pendant que ces eiprits terreAres fe renferment
eux-mêmes dans le Monde, & qu'ils ne conli-
derent que les corps, ils ne peuvent pas pcnfer
que les beautez paifageres d'ici-bas ne font que
les ombres d*une beauté étemelle.
. Les hommes ne voient pas non plus » que
Dieu cR. le principe & ie terme de ce moove-
ment ou de cette inclination de leur cœur, qm
leur fait aimer la grandeur, & rechercher la béa-
titude dans l'état où ils font. Us ne fentent cet-
te inclination qu'à Toccafion des grandeurs delà
terre, & des plaifîrs qu'ils trouvent danslcscho-
fes fenfibles. Lors qu'une pierre nous a frappé
Î>ar réflexion , nous ne pouvons faToir d'où d-
e eft venue , ainiî le mouvement de cette in-
clination, qui vient de Dieu, comme nous Tal-
ions voir, ne les frappant, pour ainfi dire, qu'en
réfléchi (Tant des créatures, ils aoient qu'elles en
font le principe , & ils les regardent comme le
terme où doit retourner ce mouvement.
C H A P Z T K B II. ^„
D/V« ayant fait toutes cbofes four fa ghîre j tm
les m»uvtmens qu'il a imprimez dans les Cresturef
tendent vers lui i c^eft fourquoi les hommes ne feuvrU
trowver du re^os qu^en Difu,
T^I/lpj comme un fage ouvrier , a rappottéfa
JL'ouvrages à la plus excellente fin qu on puiifc
penfer, qui n'eft autre que lui-même. De làvien!
que tous les mouvemens qu'il a imprimez dansk
cœur de fes Créatures, tendent vers lui, &qnc
toutes nos inclinations naturelles fe portent tcb
un Etre excellent que nous defirous ae connoînf
& d'aimer. On connoît que la Terre eft le cact
SB
stiK L*AiiT PoiTXQUi. fart. T. Ch.IL 453
des corps pcfans, par la pente qui les y porte tou-
jours , & par cette violence qu'il leur faut faire
pour les en éloigner. Cet amour naturel que nous
avons pour tout ce qui eft grand , pour ce qui
cft bien fiût; cet ardent denr avec lequel nous
cherdions un fouverain bonheur, qui foit im-
muable , infini , étemel , font pareillement des
preuves invincibles que nous fommes faits par un
Ëtregrandy parfait» fouverain, immuable, infi-
ni, éternd, & que les Créatures, dont la nature
cft finie , ne peuvent être nôtre centre.
Ceux que le péché a* aveuglez , corrompent
toutes ces bonnes inclinations : ils cherchent à ù
vérité la grandeur , l'immutabilité, l'infinité, Té-
temité qui eft Dieu même ; puis qu'ils fouhaite-
roîent que leurs débauches fuiient honnêtes : que
les plailirs , qu*ils y prennent , ne puflcnt être trou-
blei par aucun changement fâcheux , qu'ils y fouf-
frent à peine des bornes, qu'ils s'étudient à ce qu'il
.n'y manque rien, & qu'ils défirent que ces plai-
*iîrs-ne >finifiènt jamais : ainfi 'les mouvemens de
leur cœur, c'eft à dire, leurs defîrs, les portent
vers Dieu , mais ils détournent ce mouvement ,
ic ils ne cherchent pas Dieu où ils le doivent
dierchor; ils font continuellement appliquez à la
pourfuite d'un objet , dans la poffeffion duqud
tous ces defirs d'une félicité achevée fe puiffc re-
pofer. Car qu'on examine quelle eft la fin que tous
les hommes fe propofent dans leurs travaux , ils
Tculent trouver un parfait repos. Cherchez , leur
dit S. Auguftin , « qtte vvus cherchez , mais il n*ejl
pas oà vous te cherchez. Non efi requies ubi qu£ritis
gam : quarite quod qu^ritis 5 fed ibi non eft ubi
fudritis.
Ils reconnoîtroient bien-tôt leur erreur, s'iU
favoient profiter de tant d'expériences, qui les au-
roicntdâ convaincre, que c'eft en vain qu'ils cher-
chent
^^4 Nouvelles Rbfl&sxohs
chent ailleurs qu en Dieu même.» ccqa*ikdefiR&t
jtvectant d'ardeur, & que cen*eft qu'en loi fcul
que fe rencontre cette fonveraine grandeur 9 &
cette parfaite béatitude qu'ils fouhaitent. Mais 1-
près qu'ils font dégoûtez d'une créature, leurpaf-
fion ne fait que <;hanger d'objet : êc comme fi
tous les Etres de ce monde n'étoient pas d'une
même nature finie & bornée, ik efperemtoûjoon
que celui dont ils n'ont point encore découvot
les bornes 8c les défauts, fera celui. qui remi^
tiarfaitement la capacité infime de leur coeur: aiofi
oin de quitter l'amour qu'ils ont poiur le monde,
ils s'enfoncent toujours davantage dans TerreurAc
dans Taveuglement.
CUAPIT&B III.
Les Poètes entretiennent cette Uiufinn éti fawef.
ils dér9bent à leur eonnoijfance les huptrfeâms as
aeaturesy ^ la amu/ent far une vaine affâreatê
de grandeur»
LEs Poètes entretiennent les hommes dans co
illufions, dont nous venons déparier, enleff
cachant la bafleflfe des créatures, leurs bornes &
leurs imperfedlions. Cette peinture qu'ils font de
leur beauté, ft beaucoup plus engageante &pl«
capable d'arrêter les yeux, que les créatures ne k
font elles-mêmes. Dans tous les plaiiirs de htenc
fl y a toujours quelque amertume qui en corroBft
toute la douceur : les plus belles chofes du mon*
de ne font point fans quelque défaut ; mais cdi
ne fe trouve point dans les images que la Pocfc
en fait : c'eft pourquoi tout ce qu'elle en dit, al-
tache , & rien ne dégoûte.
Je me fuis quelquefois étonné » que le rep'*'
toi
s
suK l'Art PocTxQj;!. PêtuLCh.lîh 45;
«ois de certains lieux fc de certains emplois» dans
lefquels je me-fouvenjois fort bien^ que je n'avois
pas M fort content i.mais je rcvenois bien-tôt de
cetétonnement, & j'appercevois facilement que
mon imagination me jouoit; me reprefentant l'a*
gréement de ces lieux , de la douceur de ces em-
plois ikns leur amertume : & que c'étoit ce qui
faifoit» que fans quelque chagnn je ne pouvois
penfer que je les avois quitté. Cdl ainfi que ks
Po.ëtes ndiànt paroître les créatures fous une £ice
parfaitement agréable^ ils en augmentent ramour,
fc font idnû oublier entièrement Dieu : au lieu
que le portrait qui efl en elles de la Divinité , de-
TToit en entretenir le fouvenir.
Les hommes prennent plaiûr à fe laiffer trom-
er prar ces peintures flatées de la beauté du mon-
e : ils ne penfenc à aucune autre félicité qu'à
celle qu'ils trouvent dans la jouïfTance des créatu-
res : ils ne regardent jamais la terre comme un
lieu d'exil, qui eft ce que font les Saints; ainfi ils
s'appliquent a rendre cette demeure aufïï agréable
quits le peuvent : ils Tornent; ils y bâtiflent com-
me fi c'étoit leur patrie , & qu'ils n'en dûflent
jamais être chaifez par la mort.
Cependant toutes les imaginations des Poètes
n'ajoutent rien à la beauté du monde, ils ne ren-
dent pas les créatures capables de nous faire heu-
reux , & néanmoins augmentant par leurs fiétions
les grandeurs & les plailirs delà terre, ilnousfem-
J>lc qu'ils augmentent la félicité que nous y cher-
chons. Nous fommes à peu près comme un amant
.paflSonné , qui fc cache les défauts de la perfonne
iju'il aime , & qui s'attache aux ornemens qu'elle
.emprunte de l'art ponr la trouver plus aimable.
La liberté que les Poètes prennent , leurdon-
■Ue le moien de tromper & d'abufer cette forte in-
•di^atioix que nous avons pour la grandeur , nous
«A
4^6 SoVTSIIZfl RCPtSZTÀSS
en prefestast une vaine appirencc Etant mairQ
de bxr f^jet* îk dioiûEcnt pour matfcre de lean
difconn tout ce m'tl 7 a de gnmd 8c de co&âd^
rabk dans le moôde , fc ne -s'a^njcttiflânt ni as
loix de rHiflo;:c,ni âcdlesdeîa vérité; flsdaa-
gent, ils ajoùîenr, ils retranchent comme bor
fem- femble, &, û ie fonds de ceqa'îlsracontcn:
eft Teritabley ils donnent nn certain touranzcho
fes» qui fait que tout ce quils diient paroi? prodi-
ni. (hmis .vers in mirmcuhtm etfrrmrnptmt. Es
ent font ce que l'on peut diie de phsfnipre-
nant, de plus merveilleux, de |4us rare. Si par
exemple ils entreprennent de faire la ddaipdoD
d'un riche Temple, ils remplircmt leur imagina-
tion de tout ce que l'Art & la Nature peuvent four-
nir pour la conftruéHon d'un fuperbe édifice. Les
matériaux ne leur coûtent rien» ils en font venir
de tous les coins de la terre; ils épuifent toutes
les carrières de leur marbre, deleor jaipe; toutes
les mines de leor or, ^ de leur argent. Les ou-
vriers, à qui ils confient la conduite de ce bâti-
ment , font tous experts & confommez dans leur
Art ; ainfi refprit ne peut rien concevoir de plus
magnifique & de plus grand que cet ouvrage. D
en efl de même de toutes les autres chofes. S'ils
décrivent un combat , THif^oire ne fournit point
d'auffi rares exemples de valeur , d'adrefTe , & de
rincondance du fort des armes , que ceux qu'ils
rapportent.
S'ils parlent d'une tempête , on ne peut riensl-
maginer d'aflfreux , dont on n'apperçoive l'image
dans ce qu'ils difcnt. En un mot les Poètes étour-
diffent tellement leurs Ledeurs par leurs exagge-
rations & par leurs grandes paroles, qu'ils ne peu-
vent écouter la voix de la nature , qui crie fans
ceflc , que quand toutes ces grandes chofes ne fe-
roient pas imaginaires > elles ne font rien au re-
gard
SURl'AnT POETIQJJE. Piir/. /. ChJV, 457
gard de Dieu» qui eftlui feul la véritable giran-
deun
Ch\i»itile IV.
Les Poètes ne propofent que des chofes rares é* ex*
traordinaires dont ils cachent 4es imperfeâtions,
T Es Créatures participant toutes deTEtrefouve-
•*^rain qui eft la fource de tous les plaifirs , elles
font neceflairement agréables ; mais comme ce
plaifîr qu'elles donnent , eft proportionné à ileur
Etre, elles ne font pas capables de contenter plei-
nement ce defir que nous avons d'un bon-heur
fouvcrain. Elles ne peuvent plaire entièrement
que tant que dure le tcms de Terreur, c'eft-à-di-
re , tant que l'on n'a pas encore reconnu cequ'el*
les font. C'elT: pour cette raifon que les chofes ra-
res & extraordinaires plaifent & font fouhaitées ,
parce qu'on n eft point encore convaincu qu'elles
ne font pas ce que l'on cherche. EHles ne font
belles que dans l'efperance, & elles ne femblent
précieufes, que parce que l'on n'a pas encore fcn-
ti leur peu de vîO:eur.
Ceft auffi pour cette même raifon , que la va-
riété eft fi agréable , & que fans elle on eft cha-
grin au milieu des plus grands divertiflemens; car
on s'ennuye de toutes les chofes finies, parce
qu'elles ne fuffifent pas à nos defirs , & l'on
tombe dans la triftefle , fi» avant que l'on s'ap-
perçoive que ce que nous poiTedions d'abord
avec joie , ne nous peut pas rendre heureux,
l'on ne change de divertiflcment. Il n'y a qu'u-
ne viciffitude de diflferens plaifirs , qui puifle
charmer nos ennuis, & nous cacher ce grand
vuide de nôtre Ame, qui eft privée de Dieu.
V Auf.
1
458 N0UTKLLES ReFLBXX.OMS
AuiB , tomme dit faint Auguttin , Se comme 00
le remarque fenfiblement dans la Mufîque , Il
beauté des Créatures confifte particulièrement dans
le mouvement de leurs parties, qxii fe fuccedcnt
les unes aux autres : Rerum tranfitufit intima pi-
chritudo. Cette fucceffion de plufieurs diofes dif-
férentes prévient les dégoûts qui rendent amoi
les plaifirs finis , parce qu'elle empêche en quel-
que manière que ces plaifirs ne paroiflSmt finis,
l'Ame trouvant dans la multitude des diofes, fé-
lon la remarque de faint Grégoire le Grand, ce
que leur qualité ne donne point : P€r muhm tkà'
tury ut quia quaUtate rerum ntmpottfi^ fikem lUh
jrietate Jatittur,
On ne voit rien de fi diverfifié que les Ouvm-
ges des Poètes : ils changent continueUement de
fait , de paroles, d'expreflSons & de mefurcs. Tout
ce que comprennent de grand le Ciel & la Terre,
fcrt de matière à leurs Vers; le cours des Planè-
tes, le mouvement des Aftres , les pluies, lei
ijrêles, les éclairs, les tonnerres, les montagnes,
es plaines, les forêts, lesmoiflbns, les fontaines,
entrent dans toutes leurs defcriptions : ils ouvrent
les entrailles de la terre pour nous découvrir ce qui
s'y pafle : ils nous entretiennent delà vie des hom-
mes , des Guerres des Princes , des Combats , des
Sièges de Villes, des Coutumes & des inclina-
tions des Peuples differens , d'une manière extra-
ordinaire & nouvelle. Ik ne fe contentent pas
d'exercer leur veine fur tout ce que l'Univos
renferme dans fon vaftc fein; ils donnent Teffor i
leur imagination pour fe former des chimères, des
centaures , & d'autres monftres qui ne fe trouvent
point dans la Nature, pour furprendre davanta-
ge les hommes par ces figures extraordinai-
res.
Us ajoutent ^ cette diverfité de chofes pref^jue
m-
tVK l'Aut Poetkuje. Pért.J, Cb,V, 4^9
infinie , la divcrfîté de leurs expreûions toutes fur-
prenantes. Tantôt le Poëte s'élevc , & tantôt il
s'abaifTe : il réveille fans ceâe Tattention par quel-
que trait furprenant » ^ court de merveilles €ii
nferveilles; de forte qu'il affîege, pour ainfi dire»
l'efprit de (es Leâeurs par une multitude de dif-
férentes chofes , qui palTent il vite devant eux»
qu'il n'y en a aucune dont ils puiiTent s ennuyer*
Ceft la fuite des plaifirs, qui £iit les grands di ver*
tifliemens que l'on prend dans les Palais des Rois,
oùlajournée.eil comme partagée entre diâTerens
jeux qui fe fui vent de près. Cela ic rencontre dans
la Po<^fi6y oii depuis le commencement jufaiies i
la fin > toutes les parties d'un Poëme font u bien
héesy que le Leéteur pafle de Tune à l'autre fam
a'cn appcrcevoir. De peur ^u'il ne s'cnnuye après
ftToir entendu un récit ferieux , & le dénoue-
ment d'une intrigue 9 qui demandoit quelque
application , on voit uicceder une fête dans
laqudle le Poëte £iit célébrer des jeux avec
toute la magnificence poffibie : de avant que
cette fête puiflc devenir ennuycufe , on k
Eût fuivre de quelque autre divertiffement.
Chapitre V.
Lis Poètes couvrent toutts les créatures sTun faux /-
cUtt : tU êcempent tellement l*ejprit de leurs Lee*
teurs y qu'ils ne peuvent faire aucune rtfiescion
fur euM-mêmest & fur le néant des créatures,
CE que nous venons de dire fait comprendre
l'artifice , dont les Poètes fe fervent pour
augmenter la beauté des créatures : comment
ils les marquent toutes : comme ils les couvrent
d'un faux éclat » ne les proposant jamais fans
V z quel-
éfio Nouvelles Refliixions
quelque ornement, & fans kfaire fuivre Icrnsl
noms d'un appareil d'épithetes, qui en donnent
une grande idée. Les chofes dont ils parlent,
font toutes nompareilies ^ f^xondes en miracUst é
des chefs-d'œuvre des deux.
Nous avons vu de quelle manière ils les déro-
bent à nôtre vue , auffi-tôt que nous pourrioa
découvrir ce qui leur manque. Ceux qui favcnt
combien rattache qu'on a pour les créatures, cft
criminelle devant Dieu, connoiflent auffi com-
bien cet artifice .des Poètes cft dangereux. Car
enfin pour éteindre Tamour des créatures , il faut
les oublier, & n*y penfer jamais , fi ce n*eft pour
en connoître le néant : il faut rentrer dans foi-
même, & confiderer qu'elles ne nous peuvent
donner cette béatitude que nous defirons ; & les
Poètes emploient tout leur Art , pour nous dé-
tourner de ce devoir indifpenfable , & de la Rai-
îbn , & de la Religion. Ils propoJent tant de
diofes à la fois, qu'ils enyvrent en quelque feçon
leurs Leé^eurs : Us préviennent leurs deJirs : Ils
n'oublient rien de ce qu'ils pourroient fouhaittcr
pour faire une grandeur achevée : ils favent frap-
per vivement l'imagination par des évenemens ra-
res, des morts funeftes, des guerres fangîantes,
des ftratagêmes extraordinaires , des ^^g^s de Vil-
les , des combats, des renverfemens d'Etat ou des
établifiemens de quelque nouvel Empire : En un
mot , toutes les chofes que rapportent les Poètes,
font capables d'arrêter l'efprit, & de le tourner
vers elles par leur nouveauté, par Jeur rareté, &
par leur grandeur.
Aufli les Leéleurs des Romans avouent, que
le plus grand plaiiir qu'ils prennent dans ces
fortes d'Ouvrages, vient de ce qu'ils ne fc peu-
vent ennuyer dans ces ledures ; & que leur cf-
prit eu çil tellement occupé qu'ils oublient tout
leur
leur chagrin. Nous perdons , difent-ils , le tems
[ agréablement : étrange langage l qui eft la mar-
que d'une extravagance prodigieufe. Ils Tentent
que les Créatures telles qu'clles^ font , ne peuvent
pas les contenter: qu'elles laiflent de grands vui-
des dans leurs âmes ; que plufieurs inquiétudes
s'en faififlcnt, qui font comme la voix de la
nature , qui les avertit de diercher ailleurs cette
grandeur & cette béatitude qu'ils défirent. Ce-
pendant bien loin d'écouter cette voix, ils lui fer-
ment les oreilles, ils s'eftiment heureux, & croient
avoir bien palfé leurs tems; lors qu'ils fe fontiaiP
fez étourdir par le redt d'une bagatelle.
Les Ouvrages des Poètes ne diflipent pas feu-
lement l'efpht lors qu'on les lit aéluellcment; mais
encore après qu'on les a quittez. Toutes ces
excellentes veritcz , dont la connoiflance nous eft
fi neceflaire pour acquérir les vertus & les
Sdences , ne trouvent plus de place dans la tê-
te de ceux qui font pleins de tous ces grands
& rares évcnemens, lefquels font la matière or-
dinaire de la Poëfie. Dieu a écrit dans le cœur
de l'Homme ces veritez", qui font comme le
flambeau de nôtre ame : ce font celles , qui Té-
clairenr , qui l'inilruifent de ce qu'elle doit faire.
C'eft en les confultant, que nous jugeons faci-
lement de toutes chofes , ^que nous réglons fage-
ment nos agitions : Nous voyons dans leur lu-
mière ce que nous fommes , & ce que font les
Créatures , qui changeant à tous momens , & cei?-
fant d'être ce qu'elles étoient , nous avertiflcnt el-
les-mêmes qu'elles font peu éloignées- du néant , 6c
que par conféquent c'eft une folie de s'appuyer
fur elles , & de quitter Dieu qui les retient , &les
empêche de retomber dans le néant , dont elles
font forties: Mais comme c'eft au dedans de nous-
mêmes que luit ce flambeau de la Vérité , il ne
V 3 peut
"jfit Nouvelles Reflxxions
peut être appcrçu de ceux dont les yeux font
entièrement tournez vers les chofes exterico-
res.
L'ame s'unit en quelque manière avec Tobjct
de fa connoiffance; ainu, lors qu'elle n'eft oc*
cupée que des corps qui lui font étrangers , d-
Je fort d'elle-même, & ne peut par comequcnt
connoître ce qui s'y pafle. C'eft ce qui arrive
i tous ceux qui lifent avec ardeur les Poètes,
dont la principale fin, comme nous avons dit,
& comme nous le dirons encore dans les Cha-
pitres fuivans, eil de remplir l'imagination de
leurs Ledeurs d'une peinture vive des chofes
fenfîbles , qui les tienne toujours hors d'eux-
mêmes, & qui les empêche d'y r'entre^ Nous
allons voir pour quelle raifon les Poètes fc font
propofez cette fin.
Chapitre VI.
Lf chagrin qui trouMe tous les piaifirs de h tertt ,
nous avertit que l^on ne peut trouver dureposqu'eit
Dieu. Les Poètes pour /es rendre heureux travêH'
lent à MJJtper ee chagrin,
IL n'y auroit rien de plus utile aux gens du mon-
de, que les chagrins qui troublent Icure plus
grands divertilTemens , s'ils en favoient profiter,
en apprenant que leur c^ur demande quelque dio-
fc de plus grand que les Créatures ; g ae de quelque
côté qu'ils le tournent , toutes chows leur feront
dures, & qu'ils ne pourront trouver de repos,
que dans l'amour de Dieu. Une ame , dont Dieu
fait les chartes délices , jouît d'une profonde paix,
& trouve dans cet unique objet de fon amour dc-
quoi raffafier cette avidité qu'elle a pour le bien :
Ceux
sua l'Art Poetiqjoi. PsrtJ. Ch.VL 4*1
Ceux au contraire qui fc fcparent de l'unité de
Dieu , 6c fe jettent dans la multitude différente des
beautez temporelles, font déchirez nuit & jour
de foins differens. Leur vie eft une chaîne de de«
firs & de folicitudes : Auffi-tôt qu'ils ont acquis
ce qu'ils fouhaitent , cette acquilition ne les con-
tentant pas, ils font encore brûlez de plufieurs de*
firs pour les autres chofes. qu'ils croyent manquer
à leur félicité. Ce qtfi fait dire à S. Auguftin ,que
l'amour du monde donne bien de la peine à ceux
qui s'y abandonnent. Laborhjus mundi amor.
En effet ne peut-on pas dire qu'ils font fembla-
bles à ces miferables dclaves , qui font obliges
d'obeïr à cent maîtres : car l'ambition , l'orgueil ,
l'avarice , l'impudicité , & les autres paffions dé-
xeglécs font toutes, comme autant de tyrans qui
partagent leur cœur , & qu'ils ne peuvent fervir
ans d'étranges fatigues , dont ils feroicnt délivrez,
»'il8 étoient alîujettis à. Dieu , dans lequel comme
dans leur centre naturel, tous leurs defirs fc repo*
£eroient.
Le plus grand mal dcl'homme pécheur eft, qu'il
ne travaille point à fortir des miferes, où il con-
noît qu'il eft engagé. 11 eft convaincu de la va-
nité des creutures, & qu'elles ne lui peuvent pro-
curer cette félicité qu'il fouhaite : il fait auffî qu'il
ne peut acquérir cette félicité par les forces qu'il
trouve en lui-même: llvoitfafoibleffe, mais il ne
cherche point le fecours qui lui eft necelTaire , il
fc fcnt enveloppé d'cpaifles ténèbres, mais il ne
demande point de flambeau pour les dif&per:
pourvu qu'il ne penfe pas à fes miferes , il eft fa-
tisfait ëc il s'eftime heureux: il ne fait ce que c'efl
que de fe fervir du temps que Dieu nous donne
pour travailler à nôtre falut. Ce tems. qui eft une
chofe fi précieufe , lui paroît méprifable & en-
nuyeux , ^ parce qu'il n eft point content de l'é-
V 4 tat
4^64 Nouvelles Réflexions
tat où il fe trouve à chaque moment , quand 11
conûdere cet état attentivement » il eft bien aUcl
qu'il paflc vite, & quil s'écoule fans qu'il s'œI
apperçoive , c'eft pourquoi il ne cherche rien tafli|
que l'occafion de le perdre.
C'eft ce que Moniieur Pafchal reprefente d'une |
manière très-éloquente dans le Difcours qu'il al
fait de la mifcre de l'homme. Vame eft rejctUtt
dit-il > dans le corps'pour y faite un feJQur de peu à
durée ^ elle Ja'it que ce nejl qu'un P^Jptge k un voya-
ge éternel y & qu^elle n'a que le peu de tetns que den-
ne la vie pour s^y préparer : les necejjitez. de la Na'
ture lui en ravijjent une très grande partie : // ne lui
en refie que très-peu dont elle puifje dijpofèr ; mais ce
peu qui lui refie ^ r incommode Ji fort y S^ remharaffe
ft étrangement qu'elle nefonge qu'à le perdre : ce lui
eft une peine infupportable d'être obligée de vivre a»
vecfoi , ^ de penjer à foi : ainfi toutjhn foin eft de
s'oublier foi-mcme , & de laijjer couler ce tems fi court
& fi précieux fans réflexion , en s* occupant de cbofes
qui l empêchent d^y penfer, Cefi l'origine de twtet
les occupations iumuituaires des bommes ^ ^ de tout
ce qu^on appelle divertijfement ou pnffè-tems , dans lef
quels on n^a en effet pour but , que d'y laiffer pajfcr
id tems /ans lefentir , ou plùtùt fans fit fentir Joimê'
me, ou d'éviter , en perdant cette partie de la vie f
V amertume ou le dégoût intérieur qui accompagueroit
neceJJ virement ^attention que l'on feroit fur foi même
durant ce tems- là, UAme ne trouve rien en elle qui
la contente : elle n'*y voit rien qui ne l''afp.ige quemd
elle y pen/e : c*efi ce qui la contraint defe répandre
au dehors , é^ de chercher dans Papplication aux cbo"
fes extérieures t à perdre lefiuvenir defon état vert*
table: fajoye covfifîe dans cet oubli > é^ il fuffit pour
la rendre miferable t de f obliger defe voir d* d^êtrt
avec foi.
, Un Poète habile détourne toutes les penféesquc
les
SUR l'Art Pobtique. Fart J.Ch. VIL 465
I«s hommes peuvent avoir de leurs miferes , em-"
■■ péchant quils ne les confiderent : & pour cela oc-
? cupant leur cfprit ailleurs , il attache fi fortement
'î fes Leôeurs à ce qu*il leur propofe, qu'ils ne peu-
e vent pas porter la vûë d'un autre côté , & voir
autre choie. >k)us avons déjà parlé de Tartifice
:i dont il fe fcrt : Nous verrons encore plus claire-
ment dans la fuite de ces Reflexions , comment il
produit dans l'efprit de ceux qui lifent fes Ouvra-
ges , ce plalfir qUc les hommes trouvent à oublier
ce qu'ils font.
Chapitre VII.
V» des moyens rlont les Poètes fe fervent pour attacher \
ks hommes à la lefiure de leurs Ouvrages , ejl de
leur propofer tout ce qui flatte leurs inclinations^
corrompues.
LEs Poètes ne choififTent pas feulement pour
matière de leurs Ouvrages, les chofes dans
lefquelles on voit paroître quelque ombre de la
véritable grandeur f & qui pour cette raifon font
agréables : ils y donnent place à toutes celles qui
ne plaifent que parce qu'elles flattent la concupif-
cence. Les hommes n'ont du goût & de l'amour
que pour les plaifirs fenfibjcs ; c'eft pourquoi , com-
me les richeffes fourniflTent les moyens de fe les
procurer , ils les regardent comme capables de
leur procurer une félicité véritable , & de les ren-
dre parfaitement heureux : ils ont cette idée des
richeffes , qu'elles font la véritable félicité ,. ou*
qu'elles donnent le moyen de l'aquerir.
C'elt pour cette même raifon qu'ils cftiment par- i
ticulierement les grandes dignitez , penfant que
ceux qui y font âevez 1 peuvent tout faciifier à
V s leuis
466 N00TBItE9 REFtzxroif 9
leurs plaifirs» que rien ne peut pTcfcrirc des
nés à leurs volupter , & quMls font les difp
teurs de celles, dout le reftc des hommes pcu^
jouïr fur la terre. Il n'eft pas difficile aux Poct
comme nous avons vu , de tirer des entrailles
la terre tout Tor qu'elle cache , de rendre ce
tal commun comme le fer. On peut penfcr
dire tout ce que Ton veut. Cependant ces tl
fors imaginaires pîaifent , & un avare qui en
tend parler , fc repaît agréablement de ces il
ginations. Dafls les Hiftoires Poétiques on ne p;
eue de Sceptres & de Couronnes : Toutes les pcM
K)nnes que les Poètes intioduifent dans ces ou-|
vrages , font crdinaij^ement illuftres , ou par l'c-l
elat de leur naiffance ou par les faveurs confid^
râbles qu'ils ont reçues de la Fortune. Ce font
des Rois, des Reines, de grands Capitaines, qui
paroiflent fur le Théâtre. Il y a bien des gens
qui en lifant ces Hilloires, s'imaginent en quel-
que manière être à la Cour , & converfer avec
ces Rois & ces Reines, &qui fe pîaifent dans ces
reprefentations , comme faiibit ce valet hypocon-
driaque, qui s'entretenoit une partie delà jour-
née avec un tableau, où étoit reprefenté le fa-
eré Collège des Cardinaux . croiant converfer cf-
fcélivement avec ces Princes de l*Eglife.
Les ambitieux trouvent dans ces ouvrages des
images de ïeur ambition, & les vind/cati/s une
peinture des effets de la vengeance. On trouve
un plaifîr exquis à voir & à entendre parler de ce
qu'on aime , & même on ne peut louffrir ceux
qui font d'un fcntimcnt contraire , & on les re-
garde-comme des Cenfeurs. Auffi les Poètes pren-
nent bien garde que tout ce qu'As difent, ou ce
cu'ils font dire, foit conforme aux inclinations
de ceux qu'ils veulent avoir pour Ledlcurs : &
comme ils favent fort bien que les pcrfonnesChrè*
SUR l'A&t PoETxoyi. Part, h CkVlL 4(7
tiennes ne s'amuferont pas à lire leurs ouTrages ,
&c qu*ainfî ili n'écrivent que pour ceux dont la
Yie eft toute payenne, ils ne parlent jamais des
Tcrtus Chrétiennes, de la Pauvreté , dfe la Péni-
tence • de THumilité : la reprdentation de ces
Vertus n'étant pas propre pour divertir les gens da
monde.
S'ils pn^pofent de grands exemples de Chafteté
Bc de Juftice , ils les corrompent : C'cft le defir de
fe Gloire qui en eft le principe , & ils de les font '
paroître que par cet endroit en ceux qui en font
■ ornez. Chez eux^ Ton ne fait rien par un pur a-
mour de Dieu, & l'on n'y facrifie qu'à l'idole de
h vanité & de Tamour propre : parce que c'eft
Famour propre , & le dcnr de la gloire , qui font
ks reiforts cachez de tous les mouvemens des
hommes. L'on n'eflime de Ton n'aime dans le
monde les vertus y que parce qu'elles font confi*
écTcr ceux qui les pofTedent, & qu elles fervent à
l'établiflcment de leur fortune.
Les Héros des Poètes , c'cft à dire , ceux dont
Bs entreprennent de célébrer les belles aâlons»
font tous généreux & grands Capitaines : ils font
intrépides dans les dangers, 81 forts dansles corn*
ba&» Ces vertus font fans doute très-con(idera-
Mes en elles-mêmes , & elles méritent dts loiian*^
gès quand elles fe trouvent dans un cœur Chré--
Ben f mais elles font criminelles & plutôt des vi*
des que des vertus, par le côté par lequel les hom*
ifres corrompus les regardent & les admirent. Poiir
fcr conïprendre r confiderez que lorfqtie nousfui--
tbvs les inclinations de nôtre nature corrompue;
ÎPn'y a rien que nous fouhaitions avec plusdepaf-
tffytk que de commander , & de nous affujettir
Wt^^x avec qui nous vivons; d'en être refpeâé &
INSéouté. Or comme chacun a cette même ambi-
âiDn> l'on ne peut acquérir cette domination au
. V 6 pré-
468 * NouvELiEs Reeiexions
préjudice des autres , que parja violence : ainfî
il arrive qu'il n'y a que ceux qui ont de la har-
diefle & de la force, qui puiffem fecoUcr le joug
qu'on leur impofe , & en charger les autres. C'ell
pourquoi comme on defire cette hardicfle & cette
force , l'on en conçoit une grande eftime ; & lors
qu'on lit dans un Poète les combats ôc les vidoir
res d'un Héros , chacun qui voudroit être ce qu'il
lit, prend plailir dans cette ledure, & donne a-
vec joie toute fon attention à un récit qui lui c&
fi agréable.
Chapitre VIIL
L'' Amour efl Pâme de la Fx^fie : les Poètes par U rr-
frefentathn de cette pajfion arrêtent les ejfrits fen-
fuels» Jl efl d'autant plus dangereux ^ que ces
Poètes tâchent de cacher les déreglemens de cette
LEs Poètes donnent quelque partie de leurs ou-
vrages à l'ambition; mais ils les confacrent
tous entiers à l'amour ; & c'cft toujours fur quel-
que intrigue amoureufe qiie roule toute la pièce,
particulièrement canslesroëiîes du tems. llnv
a pas un efprit fenfuel , qui ne foit brûlé de quel-
que flamme impudique; & qui par confequent
ne life avec plaifir les reprefentations que les Poè-
tes font de ces fales affections , comme S. Auguf-
tin l'avoit expérimenté avant fa converfion. J'a-
vois , dit-il, une paflion violente pour les fpeda-
des du théâtre ; qui étoient pleins des images de
mes miferes, & des flammes amooi-eufes, quicn-
tretenoient le feu qui me devoroit : Rapiehant tue
infpeèiacu/a theatrica , plena imaginikus mt/triaruM
niearum &• fiwfùhus ignis tnei. Il ctt certain que
plus
sv% x'Art Poitï^e. Part. L Cb. VI!L 459
plus on a le cœur corrompu, plus on trouve de plai-
-fir dans ces choies ; car on ne ïe divertit pas à voir
ce qui choque nôtre humeur,, ni ce qjai répugne à
nôtre inclination.
Un Chrétien qui fait que Dieu eft jaloux , &
qu'il ne veut point que nôtre cœur foit partage enj
tre Ion amour & celui du monde , ne peut voir
Tans gémir une perfonne dont toutes les afFcdion»
font tournées vers les créatures. Auffi ce n*eft pas
pour lui, comme nous avons dit,, qucfcjoiient les
Comédies : c'eft pour ceux qui ne conçoivent
point de plusgrandsplaifirs que d'aimer & d'être ai-
mé, & qui défirent qu'où excite le feu de leurs paf^
fions, qui font comme des playes de leurs âmes,
lefq^udles ils font bien aifes qu'on égratigne, pour
en augmenter Tardeur, parce que cela leur donne
du plaifir.
Âinfi l'Amour eft l'ame de la Poëfie : elle lan-
guit, quand elle ne fait pas une agréable peinture
de cette paffior. , & elle ne peut plaire aux efprits
corrompus qui en font les "Leéleurs ordinaires.
Qu'on ne me dife point que l'Amour eft bien
la Paffion dont les Poètes font de plus vives & de
plus fréquentes peintures; mais que celui qu'ils re-
prefentent eft toujours honnête, & qu'ils prennent
Coin d'en bannir toutes les ordures: ce foin ne rend
pas la Poëfie innocente,, mais feulement plus dan-
êereufe. Les Poètes ne tâchent que de déguifer
^ :s Paffions, & de cacher leur difformité. Les re-
înors de confcience , les peines , les douleurs qui
tourmentent ceux qui fuivent les affeélions déré-
glées de leur cœur , font des barrières qui retien-
nent les hommes. Un ambitieux quitte fon am-
bition , confiderant que tout le monde s'élèvera:
contre lui. Un vindicatif ne fe vange pas, crai-
Înant que l'on ne fe vange aufli du mal qu'il vou-
coit bien ifaire. Un avare fe dégoûte, de fes. ri-
V 7 chef:
iCT^ S<9VTSllIf KErLSZTtfWI
Ma'il0Porrai£3iJcai:rcx£es ces
_ — — _. _ , — — _- — __
b-:-n: a:r.S iics lar^rccgirâopicallk es Jbeg,
i! ne paro5t rcr- qsi pracâasser kcn^/e 4e5'y
la:3CT farprcadrc: deiorreqacîsas
TCTit des pdnmres ncs-adïmcs de cr qa ih ¥xio-
drorcnt être. Les aniiiitreax t Torent qa'oe âât
rambîtîon Êu:f ly^nls : 1^ sin&cacSf la T5çexr<t
exercée im^icienient: te ararcs r troavcaî fa r>
dicffci poffc^îécs fans înqniénides : ëc !ei iaipadi-
qucj y TOTcnt des amans qoî brûlent coorfaôdlr-'
ment Tan pour l'autre , fans qulls ^ea
aucanc choreq^jipmife faire critiq-jerîi
& leur donner des remors dé confcience:
Les p]u> infâmes débauchez fooliaTteroicat par-
mi le-jn ordures , paîTcr pour honnêtes gens ,
que fajnt A uguf>în le dit de lui-même, lorsqa'illê
rojloit encore dans h boiie de Tes defordres: Ce-
pendant, dit-il, Vétois û difforme & fi infiime,
que je ne travaillois par mon exccffive Tanîté,
qu'a oaroi're honnête hommedcagreaUer £//#-
nten fœfus éttque inbontffus^ degttns 4f wbmmu tft
gefîhbam mhundanti vantiëte. Le PocreeftmaitTC
de Tes Vz^% } il peut feiirdre des amouis cha/fc*
entre une fille & un jeune homme qui s^timcnt
pafTionnément , qui fe trouvent fouvcm fculs , qui-
font de longs voyages enfcmblc, comnft ihica-
fjene & Caricîée dans VHiftoire Éthiopiqyc d'Hc--
lodorc, qui vont toujours furie bord du préci-
pice fans y tomber. Le Poëte eft, dis-je, maî-
tre de fes Vers , mais il ne l'ell pas du cœur dcr
rhomme. Il peut régler & les actions & les pa-
roles de ceux qu'il fait agir & parier; maiscen'êff
pas i dire qu'il fe puiflc faire que deux perfonnes*
SUR l*Art PoËTiQpE. PorfJ. Cb.VlJL 47 1
s'cxpofcnt à de fi grands périls fans y fuccomber ,
& qu'ik s'approchent fi près du feu fans fc brûler.
Il ne peut pas non plus régler lespenfécs &les af-
fcfHons de ceux qui lifcnt fes Ouvrages , & pré-
venir tous les mauvais effets que caufent infailli-
blement les funefles images dont il remplit leur ef-
prit.
Ceft donc une mauvaifc raifbn pour excofcr les
Poètes, que de dire que dans ces images qu'ils ex-
pofent des effets de T Amour , ils ne font rien pa-
roître que de chafle & d'honnête; car en effet il$
ne font que cacher le poifon fous un voile d'au-
tant plus dangereux au'il ef! plus artificieux.
Par exemple dans rHiftoire Ethiopiquc d'Hc-
liodore , Cariclée qui s'étoit fait enlever par Thea-
gene» avant que de commencer" feule avec lui un
grand voyage, exige un ferment de lui qu'il vivrar
chadement avec elle, 6c il lui en donne fa foi.
L'Auteur leur fait renouveller cette promeffe dans
les plus grands tranfports de l'amour, parmi lesca-
rcfles tendres qu'ils fe font. 11 fait voir que cette
promeffe n'a point été violée , en expofant Cari-
clée à l'épreuve do bûcher ardent fur^ lequel elle
monte, ^ dont, parce qii'ellc elt Viciée, elle ne
reçoit pas la moindre ofFcnfe. Peut-on penfer a-
vcc quelque raifon, que cette Hiftoireà caufe de*
cîrconftances d'une honnêteté apparente, en foit
moins dangcreufe.^ Peut-on croire que la peinture
ite la Pafïion ardente qu'ont l'un pour l'autre Thca-
^ene & Cariclée , tous deux jeunes , ne produife
point de mauvais effets dans î'efprit de ceux qui li-
ftnt ce Roman.** Sa ledure remplit-elle moins I'ef-
prit d'images liccntieufes , qui corrompent & qui
échauffent l'imagination des Leéteurs? Au con-
traire cet artifice d'Heliodore, qu'on appelle le
Pcre des Romans & des Hiftoires Poétiques , ne
tend qu à autonfcr le dérèglement du cœur , Se
47% Nouvelles Reflexxoks
à perfuader aux jcuncsgcns qu'ils peuvent fans riciï
craindre s'engager dans les plus grands périls.
CttAP^ITRE IX»
V homme ne peut vivre fins amour : Son dejoràre
vient de ce quil le tourne vers les Créature^ au lieu
de le tourn& vers Dieu, La Poefie en$re$ient ce
defordre*^
CE defir ardent avec lequel les hommes cher-
chent un objet qu'ils puiflTent aimer & en être
aimez , naît de la corruption de leur cœur , & de
rétat miferable , où ils font par le péché du pre-
mier homme. Nous^ fommes faits pour aimer une
beauté parfaite, qui eft Dieu, & pour jouir des
chaftes délices qui accompagnent cet amour.
Nous avons en nous comme un poids qui nous
porte toujours vers ce côté. Ceft ce qui fait que
ceux qui vivent dans Toubli & dans la privation
de Dieu , ne pouvant être fans amour , ils tournent
cette indingtion vers les Créatures ,& en cherchent
quelqu'une a laquelle ils s'attachent. Ils veulent
auffi être aimez; car toutes les afFeélions qui par-
tent du cœur des méchans, y retournent par un-
cercle neceflaire.
11 n'y a donc rien qui leurplaife davantage que
d'aimer & d être aimez, & par confequent U n'y a
point de peinture qui leur foit plus plus agreablcf
que celle de ces amours fidèles, où l'on ne voit
rien de fâcheux, car le Poëte cache toutes les fui-
tes funelles de ces amours; L'on trouve toujours
dans leurs Ouvrages deux perfonnes qui brûlent
l'une pour l'autre : ils forment entre elles une fi par-
laite ôc.fi douce union, queles travaux, Icsguer-
zes^ les mauvaiies-foitunes ne font point capables
de
SUR l'Art Poitique. Part,L Cb. IX, 473
de la rompre ni de troubler par confequent leurs
plaifirs , que ces Poètes rendent ainfi comme im*
muables ëc infinis : de forte qu'ils perRiadcnt faci*
lement leurs Lecteurs , qu'ils ne trouvent que trop
difpofez à les croire , que c*eft dans ces amours
que coniifte le bonheur que cherclie la Nature.
ils font naître mille incidens propres à faire paroî-
tre les forces de Tamour: ils reprefcntent l'un des
deux amans dans quelque difgrace de la Fortune :
dans cet état ils reçoivent tant de confolation de la
fidclité de la perfonne qui les aime, que ces dif-
graces leur font douces. C*eft ce qui fait naître
cette fauffe opinion, que de véritables amans ne
peuvent jamais être malheureux.
11 eft certain cependant que Ton ne peut con-
ferver fon cœur dans la pureté de Tamour de Dieu,
qu'en le tenant fermé à toutes les pcnfées ôcjà tou-
tes les images qui nous reprefentent les douceurs
de ces folles amours du monde , de aux plus légers
ientimens de fenfualité quigagnentl'ame &lacor^
rompent; Omni cuftoiiiâfirva cor tuum.
Il faut s'appliquer à confiderer fouvent les mal-
heurs oùfe précipitent ceux qui lâchent tantfoit peu
la bride à leurs Paflions, la perte qu'ils font de leur
tems , de leurs biens , de leur honneur , de leur
famé, de leur vie; il faut être pcrfuadé que lésa-
mours entre des perfonnes de differens fexes , quon
appelle honnêtes, ne demeurent pas long-ternscaj)-
tives fous les Loix de l'Honneur; que li Tonné-
vite tout ce qui peut faire naître & entretenir un
feu femblable, on en eit enfin confumé. Ce font-
là les confiderations dont on doit s'occuper tou-
jours, pour fe défendre contre les attaques de la
cupidifé, qui ne nous lailfe jamais en repos.
■ Les Poètes travaillent à détournerl'cfpritdeces
reflexions; ils le rempliffent d'une grande eflime
pour les Créatures; ils en relèvent U beauté; êc
ils
474 NOOVEILES RlfLBXlONS
ils cmploycnt tout leur art pour les fiiirc paroftn
aimables a ceux qui lescroyent: au lieu que ceux
qui appcrçoivent ce ou'cllcs font , c'eftà direleiir
néant , les jugent indignes de nôtre amour, & re-
gardent comme des extraTagansceuK qui s'attachent
à elles, imparfaites comme eUcs font & fujettcs
à mille accidens qui les éloignent de nous, ou
nous feparent d'elles.
Ce n'eil pas feulement du côté de nôtre inté-
rêt, par la perte de l'honneur, des biens & de la fan-
té, que l'on doit juger que rien n'eft plus funefte à
l'homme que la paffîon de l'amour , mais princi-
palement du côte de la Religion. ]
Quand ces amours ardentes entre deux peri<»- ;
nés feroient honnêtes aux yeux des hommes, el-
les ne font pas chrétiennes. Nôtre cœur cft un au-
tel où Dieu ne fouflre point qu'on facrifie impu-
nément à d'autres qu'à lui , de qu'on y allume un
feu étranger: il ne veut pas êtte adoré dans un
Temple où une Wole eft révérée. Au(!i-tôt que
les Philiftins eurent placé fon Arche dans le Tem*
pie de Dagon , la ûatuë de cette fauffe Divinité
fut renverfée par terre; & il ne permit pas que les
Romains, qui dreffoient des Autels aux Dieux de
toutes les différentes Nations du monde , l'hono-
raffent , qu'après qu'ils eurent renverfé leurs Ido-
les.
Qu"on ne s'y trompe pas , ce n'eft pas un petit
mal de penfcrjour &nuit à une Créature, de tour-
ner toutes fes afFeéHons vers elle , quoi qu en ap-
parence on s'imagine ne vouloir pas commettre une
aélion défendue parla Loi de Dieu: cependant on
ne penfe prefque point à lui , on ne poufle |»as un
foûpir , il ne le forme pas un defir pour 4ui dans
nôtre cœur pendant qu'il fe répand tout entier
dans ces folles amours. Nous devonsTneanmoins
aimer Dieu de tout nôtre cœur, ôc par cônfcqueni
il
suK t'AiiT PoiTKtpt. PartJ. Ck IX. 475
il faut que tous fes mouvemens tendent vers lui»
car il le commande & le veut ainiL
Dans toutes les dcfcriptions que les Foëtesfont
du tranfport de la paffîon de deux amans , ils leur
font commetrc des idolâtries ^ctventables ,
comme Ta remaroné une perfonne d'une tres-il«
luftre naiffance , dans un Traité contre la Comé-
die. La Créature y cbajje Dieu dwcmtr de tbomme
four y dominer à Jk place , y recevoir des facrifces
et des tuhrasionsty regkr fes mouvemens ^ fs con^
duite^ &Jès imerêtft & y faire toutes as fmêions
dé Souverain 9 qui n^êfpMttiemnenpqn^à Dieu* qui
veut y régner fër ia charité , fui eft la fin et Pae^
eomflijfement de toute la Loi Chrétienne. Ne voyez"
vous pas j continue cet Auteur, /*^OTefl»'/r»//^ de
eetie manière fi impie dans les plus belles Tragédies éf
Tragi'comeéfies de nôtre temsf N'eft-cepaspar cefen^
iiment qu^Akionêe mourant de fa propre main» dit à
Jydie}
Vous m'avex commandé de vaincre 8c j*ai vaincu »
Vous m^aveï commandé de vivre & j'ai vécu.
Aujourd'hui vos rigueurs vous demandent ma vie ,
Mon bras aveuglément Taccorde à vôtre envie >
Heureux & fatisfâit dans mes adverfitez,
D*avoir]ufqu'au tombeau luivi vo$ volontez*
Cha-
4l6 NoursiLKS Reflexions
Chapit&e X.
Les Poètes méprennent pas têûjottrs ie foin de fnrgtr
de têutes Jnietez les amours qu'ils reprefentent;ih
autorifent les plus foies amours » comme toutes ia
autres pajjions iléregUes.
£ s Poètes ne fe donnent i>as le foin de piu;gcr
'de toutes faletcz ces amours qu'ils rcprcfen-
tent. Une amour û honnête qu'elle ne le aoi-
roit rien permis» ne plairoit pas à ces efprits cor
rompus qui IHent les Romans v c'eft pourquoi les
Auteurs de ces Ouvrages laiffent aller quelquefois
les amours dont ils font la peinture , auw loin
qu'elles ront en fuivant leur cours ordinaire. Il
fc commet des aéHons criminelles dans les Ro-
mans, mais la difformité de ces adions n'y pa-
roît pas: on les déguife, &on les cnchàflc, pour
ainfi dire, dans de l'or, de forte que ceux qui
prennent plaifir dans la reprefentation de ces ac-
tions, n'en ont point defcrupule; car enfin ceux
qui les commettent font des Dieux & des Dtt^tSt
dont il n'y a point de honte d'imiter les adb'ons.
C'eft comme dans Terence ce jeune débauché,
qui avoir remarqué dans un Tableau que Jupiter
avoit fait defcendre une pluye d'or dans IcJcindc
Danaé, & avoit ainfi trompe certe femme. Un
Dieu a bien voulu faire cette û£iio»y ?naisquelDieul
Celui qui fait trembler les voûtes du ciel par le bruit de
Jon tonnerre*, & moi qui ne fuis qu*un des moindres
d* entre les mortels ^ faurois bonté d imiter le plus
grand des Dieux ?
Le vice fe trouve dans les Héros des Poètes,
& dans tous leurs grands hommes. Quoi que vin-
dicatif y. ambitieux , fuperbes , ils ne paroiffent
pat
■.
SUR l'Art Poétique. PsrtJ. Cb, X. 477
pas moins confiderables parmi les hommes, &
moins chéris des Dieux; ainû enconfacrant leurs
perfonnes , ils confacrent leurs vices , 6c rendent
par ce moien la vengeance, l'ambition, lorgueil
Bc l'adultère honorables. Les hommes ne défirent
rien davantage que d'allier la vertu avec le vice,
afin de jouir tn même tems des douceurs de la vo-
lupté y 6c du repos de la bonne confdence.
JLes Poètes font d'intelligence avec eux là-def-
fus , 6c pour autorifer leurs defordres, 6c leç déli«
vner de la honte qu'ils ont en les commettant, ili
feignent que les Dieux mêmes font fujets k 1'^-*
inQur6càla vengeauce; ils les fout quericUeux ,
adultères; en un mot ils s'efTorceht autant qu'ils lo
peuvent, de faire les hommes Dieux; 6c au con-
traire des Dieux mêmes ils en font des hommes ,
leur attribuant des adtions humaines 6c criminelles^
afin qu'ellesne paiTent plus pourtelles , commis faini
Auguftin le leur reproche dans le LivJ. Chap. 16.
de les Conf. 6c que ceux qui les commettent fem-
blent imiter plutôt les Dieux celeftes ôc tout-puif-
ianis , que des hommes perdus 6c fcelerats. Cdà ce
que les Payens mêmes ont eu en horreur.
Les Poètes , s'écrie Ciceron , feroient bien mieux
de rendre les hommes femblables aux Dieux, que
de. rendre ainû les Dieux femblables aux .hom-
mes. - Humana ad Deos tr ans fer uni , divina malhm
•Si le refpeft que les Poètes doivent avoir pour
leurs Dieux, n'a pas empêché qu'ils n'en aient été
les calomniateurs publics, comme les appelle Ter-
tullien au Traité des Speélades , criminatores &
éeiraéiores Deorum ; 11 ne faut pas s'étonner s'ils at-
tribuent tant de vices à leurs Héros. Ils leur donnent
lia vérité toutes les vertus éclatantes qui font du
Iwuit dans le monde : ils les font pieux exterieure-
' Aient envers les Dieux, mais avec toute cçttp
pieté
47S NouriiLSi RiFtBxxoNs
pieté ces Héros font des hommes colères , vioIeDl,
ambitieux, vindicatifs , qui font brûlex de feux
impudiques; 6c cependant il faut fuppofer que ce
font de grands hommes qui mentent r4eftime &
ramour de tout le monde. Et en effiet le deflan 1
des Poètes en les chaigeant de tant de deÊints,
n^eft pas de leur ôter rien de cette gloire qu'ils k
font acquife par leurs travaux.
Ce feroit mal entendre la Poétique, qQedepr^
tendre que les Poètes pèchent contre leur Art»
lequel oemande que (tout ce qu'ils difènt contn-
buè à établir Teftiroe du Héros de leur Pièce; car
ils répondent fort bien qu'ils font obligez de faite
Croître leurs Héros vertueux, mais de ces ver-
tus qui font eftimées dans le monde , & de les
exemter des défauts «que les hommes condanmeot:
or l'amour, l'ambition & la vengeance même,
quand elles font exercées avec certaines Loix,
paient pour des vertus.
Mais à parler proprement , il n*y a poiot de
vertus parmi ceux qui fuivent la corruption da
fiede : on s'y fert de. fon apparence pour cadicr
la laideur du vice. L'impureté eil une galanterie
quand on évite le bruit & les fcandales. Lcsfo-
leries font des adrelfes, quand on trouve le moien
d'enlever le bien de fon voifin feas qu'il s'en ap*
perçoive & qu'il crie au voleur : L'ambkion , qui
TIC fe fert point de moiens bas pour arriver à fcs
fins, paife pour une grandeur de courage. En un
inot toute la vertu des gens du monde confifte
feulement dans l'obfervation de certaines bien*
iéances , aufquelles on a attadié une idée d'hon-
nêteté.
Ceft donc une neceffité aux Poètes de formef
leurs Hero? fur cette idée que les hommes àquiili
-veulent plaire, ont de la vertu : & lors qu'ils y
téttâiâenty ils fatisfont mervcilleuiement ; caries
per-
«UR t'AllT PQBTIQ]frB. FâTt, 1. Cb. XL 479
perfonnes les plus déréglées font bienaifesdevoir,
pour ainfî dire » l'apologie de leurs jpaffions, c'eft
à dire de voir d'honnêtes gens, qui lont faits com-
me eux y êc qui virent tromme eux.
Auffi après qu'un Poète ou l'Auteur d*un Ro-
man a reprefenté la fermeté auftere d'un jeune
homme à refifter aux defirs impudiques de fa ma-
râtre , il lui fait prendre toutes fortes de libertés
criminelles avec une fervante, lefquelles font dé-
peintes avec des couleurs aeréables» & qui cou-
vrent le crime de fes impudicitez» Comme on le
voit dans l'Hiftôire Ethioptque. Ce-qui faitcom*
prendre combien tous ces* ouvrages font dange-
reux ; car tous ceux qui les lifent, ne le font que
parce qu'ils y trouvent du plaifir : ils ne peuvent
y prendre plaifir fans eftimer 8c approuver ce qu'ils
voient , & ils ne peuvent eftimer & approuver ce
qu'Us voient iàns renoncer à la Morale de Jefus-
Chrifl pour fuivre celle du monde , qui eft celle
des Poètes, & des fitifeurs de Romans.
Chapxt&i XL
Vhommi eft fait pour la Vérité % de /à k grand dtfir
defavvir , qui dégénère en une euriofité criminelk^
que nourrit la Poefie.
QU A N D on connoît que Dieu eft le centre du
cœur de l'homme, l'on nepeut ignorer la eau-
fc de fes inclinations. Les difltercntes perfediofu!
de ce centre l'attirent , pour ainli dire , par de
différentes chaînes : c'eft pourquoi comme Dieu
eft grand , qu'il eft parfait , qu il eft" la fource de
joutes les délices , les hommes font portez natu-
j-ellcment vers tout ce qui leur paroît grand, par-
fait , & capable de les rendre heureux. Il eft auffi
1% Vérité ; il faut donâ que nôtre cœur ait une
forte
^8o Nouvelles Rsflexions
forte inclination pour la connoîtrc. Cette araoni
delà grandeur & du plaifir, lors qu'on .le détour-
ne de fa fin naturelle qui eft le Créateur, qucl'on
quitte la grandeur véritable , &queronn*enpour-
iuit que l'apparence, fe nomme Cupidité-, & le
defir de favoir, lors que nous ne l'appliquons qu'à
apprendre des fables 6c des bagatelles, 6c que nous
négligeons la Vérité, ne recherchant que des Scien-
ces criminelles ou inutiles , eft appelle curif-
fité.
Comme les Poètes flatent la cupidité des hom-
mes, leur prefentant les viandes qu'ils fouhaitent
6c qui leur font défendues , ainfî que nous venons
de le voir,' ils entreitiennent aufli leur curioiité,
en ne leur prdpofant pour matière de leur étude
6c de leur application, que des chofcs qu'ils font
bien-aifes de connoître, mais dont la connoi^
ce eil ou inutile ou dangcreufe.
Nôtre curioiité elt ardente pour connoîtrc les
chbfes qui paroi flent grandes & extraordinaires;
ce qui vient de ce que Dieu , qui cft la fouvcni-
ne grandeur, cil l'objet de ce defir que nous avons
de llivoir : c'eil pourquoi les Poctes'nechoifiiTcnt
que ce qui ed rare & grand pour matière delcurs
Vers; 6c pour irriter le feu de cette curiofité, ils
fc fervent d'un artifice à peu près femblablc à c^
lui dont ufcnt les chalîcurs, qui jettent devant la
bctc qu'ils veulent attirer dans leurs filets,la\"iaft-
de qu'elle aime , mais en petite quantité , tfii
qu'elle ne s'arrête pas dans le lieu qu'ils lui vculcii
faire quitter.^
Les Poètes font d'abord la propofition de leur
fujet d'une manière fort générale, qui donncunf
grande icice de ce qu'ils ont à dire, ôc qui excic
le defir de favoir , mais qui ne le contente WÇi
n'expliquant point encore ce qu'ils propofent K
le failbient , on fe dcgoûtcroit bien-tôt de \s^
•svR VAr t Poîtïqjde Vàrt. L Cb. XL 481
Ouvrages. Car comme il n*y a que la véritable
grandeur qui puifle contenter pleinement nôtre
cœur, aufîiiln'yaque la première vérité qui puifle
fatisfairc entièrement nôtre efprit, & nousmépri-
fons les connôiffances des autres chofcs , prefque
au même moment que nous les avons acquifes.
Ainfi les Poètes fe donnent bien de garde de foire
connoître tout ce qu'ils ont à dire , ils refervent
toujours quelque chofe ^ui irrite & entretient Tar-
deur de la curiofité.
Si par exemple le fujct de leur Poëme font les
louanges de quelque grand homme , après avoir
dit en cinq ou fix lignes quel eft leur deflein , fans
faire connoître quel eft cet homme , quel eft fon
pais , ils commencent par le milieu de fa vie , par
quelqu'une de fes allions qui foit confiderable , &
dont aufli-tôt on defire de connoître le commen-
cement & la fin. II3 ne fuivent jamais Tordre na-
turel; s'ils le fuivoient comme font les Hiftoriens
& qu'ils donnafTent d'abord la connoiflance de
ce qu'ils propofent , l'on ne fentir oit point ces ar-
deurs que l'on a de pourfuivre la Icdure <ju*on a
toe fois commencée de leur Ouvrage. Mars parce
Qu'ils ne difent les chofesqu'obfcurément dans leurs
premiers Vers , on en recherche la connoifTance
fans fe dégoûter, que Ton n'acquiert toute entiè-
re qu'à la fin de tout l'Ouvrage, & lors que lë
Poëte ne craint plus le dégoût de fes Lecteurs.
• Le Pocte a foin de nourrir le feu qu'il allume.
A proportion qu'on avance dans la leélure de fon
Ouvrage , on apperçoit que ces ténèbres dont il
avoit couvert fes premières paroles , fe diflîpent;
&'quoi que Ton ne coniloiflfe point pleinement ce
«[ue l'on defire- de fa voir, qu'a la fin, cependant
6n acquiert continuellement de nouvelles connoif*
fances qui fe perfecftionnent de plus en plus. On
rinftruit de k vie du Héros de la Pièce : on dé-
' . X cou-
4^1 Nouvelles Réflexions
couvre quelle eft fa nàiffance » quds font fcs tu-
vaux; ce qui engage à en continuer la ledurt
Mais l'Auteur rejette toujours fort loinledénoù^
ment des intrigues qu'il a brouillées , & fur le
point que le Leôeur cfpere voir ce dénouement,
il eil jette dans d'autres embarras par des accidens
qui le furprennent : de forte qu'il ne peut pasfaiie
reflexion fur les chofes qu'il a àpprifes » Ôc s'en dé-
goûter, & au'il eil toujours dans un perpétuel de-
fif d'apprendre la fuite.
Ceft ainfi que les Poètes amufent & trompent
ce dcfir que nous avons de îavoir. L'on n'a pas
de honte d'avoir écoulé attentivement les contes
ridicules de fa nourrice, parce que Ton étoitdans
un âge foible. Mais de quel voile peuvent œu-
vrir leur foiblefle , ceux qui étant dans un âge a-
Tancé, paflent les jours & les nuits à lire les a-
vantures d*un Héros imaginaire , 6c qui n'em-
ploient pas un moment à une leélure utile ? qui
ont une curiofité ardente pour apprendre quelle a
été fa nàiffance, quelle a été fa vie êcfa mort,
& qui négligent de favoir quel efl leur propre de-
voir, & ce qu'ils doivent devenir ? Peut- on avoir
une preuve plus fenûble de la folUefle & de la
fottifc de nôtre efprit?
Les hommes n'ayant accoutumé de fc laiffet
toucher qu'aux choies fenfibles, les chofes fpiri-
tuelles font infîpides pour eux , & ils ne peuvent
y penfer , qu'auffi-tôt le dégoût ne les prenne.
Ce n'efl pas auifi de ces fortes de diofes que les
entretiennent les Poètes ; la matière qu'ils trai-
tent , n'a aucunes épines ; elle ne demande point
une appUcation d'efprit pénible : tout ce qu'Ûsdi-
fent fe conçoit par l'imagination ; & leurs Vers y
réveillent les images de toutes les chofes dont la
vue efl touchant & agréable.
C'cA pourquoi outre que les defcriptions des
chofci
STJH l'Aut ?otii<ivt,P0rt.LCb.XI. 483
, chofcs qui font robjet de la cupidité, fortifient
j cette même cupidité', c'cft à dire l'amour que
', nous avons pour les biens feniibles, elles font
encore dangereufes , en ce qu'après de telles
, Icéhires, l'efprit de ceux qui s'y font divertis,
! n'eft plus capable d'aucune ledure ferieufe.
Ils ne trouvent point dans ce» Livres pleins
de fageffe & d'inftrudlions très- utiles pour la con-
duite de la vie, ce fcl & cet agrément qui ir-
rite leur curioFité ; & ne s'étant fait aucune ha-
bitude d'ufer de leur efprit tout pur fans le mi-
niftere des fens, il ne leur faut point parler d'é-
tudier la Religion, qui cft élevée au deflus des
chofes fenfibles, dont les myfteres ne fe voient
Ï)oint par les yeux du corps, &: qui ne propo-
e rien qui foit agréable à la concupifcence.
Ceit pourquoi ceux qui après la leéture des
Romans, prennent les Livres faints, entrent dans
cette ledure comme dans une terre étrangère
qui n*a rien que d*affi:eux pour eux, qui leur
femble ne porter que des épines, où luit un
Soleil dont la lumière les incommode : comme
- ils font accoutumez à > l'éloquence des Poètes
fardez éc pleine d'afifeâatian, le ftile (impie 8c
naturel de l'Ëcriture 9 bien que plein de majefté
Se de force, ne touche point un- cœur qui ne
s*ell jamais nourri que de bagatellcsr
•
X X . C H A-
1
4^4 '^ouTXiLfct RïriixiOKt
Chapitre XII.
Comme Pefprit ne fe forte à eoKnéitre que h Ve-
ritéf ou ce qui en u têippnrence\ tes Portes stjf
fâchent de rendre vrM-Jemkiaèû ioui ce ^nik
frofofent»
T A volonté ne peut aimer que le bien ou ce qui
^en a l'apparence, l'efprit auflS ne peut feponcr
à connoitre que ce qui lui paroît véritable. CA
pourquoi toutes les feblcs dont la faulTeté eft évi-
dente, loin de plaire paroiflcnt ridicules : eues ne I
piaifent que lors que l'artifice du Poëtc efttelqo'fl !
enchante en quelque façon , & que l'ons^agiiie
quafi au elle$ font véritables.
C'cft pourquoi une des premScres renfles de h
Poëfie ell de ne rien dire que de vrai-femblaWc.
Pour cela quand les Poètes propofent àçs cAofes
furprenantcs , ils y difpofent leurs Leélcurs : ils
ne nouent rien qu'ils ne puiflent dénouer d'une
manière natureUe, par quelque accident qui ne
(bit point impofDble , on bien ea fiiifant defccn-
dre quelque Divinité du 4:iel : ce qu'ils ne font
qjie rarement, parce qu'il ne paroît pas beaucoup
d'cfprit & d'invention dans un dénoiiement qui
n'arrive que de cette féconde manière : ils n'y
ont donc recours que lors que les chofes font fi
embrouillées & fi defefpcrées, qu'elles ne peu-
vent avoir le fuccès que l'on fouhaitc fans k
fecours du ciel.
•
Nrtf Deus snterjtt, ntfi dignus vtndice nodus
Incident,
Joutes Us parties d'une Hiftoirc Poétique font
td*:
^ukl'Art Poétique Pari.I. Ci, XIL 4^5
tellement liées , qu'un é\Tncmcnt en engendre un
autre , & tout ce qui arrive à la fin du Poëme eft
«ne fuite de ce qui s'elt fait dans les commence-
mcns , les chofcs ne pouvant avoir d autre ifluc
}ue celle qui naît de la difpofition qu'on leur a
onnée.
Chacun de ceux que le Poète fait agir & par-
ler, tient un langage conforme à fon âge &àfon
état. 11 peint fes mœurs & fes inclinations dans
fcs paroles; & il ne dit & ne fait rien qui foit
contraire aux coutumes de fon pais : de forte
qu'aucune circonUance foit de tcms, foit du lieu,
ne peut faire appercevoir la faufleté des fidlions
du roëte. On voit par tout dans fon Ouvrage
une image fi naïve de la Veiitc , qu'on la prend
Paiement pour la Vérité mcme.
Ceux qui entendent bien l'art de la fable ou de
Taélion , veulent même que les Poètes obfervent
que le fonds de leur pièce foît vrai , & qu'ils n'é-
tendent la pcrmillion qu'on leur accorde de fein-
dre , que fur les ornemcns & les circonlhnccs de
Fadion qu'ils propofeiit.
. Ceux qui penfent qu'un Poète peut inventer
tout ce qu'il dit , ne favcnt pas , dit Laclance , les
bornes que doit avoir la liberté de la Poefie : Klie
peut enrichir & donner un tour figuré & agréable
SQX chofes qui i*e font effeélivement faites ; mais
ne rien dire que de fobuleux, c'cft être un imper-
tinent menteur, & non pas un habile Poëtc;Nf/-
tiunt qui fit Poétka HcentU modus , quoufque progre^
M fingendo liceat , cùm afficium Po'ét£ fit in ev . ut
#w qud ge/ïa funt y verè in nliquas fpfcîes obliqnis fi-
gurathnibus • cum décore altquo converpt traducaf.
Totum autem quod referas fingere ^ id eji ineptujn ep
^ fi^ et mendacem petiùs quàm Poïtani.
Ce foin que les Poètes prennent de couvrir leurs
menfonges de Tapparence de la Vérité, afin qu'ils
X-3 puif-
'486 NoUVSttES RVVLEXZOK»
puiffent être agréables, c*eft une preuve invin(>|
ble que nôtre ^prit cft fait pour la Vérité : &
confié quent que cette attache qu*il a à lire des ta
blés, eft une marque évidente de & corruption &|
de la vanité où il eH tombé, qui lui font préférai
rimage de la Vérité à la Vérité même , commel
nous avons vu: qu'il quittoit la véritable grandeiu
pour courir après fon ombre. Auffi ceux qui font
cxemts de cette corruption & de cette vanité, ne
peuvent s'arrêter aux imaginations des Poètes, &|
y cherdier du divcrtiffement; la Pieté ne le per-
met pas.
Une des raifons pour lefquelles on défend aui
Chrétiens de fe trouver aux Speélades , cft , félon
£dnt AngufUn, qu'ils ne font que des images de
la Vérité, & qu'il eft dangereux à l'homme mfccp-
tible d'erreur , comme il eft , qu'il n'y prenne
l'habitude de quitter les chofes réelles pour fwYie
leur ombre : Et * bsc enim quséiam îmiimtiê vniUh
tîs eft% ncc ob aliud à SaUbus prêhibtmur /pefiacMMs^
mfi ne umbris rerum decepti ab iffis nbus , quantm
umbréfunty aberremus. Platon f ^U^gue cette mê-
me raiibn, pour juftifier la défenfe qu'il édt aux
Poètes d'entrer dans fa Republique.
L'Auteur de la Vérité , dit Tertullien , n'aime
point la faufleté, 6c tout ce qui tient delafiétion,
pafle devant lui pour une efpece d'adultère : Non
éifnat falfum auétor Veritatis^ aduhirium ^ afud
illum omnt qmd fngitur.
L'on .peut dire de ceux qui ne repaiffent cette
inclination que nous avons pour la Vérité, que de
ces images fouiTes de la Vérité que forment lt$
Poètes , qu'ils font aufîi infenfez qu'un hypocon-
driaque qui quitte les alimens naturels pour repaîr
trc les yeux de la 'figure d'un fcftin, La véritable
Bcati-
» lUU Mt^i, $kâf. 21.
sun l'Art PoBTictVi Pa9'tJ.Cb,XIIL 4S7
Béatitude, félon faint Âuguftin, confîfle dans la
connoiâance de la Vérité : Beataquippevîtaeftguw
dium dt veritate. Peut-on dire qu'un homme eft
heureux qui met fon honneur à compofer ou à li-
re des Romans , puis qu'il ne fait confîfter toute
ia joie que dans le menfonge , & qu'elle n'cft , pour
ainfi dire, qu'un menfonge perpétuel ?
Chapitrk XIII.
jyoù vient que P imitation eft fi agréable , que Pon
prend par exemple plus de plaiftr à voir Vimagé
oTune chofe que cette cbûfe même.
CEt Art avec lequel les Poètes imitent la Véri-
té, & le foin qu'ils prennent de faire tenir à
ceux qu'ils introduifent, un langage tout confor-
me aux perfonnages qu'ils leur font joiier , font
fims doute les chofes qui contribuent le plus à ren-
dre la leéhire de leurs Ouvrages agréable.
Par exemple, la reprefentation d'un père qui re-
prend fon fils , enchante tellement qu'on ne croit
pas avoir une image , mais un père véritable. Ce
Ipeétade n'eft pas fort divertiflant en lui-même ;
on auroit du chagrin fi l'on fe trouvoit efFeéhve-
ment dans la compagnie de ce pcre dans le tems
qu'il gourmande fon fils : mais cependant la pein-
ture qu'en font les Poètes n'a rien que de char-
mant.
■^ Ceft pourquoi Ariftote, qui avoit fort bien
^ remarqué tout ce qui plaifoit dans les Poètes,
if & qui en a pris les règles qu'il propofe dans fa
'^^ Poétique, donne celle-ci : que le Poète doit peu
if parler, & ne paroître prefque jamais dans fes
■^ Ouvrages , même dans ceux qui ne confiftent
^u'ea récits. Il faut que par la voie de Timita-
X 4 tion.
'48* NouriLLif Ri FLExioKs:
tation, il redaife en aâion toutes les chofes :c'rf-|
à-dire , qu'il trouve le moien que les perronnûl
dont il veut faire connoitre les aâions , rappor-
tent eÛe$-mcmes ces aétions, & qu'ils le faàcni|
de telle manière que les Leéteurs ne s'apperçoi-
Tcntpas que ce foit le Poëte qui les inttruit,'
mais qu'ils s'imaginent en quelque Êiçon être ctt'
la compagnie de ces perfonnes & dans les mê-
mes Heux où le Poëte les reprefente, afin qul-s
reçoivent cette fatisfaction douce que donne u-
ne imitation parfaite.
C'eft un fujet d'étonnement aflfez grand, que
les hommes prennent moins de plaifir à coniî-
derer les chofes que leurs images : que la Vrai-
fcmblance leur plaife pliis que la Vérité. C'eft
ce qui leur arrive quand ils aiment mieux lire
des Hiftoires feintes qu'un Poëte habile a cou-
vertes de l'image de la Venté & de vrai-fem-
Hance, que des Hiftoires véritables. Perfonne
cependant ne veut être trompé, & û l'on prend
plaifir à voir des enchantemens , ce n'eft pas l'er-
reur qui plaît, dit faint Auguftin, mais l'adref-
fe avec laquelle l'enchanteur nous a trompez^
Si on nous demande, ajoute ce Père, quelle cft
la plus excellente chofe, de la Vérité ou du Mcn-
fonge , nous répondons tous que la Venté eft
fans doute plus excellente que les jeux éc les
contes. Cependant nous nous y laiffons aller a-
vec plus de joie qu'à la Vérité , & nous pro-
nonçons ainfi contre nous-mêmes l'arrêt de nô-
tte condamnation, lors que pour fuivre les mou-
vemens de la vanité , nous quittons ce que bt
Raifon nous fait juftemcnt approuver : înterrogs»
ti quitlfit melius^ verum an fnijunit ore uno refpon*
demus verum ejfi melius Jocis & iudis\ tamen ubi
nos u tique non ver a , fed falfa delefiantmuithpropen*
fins 9 juàm frétceftis ijjfiHs Veritatii tareamus . : its
no/îrê.
stJR l'Art P oe traji i. Part: LCb, XlFL 48^
fiojiro judicîo éf ort punimur , aliud ratione aj>pro*
tantes , aiiud vanitate fêlantes,
Ariftote dans fa' Poétique,, ditquelaraifonpour
laquelle les imitations font agréables , "c'êft que ceux
qui confiderent une image, prennent plai-iir à. ^-
prendrc & à découvrir par xaifoniiement quelle
chofe elle repr.efentc; par exemple^ que c'eft l'i-
mage d*un tel, ^Mpiiçrt 7tcç eiicôfuf cpuïni , ou
evfiÇcthetf 9<«^^ySv fMUfJuieif , i(^ ft(2^0>i^xâ^ jl
Mais outré cette raifon , ce plaifir vient appa^
remment de ce que les hommes , quoi que très*
attachez à Icurfens, ont un certain lentiment na-
turel qui leur fait préférer ce qui eft fpirituel aux
chofes matérielles , & qui les oblige pai* exemple
d'eftimer davantage que les corps mêmes, Tarta-,
vec lequel une perfonne ingenieufe les rcprefente:
d'où vient que toutes ces imitations- &' ces peint
tures des Poètes leur font plus agréables que les
chofes mêmes.
Ainfî dans le tems que les hommes corrotnpent
les bonnes inclinations de leur. nature, en les dé-
tournant de leur fin principale .& véritable ; on
doit remarquer là bonté de ces mêmes inclinations.
Mais fi l'on confidere ce vuide que l'on fent dans
l'ame après la lediure d'un Rom^n , & cette, efpe-
ce de chagrin avec lequel on en quitte la ledure^
on fera perfuadé que ce font comme les chàtimens
& les peines de l'iïlufion où l'on a été pendant cet-
te ledlure. Et c'eft ce qui devroit convaincre les
hommes qu'ils ne peuvent trouver de divcirtîire-
mentfolidc que dans ja contemplation de la Vert-
té, & non point dans les fables, qui n'en font qu'u-
ne image, ainfi qu'on ^çs définit ordinairement i »
ii^y^ iràOl^i HHS^i^^ iiki$etMt*
X-5 ■ ' Chî:
490 NoXjyiLLES RfiFLEXioNS
Chapithb XIV.
Ne» fettfment les fottes gâuni Fefprii de t homme t
mais ils corrompent fin céur 5 ils en détournent
tous les mçuvemens de fa fin principale qui efl Dteu^
& qui eji la caufi iu plaifir que l'on reçoit de ces
émotions avec lejquellès Pon lit ks Po'étës.
Es Ppctcs ne fc contentent pas d'amufcrrefprit
'de leurs Ledeurs par une apparence trompcufe
de la grandeur 8c de la vérité, telle qu'on vient
de le dire : ils fe jouept encore de tous les mou-
▼emens de leur volonté , & ils .les détournent de
leur véritable fin qui eft Dieu.
Les affeiftions & les mouvemens fontàramece
Ï\c les pieds font au corps : Movetur , dit faint
uguftin , affeélibust ut corpus pedikus : Elle s'en
fert pour s'approcher de.la Béatitude , & pour s'é-
loigner de la'înifere.
Or cotnme par un mouvement naturd qui n' eft
jamais interrompu, nous fommes portez vers le
Souverain bien, nous ne fommes jamais fans af-
feélions. On aime toujours quelque chofe, &onc
met fon bonheur dans ce qu'on aime : on le dcfi-
re par confequent , on l'admire , on l'eftimc , on
en craint la perte, & oh s'irrite contre tous ceux
Sui veulent nous la ravir ou en troubler la poffef»
on*: Ton fouflre avec peine les liens qui nous
empêchent d'agir pour y arriver.
Quand le cœiu n'eft agité d'aucune paffion fen-
fîble, & que fes mouvemens font comme retenus
& liez, c'eft un état de îai^ueur & de contrainte;
car les affeélions par lefquelies Tame agit & mar-
che, pour ainfi dire , vers fa béatitude, font ac
Cpinpagnées de plaiiir ^^xSî bien que toutes lesac-
"v , lions.
^v » l*Art P o e t I ojt h. Part. L CV, XtV. 4$t
tions du corps ncceflaircs à la confcrvation. On
voit, on entend, on mange & on boit avec plai-
fir : ainfi les émotions de Tamour , fes dcfirs , fcs
efperances , lui caufent du plaifir.
11 n'y a rien qui foitfi insupportable à Thomme^
& qui lui donne plus de trmcflc , que lors qu'il
ne le prefente point d'objet parmi les créatures qui
excite & qui entretienne le feu de fcs affe^ions ,
& vers lequel il puifle fe porter par eftime & par
amour: c'eft commeunefaim deTame, qu'ilveut
fatisfaire à quelque prix que ce foit.
Cependant il n'y a que Dieu qui puifle nous
rendre heureux, & nous procurer la béatitude que
nous cherchons avec avidité 5 ileUTobjet légitime
de toutes nos afFeélions; Mais parce que l'homme
ne peut pas la pofleder ici d'une manière accom-
modée aux fens, & qu'il veut être heureux par les
chofes fenfibles;il quitte le Créateur pour les Crea^
tures; & en cherche quelqu'une dont la poffeffion
puiiTe faire fon bonheur.
C'eft en vain qu'il hit cette recherche , c'eft en
vain que fon cœur en cft émû ; quelque cfFort
qu'il fafle il ne trouve point le repoS qu'il fepro-
pofe : il fent malgré qu'il en ait la balfelTe ôc le
néant de la Créature où il s'attache : fon efprit 8c
fon cœur s'apperçoivent bien-tôt qu'elle ne méri-
te pas d'être aimée comme il levoudroit, pour ar-
river au bonheur où il tend. De là naiflent les
chagrins fi terribles , & les inquiétudes fi conti-
nuelles des hommes.
Les Poètes fe propofent de divertir & de char-
mer ces ennuis : ils croient avoir trouvé le remè-
de à leur mal. Pour cela ils amufent toutes les
affections du cœur de l'homme : ils les remuent de
forte , qu'il croit jouïr fans aucune peine du plai-
lir que l'Auteur delà Nature a attaché aux mouve-
mens de la volonté de l'homme. C'ctt pour cela
X 6 . qu'ils
'j^tfï N oirv El t:!^. RiF L èxi:o N--5
qu'ils^leur font voir des objets imaginera pkifir^
& s'ils ne rempliflent pas la capacité de lame , au
moins ils contentent l'imagination par un bonheur
apparent. Et c'eft. ce qu'il eft bon .de voir plus au
long.
Tous 'les hommes fouhaitcnfc à la vérité' d'être
heureux,. mais ils ne s'accordent pas tous du fujct
où ils doivent trouver ce bonrhcur.. L'un éta-
blit la félicité dans les richelTes , l'autre dans les hon-.
neursj celui-là dans -les pltifirs du corps.. Chacun
tourne les mouvemens de fon coeur vers le lieu &
l'objet où il croit trouver fa félicité.- L'avare aime
non feulement les richeffes , mais illes e(lin>c , &
inéprife:la,pauyreté:.il les-defue., i\ craint de les
perdre lors qu'il les pofîede, il porte envieàceux
qui font plus riches que lui; en un mot fou cœur
eft tout entier dans fon trefor. 11 en eft de même
des ambicieux -, & de ceux qui mettent leur bon-
heur dans les voluptezi
Les Poètes ne peuvent pas faire leurs Lcé^curs
riches, leur doiiner des dignitez, & leur faire goû-
ter les plaifirs du corps, ils ne peuvent que ré vciU
1er mieux ces idées. Mais ils peuvent entretenir
les mouvemens deleurcœuren une manière, qui
pareillement a fes charmes. Tousles hommes ont
une inclination naturelle d'amour les uns- vers les
autres , par laquelle ils fe portent à aimer ceux en
qui ils rencontrent certaines qualitez aimaWes, &
avec qui ilsont comme unefympathie. Les hom-
mes ne fouhaitent rien tant que de trouver quelque
perfonne en qui ils poifFent ainfi placer leurs af-
fedions , & dont leur cœur foit touché fi vivement ^
qu'il foit toujours ardent pour elle , ifc exempt de
cette froideur qui déplaît fi fort. Et voilà ce que
trouvent dans les Poètes ces perfonnes qui ne fa-
vent ce que c'elt que de fe rendre heureux par la
ppffcflion du fouyerain bien., & qui ne mettent
leur
svK l'Art Poêtiqtjé. Pàrt.LCb.XÎF. 491
leur bon-hcur que dans la poffeffion des objets fcn-»
libles.
Lés Pôëtcs par les- beautcz , dont ils font une
peinture touchante, irritent Tardeur qu'ont ce«
perfonnes pour tout ce qui peut faire une impref-
lion agiffante fur leurs fens. Elles veulent qac l'on
pique de nouveau, comme pour les r'ouvrir, les
plaies qu-éïlts ont tant de fois reçues des chofcs
lenfibles.'
Ceft cet état où faint Auguftin fè plaint qu'é-
toit fon ame , avic/a contnéiu rerum fenfihiRum,
G'eft pouf cela que dans un Poëme, il y a tou-
jours un Héros & une Héroïne. Le Héros a tous
les avantages de corps & d'efprit, pour gagner les
bonnes grâces d'une Héroïne. Elle eft elle^-même
im chef-d'œuvre des Cieux , plus belle que le Soleil»
à qui il ne manque rien de tout ce qui peut ren-
dre aimables celles de fon fexe. Car perlonne ne
concevroit de Teftime pour des Héros ^ pour des
Héroïnes des 'Poètes , lî l'on ne voyoit dans leur
conduite des vertus éclatantes , & s'ils ne paroif-
foicrit exempts déis vices grofficrs*, 8c dont pn'«
hcftie.- On fait foire à ces Heros^ de beHes àc- "^
tions : Ils donnent de grands exemples'de religion
envers les Dieux-, de pieté à l'endroit de leurpa-*;
trie: Us ont une fermeté de courage merveillèuïe^'
une intrépidité incroyable dans les dangers: une
patience invincible dans les travaux ; ils font dé-
mens: ils font modéftes', ils ^ font honnêtes: Et
bien que toutes ces vertus ne foient qu'un faux*
éclat qui orne leurs vices, puis qu'ils ne font
point exempts d'ambition , de vanité ,• & d'un a-
mour criminel pour les Créatures; cependant ces
vertus colorées font leur effet, & allument dans
1^ cœur des Leélcurs une forte paiTion pour ces
Héros. On defire enfuite de fa voir leurs avan-
. uuresj on s'intercffe dans^ tout ce qui les regarde ,
X 7 &
'494 NoiTYEttBS REFtEXIOKS^
& Tonfe trouve fi étroitement lié avec eux, qu'on
entre dans toutes leurs paffions. On aime ce qu'ih
aiment; on hait ce qu'ils haïffcnt : on fe réjoint,
& l'on s'afflige avec eux.
Lors que le Ledleur s'cff une fois intereffé de
cette manière dans ce qui arrive au Héros de fon
Roman , fon cœur n'eft point froid , il reflcnt a-
yec plaidr toutes les émotions de» paffions diver*
ifes, qu'excitent en lui les differens états, par lef-
quels le Poëte fait palfer ce Héros. Ce qui aug-
mente le jplailir que donnent ces paffions , ef 1: qu'el-
les paroiffcnt innocentes , & qu'elles ne font ac-
compagnées d'aucune fàcheufe diconftance.
Ceux qui lifant un Poëme , croient être au mi-
lieu du combat , 6c fuivre leur Héros dans tous
les dangers qu'il court, ne craignent point les
coups ni la mort. Les colères , les jaloufîes , les
haines dont on efl: agité dans les affaires du mon-
de, étant évidemment honteufes & criminelles,
les remors de confcience & les douleurs qui s'f
trouvent jointes , ou qui les fui vent , ne per-
Hdettentpas d'y prendre plaiHr; mais dans cesé*
motions que donne la leaurc d'un Poëme , on y
yoit une vertu apparente, qui fait qu'on ouvre
volontiers fon cœur à des fentimens qu'on aoit
innocens.
On s'imagine qu'il y a de la generofîté à pleu-
rer les malheurs d'un illuilre perfecuté , haïr fcs^
«nnemis, que le Poëte ne manque pas de noir-
cir de toutes fortes de crimes. On rcffcnt une
certaine fatisfadion de ce qu'on aime la Vertu,.
& que Ton a un cœur qui n'eft pas infenfible:
On ne condamne point les mouvemens de ten*
dreffe , que l'on refTent pour l'Hcroine : car il
paroît toujours que la fin de l'amitié que le Hé-
ros a pour elle, eft un mariage honnête.
La peine que Ton (ouSre en voyant les maux
d'une
êxrti l'ArtPoitiqvb. Fart.L Cb.XlV. 495^
tf uiîc pcrfonnc que l'on juge digne d'une mcil-
fcurc fortune y eft liée par une union mcrvcil-
kufc avec des fentimcns contraires de joye &
de douceur : On pleure avec plaifir des mifere»
^ue Ton ne fouâire point. Cajut * alknos fine uilê-
thhre imuentibus etiam if fa. mifirkonfîa jucundd.
Ce n'eft pas que là peine des autres donne de la/
£itisfaâion > mais on eft bien aife de s'en, voir h.
couvert^ comme dit Luaece*.
Non quo^vexart quemquam jueundà vaà/ptast
Se^ quitus iffe nuiiis car tas ^ quia cemere Juav9 eJF^
Comme dans Tinflitution de- la nature ces mou-
vcmens font ncceffeires pour garcntir Tame de
quelque chofe qui lui fcroit nuifiblc ,. l'Auteur
de la nature y a joint un certain plaifir , ainfî qu'à
toutes les autres adions du corps ; même à cçllei
qui fe font avec quelque violence , lors qu'elles
contribuent à la fanté; Le travail d'une prome*
aade, par exemple, çarcequ'il dt utile i la fanté,,
|>laît davantage que Tmai^ion :. de même les émo^
tions que l'on relTent à l'occafion de quelque mal ^.
qui pourtant. ne peut nuire ^ donnent de lafatis^
Eiâion.
Auffi eft-ce pourquoi les Poëtes r «fin qùeleur^
Leôcursne foient pas privez de plaifirs fembla-*
blcs , font courir mille périls- à leun Héros. lit*
mêlent leur vie de differensaccidens , dedifgraces,
£c de faveurs de la fortune. Ce Héros fera, fi;
vous voulez i dépouillé defesEtats^ ficperfecuté;;
mais ce fera oa par fes amis, oa par fespluspro*^
<hes parcns, par fa. femme, par fes enfans.
Le bonheur qui lui arrive, fera auffi tres-rarev
& tres-fingulier: Il remontera fur le thrône lors»
qu'on le croioit accablé fous le poids de fa mau-
vaifc-
^ Gkexoi« Mf. B.s. £/. 12;
I
vaifc fortune : Par exemple , un Prince qui eft lë
Héros de la pièce , -après avoir été long-tcms fu-
gitif & vagabond; tombe enfin entre les mains
& fon père, qui fans le connoître le fait prifon-
nier; il le foupçonne de quelque grand crimCi
Ce père prononcc.une Sentence de mort contre
lui, mais au moment que Tépéc- cft levée &
prête, à lui trancher la tête, le père par un ac-
cident qui furvientv connoît que c'eft ion pro-
pre fils. Cette bonne , & cette mauvaife fortune
tire les larmes des yeux , & cette douleur , ■ com-
vat le> remarque faintAugxifUn.» eftuu grand plai-
fir ; do/or eft voluptas.
. Quand on fent toutes ces diflfèrentés émotions
<jiie le Poète excite avec adreffe parla reprefcnta*^
tion de ces accidens , l'on ne s'ennuie point. Les
aflfedions, dont le Ledeurfe fent animé, le trans-
portent hors delui- même. Tantôt il fent fon cœur
plein d'un feu martial, & il s'imagine combattre:
tantôt agité de mouvemens plus doux, il fe mêle
<tons les intrigues du Héros de la pièce : il eft fol-
dtt& amoureux avec lui: & en un mot, il eft
dans fon imagination ce qu'eft ce Héros ^ & ce
qu'il voûdroit être lui-même; ainfi il n'y a aucun
mouvement de fon cœur qui ne foit rendu agif-
fent; il eftime, ildeflre, il craint. Il n'y a point
de Paffion dont il ne relfente les agréables émo^
tiens; & elles le. tirent de lui-même où il ne trou-
voit que des motift d'inquiétude. Son cfprit &
fon cœur occupez de ce qu'il lit , font dans Fétat
le plus agréable où puilfe être une perfonne qui
ignore l'ufage qu'il devroit en faire pour aller à
Pieu , & il fc contente dejouïr d'une fcUcité paf*
fegere 6c imaginaire.-
C«ri^-
*u R l'Art P rt < t i <tu e. Part. I, Ch. XlT. 497
Chapitre XV.
Lm Poefie ejî une Ecole de toutes ks PuJJhns ^ue
condamm lu Reltgiom
L'O N peut dire que la Poëlîc donne de conti-
nuclîes leçons de ce qu'on appelle dans le
monde, les belles Paffions r c*cftàdire, de Tarn-,
bition , du defir de la gloire, & de Tamour, qui
font diredement oppofécs à la diarité.
• Un homme qui fe met fouvent en colère, prend-
feu bien plutôt que celui qui s'applique à refifter
aux premiers mouvemens de cette Paffion. Ceux
qui palTent leur tems à lire des Romans , qui en*
trcnt dans tous les (entimens de ceux que les Poètes
y font agir, font par confequent, pour ainfi dire ,
im exercice continuel d'ambition, de vanité &
d'amour, qui font les Paifions ordinaires des Hé-
ros des Poètes: & ces gens ont fans doute bien
plus de penchant pour ces Paifions. Ils n'y étoient
que trop portez par leur nature. corrompue; mais
i6 y font étrangement fortifier par ceslcélurcs.
Lorfquc l'on fouhaite avec paffion que celui i.
qui on a donné toutes fes affections, acquière la.
gloire qu'il délire ; n'eft-ce pas une marque évi-
dente que Ton aime aufli la gloire? Si Fonis'afïlir
gc de la perte qu'il fait defesricheffes, ne voit-on
pas par là rattache qu on a aux biens de la terre?'
On pleure dans la vie d'un Héros ce que Ton re-
garde comme un mal , & ce que l'on ne voudroit
pas fouffrir. L'on cft bien^aiie que le^ chofes lui
fticccdent , parce qu on délire pour foi-même dans *
une femblablc occalîon, un pareil fuccès..
Ceux qui ont de l'amour, s'affligent lors que le
Héros cil malheureux dans les amours : & com-
me.
49^ Nouvelles Reflexioks
me plus on eft engagé dans le monde , plus on ai-
me les grandeurs de la terre; auffi plus on eft
rempli d'ambition, plus on eft fenfible à Tamour
& aux autres Pallions. On fe trouve dans la lec-
ture de ces avantures Poétiques , d'autant plus
touché de ces Paflions qui y régnent par tout :
Eà *magts eis movetur quifyue , quà minus à talibus
éiffeâiibus fanus eft.
Il ne faut donc pas s^étonner fi les pcrfonnes
qui lifent les Romans, reçoivent Timpreffion de
tous les fentimens de ceux que le Poète y fait a*
gir & parler , puis qu'ils y ont un rapport fi naturcL
Les paroles îdes perjonnes [rsffionnées nous troublent et
nous agitent , quand elles nous trouvent pleins de la
pajjion et de la foibleffe de coeur dont elks froce^
dent.
On imite toujours avec joye ce qu'on a vu re-
prefenter avec plaifir: ainfi quand une femme
qui a coutume de lire les Romans, fc voit a-
oorée, elle croit être une de ces beautei pour
kfquclles les Héros fefont expofezàtant de dan-
gers. £n lifant ces Livres , elle a conçu qu'il
n'y a rien de plus doux que d'aimer & d'être
timé<: : elle fe rend facilement à Toccafion qui lui
çrefente cette douceur :& c'eft-là le poifon qui
donne la mort à la plus grande partie des per*
Ibnnes de fon fexe.
Dieu> comme on Fa dit, veut régner fcd
dans le cœur de l'homme qu'il a fait ; pcrfon-
nc ne peut donc Toffirir à une Créature , ott
s'en emparer , fans commettre un larcin , qui
ne demeurera point impuni. C'eft cependant ce
que font les Héros & les Héroïnes. Les Poè-
tes forment entre eux une fi belle union » que les
uns & les autres n'offrent des facrificcs & de l'en-
cens à leurs Dieux , qu'afin de les porter à foire
reiif*
SUR l'Art P 01 TtQjra. PartJ.Ch.XV. 49^
réuffir leurs amours. L'Heroïnc cft le Dieu du
Héros , & le Héros cft ccliû de l'Héroïne ; 8c
c*eft cet amour détcftablc que les Lecteurs de
Romans tâchent d'imiter, quand ils fe mettent
Tamour dans la tête.
La leAurc de ces Livres pernicieux ne fait pas
fculvraent naître les Paffions, mais elle leur don-
ne des armes. Uu ambitieux y trouve des leçons
pour s'élever & pour contenter fon ambition.
Mais fur tout les Poètes font ingénieux à trou-
Ter des intrigues pour exécuter les dcfleins a-
moiircux qu'ils font prendre à leurs Héros , pour
gagner ceux qui s*7 oppofent, ou pour le leur
cacher. Ils apprennent auffi l'art de s'exçliquer»
& de dcdarer d'une manière ingenicufe, Vamour
qu'on a dans le cœur.
Après une étude fi pernicieufe , ceux qui-s'y font
rendus maîtres , non-feulement ont Telprit & le
cœur corrompu, mais ils favent encore les moiens
de faire réuffir leurs mauvais defirs. Ainfionpeul
dire que les Poètes & les faifeurs de Romans,
cnfeigncnt l'art d'aimer , & comme dit Ladhnce ,
par de feints adultères ik apprennent à en commet-
tre de véritables: Doccnt aduhtria dimfngunt^ih
fimulatis erudiunt ad vera.
Auffi Socrate dans fon Hiftoire Ecdefiaflîquè ;
en parlant d'Heliodorc Evêquc de Trîcala , qm eft
qu'on rofcligea dans un Concile» ou de It»
brûler ou de quitter fon Eycché ; ce qui Mt
connoître que Ton a toujours crû dans f Eglifc
que «cesi fortes d'Ouvrages étoicnt tres-dapçereut
s
CUâr
SOO NoUVEtlBS Refibxior»'
Chapitre X.VI.
Quand la Vtièfie ntnfpîreroit peint de tnauvaifis
PaffionSi elle feroit toujours criminelle y pétrce
qu'elle rend inutiles tous les bons mouvemens de
nûtre. cœur,
QU AN D la Pocfie n'infpireroit aucune Paffion
criminelle , elle ne feroit pas innocente ;
car nôtre efbrit n'eft pas fait pour s'occuper de
fables. N'eft-ce pas une véritable extravagance
que de s'interefler dans la fortune d'un Héros,
qui eH moins c[u'un fantôme, de pleurer des maux
qui ne font pomt , & ne pas verîer une feule lar-
me pour pleurer fes propres maux, qui font fi
réels?
Et c*efl de quoi iaint Augi^in s'accufe devant-
Dieu : J'étois obligé , dit-il en parlant de fes pre-
mières Etudes , d étudier les x^aines & les jabulew-
fes avantures d'un Princç errant tel qu*étoit Enée >•
au lieu de penfer à mes égaremens&à mes errtursy
et Von vfenjtignoit à pleurer la mort de Dhlon , à
caufe qu*elle s*étoit tuée par u» tranfport violent de'
Jon amour i' pendant que yétois fi miferakle que de
regarder d*un oeil fec la mort que je me donnais à'
moi-même y en m^attacbant à ces fiélions , & w»V-
ioignant de vous 9 S mon Dieu l qui êtes- ma "Vie»
Car y a-t-il une plus grande mifere que^dêtremife-.
%able fans rfconnoitre et fans plaindre foi-Jhtême.fa
propre mi/erei que- de pleurer la mort de Didon:^Ja<
quelle eft venue, d^ V excès de Jon amour pour Enfe^
et de. ne pleurer pas fa propre mort, qui .nifjv^ du
défaut É^amour pour %f oust
Tenere cogebar nefcio cujus erroresy oblitus
$rrorym meorumy & plorm-e Didonem mortuam,
qtêia
Bv% l'Art Poétique. Pgrt.i.Çh. XVL 501
^uiit Je 9€cidi$ $h amorem , càm intéreà meipfum
in bis à te fnûrientemy Deut vita mea > Jîccis qcU"
lis ferrent miferrtmui, Si^ifl enim miferius miferê
non mijerante feîfftm , é* Jlente Didonis mortem ,
qu£ fiebat antando Mneam^ non fiente autan mor*
tem Juam» quje fiebat non smando tef
Elt-ce pçur des phantômes que Dieu z impri-
mé dans nàtre cœur toutes ces différentes affec-
tions d'cftimc & d'amour; ou pour nous attirer
à lui, -qui efl n^tre centre ,' comme nous avons
dit , & nous feparcr des créatures , aufquelles nous
ne nous pouvons attacher fans nous priver de nôtre
félicité? Il a fait nôtre cœur capable d'eflimer &
de haïr , d'cfperer & de craindre , afin que nous
cftimaflions fcs divines perfedlions, & que nous
jnéprifaffions le néant des Créatures , que nous
nous éldvaffions vers lui par nôtre amour, en
nous éloignant par un mouvement de haine de
tout ce qui nous peut feparer de lui, que par
nôtre eiperance nous nous uniffions à lui , nous
détachant par la crainte de tout ce qui empêche
cette union.
Qnarid je jette les yeux fur ceux qui fe,laiflent
émouvoir, par ce quwlifent.daos un Roman, &
qu'ils font.frQids dans Vaffaire de kur falut , il me
lemMe voir des perfonnes , qui étant pourfuîvies
f3ii des ennemis, au lieu de fuir 8c de clicrcher
un aille, «'amufcroient à confîderer un parterre
fcroé de fleurs.
La Poëiie amûfe ainfi toutes les faihtès affec-
tions de nôtre cœur , ou les détournant vers des
chofes criminelles ou des b^igatellQS,^ de forte que
par là ces bonnes aflfeétions font abîblument in-
utiles. Une femme, par exemple, qui eft ac-
coutumée à ces mariages de Roman, ne trou-
vant point toutes ces quahtez feintes & imagi-
naires des Héros dans ^on mari , elle n*eft pas
f&it 4ifpofée à Taimer. Ceux
501 NouvitLEs Réflexions, &CU
Ceux qui reffcntcnt plus vivement des fcntimdn
de compaffion en lifant cesaccidens ^funeftcsqui
anivent dans les Tragédies , font peu touchez des
miferes ordinaires des hommes, parce qu'ils n'y
trouvent rien qui arrête leurs y eux, & qu'ils ne
font pas accQÛtumei d'être émus par des acci-
dens commun^
S'ils font richds &; d'une condition relevée , ils
teulent exécuter toutes les folles entreprifes dont
ils ont lu les defcriptiohs , Redevenir eux-mêmes
des Héros.
S'ils font mifcrables & qu'ils foient perfccutez;
au plus profond de leur b^flefTe^ ils s'enflent d'or-
gueil 5 ce comme ils ont autrefois admiré les tra-
vaux de leurs Héros, la grandeur de leur cou-
rage dans leurs maux , dont toute la terre s'cft
entretenue , ils s'imaginent quela perfection qu'ils
fouflfrent les expofe aux yeux de tout le monde,
& que l'on plaint partout leur mifere; ainiî bien
loin de recueillir aucun fruit des peines que la
mifericorde de Dieu leur avoit envoyées, com-
me des moiens pour fe garantir de celles de l'E-
ternité; qui font dues à leurs qimes, ils ne les
foufirent que pour fe rendre plus coupables , &
pour exciter davaûtage. farColerel\r
On ne fait donc autre chofc par la ledure des
Romans & des Poètes , que contraéïer un certain
cfprit , qui ne fe repaît que de vaincs idées &
de chimères, & qui nous éloigne de plus en plus
de la fin o\x nous devons tendre.
fh de la première. Parfit.
MOU-
Pag. jo]
NOUVELLES
REFLEXIONS
SUR
L'ART POETIQUE.
SECONDE PARTIE.
Chapitre Pkemiek.
Laf».d* PArl ftHiqut tfi Jifla'm; Su rigks gt-
nértksft redmfint <■ quatrt prï^ciinUs. Qa pri'
p*fi Us Aux prtmierit , favtir It cb»ix dt ia im-
tiert, ir fimiUtUm.
^£S règles que l'Art Poëtrauc preicrif;
j ne tendent qu'i engager les nommei
I dans, h leâure des Prêtes par \c plai-
9 fir qu'ils y trouvent. Pouc examiner
cette propoûrîQn.i pu Uwelle nous
commençona la fccondePïrlie ae nos.Reflesions ,
nous desoiû confidejei que' tontes lÈs chtrfcs qui
pUifent daai Ics PoetCî , fc pCUTCBt làdiûrc à qua-
tteUuft.
- ■■ Pre-
504 l*^ovviLi£s Reflexions
Premièrement, la Poëfie eft agréable, en ce
qu'elle ne choifît pour fa matière que des chofes
rares, dans lefquelles on voit une certaine ima-
ge de grandeur^ ce que nous aimons , parce qu'é-
tant faits pour un Etre fouveraincment grand,
nôtre nature nous porte à aimer tout ce qui a quel-
ques traits de cet Etre.
Les Poètes plaifenten fécond lieu^ parce qu'ils
imitent la vérité , & que toute imitation divertit.
En troifiéme lieu, ils flatent nos inclinations,
6c ne difentricnquedc conforme à nos fentimens ,
& c'eft ce que nous recherchons.
Enfin ils remuent nos pallions: Or toutes leurs
émotions font douces , quand elles ne font point
accompagnées ni fuivies cf'aucun fâcheux accident:
Ainfi c'ell par ces quatre voies que les Poètes par-
viennent à leur fin principale de plaire.
Pour donner donc quelque connoiflance de TArt
Poétique , nous ferons voir comment les Poètes
fuivent leurs règles , pour éblouir leurs Ledeurs
par la grandeur des chofes qu ils propofent , pour
les enchanter par une image de la Venté , pour les
gagner en ne difant rien qui foit oppofé à leurs
inclinations , & pour exciter dans leur cœur tou*
tes les Pafïïons qu'ils font bien-aifes d'j fcn-
tîr.
Les Maîtres de l'Art ne peuvent prefcrire de re-
^s pour la premiere.chofe, qui eft le dioix d'une
riche matière : Ce n'eft point l'Art ni l'Etude qui
donnent aux Poètes cette fécondité d'imagination,
.par laquelle ils voyent par toutes leurs foces les
chofes qu'ils traitent , & qui leur donne moyen
dans une û grande abondance; de fafre choix de
'ce que Ton en peut dire de rare ôc de .grand,
& qui par fa vivacité fait qu'ils tournent ce qu'ils
s'imaginent en mille manières incoriniies à ceux
qui ont une imagination grofiderc &c pcTante.
svvi l'Aut Poétique. Part. 17, Cb.L 505-
Il eft anffi ncccflairc fur toutes chofcs , oue la
Nature ait donné à un Poëte beaucoup de ju-
gement, pour faire un bon ufage des ridieflcs de
fon imagination , & pour en régler le feu ; au-
tremait fes inventions & fes manières de dire
les diofes, font extravagantes 5 ce qui arrive par-
ticulièrement à ceux qui- n'ont point d'autre
Science que celle de rimer, & qui n*ont point,
cultivé leur efprit par une étude plus ferieufe que
celle de la Poëfie. »
Homère & Virgile étoient exccllcns Philofo-'
phes, c*eft pourquoi ils ne s'égarent prefque ja-
mais; la Raifon les guide partout, ils ne s'aban-
donnent point à ces faillies, qui font une e^
pecc de nevre chaude & de délire, qui font di-
re cent diofes impertinentes à ceux qui s*yiaif-
fent aJlcr.
La plupart des Poètes perdent le tems danj
des defcriptions ennuyeufes & hors de propos.
Ils s'arrêtent où ils devroient courir : Ils paiîent
fous filence ce qu'ils devroient expliquer avec é-
tendue. 11 eft bon que les Maîtres faffent remar-
quer ces endroits aux jeunes gens , pour les ac-
coutumer à bien juger de ce qu'ils lifent, & qu'ils
leur inculquent ces belles maximes, que les cho-
ies qui. font hors de propos, qui font contre la
bienfeance & contre la Vérité & la Raifon, ne
doivent pas être eftimées, quoi que l'Auteur qui
les a trouvées & qui les a dites , paroifTe avoir de
r efprit : autrement les Poètes, qui peuvent fer\ir
à éveiller l'imagination de la jeuneffe, corrom-
pront fa Raifon. • U^Ui
Car on ne peut nier que plufieurs ne pouffent
trop loin la hberté dont la Poëfic leur donne droit
d'ufer. Souvent il n'y a pas plus de rapport entre
ce qu'ils difcnt, qu'entre les longes d'unjnalade;
Us nefavent ce que c'eit que depeiadccles cho-
Y fes
5o6 NouYSiLEs -Rbflexxoms
fes dans un état naturel Se dans la proportion &Ia
grandeur qu'elles doivent avoir : ils Içs font toutes
monftrucuîcs , & quelque petites & ordinaires qu'd-
les fuient, ils parlent d'eUes comme û elles étoicnt
extraordinaires 8c prodigieufes. Il ell vrai qu on
voit du feu & de ta hardieiTe dans leurs Ouvrages
c*cft pourquoi pour leur donner le fufirage qu'ils
méritent , il faut dire que leurs Poëfies font lem-
Uables à ces grotefques agréables que font les Pein-
tres» lorfque ne s'affujettifTanc à aucun defleiD*
ils fuivcnt feulement leur caprice.
La Poëfie eft une imitation des aâians des hom-
mes, de leurs paroles 6c de leurs mœurs. Afin
que cette imitation foit exa<fle , il faut que les Poè-
tes , comme ils ont coutume de le faire , hSent
agir ôt parler ceux qu'ils introduifent dans leurs Ou-
vrages , conformément à leurs mœurs. Pour cela
les Maîtres ont foin de rapporter avec étendue les
mœurs des hommes : ilsparcourenttouteslescon-
ditions & les divers âges de la vie , 6c fontremar-
quer quelle eil la manière d'agir de ceux qui font
d'une telle condition , d'un tel âge ; ce que font
les jeunes gens, comment agiifent les vieillards.
Quoi qu'il n'y ait point d'homme qui foit tou-
jours le même , 6c que ceux d'un même état ne
foient pas tous femblables, il y a néanmoins un
certain caradere qui diftingue chaque âge ôc cha-
que condition , 6c qui en &it connoître l'humeur
6c la manière ordinaire d'agir.
C'eft dans l'expreilion de ce caraâere que les
Poètes font paroure cet art d'imiter quieftudiar-
mant. Ion qu'il eft bien obfervé. Je ne m'arrête-
rai pas à parler de ces caraâeres; car outre qu'Â-
tifioteTa déjà fidt dans fa Rhétorique» 6c Horace
dans fon Art Poétique » je ne aoi pas que les Li-
vres foient necefifaires pour acquérir ces connoif-
fimces, on Ici trouve en foirmemcr & le monde
cft
SUR l'ArtPobtiqjji. PartJLCklL 507
cft un excellent Livre pour cela, il ne faut qu'étu-
dier fes adions & fes paroles.
luts Maîtres rapportent au Chapitre des Mœurs,
ce qu'il eft neceuaire d'obferver pour foire qu'une
invention poétique foit vrai-femblable ; ils aver-
tiflent qu'il ne fout rien dire qui foit contraire
à ce que Ton a une fois avancé, à .une vérité
connue, 6c à ce que la Raifon nous enfeignc
manifeflement.
Il fout prendre garde fur tout de ne pas pro-^
pofer des chofes comme véritables , dont Ter-
reur peut être apperçue par les Sens. LeMeirfon-
ge, comme nous avons vu , ne peut être agrea-
we, s'il n'a l'apparence de la Vérité; c'eft-a-cK-
re , fî l'on ne croit en quelque manière que ce
que le Poète dit eil véritable. C'eft pourquoi ,
(Hon Ariïlote , il fout avoir plus d'égard à la
vrai-femblance qu'à la vérité même; car il 7 a
des chofes qui font très-veritables, que les hom-
mes ne peuvent croire , parce qu'ils mefurent
.toutes chofes à leurs opinions : ainfî pour leur
traire & obtenir d'eux qu'ils croient ce qu'on
leur dit, l'on tie doit expofer à leurs yeux que
ce que leurs préjugez leur perfuaderont êtrepof-
fible 6c vraifemblable.
Chapitre II,
Régies que futvent les Poètes pour flatter les /»-
cUnat'umseles hommes ^ et four remuer leurs faf»
fions.
T E« Poètes doivent foire paroître fi clairement
"•^quelles font les inclinations de leuiS perfon-
nages, que les Leéteurs apperçoivent dèslecom-
mencetneàt de la Pièce ce qu'ils femnt dans la
y 1 CviL-.
5cS Nouvelles Réflexions
fuite : & c'cft ce qui contribue à leur rendre yni-
femblable ce qu'on leur propofe , & leur donne
vnc fecrette fatisfoétion de ce que les chofes ont
eu le lucccs qu'ils avoient prévu.
Auffi fi ces perfonnages ^iffent en quelque cho-
fe autrement qu'Os n'ont accoutumé, il faut que
le Poète izSc connoitre la caufe de ce changement
Nous approuvons toujours ce qui convient à nos
inclinations 5 nous aimons ceux qui font de nôtre
humeur. Ainft les Poctes, qui regardent comme
leur principale fin » la fatisfadion de leuts Lec-
teurs, donnent de bonnes inclinations à leurs j^-
miers perfonnages , qu'effe<fiivement nous avons
tous naturellement de l'amour pour la Vertu, &
de l'horreur pour le Vice. L'on ne pi eureroit point
la mort de Didon, fi Virgile dans les premiers Li-
vres de fon Encïde ne l'avoit fait paroître très-
vertueufe, & ne lui avoit donné toutes ces excel-
lentes qualitez qui gagnent les cœurs « & qui font
qu'on cil affligé de voir ime grande Princcflc ré-
duite au defefpoir par une Pafidon qui femble in-
nocente , puilque fa fin étoit un mariage honnête.
Sencque ♦ rapporte qu'Euripide dans une de
fes Tragédies , ayant donne des louanges à l'Ava-
rice , tout le Peuple d'Athènes fe leva , & auroit
chalTé l'Adlcur qui les récitoit , fi Euripide n'eût
paru fur le Théâtre, & ne les eut priez d'écouter
la fuite de la Pièce pour apprendre quelle foi fe*
roit cet admirateur des richeflcs.
Les Poètes qui entreprennent de flatcr nos in-
clinations , comme nous avons vu , en mêmetems
qu'ils ornent leurs Héros de tant de bonnes quali-
tez , ne les exemtent pas néanmoins des deftuts
aufquels ceux qu'on appelle honnêtes gens dwisle
monde , font fujets. C'efl pourquoi quand les
Maîtres de l'Art Poétique traitent cette queftioni
fi le Héros de la Pièce doit être honnête homme»
* Ef.\\%. ils
k
» tr R l'A R T P o B T I <^u E. Part. IL Cb. IL' <dO
• \
ils répondent qu'il le doit être : mais comme nous
Favons déjà remarqué, ils prennent pour honnête-
té une certaine alliance monftrueufe de la Vertu
& du Vice que nous aimons, parce que nous fom-
mes bien-aifes de jouir en effet des plaifîrs , & d'a-
voir pourtant les apparences de la Vertu, fans tom-
ber dans les infamies & les remords de confcicn-
€C. Suivant cette idée de Thonnêteté que ces Maî-
tres fe propofent , ils font un détail des mœurs que
doivent avoir les Héros , & que nous ne rappor-
terons pas ici : Car outre qu'on ne fait que trop en
quoi confifte Thonnêteté du monde , s'il étoit
queltion de propofer un modèle parfiait d'un véri-
table Héros , je conf»alterois Jésus Christ , & }c
fcrois voir par des raifonnemens que je crois être
des démonltrations , qu'il n^y a que ceux qui fui-
rent fes maximes qui foient grands :mais celade-
manderoit un long difcouis, que la matière qu'on
traite ne permet pas d'entreprendre ici.
Ceux qui veulent enfeigner les Lettres Humai-
nes d'une manière Chrétici^c, y pourront fup-
pléer, & ils ne doivent pas manquer de le faire,
•fin que leurs Difciples ne fc rcmpliflent pas des
làuffes maximes de la Morale conompuc des Poè-
te».
Toute l'étude des Poètes tend^particuHerement
à faire leurs Héros tels que nous voudrions être :
c'eft pourquoi comme il n'y a point de vertu qui
contente davantage l'ambition que nous avons de
commander & de paroître grands , que l'intrépi-
dité & k force , ils n'oublient point cette vertu
dans l'idée qu'ils forment d'un Grand-homme ,
conformément à l'opinion & aux delirs des gens
du monde it qui ils veulent plaire.
Ils font aufu leurs Héros fort pieux, cequin'eft
point oj^pofé au deflein qu'ils ont de flatter nos
mauvaifes inclinations : ils y font obligez , parce
Y 3 que
5XO NouTEiLEs Réflexions
que ces grands Hommes ne pourroient être cfti-
mei, s'ils n'avoient du refpeél pour les Dieux.
On craint Dieu , & on Teftime naturellement :
ce qui fiait qu*on a une haute idée de ceux qui en
font chéris & protégez : de forte qu'au fentiment
des hommes, il nous efl plus glorieux de furmon-
. ter un péril par un miracle que le ciel fait en nô-
tre faveur, que par nôtre adreffe.
Ceft pourquoi ce n*eft pas une faute à un Poè-
te , après avoir fait paroître fon Héros dans un
grand danger, de l'en tirer par un miracle, puif-
que cela contribue à établir la réputation du Hé-
ros dans Tefprit du Ledeur, ce qu il regarde com-
me fa principale fin.
Mais ce n*eft pas cette feule raifon qui porte les
Poètes à faire les Héros fi rehgieux , & à feindre
2ue les Dieux les accompagnent dans tous leurs
angersj qu ils leur foumiuent des armes, & qu'ils
combattent pour leur défenfe : Us font ces fic-
tions pour plaire aux hommes, qui font troublez
dans leurs oefordres par la crainte d'un Dieu van*
geur des péchez qu'ils commettent : de laquelle
crainte ils les délivrent en leur reprefentantquede
grands hommes aimez des Dieux , ont fait ce qu'ils
font, & outre cela le Peuple fe plaît à tous ces
miracles.
L'on ne conçoit rien de plus grand oue Dieu,
ni dç plus admirable que fes effets. Ainu, comme
Pon aime ce qui eH grand & ce qui n'eft pas or-
dinaire , on prend plaiiir à entendre parler de la
Divinité , loilque ce que l'on en dit m fublime :
Ceft pour cela que le Poëme oùPonne voit point
)es Dieux mêlez avec les ^onunes ne divertit pas,
félon le. jugement de la plupart du monde.
Les hommes ne veulent pas néanmoins que l'on
' les entretienne d'une Divinité fpirituelle, dans la-
quelle Ton n'apperçoive rien que de grand & de
majeftueux» & qui n'ait aucun rapport fenfîble
avec
SUR l'Art P o e t i qu b. P/ir/. //. Cb. IL 511
avec leurs mœurs & leurs inclinations. Ccftpour
quoi les faintes Ecritures ne leur plaifent pas; car
ils n'y voient qu'un Dieu faint, «qui étant exemt
de toutes les taches du péché, eft ennemi des pé-
cheurs : ils s'accommodent bien mieux des Dieux
du Paganifme , d'un Jupiter adultère , d'an Mars
cruel, d'un Bacchus yvrogne, & d'un Mercure
Yoleur.
Ces Divinitez ne les éblouïffent point ; & c'eft
pour cette raifon que les Poètes, qui ne regardent
aue la fatisfadion de leurs Ledcurs , comme la
nn de leur art, fe font une loi de faire entrer
dans leurs Vers les Dieux de la Gentilité, &con-
fiderent les Fables comme le plus bel ornement de
laPoëfle^ parce qu'elles parlent des Dieux, &
que ce qu'elles en difent flate nôtre cupidité.
Pour enfçigner méthodiquement comment l'on
peut remuer les Paffions , u en faudroit faire le dé-
nombrement, & marquer en particulier quel eft
ITobjet de chacune, & par qudtle caufe eUe eft ex-
citée; mais cela demanderoit im Traité entier ,
qui appartient à la Philofophic.
On remarquera donc feulement que c'eft en
Tain qu'un Poëte prétend émouvoir fes Ledeurs ,
s'il ne les difpofe auparavant à recevoir les Paf-
fions qu'il veut faire naître dans leurs amcs.
L'on n'entre point tout d'un coup dans des tranf-
ports d'admiration & d'eftime, pour des chofes
qu'on ne connoit point. C'eft pourquoi , outre
qu'un Poè't-e pèche contre la modeftie lors qu'il
commence un Ouvrage avec des termes élevez ,
qui marquent la trop grande ettime qu'il en fait »
il eft certain qu'il ne peut que refroidir fes Lec-
teurs, qui font furpris de voir un homme entrer
d'abord dans destranfports, fans leur faire connoî-
trc qu'il en a fujet.
Nôtre cœur eft fkit dé telle manière» qu'il prend
Y 4 des
511 Nouvelles REFLExioKf
desPaflîons oppofées à celles que nous n'approuvons
{)as : au contraire nous entrons naturellement dans
es fentimens de ceux avec qui nous vivons, lorf-
que nous les croions raifonnables , 6c nous reflen-
tons tous les mouvemens dont ils paroiffcnt tou-
chez : ainfi on voit bien ce qu'un Poète doit faire
pour exciter les Paffîons.
Nous avons remarqué dans TArt de parler, que
comme elles fe peignent fur le vifage , elles ont
auffi des figures dans le difcours; c'efl à TArtde
parler de traiter de ces figures..
Les Poètes n'expriment pas- toujours heurcufr
ment les Paflions, parce qu'ils n'en étudient pas
toujours la nature. Ils font faire par exemple i
une pcrfonne Qu'ils reprefentent dans letranfpoit
de la colère, ces raifonnemens 6c des réflexions
morales, comme feroit un Philofophe qui mé*
dite tranquillement dans fon cabinet, 6c qui s'ap-
plique avec foin à trouver des fentences.
Nos Pailioas ne nous permettent pas de nom
arrêter long-teras à une même penfée; elles nous
tranfportcnt & nous agitent. Se nous interrom-
pant à chaque parole, elles nous font dircprcf-
qu'en un moment cent chofes toutes oppofées:
ainfi, puifquon ne peut exciter dans le cœur des
autres, que les Paflions dont on paroît animé,
U|i perfonnage qui fait le Philofophe, & qui par
conj'equent paroît tranquille, n'échauffera jamais
ceux qui le voient.
Tout ce qui n'augmente pas le mouvement
d'une Paffion, la ralentit; c'ell pourquoi lors
qu'on veut que le Ledtcur jouïfTe long-tems de
la douceur de l'émotion qu'on lui a caufée, il
faut éviter toutes les digreffions qui lui fc-
roient perdre de vue l'objet qui l'a fait naître;
il faut enchérir pardeflus ce que l'on en a dit,
^ fi la necciîiic oblige de parler de quelqqcau-
trc
aiTTR l'Art Px)îrî<iUB. Part.JLVb.JII. 513
tre diofc, il faut le faire fi vite, que fon feu
n'ait pas le tems de fe rallentir.
Ainii c'eft une gi*ande faute lors qu'on décrit
un combat , & que le LeAeur commence à s*é-
chauflFer, d'éteindre fon ardeur, & de Tennuyer
par une defcription longue & inutile des roiies
du chariot fur lequel eft monté le Héros. De-
puis que les armees^ font une fois aux mains , il
ne fe faut pas avifer de faire tenir des confé-
rences entre les Capitaines ennemis : car outre
oue la vraifemblance eft choquée en cela» ces
aifcours hors de propos ôtent infailliblement au
Leéleur toute cette ardeur qui l'avoit fiiit en-
trer avec plaifir dans la defcription de ce corn-
Irat
Chapitre III.
La Po'èjte eft plus dangereufiy lorfque les règles dt
PArt font mieux obfervées. Règles particulières
dt funité d'arien,
m
T 'On ne peut comprendre facilement pourquoi
*^les Poëfîes prophancs font d'autant plus dan-
gereufes qu'elles font plus travaillées & com-
pofées félon les Règles de TArt. Quand les in-
ventions d'un Poète font rares , elles nous font
bien plutôt oublier la véritable grandeur, dont
elles nous prefentent une vaine image.
Dans un Poëme où la vrai-fcmblance eft gar-
dée , & où tout eft aufli exaélement obfervé »
rien ne nous détrompe & ne nous fait remar-
quer que le Poëte fe joiie de nôtre curiofité.
Quand il nous a unis avec fes perfonnages par
les liens d'une étroite fympathie, en leur don-
nant les qualitez que nous aimons > nous en-
Y 5 trons
ft4 Korrf lut 1tsrx£Tio««
tzcstf ptiB TÔkmasi àca toizs lenrs
& liom époixTozis toutes leurs Pxffîaxs :
éaat la Rdipoo sans ordonne de les basmr
f>6tre ame, & de fermer arec foin toms
areméf par on elles peurenî t ectrcx.
Ud Pc^cte hahDe dcomc tast de feu à
doDî il peint ks maureœccs, cju^il cfi iiinxi&l
bie qa'en même tems que cous ibmmes Lai)
eux par le plaifir, sous ne (biosis auffi bràjcl
des mémei fiimœes.
Ajoàtons, que plus un Poète a d*é3cK
plus Tes vers fom harmonieux, & plus £ àsl
des impreiOons vives & profondes fur IcscS^œ
Que perfonne ne s'y abufe, & ne difc qu'il s't
a que les efprits foibies fur qui la Poê£e pmfi
faire de fi fortes impreflions; la manière dont je
Poètes trompent, ne touche point ceux qui fcs
eroifierSy mais elle cauiê jes émotions vives, de- ,
Gcates & imperceptibles en toutes les peifoLzes
qui ont l'i magination agifiânte & facile ; d'où vieot
que le Poète Simonide difoit autrefois, qu'il dc
pouvoit tromper les Theflaliens, parce qu'usé-
toient trop i^orans & trop flupiaes.
Toutes les règles particulières de la Poétique font
tirées des r^es générales, qui ont été propofêes
dans les deux Chapitres precedens, comme on k
verra dans les Réflexions que nous allons ^drc for
ces règles particulières.
La première demande ^u'on choifiâe une ac-
tion grande & extraordinaire : Dans les Comédies
à la vérité le fujet eft bas , mais on trouve dans
Taélion que Ton choifît pour être ce fujet , qud-
qué choie de grand dansiabafTefTe; On fait la faire
voir par quelque circonûance» qui la rend fur-
prenante & nouvelle.
Je dis que les Poëtes choififfent tme mfiion^ car
quoi qu'ils parlent de plufleurs aâlons particuliè-
res,
■ stTR l'Art Poetiqp»; Part: II. Ci. Jîi: 5 x j
s tes , il 7 en a une principale à laquelle toutes les
ï- autres fe rapportent.
■ Homère ne chante que la colère d* Achille. Stace
K penfant faire quelque chofe 4e plus achevé dans
le Poème qu'il avoit entrepris fur le même Achil-
- le, promet à Ventrée de cet Ouvrage» qu'il cm-
r brauera toutes les actions de ce Héros. Homère »
dit-il» en a laiiTé à dire beaucoup plus qu'il n'en a
dit ; & moi je ne veux rien omettre : Càt ce
Héros tout entier que je chante*
Idagnan'mum JEâcitiem • firmidatêmqui tmanti
Progentem , &■ patrio vetîtam fucadtrt cœh ,
Divarefer, Quanquama^aviri multum incUtacênim
Mécnht fia flurti vacant. Nos irt fer omnem
Sic amor efi ^ Htroa^ veUs^ &C.
Stace fait afTez connoîtrc par ces Vers , qu'il a»
voit peu de connoiffance de l'Art Poétique, dont
les règles font établies fur le bon fens. Homère
& les Poëtcs habiles gardent exaélement cette unité
d'aftion, afin qu'ils puifTcnt toucher vivement leurs
Lecteurs , ôtlcs intcrefTcr dans cette action. Lors ^
que refprit efl partagé entre plufieurs affaires, il ne
s'applique à chacune en particulier que lâchement.
C'cu pourquoi le principal dcfîcin des Poètes étant
d'engager dans la leéture de leurs contes, ils font
comme les ChalTeurs qui empêchent que leurs
chiens ne jM-ennent le change.
L'aélion qui efl: le fujet de l'Eneïde de Virgile ,
çft l'établifTcment de l'Empire Romain par Ënéc
Prince Troicn.
Toutes les autres chofes dont parle ce Poète,'
fe rapportent à cette adion , & il paroit que ce
n'cft que par occafion qu'il les propofe, pour faire
connoitre les circonftances de l'Hifloire de fon
Héros, & pour faire concevoir combien le Ciel
Y 6 ^ s'in.
5i6 NouvEitis Reflexions
s'intcreffoit à rétabliflemcnt de cet Empire; & ï ]
l'élévation de la maifon d'Auguftc. Ainii après
avoir donné à fes Ledeurs le defir d'apprendre le
fuccès de cette grande entreprife , il ne laifTe point I
ralentir cette ardeur , en la partageant entre plu-
fieurs autres defirs.
Ceft pour cette mémeraifon , que tout ce qu'il
dit , contribue à établir xme grande eftime de ce
Prince , qu'il en occupe fon Leéteur tout entier.
Il lui donne d'illuilres Compagnons de fcs. travaux ;
mais il ne peint leur vertu qu'avec des traits & des
couleurs qui n'obfcurciffcnt point la gloire de leur
Chef: Ceft pour le feul Enée , qu'il ménage la
ftveur de fes Led^eurs, qui par ce moien s'atta-
chent entièrement à lui: Ils entrent ^ans toutes fes
pafllons: Ils en appréhendent le retardement: Us
aiment ceux qui le favorifent : Ils haïflent ceux qui
■s'oppofent à les defleins: &ce zèle eft ardent, par-
ce qu'il eft tout entier pour une feule chofe.
Ce qui oblige encore les Poètes d'obferver cette
unité, eft que s'ils s'attachoient à décrire pluficurs
aétions, leLedeur, comme remarque Ariftote,
ne pourroit appercevoir le fujctde leur Pièce aulfi
nettement qu'il eft neceffaire, pour être fortement
touché du defir de la lire.
Homère , dit ce Philofophe dans fa Poétique * ,
n'a pas voulu décrire toute la guerre de Troie, cela
auroit été trop long, & l'on n'auroit pu apperce-
voir d'une feule vûë, ce qu'il avoit à direi; xm«#
Cha*
SUR L'ART POETX^. BâTiM. Cb^IV. 5I7
Ckafithb IV»
Lef Poètes ne commencent f as PHiJloire de leur Héros
par les premières a fiions de fa vie, mais par lefe*
cours des Epi f ode s ils font connoùre aux Lecteurs
tout ce qu'ils peuvent avoir envie d'en apprendre.
Es Poètes , comme il a été remarqué dans la
première Partie y ne commencent pas rHifloirc
de leur Héros par fa naiflance. Ils propofent d'a-
bord Taétion principsde de fa vie » laquelle aétion
cfl le fujet de leur ouvrage 5 & ils le font d'une
manière pleine d'artifice.
Je jparle , dit Virgile en commençant fon Enéi-
de , d'un excellent homme , que le Deflin conduifît
de la Ville de Troie dans l'Italie , pour y jetter les
fondemens d'un grand Empire.
II fait paroftre enfuite xet Homme au milieu
d^une grande tempête, qu'une Decflè avoit exci-
tée contre lui ; il rcprefente les Dieux divifez les
uns contre les autres; & qui prennent différent
parti fur fon fort. Ridn n'cft plus capable de donner
de la curiofitc ; car il paroît que cet homme eft
extraordinaire, que fon entreprife eltgirande, ^
que fes avantures ne font pas communes.
Les Poètes commençant ainfi la vie de leur Hé-
ros par le ipflieu, ils en ramalTent toutes les par7
ties qu'ils renferment dans une principale action',
& dans un petit efpace de tems , comme nous Iç
▼errons dans la fuite. De forte qu'expofant tan^
de chofes en même tems toutes éclatantes, ils é-
blouiffent les yeux du Ledleur. Car , comme re-
marque faint Âuguftin , lors qu'un tout eft com-
})ofé de plufieurs parties, & que ces parties ne
ubfiftcnt pas toutes en Hiême tems pour le cora-
Y.7 PO-
'5t8 Noxrtrsiïîs RlPtîxiOHs
pofer, elles plaifent beaucoup davantage quand oti
peut les conuderer toutes enlcmble, que lors qu'on
en confidcre feulement quelqu'une en particulier
* Omnia quibus unum aliquid ctmftat 9 et ntmfimul
Junt omnia ea qu'tbus confiât ; plhs deklîant omniêf
quàm finguU , fi poffint fentiri omnia.
Quoi que les Poètes obfervent l'unité ffaâioD,
cela n'empêche pas qu^ls ne comprennent dans
leurs Poèmes toute la vie de leur Héros. Ils trou-
vent le moicn de n'oublier aucime de fes aâions
qui foit gloricùfe: & ils le doivent faire, puifquc
lors qu'on a conçu une grande eftime d'une pcr-
fonne , l'on defire favoir toutes les particularitci
de fa vie. C'eft par le moien des Epifodes que
cela fc fait. Les Euifodcs , i^no-o^a , font des
narrations que l'on iniere dans un Ouvrage, de quel-
que chofe qui n'eft point dé l'eflcncc du fujet,
mais qui lui peut appartenir.
Ce récit qu'Enée fait à Didoti de tout ccquifc
paffa au Siège de Troie, eft une Epifodc,par la-
quelle Virgile fait connoître la fanaîlle, la naiffan-
ce, & la fortune de ce Prince. Ainfi les Epifodes
contribuent beaucoup à réclairciffcment & a l'cm-
belliflcmcnt d'une Pièce.
L'on doit retrancher avecfcverité tous les vains
iDmemens,& ne rien dire que d'utile & dcneceffairc;
mais auffiilnefaut pas négliger les occafîonsd'inf-
truire les Leéleurs de toutes les chofes qu'ils défirent
aprendre : ce qui n'eft pas difficile. On peut faire
connoître quelque accident particulier de la vie d'un
Capitaine , en rapportant ce qu'un excellent Ou-
vrier aura gravé fur fes armes. En faifant la dcf-
cription d'un Palais magnifique , on peut en orner
les Gî^leries de Tableaux, les Salles de riches Ta-
pifTcries, qui contiennent plufîeurs Hifloircs.qui
donnent la connoifTance des chofes qu'on efl bien
aîfe
f Cinfejf. tb.ii.l,^
%
fUR t'AnT PoBTiQtnB. Pénrt.IL Cb. V. 51Q
aifc de fa voir. Et cela fc fiiit dHine manière agréable,
parce qu'il femble toujours que c*cft par quelque
rencontre favorable qu'on apprend ces chofes , &
que les Poètes ne font point naître Toccafion de
s'en inftruire , qu'ils n'aient premièrement fiait naître
le defir de les connoître.
Dans les anciennes Tragédies les Chœurs qui é-
toient compofez d'une troupe d'hommes ou de
femmes aui paroiffoient fur le Théâtre de temsen
tems, inftruifoient dans leurs récits, £c dans leurs
Chants les Auditeurs de ce qu'ils n'avoient pas ap-
pris des Adteurs. Ainfî ces Choeurs étoient com-
me des Epifodes , mais moins ihgenieufes que celles
dont nous venons de parler.
Il n'y a pas grand art à faire paroi tre fur un Théâtre
un homme qui vient de lui-même, fans qu'aucun
accident l'y appelle, & lui faire rapporter, com-
me le feroit un Mcffager , ce qui s'cft paflTé hors
<ie la prefence des Speétateurs. Auffi nos Poètes^
qui entendent le Théâtre mieux que les Anciens»
en ont banni les Chœurs.
Chapitre V.
Des princ'paies Parties d'une Ptece*
Y 'O N diflingue trois principales parties dans It
*^ récit d'une aélion. La propofition , le nœudp
& le dénouement. La propofition * de l'adion fe
fait, comme nous avons vu, d'une manière claire
& obfcure ; de forte que le Lefteur . comprend
clairement que le Poëte va parler d'une chofe
extraordinaire , & qu'il apperçoit en même-tems
des chofes qu'il ne tait point , & qui lui donnent
de la curiolité.
Le
fio NavTEttEs RErLBxrcNf
Le nœud d'une Pièce conMe dans qudqtx
grande diffiadté imprévue,. qui fe prefcnte tout
*un coup ,• & qui niet un puifiànt obftade à ce
3ue le Héros vienne à bout de fes defléins. Ces
ifficultez & ces retardemens deraccom^iflement
de Yz^on principale » dont on délire voir la fin^
ou plutôt ce délai de conclure les avantures de
fon Héros que prend le Poète, font comme un
fel qui irrite la curiofité. Les Poètes mêlent par
tout ce fel , & fQut toujours acheter leis connoif'-
iànces qu'ils donnent. Le principal nœud de l'E-
neïde eft la guerre qui s'deve entre Enéeôc Tur-
nus , lors que le Ledeur efpere que ce Héros é-
tant arrive dans l'Italie, va finir fon. cntreprifc &
trouver le terme de fes travaux.
Le dénoiiement* d'une Pièce fe fait vers h fin»
lors que les chofes réuffifToit comme le Leôeurlc
fouhaite , dans le. tems qu'il y penfoit le moins,
& que toutes les chofes étant defefperé^ , il étoit
}e plus touché des maux du Héros de la Pièce
Comme -on a naturellement une joie extrême,
lors qu'il arrive quelque bien à ceux que nous ai-
mons ; les Poètes n'ont garde de priver leurs Lec-
teurs de ce contentement , & ce n'eft que pour
le rendre plus grand & plus parfait , que
dans le nœud de la Pièce ils avoient brouille
toutes chofes, & avoient rempli leurs efprits de
crainte, afin de les en délivrer avec plaifir-, &
de leur faire jouir avec d'autant plus de joie de
la bonne fortune du Héros, qu'ils avoient été
plus fenfîblement affligez de fa difgrace.
11 faut qu'une Pièce fe dénoue d'elle-mcrac,'
c'eft à dire qu'il faut que tout ce qui fe foit à
la fin de la Pièce, arrive naturellement, & qu'il
ne paroifle pas que tous ces fuccès ne font que
des inventions du Poète, parce que l'onnepcut
cire
SUR l*ArtPoetiqjje. Pifr/.//. Cit.F. 521
être touché , comme nous avons dit , de ce que
l'on croit n'être' qu une fable.
Il faut quelesMionsibientvraifembhbles» afin
?u elles puiffcnt produire leur effet. Pour cela les
oëtes préparent toutes chofes dès le commence-
ment, & font entrevoir au Lcfteur, que tous ces
malheurs dont font accablez ceux pour qui il a de
l'affeélion , ne dureront pas toujours. Ils lui don-
nent ainfi de bonnes cfperanccs , qui entretiennent
fa curiolité , & lui font pourfuivre avec ardeur fa
ledure , pour apprendre ce qu'il attend de la for-
tune de fon Héros.
Le dénouement fe fait ordinairement par la
Péripétie, ouparlareconnoiflance. La Péripétie,
comn^ ce nom qui eit Grec * le marque , ell un
changement de fcMttine , qui fe .fait lors qu'une
perfonne demalheureufcqu^elle étoit devient heu-
reufe, ou que de la profperité eUe tombe ^ans la
mifcre.
On eil affez accoutumé dans le monde à voir de
tels changements , qui peuvent être caufei par quel- <
Que accident qui furvicnt. Ainfi il n*eft pas dif-
ficile de trouver le moiwi de dénouer une Pièce
-de cette première manière , enfaifant naître un tel
accident qui change l'état prefent des affaires corn*
me on le délire: ie n'en reporte point d'exemple »
on en peut voir dans les roctes.
Le fçcond moien, qui eil la recwilioifTance,
ell encore plus facile & fort ordinaire dans les an*
dennes Pièces. Elle fe fait en plulieurs façons 9
c'eft à dire qu'il y a pluficurs chofes qui peuvent
faire que deux perfonncs ignorant la proximité qui
cft entre elles , fe reconnoiflent , ou par des mar*
ques naturelles avec lefquelles tous ceux d'une fa-
mille naifTent, telles que celles des Seleucides, qui
avoient la marque d'une ancre imprimée fur kcuif?
^ • .: fe;
t
511 Nouvelles Reflexioni
fc ; ou par des marques artificielles , comme font
une bague, un portrait, un billet. On en trou-
ve une infinité d'exemples, non feulement danslcs
Poètes , mais encore dans les Hiftoricns.
Lorfque les travaux d'un Héros <mt été couron-
nez par une glorieufe fin , & qu'il a achevé l'ac-
tion principale qui étoit le fujct de la Pièce, l'on
ne doit plus rien ajouter. Tout ccplaifirqucrcD
trouve dans la Poëfîe, n'eft fondé que mr cet-
te illufion, qu'on arrivera, pour ainfi dire, au com-
ble de la félicité , fi on peut arriver à la fin derOo-
vrage. C'eft cette vaine cfperance qui caufe l'ar-
deur avec laquelle on lit.
Quand enfin on a poufi'é faleéhire à bout, qix
Pon fait ce que l'on vouloit favoir ; on fefentpld-
nement rafiafié , ou plutôt vuide, êc ontomhen
même tems dans le dégoût , qui fuit necefiairement
les illufions &c les faux plaifirs. Aufil les Poèto
habiles préviennent leurs Leéleurs , & pourlcslaif-
fer avec quelque appétit , ils ne concluent poscn-
tieremcnt leur Pièce : ils mettent feulementlcsào-
fes en tel état, que le Leétcur devine fadlcmenr
le refle.
C'ell: ce que fait Virgile , après qu'il a fait triom-
pher Enée de Turnus , & qu'il ne lui relie plus
d'ennemis à combatre , ni aucune difficulté qui
s'oppofe à l'exécution de fes defleins. Il neparlc
point de Pétablifl'ement de l'Empire Romain, ni
de fon mariage avec Lavinie , parce qu'il a iffci
contenté la curiofité dcfon Le«^eur, quipcutap-
percevoir fans peine les heureufes fuites de lavi^
toire. Et celui qui a été aflcz hardi pour ajoùrff
quelques Livres aux douze Livres de VEiïéi^t
Ï>our donner à ce grand Ouvrage la perfcdioaça
ui manquoit , a fait voir qu'il ignoroit h ta à
cet Art.
Comme un Poète ne doit ficn ajouter,*-^
SUR l'Art Poétique. Part,IL Cb.V. çtj
avoir rapporté comment Tadioneft achevée ; aufli
ne doit-il rien oublier de ce que le Ledeur pou-
voir defircr , foit pour fatisfiure fa curiofité , ou pour
contenter la pafuon qu'il a que les chofes réuffif-
fcnt d'une certaine manière. Ceft pourquoi , puis-
que l'on ne manque jamais de foàaiter du bien à
ceux que l'on aime , les Poètes doivent difpofer
toutes chofes de forte que ceux qui font les amis
du Héros , & qui fe font interenez dans tous fes
malheurs, participent aufli autant qu'il eft poflîble
à fa bonne fortune.
Lorfque le Lcdeur apprend l'heureufe deftinée
de quelque perfonnage, à qui il fouhaitoit une
meilleure fortune, & qu'il le voit délivré de fes
maux , il en reflent une extrême joie.
D avoit eu de la peine , par exemple , de voir
qu'on eût ravi à un non vieillard une fille qui lui
ctoit cherc, & qu'il avoit retirée des dangers, où
fes propres parens avoient été contraints de l'ex-
Î)ofer : Quand cette fille vient à être reconnue par
es parens , le Leéleur a une merveilleufe fatiswc-
tion : & fi le Poëte a foin de faire trouver ce bon
vieillard à cette reconnoiffance , il le doit aufli
feire participer aux avantages qui naiflent de ce
changement imprévu. De là vient qu'il fc fait
toujours plufieurs mariages à la fin des Comédies ,
& les diofes fe débrouillent de telle manière que
tout le monde eft content , 6c que les fpeéiateurs
le retirent pleinement fatisfaits.
Chi^
524 NouVEItlS RSFLEXIONS
Chapitre VI.
De tunité de Ums & de iieu; dt la durée deà^
que Pièce*,
L
E s Poètes s'appliquent particuRcremcnt àncl
point dire de choies qui fe combatent. Loi
circonîlances qu'ils propofent , font liées les uno]
avec les autres :* elles fefoûticnnent de forte que l'rf
prit n'y peut rien appercevoir qui lui fkffc diffin-
gucr la Vérité d'avec le Menfonge.
Entre ces circonîlances , les plus confîderablcs
font celles qui regardent le tems & le lieu d'une
adion. Aufli les Maîtres donnent pour règle que
l'unité de tems & de lieu foit gardée; c'efl à dire,
ou'aiant choifi un tems pendant lequel TaéHon fc
coit faire, & un lieu où elle fe doit pafTer, Tonne
dife pas des cbofesquine fepuiflent faire que dans
un autre tems 6c dans un autre lieu.
Par exemple, fi on a une fois fuppofé qu'une
aétion fc pafTe dans un jour, &. qu'on ait pris
pour le lieu de cette adion la ville de Rome, l'on
ne doit pas pour l'accomplifliment de cette aelion
iaire faire des Sièges de Ville de fîx mois, & fai-
re aller desMeflagers de Rome àConllantinople,
& les faire, retourner dans l'efpace de ce tems.
Quelque plaiiîr que le Ledeur prenne à /cJai/Ter
troftiper,. il^eft impoffible qu'il ne s'apperçoivc trop
fenfiblemcnt que ce qu'on lui dit cfl une fable , ôc
que par confequent il ne s'en dégoûte.
Les Poètes habiles donnent toute l'étendue de
tems neceffaire aux a dions qu'ils rapportent; ils ne
fies précipitent point , chaque choie fe fait en fon
tems. Les changemens de lieu fe font d'une ma-
nière naturelle: s'ils fcfont vite, toutes les chofes
fe
svm l'Art Poïti'que. Part, IL Ch.VI. 51c
retrouvent tellement difpofées, les vents font fi fa-
vorables , qu'un grand voiage par mer fe fait en
très-peu de tems. S*il eft ncceflaire de recevoir
des nouvelles de ce qui s'cft pafle dans un autre
lieu fort éloigné , Ton avoit auparavant placé fur
toutes les Montagnes des perfonnes avec des flam-
beaux, qui en un moment de l'un à l'autre fe
donnent avis de tout ce qui fe fait. Ainfi dans une
heure Ton apprend ce qui eft arrivé à cinquante
lieiies delà, fans que cela puiflc paroître incroia-
ble.
Puifque le plaifir que l'on trouve dans la Poe-
lie, vient de ce qu'elle occupe fi fortement Fefprit,
que Ton y oublie tous les chagrins de la vie par
les douces & agréables émotions qu'elle cauic,
l'aélion principale d'un Poëme ne doit pas pafler
dans un moment. Il faut donner de la curiofité
à un Le(fteùr , le difpofcr à entendre la fuite,
faire naître les Paffions dans fon cœur, les en-
tretenir, & les fatisfaire. Cela demande difFercns
tems : L'on ne peut pas être émû par une aétion
qui pafTe vîte comme un éclair.
Si au contraire une aétion avoit une trop gran-
de étendue , elle difîîperoit Tefprit qui s'égareroit
dans une multitude d'années. Il ne pourroit con-
cevoir les chofes nettenaent, & en être frappé
aufli vivement qu'il eft necefïkire pour reffcntir
ces émotions, qui font le plaifir delaicdured'un
Poëme. Or une aétion demande plus ^m moins
d'étendue félon ,1a nature du Poëme. Entre les
Poèmes les uns font Dramatic^ues ou aétift, les
autres narratif. Dans les premiers, comme font
les Comédies , les Tragédies , & les Tragi-comé-
dies, les Poètes ne parlent point: Ils font paroî-
tre des perfonnages fur un Théâtre qui rcprcfen-
tent une aâion , non en la racontant î mais en a^
gilTant eax-m6mes; f^/MAnif ^mi V ' comme dit
5i8 NouTEttSs Reflexiokis
terminée en peu de mois par la mort de Tut»
AUS«
On pciit encore rendre une autre raifon , pour-
quoi le tems qui ^renferme l'aélion qui ^it le fu-
îet du Poëmc Epique, doit être plus long que (»•
lui du Poëme Dramatique, c*cft que celui-d ne
nous reprcfente que les aétions des hommes, &
l'autre nous en reprefente les mœurs & les habi-
tudes. Les Paffions naiffent tout d'un coup, &
leur violence eft de peu de durée : mais les habi-
tudes, comme elles fe, forment peu à peu, elles
fubfiilent aflez long-tcms- Ainfi tout fe doit fiiirc
dans le Poëme Dramatique avec rapidité; & il
ne fe doit rien faire dans l'Epique qu'avec confcil
& maturité.
C H API T R £ VII.
Du Poème Dramatique.
T 'On ne choiiît pour fujet des Poèmes Dramati-
■^^ques, que des a<flions qui peuvent être imitées
fur un Théâtre; ainfi l'établiflcment d'un grand
Empire , ou quelqu*autre événement d'une lon-
gue haleine, ne peut pas être le fujet d'une Co-
médie ni d'une Tragédie. Ces Poëmes fe parta-
gent ordinairement en cinq Ades, entre leiquels
k Théâtre eft vuide. Les Poètes interrompent
de la forte la fuite d'une Pièce, pour ne pas te-
nir dans une appUcation trop longue, ceux qui les
écoutent. Ils lavent que l'efprit des hommes eft
trop inconftant pour demeurer loog-tems dans une
même fituation, & qu'il demande pour fe délai^
fer, des changemens qu'il trouve dans les inter-
valles des KêttSf où il eft diverti, comme nous
l'avons dit d-deflus , par la fymphonie ou
par
par quelqu'autre divcrtilTcment.
Chaque Acflc cft diftingué par Scènes. Uh«
Scène commence lors qu'un Aéleur entre fur le
Théâtre , ou qu'il fe retire. L'on ne fait parler
dans une Scène que deux ou trois Adeurs. Ce
n'cft pas qu'il ne puiffey en avoir un plus grand
nombre , mais la converlation ne doit être qu'en-
tre deux ou trois, parce quelorfqueplufieursper-
ftmnes parlent enfemble, il y a toujours delà con-
fufion ; Ton ne peut bien démêler quels font les
fentimens de chaque AAeur , ce qu'il penfe & ce
qn'il veut dire. 11 ne faut point que les Auditeurs
foient obligez de deviner les chofcs, ni qu'ils foient
en peine de les débrouiller, tout doit fauter aux
yeux , & fe comprendre facilement.
Le nombre des Scènes n'eft point déterminé.
Celui des Aélcs ne dépend que de la coutume. II
faut que tout Poëme ait fa jufle longueur > mais
fl n^y a point de raifons eflcntielles pour le dillin-
guer en cinq Ades, comme Ton le fait ordinaire-
ment, plutôt qu'en trois ou en quatre.
On étudie avec beaucoup plus de foin la vrai-
fcmblance dans les Pièces cie Théâtre, que dans
les Poèmes narratifs : auffi 4ft-il neceflaire qu^'on
le fafle, puifque ce que l'on voit par les yeux frap-
FB davantage, & fe remarque plusfiicilemenL Le
oème Dramatique fait voir les chofes comme
jM-cfentes , que le Poème narratif nous raconte
comm« paffées. C'cft pourquoi les Poètes Comi-
ques &c Tragiques ne font rien dire à leurs Ac-
teurs qui ne foit conforme à leur perfonnage. Lear
entrée fur le Théâtre & leur fortie, leurs poilu-
res, leurs regards, enfin toutes leurs démarches ,
ont un jufle rapport à la Pièce.
Ceux qui obfervent fcrupuleiifement les Règles
de l'Art, ne foufFrent point ce qu'on appelle les*
farte \ quoi qu'ils foient communs dans les an-
Z. ciens
550 Nouvelles Réflexions
ciens Comiques. Ces à paru 9^ le font lors qu'un
des Adeurs à l'écart fur un dés coins du Théâtre,
parle aflez haut pour que tous lesSpeélateursren-
tendent : cependant il ftut fuppofcr que ceux qui
font fur le Théâtre ne l'entendent point; ce qui
cil abfurtle. Ils n*introduifent point auffi un Ac-
teur feul, que pourreprefenter quelque a<flion viol
lente, dans laquelle Ton a de coutume de parler
6c de s'entretenir avec foi-même. En un mot les
Poètes adroits dérobent à la vue de leurs Speéh-
tcurs tout ce qui pourroit les obliger de fc dé-
tromper j comme feroient les Metamorphofes d'un
homme en ferpent ou en oifeau , qui font des
chofes qui choquent & que Ton ne peut croire:
QupAunque oftendis mibijic incredulus odi.
Les Maîtres de l'Art ne veulent pas auifî qu'on
feffe paroître fur la Scène ce qui poui^oit faire
peine > comme feroit la vue d'un meurtre. U
y a peu de perfennes c[ui puiffent voir avec plai-
ur du fang répandu; ainfi c*eft un crime dans la
Poëfie d'enfanglanter le Théâtre ; Nec pueras ce
Yfim populo Medea trucidet. Ils veulent pareille-
ment que l'on cache & que l'on ne reprefente
pas de certaines aéHons odieufes qui bleffent les
yeux y parce qu'elles font contre la bienfeance &
l'honnêteté, ce que l'on ne pourroit les confide-
rer (ans fentir en même tems fa modeftie ofièn-
fée y & fa confcience bleflée; car, comme nous
avons dit, les hommes veulent autant qu'ils peu-
vent , que kurs plaifirs foient louables &c honni-
tci.
C a A-
înm l'Art PoBn^pï. Bart.Ih €b. VUL ffjf
Chapitre VIII.
Vc rOrtgînû du Poème Dramatr^uc & de fis
efpecss:
IL ne faut pas s'imaginer que le Poëmc Drama»
tique dans les commcncemens fût ce qu'il eff^
aujourd'hui : que Ton y gardât des règles fevercs jf
qu'il eût une feule adion pour fujet, dont Tex^
pofition fût partagée en Adtcs & en des Scène j
réglées, nomme le font nos Tragédies ôcnosCô-
medies*
Il ne fera pas hors de propos de faire reflexiorf
fur ce que ce Poëme a été dans fa naiffance. II
me femble que les hommes ont pris plaifir;detout
tems dans les imitations , & qu'il s*eft trouvé des
perfonnes qui fe font diverties à imiter \tt aéîions
des autres & à les contrefaire , foit pour les reiï^
dre recommandables > ou pour les rendre ridicu*
les.
Le caraélère d'efprit boufon n'a jamais plû aux
honnêtes gens, puifque, comme le dit tin Sage
Payen , ce n'cft pas la marque d'un efprit bien
lait , que d'aimet àk faire rire en imitant les de-*
fauts des autres : Ille^nm dabit mihi fpem hnétin^
dêUs , §ui hmtamU pravos nffeéius > quâret ut ri*
deatur. L'on a toujours eu du fnépris pour ceux
qui font rire par profeffion. Cependant il t a
eu en tous les tems des boufons ; & cette for^
te d'imitation qui fe hit par des aétions » a totV*
jours été agréable, parce qti'elle^fràppc les yeux,
& qu'elle eft par cohfequcnt plus vive aue cclld
qui ne condlte que 'dans des pardlds. AinfilesDra*
mes qui font des imitations qui fe fontenagîflânt»
font auili anciens que les hommes : mai» on ne
Z a comp-
X3^ NOÎJVSILIS REi^LfiXIOHS
compte leur origine que du tems que les imiti-
fions commencèrent à fe flaire hors d'une convcr-
ëtion familière, dans des lieux remarquables, &
avec cérémonie , comme nous Vallons voir.
L'expérience fait connoître que le Peuple a u-
ne pamon très-ardente pour ce qui s'appelle Spec-
tacle, c'eft à dire, pour les chofes extraordinai-
res « qui font de grandes impreffîons fur les fens,
8c Qu'indifféremment il regarde avec curiofité ce
qui lui femble nouveau. Qu'un homme aille par
les rties vêtu d'un habit moitié jaune & moitié
vert, il fera fortir tous les Artifans de leurs Bouti-
ques, qui le confidereront avec une attention mer*
veilleufe. Cela vient d'une folle curioiité, qui fait
rechercher la connoiflance de tout ce qui le pre-
fente fous une figure nouvelle, avant que d'exa-
miner s'il y a quelque utilité ou neceiflité de le
connoître.
Ccfl cet amour que le Peuple a pour les Spec-
tacles, i^ui fait qu'un homme fur un Théâtre lui
paroît bien plus digne de fes regards que lorsqu'il
cft à terre. Si ce Théâtre a des décorations : fi
celui qui efl deiTus eit vêtu d'habits extraordinai-
res, fpit pour la façon, foit pour le prix; s'il fait
des poflurçs qui ne font pas communes : s'H dit
des plaifantenes avec une mine niaife : s'il imite
naïvement quelque aétion magnifique ou ridicule,
ic qu'il accompagne fes gelles de paroles, alors
l'on ne peut expnmer la joie de la popuhce.
Ceft pourquoi il ne fiiut pas s'étonner s'il s'cil
trouvé des perfonnes qui pour fe gagner l'cftimc
du peuple, ayent bien voulu faire les boufons en
public*! U eu vrai que l'honnêteté 6c la pudeur
ont retenu long-tems les hommes • & les ont em-
pêchez de faire ce métier. Ce furent de jeunes
débauchez à qui le vin avoit ôté la honte que la
nature a attitchée auxa(^ons m^rbonnêtes, qû
^
1 OR t'Ant Poétique. Tarf, IL Ci. VlïJ. ^35
oferent paroître les premiers fur des Théâtres. Ct
ne fut pas même fans quelaue refte de cette hon-
te , qui les obligea de fe barbouiller le vifage a*
vec de la lie, ou de prendre des n^fques pour n'ê<«'
trc pas connus.
Ces divertiffemens coihmencerefft parîpi les
Payens les jours de Fêtes, aufquels ils avoient cou-
tume de s'aflcmbler, & d'honorer leurs Dieux par
des Sacrifices , qui étoientfuivis de débauches; de
forte que toutes les chofes propres pour faire rialp
tre ces divertiffemens, fe rcncontroient enfem-
ble. Le .vin ôtoit la pudeur aux jeunes gens , &
la Fête' donnoit le loifir au Peuple de les regar-
der. De là vient que les anciens Speéhdes font
dédiez à quelque Divinité, dont on mâoit les
louanges avec ces divertiffemens, Les hommes
acconnnodent, a^utant qulls le peuvent, la Reli-
gion avec leurs plaifirs, pour fe doimer parlàune
miie confiance que ces plaifîr${bntinnocens.Âin:«
û pour rendre comme licites & faints des Speda-
des criminels dans leur origine Se dans leur ma-
nière, ils les dédièrent aux Dieux. Ces jeunes li«
^rtins auteurs- de ces jeux , ne pouVpient fuivrc
aucune règle parmi le dèfordre' avec ^lequel ils les
celebroient : ils n*en avoient point d'autre que
leur caprice; ainfi chaque Pièce étoit une efpeccf
particulière de Drame : néanmoins comme ils
gardoient quelque uniformité, foit dans la maniè-
re de s'habiller , foit pour les lieux , foit pour le
tems, on les diflingua, 6c l'on leur donna des
noms differens^
Les Grecs , par exempfe, appellerent Satyres-^
les Drames, dont les Adeurs étoient habillez en
Satyres. Parmi les Romains leurs premières Co-
médies étoient appellées, Préttextét, Ta^ttu, Pal-
MaUy félon que les Adeurs étoient vêtus à la:
Grecque ou à la Romaine, comme les Nobles,
Z 3 ow
534 N^uTStlBs RiFtBi^xoir»
ou comme le Peuple.. Ces Pièces reçurent tvâ
leur nom des lieux où dles avoient été jouées 1»
premières fois. Atella^ ville entre- Naples & Ca-
poiie, donna le nom à celles qu'on appelle AuU
iand FabuU :. & Fêjcenmnum y viUe de Tofcane»
aux Pièces de ce nom. Pow celles qui s'appd-
loient Mtmi^ elles furent ainfi nommées, parce
que les Adeurs ne faifoienj autre chofe que d'imi-
ter par leurs poftures les a^onsdeshonnctes.
Les Drames commencèrent de cette manière-
&. Us ne confiftoient pour lors, ou qu'en des
railleries contre des particuliers que roi^marquoit
nar leur nom, ou en Mufiques & en lotiançesdes*
bieux. On y joignit avec le tems des Difcours-
moraux 6c des Hifloires; mais les Magifhats fu-
rent obligez d'emploier la feverité des ILoix pour
arrêter la licence de ces railleries : de forte que
ceux qui voulurent divertir le Peuple, furent con-
traints de feindre des avantures agréables teller
qu'il en arrive aflez fouvent dans les mariages, qui
pour cette raifon furent les fujets ordinaires de ces
fieces, où perfpnne ne fe trouve choqué, parce
oue tout sV païTe entre des perfonnagcs qm ont
des noms étrangers.
C'eft de là que la Comédie eft venue , qui eft
aînfi nommée de %è/A3t Bourgade , 6c dç Vii^ Chantj.
parce que les jeunes gens la jouèrent d'abord, 8c
chantèrent leurs Vers dans les^ Bourgades en fai^-
fant la débauche , Comejfantes.
Tous ces Drames ayant commencé dansle vin ,.
l'on n'y oublia pas le Dieu Bacchus , l'on y chan-
ta fes louanges , 6c l'on compofa une dfpcce de
Drame pour lui, qui fut nommée Tragédie ,.
parce que le prix de celui qui avoit le mieux
chanté étoit un Bouc rpl'y^ y ou parce qu'on y-
facrifioit cet animal en l'honneur de Bacchus; oui
enfin parce que ceux qui jouoient la Tragédie, fc
bar-
stfR l'Art PôETtottrs. Part. Jt Cb. VIJL 535^
barbouilloicnt le vifage de lie , qui fe dit en Grec
Les Tragédies 6c les Comédies étoient pour
lors fort groffieres. Celles-ci n'étoient que des rail-
leries, comme peuvent être les Farces de ce tends.
Les Tragédies étoient plusfcrieufes. Cétoientdes
Chants que chantoient des Chœurs de Mufique ,
entre leiquels on inferoiti des Récits, ce qui s'ap-
pdle fVio^JVoi, ou entrechants. L'ancienne Comé-
die a eu auffi des Chœurs, comme le dit Hora-
ce. Je n'entrcprens pas de foire une Hiftoire exac-
te de Toriginc de ces Poëfîes, qui eftaffez cachée.
Je crois en dire autant quil eft utile d'en fa voir.
Mais fi Von defire connoîtrc ces diofes plus exac-
tement, on peut lire la Poétique de Jules Scali-
ger , celle de Voilius , & le Traité que Cafaubon
a fait de la Satyre.
Pour comptendre comment les Trage(Ues Scies
Comédies fe font perfeéHonnées, il raut remar-
quer que les hommes ayant changé la nature de
toutes chofes , de leurs divertiffemens ils ont fait
kts affaires, & s*y font apjdiquez ferieufcment.
D'abord l'on ne rechercha autre chofe dans les
Spcdades, qn'un relâchement d'efprit; mais en-
fuite on a étudié ce qui pouvoit rendre ces Spec-
tacles plus agréables, 6c on en a fait des règles.
Horace rapporte que d'abord Thefpis promena
par les Bourgades dans un tombereau les Aéleurs
delà Tragédie, barbouillez, de lie : qu'Efchile en-
fuite joignit quelques pcrfonnages au Chœur qui
compofoit prefque feul la' Tragédie , êc fit élever
un Théâtre , & prendre des mafques & des ha-
bits honnêtes aux Afteurs. Sophocle en adoucit
les Vers. Menandre travailla pareillement à polir
la Comédie , de forte que l'on négligea les autres
Drames, & les gens d'efprit ne s'appliquèrent qu'à
la Tragédie 8c à la Comédie , qui devinrent ainli
Z 4 It
536 NoiTf EltlS RlïLEXieN»:
les principales & les feules efpeccs duPoëmeD»!
matique.
Ce n'eft pas que Von n'y »t tx>Ûjours joiié do
Pièces irregulieres propres pour divertir le PcuplCî
qui ne pût plus prendre le même plaifir qu'il tro*'
voit autrefois dans les Trag^edies ëc dans les Co-
médies, après qu'on les eut fpiritualifëes , pouf
ainii di^e , 6c réglées comme elles le font à pre-
fent. Saint Chryfoftome dans l'Homclie fixiëme
fur le fécond Chapitre de faint Matthieu, dit que
c*eft le Démon qui a fait un Art de ces divcitifle*
mens 6c de ces jeux : Hic Uk efi D'utbolust ft»
ttiâm in aricmJQCOs, ludofguc digejjit.
Chapitre IX.
2)f la Comédie & ûe la Tragédie. QueUe eft kur dlf^
Jerence^ & quel eft le dejfein que les Pocttift fro^
fêfent dans ces Poèmes*
APr e'^s avoir parlé dii Poëme Dramatic^ue en
gênerai, il faut confidérerfes efpeccs, Icvoîc
ce qui les diftingue. Nous avons remarqué que
quoi qu'il y eût diflfcrentes fortes de Drames dans
r Antiquité , l'on ne parle que de la Comédie & de
la Tragédie, parce qu'il n'y a que ces deux Poe-
mes- qui ayent des règles. L'on y pourroit ajoûr
ter une troifiéme efpece , favoir la Tragi-comc-
die , mais il n'eil pas neceflaire de le faire s elle
eft feulement diftinguée de l'une & dcrautrc , par-
ce qu'elle participe de toutes deux« Ainfi quand
on connaît celles-ci, l'on fait quelle eft la nature-
de la Tragi-comédie.
La Comédie & la Tragédie différent entr'ellcs^
par la qualité de leur fujet, & par les fins différen-
tes que les Poètes s'y propofent. L'aélioa qui et
;rttR L*Af.T POITIQUÏ. Pêrf. IL Ck ÏX 537
k fujet d'une Comédie, cft une aélion commune,
& c'ell un de ces accidcns plaifans qui arrivent or-
dinairement, mais qui a quelque circonftance plus
rare & plus agréable que les autres. Les Poètes
y font une peinture divcrtiffantc de la vie civile ,
de ce qui fe palTe dans le monde &c dans les famil-
les. La fin eft de faire rire; ainfl dans toutes les
parties il y a des intrigues agréables. Us ne préten-
dent pas à Teftime *du petit peuple, ou même ils
la méprifent : c'eft pourquoi [ils ne traittent pas
des fujets qui foient entièrement fales & ridicules ;
& parce que les plaifirs qui ont été précédez de
quelque douleur, font bien plus doux, les Comé-
dies commencent toujours par quelqtie chofe de
trifte. C*eft pourquoi le Poëte, après avoir donné
de Tamour aux Speéhteurs pour le principal per-
fonnagc de la Pièce, il le feitparoître malheureux
& traverfé dans tous fes defleins , qui regardent
ordinairement un mariage, afin que lorfque les in-
trigues viennent à fe dénouer, & q0B ce mariage
réulTit , les SpeéUteurs reçoivent un contentement
plus entier»
Le fujet d'une Tragédie contietitordînaireirienr
quelque adion fanglante. C'eft un Héros qui
tombe en quelque grand malheur par la malice de
fes ennemis; mais qui s'en relevé par quelque coup
d'une valeur extraordinaire, & qui fait fervir à fa
vengeance les armes qu'on avoit préparées contre
lui. La Comédie comprend la joie ce lesfurprifes
agréables. La Tragédie renferme la terreur & la
compailion. La fin de l'une & de l'autre eft d'é-
pouvanter & d'inftruire le Peuple, U^xi^of pzt
des changemens de fortune, & par la punition du
crime; c'eft pourquoi les commencemens de la
Tragédie font gais, afin que les Spedateurs foient
frappez plus fortement par les accidens (anglans
qui furviennent à la fin de la Pièce. Ce change-
Z 5. ment
'53^ NôUVItlES REFtEXIOÎf »
ment eft appelle Cataftrophe. 11 contient des rcn-l
veifemens d'Etats^ des morts funeflcs^, deaPrincsl
malheureux, des Tyrans chaflez. Cefont.descho
fes que le Peuple écoute avec attention : R^\
• & exaé/osTyrantfostfénfumbumerit bibh orevulffUA
Les Maîtres de l'Art ne manquent jamais defià{
re éclater la vengeance du ciel fur ceux qui ontl
perfecuté leurs Héros ;. & de leur faire fouffiiil
quelque peine extraordinairCi II» ne laiffent pointi
aller leurs Spedateurs^ qu'ils ne leur ayent donné]
cette confolation;. car lans cela ils fe retireroicntl
mécontens^ parce que, comme nous avons vu,
ils s'intereffent dans toui ce qui le regarde. Cette
règle n'eft pas particulière à la Tragédie, elle cft
générale pour tous les Poëmes..
Le vice ne doit jamais être impuni furie Thea»
tre. Lors qu'onremontroità Euripide , qu'Ixion
«u'il faifoit paroître fur le Théâtre , étoit extraor-
dinairement vicieux, ilrépondoit; Mais auffije-
ne le laiHe jamais fortir do. Théâtre que puni. &
roiié,.
Apres que les Poètes ont fait concevoir de Tcf-
timeôc de l'amour pour uneperfonne , ilikut qu'ils
accompliifent les vœux que les Speébteurs ont fait
pour elle, & qu'enfin il, lui arrive le bicnqu'ilslui
fouhaittent. Auiîi dans l'Eneïdeon voit qu'Enée
devient enfin le maître dé l'Italie, après avoir tué
Turnus fon ennemi. Dans les» Comédies de Te-
rence, les mariages entre les perfonnes pour lef-
quelles le Poëte a donné de l'amour, fe.font tour
jours félon leurs defirs.
Outre que les fujets de la Comédie , qui font
ordinairement des mariages, reveillent des idées
q^ui plaifent aux perfonnes fenfuelles , la reprcfenta-
tion de ce Poëme, qui fait remarquer les défauts
des hommes, cit agréable; ôcl'onyprendplaifir,
foit
ruR l'Art P oî t iqj» i. Part. IL Cb. IX. 5 j^
ibit parce que roneftbien-aifedanslc defordre où
on elt, d'avoir des compagnons avec qui on par-
tage la honte du péché , foit parce qu'on a une
fecrettefatisfaélion de fe voir exemt des défauts dans
leiquels on voit tomberles autres. On s'élcve au
deflus d'eux, & on les méprifc. Outre cela, on
attribue facilement les fautes qui font expofées à
h rifée de tout le monde, à quelqu'un fur lequel
on feroit bien-aife qu'en tombât l'infamie; ainii
on apperçôit aifément pourquoi les Comédies font
fi divertiuantcs : mais il n'dt pas fi facile de con-
noître la caufe du plaifir que Ton prend dans la
Catattrophe fanglante d'une Tragédie. Je crois
qu'il ne la faut point chercher ailleurs que dans
l^omme; qui étant rongé de chagrin & de tril^
tefle, lors qu'il eft un moment attentif à ce quifc
paffe dans lui-même, trouve très- agréable les cho-
ies qui font diverfion , & qui le defoccupent des
penfées de la miferc de fon état prefent. Or les
accidens tragiques font plus capables de frapper
fortement fon efprit, & de le faire fortir parcon-
fèquent de lui-même, où il ne trouve que des
fujets de triftefîe & de peine. Ajoutez qu'on elt
bien-aife de voir des mifercs dont on eft exemt ,
comme nous l'avons déjà remarqué.
Pour comprendre en peu de paroles ce qui re-
garde la Tragi-comédie , je ferai feulement remar-
quer que toute la différence qu'elle a avec la Co-
médie & la Tragédie, ne conlifte , comme je l'ai
déjà dit, au'en ce qu'elle participe de toutes deux,
La Comeoie eft une reprefentation d'une avantu-
re agréable entre des perfonnes du commun ; la
conclufion en eft toujours gaie. La Tragédie au
contraire, eft une reprefentation fcrieufe d'une ac-
tion fanglante , ou d un accident funefte de quel-
que perfonne de grande qualité , ou de gr^nd méri-
te: ôc la fin de cette pièce eft toujours triflie. La
Z 6 Tragi-
^40 NauvEttis^ RiFtExioNs*
Tragi-comcdic eft comme au milieu de ces dcur
Poëfies. C'cft une reprefentation d'une avanturc
affex ferieufe, dans laquelle les principales perfon-
nés , qui font de qualité, font menacées de quel-
Ques grands malheurs, dont ils font garantis à la
fin par quelque événement inefperé.
Les roëtes nous veulent faire croire , que ht |
principale fin qu'ilsfe propofent dans leurs Poe mes ,.
eft la reforme des mœurs. Que pour cela ils con>
battent le vice en le rendant ridicule dans les Co-
médies, & horrible dans les Tragédies* Exami-
nons fi on doit fe fier à ce qu'ils en difent , & fi
effcélivement leurs Ouvrages fervent à. détruire le
vice. Il eft bien certain qu'il y a des défauts dont
on corrige plus facilement les hommes , en leur
en infpirant du mépris êc de la honte , qu'en les
combattant fericufement. Or comme il a été re-
marqué dans la Rhétorique, au difcours où on
donne une idée de l'art de perfuader , pour ren-
dre une chofe ridicule , il ne faut que feparer ce
qu'elle a de bas & de mauvais, d'avec ce qu'elle,
a de bon, & foire une peinturena'ivcdecettehaf-
fefle.
Il.fe peut faire qu'un vieillard' avare ait de bon-
nes qualitez, dont il couvre fon avarice. Ce qui
jàit qu'elle paroît plutôt être une vertu qu'un vice : .
mais lors qu'un Poëtc lui ôte ce mafque , qu'il la
zeprefente avec des couleurs naturelles, & telle
qu'elle eft , on en conçoit un grand mépris ; l'on
aaroit honte de tomber dans une faute ii mépri-
fable, & on l'évite avec plus de foin; car la honte
eft un fort rempart contre le débordement de la
concupifcencc.
La crainte des peines eft auffi très-utile peur dé*
tourner les hommes du vice. Or dans les Trage-^
dies l'on y voit des accidens funcftcs accabler ceux
qui n'aiment pas la vertu, ôc qui fuivent leurs
pafr
svR l'Art Pôbtxqui. PartJL Cb. X. ■f4r
paffions déréglées. Ccft donc à. tort, me dira;
quelqu'un , que jufqu*à prcfent nous avons con-
damné la Poëiie comme dangereufe. Pour fatis-
faire à cette objeétion, examinons encore le de(^
fein que les Poètes nous veulent faire croire qu'ils ^
ont en compofant leurs Ouvrages , & quel fUccèt.
ils ont eu..
Chapitre X.
Les Comédies & lis TrMjretTtes eorrampent les meeurs^,
bien Uinde Us refçrmer*
L*E xptRiENCi: atoûjours fôit connoître que*
le Théâtre eft une tres-méchante école de lai
Vertu; & que les moiens que les Poètes femblcnt.
emploier pour corriger les hommes de leurs vices,
font plus propres à les y entretenir, qu'à les en dé-
livrer. ^ jiffuefaélio morbi , non liberittio-^ Pour ce.
qui eft de TaComcdie, les Paiens mêmes ont rc-^
connu combien elle étoit dangereufe , & que les
}euncs gens ne dévoient pas lire ces fortes- d*Ou-
Vf âges, qu'après que leurs mœurs feroient telles
ment affermies*, qu'elles ne pourroient plus en être-
blcflces. * Cùm resfuerintin tuto. Il eft bien vrai'
que Ton y rend l'avarice ridicule, & que l'on y.
condamne les débauches des jeunes gens & leurs
folles amours; mais cen'eft point par des railleries
que l'on détruit le vice, particulièrement celui de'
l'impureté; ce mal efl trop grand pour êtrcguerî\
par un remède fi foible , & même fouvent oir.
prend plaifir à s'en voir railler.
La Raifon & la Religion ne nouspermettent pas*
de regarder fimplementi impureté comme une cho—
fe riddcule ; elles veulent que nous en aions horreur »
Z 7 &
m
Ç4r N ouvïLtrr Ktrt'Exvo^Hf
5c elles demandent que nous en aions tant d'ëloi-
jgnement , que nous n -y penfions jamais. Ce n'cft
que par la fuite que Ton défoit ce monflre; quel-
que mépris-qu'on conçoive pour une adtion im-
pure dont on voit la reprefentati on, ^ cette vûë
cil feule capable de porter à la commettre. Dif-
citur MduHerium --y dum videtur. La > pente que nou^
avons vers les plaifirs eft trop forte pour être re-
tenue par la feule honte; & on efpere toujours la»
pouvoir éviter parle fccrct, dont on tâche-de cou-
vrir fes dcfordres aux yeux des hommes.
Outre cela V quoi qu'en difent les Poëces, leur
deffein eft pWtot de rendre le vice aimable que
honteux. Ils ne condamnent effectivement & ne
rendent ridicules que certains défauts moins con-
fiderables> comme l'humeur difficile des vieillards,,
leur avarice, leur fevcrité envers la jeunefle, leur
facilité à fe laiiTer tromper. Mais l 'impudicitére-
ine dans leurs Ouvrages , quoi qu'elle y paroifle
ibus les habits de la Vertu. Car enfin Tldolc de
la Comédie eft toujours un jeune homme qui cfl
teûlé d'un feu criminel.
Par exemple, dans TAndrienne de Terence,.
Eamphile entretient un tres-méchant commerce a-
vcc Glycerie,qui accouche avant le mariage. Cepen*-
dant lelPoëte qui veut interefler fes auditeurs dans
la fortune de Pamphile & deGlycerie, fait paroi-
tre ces deux jcimes gens aimables; il en fait à Ja
fois un monure de vertu & de vice , ou plutôt un
compofé des vices effectifs fous de vertus apparen-
tes, pour le rendre aimable; de forte que bien loin
que des jeunes gens conçoivent de la honte de ces
fortes d'amours , ilsfouhaiteroient reflembleràces
deux amans , dont les amours réiifliiTent.
Pour en donner de Fhorreur , le Poëte auroit
dû, non pas feindre ces fuccès imaginaires qui
tfarri vent jamais; mais rapporter funplement les
mal^
tun l'Aut^Poetique. Part:JL,CkX. 54J:
malheurs où s'engage infailliblement un jeune:
homme , qui fe marie à Tinfû ou contre la vo-
lonté de fes parens. Ajoutons que Ton- apprend,
dans les Comédies mille mauvaifes intrigues pour-
iaire rétiflîr ces mariages qui font contre les Loix».
foît pour gagner, ou pour tromper un père; &
que l'on y tourne toujours en ridicules ceux quis
veulent corriger la jeuneffc , & . arrêter le cours de:
fes defordres.
La. Tragédie n'eft. point fi dàngereufé que \i.
Comédie; mais elle Tcft néanmoins- beaucoup..
Les vices dont elle donne de l'horreur ,. paroi flent
horriblesd'eux-mênftesfans artifice. C'eft un Oédi-
pe qui tue fon père, qui époufe fa mère. Lai
feule crainte des fupplices rigoureux ordonnez par
les Loix retient aflcz de ce côté-là. . Mais tous Ics^
autres vices , comme la haine , la vengeance , Tam-
bition, l'amour, y font peints avec des couleurss
qui les rendentaimableSyComme nous avons. rcf-
marqué;
Il eft vrai que les P.bëtes ne loiientpassccs vices,',
mais, en loliant les perfonnes en qui ils ie trouvent, .
& les couvrant de tant d'excellentes aualitcx, ilss
font que non feulement on n'a pas de honte, de-
leur relTembler, mais^qu'on fait gloired'avoir leurs
défauts. C'èft ainfi que faifoient les Difciples dc-
Platon, qui contrcfaifoient fes hautes épaules; &
ceux d' Arittote , qui affedoient de bégaier com-
me lui. Nous nous imaginons facilement que ceux.
Î[ui remarqueront en nous ces mêmes defouts qui
ont d'Ans les grands hommes^ jugeront que nous
leur fommes femblables en tout le refte.
Ciceron reprend les Grecs de ce qu'ils a voient •
confacréles amoursimpudiques dcsDieux,en faifant
une Divinité dèCupidon : & il dit qu'ils ne dévoient
rendre ce culte qu'a leurs vertus. Laétance remar-
que fort bien que ce n'eft point affcz, 8c qu'ils de-
' " ~ ' ' voient
'f44' Nouvelles Réflexions-
voient entièrement quitter des Dieux vicieux qvi
nuifoient' plus par 1 exemple de leurs defordres ,
qu'ils ne pouvoient être utiles par l'exemple de leur
▼crtu. Le mal a plus de force que le bien fur l'ef-
pritdeThommc, &s'il fe trouve une perfonnequi
imite quelqu'une des vertus des Héros des Poètes ,.
il y en a nulle qui font les imitateurs de leurs vicesb
. G H A P I T R 1 XI.
reprefent»ti9n qu^èn fait des Cometftes et des Tra^
gediesfur Us Théâtres publics ^ en augmente le «Afiv-
ger^ L'on ne f eut Mjjifler aux fitâiacles pins ferîl.
T E $ Poèmes Dramatiques font plus dangereux
•*-^ que tous les autres Ouvrages de Poëfîe; parce
qu'on les reprefente fur les Théâtres publics. Ce
que l'on voit faire touche bien davantage que ce
que l'on ne fait qu'entendre. Un Comédien lafcif
émeut les paffions des autres-, en feignant d'en a-
yoir lui-même-, Enervis *biJirio9 amorem dum fn^
gitf infligit. Lors que ceux avec qui nous con-
verfons, expriment vivement leurs affeédons , Us
nous les communiquent ; l'image dcleurs avions ,.
que nousvoions, lefondesparolesqu'ils pronon-
cent d'un ton élevé, excitent en notre ame des
idées qui font fuivîcs des mêmes mouvemcns done
ils font agitez.
Comme la Nature nous a faits les uns pour les
autres , elle nous a liez par cette fympathic ou com-
munication réciproque de nos pâmons; de forte
qu'une perfonne vicieufe qui nous parle fortement , .
ne manque point de nous tourner l'efprit & lé
F^^^commelefien, & par confequent de noué
infeaer de fon venin ,, à moins que nous nous te-^
M. „. . nions >
y un l^Aet Poet^i^ûb; Paru IL Ch. XI. ^4^
îJions attache! à la vérité po«r n'être pas ébranler
par fes paroles , & que nous n'exdtions en nous-
imitcr ce que Ton voit faire fur le Théâtre, ou en:
avoir de Taverfion. Il n'y a point de milieu, ne-
ceffe eft aut imiuris , aut oderis.
Or on ne va pas à la Comediepourlaccnfurer ,.
& quand on y eft, il eft difficile que Ton ne s*y
laine furprcndre par le plaifir que l'on y trouve,
fous lequel les vices fe gliflcnt dans nôtre cœur.
Tune enim per v$/uptatemfaciiiàs vitiafumpunU Ce
qui ^t dire à ce Philofophe , qu'il n'y a rien de
plus dangereux pour les bonnes mœurs, que les Spec-:^
tades. N/ib/7 vtrieft tant damnojum bonis nu^ribus^
quam in aliquofpeStacuh defidere. Çt quoi qu'il n'ait-
pas coutume de parlera fqndefavantage, il avoue
que les Speâacles faifoient de ii grands change*;
mens dans fon cœur, quil enretoumoit nonfeu-^
lement plus avare , plus ambitieux , plus amateur
des plaiurs & du luxe: mais encore plus cruel &
moins homme; parce, dit-il, quej'ai été avec des
hommes; Avarier redeo^ ambitiofiart luMuriofior f.
imo verb crudelior & inbumanior^ quiaintertomines',
fui»
Que l'on prouve fi on le veut , que les Comé-
dies qui fe jouent aujourd'hui ne peuvent caufer
que des paffions innocentes, & des fentimensrai-
lonnablcs, qu'on en conclue qu'il n'y a aucun dan-
ger, que ceux qui les reprefentent , nous com*
muniquent les mouvemens qu'ils expriment^; ce-
la ne s'accorde point dutout avec l'expérience; &
s'il étoit ainfi,. les gens du fiecle pour qui elles font
faites , nes'y divertiroient nullement. Mais enfin ,.
<}uand elles feroient bonnes en. elles-mêmes, c'eft*
à dire que fur le papier ôc dànsla bouche des Ac-
teurs.
546 NOVTBLIBS RAFLEXZONf
teurs eUes n'auroient aucun venin; on ne fauroit
dire que leur rcprefentation avec toutes ces circonf-
tances foit entièrement innocente.
Les Speâades font criminels par leur origine.
Le vin, Tinfolence, la violence, 6c le deûr de
médire les ont fait naître, ainfi que nous l'avons
Vu,' & que Ta remarqué TertuUicn. * Facit enim
koc ad origînis maculam , m bonttm extjiimes% quod
initium à malo acce^hf ak impuJcntia, à v soient ta ^
âb odtQ. L'on fait quelle efl la vie des Corne*
diens : on fait avec quelle feveritélesLoixdvilcs
&Fcclefialtiques condamnent leurprofeffîon. Le»
unes ne les admettent point à la participation des
Sacremens, & les autres les dedarent infinies. On*
Qe peut donc point fans pédxer les entendre , &
feur donner dequoifubfifter, puis qu'on ne peut le
£dre iàns les attacher à leur profemon.
On ne va à la Comédie, dit-on ordinaire-
lîient, que pour y prendre unplaifii honnête. Ter*
^tollicû* nepeutfoufi&ir cette recherdie dcsplaifirs.
H prouve invinciblement par ces belles paroles de
} E s u »-C M B. I s T à fes Difciples , Pendant que le
monde fi repuirat vous firez dans la trifteffe^ que
Ton ne peut être heureux ici fur la terre & enfui te
dans le Ciel , que chacun ell heureux & malheu-
reux à fon tour. Vicibus diffofita res efi.
Pleurons donc , dit ce Père , pendant que les gens
du monde, fe réjouïflent; afin que lors qu'ils com-
menceront à tomber dans l'état épouventable des
douleurs que la Juftice de Dieu leur refervc, nous
puiffions entrer dans la joie que nôtre Seigneur pré-
pare à fes Elus. Car li nous voulons être dans la
joie avec eux dans ce monde, nous ferons affligez
a>yec eux éternellement. Lugeamut ergOt dumEtb--
nictgaudenty ut cum lugere cœperint y gaudèamus i
ni pariter nuncgaudentes y tune quoque parster lugea*
mus. Cette Morale eft un peu forte pour les Cnré-
, : tiens
f Du Sptantlis, cké s»
» w R l'A II T P o B T tQjs%. Fsrt. H* ffi. XI. ^At
tiens de ce ûedc. Accordons à la^coûtùme qu'on;
peut aimer les divertiflcmens & les rechercher;,
mais aulTi ne fauroit-on dénier que les plaifirs crimi-
nels ou dangereux, t<:ls qu'on a prouvé queftcc*
lui de} laComeitie, ne foient défendu». Outre
les raiibns que nous enavon^ apportées, l'on peut
encore conllderer que ce plaifireft contre lanatu«-
le dea divertlifemens licites, qui eft de fortifier Tef-
pht en le relâchant,, & de le rendre propre à exer-
cer avec plus de vigueur fes fonctions ordinaires ^
& particulièrement celles oîtla Religion l'engage..
Après la Comédie Ton n'eft nullement difoofé àla^
Prière, qui eft la principale fonétion des Chrétiens^
Il arrive la même chofeà rèfprit Qu'aux corps
qui ont été mus avec violence. Le branle de ce
mouvement dure long-tems apr^ raâion qui Vz
caufé. L'efprit fe trouve encore à la Comédie a-
près que l'on en eft forti, & comme il s^'eft accou-
tumé à des pallions violentes, à voir des chofes
qui le renracnt fortement, il devient infenfibic aux
mouvemens du S. Efprit qui font modérez. Le».
douceurs que prennent les bonnes âmes dans la:;
prière, luifemblent fades,, ou plutôt il ne les gpû-
te point. Cette raifon ne paroîtra pas forte aux.
gens du monde ; cependant, les Percs deTEgUfe
qui connoifToient par la Fdfaitiiéceffité de la priè-
re, Tont fort pefée&s'enfoiltfervis pourautorifer
la dcfenfe qu'ils feifoient aux Chrétiens d'aller aux.
Ipeéhclcs.
11 n'eft pas poffible de marquer ici tous les dan-^
Sers que Ton court dans les foeftades. La cupi»
ité y dreffe par tout des embûche^. Non feule-
ment les Comédiens & les Comédiennes , n^îais tou-
tes les perfonnes qui vont à la Comédie, yparoiiP:-
fent avec tous leurs ornémens : ce qui caufe de:
lus dangereufcs chûtes , comme dit Tertullien;.
omnij^e^acuh nuUum magisfcandaium.occurrit^
t
548 ' N0UY£ltES ReFXIZXÔN»
§uàm ilie virorum & mùlierum accuratiar cultus. Lai
première pcnfée qu'on a en ces lieux , qui font'
r£glife du Diable, comme le même Perdes appel-
le; EccUfis BMûRj G'cftdevoirôc d'être vu. N^
mo infpefiacuh ineundê prias coffHatr nifi videre ë
viderL Ajoutons à ces raifons u défcnfe que TE-
glife a toûiours faite de fe trouver auxfpeâadcs.
C'étoit autrefois la marque , à laquelle les F^
yens connoifloie^t qu'un homme s'étoit lait Chré-
tien » lors qu'il ne fe trouvoit point dans ceslieuxr
& qu'il en avoit avcrfion. De repudîo fpeSiaculorum
inteUigunt faSlum Cbrijiisnum, Et l'Eglife n'ad-
mettoit perfonne auBatême» comme elle Êiit en-
core aujourd'hui» qu'après avoir exigé cette pro-
mefle , çue l'on renonceroit aux pompes du Dia-
ble, qui étoit le nom qu'on donnoit aux fpeâa-
€les , félon Tertulliea. Hétc tfl pampa diaMt , ad'
vvrfus quam in fynacuk fidtijuramas. Cette feule
défenfe , quand elle ne feroit foûtenuë d'aucune
raifon , ne devroit-elle pas fuffire à des Chrétien?
pour les détourner de la Comédie, puifque nous-
devons une obeïiTance aveugle à l'autorité de l'E-
glife , 6c que nous avons renoncé à ces divertiir&-
mens dans leBatême?
T>ts j>erfonnes de pieté & d'érudition ont fait
▼oîr clairement eQjcJj^rensTraitei qu'ils ont pu-
bliez fur cette matière, que la défenfe de l'Eglife,
&CCS promeflcs duBatême regardent auffi bien les-
Comédies de ce tems , que les fpedades des an^
ciens^ Ce qui doit être évident à ceux qui auront
lu avec (quelque attention les ReBeiions que nous'
avons faites jufqu'à prefcnt, puifque les Pièces de
Théâtre étant compofées aujourd'hui avec plus
d*art , elles font par confequent plus dangeremes,
fdon le& Reflexions du Chapitre troifiéme d^efTus..
G HA-
s*-^
«VR t*ART PoîTiQwc. PâriJJ. Œ XII. 549
Chapxtjie XII.
Di» P^'éme narratif: Quelles font fis effeeesl
Y E Poërae narratif cft un fimplc Difcours fans
-^aélion , & c'eft une de fcs pnndpales différen-
ces d'avec lePoëme Dramatique. Il y a autant de
fortes de Difcours , qu'il y a de différentes matiè-
res fur lefquelles on peut parler. Ainfî le Poëme
narratif comprend fous lui une infinité de différen-
tes efpeces, qu'on peut néanmoins réduire à un^
petit nombre , en confiderant que toutes les Poë-
fiesfont fiiites, ou pour être chantées, ou pour
être feulement lues. Les Odes , les Hymnes , les
Chanfons appartiennent au premier chef : Tout
ce que nous pouvons dire de ces Poëfîes , clique
leur prix conuftc dans l'harmonie de leurs Vers,
dont la cadence doit exprimer la qualité de la ma-
tière. J'ai traité avec aflez de foin de Tharmonie
dans l'Art de parler, je n'ai rjcn à y ajouter ici.
Les Poëfîes que l'on fait p(!)ur être lues feu-
lement, comme les Difcourren profe, fe peu-
vent diftinguer en Didadtiques , en Hiftoriques ,
& en Oratoires. Les Poëuès Didaétiqucs feront
celles qui expliquent quelques Difdplines, comme
la Phyfîque, la Morale, 1 Aftronomic, la Méde-
cine, la Peinture, l'Agriculture & les autres Arts.
Ainfî le Poëme de Lucrèce cft une Phyfîque; ce-
lui de Manileeft un Traité d'Aftronomie: les Geor-
giques de Virgile expliquent l'Agriculture : la
Pharfale de Lucain cft proprement l'Hiftoirc des
Guerres civiles, dont CSefar & Pompée étoient les
Che6 : rOuvrage de Si^MsJtalicus, eft au(S une
Hiftoire.
Four traiter les Difdplines Se rHiftoire en Vers,
il
550 NovirMiBs Rbflïxions
dl ne feut point d'autres règles que celles -m
Ton doit obferver écrivant en profc : li ce n -*
•que la verfification demande une manière d'é-
crire moins fccbe & plus gaie. Comme Ton cft
gêné par k mefure qu'il feut donner aux paro-
les , on peut prendre un peu plus de liberté dans
- la manière de traiter les chofcs.
Les Rhéteurs diftingucnt trois genres de Dï-
cours oratoires. Le premier eft le genre délib^
tatif , où il s'agît de délibérer fur quelque pro-
pofîtion : le fécond eft le judiciaire , dans Icqud
il eft queftion d'accufer ou de défendre quelquua
€n Juftice : le troifiéme eft le genre demonftra-
tif, que Ton emploie pour faire paroître les ver-
tus aun homme ou fes vices. On peut com-
pofcr des Poclies en ces trois genres. Autrefois
celles qui étoient dans le genre dcmonftratif , &
dont on fe fervoit pour blâmer, étoient écrites en
vers ïambes. On fait que cette forte de vers a été
inventée pour les inveéiivespar Archilochus»
Arcbilochum * proprio rabies armavtt ïamko.
Les Pièces qui font dans le genre démonftratif ,
fe nomment ordinairement Panégyriques , lors qu'el-
les ne contiennent ^ue des louanges. Les Panégy-
riques en vers reçoivent diffcrens noms félon les
occailons pour lefquelles on les fait. Ils s'appellent
Epitbalamey lorfque l'on loue des perfonnes au jour
. de leur mariage : Epicedie^ fi c'eft après leur mort,
& Apotheofe^ fi l'on poufTe fi loin leurs louanges»
qu'on les place parmi les Dieux de la Geotilité.
Les Satyres Latines 6c Françoifes , font des déda-
mations contre le vice s elles appartiennent au gen-
re démonftratif. Je dis les Satyres Latines, parce
que les Grecques» comme nous avons vu , étoient
des Drames. L'on combat le ^ice en deux maniè-
res 9 ou par de fortes raifons, comme Juvenal, ou
fUR l'Art Ponrî<iui.PartJI.Ch.XIL 551
par des railleries fines , comme fait Horace. On a
tâché de renfermer dans l'Art de parler, tous leg
préceptes qui regardent toutes ces Pièces oratoires.
Il n'y a point deDifcours en profe , que Tonne
puiffe mettre en vers; ainfi Ton fait des Epîtres en
vers. Les Stances, les Quatrains, leç Sonnets, les
Epigrammes, font de petits Difcours , à qui
Ton donne difFerens noms, félon le nombre ouïe
genre des vers, ou félon le fujet. LesDiftiques
font des Ouvrages de deux vers. Les Quatrains
font de quatre. Les Epigrammes font des infcrip-
tions. Lorfque ces luicriptions fe mettent fur des
Tombeaux , on les appelle Ephapbes,
11 feroit très-difficile de donner des règles généra-
les , qui fuffent utiles pour compofer ces fortes d'Ou-
vrages. Celles que nous ont données les Maîtres > ne
regardent que la verfification : ainfi c*cft des Gram-,
mairiens qu'il faut les apprendre. Maintenant l'on
n'appelle pas feulement Epigrammes, les infcrip-
tions mifes en vers , mais tous les petits difcours
dont le fens eil renfermé d'une manière ingenieufe
en peu de vers. La condufion de TEpigramme
doit contenir quelque grand fens qui furprennc.
L'exprefllon en doit être rare & fort courte : ce
qui fait que Ton donne le nom de pointe à cette
condufion.
Toute cette midtitude de préceptes que Ton a
voulu doimer juf^ues à prefent pour faire de bon-
nes Epigrammes, n'a produit aucun fruit. Les
perfonnes d'eforit ne trouvent point moien d'inf-
truire la jeuneuc fur cette matière , que de leur pro-
poferles plus excellentes Pièces des Poètes qui ont
réuffi en ces Ouvrages. Ce que je dis des Epi-
grammes , fei doit entendre des Sonnets, 6c en
gênerai de toute autre Pièce, foitenvers, foiten
profe.
D y a des Poèmes qu'on ne peut appcllcr Dra-
mar
i^l NOUTIILZS RZFLEXXOK^I
cnatiques, pais qn ils ne font pis fûts pour le Thca-
tre; mais auffi ils ne font point parement mm^
tift» étant compofcz de telle minière que lePoë*
te n^ pirolt point, & que Ton croit Toir non
l'Auteur, mus des peifonnes qui parlent &qui a-
gifTent devint nous » comme à la Comédie. Les
E/egîes font de ce nombre : il ne femble pas , par
exemple , dans les Elégies d^Ovide gue ce foit le
difcours de ce Poète : 3 fait une peinture fi Tire
de la perfomie qu'il &it parler , que Ton en eftprcf-
que autant fntppé, queû ellefaifoitréellementfcs
plaintes en nôtreprcîcncc.
L'on peut aum rapporter à ce genre les Diâih
gués, tels que font les Bucoliques ou Edogoesde
Virgile, qui font des Dialogues entre dcsBeigeis.
CesOuvrages ne demandent rien autre chofe qu une
obfer\'ation cxade de la Trai-femblance; c'eft i
dire qu'il n'y faut rien feire dire aux perfonncs que *
Ton rait converfer les unes avec les autres, que ce
qu'elles difent ordinairement. Néanmoins, com-
me les Peintres choifîlTent dans la Nature les objets
dont la peinture efl la plus agréable , il faut auîli
que ceux qui compofcnt ces Dialogues, choififfcnt
tout ce que les perfonnes qu'ils introduifent peu-
vent dire de beau. Sans ce choix les Dialogues
feroient aufli ennuyeux que les longues convcrfa-
tions de ces gens qui ne difent rien. Un'y apoiht
de manière plus propre pour inftruirc , que celle
aui fe £iit par Dialogues. Me tient du Drame 8e
de l'aélion , qui touche beaucoup ^lus qu'un dif-
cours mort ; mais il faut qu'ils foient courts. Quii-
quid pTÂcipies y ejîo krevis. Les Ouvrages quifont
compofez de différentes fortes de petits Ouvrages
fans beaucoup d'étude , fe nommeiît Syhes. Cdt
le nom que otace a donné à un Recueil de plu-
fieurs petits Poèmes qu'il avoit çompofcz fur le
champ I çx içtw£Qrç%
L'Epi:
-SUE l'Atit Poétique. Part. IL Cb\XtL 553
li'Epique renferme prefque toutes les Pièces de
Pocfie dont nous avons parlé. Il n'eft pas fait pour
être chanté comme les Odes ; cependant tous les
vers à caufe de leur harmonie , ont été confîdc-
rez comme des chants : d'où viertt que les Poètes
ne difcnt pas qu'ils racontent , mais qu'ils chan-
tent.
Li'Eplque eft oratoire; car premièrement c'eil le
Panégyrique d'un Héros. Il y a des Harangues dans
toupies genres, des délibérations» des accufations»
des défenfes , des louanges , des invcéHves. Il eft
KftoTiqiie, Ton y lit non feulement THiftoire du
Héros de là Pièce j mais prëfque celle de tout le
ino;ide > comme nonsVallons voir dans le Chapitre
Jutvant. 11 eft DidaéHque , puis qu'il inftruit , qu'on
y trouve de la Morale , de la Pnyfique , qu'on y
peut apprendre la manière de combattre, d'atta-
queri< de défendre une Ville. L'on y rencon-
tre dés Epigrammes , des Lettres: les Dialogues y
font fréquents, Scie Poète fe dérobe autant qu'à
le peut de la vue de fcs Leéleurs , afin qu'ils ne s'ap-
j)erçoivent pas que c'eft un Livre qu'ils ont entre
lés mams; & qu'ils fe puiflent en quelque façon
imaginer qu'ils voient les chofes qu'Ûs liient. Ce
Poëmeeftainfileplusconfiderablède tous lès Poè-
mes n^arratifs & c'eft dans celui-là feul qu'on gar-
ïecçs règles que Ton donnedans laPoëtique, fur
Icftnelles nous, avons fait nos Reflexions. .
' Lès. Romans, à proprement parler, font des
Poèmes Epiques en profe: on y prend plus de li-
berté ^iic dans les autres; tnais leur principale diiF-
ference eft, que les Auteurs de ces Pièces n'occu-
pent prefque Vefprit de leurs Ledteursque d'intri-
gues amouréufc's. Ce qui fait qu'on peut appeUer
'cesDuvrages des Livres d'amour, comme nous
l'avons remarqué, LrEpiquc dt un Ouvrage fe-
lieux.
u
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îlotJ.v»^^*^ — ■ l \
C B ^^ * ^
Çe'^ff de là <i«c ce îg^ du nom G«'^
SVK t'ART PoBTiQjTB. Part.IL Cb.Xin. fff
port de PlutarquC) difoit delà Tragédie du Poëte
Denys, qu'il ne l'avoit pu voir» tant elle étoit of«
fufquée de langage. ^ha»^6Klaf ^ mAi» « aW
La fin du Poëme Epique eftde faire un tableau
de ce qui fe palTe de plus éclatant dans le monde
comme font les grands volages » les grands £difi*
%es d'unfuperbe Palais» ou dxuicgraade Ville» des
Guerres» des Combats,» des Sièges, 8c autres ac-'
tions femblables. LesPoétesprétendenty former
des Rois» des Capitaines, 6c donner des Leçons
pour fe bien conduire dans les grands emplois, au
milieu de la guerre ou en tems de paix. Ce qui
fe remarque dansl'Ëneïde; quiefl TOuvrageence
genre le plus accompli qui fe foit jamais fait, 8e
où il paroît plus d'cmiit 8c de fdence. Virgile a-
voit entrepris ce deiiein pour fiater la Maifon des
Çdfars» en perfuadant les Romains» quiibuffroienk'
avec impatience le joug que cette Maifon leur a-
voit impofiitf que les.Dieuxavoî^tddlinédetout
tems l'Empire du monde à cette Êunille , quipre*-
noit fon origine desTroyçns.
I^afeetur pukhri Trojantts origint Crfar^
Imperinm Oceanp » famam qui termntt afirit»
On trouve dans TEndide toute PHiftoire Ro-*
maine. L'on y. apprend les antiquitez it l'Italie »
& preique de tout le monde» lesx>iigines;desVil-:
les 8c des Peuples: Il n'y % prefque point de âblo
qui n'y foit rapportée. L'on j voit la manière de
combattre 8c d'aifiçger des ViUea: les ccrcmonies-
y font expliquées dans tous leurs termes propres»,
comme Macrobele £àit voir^ Il y a dq mPnilD-
foplûe» de riUbx)nomie, de la 6eogi»phie: ds
forte qu'uAJeuB^ Romain; qui. étudiait ce P<Mïte.
avec foin t^yi fti9»nipi& 4'wie mûiiocc iigreaUe tout.
Aa z ce
^^6 NouvBLLXs Refiexxons
ce qu'un jeune homme de qualité étoit obligé de
fa voir en ce tems4à« : Ce qui cft un fujet de con-
fafion à la plupart de nos Poètes , dont les Vcn
n'ont que de belles paroles, qui ne fignifient rien.
Leurs Ouvrages ne font bons que pour faire per-
dre le tems agréablement: Leur manière d'écrire
cft toute paienne, pleine de fables: ils s'en cxcu-
fcnt mal à propos fur l'exeimile desandens Poètes.
Car, comme ces fables faifoient une partie de la
croiancc des Paiens & de leur Religion; c'étoit
une ncceffité,par exemple, à Virjgile de trouver les
occaûons dans fes Ouvrages d'en inilruire la jeu-
neflc : L'onne voit point qu'il les invente; ilparJefe-
lon la commune opinion; & c'cll toujours poiu*
inftruire fon Leâeur de tout ce qu'il peut appren-
dre de la matière qui fe traite: c'cft pour faire cqd-
noître l'antiquité d'une Ville, l'origine dune Fê-
te, d'un Sacrifice , felonqu'ônlecroioitpourlor?,
& que les Hiftoriens le rapportent.
Ce Poëte eft auffi admirable enfes exprcffions,
que dams les chofes qu'il expofe. ; Aucun Auteur
n'a mieux parlé Latin, ni plus favamment; il ne
fe fert que des termes les plus propres: il eft na-
turel, il eft claiV, & cependant il eft fort,' & dit
en peu dé mots une infinité de chofes.
Par exemple , quand il dit , Et figes eft uhi Troja
fiiti & les bleds: crôifiTent' où étoit la Ville de
Troie, n'exprime -t -il pas le rcnverfcment de cet-
te Ville de manière, qu'il femble que par ce peu
de paroles il Ta engloutie toute entiiere, fans en
hiffer aucun rèfte, comme le dit Macrobe: Pau-
cijftmU virkis maximam civîtatem ffûufit4s^ abforpfit ^
fwn reliquit iUi nec ruinam.
' Il n'en: pas nccèffairé que je parle ici de Tœco-
nt>mie d'un Poëme ï^ue, je l'ai fait l'orfquej'ai
propofé les règles que l'on doit obfcrvér dans la
conduite d'^n foëmc. Nom avons yû. comme il
'■' ^ .' ." fiur
êXïK l'Aut PotTKïUï. ParLlLCb.XIII, j^pf
faut choilir une adion confîderable, qui ait un com-
mencement, un milieu & une fin; comment' il
faut commencer l'Ouvrage, & avec (jucUe modef-
tie r Auteur d'un Poëme Epique doit faire la pro-
pofition de Ton deffein.: Nous n'avons rien à coû-
ter i ce que nous avons remarqué touchant le nœud
& le dénouement d'une Pièce.
Le* Poèmes Epiques fe partagent en divers Li-
vres, comme les Drames en plufieursA(ftcs. Cette
diftin^ion eil neceffaire pour délaifer l'efprit dii
Ledeur. Quelque plaifir qu'il reçoive de la lec-
ture, elle lui deviendroit ennuyeuli , s'il n'y trpu-
voit quelque lieu où fe repofer. Or il fenM)}cque
l'on trouve du repos quand on eft à la .fin d'un Livre.
Le feul titre du fécond , du troifiéme Livre divertit*,
comme ces marques que l'on rencontre en faiiànt
voiage , qui font conaoître combieE on a fait de
chemiiir
i^— « Intitvai/a vie fe/Jfs frétflarj vsdetur
Qui notai infcriptus tniièm êrehra Upis,
La fin d'un Livre, cfomme dit faûnt Auguftin:;
foulage les Ledeùrs, comme, les Hôtelerie^ Sou-
lagent les Voiageurs. î^tfdoquojmimmotlç^iiaUbri
termino reficitur Ltéiarisintentip , ficul iaborviotoritf
bofpitio. Le relie de ce que l'on ppurroit dire des
Poëines Epiques, doit s'apprendre par la leélurc
des Auteurs. Un Maître fera plus fiicilement , 8c
en moins de tems comprendra à fes Difciples ce que
c'efl que ce Poëme ei\ leur çn proppfant un excel-
lent exemple, comnie efiyËneïde de Virgile; que
s'il les occupoit pendant une année à }a ledure d'une
Poétique qui expliquât ces diofes avec étendue,.*
Longutn iter per préc$pta , brei»e à^effict^x pir ipeem*
f/a. Je n'ai pas tant entrepris de faire connoître
dans ces Réflexions les règles de la Poétique , que
de découvrir les principes, doù ces règles font ti-
rées , ce que j'ai crû- devoir fuffire. -.'
A a 3 Chi-
S^o NorrVELiEs Reflexion*
bre de ceux qui croient que les vers chafles nepc| ^'
vent plaire. II ne fiaut pas même faire lire a
jeunes gens les Ouvrages qui font aiTez honnct
fans accompagner les inûruétions qu'on leur doi
de quelques Reflexions ferieufes. Car il n'y en
point qui n'ait quelque maxime fauflè ou dangi
reufe; ce qui a obligé Platon de ne point recevoL
dans fa Republique Tes Poètes, &: d'en bannir ceux'
qui y feroient entrez.
Ce l*hilofophe montre combien il eft important
que les jeunes gens ne fe forment point fur d'auffi
mauvais modelles que ceux que reprefentent les
Poëtea, qui ont des fentimcns bas &c cxtravâgans
de la Divinité , & quifontfmeà leurs Héros tant
de chofes indignes: cependant ilavoit une grande
eftime de leur manière de s'exprimer , & 3 leur
donne fur cela de grandes loiianges; c'efl pourquoi
il dit que. il quelqu'u^i de ces Poètes venoit dansia
Tille qu'il formoit dans fon efgrit , il le conduiV
roit dans une autre» après avoir v'erfé fur fa tête
des parfums » 8c après l'avoir couronné de ffeurs..
La RepubliquedeJssus-CHRisT eft bien plus
faintecommeplusrid^e». quecelledePlaton; mais
fans en chaflcr tous les Poètes , l'on y peut conferver
la fainteté, en fe fervant mcmederétudeaue Ton
fera faire de leurs Ouvrages, pour dQnnercfel'efti*
m e de la vérité & de la fainteté de nôtre Religion . 11
ne faut que fjireconfiderer les opinions extra vagan*^
tes que les Poètes Payens a voient de leurs Dieux, /eA
quelles étoient conformes à celles du Peuple , corn*
me faintJuftin,Ladancc^Eufebe, &plufieurs au-
tres le prouvent , montrant fort bien qu'il ne faut
point chercher ni d'allégories ^ ni demyftercs, ni
de Philofophie dans les vers des Poètes, mais les con-
fiderer comme des Hiftoires limples , qui propofent
<:e qui s'étoit dit & fait r aufîi c'eft par le témoi-
gnage des Poëtcs ,. que les premiers Apologiftes
dto
\
rtJK l'Art Poe riatJE.Pflj7.//.Ci&.Jf/F. 5^9
tû , ils ne difent que des bagatcUes.Je parle ici de
ceux qui n*ont autre but que de flater la cupidité.
Nous avons vu pitrfieursPoëfiestrès-faintes,oùles
cfprits réglez peuvent trouver du plaifir 8cde l'utilité.
Quand je blâme la Poëfîe , on voit bien que je
6c condamne que Tufage qu'on en fait , pour aug-
menter ôc autorifer en nous le dcfprdre de la con-
cupifccttce. L*on trouve dans les -anciens PoëteS
de fort belles reflexions morales , des fcntenccs
ttès-judicieufes : L'on y apprend l'antiquité ; dont
la connoiflance cft neceffaire. Outre cela il faut
attirer la jcuneflc par le plaifir. La cadence des
Vers a quelque chofe de diarmant , comme on a
TÙ dans VArt de parler, & ce Qu'an Poète ertfei*-
gne, ehtve fans doute plus agréablement, 6c pat
confequcnt plus facilement dans Tefprit.
Aum quand l'Empereur julien TApoflat fit dé^
ffcnfc aux Chrétiens d'étudier les Lettreis humai-
nes, & de lire les anciens Poètes; Saint Grégoi-
re de Naiianiè, fiçles deux ApoUinaireslepere&
le fils , coiïïpoferéùt des Vers poûrifcrvir a TinlV
truâion de la jeuneffe.
Mak il faut prendre garâfe', que fotis ce prétexté
^U'il y a quelque ncceffité de wire lire aux jeunes
gens les anciens Poètes qui font cclebirês J un lie pCT*.
mette indifféremment la ledure de toute forte de
vers. L'on ne doit rechercher principalement dans
les Livres des Païens, que la fécondité des expref-
Tions, & les belles manières de parler , tâchant dé
leur ôter comme à des ennemis, ces armes, pour
s'en fervir coritt'ieux-mêmes , ainfî que ledit laint
Paulin *: Satisfit ab ilfts /ingud copiant é^ or h orna»
ium quafi quddam tie bofli/ibus armîsJpoJia cepijfe.
Puis qu'il eil donc plus important de redreP-
fer le cœur de la jeuneffe , q^ue de former fa
langue; quelque élégant que foit un Poëte, l'on
n'en doit point pêrmcitre la Icélure ,s'ilcftdunom-
* ^.ii. Aa 4 bre
56X NOUVELIES ReFI£XION5
«lie Chrétienne , pour en bannir tout ce oui n'eft pas
laint, & pour empêcher que la lefture des Poètes,
4jui fait fur Tame beaucoup plus d'imprellî on que h
:MuIique» ne puilTe donner de mauvailes mœurs
aux jeunes gens.
j . ^
f%
Chapitri XV.
Tiufieurs ferfonnes fut ne iifeni ni /w Ppitts nî les
Romans y commetttnt kt même faute qt/e aux f»j In
Rfent \ ih oeeubtnt kur e/prh à de vaines peu fées
■ étuffi iàngereufis que ceUes que les Anieurs de ces
Livres exjvriment fur h papier.
QTToi qu'il y ait peu de perfonne qui fc plai-
fcnt aujourd'hui à lire les Romans ,cc que nous
tt\'ons dit ne ftra pas inutile; car telqnLii ne le croit
fas, cft très-coupable devant Dieu, du péché que
tx)inmettcnt ceux qui s'y amufent. Il y a des Ro-
mans imprimez , mais- il n*y en a pas moin^ dans la
\ête, je ne dis pas de ceux qui font faifeursdeRo-
iïïans,mais dcpmque tous les hommes.Il n'y a point
de vuide dans Fatne non plus que dans la Nature;
ainfî quand n^treefpritn'eft point occupé depen-
f(f es folides 6c raifonnables , il dl plein de Taines
imaginations, de vaines idées (^ull forme & qu'il
orne comme il lui jrfaît. Il feint des avanturcs »
des intrfgues qu'il confidcre avec autant d'atten-
tion que s'il lés voioit exprimées dansun difcours
naturel , ^ couchées fur le papier.
Ces Ro'MH^bnt \& 'Somméhcement » un mi-
lieu , & une fin. Ce n'eft d'abord qu'une penfée
ordinaire qui entré dans reprit: elle en enfante
p-lufieurt autres, qui dcmnentoccafion à mille ima-
ginations. On fait naître des inddens: on con-
udere queOes ce font les fuîtcsi on ft £ût une af-
lai-
9VR l*Art ? oir iQjJi.Part.JLCb.Xy, ^s^
faire de dénouer tous les nœuds que l'on a faits,
avec h mcnic application que fi on avoit dclTein
d'en compofer un Livre: & l'on ne le peut appli-
ijuer à d'autres chofes , qu'après qu'on a enfin
trouvé la conclufion de toutes ces rêveries^ Ce
que je dis ici pourra paroître furprenant, mais que
chacun fafle reflexion fur lui-même, il s'en trou-
vera peu d'entièrement excmts de cette maladie.
Comme les fonges que les hommes font pen-
dant la nuit , répondent aflez fouvcnt à leurs defirs :
Su'ils voient en dormant ce qu'ils ont fouhaitépen-
ant le jour : chacun fe reprefente dans fon ima-
gination ce qui e(l conforme à fon inclination. L'un
Jlrcnd plaidr dans une vengeance imaginaire qu'il
exerce fur fes ennemis : un autre drefle des ban-
euets magniRQues dans fon imagination : celui-là
le forme de fales images des plaiiirs honteux dont
il voudroit jouir: les uns & les autres retranchent
^elquefois des idées dont ils ferepaillcnt, lescir-
çonihnces qui pourroient troubler leur fatisfaétion
er des remors de confcicnce , &ilsy ajoutent tout
oui peut rendt^ agréables les chofes dont ils
conudercnt les images.
Ces Ronoans ne for\t paç moins dangereux que
ceuxqui.font imprimez : ils peuvent produire des
effets. encore plus funeftes, en ce que l'on ne lit
]u*une fois un Roman itnprimé , & que ceux-là
ic fortcnt point de TePprit. L'on y perd le tcms ,
Se comme ceux dont la leéture ordinaire n'a é:é
.]ue des Po(:tcs Qc des Romans , ne font plus ca-
pables d'aucune ledure foUde : aufïï lors qu'on a
ïonné libre entrée à .toutes les pcnfées mauvaifes
k inutiles qui fe préfentent, & qu'on s'cftaccoù-;
umé à s'en entretenir avec autant d'application
[ue fi elles étoient bonnes & necclîaircs , l'cfprit
le vient li libertin & fi déréglé, que ni dans la Prié-
es ni dansl'ccudc» ni dans les aliaiics, il ne le
A a 6 peut
5^4 NoUTXL'L.fiS R£FLXXIO»fff
peut aflujcttir à confidercr les chofes qui lui foiît
propofées : il fout qu'il, coure çà & là , & qu'il
pourfuive toutes les chimères qui fe rencontrent
dans foa chemin , & qui le détournent de fon ocr
ci^tion»
Toutes ces imaginations ont toujours pour ob-
jet les créatures, les grandeurs du monde» lesvar
nitCT., les plaiûrs : ainû ceux qui s'y abandonnent,
nourrirent les mauvaifes affeétions de leuncœur,
de la même manière que le font ceux qui lifent
ces méchans Livres dont nous. avons, parlé.
Il eft vrai que ces imaginations ne nous rendent
pas toujours criminels , parce qu'elles ne font pas
volontaires. L'on ne. s'en défait pasaufH facilement
que d'un Livre. Ceft une des grandes miferes de
nôtre état t que cet affujettiHement de nôtreame,
qui cft contrainte de voir ce; qu'elle ne vpudroit
pas voir. LesDémotis, félon S. A uguftin, peuvent
remuer nôtre cerveau , & y tracer plufieurs figur
res ^ à roccafîon defuueUes des idées fâchcufes fe
prefentcnt à l'ame. Elle peut en avoir honeur , mais
non pas les chafler fans un fecojurs particulier du
Ciel, que les Saints demandent à Dieu dans les
Prières de l'Eglife , lors qu'ils le prient de purger
leur efprit de toutes fouillures. MJlcrgfmcnta
fordium.
Nous fommes obligez de, combattre continuel-
lernent , pour ainfi dire , contre ces monllrcs qui
fe jouent de nôtre ame , & de nous tenir fur nos
gardes, pour n'être point furpris par ces images
trompeufcs des grandeurs & des plaifirs du monde,
que les Démons ou nous-mêmes aous formons dans
notre imagination.
Cha-
axjK l'Art. Poitk^e. Pau. IL Ch. Xl^L ^6ç
Ghapitre XVI*
La vanité & hs amufcmens de la Poéfie font comwf^
une image de la vanité , ist des amuj'emens de qùeU
ques hommes dam ce qu'ils appellent, leurs ajf aires*.
IL y a bien des gens, qui ne fe contentent pas
d'aller à la Comédie 9 de lire des Romans-, ou
d*en compofer dans leur têtedç la manière qvie noiis
venons de le dire; ils jouent eux-mêmes la Comé-
die, & toute leur vie eft un Rolnan. Ils forment
des entreprises vaines ,.foit pour acquérir des rf-
chefles ou de grandes dignitez; ils tournent de ce
côté-là toutes leurs inclinations, &: ils en font oc-
cupez comme on nous reprefente le^H^r os des Ro-
mans , occupez de leurs chimerçs.
Jafon, par exemple j étoit occupé de la conquê-
te de la Toifon d'Or, & Enée. de l'établiirement
d'un nouvel Empire. Lès hommes conçoivent une
haute eftime de la, chofe qu'ils fouhaitent , & ils
lui donnent toutes les bcautez & les perfedions
imaginables , ainû qu Honière à fon Hélène : ilà
font ingénieux à fc tromper^ par leurs propres ûc-
tions: ils n'envifagént jaipâis dafis les ridieffes ,
dians les dignitez, que ce qu'il y a d'éclatant; 8c
ils cachent adroitement à k\irs propres yeux les
amertumes des plaifîrs du monde : ils ne confîderent
point dans la créature qu'ils aiment , qu'elle eft mor=-
telle, fujetic à mille maladies ; Si elle a des dé-
fauts, ils les déguifent, & ils y conçoivent même
des perfeélions qui n'y font pas. Us le trompent de
cette manière, & ils aiment leur erreur , parce que
plur l'èftime des chofcs qui font l'objet de leurs pa(^
lions eft grande, plus ils fe fentent émus dans la
pourfuite qu'ils en font, & plus ils en augmentent
A a 7 leur
^fA !^ouTEtLEs Refiixions
kur f'jlicité imaginaire. Comme dans les Romans,
l'jrs qu'on en eitime le Héros, on b'inrereJe da-
vantage dans Tes avantures, & l'on reîrenr plus vi-
vement ces plaiùrs c ai accompagnent les émotions
de nôtre cœur.
Ces perfonnes fe fatiguent, elles courent çà &
là , & le font fans cefTe des affaires pour jouir du
plaifîr d'être occupées, &fefauver du chagrin mor-
tel que leur feroit infailliblement fentir le poids de
leurs miferes, fi leur cœur ceflfoit un moment d'ê-
tre agité par leurs paŒons; & c'cft ce que les hom-
mes qui ne peuvent vivre fans paflion, rccherchcnl
ardemment.
Les Règles du Roman font aflez bicnobfcrvées
dans la vie de ces perfonnes r dont nous parlons.
On peut même confîderer toute leur y\t. comme
une feule pièce de Théâtre régulière. L'unité de
tcms & de lieu y cft bien gardée; car enfin quel-
que longue que foît leur vie, quand elle feroit de
"cent années, ce n'ell pas 14. heures àrégarddel'é-
tcmité, & la plus longue vie n'eft véritablement
Que comme un fonge , ^ui commence & qui finit
dans une heure de la nuit. Ce n'efl qu'un point &
encore quelque chofe de plus petit qu'un point,
comme fe dit Senequc : Punffum tft quodvivhnust
'& adbucpunfio minus. Ce n'ell qii'mi éclair dans
la nuit de l'éternité.
Quand ils fcroient'Rois ou Princes, le Théâtre
oùfejoiie leur Comédie, & où fe paflTe tout ce
qu'ils font fans en fortir, eft très-borne. Puifque
c'eft la terre qui n'eft qu'un point; c'eftpourdivi-
fcr ce point & en poïïeder une plus grande partie
que toutes les Nations difputent entr'elles , & qu'el-
les emploient le feu & les fiâmes pour s'armer les
unes contre les autres. Hoc e/î iihtà^um^um quo^im-
ter tôt gcntes feiro é^ignidivUitur.
Le Phiiofophc que je viens de cîtcr fait conce-
voir
STTR l'Art PorriQUE. Part II, Cb, AT7. ^6j
Voir la fatuité des hommes par une fuppofition très-
agréable. Si les fourmis avoient de l'elprit, ne fc-
roienr-elles pas, dit-il, comme les hommes ? ne
partageroient- elles pas un grain de fable en plufieurs
Provinces? Pourquoi donc lorsqu'on voit aller les
hommes à Tarméc, & marcher enordrefousleurà
étendarts , que la Cavalerie tantôt prend le devant
pour découvrir l'ennemi , & tantôt couvre les flancs;
dé J'armée , & que tous s'empreflcnt comme s*il s'a-
gilToit de quelque chofe de grande importance^
pourquoi ne les con(îdere-t-on pas comnrre une trou-
pe de fourmis , & qu'on ne dit pas d'eux par mépris.
// nigyum enmfh agmen T
Toutes ces courfes, continue ce Philofophe,.
font femblables à celles des fourmis , qui travaillent
dans un petit fentier. Fwmcarum iftedïfcurfustflin
mnguflo laborantium. Quelle différence y a-t-il en-
tr'ellçs & nous , fi ce n eft que n&rc corps qui cft
petit, cft plus grand que le leur? Ce lieu ou l'on
fait flotter des Vaifleaux , où Ton range des Armées
en batailfe , où l'on aflTigne différentes Prorînces ,
n'cft qu'un point dont TOcean occupe laplus grande
partie : QuidiUls & nobis interefi , vifi exigui men*
Jura corpt//cu/i f putjéfum eft iftùd în quo navtgatis f.
in qtto beifaùs , in quo régna fitjfçnttis : minima etia/n
€um illis utrtnque 0<eanus occurris.
Il femble que l'unité d'aélionn'y foitpasgardée^
parce qu'ils changent de deflfein à tout moment , ôc
que chaque jour ils font de nouvelles entreprifes»
Mais fi on confidere avec attention ce qu ils font ^
on verra que c'efl toujours après cette même gran-
deur imaginaire qu'ils courent : qu'ils recherchent
tantôt dans un lieu , & tantôt dans un autre.
Comme dans une Comédie il y a des Adleurs
cui difparoilTcnt après les prciûiers Aâçs ; qu'il yen
a
^68 Nouvelles REFLEXio.N"ar
a qui meurent dans la Cataflrophe, & que les ai»-
très triomphent ; auffi entre ces perfonnes dont nous
parlons, le uns ne paroiflent que quelque tem s, ils
perdent la vie fans venir à bout de leurs entreprife»,
& achèvent la Comédie; mais enfui après la Pièce
qui ne dure que quelques heures , & que la mprt in*-
terrompt fouvent , ils difparoiirent tous commcles
Âcfteurs des Comédies ordinaires.
Leur vie eft auffi vaine que celle des Héros des
Romans» elle paife auffi vite , &iiremblequecene
foit que comme une image qui paraît 6cdiXbaroît
prefque en même tems. /» imaginé pertr an ftt ëomo»
Mais il y aicette différence entr*eux & ces Heros^que
ceux-ci ne feront pas punis pour ces aétions feintes
quils n ont point faites, & que ces perfonnes feront
punies pour ces vanitez» dans lefquelles eues ont
confumé toute leur vie.
Le malheur dans lequel elles tomberont , comme
faint Auguflin le dit fort éloquemment , cft bien dif-
férent de ce bonheur d^îslequel elles fïcuriflent. Car
ce bonheur n'eft que pour quelque tems ; & elles fe^
ront malheureufes éternellement. Ce bon-heur n'efl
qu'imaginaire 9 & leurs miferes font très-réelles.
No» enim quemodo Jforent fie penunt^ fiorent enim
fid Pemfus > pireun$ in £ternum y JUrent falJU bonis »
pereunt veris tormentis.
Tous les hommes favent ces veritcz que nous ve^
nons de propofer. Ils n'ignorent point que toute nd-
tre vie n'eft qu'un fonge , que la mort ôtera ces man-
ques qui diltinguent les hommes; qu'elle les dé-
pouillera de ces habits fous lefquels les uns paroiC-
lent Princes , les autres valets. Et que les reduifant
au tombeau également nuds, ils n'emporteront que
les vêtemens de leur ame ;.c'eil à dire les vertus. Mais
ils prennent plaiijr à fe tromper. Ils. ne croientpas
pouvoir pafler la vie agréiblcmexit d'une autre
manière^
5U& l'A^t PoETiQjif b. Part. il Ck^XVI, 569
Ils ne veulent pas chercher Dieu , il faut donc
qu'ils cherchent quelque amufement qui ferve de
matière aux mouveniiens de leur cœur, puis qu'il
faut qu'il agiffc & qu'il hepcut'être en repos un ma-
rnent. Ils fe font des affaires, ils prennent de grands
emplois où. ils n'ont pas unjmomentpourpenfêrà
r éternité"; &bieji loin de fe croire malheureux, ils
confiderent ces grandes-& continuelles occupations>
comme des marques de lieuï f^citi.* Argumentum
ejje ffUcitatis occufationemputant.
Recevant donc tant de plaifîr de leur manière de
'vivre, qui les excmte de pluiïeurs chagrins; ils air
ment leur erreur , & ne voudroient pas en être déli-
vrez; femblables à cet Athénien qui fe fâcha contre
fcs amis qui l'avoient guéri de fatfolie. Toutes les
fois qu'il alloit danslelicuoùfejouoientlesComer
dics, il y croioit voir des Aéleurs, Scilypaflbitle
tems agréablement dans un divèrtiffement imagi-
naire. C'eft pourquoi voiis ne m'avez pas redonné
ravie, difoit-iUfesamis; mais vous m'avez tué^
m'ay ant ôté avec violence mes plaifirs & une erreur ^
qui m'étoitii agréable.
t Pol m9 oceidiftts amich
Non fèrvajiisi ah, eut fie extorta vo/uptasy
Etdemptus per vint tnentis gratijfmus error.
Cefl fe déclarer, ennemi deshommes que de leur
vouloir ouvrir les yeux fur cttte extravagance , ils
s'irritent même contre ceux qui leur foot quitter ceN
te fauffe opinion qu'ils ont de leur bonheur, qui n'eft
qu'une.'mifere véritable , comme le Cordonnier
My cille dans Luciéft , fe fâcha contre fon coq ,. ôc
lui jetta une forme àla tcte , parce que l'ayant éveil»
lé il lui avoit fait quitter les richefles dont il jouïlToit
dans un agréable fonge..
Toutes les fçlicitez de la terre font femblables^
570 NooYEiLïï RiPtïxroirs&c.
celles de cet homme qui révoit ; Felhitatesfétcurtfim'
nia dormtentium. Les Toies.quc donnent les biens
du monde ne font ps pins folidcs que ccHcs que l'on
trouve dans une rêverie agréable. Cauiitm Jefom"
«0. Les hommes aiment ce fommcil} & 16 bonheur
de la vie, félon Tidée qu'As en ont, confiftcà^i-
vre dans une perpetuelte léthargie; pendant laquel-
le ils n'ont m embarras niinquietudedccequidoit
arriver après ce fommeil.
• 11 y a peu de perfonnes qui foienteicemtesdcct
mal, & dont on puifTe dire que la manière de mre
foit ftricufc &raiibnnable; car enfin tous cescm-
prefTemens des hommes qui travaillent à acqueiir
des richefles, déshonneurs, 'dfcs plaifirs, ne font-
ils pas aulîi" vainsque les travaux des Hcros des Poè-
tes? Toutes leurs Pallions ôctoutcs leurs adioasfont
auiïi inutiles que celles des Comédiens , quis'afil-
gent, qui fe Sachent, qui parlent 6c agiuent avec
tant d*ardeur fur les Théâtres : ou que les peines q:c
fe donnent les enfans dans leurs jeux.
Il eft vrai que les niaiferies des hoYnmes paSenl
pour des affaires importantes : Majm-um nug£nciuùn
VQcanîîLV. M:us enfin puiftjiîC Ton ne doutC pointée
la brièveté de cette vie , qui fera fuivie d'une àcrr.:-
té heureufe ou malheureufe, ne doit-il pas être cor/-
tant que tout ce que l'on fait qui ne fcrt de rien pou:
léternité, n'eft que folie ; &queleshomme5qy:/'^
rempliflent la tête Jegrands^efîcins , qui cherchent
des établiflemens fur la terre fans penfer au ciel , fon:
infenfez : que toute ècttc fagciîe avec laquelle ils
ménagent ces deffeins , n'eft que folie ; & eue toit
leur efprit n'eft pas moins corrompu que Icferoir
celui d'un homme , qui étant plein de ce qu'il ai/roit
Jûdans les Romans, s'imaginerait être un Heroslû-
mêmc, & s'occuperoit toute fa vie dansdesinn-
gues , dans des entreprifes , & dans des conquêtes
imaginaires,comme le Dom Quichot des lîfpagno.i
lin de la Sccmdis PnrtH.
TABLE
DES CHAPITRES
CONTENUS
dans fes Réflexions far I*AfC Poétique.
Chapitre I. T -4 Poiifie e^^ une' peinture parlanti
A^ de ce quîly a de {dus beau dans
ies Cbredfures i elfe fait oublier Dieu ^ dont ces
Ctèaturesfont fimuge, 449^
Chai», il. Dieu ayant fait toutes cho/es four /a
g/oire , tous les inyûvànetis^ 'qu'ait a imprimez dans
ks Créatures iindtHi vtrs iui : XJl'eJf pourquoi tes
hommes ne peuvinf trouver de repos fu^en Dieu,
4ri-
Chait. ÎU. Les P (fis tes entretiennent cette ilUifon
des hornnuesviU dérobent à "leur connoijfance /es im^
perfeâiions des Créatures ^ & les amufint par unfi
vaine apparence de prmtdeur. 4f4ï
Ghap. tw. Les Poètes ne propofeht que dès cbofis
rares éf istraordinaires dont ils cachent les imper*
fe fiions^ 457-
Chap. V. Les Poètes couvrent toutes ks Créatures
d'un faux éclat: ils occupent tellement Pe/prit de
leurs Leéleurs^ qu'ails nt penvent faire aucune re^
fiexionfur eux-mêmes^ et fit It néant descreâtu^
res. 4f 9
Chap. V\.. Le chagrin qui trouble tous lés pldtjirs
de la terre t nous avertit que ton ne peut troux^r
du repos qu'en Ùieu : Les Poètes pour les rendre
heureux travaillent i dtjjipcr ce cbùgrim 462
€h AP. Y IL. Un des moyens dont les Poètes fe fèr»
vent pour attacher les hommes à la leéture Âe leurs
Ouvrages , eji de leur propofer tout ce qui flatte
Jeurj inclinations corrompues* 46 f
Chap.VUI.
TABLEDESCHA^PITRES.
Chap. VI 11. V Amour e(l Pâme de laPoefie : Us
Poètes far la reprifentation de cette PaJJion arrê'
tent les efprtts fenjMels. U efi d'autant pluj dange^
reux t que ces Poètes tâchent de cacher les dérègle-
mens de cette P'affionL 'IV. 468
Chap. IX. L'homme ne peut vivre pins amour : Son
. //^drevienf'4t.ce,qu*tilJjfiournè yersdè^ Creafw
res , au //eu de ie tourner vers Dieu. La Poefie
entretient ce defovdn, 472
G H A p. X. Lîs Poètes ne frennent pas toujours le
foin de purger de toutes faletez les amours qu'ils re*
prefentent -, ils autori/ent les plus fales amours «
comuie toutes les autres Pajpons déréglées. 476
Chap. XL Lhomme efl fuit pour la Veritf\ de là
naît ce grand depr defavoir y qui degenert en une
curiojtté criminelle t que nourrit la Voèfie, 477
Chap. XII. Comme tefprit nefe porté a connoître
que la Vérité r ou ce qui en a Papparence ; les Poil'
tes aujji tâchent de rendre vrai-fembUtble tout ce
qu^ils proùofènt. 484
Chap; XIII. Ï>' où vient que imitation ejî fi a-
gréahk , que l'on prends 'p0r exemple ^plus de phi»
, Jir à voir Pimage d*une chofe que cette chofi mime.
487
C H A p. X I V. Nr» feulement les Poètes gâtent Pef-
prit de Phomme » mais ils corrompent fin cœur ;
ils en détournent tous les mouvernens de Ja fin prin^
cipale qui ejf Dieu , iF qui efl la caufi du plaifir
que Pon reçoit de ces émotions avec kfquelles Pon lit
les Poètes, - . 4^0
Chap. XV. La Po'èfie eff une Ecole de ioutes les
PaJJionsy que condamne la Religion, 497
Chap. XVI. Quand la Po'èfie n*in/pireroit point
de mauvaifes PaJJiçns , elle fir oit toujours criminel"
le 9 parce qu^elle rend inutiles tous les bons mouve»
Mens de nôtre cœur. 500
SE-
TABl^E DES CHAPITRES.
-I*-
SECONDE partie:
Chap. L T Afnât VArt Wètipie è/i tte flaire i
JLi Ses règles générales Je redùifint à
fuatre principales^ On propajè les deux premier
resffavoir le eboix de Ù matière 9 & limitation*
Chap. II. Règles que fuivent les Pç'étespour flatter
les inelinationsdà hommes ^ & pour remuer liùrs
paffions. • jro7
'Chap^. ÏIL La Po'èfie eft plus.dangereufi^ lorfyue
lés règles de l'Art font mieux -obfirvées. Règles
particulières de f unité daélion. f IJ
Chap. IV. Les Poètes ne commencent pas PHifloire
de leur Héros par les premières aélions de fa vie,
mais par le fecours des Epi/ode f ils font connoître
aux Leéieurs tout ce qu'*ils peuvent avoir envie d'en
apprendre. S ' 7
Chap. V, Des frincîpalef Parties d*une Pièce. 5 19
Chap. VI. J>e Nmté de iems & de lieu ; de la
durée de chaque Pièce. /H
Chap. VIL Du Poème Dramatique. f z8
Chap. V 1 1 L. De tOrigine du Poème Dramatique
& defes efpecèà^ Sl^
Chap. Ia. ife iet Comédie é^ dé hTragedie. Quelle
eji leur différence , i^quel efl le deffein que lesPoè'
tesfe propofent dans ces Poèmes. 53^
Chap. X. Les Comédies it lesTragedies corrompent
les mœurs , bien loin de les reformer. $41
Chap. XI. La reprefentation qu'on fait des Come*
dies & des Tragédies fur les Théâtres publics ^ en
augmente le danger. Von ne peut affijler aux Spec»
tacles fans péril. f 44
Chap. Xlt Du Po'èmt narratif : Quelles font fis
efpecis. ' " T49
Chap. XIU.
TABLE DES CHAPITRES.
■■C H A P. X II I. Da P«BM Hfi^ue. jfi
Chap. XIV. Ltt Pt'tiet parpettr être KtUet : Avtc
qutllt péttaiiom iJ faut Ut fsirt Hrt ^uxjnm
ftnt. ;iî
Chap. XV. Pl^turt ^rfinues qm nt llffnt û kl
ttiiÊt ni kl Ramem, cemlMtftait U menu fuU
■ gM ctutt pu Ut iifemt ; ih oecuptM bar effrit i Je
. ^Iturt À ca Livra exfrimm fur ù fapier.
Cbap. XVL Li VM/f/ éf /» amjhiulu de là
■ Poïfii , font mmmt une imm^i de la vaniti èf dit
Jn$ Icurt pffiiru, f<f
■ Wi^W, ,
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