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Full text of "La rhetorique ou L'art de parler"

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L  A 


RHETORIQUE 


L'ART  DE  PARLER. 

As*  h  R.P.  Br^s.ii^.o  r,f  M... 

Prêtre  de  fOratoiri. 

CfD^i^e  Edition,  revùë  8e  augmentée^ 
où  l'on  a  ajouté  fes 

NoUVEtLF.5      R  V.r  Li    ;-;  ^  :■ 

SUR  l'Art  Poëtiqjjb. 


Hiez la  Veure  de  Paoi,  Marret» 
dans  le  Beutsftraat. 


t    f 


•  '<! 


•  j  •  f  I 


SON  ALTESSE  ROYALE 
MONSEIGNEUR    LE   DUC 

DE  CHARTRES*, 


Monseigneur, 

Si  l'entreprife  li'avoit  pas  àé  toi  deffm  de 
«esfvrcts ,  au  lieu  de  lArt  de  Parler,  fau- 
iii!  offert  à  VOTRE  ALTESSE 
Totale  celui  défaire  des  a£he»i  dignes 
itfon  rang.  Mais  Elle  peut  "joir  Elle-même 
'iani  la  perfonae  du  Prince  incomparable  qui 
<«>  a  donne'  la  naijfance^  une  image  des  ver^ 
In  héroïques  de  fes  illuflres  Ayeux  ,  &  en 
i^me  temp  hs-grandi  exemples  qu'elle  doit 
*  2  /m- 

•  Ce/lprefentement  Mi,  le  Doc  d'Oïlcans. 


> 


E  P  I  T  R  E. 

fuivre.  Le  feulfouvenir  de  h  fameufe  jom 
née  de  Mont-Cajfeli  f  eut  fuffire  pour  lui  n 
fref enter  ce  que  la  prudence  (y  lavaletirpeu 
vent  faire  y  &  ce  qu'elle  doit  faire  hrfqu'eL 
fera  un  jour  à  la  tête  des  armées  du  Roi, 

Il  efi  donc  plus  à  propos  ,  MON  S  El 
G  NE  UR  9  que  je  me  contente  d'offrir 
VO  TRE  AL  TESSE  ROTA  LE  l'Ar 
de  Parler^  àprefent  qti  elle  s'applique  à  Fé 
tude  des  belles  Lettres,  Je  traite  cet  Art  d'u 
ne  manière  particulière  :  &  ceux,  qui  voudron 
bien  jetter  les  yeux  fur  mon  Ouvrage  y  recon 
noztront  qtte  le  dejjein  que  j'ai  pris ,  peut  êtr 
utile  pour  former  l'efprit  ,  &  faire  prendr 
l  habitude  de  juger  des  cbofes  par  des  princi 
pes  clairs  (jX  Joli  des. 

Ce  neft  pas  un  grand  mal  de  prendre  dan 
la  Profe  Ou  dans  les  Vers ,  pour  une  veritabl 
beauté  ce  qui  n*efl  qn  un  faux  brillant;  mais 
MONSEIGNEUR  ,  //  ny  a  rien  d 
plus  important  à  un  Prince  »  que  de  s'accou-. 
tumer  de  bonne  heure  à  juger  des  chofes  pa\ 
des  principes  fondes.  Je  n  avance  rien  dom 
je  ne  recherche  les  caufes  »  dont  je  ne  tâche  di 
rendre  raifon.  Peut-être  que  mes  reflexion, 
paroitront  trop  élevées  pour  ceux  qu'oruinf 
fruit  dans  les  Collèges;  mais  y  Mcnfeigneur 
VOTRE  ALTESSE  ROYALE  eji 

aujfi 


'a 


E  P  1  T  R  E. 

atft  difiinguée  de  ceux  de/on  âge  par  fonju^ 
ffment  ^  pnrfa  vivacité  y  que  par  fa  natf^ 
famé:  ce  que  je  ne  dif  pas  pour  la  louer.  Je 
fat  quelle  îCaime  pas  tes  loUanges ,  &  quel'' 
le  eft  perfuadée  qu^un  Prince  les  doit  merit  r, 
maii  quil  en  doit  faire  peu  de  cas  y  puifque 
la  plupart  de  ceux  qui  le  loUent ,  quand  il 
fait  bien  y  fer  oient  fbuvent  prêts  à  lui  donner 
les  mêmes  louanges  Cil  faifvit  mal.  Mais 
^uil  nous  f  oit  au  moins  permis  (T admirer  dans 
V.A,R,  ces  belles  inclinations  qui  nous  font 
concevoir  de  fi  grandes  efperances.  Il  mejem'* 
Ut  voir  dans  un  agréable  Printemps  des  ar^ 
kes  couverts  de  fleurs.  On  ne  fe  peut  rien 
imaginer  de  plus  beau.  Ces  fleurs  néanmoins 
Me  font  pas  encore  les  fruits  qu*on  attend.  Il 
J  a  bien  des  accidens  à  craindre. . 

Monfeigneur  y  V.  A.  R.  eft  élevée  trop 
chrétiennement  pour  ne  pas  favoir  que  fi  fa 
condition  l'élevé  y  elle  Fexpofe  à  de  grands 
dangers.  Les  obligations  des  Grands  font  gran^ 
des.  Dieu  ti  a  pas  fait  le  refte  des  hommes 
fourfervir  à  leur  grandeur.  Us  nefe  doi^ 
vent  regarder  que  comme  de  grands  in  fi  rumens 
dont  ilfe  fert  pour  faire  de  grandes  ch<fes. 
Ses  deffeins  fur  eux  font  admirables  y  puifque 
pour  fanSîifier  tout  un  Royaume ,  en  bannir 
les  duels  9  fherefie  y  Pinjuftice  y  ilfufftt  qnil 

*  i  Me 


E  P  I  T  R  E. 

fajje  naître  un  Prince  qui  ait  de  îa  fieté. 

J/ous  le  voyez,  de  près  y  Monfeigneur  ^  dans 

le  plus  farfait  modèle  que  V,  A,  R,  fe  puijfe 

propofer;  (y  pour  peu  cC attention  quellefajfe 

fur  fes  prx>pres  lumières  y  elle  verra  elle-mê" 

me  toutes  les  veritez^  qu*elle  doit  connoztre, 

C*efl  làfon  principal  devoir  y.  d\'couter  Dieu 

qui  Vinjiruit  intérieurement.     Tout  tire  un 

Prince  hors  de  lui-même  i  les  affaires ,  les  di' 

vertijfemens  ;  cependant  ce  n\Ji  que  dans  le 

fond  du  cœur  que  s'entend  la  Vérité:  leshom^^ 

mes  r  ignorent  y  ou  ils  la  cachent  y  il  faut  /V- 

souter  elle-même  y  &  fe  faire  àfon  langage^ 

qu*on  comprend  plus  facilement  lorfquon  a 

fris  rhabittide  de  la  confulter  dans  les  moin^ 

dres  chofes.     Oeft  à  quoi  pourra  fervir  lepe* 

fit  Ou^age  que  f  offre  àV.A.R.  J'efpere 

qu^ellê  voudra  bien  s' en  fervir  y  &  qu^elle  li 

recevra  comme  une  marque  de  mon  z,eley  & 

du  profond  refpeSl  avec  lequel  je  fuis  ^ 


MONSEIGNEURy 


DE  VOTREMiLTBSSE  ROYALEy 

De  p«i«  le  20  Le  très-humble  &  le  très-obéïf- 

Ji4Ucti6f7.  fant  Serviteur ,   B.  Lamt. 

Prêtre  de  TOratoirc. 


T'^îï^£^^£^^£^  «^^[^^tfktfijAç#^^ 


î  K  E'  F  A  C  E. 


jE  mot  de  Rhétorique  n*a point  d*au- 
itre  idée  dans  la  langue  Grecque  d'où 
Y\\  cft  emprunté ,  que  c*cft  T Art  de 
'  dire  ou  de  parler.  11  nVft  pas  ne- 
ccffaîre  d'ajouter  que  c'cft  PÂrt  Je  bienparler 
four  ferfitaaer.  11  eft  vrai  que  nous  ne  parlons 
'que  pour  faire  entrer  dans  nos  femimens  ceux 
qui  nous  écoutent;  maïs  puifqu'il  ne  fiaut 
^oint  d'Art  pour  mal  faire,  &  que  c'eft  tou- 
jours pour  aller  à  fes  ans  qu'on  TemploYe, 
lemot  d'Art  dît  fuffifanunenc  tout  ce  qu^oa 
voudroit  dire  de  plus. 

Rien  de  fi  important  que  de  lavoir  perfua- 
der.  C'eft  de  quoi  il  s'agit  dans  le  commerce 
du  monde:  auffirien  de  plus  utile  que  la  Rher 
torique  ;  &  c'eft  lui  donner  des  bornes  trop 
étroites  que  de  la  renfermer  dans  le  Barread 
&  dans  les  Chaires  de  nos  Eglifés.  J'avoue 
qu'elle  éclate  en  ces  lieux.  C'eft  le  plaifir 
d'entretenir  un  grand  auditoire  dont  on  eft 
admiré ,  qui  fait  qu'on  l'étudié ,  &  qu'on  re- 
cherche avec  empreflèment  les  Livres  qui  l'en- 
feignent.  On  s'en  dégoûte  bien- tôt  de  ces  Li- 
vres ,  quand  on  reconnoît  que  pour  les  avoir 
lus ,  on  n'eft  pas  devenu  plus  éloquent  ;  préoc- 
cupe*  mal-i-propos  que  [cela  dévoie  être  y 

*  4  açtU 


PREFACE. 

après  avoir  compris  les  préceptes  de  la  Rhé- 
torique, comme  s'il  fuffifoît  de  lire  un  Livre 
dé  î)eînture  pour  être  un  excellent  Peintre. 
Une  Rhétorique  peut  être  bien  faite  fans 
qu'on  en,  retire  du  fruit,  lorfqu'on  ne  joint 
poiar  à  la  leâure  de  ces  règles  celle  des  Ora- 
teurs, &  rcxercice.  Néanmoins  on  ne  peut 
diflimuler  que  de  la  manière  qu'on  la  traite , 
elle  eft  prefque  inutile;  car  outre  qu'on  n'y 
rend  point  de  raifon  de  ce  que  Tonenfeigne, 
il  femble  qu'elle  ne  foit  faite  que  pour  ceux 
qui  parlent  dans  uii  Barreau,  à  qui  même  el- 
le fert  peu,  n'ouvrant  leur  :efprit  que  pour 
trouver  des  chofes  triviales  qu'ils  auroientpû 
Ignorer,  &  qu'il  faudroit  taire,  comme  nous 
le  remarquons  en  expliquant  fommairement 
les  Lieux  Communs,  qui  font  laplus grande 
partie  des  Livres  de  Rhétorique. 
,  Quoi  qu'il  en  foit  de  ces  Livres,  l'Art  de 
parler  eft  très-utile,  &  d'tm  ufage  fort  éten- 
du. 11  renfernietout  ce  qu'on  appuie  en  Fran- 
çois Belles  Lettres  :  en  Latin  &  en  Grec  Phi^ 
hlogie ,  ce  mot  Grec  fîgniâe  t* amour  des  mots. 
Savoir  les  Belles  Lettres ,  c'eft  favoir  parler, 
écrire,  ou  juger  de  ceux  qui  écrivent-  Or 
cela  eft  fort  étendu;  car  l'Hiftoire  n'eft  belle 
&  agréable  que  lorfqu'elle  eft  bien  écrite.  Il 
n'y  a  point  de  Livre  qu'on  ne  lifeavecplaifîr 
jquand  le  ftile  en  eft  beau.  Dans  la  Philofo- 
phîemême,  quelque auftere  qu'elle  foit,  on 
y  veut  de  la  politefle.  Ce  n'eft  pas  fans  rai- 
îbn;  car,  comme  je  crois  l'avoir  dit  ailleurs, 
d'éloquence  eft  dans  les  Sciences  ce  que  le  So- 
leil eft  dans  \%  monde.  Les  Sciences  ne  font 

que 


£  .    .        # 


PREFACE. 

lie  ténèbres ,  fî  ceux  qui  les  traitent  ne  JBi« 

Œt  pas  écrire. 

L'Art  de.  parler  s'étend  ainfi  à  toutes  cho- 
es.  Il  e(l  utile  aux  Philofophes,  aux  Mathé- 
maticiens. La  Théologie  en  a  befoin,  puis- 
qu'elle ne  peut  expliquer  les  veritexfpirituel- 
les,  qui  font  Ton  objet,  qu'en  les  revêtant  de 
paroles  feniibles.  Certainement  nous  aurions 
on  plus  grand  nombre  de  bons  Ecrivains  (ion 
avoit  découvert  les  véritables  fondemens  de 
cet  Art. 

Ce  qui  eft  d'une  grande  confideratîon,  c'eft 
que  l'Art  de  parler,  traité  comme  il  le  doit 
être,  pent  donner  de  grandes  ouvertures  pour 
l'étude  de  toutes  les  langues ,.  pour  les  parler 
purement  &  poliment,  pour  en  découvrir  le 
geoie  &  la  beauté.  Car  quand  on  a  bien  con- 
çu ce  qu'il  faut  faire  pour  exprimer  fes  pen- 
fees,  &  les  diflerens  moiens  que  kinature 
I      donne  pour  le  faire,  on  a  une  connoiflfance 


I 


générale  de  toutes  les  langues,  qu'il  eft  faci- 
le d'appliquer  en  particulier  à  celle  qu'on  vou- 
dra apprendre.  Celafe  verra  évidemment  dans 
la  ledure  de  l'Ouvrage  que  je  donne  au  pu- 
blic^ dont  voilà  le  plan. 

J'explique  d'abord  comme  fe  forme  la  pa- 
role; &  pour  aprendre  de  la  nature  même  la 
forme  que  doivent  avoir  les  paroles  pour  ex- 
primer nos  penfées ,  &  les  mouvemens  de  no- 
tre volonté  ,  je  me  propofe  des  hommes  qui 
viennent  nouvellement  de  naître  dans  un 
nouveau  monde,  fans  connoître  l'ufage  de 
la  parole.  J'étudie  ce  qu'ils  feroient,  &  je 
montre  qu'ils  s'appcrcevroient  bien-tôt  de  l'a- 

*  5*  van- 


P  RE  F  A  CE. 

TWitagc  de  la  parok,  &  qu'ils  fe  fcroîentun 
langage.  Je  recherche  quelle  fortune  ils  lui 
donneroient,  &  par  cette  recherche  je  décou- 
vre le  fondement  de  toutes  les  langues,  &  je 
rends  raifon  de  toutes  les  règles  qu'ont  pref- 
crît  les  Grammairiens.  Cette  recherche  pa- 
foîtroît  peu  confiderable,  fi  Ton  n'apperce- 
voît  pas  qu'elle  eft  utile  pour  apprendre  les  lan- 
gues avec  plus  de  facilité,  &  pour  juger  de 
leur  beauté.  C'eft  pourquoi  je  n'appréhende 
pas  que  ceux  qui  aiment  qu'on  traite  les  cho- 
fes  folidement,  foîent  rebuter  de  voir  qu'on 
parle  dans  le  premier  Livre  denomsfubftan- 
tifs,  de  verbes,  de  déclinaifons ,  &  de  con- 
jugatfons.  Il  n'y  a  que  ceux  qui  s'imaginent 
que  l'Art  de  parler  ne  doit  traiter  queues  or- 
nemens  de  réloquence ,  qui  puiflent  con- 
damner la  méthode  que  je  fuis.  Il  ne  faut  pas 
commencer  à  bâtir  une  maifon  par  le  faite. 
Quîntilien  ,  le  premier  Maître  de  Rhétori- 
que, dit  qu'il  en  eft  de  ces  chofes  comme  des 
fondemens  d'un  Edifice,  qui  n'en  font  pas  la 
partie  la  moins  necefifaire,  quoiqu'ils  ne  pa- 
roiflènt  point.     '^ 

Après  que  ces  nouveaux  hommes  ont  joué 
leur  perfonnage,  je  déclare  quelle  a  été  la 
véritable  origine  des  laneues.  Je  fais  même 
dans  la  fuite  de  mon  Ouvrage  un  aveu  qui 
femble  être  une  contradidion  à  ce  que  je  dis 
de  ces  hommes  ;  car  je  demeure  d'accord  de 
ce  qu'un  Auteur  habile  vient  de  foûtenir,  que 
fi  Dieu  n'avoit  appris  aux  premiers  hommes 
ï  articuler  les  fons  de  leur  voix,  ils  n'auroicnt 
jamais  pu  former  de  paroles  diftinâes.  Mais 

on 


PREFACE. 
tnfalt  que  les  Géomètres  fuppolènt  des  cho- 
fes  qui  ne  font  point ,  &  que  cependant  ili 
€D  tirent  des  confequences  fort  utiles.  I>ins 
la  fuppofition  que  je  faifois  donc  que  cet 
hommes  euilènt  fli  articuler,  c*eft-àdire, 
prononcer  les  différentes  lettres  de  Falphar 
bety  qneftion  que  je  n'examinois  point  alors, 
j'ai  pfl  confiderer  quelle  forme  ils  auroient 
donné  à  leurs  paroles ,  pour  marquer  leurs 
différentes  penH^es*. 

11  eft  confiant ,  &jeîe prouve,  quecen'efl 
point  le  haiard  qui  afait  trouver  aux  hommes 
Tafage  de  la  parole.  Je  fais  voir  néanmoins 
que  Te  langage  dépend  de  leur  volonté ,  & 
que  Tufàge  ou  le  confentement  commun  des 
hommes  exerce  un  empire  abfolu  fur  les 
mots  ;  c*eft  pourquoi  après  que  j'ai  montré 
quelles  font  les  loix  que  laRaifon  prefcrit, 
je  donne  des  règles  pour  connoître  quelles 
font  les  loîx  de  Tufage,  &  ce  qu'il  faut  faire 
pour  diftinguer  ce  que  l'ufage  autorifeefieâi* 
vement. 

Je  fais  remarquer  dans  le  fécond  Livre  que 
les  langues  les  plus  fécondes  ne  peuvent  four* 
nîr  tous  les  termes  propres  pour  exprimer  nos 
idées,  &  qu'ainfi  il  faut  avoir  recours  à  l'ar- 
tifice ,  empruntant  les  termes  des  chofes  à 
peu  près  femblables ,  ou  qui  ont  quelque  liai- 
ion  &  quelque  rapport  aveclachofe  que  nous 
voulons  fignifier,  &  pour  laquelle  Tufage  or- 
dinaire ne  donne  point  de  noms  qui  Iqiioient 
propres.  Ces  expreffions  empruntées  fe  nom- 
ment Tropes.  Je  parle  de  toutes  les  efpeces 
de  Tropes  qui  font  les  plu«  confiderablcs ,  & 
de  leur  ufage.  *  6  Le 


PREFACE. 

•  Le  corps  eft  fait  de  manière  que  naturelle- 
ment il  prend  des  poftures  propres  à  fuir  a 
qui  lui  peut  nuire,  &  qu'il  fe  difpofe  avanta- 
geufement  pour  recevoir  ce  qui  lui  fait  du  bien< 
Je  remarque  dans  ce  même  Livre  que  la  na- 
ture nous  porte  pareillement  à  prendre  de  cer- 
tains tours  en  parlant ,  capables  de  produire 
dans  Tefprit  de  ceux  à  qui  nous  parlons,  les 
cffeès  que  nous  fouhaitons,  foit  que  nous  vou- 
lions les  enflammer  de  colère,  ouïes  calmer 
Ces  tours  fe  nomment  Figures.  Je  traite  de 
ces  Figures  avec  foin ,  ne  me  contentant  pas 
de  propofer  leurs  noms  avec  quelques  exem- 
ples, comme  on  le  fait  ordinairement:  je  fais 
connoître  la  nature  de  chaque  Figure,  ficTu- 
ûge  qu'on  en  doit  faire. 

J'entre  dans  un  grand  détail  dans  le  troîfié- 
me  Livre.  J'explique  encore  avec  plus  de  foin 
que  je  n'ai  pas  fait  dans  le  premier  Livre, 
comment  feforme  laparole  &  le  fonde  cha- 
que lettre.Ge  n'eft  pas  que  je  croie  que  fans  cet- 
te connoiffance  on  nepuiffe  point  parler.  On 
apprend  la  langue  de  fon  païs  fans  Maître, 
&  il  efl  plus  facile  d'en  prononcer  les  termes, 
que  de  concevoir  comment  fe  fait  cette  pro- 
nonciation. Cependant  les  réflexions  que  je 
fais  font  utiles  &  neceflaires  pour  avoir  une 
connoiflance  parfaite  de  l'Art  de  parler.  Je 
confîdere  donc  dans  ce  Livre  la  parole  entant 
qu'elle  eft  fon.  Je  traite  de  l'arrangement  des 
n^ots  qui  eft  neceffaire  ,  afin  qu'ils  fe  pro- 
noncent facilement.  Je  parle  des  périodes  : 
j'explique  l'Art  Poétique,  c'eft- à-dire,  l'art 
de  lier  le  difcours  à  de  certaines  mefures  qui 

It 


P  RE  FA  C  K 

k  rendent  harmonieux.  Il  n^y  a  rien  dans  cet- 
te matière  dont  je'ne  faffe  voir  les  caufes  t- 
vec  aflèz  d'évidence;  ce  que  je  n'aurois  pas 
pû  faire  fî  je  n'étois  entré  dans  un  détail  qu  on 
jugera  utile,  lorfqu'on  appcrcevra combien  il 
peut  donner  d*ouvertures  pour  TArt  de  par- 
ler. La  douceur  de  la  prononciation  eft  la 
caufe  de  ce  grand  nombre  a  irregularitez  qu'on 
voit  dans  toutes  les  langues.  Je  le  fais  voir, 
&  je  découvre  en  même  temps  comment  les 
différentes  manières  de  prononcer ,  corrom- 
pent une  langue,  &  font  que  d'une  il  s'en  fait 
plufîeurs. 

Le  quatrième  Livre  traite  des  fiiles  ou  ma- 
nières de  parler  que  chacun  prend ,  félon  Jes 
inclinations  &les  difpofîtions  naturelles 'qu'il 
a.  Je  fais  voir  qu'il  faut  que  la  matière  règle 
le  ftîle,  qu'on  doit  s'élever  ous'abaiflèr  félon 
qu'elle  eft  relevée,  ou  qu'elle  eftballè,  &que 
la  qualité  du  difcours  doit  exprimer  la  qualité 
du  fujet.  J'examine  quel  doit  être  le  ftîledes 
Orateurs,  des  Poètes,  des  Hiftoriens,  des 
Philofophes.  Après  quoi  je  traite  des  orne- 
mens  ;  &  je  montre  que  ceux  qui  font  natu- 
rels ,  folides ,  véritables ,  font  une  fuite  de  l'ob- 
fervation  des  règles  qui  ont  été  propofées  ; 
qu'un  difcours  eft  orné  lorfqu'il  eft  exaô. 

La  fin  de  la  Rhétorique  c'eft  de  perfuader, 
comme  on  l'a  dit.  L'expérience  fait  connoî- 
tre  qii'il  y  a  des  manières  de  dire  les  chofes 
^uî  gagnent  les  cœurs.  J'explique  ces  maniè- 
res dans  le  dernier  Livre;  &  c'eft  là  que  je 
rapporte  en  abrégé  tout  ce  qui  &it  le  gros  des 
Rhétoriques  ordmaires.-  On  y  traite  avec  é- 

ten- 


PREFACE. 

tendue  des  chofes  peu  importantes.  JelespaC- 
fe  légèrement,  &  je  m'arrête  à  d'autres  plus 
îiecefTaires,  dont  on  ne  parle  point.  Je  fais 
voir  que  TArtdeperfuader  demande  descon- 
îioiffances  particulières  qtfil  faut  apprendre 
ides  autres  Sciences.  Mais  quoi  que  je  re- 
connoiffe  qu'on  ne  peut  traiter  cet  Art  à  fond 
dans  une  Rhétorique ,  cependant  j'indique  les 
fources,  &  peut- Stre  que  ce  que  j'en  dis,  fatîs- 
fera  autant  que  bien  de  gros  volumes  qu'on  a 
fait  fur  cette  matière. 

Quand  cette  nouvelle  Rhétorique  ne  don- 
neroit  que  des  connoifTances  fpeculatives  qui 
ne  rendent  pas  éloquent  celui  qui  les  pofle- 
de;  la  leâure  n'en  feroit  pas  inutile.  Car 
pour  découvrir  la  nature  de  cet  Art ,  je  fais 
plufieurs  reflexions  importantes  fur  notre  ef- 
prit,  dont  le  difcours  eft  Tîmage,  qui  pou- 
vant contribuer  à  nous  faire  entrer  dans  la  con- 
noilOTance  de  ce  que  nous  fommes ,  méritent 
que  l'on  y  faflè  attention.  Outre  cela,  je 
fuis  perfuadé  qu'il  n'v  a  point  d'efprit  curieux 
^ui  ne  foit  bien  aife  de  connoître  ks  raifons 
que  l'on  rend  de  toutes  les  règles  que  l'Art  de 
parler  prefcrit.  Lorfque  je  parle  de  ce  qui 
plaît  dans  le  difcours,  je  ne  dis  pas  que  c'eft 
Hn  je  ne  fat  quoi  ^  qui  n'a  point  de  nom;  je  le 
homme,  &  conduifant  jufquesà  la  fourcede 
ce  plaifîr,  je  fais  appercevoir  le  principe  des 
règles  que  fuivent  ceux  qui  font  agréables. 

Cet  Ouvrage  fera  donc  utile  aux  jeunes  gens 
qu'il  faut  accoutumer  d'aimer  la  Vérité ,  de^ 
confulter  la  Raifon  pour  penfer  &  agir  feloii 
(alumiere.    Les raifoonemens  que j« faîs ne~ 

font 


PREFACE, 
font  point  abftraîts.  J'ai  tâché  de  conduire 
l'cfprît  à  la  connoîflkncc  de  TArt  que  j'en- 
fcîgnc ,  par  une  fuite  de  raîfonnemens  faciles  ; 
ce  que  les  Maîtres  ne  font  pas  avec  ztkz  de 
foin.  L*on  fe  plaint  tou$  les  jours  qu'ils  ne 
travaillent  point  àrendrejuftel'cfpritdeleurs 
dîfdples;  ils  les  inftruifent  comme  Ton  fe- 
roît  déjeunes  Perroquets: ils  ne  leur  appren« 
nent  que  des  noms:  ils  ne  cultivent  point  leur 
jugement,  en  les  accoutumant  àraifonnerfur 
les  petites  chofes  qu'ils  leur  cnfeignent  ;  d'où 
vient  que  les  Sciences  gâtent  fouventrefprît, 
au  lieu  de  le  former. 

Les  exemples  feroient  neceflaircs;  j'enau- 
roîs  donné  davantage  ii  je  n*avois  crains  de 
groffir  mon  Ouvrage.  Les  Maîtres  pourront 
aifément  y  fuppléer,  &  ils  le  doivent  faire; 
car,  comme  faint  Auguftin  le  remarque  trcs- 
judicieufemcnt,  quand  on  a  un  peu  de  feii, 
on  profite  beaucoup  plus  en  lifant  une  pièce 
d'éloquence,  qu'en  apprenant  par  coeur  des 
préceptes.  Si  acutum^fervensadfit  ingenium^ 
faciliùs  adharet  eloquentia  legentibus  Çsf  audien^ 
tibus  éloquentes  quàm  eloquentia  pracepta  fec^ 
tantîbus.  11  faut  donc  que  les  Maîtres  faffent 
lire  à  leurs  difciples  les  excellentes  pièces  d'é- 
loquence, &  qu'ils  ne  fe  fervent  de  la  Rhé- 
torique que  pour  leur  faire  remarquer  les  traits 
éloquens  des  Auteurs  qu'ils  leur  font  voir  ; 
ce  qui  ne  fe  peut  bien  faire  qu'en  lifant  les 
pièces  toutes  entières.  Les  parties  détachées 
qu'on  en  propofe  pour  exemple ,  perdent  leurs 
grâces  quand  elles  font  hors  de  leur  place: 
feparécs  4u  refte  du  corps,  elles  font,  pour 

ainii 


] 


P  R  E  FÀ  C  R; 

tiînfî  dire,  fans  vîe.  Mon  Ouy^fege,  comme 
je  Taî  înfinué,  ne  regarde  pajrfeulemcnt  les 
Orateurs,  mais  généralement  tous  ceux  qui 
parlent  &  qui  écrivent,  les  Poètes,  les  Hif- 
toriens  ,  les  Phîlofophes  ,  les  Théologiens. 
Quoique  j'écrive  en  François,  j'efpere  que 
mon  travail  fera  utile  pour  toutes  les  lan- 
gues. 

Au  refte  ce  n'eft  pas  feulement  une  nouvel- 
le Edition,  mais  un  Ouvrage  tout  nouveau 
que  je  publie.  J*ai  refondu  Tancîen,  je  l'ai 
retouché  par-tout,  augmenté  de  nouvelles 
réflexions,  d'exemples.  Depuis  l'Edition  pré- 
cédente, qui  étoitla  quatrième,  il  a  paru  piu- 
fieurs  excellens  Livres  dont  j'ai  profité.  Je 
publiai  la  première  fois  cet  Ouvrage  lorfque 
j'étoîs  jeune.  Ce  fut  peut-être  pour  m'ani- 
mer  à  travailler  avec  plus  d'application ,  que 
des  perfonnes  d'un  mérite  rare  en  approuvè- 
rent les  premiers  effais.  Mais  enfin  cela  me 
donna  la  hardieffe  de  le  faire  paroître.  C'eft 
un  avantage  à  un  Livre  que  fon  Auteur  fur- 
^  vive  affez  de  temps  après  les  premières  Edî- 
*  tions ,  pour  qu'il  le  puîffe  corriger  fuîvant  les 
avis  de  fes  amis,  lesfentimens  du  public  ;  & 
ce  Que  lui-même  il  peut  penfer  aiant  atteint 
un  âge  où  il  doit  être  plus  capable  de  juger. 


TABLE 


T     A    B    L 

DES 

LIVRES  ET  CHAPITRES. 


LIVRE    PREMIER- 

Ch  A  PI  T  R  B  I.  T\Es  orgams  de  U  voix.  Comment 

i^   fe  forme  la  paroh»         Pag.f 

<Ih.  II.  Lm  parole  eft  un  tableau  de  nos  penftes.  A" 
vant  que  de  parier  il  faut  former  dans  fon  efprit 
le  deffein  de  ce  tableau.  % 

Ch.  lll.  La  fin  if  la  perfeêiion  de  PArt  de  parler 
confifient  à  reprefenter  avec  jugement  ce  tableau 
fù*vn  a  formé  dans  l'efprit,  7 

Ch.  IV.  La  manière  la  plus  naturelle  de  faire  con* 
mître  ce  qu'on  penfe,  c^eji  par  les  dinerens  font 
de  la  voix.  Comment  le  fer  oient  des  hommes  qui 
nûijfant  dans  un  âge  avancé ,  mais  /ans  [avoir  ce 
que  c*eji  que  parler  >  fe  trouveroient  enfemhle,    i } 

Ch.  V.  Ces  nouveaux  hommes  pourvoient  trouver 

une  manière  d'écrire.    Celle  que  nous  avons  ejl  due 

aux  antiens  Patriarches,  1 7 

Ch.  VI.  Pour  marquer  les diferens  traits  du  tableau 

dont  on  a  formé  le  deffein  dans  f  efprit  y  on  a  befoin 
de  mots  de  diffèrens  ordres,  *  J 

C  H.  VIL  Réflexion  fur  la  manière  dont  en  chaque 
langue  on  fi  fait  des  termes  pour  s^ exprimer.  Ces 
reflexions  conviennent  à  PArt  de  parler,  a 8 

Ch.  VIII.  Des  Noms  Subftantifs  &  Adjeélifs^  des 

articles  y  du  nombre  é^  des  cas  des  Noms,  3  S 

Ch.  IX.  DesVerbes^dekursperfonnesydeleurstemps^ 

de  leur  s  modes  t  de  leur  voix  aélive&pajpve.  38 
Ch.  X.  Ce  gr  and  nombre  de  déclinai fons  des  noms  ^  é* 
de  conjugai/ons  des  verbes  n'efi  point  abfolument  ne» 
cejjaire,  Propqption  d^une  nouvelle  langue  ^  dont  la 
Grammairefepourroit  apprendre  en  moins  d^une  heu^ 
re.      .  4^ 

C  Ji.  XL  Comment  ton  ftut  exprimer  toutes  les  ope» 


TABLE  DES  CHA-PTTRES. 

rût'wns  de  notre  efpritt  &  ies pajjkns  ou  affeÛions 

de  nôtre  volonté ^  j"! 

Ch.  XII.  Coitjîituéiion  des  mots  enfembh.  Il  faut  ex» 
'  frimer  tous  les  traits  du  tableau  qu  on  a  formé  dam 

fin  e/prit.  $1 

Ch.  XlII.  "Détordre  is^  deV  arrangement  desmots.  6\ 
Ch.  XIV.  De  la  rtetteté  ^  ,&  des  vices  qui  lui  font 

oppo/ez,  70 

•G  H.  XV.  De  la  véritable  origine  des  langues^  7^ 
C  H.  XVI.  Uufage  eft  le  maître  des  langues.    Elles 

s^  apprennent  par  tuf  âge,  88 

Ch.  XVII.  //jf  à  un  bon  it  umnauvais  ufage.  Ro' 

gles  pour  en  faire  la  dijlinéiion,  95 

C  H.  XVIII.  De  la  pureté  du  langage.    En  quoi  elle 

conjifle.  Ce  jque  c*eji  que  l'élégance»  ^8 

'C  H.  aIX.  De  laperfehion  des  langues,  VUebrdtquea 

été  parfaite  dès  fa  première  origine,  Ceft  à  elle  que 

toutes  les  autres  doivent  leur  première  perfeSlion^ 
.Quand é^ comment  la  Grecque  iefiperfeSiiomiie»  10/ 


LIVRE    SECOND, 

CfHAPlTiiE  I.  \Es  marnes  cbofes  peuvent  êtn  eonçBet 

différemment  :  ee  que  la  parole  ,  qui 
eft  t image  de  tefprit  ^  doit  marquer,  i  li 

CIh.  il  lln^y  a  point  de  langue  ajfez  riche  &  ajjez 
abondante  pour  fournir  des  termes  capables  d*èxpri' 
mer  toutes  les  différentes  faces  fous  lefquelléstejprit 
peutfe  reprefenter  une  même  cbofe.  Il  faut  avoir 
recours  à  de  certaines  façons  de  parler  qtton  appel' 
le  Tr  opes,  dont  on  explique  ici  la  nature  et  t  inven- 
tion. 117 

C  H.  III.  Lifte  des  efpeces  de  Tropes  qui  font  les  plus 
confiderables,  1 1 9 

C  H.  IV.  Les  Tropes  doivent  être  clairs,  1 17 

Ch.  Vi  LesTropes doivent  être  proportionnez àVidée 
qu*on  veut  donner.Cette  idée  doit  être  raifonnable sii 

Ch.  VL  Utittté  dèsl^opis.  M4 

C»kv,VlL 


TABLE  DES  CHAPITRES. 

Ch  A  p.  VII.  L€S  pajjions  ont  un  lanjûge  parficuiier* 
Les  exprefftons  »  qui  Jont  les  caraaeres  des  pajjions^ 
font  appe liées  Figures.  1 3$ 

Ch.  Vin.  Les  Figures fintMiiles&neceJfalres,     140 

Ch.  IX.  LiJIe  des  Figures,  14^ 

Ch.  X.  Le  nombre  des  Figures  efl  infinie  Chaque  F!" 
gurefe  peut  faire  en  cent  différentes  manières,  16$ 

Ch.  XL  Les  Figures  Jwt  comme  les  armes  de  Vame<* 
Parallèle  d un  Soldat  qui  combat  •^  avec  un  Orateur 
qui  parle»  1 7 1 

C  H.  aIL  Les  Figures  éclaircijfent  les  veritez  obfcw- 
res ,  &  rendent  Vejprit  attentif,  i7f 

Ch.  XIII.  Les  Figures  font  propres  à  exciter  lespaf» 
fions,  178 

Ch.  XIV.  RefUxiott fur  le  bon  ufage  des  Figures.  iS^ 

LIVRE    TROISIE'ME. 

Chapithe  I.  'r\£//J/»  de  ce  Livre.    On  y  traite  dk 
mJ    la  partie  matérielle  de  la  parole  » 

c'eft'à  dirct  des  fins  dont  les  paroles  font  compofées. 

On  décrit  comment  fe  forment  ces  fons.  187 

Cfl.  II.  De^  lettres  dont  les  mots  font  compo/èx,.  Fre* 

mierement  des  vsyeîks. Comment  leur fmk  forme.  1 9  7 
Ch.  III.  DesConfones,  Comment  elles  fe  forment,  lot 
Ch.  IV.  De  Par  rangement  des  mots.  Ce  qu^ily  faut 

obfirver  ou  éviter.  114 

C  H.  V.  En  parlant  la  voix  fe  repefe  de  temps  en 

temps.    On  peut  commettre  piufieurs  fautes  en  pla  - 

çant  mal  les  repos  de  la  voix.  120 

Ch.  VI,  Les  mots fint  des  fons.  Conaitions  neceffai^ 

res  aux  fons  pour  être  agréables.  128 

C  h.  VII.  Ce  que  les  oreilles  diflinguent  dans  le  fin 

des  paroles  y  &  ce  qu'elles  y  peuvent  appercevoir  a* 

vecpla'ifir,  234 

Ch.  VI II.  Comment  il  faut  dijîribuer  les  interval* 

les  de  la  réfpiration  9  afin  que  les  repos  de  la  voix  • 
fiient  prepersiennez.  Cojnpofition  des  Périodes.  2^9 

CHàP.lX* 


TABLE  DES  CHAPITRES. 

'Chap.  TX.  Ds  r arrangement  figuré  des  mots.  En 
quoi  confifie  cela,  24f 

Ch.  X.  De  la  mefuredu  temfs  qu  une  Jyllabe  fe  peut 
prononcer.  De  la  JlruHure desVers,  ifj 

*Ch.  XI.  Desmefures^  ou  pieds  dont  les  Grecs  &  les 
Latins  compofent  leurs  Vers,  2  fj 

C  H.  XII.  En  quoi  cotjfijîe  Végafitê  des  me  fur  es  des  Vers 
Grecs  &  Latins  5  ou  ce  qui  fait  cette  égalité.  2  6 1 

•Ch.  XIII.  "De  la  variété dtsmefurfs y  é^ de T alliance 
de  r  égalité  avec  cette  variété.  Comme  fe  trouve  Pune 
&  Pautre  cbofe  dans  les  Vers  Grecs  et  Latins.  264 

C-H.  XIV.  Les  premières  Pcèjîes  des  Hébreux ,  <èfde 
toutes  les  autres  Nations ,  n^ont  été  vrai  fcmblabU- 
ment  que  des  rimes  dans  leur  commencement,      ifp 

C  H.  XV,  Df^  la  Pû'èfie  trançoife ,  &  de  celle  de  tou' 
tes  les  autres  Nations  qui  ont  des  rimes,  ijf 

C  H.  X VL  Jlj  a  une  fympatbie  merveilkufe  entre  no* 
tré  ame  et  la  cadence  du  difcours ,  quand  cette  ca^ 
dence  convient  à  ce  qu'ail  exprime,  2  8a. 

C  H.  XVII.  Moiens  de  donner  à  un  difcours  une  en- 
denee  qui  réponde  aux  cbofes  qulljîgnifie.  2S(> 

LIVRE    QUATRIE'ME, 

Chapitre  I.  OUjet  de  ce  quatrième  Livre.  Desdif- 
^ferensjîiles.  Ce  que  c*ejî  queflile,  295 

Ch.  IL  Les  qualitez  duflile  de  chaque  Auteur  dépen» 
dent  de  celles  de  fin  imagination  »  de  fa  mémoire , 
&  de  fin  efprit,  297 

C  H.  III.  Qualitez  de  la  fubflanct  du  cerveau  %  et 
des  efprits  animaux ,  necejjaires  pour  faire  une  bon* 
ne  imagination,  299 

C  H.  IV.  De  ce  qui  rend  la  mémoire  beureufe,      305 

Ch.  V.  Qualitez  de  Pefprit  necejjaires  pour  ^ élo- 
quence, jo/ 

C  h.  VI.  La  diverfité  des  inclinatims  é^dutemfera- 
fMnt  diverfifie  lie  fiile.  Chaque  perfinnt^  chaque 

eU- 


TABLE  DES  CHAPITRES. 

efimat  kfimjiile  qui  lui  efl  pariiculier.  30^ 

Ch.  vil  Chaque  fiecle  m  fin  Jlili.  ju 

Ch.  Vill.  La  matière  que  ton  irâitidoittlétcrminer 

dans  le  choix  du  fliiè.  1 1  ^ 

Ch.  IX.  Règle  pour  ii  fliiefubnme.  313 

Ch.  X.  Dujlite^  ou  caruderefimfk.  313 

Ch.  XI.  "Du flile  mediccre.  j-i; 

Ch.  XII.  Stiles  propres  à  certaines  matières.  QuaR» 

tez  communes  a  tous  cesftiles,  3  30 

Ch.  XIU.  Quel  doit  être  le  Jlile  des  Orateurs.  333 
Ch.  XIV.  Quel  doit  être  U  pile  des  Hiftoriens.  338 
Ch.  XV.  Quel  doit  être  lefiile  Dogmatique.  340 
C  H.  XVI.  Quel  doit  être  lefiile  des  Poètes.  341 
Ch.  XVII.  Des  ornemens.    Premièrement   de  ceux 

qu'on  peut  nommer  naturels.  347- 

Ch.  XVIIL  Des  ornemens  artificiels..  349 

€h.  XIX..  Des  faux  ornemens.  3)a^ 

Ch.  XX.  Règles  qu'on  doit  fu'svredans la  diflribur 

tion  des  ornemens  artificiels,  IfJ- 

LIVRE.   C  I  N  Q  U  I  E'  M  E. 

Chapitre  L  /^'Efi  un  art  que  de  /avoir  parler  de 
\>^maniere  qu*on  perfuade.  Ce  qu'il' 

faut  faire  pour  cela.  Projet  de  ce  Livre.  j6ç 

€h.  il  Première  partiede  T  Art  de  parler ,  qui  efi 

llnvention..  ifit 

Ch.  III,  Les  Lieux  Communs  toh  Ton  peut  tirer  des 

preuves  générales.  3  7  ^ 

Ch.  IV.  Des  lieu» propres  à.  certains fujets,  d'oùfc 

peuvent  tirer  des  preuves.  373 

Ch.  V.  Réflexion  fur  cette  Méthode  des  lieux.  37^ 
G  h.  VI.  If  n'y  a  que  la  Vérité ,  ou  l'apparence  de  h 

vérité  qui  ferfuade,  378 

Ch.  VIL  Comment  on  peut  trouver  laVèrité^la  fui'- 

re  connoitre,  et  découvrir  P Erreur*  383 

Cil  VIIL  L'attentionefinecejfaire  pour  connoîtrela 

.     "    "  Km- 


TABLE  DES  CHAPITRES. 

vérité.  Comment  on  peut  rendre  attentif  un  Audr^ 
teur,  .      '  '586 

C  H.  IX.  Ce  qui  fait  la  diffe^'ence  de  l* Orateur  d'à* 
vec  le  Pbilojèpbe.  391 

Ch.  X.  Des  mfinteres  de  s^injSnuer  dans  Pe/prit  de 
ceux  à  qui  Pon  parle»  3^ j 

Çh.  XI.  Qualitez  requifes  dans  la  perjonne  de  celui 
qui  veut  gagner  ceux  à  qui  il  parle  ^^f 

)Ch.  XII,  Ce  qu\ilfaut  obferver  dans  les  cbofes  dont 
on  parle  i  pour  s^inpnuer  dans  Vejprit  des  Audi» 
teur  s,  599 

Ch.  XIIL  Les  qualitez  neceffairesà  un  Orateur  pour 

"  gogner  ceux  h  qui  il  parle  ^ne  doivent  pas  être  fein- 
tes» 404 

C  H.  XIV.  Manières  d^exciter  dans  Pefpritde  ceux  à 
qui  l'on  par  h ,  les  pafjtons  qui  les  peuvent  porter  où 
on  les  veut  conduire,  406 

Ch.  XV.  Ce  qu'il  faut  faire  pour  exciter  les  paf 
fions»  4I0 

Ch.  XVL-  Comment  on  peut  donner  du  mépris  des  cbo~ 
fes  qui  font  dignes  de  ri  fée,  414 

Ch;  Xvll.  Seconde  partie  de  P Art  de  perfuader^  qur 
eft  la  difpofition.  Elle  a  quatre  parties*  De  la  pre* 

:"  iniere  qui  efl  PExorde,  418 

Ch.  XVIII.  De  la  féconde  partie  de  la  Difpojttion^ 
qui  eft  la  Proportion,  42» 

C  H.  aIX.  De  la  trçifiéme  partit  de  ta  Difpofition , 
qui  eft  la  Confirmation ,  ou  de  rétabliQement  des 
pre'Aesy  &  en  même  temps  de  la  réfutation  des  rai- 

,  fons  des  adverf aires,  4 il» 

Gh.  XX^  De  l'Epilogue  t  dernière  partie  de  la  Dif- 
pofition,  4î8 

Ch.  XXT.  Des  trois  autres  parties  de  tArt  de  per^ 
fuader,  qui  font  téhcution  t  là  mémoire  ^  é^  la  pro- 
nonciation, 429 

Ch.  XXÎI.  De  la  Difpofition  qui  tfl  particulière  aux 

'    Dijcours  Êcclefiaftiques  9,  ou  Sermons  435. 

Fin  iitïk  Table  des  liviri  &  Cbtpitxet. 

LA 


Plgl 


RHETORIQUE 


L'ART   DE  PARLER. 

LIVRE    PREMIER. 

Chapitre    Premier. 
Dti  Organa  di  la  Vvix.   Ctmmenl  fe  fùrmt  la 

S  L  n'y  auroit  point  de  Ibcicté  entre  les 
[hommes,  s'ils  ne  pouvoient  !e  domier 
I  les  uns  aux  autres  des  fignesfenfiblesde 
î  ce  qu'ils  penfent  &  de  ce  qu'ils  veulent, 
*  Ils  le  peurent  faire  avec  les  yeuj  &lcs 
doits,  comme  font  Icsmuets:  nuisoutrequecette 
manière  d'exprimer  Tes  penfées  eft  très-imparfoite , 
cHe  eil  encore  incommode;  car  l'on  ne  peut  point, 
fiinsfe  ftitiguer,  faire  connoître  avccles  yeux  Se  les 
doits  toutes  les  différentes  chofes  qui  viennent  dans 
l'efprit.  Nous  remaons  la  langue  aiiément  ;  8c  nous 
pouvons  diverfifict  le  l'on  de  notre  voix  en  différentes 
manières  ftciles  &  agréables:  c'eft  pourquoi  la  Na- 
ture a  poné  les  hommes  à  fe  fervir  des  organes  de 
il  Voix. 

A  U 


/ 


ï  La  Rhetoriqjje,  ou  l'Art 

La  difpofition  de  ces  organes  cftinerveilleufe.  La 
Trachée-artere  ou  Uâpre-artere ,  qui  vient  des  poul- 
inons &  répond  aux  racines  de  la  langue,  efl com- 
me un  tuyau  d'orgue.  Les  poulmons  fervent  de  fouf- 
flets  ;  caf  ils  attirent  Vair  en  s'étendant ,  &  le  repouf- 
jfcnt  en  fc  reflerrant.  La  partie  de  la  Trachée-artere 

2ui  eft  proche  de  la  racine  de  la  langue,  s'appelle  le 
^arynx,  qui  eft  entouré  de  cartilages  &  de  mufclcs, 
S  ai  fervent  à  l'ouvrir  &  à  le  fermer.  C'eftencelieu- 
oue  fe  forme  lefon  de  la  voix.  Quand  l'ouvertu- 
re du  Larynx  eft  étroite,  l'air  fortant  avec  violence 
fc  froiffe,  &  reçoit  un  tremouflement  ou  une  cer- 
taine agitation  qui  fait  le  fon  de  la  voix ,  mais  qui 
n'eft  point  encore  articulée.  Cette  voix  elt  reçue 
dans  labouche ,  où  la  langue  la  modifie,  &  lui  don- 
ne diverfes  formes,  félon  qu'ellela  pouffe  ou  contre 
les  dents,  ou  contre  le  palais;  qu'elle  l'arrête  ou  la 
laiffe  couler;  que  la  bouche  eft  plus  ou  moins  ou- 
verte. 

Les  hommes  trouvant  tant  de  facilité  "à  expri- 
mer leurs  fentimens  par  la  voix  ,  fe  font  appliquez 
à  confiderer  toutes  les  différences  qu'elle  reçoit  par 
les  differens  mouvemens  des  organes  de  la  pronon- 
ciation. Ds  ont  marqué  chacune  de  ces  modifica- 
tions particulières  par  une  lettre  ou  caraélere.  Ces 
lettres  font  appellées  les  Elemens  du  langage,  parce 
qu'il  en  eft  compofé.  L'union  de  deux  ou  de  trois 
lettres  qui  peuvent  fe  prononcer  de  compagnie  dii- 
tinélement  &  fecilement,  fait  une  fyllabe.  Une 
ou  plufîeurs  fyllabes  font  un  mot  ou  une  parole. 
Dans  la  fuite  de  cet  Ouvrage  je  parlerai  des  let- 
tres i  &  de  leur  nombre ,  plusexadementquejenc 
feis  pas  ici:  cependant  je  remarquerai  en  paffant- 
oue  quoi  que  le  nombre  des  lettres  foit petit,  elles 
luffifent  néanmoins  pour  compofer  les  termes ,  je 
ne  dis  pas  feulement  des  langues  qui  fe  parlent  au- 
jpurdhui  dans  tout  le  monde ,  mais  de  celles  qui 

-      ont 


DE     PARLER.    Liv,I.   Ckap.  L  ^ 

ont  été  vivantes ,  &  de  celles  qui  pourront  naître 
dans  la  fuite  des  fieclcs.  Car  quand  il  n'y  a uroit  que 
Tîngt-quatre  lettres  différentes ,  l'on  peut  démon- 
trer qu  en  les  combinant  en  toutes  les  manières  pof- 
fibles ,  Ton  peut  premièrement  faire  cinq  cens  fep- 
tante-fix  mots  de  deux  lettres;  qu'en  prenant  ces 
vingt-quatre  lettres  trois  à  trois,  Ton  peut  faire  un 
nombre  de  mots  de  trois  lettres ,  qui  fera  vingt- 
quatre  fois  plus  grand,  c'eft  à  dire  13814.  &qucn 
les  prenant  quatre  à  uuatre ,  cinq  à  cinq ,  fix  à  fix , 
le  nombre  des  mots  de  cinq  lettres  fera  vingt-quatre 
fois  plus  grand  que  celui  de  quatre  :  celui  des  mots 
de  fix  lettres  fera  vingt-quatre  fois  plus  grand  que 
celui  des  mots  de  cinq  lettres.  Ainii  le  nombre  des 
mots  de  fix,  de  fept,  de  huit  lettres,  &  des  autres 
fuivans  augmente  dans  la  même  proportion:  ce  qui 
va  fi  loin  que  l'imagination  fe  confond ,  &  qu'dle 
ne  peut  comprendre  ce  nombre  prodigieux  de  diffc- 
rens  mots  qui  fe  peuvent  fairedelacombinaifonde 
vingt-quatre  lettres.  Il  ell  vrai  que  l'on  ne  pourroit 
pas  fe  fervir  de  tous  ces  mots ,  parce  qu'il  y  en  aaroit 
plufieurs  qui  ne  fe  pourroient  pas  prononcer  diftinc- 
tement ,  &  facilement  ;  mais  enfin  le  nombre  de  ceux 
dont  on  pourroit  fe  fervir ,  eft  prefque  infini  ;  &  nous 
donne  fujet  d'admirer  la  fagelfe  de  Dieu ,  qui  ayant 
donné  l'ufage  de  la  parole  aux  hom  mes ,  pour  expri- 
mer leurs  différentes  penfées,a  voulu  que  la  fécondité 
de  la  parole  répondit  à  celle  de  leur  efprit. 

Les  hommes  auroicnt  pu  marquer  ce  qu'ils  pcn- 
fcnt,  par  des  geftes.  Les  muets  du  Grand- Seigneur 
fe  parlent  &  s'entendent,  même  dans  la  plus  obfcu- 
re  nuit,  s'entretouchant  de  différente  manière.  Mais, 
comme  on  a  dit,  la  facilité  qu'il  y  a  déparier,  les 
a  porté  à  n'employer  pour  fignes  de  leurs  penfées , 
eue  des  paroles,  lorsqu'ils  ne  font  point  contraints 
ûe  garder  le  filence.  On  appelle  figne  une  chofe  qui 
outrfc  cette  idée  qu'elle  donne  quand  on  la  voit,  en 

A  1  àowxvt 


4  La  Rhetokiqjue,  ou  l'Art 

donne  une  féconde.  Comme  lorfcju'on  voit  à  la  port( 
d'une  maifon  une  branche  de  lierre  ;  outre  l'idée 
du  lierre ,  on  conçoit  au'il  fe  vend  du  vin  dans  cette 
maifon.  On  diftingue  deux  fortes  de  (ignés  :  les  uns 
font  naturels,  c'elt  à  dire,  qu'ils  fignifîent  par  eux- 
mêmes,  comme  la  fumée  eft  un  figne  naturel  qu'il 
y  a  du  feu ,  où  on  la  voit.  Les  autres  qui  ne  ligni- 
fient que  ce  que  les  hommes  font  convenus  qu'ils 
lîgnifieroient ,  font  artificiels.  Les  mots  font  de* 
lignes  de  cette  forte;  auffi  le  même  mot  a  différen- 
tes fignifications ,  félon  les  langues  où  il  fe  trouve  ; 
&  c'eft  de  là  <jue  bien  que  tous  les  hommes  ayent 
les  mêmes  idées ,  Jk  que  les  chofes  ne  foient  paj 
différentes  félon  la  différence  des  climats ,  chaque 
langue  a  fes  termes.  Il  dépendoit  des  hommes  d'é- 
tabhr  quelque  mot  qu'il  leur  eût  plû  ,  pour  être  le 
figne  de  leurs  idées,  de  celle,  par  exemple,  qu'ils  ont 
du  Soleil.  DanslaPerfe,  dansla  Judée,  en  Grèce; 
en  Itdie  ,  le  Soleil  efl  le  même  ;  &  cependant  le* 
Perfes,  les  Juifs,  les  Grecs  &  les  Latins,  n'ont  pa* 
choifi  les  mêmes  fons  pour  être  le  figne  de  cet  Allre. 
Il  n'y  a  aucun  rapport  naturel  entre  ce  mot  SM/, 
&  l'Aûre  dont  il  aonne  l'idée;  s'il  en  a  une  à  l'égard 
de  ceux  qui  favent  le  F'rançois  ,  c'clt  parce  qu'ih 
favent  qu'en  France  nous  avons  coutume  de  mar- 
Guer  par  ce  mot  cet  Aflre  qui  s'appelleroit  Lune ,  fi 
1  on  en  étoit  convenu. 

Cette  remarque  nous  donne  lieu  de  diflinguer 
deux  chofes  dans  les  mots,  le  corps  &  l'ame,  c'efl 
.à  dire  ce  qu'ils  ont  de  matériel,  &  ce  qu'ils  ont 
de  fpirituel;  ce  que  les  oifeaux  qui  imitent  la  voix 
des  hommes,  ont  de  commun  avec  nous,  &  ce 
qui  nous  efl  particulier.  Les  idées  qui  font  prcfentes 
à  nôtre  efprit,  lorfqu'il  commande  aux  organes  de 
la  voix  de  former  les  fons  qui  font  les  fignes  de  ces 
idées, font  l'ame  des  paroles:  Les  fons  que  forment 
les  organes  de  la  voix,  &  qui  n'ayant  rien  defem- 

blablc 


DE  PAR&ER.   Liv.J.  Chaf.IL  5 

Wibic  en  eux-mêmes  à  ces  idées,  nelaiflentpasdc 
Icsfignifier  ,  fo»t  la  partie  matérielle,  ou  le  corps 
des  paroles. 

On  ne  pourroit  pas  croire ,  (i  Texperience  ne  le 
;  fidfoitvoir,  que  les  hommes  ne  parlent  fou  vent  que 
I  comme  des  perroquets.  Ils  fe  fervent  de  mots  dont 
,  ilsneconnoiflentpaslefens.  En  parlant,  ou  enten- 
dant parler ,  &  en  lifant  les  livres  ils  ne  s'appliquent 
'  qu'a  la  partie  matérielle  du  difcours ,  fans  faire  de 
i  reflexion  fur  les  idées  dont  les  paroles  ou'ils  difcnt 
ï  ou  qu'ils  entendent ,  font  les  fignes.  De  là  vient  que 
*    peu  de  perfonaes  parlent  raifonnablement. 


Chapitre    IL 

la  parole  efî  un  tableau  de  nos  penftes.  AvMnt  que 

de  parler  ii  fnut  former  dans  fin  ejprit  le 

dtjjein  de  ce  tabieau, 

PU  I  s  Qju  £  les  paroles  font  des  fignes  qui  repréfen- 
tcnt  les  chofes  qui  fcpaffent  dans  Tefprit,  on  peut 
dire  qu'elles  font  comme  une  peinture  de  nos  penlées, 
que  la  langue  eft  le  pinceau  qui  trace  cette  peinture, 
&  que  les  mot»  font  les  couleurs.  Âinfi  comme  les 
Peintres  ne  couchent  leurs  couleurs  qu'après  qu'ils 
ont  fait  dans  leur  efprit  l'image  de  ce  qu'Ùs  veulent 
repréfenter  fur  la  toile,  il  faut  avant  que  déparier, 
former  en  nous-mêmes  une  image  réglée  des  chofes 
que  nous  penfons,  &  que  nous  voulons  peindre  par 
nos  paroles.  Ceux  qui  nous  écoutent  ne  peuvent  pas 
appercevoir  nettement  ce  que  nous  voulons  leur  dire, 
fi  aous  ne  l'appercevons  nous-mêmes.  Nôtre  difcours 
eft  la  copie  de  l'original  qui  eft  en  nôtre  tête  :  Il  n'y 
a  point  de  bonne  copie  d'un  méchant  original.  CeK 
donc  à  cet  original  qu'il  faut  d'abord  travailler. 
Avant  que  de  remuer  k  pinceau,  c'eftàdirelalaa^ 

A  3  gue. 


6  LaRheto^iqui,ou  l'Art 

guc ,  &  que  d'appliquer  les  couleurs  qui  font  les  pa- 
roles, il  faut  favoir  ce  qu'on  veut  dire,  &ledifpo- 
fcr  d'une  manière  réglée;  de  forte  que  dans  le  difcours 
qui  exprimera  nos  penfées,  les  Ledeursvoycntun 
tableau  bien  ordonné  de  ce  que  nous  avons  voulu 
leur  repréfenter. 

Cclt  à  ceux  qui  traitent  r  Art  de  pcnfer,  déparier 
de  cet  ordre  naturel  qu'il  faut  garder  dans  l'arrange- 
ment de  nos  penfées.  Chaque  Art  a  fes  bornes  qu'il 
ne  faut  p>as  paflcr;  je  n'entreprendrai  donc  pas  de 
prefçrire  ici  des  règles  touchant  l'ordre  qu'on  doit 
donner  aux  chofes  qui  font  la  matière  du  difcours. 
J'avertirai  feulement,  qu*il  faut  méditer  fon  fujct, 
faire  deifus  toutes  les  reflexions  néceffaires  pournc 
rien  oublier  qui  puiffe  contribuer  à  fon  éclairciffe- 
ment;  prenant  garde  aufli  de  ne  pas  accabler  Tefprit 
desLetteurs  par  une  trop  grande  multitude  de  cfio- 
fes,  6c  de  ne  pas  rendre  fon  difcours  confus  par  des 
explications  trop  étendues.  L'Abondance  caufe  fou  - 
vent  la  fterilité.  Les  Laboureurs  la  craignent;  ils  la 
préviennent ,  &  guand  ks  blei  font  trop  drus ,  ils 
font  manger  lapomte  de  l'herbe  à  leurs  troupeaux. 
,  Nous  ne  concevons  jamais  une  fcience,  un  rai- 
fpnnement,  fi  nôtre  efprit  ne  fupplée  les  chofes  né- 
ceffaires ,  &  s'il  ne  retranche  celles  qui  font  fuper- 
iiuës.  Un  Auteur  doit  épargner  cette  peine  à  ceux 
qu'il  entreprend  d'inîlruire.  Un  Livre  qui  ne  dit  que 
la  moitié  aes  chofes,  ne  donne  que  des  connoifîan- 
ces  imparfaites;  mais  aufli  un  grand  volume  eilun 
grand  mal,  fti^^  fiiÇxUf»  f^i^a  y^xof.  On  s'y  égare, 
on  s'y  perd ,  à  peine  a-t-  on  la  patience  de  le  feuilleter. 
Après  avoir  donc  ramaffé  av«cexaélitude  toutes  les 
chofes  qui  regardent  la  matière  que  l'on  traite ,  il 
faut  les  refferrer  ,  leur  donner  de  juftes  bornes ,  & 
faire  un  choix  fevere  de  ce  qui  eit  abfolument  né- 
cpffaire,  &  rejétter  ce  quieftfuperflu.  Ilfautenvi- 
fager  continuolement  le  terme  où  l'on  veut  arriver, 

& 


BE     PAKLER.    LÎV.L  Cbéip.JJL  7 

éprendre  le  chemin  le  plus  court,  évitant  tous  ks 
teours.  Si  Ton  ne  paffc  vite  par  deffus  les  chofes  de 
peu  d'importance  ,  &  qui  ne  font  pas  eflcntielles, 
fcfprit  du  LcAcur  eft  diverti  de  l'application  qu'il 
doit  donner  à  celles  qui  le  font. 

Cette  breveté  fi  néceifaire  pour  rendre  un  Ouvra- 
ge net  &  fort ,  ne  confifte  pas  dans  le  feul  retran- 
diement  de  tout  ce  qui  elt  inutile  ;  mais  dans  le 
dioix  de  certaines  circonûances  qui  tiennent  lieu  de 
plufîeurs  diofes  quelonntditpras.  A  peu  près  com- 
me fit  Timanthe  ce  fameux  Peintre  de  l'antiquité , 
pour  repréfenter  dans  une  petite  table  la  grandieur 
pxKligicufe  d'un  Géant.  Il  lé  peignit  couché  par  ter- 
re, dormant  au  milieu  d'une  troupe  de  Satyres,  qm 
fejoiioient  autour  de  lui.  L'unmefuroitfatête,uii 
autre  appliquoit  un  Thyrfe  à  fon  pouce ,  fid&nt 
connoîtrepn:  cette  invention  ingenieufe  (^udleétoit 
h  grandeur  de  ce  corps ,  dont  les  dIus  petites  parties 
éioicnt  mefurées  avec  le  Thyrfe  aun  Satyre.  Ces 
inventions  demandent  de  Tdprit  &  de  l'application. 
Ceft  pourquoi  un  AuteA  *  fort  célèbre  qui  avoit  cet- 
te addreiTe  de  reniermer  beaucoup  de  diofes  en  peu 
de  paroles  ,  s'excufe  agréablement  de  ce  que  l'une 
de  fcs  Lettres  eft  trop  longue  ,  fur  ce  qu'il  n'avoit 
pas  eu  le  loifir  de  la  fidre  ^us  courte. 

Chapitre    III. 

La  fin  et  U  peijeéiiûu  de  F  Art  if  pétrUr  confifieui 
à  repréfenter  avec  jugement  ce  tmbkam  quon 
a  formé  dans  reffrit. 

AV  A  N  T  que  de  paffcr  outre ,  arrêtons-nous  ici 
pour  confiderer  quelle  eft  la  fin  &laperfeéHon 
de  l'Art  que  nous  traitons,  ou  quelle  idée  nous  devons 
aroir  de  la  beauté  naturelle  d'un  difcours.    Je  ne 

A  4  dirai 


8  LaRhetoiiiqjje»ou  l*Ai.t 

dirai  point  que  la  beauté  en  général  confiftcdansun 
je  fit  Jai  quoi  y  car  il  me  ferable  que  je  puis  dire 
ce  que  c'eft.  La  beauté  plaît ,  &  ce  qui  elt  bien 
ordonné  plaît;  ce  qui  me  perfuade  que  l'ordre  &  la 
beauté  font  prefqu  une  mêmechofc.  Cen'eftpasici 
le  lieu  de  rechercher  la  caufe  du  plaifir  qui  le  fent 
lors  qu'on  voit  les  chofes  bien  rangées,  comme uu 
parterre  bien  ordonné.  L'homme  étant  fait  pour 
être  heureux  en  pofledant  Dieu  qui  eft  effentiellc- 
mcnt  l'ordre ,  il  falloir  que  tout  ce  qui  approche  de 
l'ordre  »  commençât  fon  bonheur. 

Or  ridée  que  nous  avons  de  l'ordre,  c'eftqueles 
chofes  ne  font  bien  ordonnées  que  lorfqu'elles  ont 
un, rapport  à  leur  tout,  &  quelles  confpirent  pour 
atteindre  leur  fin.  Quand  cela  arrive ,  les  chofes 
deviennent  agréables  quoi  qu'elles  ne  le  foient  pas 
d'elles-mêmes ^  ce  qui  marque  oue  nous  fommcs 
portez  par  une  inclination  naturelle  à  aimer  l'ordre. 
La  peinture  le  fait  voir  :  il  y  a  des  tableaux  qui 
ne  repréfentent  que  des  objets  dont  on  a  de  l'aver- 
fion.  Cependant  comme  It  fin  de  cet  Art  eft  dere- 
préfentcr  les  chofes  au  naturel ,  fi  chaque  trait  qu'on 
appercoit ,  exprime  la  penfée  du  Peintre ,  &  que  tout 
correlponde  à  fon  deflein  ,  fon  ouvrage  charme. 
Ce  n'eft  pas  la  vue  d'un  ferpent  qui  eft  peint;  on 
frémit  quand  on  en  voit  un  ;  ce  qui  plaît  donc , 
c'eft  l'elprit  du  Peintre  qui  a  lu  atteindre  la  fin  de 
fon  Art.  Aufti  ne  prend-on  plaifir  a  confiderer  fon 
ouvrage  qu'à  proportion  que  fe  découvre  cette  ad- 
drefle.  Sans  cela  on  n'eft  fatisfait  que  de  la  vivacité 
cfes  couleurs,  qui  font  des  impreflions  agréables  fur 
les  fcns.  Il  en  elt  de  même  de  1*  Architeé^ure.  La  vue 
d'un  Palais  hit  félon  toutes  les  règles  de  l'Art ,  ne 
I^aît  que  lorfqu  on  appercoit  la  fin  quel' Architecte 
5'eft  propofée  :  qu'on  voit  qu'il  rapporte  toutes 
chofes  avec  efprit  à  cette  fin  :  qu'on  conçoit  au'il 
ne  pouvoit  pas  y  arriver  par  des  voyes  plus  fimples, 

& 


I 

•        DE  PARIER.   Z/v./.  Chap,ÏIL  9 

&gn'il  n'a  rien  fait  dont  ilnepuiflcdonncrdcbon- 
DcsVaifons. 

I       Nous  parlons  pour  exprimer  nos  pcnfées ,  Se  pour 
communiquer  les  mouvemens  de  nôtrt  Volonté, 
i     car  nous  defirons  qu  on  ait  avec  nous  les  mêmes 
;    mouvemens  vers  l'objet  de  nos  pcnfées  &  le  fujct  de 
i    EÔrre  difcours.    La  beauté  d'un  difcours  ne  peut 
i    donc  confifter  que  dans  ce  rapdfcrt  cxaél  que  toutes 
fc  parties  ont  avec  cette  fin.  Il  eft  beau lonque  tous 
les  termes  dont  il  eft  compofé  ,  donnent  des  idées 
fi  iuftes  des  chofes ,  qu'on  les  voit  telles  (Qu'elles  font , 
5c  qu'on  fent  pour  elles  toutes  les  affcéfaons  de  celui 
qui  parle.   C'ell  fon  jugement  qui  plaît  quand  il  ne 
éit  rien  qu'avec  raifon ,  dans  le  choix ,  dans  l'arran- 
gement des  mots,  &  qu'ils  font  tous  propres.  Cell 
ce  que  nous  admirons  dans  un  difcours.  Car  enfin, 
ce  n'eft  pas  le  fon  des  paroles  qui  en  fvt  la  beauté; 
ajrrement   on  trouveroit  plus  beau  le  chant  des 
rofiignols  que  les  difcours  les  plus  éloquens.    Bien 
qu'un  Auteur  ne  rapporte  que  des  bagatelles,  s'il  en 
feit  une  peinture  exadfe,  &  qu'ainfi  il  arrive  à  la  fin 
qu'il  a  eu  en  vue ,  ceux  qui  font  capables  d'apper- 
ccvoirfon  Art,  prennent  plaifir  à  l'entendre. 

Prevenom-nous  donc  de  cette  vérité  que  c'eft  la 
julleffe  qui  fait  h  foîide  beauté  d'un  difcours;  que 
pour  bien  parier ,  il  fant  êtrefage  ;  car  c'elUa  fageflc 
qui  dilpoie  les  choies  &  les  conduit  à  leur  fin. 

Scribendi  reéfè  ,  fitffrt^  efl  é^  prtncipium  é^  fins» 

Horace  n'a  jamais  rien  dit  qui  foit  d'un  plus 
grand  fens.  L'imagination  ell  néceflairc  :  on  ne  peut 
exprimer  que  ce  que  l'on  conçoit.  Ce  qui  efl  maigre 
k  cftropie  dans  Timagmation  de  l'Orateur ,  l'ell 
éans  fes  paroles.  Il  faut  donc  fe  repréfenter  les 
chofes  dans  leur  état  naturel ,  &  concevoir  pour  elles 
à^  mouvemens  raifonnables  ;  employant  enfuite 

As  des 


xo         La  Rhetoriqjue,  ou  l*Am      , 

xlcs  termes  qui  les  portent  à  l'efprit  de  celui  qui  écou- 
te, telles  qu'on  les  penfe.  Perfonne  ne  parle  bien, 
n'écrit  bien  qu'à  proportion  qu'il  approcne  de  cette 
fin.  Il  plaît  à  ceux  qui  découvrent  qu'il'ne  pou- 
voit  pas  trouver  des  termes  qui  diftinguaflfent  mieux 
ce  qu'il  falloit  marquer:  ^u'il  ne  pouvoir  pas  placer 
fes  termes  dans  un  lieu  ou  ils  filTent  un  plus  grand 
effet;  où  ils  s'accommodaflent  niieux  pour  rendre 
la  prononciation  facile  &  coulante  :  qu'il  a  pris  le 
tour  le  plus  naturel  &  le  plus  court.  Car  outre  qu'il 
ne  fout  rien  foire  d'inutile,  il  ell  certain  que l'elprit 
n'aime  pas  qu'on  l'amufe.  Quelque  vitelle  qu'ait  la 
langue ,  fes  mouvemens  fpnt  encore  trop  lents  pour 
fuivre  la  vivacité  de  l'efprit.  Ainfi  c'efl  une  grande 
fiiute  que  de  dire  plufieurs  paroles  loifqu'unefuffit. 

Je  ne  puis  donner  d'avis  plus  important  dans  ce 
commencement,  que  celui-ci,  que  l'on  n'êft  élo- 
quent qu*après  avoir  acquis  une  grande  juflelTed'ef- 
prit  :  qu'on  doit  faire  une  attention  continuelle  en 
parlant ,  fi  l'on  ne  s'écarte  point  de  la  fin  où  l'on  doit 
aller ,  fi  on  y  va  effcélivement.  La  Raifon  nous  éclai- 
re ,  U  fout  marcher  dans  fa  lumière  :  tout  ce  que 
nous  dirons  dans  la  fuite  de  cet  ouvrage  ne  fera  <jue 
pour  foire  remarquer  ce  qu'elle  didle.  Je  fouhaite- 
ix)is  qu'avant  que  de  quiter  ce  Chapitre  on  le  lût  plus 
4*une  fois,  &  qu'on  examinât  fi  cequejediseufo- 
lide  ,  en  faifant  l'cflai  fur  quelque  expreffion  qui 
paffe  pour  élégante ,  comme  eft  celle-ci  du  com- 
mçncement  de  la  Genefe  :  Dieu  élit  :  Que  la  /umierc 
fi  fajje ,  et  la  lumière  Je  fit  :  que  la  terre  Ce  fajje , 
é*  ia  terre  fut  faite,  Longin  ce  célèbre  Rhéteur , 
donne  cette  expreffion  pour  exemole  d'une  expref- 
fion fublime.  Or  pourquoi  l'efl-elle  fublime ,  c'efl 
à  dire  excellemment  beUe ,  fi  ce  n'efl  parce  qu'elle 
donne  une  haute  idée  de  la  puiffance  du  Créateur; 
ce  que  Moïfe  vouloit  faire:  c'étoit  là  fa  fin. 

Comme  nous  l'avons  dit ,  il  fout  avoir  de  l'ima- 

£i- 


]>E    PAKIEK.    Lip.L  ChéffJIJ.  Il 

jination  pour  fe  bien  repréfenter  ce  qu'on  ttm  ex- 
primer. Il  faut  ravoir  la  langue  dans  laquelle  on 
éait.  Mais  ce  qui  Êiit  qu'entre  ceux  qui  entendent 
parfaitement  une  langue  »  &  qui  ont  une  imagina» 
tion  vive  6c  délicate,  il  y  en  a  peu  qui  réuiliuent, 
ceil  qu'on  n'écrit  pas  avec  tout  lejugementmixTe- 
roit  néceffaire.  Pour  faire  un  difcours»  quand  il  ne 
feroit  que  d'une  page,  il  faut  y  employer  un  grand 
nombre  de  mots  qu'il  fsiut  placer  à  propos.  Il  n'y  a 
que  ceux  qui  l'ayent  expérimenté,  qui  comprennent 
combien  il  faut  d'étendue  d'efprit;  combien  ilÊiut 
d'application ,  à  combien  de  chofes  il  âut  aire  at- 
tention en  même  tems:  combien  il  faut  faire  de 
teâexions  différentes  pour  ne  nen  dire  que  de  rai^ 
fonnable.  U  Y  ^  toujours  quelque  petite  chofe  qui 
échappe.  Auifi  on  ne  fait  rien  qui  mérite  d'être  lu, 
à  moins  que  de  pafler  les  yeux  pluiieurs  fois  fur  fon 
ouvrage,  &c  de  confulter  en  differens  tems  la  Rai- 
fon  pour  voir  fi  on  a  bien  compris  ce  qu'on  a  crû 
quelle  didloit.  Rien  ne  nous  doit  plaire  que  ce 
qu'elle  approuve. 

Pour  rendre  plus  fenfible  cet  avis  important  ,' 
conûderons  que  u  aujourdhui  nous  admirons  les  an- 
ciens Auteurs  ,  c'elî  parce  qu'après  un  examen  de 
pluficurs  fiecles  on  a  trouvé  qu'ils  font  raifonnables; 
au  lieu  qu'on  fe  laiffe  alTeifouventfUrprendrc»  efti- 
mam  dans  les  Auteurs  modernes  ce  qu'on  ne  pour- 
roit  fouflfrir  û  on  les  exaipinoit  à  loifir.  Ce  n'eft 
•  pas  parce  qu'Homère  &  Virgile  font  anciens ,  que 
tous  les  gens  d'efptit  les  admirent;  c'eff  qu'en  effet, 
comme  le  dit  le  célèbre  Tradudeur  deLongin: 
//»jp  a  que  Papprakathn  de  la  pofteriti  qui  puîjfeétMr 
hCtr  le  vrai  mérite  des  ouvrages,  Quelqu*écla$  qu'hait 
fait  un  Ecrivain  durant  fa  vie  »  quelques  éloges  qu*if 
ait  reçus  y  on  ne  peut  pas  pour  cela  infailliblement 
conclure  que  fes  ouvrages  Joient  excellens.  De  faupc 
hrillans  >  I0  muveauté  du  fitle^  un  tour  d^efprtt  qui 
'  A  6  itoi$ 


Xt  Lit  RïTETOlirQUE,  ou  1,'Ar^t 

Jttfît  à  -la  mode  ,  peui*ent  les  avoir  fait  valoir  y  if 
il)  arrivera  peut  être  que  dans  le  fiecle  fuii^ant  on 
êuvrira  ks  yeux  ,  &  qu'ion  méfrifera  ce  que  l'on  n 
Mdmiré, 

Ce  fera  fans  doute  auffi-tôt  qu  on  appercevra  ce 
qui  y  choque  le  bon  fens ,  rien  ne  pouvant  plaire 
long-tiems  que  ce  qui  efl  raifonnable.     Car  enfin^ 
l'illufion  ne  dure  pas  toujours.  Chaque  Auteur  l'ex- 
périmente dans  fes  propres  ouvrages.  Dans  la  chaleur 
de  la  compofîtion  qui  n'cft  pas  content  de  foi -même  ? 
L*imaginatioa  eil-elle  refroidie ,  on  eft  chagrin  ;  par- 
ce qu'alors  on  juge  mieux,  &  qu'ons'apperçoitde 
fon  illulion.  Cell  pour  cela  qu  o.i  ne  doit  pas  le  hà-r 
ter  de  publier  un  ouvrage  :  il  faut  le  revoir  cent  & 
.cent  fois;  car  je  ne  le  puis  trop  dire,  la  difficulté 
^e  ne  rien  dire  contre  le  bon  fens  ell  inconcevable 
4  tous  ceux  qui  ne  l'ont  pas  expérimenté.  C'eil  ce 
qui' nous  oblige  de  confultcr  nos  amis.  Nous  avons 
beau  (ire  éclairez  par  nous-mêmes:  Les  yeux  tl'étu* 
iru't  voyent,  toujours  plus  loin  que  nous  dans  nos  dé* 
fauts  y  &  un  efprit  médiocre  fera  quelquefois  apperce^ 
voir  le  plus  habile  homme  d'une  mcprije  qu  il  ne  voyoit 
fas,.  Audi  ces  excellens  Peintres  que  l'Antiquité  a 
admirez  ,  les  Apelles ,  les  Poly<fletes ,  félon  la  re* 
marque  de  Pline,  mettoient  des  infcriptions  à  leurs 
ouvrages  qui  marquoicnt  qu'ils  n'étoient  point  en- 
coje  achevez  ,  &  que  fi  la  mort  ne  les  furprenoit ,. 
fls'  effaceroient  &  corrigeroient  ce  qu'on  y  trou* 
voit  ^e  defeélueux.    Phne  appelle  ces  infcriptions  : 
Pendentes  titulos^  comme  celle-ci  :  Apelles  faciebnt 
etut  Poly^etus  :  tanquam  inchoata  fejnper  ârte  &  im*- 
ffrfefia  »  ut  contra  judiciorum   varietates  /upt:r effet 
'Artifci  regreffus  ad  veniam ,  velut  emendaturo  quid* 
pûd  d€fider0r.itur ,  fi  non  ejf^t  interce^tus^ 


Ç  H  A- 


9E  PAfttXR.    LivJ,  CkéffJV.  13 


Chapitre    IVi 

La  manière  la  plus  naturelle  de  faire  conneitre  ee  qu'on 
fenfe ,  >  c*ejl  par  les  differensjons  de  la  voir.    Cam» 
ment  le  feraient  des  boînmes  qui  naijjant  dans  un  âg§ 
avancé  ,  mais  font  faveir  ce  que  ctfi  que  farlir^- 
fe  tromper o'ient  enjemble,- 

COmme  Ton  ne  peut  pas  achever  un  Tableau 
avec  une  feule  couleur,  &  dillinguer  les  diffé- 
rentes chofes  qu'on  y  doit  repréfenter  avec  les  mê- 
mes traits:  il  eft  impoflible  aufli  de  marquer  ce  qui* 
fe  pafle  dans  nôtre  efprit,  avec  des  mots  qui  foient 
tous  d'un  même  ordre.    Apprenons  de  la  Nature* 
même  quelle  doit  être  cette  diftindion  ;  &  voyons 
comment  les-  hommes  formeroient  leur  langage  , 
fi  la  Nature  les  ayant  fait  naître  feparément,  ils  fe 
^encontroient  enfiiite  dans  un  même  heu.  Ufons  de 
la  liberté  des  Poëtes;  &  faifons  fortir  de  la  terre  ou 
defcendre  du  ciel  une  troupe  de  nouveaux  hommes 
qui  ignorent  l'ufage  de  la  parole.     Ce  fpeélacle  eft 
agréable  :  il  y  a  plaiiir  de  fe  les  imaginer  parlans 
entr  eux  avec  les  mains ,  avec  les  yeux ,  par  des 
geftcs-,  &  des  contorfions  de  tout  le  corps  ;  mais 
apparemment  ils  felafferoient  bien-tôt  de  toutes  ces 
poftures ,  &  lehazard  ou  la  prudence  leur  enfeignc^ 
roit  en  peu  de  tems  l'ufage  de  la  parole. 

Il  n'eft  pas  poiîible  de  dire  précifémcnt  ce  qucr 
feroient  ces  hommes ,  en  fe  formant  un  langa- 
ge :  quels  fon«  ils  choifiroient  pour  être  le  figne 
de  chaque  chofe^  Il  n'en  eft  pas  des  hommes 
comme  des  animaux  ,  qui  ont  un  cri  femblable , 
tel  quei'air  le  forme,  en  fortant  de  la  même  manie-" 
rccrclcurgower.  Tous  les  bœufs  beuglent  y  les  bre-' 
bUic/M[#>^lcs  chevaux  ktnniffenty  Xt^otarugiJfenK 
•  ..  /  A  7  les 


i4i        La  Rhitork^ue,  ou  i'Art 

les  loups  hurlent.  Il  y  a  des  oifeaux  qui  articulent , 
qui  imitent  la  voix  de  l'homme  :  mais  ce  n'cft 
qu'une  imitation.machinale.  Les  organes  de  l'ouïe 
&  de  la  parole  font  liez  ;  d*oii  vient  qu'il  eft  facile 
de  prononcer  ce  qu'on  entend.  Les  oifeaux  dans 
leiijucls  cette  liaifon  eil  plus  parfaite  ,  fe  dreiïent 
aifement  à  prononcer  par  ordre  un  certain  nombre 
dp  mots.  Ils  le  font  ^  mais  il  cil  évident  que  ce  n  efl 
qu'une  impreflion  corporelle  qui  les  y  détermine. 
Auflila  parole  eft  une  preuve  fenfible  de  la  diftindion 
de  Tame  &  du  corps.  Les  mots  ne  fignifient  rien 
par  eux-mêmes ,  ils  n'ont  aucun  rapport  naturel 
avec  les  idées  dont  ils  font  les  fignes  ,  &  c'eft  ce 
qjui  cajufe  cette  diverfité  prodigieufe  de  différentes 
langues.  S'il  y  avoit  un  langage  naturel ,  il  feroit 
connu  de  toute  la  terre ,  &  en  ufage  par  tout 

C'eft  une  fable  ce  qu'Hérodote  rapporte  ,  ou  fi 
c'eft  une  hiftoire ,  on  n'en  peut  rien  conclure.  Il 
dit  qu'un  Roi  d'Egypte  ayant  fait  nourrir  deux  en- 
fans  par  des  chèvres  dans  une  maifon  feparée  »  au 
bout  de  deux  ans  ces  enfans  en  tendant  la  main  à 
celui  qui  entra  le  premier  dans  le  heu  où  ils  étoient , 
ils  prononcèrent  ce  mot  Be(cos ,  ^ui  chez  les  Phry- 
giens ,  dit  le  même  Auteur ,  fignifie  du  fain  :  d'où 
le  Roi  d'Egypte  conclut  que  le  langage  des  Phry- 
giens étoit  naturel ,  &queparconfequent  ils  étoient 
les  plus  anciens  peuples  du  monde.  Ce  Roi  raifon- 
Doit  mal;  car  il  y  a  de  l'apparence  que. ces  enfans 
n'ayant  jamais  entendu  d'autre  voix  que.  le  cri  des 
dicvres  qui  les  avoient  allaitez  »  ils  imitoient  ce 
cri,-  auquel  ce  mot  Phrygien  ne  refTembloitque  par 
hazard.  Les  Grecs  nomment  fiinn  Bêcbé  une  chè- 
vre, fans  doute  à  caufe  de  fon  en. 
,  Quel  rapport  y  a-t-U  entre  la  plus  grande  par- 
tie des  choies  &  leurs  noms  ?  Peut-on ,  par  exem- 
ple, appercevoir  une  fi  grande  liaifon  entre  ce  mot  ' 
Spkii  &  la  chofe  qu'il  Xjgoific  ^  que  ceux  qui  ont. 


;.  '• 


DB    PA&LEl..    lÀvJ.  CbâfJV.  15 

TÛ  cet  Aftre  aycnt  été  déterminez  à  prononcer  plutôt 
ce  mot  So/eU  qu'un  autre  ?  Tout  le  rapoort  ou*il 
peut  y  avoir  des  noms  aux  chofes ,  c'elt  par  leur 
Ton.  En  cherchant  un  nom  pour  une  chofe ,  fi  elle 
fait  un  Ton  9  il  fe  peutqu*on  foit  porté  à  lui  en  trou- 
ver un  y  dont  la  cadence  exprime  en  Quelque  façon 
fa  nature.  Comme  lorfqu*on  a  voulu  donner  un 
nom  Latin  au  Canon  »  on  a  choifi  ce  mot  Bamàar» 
tfàt  dont  le  fon  imite  celui  que  fait  le  canon.  Mais 
CCS  mots  ne  peuvent  être  qu  en  très- petit  nombre  » 
parce  qu'il  y  a  peu  de  chofes  qui  faffent  fon.  Cdni 
de  ces  fix lettres S.o  li.i.L  u les  hommes  ne Ta- 
voient  établipour  être  le  figne  de  cet  Mre  »  re- 
vcilleroitaufli-tôt  ridée  d'une  piene.  Deux  perfon- 
nes  fe  communiquent  leurs  peiîfées  avec  toutes  forces 
de  mots  barbares,  quand  une  fois  ils  font  convenus 
de  ce  qu'ils  veulent  faire  fignifier  à  ces  mots. 

Platon  dans  fon  Cratyle  dit  qu  en  impofant 
les  noms  il  faut  choifir  ceux  qui  expriment  vérita- 
blement la  nature  des  chofes  qu'on  veut  qu'ils  figni- 
fient.  Cela  efl  fort  bien  ,  &  poffible  en  quelque 
manière ,  prenant  les  noms  qu'on  fait  de  nouveau , 
des  chofes  mêmes  avec  lefquelles  celle  qu'on  veut 
nommer  a  du  rapport ,  &  dillinguant  le  nouveau 
nom  par  quelque  changement»  ann  qu'il  devienne 
propre.  Mais  la  queftion  efl  fi  les  premiers  noms 
d'une  langue  ,  qui  font  comme  les  racines  des  au- 
tres, expriment  naturellement  ce  qu'ils  fignifient. 
Cela  fepeut  trouver  en  quelques-uns,  comme  nou^ 
l'avons  dit.  Les  noms  font  des  fons;  ainfi  lorfqu'ils 
ne  fe  peuvent  prononcer  qu*en  fâifant  le  fon  de  la 
(hofe  qu'ils  figniûent ,  on  peut  dire  que  ces  noms 
font  naturels ,  comme  beuglement ,  bennijfement  ^ 
rupîjfement  ^  beugler  ^  bennir»  rugir  ;  mais  je  l'ai 
d^a  dit ,  le  nombre  de  ces  noms  efl  très-petit. 
Tout  ce  qui  ne  fonne  point  n'a  point  d'exprefBon 

naturelle  en  ce  fens.    Outre  quç  de  quelque  mot; 

qu'on 


t6        La  RMiTOKiQjifB,  ou  l'Art 

qu'on  fe  fcrve  pour  marquer  ce  qui  a  un  fon  ,  cm' 
pourra  toujours  en  reveiller  l'idée,  fi  lufage Ta au- 
torifé.  Celle  du  cri  d'un  animal  fe  peut  réveiller  par 
un  nom  dont  la  prononciation  n'a  aucun  rapport 
avec  ce  cri ,  fi  les  hommes  l'ont  établi  pour  le 
fignifïer.  La  peine  que  prend  Platon  pour  éclaircir 
cette  queftion  eft  donc  inutile.  Les  étymologies  ou 
véritables  origines  qu'il  prétend  donner  de  plufieurs 
noms  Grecs ,  font  faulfes.  Il  lui  auroit  été  plus  facile 
de  les  dériver  de  la  langue  fainte  s'il  l'a  voit  connue. 
H  avoue  qu'il  y  a  de  certains  noms  qui  fe  doivent  re- 
garder comme  les  élemens  de  la  langue  ,  dont  on 
ignore  l'origine.  Il  ignoroit  l'origine  de  l'homme  que 
Dieu  avoit  formé  de  fes  propres  mains ,  &  à  qui  il' 
avoit  donné  un  langage,  dans  lequel  les  Savans  pré- 
tendent qu'on  peut  trouver  l'origine  de  toutes  les 
langues. 

'  Quoiqu'il  en  foit  de  Ce  fentiment ,  qui  s'accor- 
de avec  cette  vérité  confiante,  que  tous  les  peuples 
du  monde  tirent  leur  origine  dfes  trois  enfans  de 
Noé,  il  eft  évident  que  ces  hommes  fortis  nouvel- 
lement de  la  terre  ou  defcendus  du  ciel  feferoient 
pu  faire  un  langage  dont  chaque  mot  n  auroit* 
point  d'autre  idée  que  celle  avec  laquelle  ils  l'au- 
roient  lié;  fans  qu'on  pût  dire  que  quelque  impref- 
fion  corporelle  le$  y  eût  obligez  ,  ou  que  la  feule 
difpofition  de  leur  orgâneies  leur  eût  fait  prononcer  ; 
ainfiguelavoix  ou  lecriquifortdugozierd'unche- 
Tal  elt  un  hennifiemcnt. 

Concluons  donc  qu'il  fuffiroit  que  celui  qui  fc- 
roit  le  plus  fage  ou  le  plus  autonfé  de  nôtre  nou- 
velle troupe  ,  nommât ,  par  exemple ,  ce  mot  So- 
ieil  dans  le  tems  qu'on  feroit  tourné  vers  cet  Aftre , 
*ç  qu'oiï  y  feroit  attention,  pour  iaire  qu'il  devînt  le 
nom  de  cet  Aftre;  après  quoi  ce  n'auroit  plus  été  un: 
vain  fon.  Mais  il  faut  avouer  que  cette  convention 
-^  difficile,  Lc$  PJiilofopfacs  fie  le^  Hiftoricns  qui 
.'       '    '  veu' 


DE  PA&ISl..   UvJ.  Chétp.V.  17 

Tculent  que  les  hommes  foient  nez  de  la  terrç  comme 
des  champignons»  ont  beau  nous  dire  que  la  ne- 
cdBté  de  s'entr'aider  les  obligea  de  s'aiTembler ,  6c 
de  fe  faire  un  langage.  Je  ne  fai  fi  ne  s'entendant 
point  les  uns  les  autres»  ils  ne  fe  feraient  pas  plûr 
tôtdifperfés;  aimans  mieux  demeurer  avec  des  bê- 
tes ,  comme  faint  Augullin  dit  qu'on  aime  mieux 
converfer  avec  fon  chien  qu'avec  des  hommes  dont 
on  n'eft  point  entendu.  Tant  il  eft  vrai  qu*il  faut  re  • 
connoître  que  ce  n'eil  point  le  hazard  (]ui  a  formé 
les  hommes  :  qu  ils  ont  une  première  origine  :  qu'Us 
viennent  d*un  premier  homme  qui  étoit  1  ouvrage  de 
Dieu  ;  ce  que  nous  dirons  dans  la  fuite  avec  plus 
d'étendue.  Cependant  demeurons  dans  nôtre  hypo" 
thefe;  conûderons-la  comme  poffîble. 


Chapitre    V. 

Cts  nouveaux  hommes  pourrêient  trouver  unt  mM» 

nicTi  d'écrire.   Celle  que  nous  avons  ejl  due 

aux  anciens  Patriarches* 

SI  ces  hommes  pouvoicnt  fe  faire  un  langage,  ils 
pourroient  aum  trouver  des  caraderes,  lignes  de 
ce  langage.  Cell  ce  qu'il  faut  confiderer  ici.  Les 
langues  ne  fe  font  perrcdionnées  qu'après  qu'on  a 
trouvé  l'écriture,  &  qu'on  a  tâché  de  marquer  par 
quelques  fignes  permanens  ce  que  Ton  avoit  dit  de 
vive  voix ,  ou  ce  que  l'on  avoit  feulement  penfé.  Le 
ton  ,  les  gefles  ,  l'air  du  vifage  de  celui  qui  parle , 
foutiennent  Ces  paroles ,  &  marquent  une  partie  de  ce 
qu'il  penfe;  ainfi  eh  l'entendant  parler  on  conçoit 
aifément  ce  qu'il  veut  dire.  Un  difcours  écrit  efl 
mort;  il  eft  privé  de  tous  ces  fecours.  C'eft  pour- 
quoi à  moins  qu'il  ne  marque  exadement  tous  Jes 

traits  de  la  pcmëc  de  celui  qui  a  écrit  ;  que  toutes. 

■     ■   "  les 


iB         La  Rhetoriqjje,  ou  l*Art 

les  ptrolcsne  foicnt  liées,  &  ne  portent  des  mar- 
GUes  du  rapport  qu'ont  entr'elles  les  chofes  qu'elles 
ngnifient,  ce difcourseft imparfait,  obfcur,  inintel- 
ligible. C'eft  récriture  qui  fait  appercevoir  ce  qui 
manque  à  une  langue  pour  être  claire  :  on  voit  en 
écrivant  ce  qu'il  y  raut  luppléer ,  ce  qu'il  y  feut  chan- 
ger. Les  langues  barbares  peuvent  fufHre,  quand  il 
n'eft  queftion  auedesbefoins  de  la  vie  animale,  de 
la  vente  ou  acnat  de  quelques  marchandifes ,.  mais 
elles  ne  feroient  pas  capables  d'un  Ihle  réglé  dans 
lequel  on  pût  expliquer  les  Sciences. 

Or  il  en  cft  de  récriture  comme  du  langage,  6c 
généralement  de  tout  ce  qui  dépend  du  cuoix  des 
hommes.  Tous  les  animaux  font  la  même  chofc; 
parce  que  c'eft  le  mouvement  de  la  Nature,  quieft 
la  même  en  tous,  qui  les  fiait  agir  5  mais  entre  plu- 
fieurs  hommes  qui  entreprennent  une  mêmechofe, 
ils  la  font  chacun  d'une  manière  particulière.  Com- 
me ils  peuvent  choilir  quelque  ion  quecefoit  pour 
être  le  figne  de  leurs  penfées ,  ils  peuvent  pareille- 
ment marquer  ce  fon  par  quelque  figne  qu'il  leur 
plaira,  &cela  fort  différemment.  La  manière  dont 
nous  écrivons,  qui  confifte-  dans  les  differens  arran- 
gcmens  d'un  petit  nombre  de  lettres,  efl  une  inven- 
tion admirable  qui  fe  doit  rapporter  aux  premiers 
Patriarches.  Les  peuples  barbares,  j'entends  tous 
ceux  qui  fe  féparerent  des  enfens  de  Dieu  Ôc  errè- 
rent en  differens  coins  du  monde ,  n'eurent  Tufa- 
gé  de  l'écriture  telle  que  nous  l'avons ,  que  fort 
tard;  Âinfique  les  Américains,  avant  que  nous  les 
connuffions,  av oient  feulement  des  figures  ou  images 
pour  marquer  certaines  chofes;  ce  qui  eft  bien  diffé- 
rent de  notre  écriture.  Avec  vingt-quatre  différent 
fignes ,  ou  lettres  différentes ,  nous  marquons  ce  a  ue 
nous  voulons.  Ces  lettres  font  fimplcs ,  faites  d  un 
ou  de  deux  traits ,  ou  au  plus  de  trois.  En  les  com- 
binant il  n'y  a  point  de  diofe  qui  ait  un  nom  qu'el- 
les 


Di  PAmiER.  Liv.L  Cbap.V.  tf 

les  ne  marquent.  Mais  il  n'en  eft  pas  de  même  de 
ces  images  des  Américains ,  qui  étoient  propre- 
ment des  fymboles  6c  non  des  élemens  ;  mamere 
d'écrire  fort  imparfaite,  &<]ui  ne  mérite  pas  le  nom 
d'écriture.   Cdle  des  Chinois  Teil  encore  plus  :  di- 
fons  hardiment  qu'ils  ne  favent  point  écrire.    U 
leur  âiut  quarante  ou  foixante  mille  caraéteres» 
&mêmc  jiuqu'à  quatre-vingt  mille ,  comme  Taffu- 
rent  ceux  qui  ont  été  à  la  Chine.  Combien  fiiut-il 
de  difierens  traits  pour  former  6c  diitinguer  ces  ca- 
raéleres  ?  Le  moyen  de  fe  les  mettre  tous  dans  la 
tête  :  de  fe  fouvenir  en  les  voyant  de  ce  qu'ils 
peuvent  fîgnifier;  6c  lorfqu'on  ne  les  voit  point,  8e 
qu*onveut  exprimer  la  chofe  qu'ils  fignifient,  com- 
ment pouvoir  tirer  tous  leurs  traits  f  L'impreffion 
qu'ont  ces  Peuples  ,  eft  auffi  fort  imparfaite  ,  car 
pour  chaque  page  de  leurs  livres  il  faut  qu'ils  gra- 
vent fxu:  une  planche  de  bois  les  caraéleres  qu'Us  y 
veulent  repréfenter  ;  laquelle  ne  peut  fervir  que  pour 
faire  cette  paee  ;  ainû  il  faut  autant  de  différentes 
planches  qu'ily  adc  pages.  Une  planche  ne  fe  gra- 
ve pas  aulS  facilement  qu'on  aflemble  des  lettres, 
outre  que  celles  qui  ont  fervi  à  une  page ,  peuvent 
fervir  à  tout  un  livre. 

Rien  donc  de  plus  imparfait  que  toute  la  littératu- 
re Chinoife.  Cnaque  caraélere  fîgmfiant  une  feu- 
le chofe  ,  il  en  faut  Connoître  im  nombre  infini  > 
dont  il  n'eil  pas  poflTibledeconferver  en  fa  mémoi- 
re la  fîgnification  6c  les  traits  qui  les  diftinguent. 
Ajoutez  qu'ils  ne  marquent  que  les  chofes ,  6c 
qu'ils  n'expriment  ni  les  a^'ons ,  ni  les  rapports. 
Âufli  les  Chinois  admirent  les  Européens  voyaut 
qu'avec  un  petit  nombre  de  diflferens  traits  ils  lou- 
voient expnmer  toute  leur  langue.  Nos  caraaeres 
fe  nomment  Elemens ,  parce  qu'ils  font  en  petit 
nombre  ,  que  tous  les  mots  en  font  compofez ,  6c 
qu'il  n'y  en  a  aucun  qui  ne  fcpuilTc  réduire  à  quel- 
qu'un 


lo         La  Rhetoriqjue,  ou  l'Art 

qu  une  denos  lettres ,  comme  à  fon  principe  ;  ainfi 
que  toutes  les  chofes  matérielles  fe  reduifent  aux 
premiers  démens* 

;  En  parlant  de  la  véritable  origine  des  Langues , 
nous  verrons  en  quel  tems  à  peu  près  Tufage  des 
lettres  a  été  connu.  Nous  verrons  la  preuve  de  ce  que 
nous  avons  avancé ,  que  c'eft  aux  Patriarches  qu'on 
eft  redevable  de  l'invention  des  lettres.  Mais  il  faut 
remarquer  que  cette  invention  s'eft  beaucoup  per- 
fedionnée  aans  la  fuite  des  fiecles.  Si  ce  n'elt  qu'on 
veuille  dire  que  dans  les  premiers  commencemens  on 
fe  contentoit  d'écrire  ce  qui  étoit  abfolument  nc- 
cefraire,Ôc  qu'on  fupprimoit  ce  qui  fe  peut  fuppléer. 
On  n'écrit  dans  une  langue  que  pour  ceux  qui  la  fa- 
vent  ;  ainfi  en  voyant  les  principales  lettres  d  un  mot, 
il  eft  facile  à  celui  qui  connoit  ce  mot  de  deviner 
les  autres  lettres  qui  ne  font  point  marquées.    Les 
lettres  qu'on  nomme  confones,  ne  fe  peuvent  pro- 
noncer qu'on  nefaffe  en  même  tems  fonner  une  let- 
tre voyelle.  Ainfi  un  homme  qui  fait  parfaitement 
l'Hébreu,  quoiqu'il  nevoye  pas  dans  l'écriture  tou- 
tes les  voy  eues,  illesfuppleeaifément.  Que  cela  foi  t 
pofîible ,  on  n'en  peut  pas  douter ,  puis  qu'encore  au- 
lourdhui  les  Doéleurs  Juifs  ne  les  expriment  pas  dans 
leur  écriture,  &  que  cependant  ils  s  entendent  bien , 
&  lifent  couramment  l'écriture  les  uns  des  autres. 
Ceft  un  fait  appuyé  fur  de  bonnes  preuves ,  que 
jufqu'iau  cinquième  necle  après  la  Naiffance  de  J  e- 
s  u  s-C  H  R I  s  T  les  Hébreux  n'a  voient  point  l'ufa- 
g.e  de  ce  qu'ils  appellent  points  qui  tiennent  parmi 
eux  lieu  de  voyelles.    Ils  en  avoient  des  voyelles , 
mais  celles-là  ils  les  mettent  au  nombre  des  confon- 
nes;  Ôc  en  les  lifaiit,  ils  font  fouvent  entendre  le 
fon  d'une  véritable  voyelle  qui  eft  tout  différent. 
Auffî  il  n'y  a  que  ceux  qui  favent  l'Hébreu  qui  le 
puiflént  lire  fans  points.  Dieu  le  vouloit  ainfi ,  afin 
que  fi  les  Livres  derEcriture  venoient  à  tomber  en- 
tre 


DE   PARLERt    LiV.L  Ckélp.  V.  tf 

tré  les  mains  des  nations  étrangères ,  ils  ne  fuflcnt 
point  entendus  :  De  forte  que  non  feulement  Tin- 
telligencc,  mais  la  ledure  même  de  ces  Livres  depen* 
doit  d'une  Tradition  vivante  ;  TEcriture  couvrant 
de  cette  manière  des  mylleres  qui  ne  dévoient  pa^ 
être  connus  de  tout  le  monde. 

Autrefois  dans  l'Hébreu  &  prefque  dans  toutes 
les  Langues  on  écrivoit  tout  de  fuite ,  on  ne  diftin- 
guoit  point  les  differens  mots,  par  des  points,  par 
des  virgules;  qui  marquent  quand  un  nouveau  fcns 
commence ,  quand  il  eft  achevé.  On  ne  favoit  ce 
que  c'étoit  de  feparer  les  mots ,  de  commencer 
toujours  un»nouveau  fens  par  une  grande  lettre  ; 
de  diftinguer  de  même  les  noms  propres.  Dans  les 
langues  qui  ont  des  tons  differens ,  qui  ont  des  ac- 
cens,  comme  la  langue  Greque;  l'on  n'a  commen- 
cé de  les  marquer  ces  tons ,  ces  accens ,  ces  afpira- 
tions  que  depuis  que  la  langue  a  commencé  de  fe  cor- 
rompre ;  que  la  prononciation  s'elt  changée  ;  & 
qu'on  a  cherché  des  moyens  de  conferverrancien- 
ne  prononciation.  On  a  mis  des  notes  fur  chaque 
mot ,  qui  ne  fe  voyent  point  dans  les  ancieimes 
infcriptions,  dans  les  Manufcrits  de  la  prenaiere  an*- 
tiquité.  En  écrivant  on  ne  doit  rien  négliger  de  ce 
qui  peut  contribuer  à  la  clarté  du  Me,  Il  y  a  des  mots 
qui  ont  différentes  fignificatîons ,  félon  leurs  diffé- 
rentes notes  ou  accens.  Il  fout  profiter  de  tout  ce 
qu'on  a  trouvé  dans  la  fuite  des  fiecles  pour  per- 
feifiionner  l'écriture.  Quant  à  la  manière  de  la  ran- 
ger, elle  n'eft  pas  lapaême  dans  toutes  les  langues. 
Les  Qiinois  rangent  leurs  caraderes  par  coloranee. 
Ils  n'écrivent  pas  furune  ligne  tranfvcrfale,  mais  de 
haut  en  bas  fur  une  perpendiculaire  :  mettant  les  ca- 
raé^eres  qui  fe  fuivent  non  côte  à  côte,  mais  les  uns 
fur  les  autres  ;  ce  que  ceux  de  l'Ifle  de  Taprobane  qui 
fe  nomme  aujourdhui  Zeilan  »  faifoient  du  temsde 
Diodore  de  Sicile. 

Tovxr 


%z         La  Rhetoriqub,  0¥  l*Art 

Toutes  les  autres  Nations  mettent  leurs  mots  côte 
à  côte,  mais  elles  commencent  différemment.  Les 
Hébreux ,  les  Chaldéens ,  les  Syriens ,  les  Arabes  écri- 
voient  &  écrivent  encore  de  la  droite  à  la  gauche, 
Hérodote  dit  que  c*étoit  la  manière  des  Egyptiens. 
Les  Grecs  9  les.  Latins  dans  la  fuite  des  fiecles  com- 
mencèrent de  la  gauche  à  la  droite  ;  car  il  y  a  bien  de 
l'apparence  que  dans  les  commencemens,  comme 
c*cft  des  Hébreux  que  leur  eft  venu  l'Art  de  l'Ecritu- 
re »  ils  en  avoient  toutes  les  manières.  Us  ne  les  quit- 
tèrent pas  d'abord  pour  en  prendre  de  contraires.  Ils 
conferverent  la  première  en  mênic  tems  qu'ils  en 
prirent  une  nouvelle;  car  ilsécrivirentdeladroiteà 
U  gauche ,  8c  de  la  gauche  à  la  droite ,  joignans  ces 
4eux  manières.  Ils  faifoient  comme  les  laboureurs, 
qui  ayant  commencé  de  la  gauche  à  la  droite;  quand 
ils  font  au  bout  du  champ  qu^ils  labourent ,  us  re- 
•commencent  de  la  droite  a  la  gauche,  6c  conrinuent 
de  mêcae.  C'eft  à  dire  que  les  Grecs  écrivoientptr 
iillons,  ou  comme  les  bœufs,  qui  en  labourant  re- 
commencent où  ils  finiflent  ;  d'où  les  Grammai- 
riens Grecs  appellent  cette  ancienne  manière  d'é- 
crire fiitçgê^hr. 

On  pourroit  dire  que  les  hiéroglyphes  des  Egyp- 
tiens étoient  une  cinquième  manière  d'écrire  ;  car  ces 
hiéroglyphes  font  différents  des  caraétcres Chinois, 
qui  ne  rcpréfentent  rien.  Ce  font  de  fimples  traits  ; 
au  Heu  que  les  hiéroglyphes  des  Egyptiens  étoient 
4es  images  d'animaux  ,  fymboles  des  myileres  que 
ces  peuples  vonloient  fîgnifier.  Les  caraderes  du  Pé- 
rou ,  du  Mexique ,  étoient  plus  femblables  à  ceux  des 
Egyptiens  qu'a  ceux  de  la  Chine;  car  c'étoient  des 
images ,  des  repréfentations ,  des  peintures.  Enfin 
nous  pourrions  compter  entre  les  différentes  écritures 
ces  notes  ou  abrégez  dont fefervoient les  Romains, 
avec  Icfquellcs  ils  écrivoient  avec  tant  de  célérité , 
que  leur  main  étoit  plus  prompte  que  la  langue  de 

celui 


DB  PA&LlR.  Lh.L  Cbap.VL  13 

celui  qui  rccitoit  le  difcours  qu  ils  copioient ,  tfétoit 
agile.  Ils  avoient  des  notes  pour  chaque  chofe ,  pour 
àaque  nom  ,  comme  les  Chinois.  On  en  compte 
jafqa'à  5000.  Gruter  en  a  fait  imprimer  une  partie. 


Chapitre    VI. 

four  msrquer  tes  tTtffirens  train  du  Tâbkuu  dout 
pn  M  firme  le  dejfein  dans  Pefprît  9  on  a 

befiin  de  mots  de  dtfferens  ordres, 

« 

NE  confiderons  pas  feulement  ce  que  feroieot  ces 
nouveaux  nés»  uns  doârine  Se  groffiers.  Voyons 
ce  que  la  Raifon  prefcrit  ;  ou ,  ce  qui  eft  la  même 
chofe ,  ce  que  ces  nommes  auroient  ndt  s*ils  avoient 
été  Philofophes  »  s'ils  avoient  confulté  la  Raifon ,  8c 
écouté  ce  qu'elle  peut  prefcrire  pour  marquer  tous 
les  traits  de  nos  pcnfécs ,  leur  raport ,  leur  fmte.  Sup* 
pofons  donc  qu'ils  foient  raifbnnables;  cardes  Bar- 
bares qui  ne  vivent  que  félon  Timpreilion  des  fens  » 
fans  réflexion ,  fans  ji^ment ,  fans  raifonnement  » 
fans  entretien,  ne  forment  aucune  penfée  réglée.  Sup- 
pofons,  dis-je,  que  ces  hommes  font  Philofophes.  Les 
opérations  de  nôtre  efpnt  fur  fes  idées  fe  reduifent  à 
trois  ou  à  quatre.  Ûapperçoit  ce  qui  eft  en  lui-mê- 
me ,  comme  font  les  premières  veritez  avec  lefquelles 
nous  naifTons ,  6c  les  chofes  qui  font  hors  de  lui  com- 
me les  aftres ,  les  plantes ,  les  animaux  »  par  la  porte 
des  fens  du  corps  où  il  eft  renfermé.  Cette  première 
opération  de  l'efprit  fe  nomme  dans  les  écoles  de 
Philofophie,  perception.  Lorfque  nous  avons  apper- 
çû  un  objet,  que  nousyfaifons  quelque  attention, 
que  nous  reflecnifTons  fur  ce  que  nous  y  découvrons , 
nous  en  jugeons;  c  eft  à  dire  bue  nous  lui  attribuons 
quelqye  qualité  en  afturant  qu'il  eft  tel,  ou  qu'il  n'eft 
pastel,  vctte  féconde  opération  de  l'efprit  s'appelle 

juge- 


14        I-'A  Rhétorique,  ou  l'Art 

jugement  y  laquelle  eft  fuivie  d'une  troiliémc  qui  tire 
desconfequencesdecequ'onaconnu  d'un  objet  par 
les  deux  {«"emieres  opérations.   C'eft  ce  qu'on  ap- 

Selle  ra'tjbnner.  Enfin  fdon  la  nature  &  les  qualitex 
e l'objet  de  nos  penfées  nous  fentons  dans  la  volonté 
desmouvemensd'eilime  ou  de  mépris,  d'amour  ou 
de  haine,  décolère,  d'envie,  dejaloufie;  cequife 
nomme  ùajjion.  Ainii  tout  ce  qui  fe  pafle  dans  nôtre 
dprit ,  eft  aâion  ou  pnjjion.  Nous  verrons  dans  la 
fuite  comment  les  paffion.s  fe  peignent  elles-mêmes 
dans  nos  paroles.  L'on  appelle  idée  la  forme  d'une 
penfée  qui  eft  l'objet  d'une  perception ,  c'eft  à  dire 
d'une  penfée  qu'on  a  à  l'occanon  de  ce  ou'on  connoît 
par  la  première  opération  de  l'efprit.  Par  exemple, 
lorfque  le  Soleil  frappie  mes  yeux  par  fa  lumière,  ce 
qui  eft  pour  lors  prélent  à  mon  efprit ,  &-  ce  que  j'ap- 
perçois  en  moi-même ,  eft  l'idée  du  Soleil ,  laquelle 
demeure  dans  ma  mémoire ,  lorfque  cet  aftre  difpa- 
roît.  Ainfi  nous  avons  refprit  plein  des  idées  d'une 
infinité  de  chofes  matérielles  que  nous  avons  vues. 
Nous  avons  auffi  les  idées  de  pluiieurs  veritez  que 
nous  n'avons  point  reçues  des  fens. 

Sans  doute  que  ces  nouveaux  hommes  donne- 
roient  leurs  premiers  foins  à  faire  des  mots  pour  être 
les  fignes  de  toutes  ces  idées,  qui  font  les  objets  de  nô- 
tre perception  ,  ou  de  la  première  opération  de  nôtre 
efprit.  Pour  juger  de  ce  qu'ils  feroient  dans  l'établifTc- 
ment  de  ces  fignes ,  conuderons  que  ces  noms ,  quels 
qu'ils  foient ,  entant  qu'ils  font  prononce?,  ou  qu'ils  le 
peuvent  être ,  font  des  fons  que  forment  les  organes 
de  la  voix.  Or  entre  ces  fons  il  y  en  a  de  fimplcs , 
aufouelsonpeut  réduire  tous  les  autres ,  qui  en  font 
ainu  comme  les  premiers  élemens.  Nous  diilinguons 
dans  la  langue  Françoife',  comme  dans  la  Latine , 
vingt-quatre  fons  fîmples  qu'on  marque  par  autant 
de  lettres  de  différente  figure.  Cenom  D/Vw^ftcom- 
pofé  de  quatre  fons  diSercns  ou  lettres  qui  dut  cha- 
cune 


BB    PAIlt£R.    Lîv,L  Cbêf.VU  15 

:ur  foh.  Les  dirpoûtions  des  organes  de  U 
suvent  être  différentes  &  dans  leur  fubftance, 
;  leur  ufige,  ce  qui  fait  que  la  même  lettre 
m  différent  félon  qp'elle  eft  prononcée  par  dif- 
s  Nations.  Cell  pourquoi  fi  on  vouloit  con- 
toutes  les  varierez  &  différences  qui  peuvent 
tre  les  fonsqu  on  appelle  fimples,  ouelcmens 
arole ,  on  trouvoit  bien  plus  de  vingt-quatre 
;  car  il  y  en  a  qui  ne  font  ufitées  que  par  cer- 
Nations  qui  les  multiplient ,  &  y  mettent  des 
nces  affei  confiderablcs ,  pour  pouvoir  être 
ées  par  differens  caraéleres.  Nous  avons  par 
le  trois  fortes  de  e  qui  ont  des  fons  differens, 
li  nous  pourrions  donner  differens  caraderes, 
L  augmenter  le  nombre  de  nos  lettres.  Entre 
is  <qui  font  fimples ,  il  y  en  a  qui  ne  font  pas 
lent  faciles  &  agréables  à  tout  le  monde.  Pour 
îs  uns  les  évitent ,  pendant  que  d'autres  s'en 
t.  Ceft  pourquoi  il  ne  faut  pas  s'étonner  que 
s  peuples  du  monde  n'ayent  pas  un  égal  nombre 
aâeresy  que  leur  Alphabet  foit  plus  grand  ou 
îtit  que  le  nôtre.  Parlons  de  ces  hommes  que 
ntroduifons  fur  la  fcenc ,  coftime  Ç\  le  hazard 
qu'ils  fe  ferviffent  des  fons  ou  lettres  de  nôtre 

bet. 

us  ne  comptons  que  vingt -quatre  lettres  ou 
quatre  fons  (impies,  ainfi cette nouvclletrou- 
î  pourroit  fe  fervir  des  fons  (impies  que  pour 
ler  vingt-quatre  chofes  différentes;  à  moins 
ne  fceullcnt  differentier  chacun  de  ces  fons  par 
:ns  tons,  par  rélcvaiion  ou  la  pofition  de  la 
comme  dans  le  chant  on  prononce  diffe- 
ent  la  niémc  voyelle  fclon  qu'elle  elt  notée, 
i  n'eft  ni  impoirible  ni  incroyable;  car  nous 
is  qu'il  y  a  eu  des  peuples ,  &  que  les  Chinois 
:  encore  aujourd'hui,  qiiichantoicntenquel- 
micreenp^rlAm:  Mais  enfin  fi  notre  nouvelle 

B  ttow- 


i6         La  Rhit^rique,  ou  l'Art 

troupe  prenoit  nos  manières  qui  font  naturelles ,  clic 
ne  pourroit  faire  des  vingt-quatre  lettres  que  vingt- 
quatre  noms.  En  compofant  des  noms  de  deuxlet-» 
très ,  elle  en  feroit  vingt-quatre  fois  davantage ,  c*cfl: 
à  dire ,  cinq  cent  foixante  &  feizc  ;  Ôc  vingt-qua- 
tre fois  encore  davantage ,  c'eftàdire,  treize  mille 
huit  cens  vingt-quatre  en  faifant  des  noms  de 
trois  lettres,  comme  nous  l'avons  dit.  Ainfiilleur 
feroit  facile  dans  cette  infinie  variété  de  trouver  des 
lignes  particuliers  pour  marquer  chaque  idée ,  &  lui 
donner  un  nom. 

Comme  Ton  fe  fert  naturellement  de  ces  premières  " 
connoiflances,  nous  pouvons  croire  que  lorique  d'au- 
tres chofes  fe  préfenteroientàleurefpritquiferoient 
femblables  à  celles  à  qui  ils  auroient  donné  un  nom 
propre  ,  ils  ne  prendroient  pas  la  peine  de  faire  de 
nouveau*  mots ,  ils  fe  ferviroient  des  premiers  nom» 
en  les  changeant  un  peu  pour  marquer  la  différence 
des  chofes  auxquelles  ils  les  appliqueroient.  L'expc^  ' 
rience  me  le  perfuade  :  lorfque  le  mot  propre  ne 
vient  pas  affez-tôt  à  la  bouche  ,  on  fé  fert  du  nom 
d'une  autre  chofe  qui  a  quelque  rapport  à  celle-là. 
Dans  toutes  les  langues  les  noms  des  chofes  à  peu 
près  femblables  différent  peu  entr'eux  :  Piufieurs 
mots  prennent  leur  racine  d'un  feul ,  cornme  on  le 
voit  clans  les  Diétionnaires  des  langues  qui  font  con- 
nues. 

Un  même  mot  fe  peut  diverfîfier  en  piufieurs  ma- 
nières ,  parla  tranfpofition ,  parle  retranchement  de 
Quelqu'une  des  lettres  qui  le  compofent ,  ou  par  l'ad- 
oition  d'une  voyelle  ou  d'une  confonc;  par  le  chan- 
gement de  la  terminaifon  :  de  forte  qu'il  n  eft  pas 
difficile ,  lorfqu'on  communique  le  nom  propre  d'u- 
ne chofe  à  toutes  celles  qui  lui  font  femblables,  de 
marquer  par  quelque  petit  changement ,  ce  que  ces 
chofes  ont  de  particulier ,  &  en  quoi  elles  différent 
de  celles  dont  elles  ont  pris  le  nom.    C'eft  à  dire 

qu'il 


DE     PARLER.    Liv.I,  Ckétp.VL  I7 

Il  pas  dilËcile  de  leur  donner  des  fîgnes  partir 

►  cet  établiffement ,  les  mots  quilsauroient 
&  qui  par  eux-mêmes  ne  fignifioientrien, 
:  la  force  d'exciter  les  idées  des  diofesaux- 
Is  les  auroient  appliquez.  Caries  ayant  pro- 
»  ôc  entendu  prononcer  fouvent  lorfqueces 
eur  étoient  préfentes,  les  idées  de  ces  chofes 
^  mots  feferoient  liées:  de  forte  que  l'une  ne 
t  pas  être  excitée  fans  l'autre.  Comme  quand 
ons  vu  fouvent  une  perfonne  avec  un  certain 
l'abord  que  nous  penfonsàelle,  Tidéedecet 
préfente  à  nous;  &  la  feule  idée  de  cet  habit 
:  nous  penfons  à  cette  berfonne. 
.  ne  peut  point  favoir  ti  ces  hommes  garde- 
quelque  r^e  en  cherchant  des  termes  pour 
ner.  S'ils  ne  compoferoient  ces  termes  que 
:rtain  noml^re  de  fyllabes.  Tous  les  mots  des 
s  n'en  ont  qu'une.  Les  racines  Hébraïques, 
îs  de  la  langue  Grecque  n'ont  que  trois  con- 
La  Nature  porte  à  cette  fimplicité.    Plus  le 
s  ci  court,  il  répond  mieux  à  l'ardeur  que  nous 
ic  dire  vite  ce  que  nous  penfons  :  &  il  farisfait 
ne-tems  au  defir  impatient  qu'on  a  quand 
ute ,  de  favoir  ce  que  veuf  dire  celui  qui  par- 
rfque  les  langues  ont  commencé  à  fe  corrom- 
ps mots  fe  font  pour  l'ordinaire  allongez.  Une 
rien  qu'un  mot  ait  un  plus  grandnombredc 
s ,  lorl'que  deux  ou  trois  fuffifent  pour  le  faire 
aer  de  tout  autre  mot. 
étoit  queftion  àpréfent  de  faire  de  nouveaux 
our  en  compofcr  une  nouvelle  langue ,  il  fcroit 
pbferver  quelques  règles.  La  première  devroit 
;  les  compofer  d'un  très -petit  nombre  de  fylU- 
a  féconde,  de  choifir  les  fyllabes  dont  le  fon  an- 
jelque  rapport  avec  la  chofe  qu'on  voudroit 
T;  car  lori'qu'on  cherche  un  fignc,  ileilplus 

B  i  m- 


28         La  Rhetohique,  ov  l'Art 

xaifonnable  de  prendre  les  chofcs  qui  femblent  faites 
pour  cela  :  c'en  ce  qu'on  a  fait  pour  exprimer  le  cri 
des  animaux ,  on.a  dit  hare ,  binnire ,  hnlare  y  beu- 
gler, hennir,  bêler:  ces  termes  ont  un  fon  qui  ap- 
proche de  celui  qu'ils  fignifient.  Latroifiéme  règle 
feroit  de  faire  que  les  mots  euflent  une  haifon  en- 
femblc,  félon  que  les  chofes  qu'ils  iignifieroientau- 
roient  des  liailons  &  des  rapports.  Il  ne  faudrbit 
que  les  compofer  de  lettres  qui  euflent  un  fbn  appro- 
chant, qu'il  n'y  eût  entr'eux  de  différence  que  dune 
ou  de  deux  lettres;  ou  que  ce  fufl*ent  les  mêmes 
lettres;  mais  rangées  d'une  autre  manière,  comme 
on  en  voit  plufieurs  exemples  dans  la  langue  fainte. 
Mais  il  eft  inutile  de  donner  ces  règles ,  fi  ce  n'efl 
que  cela  nous  fait  comprendre  en  quoi  peutconfifter 
la  fimplicité  &  la  beauté  d'une  langue.  Nous  ne  fa- 
Yons  pas  ce  que  feroient  ces  nouveaux  hommes. 
Apparemment  ils  nephilofopheroientpas  beaucoup. 
Lempreflement  qu'ils  auroient  déparier  feroit  qu'ils 
fc  ferviroient  des  premiers  termes  qui  fe  préfente- 
roient  ;  &  quand  un  terme  eft  une  fois  établi ,  on 
ne  s'avife  guère  d'en  chercher  un  autre. 


ClfAPITRE      VII. 

JLeflexion  fur  U  manière  dont  en  chaque  langue  on 

fe  fuit  des  termes  four  s'' ex  frimer.     Ces  re- 

flexions  conviennent  à  /'Art  de  farler, 

ê 

NO  U  $  ne  prétendons  pas  apprendre  l'Art  de  par- 
ler de  cette  feule  troupe  ae  nouveaux  hommes 
que  nous  avons  introduits  ici.  Nous  ne  pouvons  fa- 
voir  que  par  conjeélure  ce  qu'ils  feroient.  Nous 
voyons  ce  que  les  hommes  ont  fait  en  tout  pais  & 
dans  tous  les  fiecles ,  &  il  eft  bon  de  le  coniiderer  ;  car 
9  eft  de  la  deraiere  importance,  pour  connoîire  à 

^'    fond 


f 


fond  la  Nature  du  langage ,  de  remarquer  les  manières 
(kparier  de  chaque  Nation.  Bien  des  gens  fc  trompent 
ani  s'imaginent  que  la  Rhétorique  ne  conlifle  que 
dans  les  omemens  du  difcours  ;  Ôc  que  des  reflexions 
femblables  à  celles  que  nous  allons  faire  ne  convien- 
nent qu'aux  Grammairiens.  Usjugent  de  l'éloquen- 
ce, comme  ceux  qui  ignorant  la  Peinture  ,  pen- 
fent  que  le  coloris  en  eft  la  principale  chofc.  Je  ne 
m'arrêterai  pas  à  leurs  jugeraens  ;  &  quoi  que  je 
naye  pas  dcflein  de  faire  une  grammaire  générale, 
je  ferai  cependant  mes  reflexions  fur  les  manières 
gui  font  paiticulieres  à  de  certaines  langues ,  lor:que 
je  croirai  qu'il  fera  nécelTaire  dç  le  faire  pour  dé- 
couvrir les  fondemens  de  l'Art  de  parler. 

Nous  avons  vu  comme  la  néccffiié  auroit  obligé 
nôtre  nouvelle  troupe  d'établir  les  termes  pour  tou- 
tes les  chofes  dont  il  faut  parler  fouvent;  mais  il  y 
a  bien  de  l'apparence  que  leur  langue  feroit  d'abord 
fort  fterile.  Comme  les  pauvres  fe  fervent  d'un 
même  habit  pour  tous  les  jours  ;  que  deux  ou  trois 
vaiffelles  font  tous  leurs  meubles;  auffi  ceux  qui 
n'ont  pas  de  grandes  connoiflances  n'ont  befoin 
pour  s  exprimer  <jue  d'un  petit  nombre  de  termes, 
qui  leur  fervenf  a  toutes  chofes.  Les  perfonnes 
groffieres  ne  reflechiffent  prefque  point.  Leurs  vues 
font  bornées  :  ils  ne  peuvent  parler  que  de  ce  qu'ils 
connoiflent ,  ils  n'ont  donc  befoin  que  d'un  petit 
nombre  de  mots.  Ils  n'ont  pas  afTez  de  délicateiTe 
pour  diftinguer  dans  les  chofes  ce  qui  met  de  la 
différence  entr'elles;  c'eft  pourquoi  eUcs  leur  jpa- 
roilfent  femblables ,  ainil  les  mêmes  mots  leur  fer- 
vent pour  toutes.  Cela  fe  voit  dans  le  langage 
des  Barbares  qui  vivent  comme  des  bêtes,  &  qui 
ne  penfent  qu'a  boire  &  à  manger.  Ils  n'ont  às^ 
termes  que  pour  marquer  ces  aétions.  Ceux  qui  ne 
connoiflent  point  les  Amples,  les  regardent  pref- 
juc  toutes  comme  femblables;  5f  ces  termes  géné- 

B  3  raux  , 


30         La  Rhetoriqjue,  ou  l'Ar  T 

rvxxéTbertej  de  plante  y  Je  Jtmf/e  ^  lent  (uMtnt.  Les 
Médecins  qui  ont  des  idées  diftinéles  de  chaque 
fimple  en  particulier ,  n*ont  pu  s'en  contenter  ;  ils 
ont  cherché  des  noms  propres  à  chaque  efpece. 

Selon  que  les  peuples  ont  donc  fait  plus  d'atten- 
tion aux  chofes ,  leurs  termes  ont  des  idées  plus 
diftindes ,  &  ils  font  en  plus  grand  nombre.  Une  mê- 
Hic  chofe  peut  avoir  plufieursdegrez.  Elle  fera  dans 
fon  efpece ,  ou  une  des  plus  grandes ,  ou  une  des  plus 
petites.  Ceft  pour  exprimer  ces  degrez  qu'on  a  fait 
les  diminutifs,  comme  en  Latin  de  bomo  on  a  fait 
komuffcio.  Les  Italiens  ont  un  grand  nombre  de  di- 
minutifs. Les  £fpagnols  ont  des  diminutifs  6c  des 
Boms  qui  augmentent.  De  a/ne  nous  faifons  a/non  : 
eux  de  ajno  font  afni//o  un  petit  afne ,  êc  afnazeun 
grand  aine.  On  peut  regarder  une  même  chofe 
aune  manière  générale,  fans  faire  attention  à  ce  qui 
la  diftinguc  de  toute  autre,  &  s'en  former  ainfi  une 
idée  abftraite.  Les  noms  qui  marquent  ces  idées  s'ap- 
pellent ahflrûits  ,  comme  ce  mot  humanité ,  qui 
marque  1  homme  confideré  en  général  fans  qu'on 
pcnfe  à  aucun  homme  en  particulier.  Toutes  les 
langues  n'ont  pas  également  des  diminutifs  ou  des 
augmentatifs  ,  6c  de  ces  termes  qu'on  nomme 
abftraits.  Il  ne  faut  pas  juger  des  langues  étrangères 
par  la  nôtre.  Les  uns  peuvent  obferver  ce  que  les  au- 
tres négligent ,  6c  voir  une  chofe  par  un  endroit  que 
nous  n'appercevions  point.  C'efl  pourquoi  en  tra- 
duifant  fl  n'efl  pas  pofTible  d'exprimer  toujours  mot 
pour  mot  ce  qui  eft  dans  l'original  ;  car  chaque  peu- 
ï^e  confideré  les  chofes  d'une  manière  particulière, 
6c  comme  il  lui  plaît:  ce  qu'il  marque  par  un  terme 
propre,  qu'on  ne  peut  par  conféquent  expliquer  que 
par  des  circonlocutions  6c  avec  un  grand  nombre 
d'épitetes.  Pour  éviter  cela ,  on  eft  obligé  de  rece- 
voir des  termes  étrangers,  comme  nous  avons  reçu 
VincognkQ  des  Italiens. 

Il 


DE   PAELER.  Ltv.L  Cbap.Vîl.  31 

n  dépend  de  nous  de  comparer  les  chofes  comme 
nous  voulons,  ce  qui  fait  cette  grande  différence  qui 
cft  entre  les  langues  qui  ont  une  même  origine.  Ce 
qoilcs  Latins  appellent  fenefira^  les  Espagnols  Tap- 
pcDent  vfntana ,  les  Portugais  jomlië.  Nous  nous 
icrvons  auffi  de  ce  mot  croifit  pour  marquer  la  mê- 
me chofe.  Feneftrot  ventus  yianus  t  crux  font  des 
mots  Latins.  Le  François ,  l'Hpagnol  »  le  Portuga's 
viemieht  du  Latin ,  mais  les  Espagnols  conûderant 
que  les  fenêtres  donnent  pafTage  aux  vents  »  ils  les 
appellent  ventana  de  ventus.  Les  Portugais  ayant 
regardé  les  fenêtres  comme  de  petites  portes,  ils  les 
ont  ajppellé  jtf»r/&f  de  janua.  Nos  fenêtres  étoient 
autrefois  partagées  en  quatre  parties  avec  des  croix 
de  pierre  :  on  les  appeûoit  pour  cela  des  croifiesde 
aux.  Les  Latins  ont  confideréquerufage  des  fenê- 
tres efl  de  recevoir  la  lumière»  ik  mot  ftneftrawïtîA 
du  Grec  ^ai^H*  qui  fignifie  reluire.  Ceil  ainfi  qut 
les  différentes  manières  de  voir  les  chofes  portent  à 
hur  donner  differens  noms. 

La  facilité  &  la  douceur  de  la  pronondadon  de- 
mandent une  grande  abondance  de*  termes  pour 
choiiir  ceux  dont  le  concours  foit  moins  rude  ;  fans 
cela  un  petit  nombre  de  termesfuffiroit,  au'onpour- 
roit  accroître,  ajoutant  à  qudques-uns de  certaines 
fyllabes,  pour  faire,  par  exemine,  d*un  primitif  des 
dérivez ,  ainfi  que  le  font  les  Géorgiens  peuples  de 
l'Afie.  Tous  les  noms  dérivez  dan§  leur  langue  ne 
différent  des  primitife  que  par  cette  terminaifon 
jani.   Si  ce  font  des  noms  de  dignité ,  de  charges, 
de  quelqu'Art ,  les  dérivez  ajoutent  aux  primitifs  rm. 
Avec  cette  fyllabeyi  qu  ils  mettent  devant  le  nom 
d'une  chofe,  ils  font  un  dérivé  qui  marque  le  lieu  de 
cette  chofe.  Ainfi  tbreâi  fignifie  colombe ,  ^fatbredi 
un  colombier,  cbueli  fromage,  frcbueU  le  lieu  où 
l'on  garde  le  fromage.  Les  mêmes  Géorgiens  font 
généralement  un  fubilantif  d'un  primitif  qui  cft  ad- 

B  4  jcAif , 


3i  La  Rhitoriqui,  ou  l'Art 

jcâif ,  en  lui  ajoutant  &ba  •>  à.t  fi'ianinoh ,  fctaneba 
noirceur.  Des  adverbes  primitifs  ils  font  des  ad- 
jeâ:ifs  avec  mâelî:  leurs  comparatifs  avec  la  fyllabc 
fi.  Les  Turcs  font  à  peu  près  la  même  chofe  ,  ce  que 
je  rapporte  pour  montrer  qu'on  pourroit  bien  dimi- 
nuer ce  grand  nombre  de  termes,  &  rendre  les  lan- 
gues plus  aifées.  Mais  il  faut  contenter  les  oreilles 
qui  ne  s'accommodent  pas  dans  toutes  les  occafions 
de  certains  termes ,  &  qui  ne  peuvent  foufirir  quand 
elles  font  délicates,  la  répétition  trop  fréquente  des 
mêmes  fons. 

Un  iavant  Anglois  qui  a  fait  une  Grammaire 
Angloifc  raifonnée ,  montre  comme  les  noms  An-  • 
glois  fe  forment  aifément  les  uns  des  autres  avec  un 
Jcger  changement ,  comme  de  brajje  qui  fignifie 
érain ,  il  font  to  braze ,  en  Latin  vbérare,  £n  ajou- 
tant jp  au  nom  d'une  chofe ,  ils  en  font  un  qui  mar- 
que l'abondance  de  cette  même  chofe.  Ainii  a  ti,ealtb 
qui  fignifie  ricbeffè  ^  ajoutant^  ils  font  i»ea/tbyf 
abondant  en  ricbejffes, 

'  La  terminaifon  iy  marque  reflemblance ,  comme 
God  Dieu,  &  God(^  qui  elt  conforme  à  Dieu.  Jfh 
cft  une  terminaifon  qui  marque  diminution.  Car 
cet  Auteur  Anglois  prétend  que  parmi  les  mots  qui 
'font  Anglois  d'origine ,  plufieurs  font  compofet  de 
lettres  dont  le  fon  convient  aux  chofes  qu'ils  figni- 
iient  ;  que ,  par  exemple ,  les  mots  qui  commencent 
par  Sfr  marquent  le  plus  grand  effort  de  la  chofe 
qu'ils  fignifient,  comme  ceux  qui  commencent  par 
St  un  moindre  effort:  que  ceux  qui  commencent 
par  Tbr  indiquent  un  violent  mouvement ,  par  Kvr 
une  action  oblique ,  qui  n'eft  pas  droite  :  par  C/une 
liaifon ,  une  adhérence  :  il  fait  voir  de  même  que 
le  fon  des  terminaifons  en  plufieurs  noms,  s'accorde 
avec  ce  qu'ils  fignifient.  Chacun  peut  faire  de  pa- 
reilles remarques  fur  les  langues  qui  lui  font  con- 
nues; ôc  il  les  faut  faire  quand  on  s'en  veut  ren- 
dre 


I 


i  dicnaî'.re,  qu'on  les  veut  apprendre,  &  s'cnfcrvir. 
!  Ainfi  ce  que  nous  difons  id  e(l  de  conféquence , 
,     quoiqu'il  ne  le  paroiffe  pas. 

ï  

I  ChapitkeVIII. 

I      Des  Noms  Subftantifs  &  Aéljefiifs^  des  Articles. 
Du  nombre  et  des  cas  des  Noms, 

LE  s  mots  qui  fignifient  les  objets  de  nos penfécs , 
ceft-à-dire  les  chofes,  font  appeliez  noms.  On 
confidere  en  chaque  chofe  fon  être ,  ou  fa  manière 
d'être.  L'être  d'une  chofe,  par  exemple  ,  l'être  de  la 
rire ,  c'eft  la  fubftance  de  la  cire.  La  fkure  ronde 
ou  quarrée  ,  laquelle  fe  peut  changer  fins  qu'dlc 
cefle  d'être  cire ,  font  fes  manières  d'être.  Etre  igno- 
rant ou  favant,  font  des  manières  de  notre  être.  Il 
&ut  néceffairement  qu'entre  les  Noms ,  les  uns  foient 
deilinez  à  lignifier  la  fubftance  de  l'être ,  &  que  les 
autres  expriment  la  manière  de  l'ctre.  Nous  appel- 
ions pour  cela  noms.  Suhflantifs ,  ceux  qui  mar- 
quent l'être  abfolu  d'une  chofe  :  &  Adjeflifs ,  ceux 
qui  n'en  marquent  que  la  manière  ;  parce  qu'ils  ne 
fubfiftent  que  par  le  nom  fubllantif  auquel  on  \t% 
ajoute.  Dans  ces  deux  mots  Te^re  rondes  le  pre- 
mier eft  un  nom  fubftantif ,  &  le  feicond  qui  ne 
fignifie  que  la  manière  de  l'être  de.  la  terre ,  cil  ad* 
jecffaf.  Les  noms  fubftamiô  deviennent  adje<5^ifs;  ou 
plutôt  les  chofes  qui  font  des  erres  abfolus  64  des 
fuWlances,-font  exprimées  par  des  noms  adjedifs, 
quand  elles  font  appliquées  à  d'autres  êtres,  dont 
elles  deviennent  la  manière  d'être.  Les  Métaux 
font  àcs  fubftances^  mais  parce  qu'on  les  applique  à 
d'autres  fuhftances  ,  on  en  Éait  des  adje<ftife  ,  com- 
me font,  ces  adjeétifs,  doré^  argenté ^  e/laméy^Vs 

autres.  Au  contraire  les  adjeâifs  deviennent  fubftar.- 
•^  B  5  tifs. 


34         La  Rhitorique,  ou  l'Art 

tifs ,  lorfqu'une  manière  d'être  fe  confidere  d'une 
manière  abfolue,  Ainfi  Couleur  eft  un  nom  fub- 
ftantif  ;  &  ces  noms  adjeiftifs  blanc ,  noir  »  de- 
viennent fubftantifs  quand  on  les  confidere  en 
général  fans  les  fubftances  qui  les  foutiennent. 
Leblanc,  le  noir  font  des  fubilantifs;  comme  font 
en  général  tous  les  noms  qui  ont  une  idée  qu'on 
peut  confiderer  abfolument  fans  rapport;  comme 
ie  boire ^  le  mangea ,  le  dormir.  Les  Grecs ,  les  La- 
tins ,  en  quoi  nous  les  imitons ,  font  leurs  adjeclift 
du  fubftantif ,  en  changeant  la  tcrminaifon.  Les 
Anglois  font  obligez  de  joindre  au  fubftantif  un 
fécond  nom.  .  Aihfi  Full  qui  fignifie  plein  .  leur 
fert  à  faire  plufieurs  adjedifs:  par  exemple,  Joy 
full,  plein  de  joye  ,  pour  joyeux.  Cave  full  % 
plein  de  foin,  ^oux  follicitus  inquiet.  Some  figni- 
fie quelque  chofe  \  Deligtb  ,  deiefiaùon  :  ils  difent 
eleligtb  fome  ,  pour  deleflahk  :  le  mot  lejje  fignifie 
w/oins ,  petit  i  ainfi  Care  Jeffe  c'eft  la  même  chofe  que 
négligent. 

■  Les  noms  fîgnifient  ordinairement  les  chofes 
d'une  manière  vague  &  générale.  Les  articles 
dans  les  langues  où  ils  font  en  ufage ,  comme 
dans  la  nôtre  ,  &  dans  la  Grecque ,  déterminent 
cette  fifnification ,  &  l'apliquent  à  une  chofe  par- 
ticulière. Quand  on  dit ,  c'efl  une  bonne  chofe 
que  d'être  Rai,  cette  expreflion  eft  vague ,  mais  fi 
vous-  ajoutez  l'artide  le  y  devant  Roi,  en  difant , 
c'efl  un  bonheur  que  d*êtït  le  Roi,  cette  exprefîîon 
eft  déterminée,  &  ne  fe  peut  entendre  que  du  Roi 
de  quelque  peuple  particulier  dont  on  a  déjà  parlé. 
Ainfi  les  articles  contribuent  merveilleufement  à 
la  clarté  du  difcours;  parce  qu'ils  déterminent  la 
jufte  idée  qu'a  cdui  qui  parle.  AufS  la  langue 
Grecque  ôc  notre  langue  font  fans  doute  les  plus 
propres  à  traiter  les  Sciences  qui  demandent  plus 
deprécifion. 

L^ 


T^r  PAKLER.  LrvJ.  Cbâp.VlIh        35 

Les  différentes  manières  de  terminer  un  nom 
ptuvent  tenir  lieu  d'un  autre  nom.  Nous  voyons 
dans  toutes  les  langues  que  les  noms  ont  deux  tcr- 
minaifons  ,  dont  Time  fait  connoitre  que  la  chofe 
dont  on  parle  eft  fmguliere,  c'eft-à-dire  feule  en 
nombre  ;  l'autre ,  qu'elle  n'eft  pas  feule ,  mais  qu'elle 
fait  partie  d'un  nombre:  ce  qui  fait  dire  que  les  noms 
ont  deux  nombres  ;  le  fingulier,  &  le  pluriel.  Ce  mot, 
htmme ,  avec  la  terminaifon  du  nombre  fingulier , 
marque  un  feul  homme  ;  mais  avec  la  termin  aSbn  du 
nombre  pluriel  ,  hommes ,  il  iignifie  tous  ou  plu^ 
iieurs  hommes.  La  confonne  S  qu'on  ajoute  à  la 
temiinaifon  du  nombre  fingulier  ,  tient  heu  dans 
cette  occalion  de  ce  mot  tous^  ou  f/ufieurs.  Ainfi 
le  fingulier  &  le  pluriel  des  noms  fervent  à  abréger 
le  difcours ,  &  le  rendre  diftindl.  Les  Hébreux ,  les 
Grecs ,  &  encore  aujourd'hui  les  Polonois  ont  un 
troifiéme  nombre,  dans  lequel  le  nom  marque  que 
la  chofe  qu'il  fignifie  elt  double. 

Nous  ne  confiderons  pas  toujours  fîmplement  les 
chofes  qui  font  les  objets  de  nos  penfées ,  nous  les 
comparons  avec  d'autres  ;  nous  faifons  reflexion  fur 
le  lieu  où  elles  font ,  fur  le  tems  de  leur  durée ,  fur 
ce  qu'elles  ont ,  fur  ce  qu'elles  n'ont  pas ,  &  fur  tous 
les  rapports  enfui  qu'elles  peuvent  avoir.    Il  faut 
des  termes  particuliers  poiu"  exprimer  ces  rapports, 
&  la  fuite  &  la  haifon  de  toutes  les  idées  queia  con- 
lideration  de  ces  chofes  excite  dans  notre  efprit. 
Dans  quelques  langues  les  différentes  terminaifons 
d'un  même  nom ,  qui  font  que  les  chutes  ou  finales 
en  font  différentes  ,  fuppléent  à  ces  mots  qui  font 
nécelTaires  pour  exprimer  les  rapports  d'une  chofe. 
Le  Grec,  le  Latin  le  fert  de  ces  terminaifons  diffé- 
rentes :   notre  François  &  les  langues  vulgaires ,  ex- 
cepté la  Polonoife ,  qui  eft  une  dialedle  de  l'Efcla- 
von ,  n'ont  point  ces  terminaifons.  Elles  marquent 
les  rapport»  d'un  nom  avec  des  particules.  Ces  rap- 

B  6  *  poris 


36         La  Rhétorique,  ou  l'Art 

ports  font  infinis.  Les  Latins  les  expriment  ave 
fix  chutes ,  ou  coi  auxquels  ils  ont  donné  les  nom 
des  rapports  les  plus  ordinaires.  Ils  ont ,  par  exemple 
appelle  Nominatif  le  nom  confîderé  abfolumen 
fans  autre  chute  que  celle  qu'il  a.  Un  nom  ai 
Nominatif  marque  fimplement  que  la  chofe  qu'i 
fignifie  eft  nommée  :  au  Génitif,  que  cette  chofe  en 
gendre ,  ou  cft  engendrée.  Ce  font  les  Grammai 
riens  qui  ont  donné  ces  noms  aux  difFerens  ca 
pour  les  diftinguer  :  mais  ces  cas  ont  d'autres  ufa 
ges  que  ceux  que  fignifient  ces  noms  de  Génitif^ 
"de  Datif  II  y  a  fix  cas  en  chaque  nombre ,  dansl 
fingulier  &  dans  le  pluriel.  Le  Nominatifs  le  Geni 
tif ,  le  Datij  ,  rAccufatif,  le  Vocatif  <èf  l  Ablatij 
Un  même  nom ,  outre  la  principale  idée  de  h  cho 
fe  qu'il  fignifie ,  enferme  un  rapport  particulier  d 
cette  chofe  avec  quelq .l'autre ,  félon  qu'il  c(l  ou  ai 
Génitif  ou  au  Datit,&cc.  Le  Nominatif  HguifiQ  fim 
plement  la  chofe  ,  le  GnitiJ  fon  rapport  avec  ccU 
à  qui  elle  appartient ,  Palatium  Régis  -,  le  Datij 
le  rapport  qu'elle  a  avec  celle  qui  lui  efl  profitabl 
ou  nuifible  ,  utilis  rcipubUc£  i  l' /Iccufatif ,  le  rap 
port  qu'elle  a  avec  celle  qui  agit  fur  eue ,  Cafa 
vicit  Pompeium,  On  met  le  nom  au  Vocatif,  lors 
qu'on  adrefle  fon  difcours  à  la  perfonne ,  ou  à  1 
chofe  que  ce  nom  fignifie;  l*  Ablatif,  a  une  infinit 
d*ufages.  Il  eft  impoiïible  de  les  marquer  tous.- 

Les  langues  dont  les  noms  ne  fouffrent  point  ce 
chutes  différentes ,  fe  fervent  de  certains  petits  moi 
qu'on  appelle  Particules,  qui  font  le  même  efft 
que  ces  chutes,  comme  font  en  notre  langue , </f 
/lu  ^  ày  par , le ,  les ,  aux ,  des ,  &c.  Les  Adverbes auf 
ont  un  ufage  peu  différent  de  la  chute  des  noms 
car  ils  emportent  avec  eux  la  force  d'une  de  ces  pai 
ticules.  Cet  Adverbe  fagement»  a  la  force  de  c( 
deux  mots ,  avecjhgejfe. 

Les  Adverbes  font  aiufi  appeliez  par  les  Cran: 

lùf, 


SB  PARIEE.  Lîv.I.  Cbâp.VIlL        37 

ïïiairicns ,  parce  qu'ordinairement  on  les  joint  avec 
un  Verbe ,  comme  courir  vite ,  parier fagement  ^  par» 
1er  lentement.  Ils  tiennent  lieu  d*un  nom,  «  d'une  par« 
ticule  qui  marque  un  certain  rapport  ;  c'eft  pourquoi 
dans  des  langues  qui  ont  des  cas  il  n'eft  pas  neceftaire 
que  les  Adverbes  en  ayent,  parce  que  par  eux-mê- 
mes ,  fans  chute ,  ils  fignifient  la  choie  &  fon  rapport  : 
par  exemple ,  far  1er  lentement.  Dans  toutes  les  lan- 
gues les  Adverbes  font  d'un  très-grand  ufage.  Ce  font 
de  petits  mots  qui  ne  fe  déclinent  point ,  &  qui  tien- 
Bcntlieu  de  plulîeurs  paroles  :  comme  enLadnces 
Ad\erbesdctems,  diùtcras^nupert  thniùm%  ceux- 
ci  de  lieu  y  hîc^  întùs  ^  forts  \  de  quantité,  vmUtè% 
fith ,  perquam    Les  diflfercnî  rapports  que  les  cho- 
fes  ont  entr' elles ,  de  lieu,  defituation,  de  mouve- 
ment ,  de  repos ,  de  diftance ,  d'oppofition ,  de  com- 
paraifon ,  font  infinis.    On  ne  peut  parier  un  mo- 
ment fans  avoir  befoin  d'en  exprimer  quelqu'un  à 
roccaiîon  des  chofes  dont  on  parle.  Nous  ne  pou- 
vons donc  pas  douterque  ces  hommes  que  nous  fai- 
fons  trouver  de  compagnie ,  n'inventauent  bien-tôt 
des  moyens  de  marquer  ces  rapports ,  ou  particules , 
comme  dans  nôtre  langue  dont  les  noms  n'ont  point 
ces  chutes  différentes ,  ou  parles  différentes  termi- 
naifons  des  noms  des  chofes  m^mes ,  comme  dans  là 
langue  Grecque ,  dans  la  Latine. 

Ss  inventeroient  des  Adverbes,  c'eft-à-dire  ces  pe- 
tits mots  qui  par  eux-mêmes  marquent  des  circonf- 
tances  qu'autrement  on  ne  pourroit  fignifier  qu'en 
plufieurs  paroles;  aufli  les  Adverbes  donnent  beau- 
coup de  force  au  difcours  en  l'abrégeant.  Les  La- 
tins, les  Grecs  pour  cela  font  prefquc  des  Adverbes 
de  tous  leurs  noms ,  par  une  terminaifon  qui  leur  efl 
propre;  ainfidej^«j  les  Latins  font  j/f/7^,  comme 
dcjuftè  nous  hitom  ju/lement^  Nôtre  langue  qui  ne 
veut  pas  être  (i  ferrée,  ne  fait  pas  tant  d'ufage  des 
Adverbes»-  £lle  aime  mieux  mettre  le  nom  avec  la 

B  7  prc- 


38         La  Rhbtôri^ui^  00  VAti% 

prepofition;  ainû  en  François  on  dit  plus  élégam- 
ment avecfageffi  ,  svec  frudtnce ,  avec  orgueil,  ax^ec 
modération ,  c^Mt  Jagement ,  prudemment ,  orgueilleuft" 
ment  >  modejîement.  Ced ,  comme  je  le  crois ,  que  la 
tcrminaifon  des  Adverbes  dans  nôtre  langue  les  al- 
longe trop ,  ainfi  on  ne  gagne  rien.  Outre  que  le  fon- 
de cette  terminaifon  ment  ordinaire  aux  Adverbes  , 
n*eft  pas  agréable.  Aujourd'hui  on  la  change:  car 
au  lieu  de  parler  jujiement ,  parler  raifonnahlement^ 
on  dit  parler  jufte  y  parler  raifon ,  mettais  le  nom 
9U  lieu  de  TAdverbe.  Les  Hébreux  n'ont  point  de . 
dedinaifons  comme  les  Grecs  &  les  Latins ,  mais 
auûî  ils  ont  ce  qui  n'eft  point  dans  ces  langues , 
uvoir  des  afjixes ,  c'e(l-à-dire  certaines  terminai- 
fons  qui  tiennent  lieu  des  pronoms,  ce  qui  abrège  & 
rend  le  difcours  plus  net  ;  ainfi  Jhalmidi  c'efl  mon 
difciple  f  &  Tbalmido  fon  difciple. 


Chapitre    IX. 

Des  Verbes  «  de  leurs  perfonnes ,  de  leurs  tems ,  de 
levrs  modes  i  de  leur  voix  aflive  &  pajfive, 

SI  nous  faifons  attention  à  ce  qui  fe  paffe  dans 
nôtre  efprit ,  nous  remarquerons  que  l'on  confi- 
dcre  rarement  leschofes  fans  en  faire  quelque  juge- 
ment. Après  que  ces  nouveaux  hommes  auroient 
trouvé  des  mots  pour  fignifier  les  objets  de  leurs, 
perceptions ,  ils  chercheroient  donc  des  termes 
pour  marauer  leurs  jugemens ,.  c'eft-à-dire  cette 
aâion  de  refprit  par  laquelle  on  juge  ,'en  alTûrant 
qu  une  chofe  eft  telle ,  ou  qu'elle  n'eft  pas  telle.  La 
partie  du  difcours  qui  exprime  un  jugement ,  s'ap- 
felle  propofitipn.  Or  une  proportion  enferme  ne- 
cçffairement  deux  termes,  l'yn  appelléy«;f/,  qui  eft 
^^ui  dont  QU' affirme  ;  Je.fecooa.qui  cil  ce  qui  eil 

affir- 


DB  PAELiR.  Liv.L  Cbêp.ïX»  29 

2&rmé  y  qui  fe  nomme  Pêttribut  s  comme  dans 
cette  propofîtion  »  Dieu  ejl  jujlf^  Dieu  efl  le  fujet; 
jufte  qui  eft  le  fécond  terme  ,  eft  appelle  attribut, 
qui  eft  ce  qu'on  affirme»  ou  cequ  on  attribue  au  fu- 
jet  delapropofition.  Outre  cela  unepropoiGtion  eft 
compofee  d  un  troifiéme  terme  c^ui  lie  le  fujet  avec 
l'attribut ,  qui  marque  cette  aébon  de  Teiprit  par 
laquelle  il  juge,  affirmant  Tattribut  du  fujet.  Dans 
toutes  nos  langues  nous  appelions  Verbes  >  les  mots 
qui  marquent  cette  aôion.  Les  Verbes ,  comme 
TAuteur  de  la  Grammaire  générale  &  raifonnée  Ta 
judicieufement  remarqué ,  lont  des  mots  qui  figni* 
nent  l'affirmation. 

Un  feul  mot  fuffiroit  pour  marquer  toutes  les 
opérations  femblables  de  nôtre  entcnden^ent .  tel 
qu'eft  ce  Verbe  Etre  y  qui  eft  le  figne  naturel  &  or- 
dinaire de  l'affirmation  ;  mais  ft  nous  jugeons  de  ces 
nouveaux  hommes  par  ceux  qui  ont  vécu  dans  tous 
les  ilecles  paffez  »  le  deftr  d  abréger  leur  difcours 
les  porteroit  fans  doute  à  donner  à  un  même  mot 
la  force  de  fignifier  l'affirmation  &  l'attribut ,  comme 
l'on  a  fait  prefque  dans  toutes  les  langues ,  qui  ont 
une  infinité  de  mots  qui  marquent  l'affirmation ,  ôc 
ce  qui  eft  affirmé  ;  par  exemple  ,  celui-ci ,  je  iitt 
marque  une  affirmation ,  &  en  même  tems  l'aélion 
que  je  iais  lorfque  je  lis.  Ces  mots ,  comme  nous 
avons  dit ,  font  appeliez  Verbes.  Quand  on  leur 
ôte  la  force  de  fignifier  l'affirmation  ,  ils  rentrent 
dans  la  nature  des  noms  ;  auffî  on  en  fait  le  même 
u&ge,  comme  quand  on  dit  k  boire  9  le  manier  ^  ces 
mots  font  de  véritables  noms. 

La  répétition  trop  fréquente  des  mêmes  noms  eft 
defagréable  &  choquante  ;  cependant  on  eft  obligé 
de  parler  fouvent  des  mêmes  chofes.  On  a  donc 
établi  de  petits  mots  pour  tenir  la  place  de  ces 
noms  qu'il  faudroit  repeter  trop  fouvent.  Ces  pe- 
tits mots  font  pour  cela,  appeliez  Prênms.    On 

compte 


40         La  Rhitoaiqui^  ou  l'Art 

compte  trois  Pronoms  ;  le  pronom  de  la  première* 
perfonnc  tient  lieu  du  nom  de  celui  qui  parle ,  com- 
me Moi  9  je.  Le  Pronom  de  la  féconde  perfonne 
tient  lieu  de  celle  à  qui  Ion  parle  ,  comme  Tu , 
ToL  Celui  de  la  troifiéme  perfonne  tient  lieu  de  la 
perfonne,  ou  de  la  chofe  dont  on  parle,  comme//, 
E//e»  Ces  Pronoms  ont  deux  nombres ,  comme  les 
noms  ;  le  Pronom  de  la  première  perfonne  au  pluriel 
tient  la  place  des  noms  de  ceux  qui  parlent ,  comme 
Sous.  Celui  de  la  féconde  perfonne  au  pluriel  tient 
la  place  des  noms  de  ceux  a  qui  on  parle  ,  comme 
Vous  5  &  le  Pronom  de  .la  troifiéme  perfonne  au 
pluriel  tient  la  place  des  noms  des  perfonnes  &  des 
chofes  dont  on  parle ,  I/s ,  E//es. 

Pour  éviter  encore  la  j-epetition  ennuyeufe  de  ces 
Pronoms  qui  reviennent  fouvent ,  dans  les  anciennes 
hngues  on  ajoute  aux  Verbes  quelque  terminaifon 
qui  tient  lieu  de  ces  Pronoms.  C'elt  pourquoi  un 
feul  Verbe  peut  faire  une  propofition  entière.  Ce 
Verbe  Verbero  comprend  le  fens  de  cette  propor- 
tion :  Ego  fum  i*erberans.  Outre  qu'il  marque  l'af- 
firmation &  la  chofe  affirmée ,  il  fignifie  encore  la 
perfonne  qui  frappe  ,  qui  eft  celle  qui  parle  d'elle- 
même  ;  parce  que  ce  Verbe  a  une  terminaifon  qui 
tient  lieu  du  Pronom  de  la  première  perfonne. 

Toutes  les  langues- ont  été  trè«-fimples  dan»  leur 
commencement.  C'eft  le  defir  ^'abréger  qui,  a  fait 
que  de  deux  ou  plufieurs  mots  oh  n'en  afaitqu'uir. 
11  y  a  de  l'apparence  qu'en  Hébreu  on  a  dit  d'abord 
fiakati  afa  ,  comme  nous  difons  tu  as  vifitéy  d'où 
cnfuite  on  a  hStpakadta^  comme paké^dfi  pourra- 
kad  aniy  j'ai  viiité. 

Nôtre  langue  &  les  langues  des  nations  voifi- 
ncs  font  obligées  d'exprimer  à  part  les  pronoms. 
Les  Hébreux  ont  cet  avantage  pardeflus  la  langue 
•  Grecque  &  la  Latine ,  que  non  feulement  leurs  Ver- 
bes marquent  par  leur  terminaifon  le  pronom  qui 

en 


i>B   PAULKn.  Liv. L  Châf. J X.  41 

en  eft  le  nominatif,  mais  encore  celui  qui  en  cft  le 
cas.  Ainfi  fekéido  égnifîe  ilk  vifitavit  eum.  Com- 
me il  n'y  a  point  de  noms  qui  reviennent  û.  fou- 
vent  que  les  pronoms  ,  les  Hd>roux  donnent  pa* 
rdllement  à  leurs  noms  une  terminaifon  qui  ea 
tient  lieu.  Ainfi  Tbahniâ  fignifiant  difcipk  %  Ttsl-^ 
midi  fignifie  mon  iTtfciple. 

Ce  que  Ton  afTure  du  fujct  d'une  propofition  cft 
ou  pafle ,  ou  préfent,  ou  futur.  Les  différentes  in- 
flexions des  Verbes  ont  la  force  de  marquer  la  dr- 
conftance  du  tems  de  la  chofe  qui  eit  affirmée. 
Les  circonfiances  du  tems  font  en  ^ahd  nombre. 
On  peut  confidcrer  le  tems  paffé  par  rapport  aa 
préfent,  comme  lorfque  nous  difons:  /#  lifoisiorf" 
fs'î/  entra  dans  ma  chambre»    L'aéHon  de  ma  leâu- 
re  eft  paiTée  au  regard  du  tems  auquel  je  parie; 
mais  je  la  marque  préfente  au  regard  de  la  chofe 
dont  je  parle ,  qui  eft  l'entrée  d'un  td.    On  peut 
confidcrer  le  tems  paffé  par  rapport  à  un  autre 
tems  paffé.  favoîs  foupé  krrfqu" il  eft  entré  ^  ces  deux 
avions  font  paffées  l'une  au  regard  de  l'autre. 
Nous  pouvons  confîderer  le  tems  paffé  en  deux 
manières ,  ou  comme  défini ,  ou  comme  indéfini  : 
marquer  piécifément,  quand  une  aétion  s'eft  fai- 
te, ou  dire  fimplement  qu  elle  s'eft  feite.    S'il  y  a 
quelque  tems ,  ou  fi  c'eft  aujourdhui ,  ce  que  nous 
difHnguons.  Pierre  eft  venu  à  moi  ,   il  m* a  far  lé  , 
n'fft  pas  la  même  chofe  que  Vierrt  vint  à  moi ,  // 
me  parla.  Ces  dernières  expreflions  marquent  qu'on 
parle  d'un  tems  paffé  indéfini.  Les  premières  dé- 
fiiiiffent  ce  tems ,  (<.  donnent  à  entendre  qu'on  par- 
le d'un  tems  paffé  depuis  quelques  heures  ,  ou  de- 
puis un  jour.  Nous  pouvons  confiderer  le  futur  en 
la  même  manière  ,  eavifageant  un  terme  précis  ôc 
défini  dans  le  futur ,.  &  quelquefois  n'y  mettant  au- 
cunes bornes. 
Nous  ne  pouvons  fa  voir  fi  dans  cette  nouvelle  lan- 
gue 


42,         La  RHÉTàRiQui,  ott  l*Art 

guc  dont  nous  parlons  ,  toutes  ces  différentes  cir- 
conftances  des  tems  y  feroient  marquées  par  autant 
d'inflexions  particulières  ;  car  nous  ne  voyons  pas 
que  les  peuple»  ayent  diftingué  avec  la  même  exaai- 
tadè  toutes  ces  circonftanccs  du  tems.  Les  Verbes 
dici  les.  Hébreux  n'ont  que  deux  tems ,  le  prétérit 
ou  le  pafTé  ,*  &  le  futur  ;  ils  n  ont  que  deux  inflexions 
îflfercntes  pour  exprimer  la  diverlité  du  tems.  Les 
Grecs  font  plus  exaas ,  leurs  Verbes  ont  tous  les  tems 
dont  nous  avons  parlé.  Je  ne  doute  point  que  les  ter- 
mes de  ce  nouveau  langage  ne  portaflent  au  moins 
les  fignes  de  quelqu'une  de  ces  circonftanccs ,  puifque 
dans  toute  propofîtion  il  faut  déterminer  le  tems  de 
Tâttribut,  &que  le  defir  d'abréger  le  difcours  eft  na- 
turel.à  tous  les  hommes.  Quand  je  dis ,  j'atme^aî, 
rinflexion  du  tems  futur  que  je  donne  à  ce  Verbe 
Mimer ,  me  délivre  de  la  peine  de  dire  cette  longue 
phrafe  :  il  arrivera  un  tems  que  je  ferai  aimant. 
Quand  je  dis  :  j*ai  aimé ,  cette  inflexion  du  prétérit 
m'épargne  ce  grand  nombre  de  paroles ,  il  a  été  un 
tittts  fajfé  quej'étois  aimant. 

Lés  Verbes  ont  des  rnoJes  ,  c*eft-à-dire  qu'ils 
fignificnt  outre  les  circonftances  du  tems ,  les  ma- 
nières de  l'affirmation.  Le  premier  mode  eft  /•/;»- 
dicatify  qui  démontre  &  indique  fimplement  ce  que 
l'on  affure.    Le  fécond  mode  eft  P Impératifs  dont 


//,  qui 

fë  trouve  que  chez  les  Grecs  :  celui-U  exprime  le 
delir  ardent  qu'on  a  qu'une  chofe  arrive.  Le  qua- 
trième mode  eft  le  Subjonélif,  ainfi  nommé  ,  par- 
ce qu'il  y  a  toujours  quelque  condition  jointe  a  ce 
que  l'on  affure  ;  je  Paimerois  i^il  m*aim»it  :  fi  cette 
condition  n'étoit  exprimée  par  le  Subjondif ,  le 
fens  feroit  fufpendu.  Le  cinquième  mode  eft  /*/«- 
finiiif  .Un  Verbe  dans  ce  mode  a  une  lignification 

fort 


DE    PAELER.    LrU.J.   Cbéif.lX,  4) 

fort  étendue  dcfoit  indéterminée ,  comme  hoîu^ 
mangtr^  être  aimé ,  êtrefrMffi,  Nous  verrons  dans 
la  fuite  que  les  Infinitif  ont  la  force  de  lier  deux 
propofîtions ,  6c  que  c*e(l  leur  principal  ufage. 

Leûxiéine  mode  eft  le  Participe.  Un  verbe  dans 
le  participe  ne  marque  que  la  chofe  affirmée ,  il  ne 
fignifie  point  Taffinnation.  C'eft  pourquoi  les  par* 
ticipes  font  ainû  appdlez ,  parce  qu'ils  tiennent  du 
Terbe  6c  du  nom ,  ugnifiant  la  chofe  que  k  verbe  af- 
firme, 8c  étant  en  même  tems  dépouiHeide  l'affir- 
mation. Le  participe  frappé  >  marque  la  chofe  oue 
fignifie  le  verbe  frapper  :  mais  qui  ^tfrafùé ,  n'affir- 
me rien  »  s'il  n'ajoute  ou  ne  (ous-entend //^^  ou 

il  a  été  fi'Mppé, 

Tous  les  verbes,  excepté  le  verbe  Etre^  Sum^  es% 
eft  y  renferment  deux  idées,  ceUe  de  l'affirmation  » 
&  de  quelque  aâion  affirmée.  Oruneaâion  a  or- 
dinairement deux  termes ,  le  premier  celui  dont  die 
part ,  le  fécond  celui  qui  la  reçoit.  Dans  une  aélion 
on  coniîdere  celui  qui  en  eft  auteur ,  qui  agit ,  6c  ce- 
lui fur  lequel  on  agit ,  qu'on  appelle  communément 
le  patienu  11  eft  néceflaire  de  déterminer  quel  eft  le 
terme  de  Taélion  dont  on  paiie:  fi  c'eft  le  fujet  de 
la  propofition  dont  on  affirme  cette  adiion  qui  eft 
agifiant  ou  patient.  C'eft  pourquoi  dans  les  langues 
anciennes  les  verbes  ont  deux  terminaifons  8c  in- 
flexions différentes  ,  qui  niarquent  fi  le  verbe  fe 
prend  dans  une  fîgnificationaéliveoupaffive.  Petrus 
amaty  ér  Petrus  amatur  :  Pierre  aime ,  6c  Pierre  eft 
aimé.  Dans  la  première  propofition  le  verbe  qui  eft 
àl'aéHf ,  marque  que  c'eft  Pierre  qui  a  de  l'amour; 
dans  la  féconde  ce  même  veibe  avec  l'inflexion  du 
paffif ,  marque  que  c'eft  Pierre  qui  eft  le  terme  de 
1  aflfeâion  dont  on  parle. 

Il  fe  pourroit  donc  faire  que  les  verbes  de  la 
nouvelle  langue  auroientauffideux  inflexions,  une 
aftive ,  6c  l'autre  paffive.   Peut-être  qu'on  y  négli- 


44         La  Rhetoriqjui,  ou  l*Art 

geroit  de  comprendre  dans  un  feul  verbe  plufîeurs 
autres  circonftanccs  d'une  adlion  :  Si  elle  a  été  faite 
avec  diligence  ,  fi  Fauteur  de  cette  adion  agit  fur 
lui-même ,  s*il  Ta  fait  faire  par  quelqu  autre  ;  ce  que 
kS'Hebreuxfignifient  par  leurs  verbes ,  félon  les  in- 
flexions qu'ils  leur  donnent.    Ils  ont  huit  conjugai- 
Ibus  où  leurs  verbes  ont. différentes  lignifications; 
car  ce  n*eft  pas  comme  chez  les  Grées  &  les  Latins, 
dont  les  différentes  conjugaifons  n'ont  aucune  force 
particulière ,  &  qui  ne  conjuguent  les  verbes  diffé- 
remment, queprcequonnepouiToitpas  leur  don- 
nera tous  les  mêmes  inflexions  fans  en  rendre  lapro- 
nonciation  difficile.  Le  même  verbe  Hébreu ,  felon 
la  coiijugaifon  oùileft,  a  fept  ou  huit  fignifications 
différentes.   Par  exemple,  ce  verbe  Hébreu  malh\ 
irâdertt  félon  qu'on  le  conjugue,  lignifie  i.  Traàl" 
dit,    2.  Tréniitus  eji*    3»  Traditfit  diiigenter,   4.  Tra- 
éltfus  eft  diiigenter,  La  cinquième  conjugaifon  répond 
à  ce  qu'on  appelle  le  médium  chez  les  Grecs  ,  où  le 
verbe  a  une  lignification  adlive  &  paffive.  6.  Fecit 
tradere,    7.  Faélus  eft  veljujfus  eft  tradere,  8.  Tra» 
didit  fûpftim.   D  y  a  cent  manières  de  s'exprimer  qui 
ne  font  pas  elTentielles ,  &  qui  font  particuheres  à 
certaines  langues.  Je  ne  puis  pasfovoir  fi  nôtre  nou* 
yelle  troupe  les  néghgeroit ,  ôc  fe  contenteroit  de 
celles  qui  font  eifentielles ,  &  fans  lefquelks  on  ne 
peut  fe  faire  entendre. 

.  Nous  voyons  tant  de  différence  parmi  les  Nations 
en  cela ,  que  nous  ne  pouvons  favoir  à  quoi  ils  fe  dé- 
termineroient ,  fi  ce  n'ell  qu'étant  encore  fans  doctri- 
ne, il  y  a  de  l'apparence  qu'ils  prendroient  les  maniè- 
res de  s'exprimer  les  plus  fimples  &  les  plus  faciles. 
Les  Turcs  ont  cela  de  particulier ,  que  par  l'infertion 
de'quelques  lettres  ils  multiplient  leurs  conjugaifons 
des  verbes ,  &  leur  donnent  plus  de  force  que  ne  font 
pas  même  les  Hébreux.  Le  même  verbe ,  felon  la 
conjugaifon  où  il  cil ,  marque  l'affirmation  ou  la 

nega- 


DE   PAKIER.  Liv.ï.  Cksp.IX.  4Ç 

légation ,  la  poflîbilité  ou  rimpoffibilité  de  Tadioii 
qu'il  fignifie.  Les  Perfans  ont  avec  l'impcratif  un  au- 
tre mode  qui  défend ,  comme  rimperatif  commande. 
Les  Arabes  ont  auili  une  conjugaifon  qui  marque  le 
rapport  de  deux  perfonnes  qui  agiffent  enfemble. 

Ces  différentes  conjugaifons,  8c  tous  ces  modes 
abrègent  le  difcours.  Les  Grecs  ôc  les  Latins  n*ont 
point  tant  de  conjugaifons  que  les  Orientaux;  mais 
auffi  par  le  moyen  des  prepofitions  quMls  lient  avec 
les  verbes ,  ils  expriment  une  infinité  de  rapports  de 
l'aâion  oudela  paffion  que  peut  fignifier  un  veri>e, 
comme  de  fer tto  ils  font  ces  verbes  atffèrikê»  cireum^ 
fcriko,  defcrikoy  exfiribo^  infertbo^  interfiribo  ^  per» 
firtbo,  tranfcribo,  qui  marquent  nettcmen^des  rap- 
ports particuliers  de  Tadion  que  fignyîeyèr/>o.  avec 
les  verbes  fimples.  Nous  avons  pris  de  la  langue  La- 
tine les  verbes  compofez.  Nous  difons  écrire^  récrire^ 
circonjcrire^déçriret  infcrire.prefcrtrey  tr Mit  fer  ire. 

Nôtre  partielle  re  eft  d'un  grand  ufage  pour  la 
compofition  des  verbes.  Quelquefois  elle  ne  change 
lien  en  leiu"  fîgnification  :  repaître  fignifie  la  même 
chofe  que  paître.  Elle  donne  quelquefois  plus  de  for- 
ce; reluire  dit  plus  que  luire.  Souvent  elle  marque  ' 
une  adion  qui  fe  fiiit  une  féconde  fois;  reconquérir  ^ 
c'eft  conquérir  aie  nouveau.  Elle  donne  auffi  d'au- 
trefois un  fens  tout  contraire  à  celui  du  verbe  fim- 
ple  ;  reprouxm-  a  un  fens  tout  autre  que  proux^er. 
Les  Grecs  qui  ont  un  plus  grand  nombre  de  fembla- 
bles  particules  ou  prepofitions,  font  encore  plus  fé- 
conds que  les  Latins.  On  le  voit  dans  les^  DiAion- 
naires  Grecs  qui  font  par  racines.  D'un  même  verbe 
on  en  fait  une  infinité  d'autres.  Les  Hébreux  n'ont 
point  de  verbes  compofer.  :  ils  ne  joignent  point  à 
leurs  verbes,  ainfi  que  le  font  les  Grecs  &  les  La- 
tins des  prepofitions  dont  le  nombre  eft  petit  en 
cette  langue.  Auffi  il  s'y  trouve  fouvent  des  ambi- 
suitez,  parce  ^uc  Içs  prepofitions  déterminent  pr6- 

cifé- 


j|f  hk  RHB.TORIQUEy  OU  L*ArT 

dfémcnt  les  rapports  de  ce  qu'on  juge ,  de  ce  qu'oii 
affime,  &  les  manières  qu'on  juge,  qu'on  aflure, 
ou  qu'on  nie. 

Oiaque  langue  arfes  avantages.  Les  Latins  avec 
leurs  Gérondifs  marquent  la  néceûité  d'une  adtion. 
jtmaïuùê  virtus  eft  la  même  chofe  que  neceffarium 
W?  >  ou  9frttt  amare  lùrtuiem.  Leur  fupin  marque 
lintention  de  faire  une  aétion.  Eo  lufum^  je  vais 
dans  l'intention  de  jotier.  Ces  différentes  manières 
de  s'exprimer  qui  font  toutes  belles  &  ingenieufès, 
font  des  preuves  fenfibles  de  la  fécondité  de  Tefprit 
humain,  de  fa  fpiritualité  &  de  fa  liberté.  Les  oi- 
feaux  d'une  même  efpece  n'ont  pas  un  chant  diffé- 
rent ,  •&  prefque  autant  qu'il  y  a  de  différentes  nar 
tions ,  il  y  a  de  différentes  langues,  non  feulement 
dans  les  termes ,  mais  dans  les  manières  de  s'expri- 
mer. Il  n'y  en  a  aucune  qui  n'ait  quelque  diofe  de 
particulier. 


Chapxtri    X. 

Ce  grand  nombre  de  decRnaîfons  des  nomsf  &  de  cen^ 
jugaifons  des  verbes  neft  point  Mbfolumentnécejjaîrei 
Propofition  d'une  nouvelle  Langue  ,  dont  in  Grnm- 
maire  fe  pourroît  apprendre  en  moins  d'une  heure, 

LE  s  hommes  veulent  s'exprimer  d'une  manière 
prompte  &  facile  :  ce  qui  leur  a  fait  introduire 
dans  le  langage  cette  grande  diverfité  de  declinai- 
fons  des  noms,  &  cette  multitude  de  différentes  con- 
jugaifons.  Ils  ont  voulu  qu'un  même  mot  mar- 
quât plufieurs  chofes,  afin  qu'ils  puffent  s'exprimer 
plus  promptement  :  pour  cela  ils  ont  donné  plufieurs 
inflexions  à  un  même  verbe ,  comme  nous  venons 
de  le  voir.  Ils  ont  eu  auffi  égard  à  la  facilité  &  à 
la  douceur  de  la  prononciation  r<:^  qui  a  caufé  dans 

les 


la 


D£  PAELlR.  Liv,L  CJfap.  X.'  4^ 

les  langues  une  infinité  de  chofes  dont  on  fe  pour- 
roit  paifer ,   s'il  n'étoit  queûion  que  de  dire  ce 
qu'on  penfe.  Les  noms  &  les  verbes  ne  peuvent  pas 
être  tous  compofez  des  mêmes  lettres.  Or  te  mots 
ui  ont  des  lettres  différentes  ,  ne  peuvent  (bufirir 
ans  violence  les  mêmes  chutes  &  [les  mêmes  in*- 
fiexions.    C'eil  pourquoi  dans  la  langue  Latine  & 
dans  la  Grecque  où  les  noms  ont  de  difièrentes 
diutes  ou  cas,  on  voit  pluiîeurs  manières  dededi- 
ner  les  noms.  Dans  ces  mêmes  langues ,  &  prefque 
dans  toutes  les  autres  il  y  a  une  rnnde  multiplicité 
de  conjugaifons  des  veroes,  que  la  feule  douceur  de 
la  prononciation  rend  néceffaires:  car  elles  ne  mar- 
quent aucune  circonftance  particulière  de  Taâion 
Que  le  verbe  affirme.    On  peut  compter  trentc-fix 
différentes  conjugaifons  dans  la  Grammaire  Hébraï- 
que.   Il  y  a  13.  conjugaijCbns  des  verbes  réguliers 
dezles  Grecs,  dont  cÉicune  a  trois  voix,  Taétive, 
la  paffîve ,  ôc  celle  qu*on  appelle  le  médium.    Les 
Terbes  qu'on  nomme  anomaux  ou  irregulîers  ont 
tant  d'inflexions  particulières,  qu'à  peine  les  Gram- 
mairiens les  peuvent-ils  nombrcr  ;  il  en  eft  de  même 
de  la  langue  Latine ,  8c  de  plufieurs  autres  langues. 
C'eH  ce  qui  grolllt  les  Grammaires  de  ces  langues, 
&  en  rend  l'étude  difficile. 

Nous  ne  pouvons  pas  favoir  ,  comme  j*ai  déjà 
dit ,  fi  ces  nouveaux  hommes  ne  fe  feroient  point 
une  manière  de  parler  moins  délicate  ,  mais  plus 
fimple.  Les  Tartares  Monguls  ou  Mogols  n'ont 
qu'une  conjugaifon  ;  tous  leurs  verbes  n'ont  que 
deux  tems  ,  favoir  le  paflé  &  l'avenir ,  qu'ils  diftin- 
gucnt  par  deux  particules.  Ba  eft  la  marque  du 
paffé  ,  &  Mou  celle  du  futur.  La  marque  de  l'in- 
finitif eft  Kou  5  c'eft  auffi  celle  du  gérondif.  La 
marque  de  l'impératif  eft  B.  Celle  du  participe  ad- 
jedif  eft  Gi.  Les  premières ,  fécondes  &  troifiémes 

perfonncs  plurieles  ôc  fingulieres  des  verbes  ne  font 

ijoint 


^8        La  Rhétorique»  ou  l*Art 

point  marquées  par  des  inflexions  particulières;  on 
joint  pour  les  distinguer  les  pronoms  avec  le  verbe. 
Les  noms  n'ont  point  d'autre  changement  dans  leur 
dedinaifon  que  celui  qui  marque  la  différence  du 
fingulier  au  plurieL  Mouri  un  cheval ,  M^urit  les 
chevaux.  Les  comparatifs  fe  forment  en  ajoutant 
la  particule  Twtta  ,  qui  iignifie  plus.  Le  Mien^ 
le  Tte»t  s'exprime  de  la  forte  ,  Mourini  »  ou  Ma» 
mai  meurt  t  mon  cheval,  i^anai  mouri  y  ton  chevaL 
TeéMai  mouri  •  fon  cheval.  Les  noms  des  ouvriers  fe 
terminent  en  Gi.  Les  diminutifs  fe  forment  en  ajou- 
tant Gane.  Mouri ,  un  cheval.  Mourigane,  un  petit 
cheval. 

L'on  peut  apprendre  toute  cette  Grammaire  en 
inoins  d'une  heure.    On  a  propofé  quelquefois  de 
fidrc  une  nouvelle  langue ,  qui  pouvant  être  appri- 
fe  en  peu  de  tems ,  devint  commune  à  tous  les  peu- 
ples du  monde,  cequiferoit  très-utile  pour  le  com- 
merce. Pour  faire  cette  langue,  il  ne  faudroit  point 
établir  d'autre  Grammaire  que  celle  de  la  langue 
des  Tartares;  aufli  avant  que  d'avoir  vu  ime  Rela- 
tion de  cette  langue  dan^  le  Recueil  des  Relations 
curieufes  que  Moniieur  'Thevenot  a  fait  imprimer, 
en  parlant  de  cette  proportion  d'une  nouvelle  lan- 
le  ;   voilà  ce  que  j'en  avois  dit  dans  la  première 
lition  de  cet  Ouvrage.   „  On  a  quelquefois  propo- 
„  fe  de  faire  une  nouvelle  langue,  qui  pouvant  être 
„  apprife  en  peu  de  tems,  devint  commune  a  toute 
„  la  terre.  Je  conjedure  que  le  deffein  de  ceux  qui 
„  faifoient  cette  propofîtion,  confiftoit  à  faire  que 
„  cette  langue  n'eût  qu'un  petit  nombre  de  mots.  Ils 
„  auroient  marqué  chaque  chofe  par  un  feul  terme, 
„  &  auroient  fait  que  ce  feul  terme ,  avec  quelque 
99  petit  changement ,  eût»  pu  fignifier  toutes  les  au- 
„  très  choies  qui  fe  rapportent  à  celles-là.    Ils  au- 
„  roient  fait  tous  les  noms  indéclinables ,  marquant 
„  leurs  differens  cas  par  des  particules ,  ôc  les  trois 


l>2  p  AUX  EU.  Liv.L  Cbaf.X.  4^ 

'^  genres  par  trois  tcrminaifons.  Ils  n'aurofent  lait 
I,  que  deux  conjugaifons  »  Time  pour  l'aétif^  8e 
„  i  autre  pour  le  paffif  :  Encore  chaque  tems  n'au- 
n  roit  point  eu  ces  diâbrentes  terminaifons  ,  qui 
„  tiennent  lieu  de  pronoms:  de  forte  que  toute  la 
„  Grammaire  de  cette  langue  fepourroit  apprendre 
n  en  très-peu  de  tems. 

La  langue  •qu'on  appdle  le  Franc  e(l  à  peu  près 
fcmhlable  pour  la  Grammaire.  Elle  s'apprend  aif6- 
ment ,  &  s'entend  dans  toutesics  côtes  delà  mer  Mé- 
diterranée. Elle  ne  conûfte  que  dans  un  petit  nombre 
de  mots  Italiens,  François,  qui  font  néceflTaircs  pour 
sexprimer  groflierement  dans  les  affaires  du  com- 
merce. Ces  mots  n'ont  ni  genre ,  ni  nombre ,  ni  cas , 
ni  dedinaifons ,  ni  conjugaifons,  nifyntaxe:  ainft 
die  ed  bien-tôt  apprife. 

11  y  a  autant  de  fimplicité  dans  la  Grammaire 
Chinoife  ,  félon  que  Vvalton  le  rapporte  après  AJ- 
varcs  Semcdo.  Les  Chinois  n'ont  que  trois  cens 
vingt-fix  mots  ,  qui  font  tous  d'une  fyllabe.  11$ 
ont  cinq  tons  differens,  fdon  kfquels  un  même 
mot  lignifie  cinq  chofes  différentes  ;  ainfi  la  diver- 
fité  des  cinq  tons  fait  que  leurs  316.  monofylla- 
bcs  fervent  autant  que  cinq  fois  316.  mots,  c'eft-à- 
dire  1630.  Walton  ditnéanmoins  qu'on necomptc 
en  toute  la  langue  que  1118.  vocables  \  c*eft-à-dire , 
noms  qui  diftinguez  par  leurs  lettres  ou  par  leurs 
tons ,  ayent  des  fignifications  différentes.  Comme 
ils  n'ont  pas  Tufage  des  lettres  ,  chaque  nom  a  fon 
caradere  ;  ainfi  autant  de  noms ,  autant  de  caraéleres  1 
dont  on  fiait  monter  le  nombre  juft^ues  h  1 20000. 
Quand  les  Pères  Jefuites  allèrent  prêcher  à  la  Chi- 
ne,  &  en  eurent  appris  la  langue  ,  ih  trouvèrent 
bien-tôt  le  moyen  d'en  écrire  tous  les  noms  avec 
te  lettres  de  notre.  Alphabet.  Ainfi  ils  fe  déhvrc- 
rcnt.de  l'embarras  de  tant  decataderes,  cç  qui  fur- 
prit  les  Chinois.  Pour  les  cinq  tons ,  fdon  Icfquels 

C  un 


jfo         La  Rhetojliqjji,  ou  x'Art 

un  même  mot  a  cinq  fignifications  différentes  ,  ik 
les  diftinguerent  par  ces  cinq  nottes  '^  •'^  '*»  Ainfi 
le  monoiyllabe  Va ,  félon  <]u'il  eit  notté  de  Tune  de . 
ces  cinq  notes  ,  il  a  dnq  différentes  fignifications. 
Yd  éfeus  9  y&  murus  %  y  à  exctlkns  ,  yd  ftupor  ,  yff, 
anfer.   11  n'y  a  guère  que  ceux  dupais  qui  pui£- 
fent  prononcer  diflindement  ces  difFerens  tons. 
•  Les  Chinois  n'ont  ni  genre,  ni  cas,  ni  décÛna»» 
fons.    Les  mots  fignifîent  félon  qu'ils  font  idacex. 
De  deux  mots  mis  enfemble,  celui  qui  eft  le  pre* 
inier  eft  regardé  comme  adjeâif ,  ainfi  aurum  4h 
mus i  c'efl ,  aurea  domus'^  6c h9mo  Ifonus  ,  c'eft ,  bû*' 
minis  bonitas. 

Les  mots  ont  auffî  la  force  du  verbe ,  feloa 
«qu'ils  font  placez;  un  nom  qui  fîgnifie  uneadion» 
tient  lieu  du  verbe  quand  u  efl  fuivi  d'un  autre 
nom  »  comme  û  l'on  difoit  ego  amor  tu  y  pour  dire 
ggo  amo  te. 

Le  pluriel  fe  dillingue  par  une  feule  particule 
^u'il  n'ert  pas  permis  d'ajouter  à  un  nom  lorfque 
dans  le  diicours  il  paroît  d'ailleurs  qu'on  parle  de 
plufieurs.  Ces  peuples  n'ont  point  de  conjugaifons; 
ils  ajoutent  des  pronoms  aux  noms  qui  tiennent  lieu 
de  verbe;  ils  y  joignent  la  marque  du  pluriel  quand 
ils  parlent  de  plufieurs  perfonnes.  Le  préfent ,  le  pré- 
térit 6c  le  futur,  les  modes  comme  l'impératif,  l'op* 
tatif,  dcc.  fe  marquent  par  des  particules^  Lepamf 

fe  marque  aulTi  par  une  particule,  ôcquelquefois  par 
la  feule  place  que  tient  un  nom;  les  noms  fervent 
$iuffi  de  prépoutions.  Ainfi  il  n'eft  pas  difficile  de 
comprendre  comme  les  Chinois  peuvent  avec  ua  fi 
petit  nombre  de  termes  s'expliquer  fur  toutes  cho- 
ies; car  les  Grecs,  dont  la  hmgue  etl  fi  féconde» 
n'ont  pas  deux  mille  racines. 

C'cit  une  queflion  fi  l'abondance  des  mots  efl  une 
chofe  avantagcufe.  '  A  quoi  fert ,  dit  le  Père  Tho- 
maflîn  dans  la  préÊice  de  fon  Gloâairc  »  d'avoir 

mille 


bs  PAUL  SIR.  Liv.L  Chmp,X.  51 

mille  noms  pour  fignifier  uneépéc,  &  quatre-vingt 
mur  un  Lion ,  comme  ont  les  Arabes  t  Mais  il  me 
mUe  que  l'abondance  dans  une  langue  auûi-bien 
fa'en  toute  autre  ckofe  efl  un  bien.    Car  en  pre- 
nier  lieu  il  elt  certain  que  les  chofcs  de  mcine 
efpccc,  de  même  genre  peuvent  avoir  une  différen- 
ce qui  leur  eft  propre  ;  Veau  ,  Faut  tau  ,  Vacbe  , 
Mnj^  font  les  noms  d'une  efpcce  d'animal ,  mais 
cependant  ces  quatre  noms  marquent  quatre  chofes 
fort  differentes.    Selon  qu'on  conlidcre  de  plus 
fffèsles  diofes  ,  qu*on  en  fait  differens  ulages,  on 
en  connoît  mieux  les  différences ,  qu'on  ne  pour  ex- 
primer que  par  differens  noms.    Ainfi  les  mêmes 
Arabes  qui  fe  ferment  beaucoup  de  chameaux  » 
leur  donnent  plus  de  trente  ditïcrens  noms ,  qui 
#dDguent  les  differens  états  d'un  chameau.  Lorf- 
qu'il  eft  dans  le  ventre  de  fa  mère,  quand  il  ell 
■    té,  &  qu'il  tête  ,  fi  c'eft  im  mâle,  fi  c'ell  un  pre- 
mier né ,  lorfquil  commence  à  marcher,  quand  il 
,     cil  fevrc ,  loriqu'il  fe  met  à  genoux  pour  recevoir  la 
I     diarge  »  &  félon  d'autres  particularité/,  femblablcfi. 
Cette  grande  abondance  de  termes  qu'on  a  dans  U 
marine  pour  s'expliquer  ell-elle  inutile  ?  Et  com- 
j     ment  fe  pourroit  faire  la  manœuvre  d'un  vailfcau, 
!     fi  chaque  manœuvre  n'avoir  fon  nom?  C'dtunené- 
ccffîté  d'avoir  des  termes  differens  pour  exprimer 
des  chofes  différentes;  c'eil  donc  la  délicatcik  du 
génie  de  diaque  Nation  qui  diftingue  mieux  la  diffé- 
rence des  chofes  qui  font  trouver  tant  de  differens 
termes.    Les  Arts  en  fe  fervant  d'un  plus  grand 
nombre  de  differens  inltrumens,  ont  befuindun 
plus  grand  nombre  de  differens  termes.    Auflî  les 
peupks  qui  les  cultivent  ont  une  plus  grande  abon* 
dance  de  termes. 

Mais  on  réplique  >  à  6uoi  bon  tant  de  fynony- 
mes  ou  termes  qui  ne  diient  que  la  même  chofc? 
Cme  mi^titude  de  mots  d*une  mêfne  lignification 

C  2  c^uc 


5^         La  RHiToiHQjaE,  ou  l*Ab.t 

que  quelques  langues  fe  vantent  d'avoir,  en  marqua 
plutôt,  dit- on,  la  pauvreté  que  l'opulence;  car  eUçg 
p*auroient  point  tarit  de  divers  mots  pour  dire  une 
même  choie ,  fi  elles  avoient  le  .mofproprepourltl 
fignifier.  Je  répons  en  premier  lieu ,  qu'une  langue 
cft  véritablement  pauvre  quand  elle  ne  fournit  ps^ 
des  termes  propres  pour  s  expliquer  à  ceux^uiécrir 
vent  en  cettclangue.  En  fécond  lieu  je  dis  <jue  11 
on  n'avoit  point  de  fyrionymes  on  ne  pourroit  pas 
rendre  un  difeours  poli  de  coulant;  carilyade$ 
mots  qui  ne  fe  peuvent  joindre  enfcmble  fans  ax 
troubler  la  douceur.  Il  faut  donc  avoir  à  clioifîr  en- 
tre des  termes  fynonymes  ceux  qui  s'accommo* 
dent  mieux.  En  troifiéme  lieu  il  n'y  a  rien  de  fi 
ennuyeux  que  d'entendre  trop  fouvent  les  mêmci 
termes  s'ils  font  remarquables.  La  variété  dans  le 
difeours  fait  qu'on  ne  s'apperçoit  prefque  pas  qu'on 
entend  parler ,  on  croit  voir  les  chofes  mcmc|fc 
Quand  cela  arrive,  un  difeours  eft parfait;  commç 
la  perfeélion  de  la  Peinture  ,  c'en  qu'on  la  prennç 
j)Our  les  chofes  mêmes  qui  font  peintes.  Or  la  va*- 
rieté  dépend  de  la  fécondité  d'une  langue. 


Chapztiii    XI. 

Comment  Pon  peut  exprimer  toutes  les  opération^ 

de  notre  efprit ,  é^  les  palpons  ou  ajfe^'wns 

de  notre  volonté. 

NO  u  s  avons  vu  comment  fe  marquent  les  dçu? 
premières  opérations  de  Tefprit ,  nos  percep- 
tions ou  nos  idées,  ôclesjugemens  que  nous  fidfons 
de  ce  que  nous  avons  apperçu.  Voyons  de  quelle  ma- 
nière nous  pouvons  exprimer  la  troilîéme  opération, 
oui  elt  le  raifonriement.  Nous  raifonnons  lorfquç 
a'une  ou  de  deux  propofitions  daircs  &  évidentes , 

nous 


^f  PA&LEiL.  Liv.L  Cbap.XL  ^3 

Aous  concluons  la  vérité  oulafauffetéd'unetroirié- 
mc  propofition  obfcure  6c  contellée.  Comme  fi 
^ur  montrer  que  Milon  eil  innocent ,  nous  di- 
rons :  U  dl  permis  de  repouffcr  la  force  par  la 
force;  Milon  en  tuant  Clodius ,  n'a  fait  que  repouf- 
ferla  force  par  la  force;  donc  MilonapûtuerClo«> 
dius.  Le  raifonnement  n'ell  qu'une  extenfion  de 
la  féconde  opération»  6c  un  enchaînement  de  deux 
oa  de  plusieurs  proportions.  Ainfi  il  eil  évident 
que  nous  n'avons  befoin  que  de  quelques  petits 
mots  pour  marquer  cet  enchaînement  »  comme 
ibnt  les  particules  i/onc ,  enfn ,  car  ,  partant ,  fuifi 
fvf  I  &c.  Quelques  Philofophes  reconnoiâent  une 
quatrième  opération  de  refprit  »  q^u'ils  appellent 
MetbaJe.  Par  cette  opération  on  diipofe  6c  on  or- 
ëonne  pluûcurs  raifonnemens.  On  peut  de  même 
czptimer  cette  difpofition  6c  cet  ordre  par  quelques 
p^tes  particules. 

Toutes  les  autres  adions  de  notre  efprit,  corne- 
tte font  celles  par  lefquelles  nous  diitinguons  , 
nous  dîvifons  >  nous  comparons  >  nous  allions  les 
diofes  ,.-  fe  rapportent  à  quelqu'une  de  ces  quatre 
opérations  ,  &  fe  marquent  avec  des  particules  qui 
reçoivent  differens  noms ,  félon  leur  différent  of- 
&e.  Celles  qui  unifient  font  appellées  cofijonéfivet^ 
comme  &  ;  celles  qui  divifent  négatives  6c  adver* 
fâtives,  comme  non,  mais.  Les  autres  font  C0»4^'« 
tionnelies,  comme  .Si,  &e. 

Il  y  a  des  langues  qui  ont  un  plus  grand  nom- 
bre de  ces  particules.  11  y  en  ^  pour  l'affirmation , 
la  négation  ,  le  jurement ,  la  iéparation  ,  la  col- 
Icôion.  U  y  a  des  particules  de  lieu,  deicms,  de 
nombre,  d'ordre ,  de  commandement ,  de  défen- 
fc,  de  vœux,  d'exhortation  ,  qui  marquent  fi  on 
interroge,  fi  on  répond.  Ces  particules  ont  une 
très-grande  force;  elles  ne  fignifient  point  les  ob- 
jets de  nos  penféesy  mais  quelqu'une  decesadions 

C  3  dont 


54  l'A  ItRlT^^KIOJ'K»  Olf  Ir'AftT 

dont  nous  venons,  de  parler.  Plufieurs  d*cntr'ell« 
fervent  auffi  à  marquer  les  mouvemens  de  Tameç 
l'admiration ,  la  jôyc ,  le  mépris ,  la  colère ,  la  dou- 
leur. Notre  hâ  marque  hiOpuleur.  Ua  ^  ba^  be^ 
h  ioye.  Ces  particules  s'appellent  iftteijcâif/ons  O 
en  ell  une  qui  fcrt  à  expnmer  quelque  mouve- 
ment de  Tame  »  une  furprife,  Tadmiration ,  Q  qufi 
malheur  i  O  la  belle,  cbofe  y  Ces  particules  be  ,  he 
font  auffi  des  interjetions  qui  fervent  à  exprimer 
de&  mouYemen$  de  Tame  ;  quand  on  interroge  avec 
aôion  ,  qu'on  exhorte  :  He  de  grâce  dites- moi ^ 
Vo  répondez  -  moi.  Nous  savons  |îufieurs  particu» 
les  femblablçs  qui  ont  difFerens  uftges.  Toutes  ne 
s'employent  gueres  que  dans  quelque  mouvement; 
comme  quand  en  nous  platignant  nousdifons»  bai^ 
bai  y  vous  me  kleffez.  Cette  particule  fe  prononce 
tufp  lori^u'on  le  met  à  rire,  ti  marque  qu'une 
chofc  eft  dégoûtante  &  vilaine  ,  qu'on  n'en  veut 
point.  Nous  nous  fçrvons  de  cette  particule  Helas 
dans  les  lamentations. 

Le  difcours  n'eft  qu'un  tiffu  de  plufieurs  propo*. 
fitions;  c'eil  pourquoi  ks  hommes  ont  cherché  les 
moyens  de  marquer  la  liaifon  de  plufieurs  propo* 
fitions  <jui  fc^fuivcDt..  Notre  Que  François  qui 
sépond  a  l'^Vi  des  Grecs  fait  cet  office.    Comice 

2uand  on  ^t^jejai  que  Dieu  ejl  bon,  il  efl  éifi^ 
cnt  que  ce  mot  Que  unit  ces  deux  proportions, 
^e  /ai. ,  &  Dieu  ejtbon  v  il  marque  que  l'efprit 
les  lie  'enfemble.  four  abréger  ,  on  met  le  ver- 
ke  de  la  fçconde  pî-opofition  à  l'infinitif;,  &  c'eft 
un  des  plus  grands  ufages  de  l'infinitif  de  lier 
ainfi  deux  propolitiqns  :  par  exemple  ,  Piern 
eroît  tout  /avoir  ,  pour  Pierre  croit  qu'il  fm$ 
tout. 

Nous  favons  de  quelle  manière  on  peut  ligni- 
fier les  actions  de  notre  ame  ;  voyons  à  préfent  ce 
^ue  la  Nature  feroit  fairje  à  cçjte  troupe  de  nou- 
veaux. 


-fft  yAKiSn.  Liv.L  Châp.XL  55 

ttinix  hommes  >  poar  domier  des  fignes  de  leurr 

rBons.  Confiiltons-nous  nous-mêmes  fur  ce  qud- 
Dous  fait  faire  quand  elle  nous  porte  à  donner 
des  iîgnes  de  Teflime  ou  du  mépris  ,  de  l'amour 
ou  de  la  haine  que  nous  avons  des  chofcs ,  qui  font 
ks  objets  de  nos  pcnfées  &  de  nos  aâèdions.  Le 
difcours  ell  imparfait  lorfqu*il  ne  porte  pas  les  mar- 
quer des  mouvemens  de  notre  volonté;  de  il  ne 
reflemble  à  notre  efprit ,  dont  il  doit  être  l'image , 
que  comme  des  gk^vics  reflemblent  aux  corps  vi- 
vans. 

Il  y  a  des  noms  qui  ont  deux  idées.  Celle  qu'on 
doit  nommer  Vidée  prinapale ,  repréfente  la  chofe 
qui  efl  iignifiëe;  l'autre  que  nous  pouvons  nommer 
Kceflbire ,  repréfente  cette  chofc  revêtue  de  cer- 
taines circonftances.  Par  exemple ,  ce  mot  Menteur , 
fignifie  bien  une  perfonne  que  l'on  reprend  de  n'a- 
wr  pas  dit  la  vérité;  mais^utre  cela  il  fait  con- 
noître  qu'on  lui  reproche  de  vouloir  cacher  la  ve- 
nté par  une  malice  hontcufe ,  &  que  par  conféquent 
on  le  croit  digne  de  haine  &  de  mépris. 

Ces  fécondes  idées  que  nous  avons  nommées  ac« 
cefToires  ,  s'auachent  elles-mêmes  aux  noms  des 
chofes'  9  &  fè  Ue&t  avec  leur  idée  priiKipale ,  •  ce  qui 
fk  fait  ainfi.  Lorfque  la  coutume  s'elt  introduite 
de  parier  avec  de  certains  termes  de  ce  que  l'on 
eftime  ,  ces  termes  acquièrent  une  idée  de  gran- 
deur: de  forte  qu'auffi-tôt  qu'une  perfonne  lesem- 
I^oye,  Von  conçoit  qu'elle  eftime  les  chofes  dont 
die  parle.  Quand  nous  parlons  étant  animez  de 
Quelque  paffion,  l'air,. le  ton  de  la  voix,  &  plu- 
neurs  autres  circonftances  font  affez  connôitre  les 
mouvemens  de  notre  cœur;  Or  les  noms  dont 
nous  nous  fervons  dans  ces  occafions ,  peuvent  dans 
la  fuite  du  teros  rcnouveller  par  eux  mêmes  l'idée 
de  ces  mouvemens:  comme  lorfque  nous  avons 
vûpJQÛeurs  fois  un  ami  vêtu  d'une  certaine  ma- 

C  4  niere,- 


^         L'a.  Rh  1  to r  i<^u  e ,  otr  t*A b? t 

Bière ,  cette  forte  de  vêtement  eft  capable  de  noufc 
donpcr  ridée  de  cet  ami.  De  là  vient  que  prefquc 
tous  les  noms  propres  des  chofes  naturelles  ont  des, 
idées  accelToires  faJes,  parce  que  les  débauchez  nç 
parlant  de  ces  chofçs  que  d'une,  manière  infolentc. 
&  deshonnête  ,  ks  fales  images  dé.  leur  efprit  fc 
font  attachées  à  ces. noms;  comme  un  fage  Payen 
s'en  eft  plaint  il  y  a  long-temsi:  Nous  n'avons ,  dit* 
il  y  prefque  plus  de  mots  chailes  &  ïiionnêtes.  Hôr 
vefia  ftêmina  ùerditTimus,. 

Et  c'eft  aum  ce  qui  nous  fait  comprendre  pourquoi 
avant  la  corruption  univerfdle  des  hommes,  ou; 
dans  le  tems  qu'on  vivoit  plus  Amplement ,  on  avoit 
plus  de  liberté  de  nommer  les  chofes  parleur  nom  ^ 
comme  le  font  ceux  qui  ont  écrit  les  Livres  de  l'Er 
.criture.  Ce  n'cft  pas  que  ces  Auteurs  facrez  fuflcnt 
moins  chaftes,  mais  c*eft  que  les  hommes- font  de- 
venus plus  mahns ,  6c  qu'ils  ont  attaché  de  fales  idées 
aux  chofes  naturelles  >.  dont  on  ne  peut  plus  parler 
innocemment  qu'en  fe  fervant  de  détouj:,  c'eft-àr 
dire,  d'un  long  difcours ,  qui/en  même  tems'qu'j 
fait  connoître  ks  chofes  x  en  feit  concevoir  des. 
idées  honnêtes. 

Ees  mots  contraéhnt  d'eux-mêmes  des  idéej  ac- 
celToires, comme  nous  venons  de  le  dire,  c'cll-à- 
dire  les  ideesdes  chofes,  &  de  la  manière  dont  ces 
chofes  font  conçues ,  notre  nouvelle  troupe  n'aur 
roit  pas  la  peine  de  chercher  des  noms  pour  marr 
quer  ces  idées  acceflbires.  Il  fe  trouveroit  fan$ 
artifice,  que  dans  cette  nouvelle  langue  il  y  au- 
loit  des  termes ,  qui  outre  les  idées  principales 
des  objets  qu'ils  lignifient ,  marqueroient  encore 
ks  mouveracns  de  ccu3t  qui  fe  fervent  de  ces  teir 
mes.  Comme  on  connoît  que  celui  qui  ti;aite 
un  autre  de  menteur  le  méprife  ,  &  l'a  en  aver- 
fion.  Outre  cela ,  comme  nous  ferons  voir  dans 
U  fuite  de  cet  Ouvrage ,.  ks.  paijions  fe  peignent 


'ite'pailiek.  LHkL  Chap.XJf:  57 

die^mêmes.  dans,  le  difcours;  &  elles  ont  des  ca- 
nâercs  qui  fe  fonnent  fans  étude  ôc  fans  Art. 


Chapitre    XII. 

Qon/hruéiion  des  mots  enfemhk.    Il  faut  exprimer 

tatts  ies  traits  du  tableau  qu'on  a  firtné 

dans  fin  efprit,- 

m 

ÂPke'  f  avoir  trouvé  tous  les  termes  d'une  lan- 
gue, il  faut  penfcr  à  Tordre  &■  à  l'arrangement 
de  ces  termes.  Si  les  mots  qui  renferment  un  fens, 
ne  portent  des  marques  de  la  liaifon  qu'ils  doivent 
avoir,  &  fi  on  napperçoit  où  ils  fe  rapportent,  le 
difcours  ne  forme  aucun  fens  raifonnable  dans  l'ef- 
prit  de  cciui  qui  l'écoute.  Entre  les  noms ,  comme 
.BOUS  avons  remarqué  ,lesunsiignifientles  chofcs  ,les 
mtrcs  les  manières  des  chofes.  Les  premiers  font 
appdlei  fiAftantife ,  les  féconds  font  nommez  ad- 
jcàife.  Ainfi  comme  les  manières  d'être  appartien- 
nent à  rctre>  les  adjeétift  doivent  dépendre  des 
fubftantifs ,  &  porter  les  marques  de  leui  dépendan- 
ce. Dans  une  propofition  le  terme  qui  en  eft  l'at- 
tribut fe  rapporte  à  celui  qui  en=elUefujet:  ce  rap- 
port doit  donc  être  exprimé. 

Dans  plufieurs  langues  les  noms  font  diftin- 
guez  par  des  terminaifons  différentes  en  deux  gen- 
res. Nous  appelions-  le  premier  le  genre  mafcu- 
lin,  le  fécond  le  genre  féminin.  La  bizarrerie  de 
l'uiage  eft  étrange  dans  cette  diftribution,  tantôt 
il  a  déterminé  le  genre  par  lefexe,  faifant  de  rnaf- 
culin  les  noms  d'hommes ,  &  tout  ce  qui  appartient 
à  Thommc  :  &  de-  genre  féminin  les  noms  de 
femmes ,  &  ce  qui  regarde  ce  fexe ,  n'ayant  égard 
cfu'à  la  feule  fignification  :  &  tantôt  fans  confîde- 
zernila  teimkxaifon^  ni  la  fignification»  il  a  donné 
"  C  5  aux 


5^         La  RRSToitr^uB»  #v  tf*A%Y 

aux  noms  le  genre  qu'il  lui  a  plû.  Les  noms  adjeâiâ^^ 
6c  les  autres  noms  qui  fignifîent  plutôt  les  manieres*- 
des  chofes  que  les  cKofes,  ont  ordinairement  deux: 
terminaifons ,  une  mafculine ,  l'autre^ féminine. 

Cela  eft  ordinaire  dans  le  Grec  &  dans  le  Latin ,  & 
dans  les  langues  qui  en  dépendent  ;  ce  qui  contribue- 
à  rendre  ces  langues  claires  de  quelque  manière: 
qu-bn  range  le  difcours ,.  comme  nous  le  dirons. 
Les^nomOinglois  n'ont  ni  cas,  ni  genre,  comme 
^  tous  étoient  adverbes ,  ce  qui  doit  caufer  de  Tobfcuv 
Tité  dans  leur  langue.    La  langue  Hébraïque  a .  cet 
avantage ,.  que  lés  verbes,  auffi-bien  que  les  noms,, 
font  capables  de  differens  genres.    On  voit  fi  c'cft 
d?un  homme  ou  d'une  femme  dont  il  s'agit. 

La  difFerenC'Ç  de  genre  fert  à  marquer  la  liaî- 
fon  des  membres  du  difcours,  &  la.  dépendance  : 
qu'ils  ont  les  uns  des  autres.    On  donne  toujours^ 
aux  adjèfHft  le  genre  de  leurs  fubftantift;:  c'cft-à- 
dire,.que  fi  le  nom  fubfiantif  eil  mafculin,  fonad- 
jeéHf  a  une  terminaifon  mafculine;  &  c'eft  cette 
terminaifon  qui  fait  connoître  à  qui  il  appartient. . 
Lorfqu'un  ctre  eft  multiplié,  fes  manières  font  auffi 
multipliées  ;  il  feut  donc  encore  que  les  adjeétiô^ 
•fcivçnt  le  nombre  fîngulier  ou  pluriel  de  leur  fubftan- 
lîf..  Les  verbes  ont  deux  nombres ,  comme  les 
noms  :  au  fingulier  ils  marquent  que  le  fujct  de  la^ 
propofition  eft  un  en  nombre  i  au  pluriel  leur  figni- 
fication  enferme  la  pluralité  de  ce  lujet;  parconfé^ 

3uei1t  les  verbes  doivent  être  mis  dans  le  nombre 
u  nom  exprimé  ou  fous-entendu  qui  eft  le  fujct 
de  la  propofition. 

Les  hommes  font  quelquefois  fi  occupez  des 
chofes  ^  qu'ils  ne  font  pas  reflexion  fur  leurs  noms;, 
ils  ne  prennent  pas  garde  quel  eft  le  genre  de  ces 
Boms,  quel  eft  leur  nombre;  ils  règlent  leurs  dif- 
cours par  les  chofes  :  ils  placent  le  verbe  au  plu- 
ikl  %  q^oi^ue  le  nom  auquel  il  fe  rapporte  fait 

fiflK 


ifB  PA^XSR.  Lh.F.  Chap.XlL  59 

ii^gulier,  parce  qu'ils  conçoivent  par  ce  nom  une 
idée  de  pluralité.  Ainfi  Virgile  dit  :  Pars  mnfi 
tnaêre  rmtem^  pom purs  merja  anuit  ratemi  parce 
me  »  fans  avoir  égard  à  ce  nom  »  pars  •  qui  eft 
«féminin,  &aunngulier,  il  envifage  les  hommes 
dont  il  parler  Nous  difons  en  François ,  ilefl  fix 
hnris  9  con£derant  as  fix  heurts  comme  un  feul 
ttms  détemainé»  qui  eil  nommé  fix  heures.  Quel-* 
qoefois  on  dbblie  un  n^ot ,  parce  que  ceux  à 
((ai  on  parle  peuvent  le  fuppléer.  On  dit  en  Latin , 
tiî^  bspus  fiûbulis^  fous -entendant  ce  mot«^«« 

n  eft  évident  que ,  comme  le  difcours  n'ell 

S 'une  image  de  nos  penfées ,  afin  que  le  difcours 
it  naturel,  il  doit  avoir  des  fignes  pour  tous  les 
tnits  de  nos  penfées  ,  &  les  repréienter  toutes 
comme  elles  fe  trouvent  rangées  dans  notre  efprit. 
GeU  feroit  ainfi  dans  toutes  les  langues  »  fi  le  de- 
fr  qu'on  a  d'abréger  ,  n'a  voit  porté  les  hommes 
i  retrancher  du  difcours  tout  ce  qu'on  y  peut  fup- 
pléer ,  &  choifir  pour  cela  des  expreffions  abré- 
gées; ce  qui  fe*  voit  manifeilemcnt  dans  la  langue 
Latine.  Toutes  ces  expreffions  où  ilfemble_que 
Tordre  naturd  n'efl  cas  gardé  ,  n'ont  cependant 
rien  de  particulier ,  li  ce  n'eft  que  l'uiàge  en  a  re- 
tranché quelque  mot  qui  fe  fuppléoit  Êidlemeat. 
Cette  manière  de  parler ,  pœnitêt  nu  peccati  •  eft  la 
même  chofe  que^on^tf  tmet  me  peccati  met.  Comme 
ccUe-ci ,  mea  reUrf,  elt  la  même  chofe  que  in  mea 
rtrefert.  Sandtius  dans  l'excellent  ouvrage  qu'il 
acompofé  fur  cette  matière  en  expliquant  la  lyn- 
taxe  Latine  ,  montre  que  toutes  les  manières  de 
cette  langue  qui  paroilfent  extraordinaires  ,  ne  le 
font  en  effet  que  parce  qu'il  y  a  quelque  mot  fup- 
primé,&  qu'ainfi  il  eil  facile  de  les  rappeller  à  l'or- 
dre commun. 
Les  Maîtres  de  TArt  ont  nomm^  figures  les 

C  6  mah 


6«         LaRhetokiquEiOit  l'Arv 

fnanieres  de  parler  extraordinaires.  Il  y  a  des  fijn?- 
rcs  de  Rhérorique ,  il  y  a  des  figures  de  Grammaire 
Les  premières  expriment  les  mouvemens  extraor» 
dinaires  dont  l'ame  efl  agitée  dans  les. paillons,  où 
cUes  forment  une  cadence  agréable.    Les  figures 
de  Grammaire  fe  font  dans  h,  conftruétion ,  lors- 
que l'on  s'éloigne  des  règles  ordinaires  :  Par  exem- 
ple cette  manière  de  s'exprimer  y  pars  merji  tenuêrw 
ratem ,  dont  nous  venons  de  parler ,  eft  une  figu^ 
re  que  les  Grammairiens'appellent5>//^^y^,  ouG^i». 
€eption  'y  parce  que  pour  lors  l'on  conçoit  le  fens au- 
trement que  les  mots  ne  portent,  &  qu'ainli  Toa 
feit  la  conftrudion  félon  le  fcns,  &  non  félon; les 
paroles.   Trifle  /tf/>//x //^W/j  ,  eft  ce  qu'on  appelle 
eU'tpfi,  c'eft-à-dire  cwniflion  ou  oubli  de  quelque 
chofe ,  comme  ici  de  ce  nom  ,  negoùum.    On  ap^ 
pcUe  bypei'baie  le  renverfement  de  la.  manière  orr- 
ëinaire  d'arranger  les  mots.    Ainfi  tran/lrsper  & 
remos  pour  per  tranflra  &  rtmos^  eft  une  nyper- 
bate.    On  peut  quelquefois  fe  fervir  d'expreflions 
différentes  qui  donnent  une  même,  idée,  de  fonc 
^u'il  fcmble  indiffèrent  de  fe  fervir  de  l'une  plé?- 
tôt  que  de  l'autre.,  comme  dare.clajftbus  aujit os, on. 
dari  claies  aujlris ,  expofer  les  navires  aux  vents , 
ou  leur  taire  recevoir  le  vent,  font  deux  exprefîions 
.  peu  différentes.  Lorfque  de  ces  deux  façons  de  par- 
xfcr  on  choifit  celle  qui.  eft  moins  ordinaire,  cela- 
is lappelie  h.ntillage  ou  changemenU 
;     Le  difcours  doit  avoir  tous  les  traits  de  la  forme 
idespenfées  de  celui  qui  parle,  comme  on  vient  de 
•  Iç  dire;  11  faut  donc  quand  nous  parlons,  que  cha- 
cune de  nos  idées  que  nous  voulons  faire  connoî- 
tre ,  ait  dans  le  difcours  un  fignc  qui  la  reprefente. 
.  Mais  auffi  il  faut  obferver  qu'il  y  a  des  mots  qui 
..  onf  la  force  de  fignificr  beaucoup  de  chofes ,  &  qui , 
outre  leurs  idées  principales ,  peuvent  en  réveiller 
pluficurs^  autres  ^  du  Rom  defquelies  ils  font  par  con- 

fé- 


BrB  FAB.111L.  Liv,L  Cbâp,XlU'  fyï 

feqaent  l'office.    Lorfque  toutes  nos  idées  font  ex- 
primées avec  leur  liaifon ,  il  efl  impoflible  que  Ton 
n'apperçoive  ce  que  nous  penfons,  puifque  nous  en 
donnons  tous  les  fignesnécelTaires.  C'eit  pourquoi 
ceux-là  parlent  clairement  qui  parlent  amplement , 
qui  expriment  leur»  penfées  d  une  manière  natu- 
relle ,  dans  le  même  ordre  ,  dans  la  tnême  éten- 
due qu'elles  font  dans  leur  efprit.   11  eft  vrai  qu'un 
difcours  eft  languiflknt  quand  on  donne  des  termes 
ÎWJticuliers  à  chaque  chofe  qu'on  veut  fignificr.  On 
ennuyé  ceux  oui  écoutent ,  s'ils  ont  l'efprit  prompt. 
Outre  ceh  ,  l'ardent  deiîr  de  faire  connoitre  ce 
^u'on  penfe  »  ne  fouffre  pas  ce  grand  nombre  de 
paroles.     On  voudroit ,  s'il  éioit  pofilble ,  s'ex- 
pliquer en  un  feul  mot  ;   c'ert  pourquoi  on  choi- 
fit  des  termes  qui  puilTcnt  exciter  plufieurs  idées , 
k  par  conféquent  tenir  la  place  de  plulieurs  pa- 
roles :  &  l'on  retranche  ceux  qui  étant  oubli C7- , 
ne  peuvent  caufer  d'obfcuriié.    La  règle  ,  c'eil  d'a- 
voir ég^d  à  la  qualité  de  l'efprit  de  ceux  à  qui 
en  parle  :  fi  ce  font  des  perfonnes  fimples  ,  il  ne 
fiiut  rien  leur  laiffer  à  deviner  ,.&  leur  dire  les  cho* 
fes  au  long. 

L'Ellipfe  ,  cette  figure  de  Grammaire  qui  fup- 
wime  quelques  paroles ,  ell  fort  commune  dans  les 
langues  Orientales  :  les  peuples  d'Orient  font  chauds 
&  prompts  ;  ainfî  l'ardeur  avec  laquelle  ils  parlent , 
neleur  permet  pas  de  dire  ce  qui  fe  peut  fous-enten- 
dçe.  Nôtre  langue  ne,fe  fert  point  de  cette  figure , 
ni  de  toutes  les  autres  figures  de  Grammaire,  tlle 
aime  la  netteté  &  la  naïveté  |  c'eft  pourquoi  elle 
exprime  les  chofes ,  autant  qu'il  fe  peut ,  dans  l'ordre 
le  plus  naturel  &  le  plus  fimple. 

En  parlant,  nous  aevons  avoir  un  foin  particulier 
des  chofes  principales ,  &  choifir  pour  elles  des 
expreffions  qui  faflent  de  fortes  impreflions ,  foit 
par  la  multitude  des  idé«  qu'elles  contiennent ,  foit 

C  7  par 


6t-       La  KVrroEiQnffBf  •v't'Kn'T 

par  leur  étendue.   Les  Peintres  groffiffent  les  traîtr^ 
Wncipaux  de  leurs  Tableaux  y  ûs  en  augmentent- 
lés  couleurs ,  6c  afibibliifent  celles  des  autres  traits  »  - 
afin  que  robfcurité  de  ces  derniers  relevé  l'éclat  de 
ceux  qui  doivent  paroître.    Les  petites  diofes ,  &-' 
qui  ne  font  pas  de  l'eflence  d'un  difcours,  ne  veu— 
lent  être  dites  qu'en  paflânt.  Ceft  une  faute  de  ju*' 
gemenit  bien  grande  d'employer  pour  dles  de  Ion-' 
gués  phrafes:  c*eil  détourner  les  yeux  du  Lcâeur 
de  ce  qu'il  cft  important  qu'il  confidere ,  &  le** 
attacher  à  tlne  bagateHe.    On  pèche  en  deux  ma- 
nières bien  différentes  contre  lejufte  choix  que  l'on  î 
dojt  Élire  d'cxpreffions  ferrées  ou  étendues ,  félon  » 
que  la  matière  le  demande*  Les  uns  font  diâus  »  les  • 
autres  font  fecsi  les  uns  prodiguent  les  paroles,  les- 
autres  les  ménagent  trop.;  les  uns  font  ileriles ,  les- 
autres  font  trop  féconds.    Les  premiers  ne  repre- 
fentent  oue  la  carcaffe  des  chofes ,  &  leurs  ouvrages  » 
font  femblablesaux  premiers  deffeins  d'un  Tableau ,  • 
dans  lequel  le  Peintre  n'a  fait  que  marquer  par  un* 
léger  cravon  la  0ace  des  yeux,  de  la  bouche  &  des 
oreilles  du  Portrait  qu'il  veut  iktrc.    La  trop  graû-^ 
de  fécondité  desderniers  étouffe  les  chofes.  Il  faut 
apporter  un  jufte  tempérament.  Après  que  lePein- 
tre  a  tiré  tous  les  traits  néceffaires,  ceux  qu'il  > 
ajoute  enfuite  gâtent  les  premiers.   Les  paroles  fu- 
pcrfluës  obfcurciffent  le  difcours  ;  eHes  empêchent 
qu'il  ne  foit  coulant  j  elles  laffent  les  oreilles  j  & 
s^échappent  de  la  mémoire. 

Ommfufervâeuum  flmo  de  pefiort  manat, 

La  politeffe  confiile  en  partie  dans  un  retranche- - 
ment  fevere  de  toutes  ces  paroles  perdues  qui  en  font 
comme  les  ordures.    Un  corps  n'ell  poli  qu'après 

3u*on  a  ôté  avec  la  lime  les  petites  parties  qui  ren- 
oient fa  furÊice  raboteufe.  - 

Les 


B<  VA«I1E«  LhJ.  Cbaf.  Xîh.        6j 

Grammairiens  appellent  Ttutêkgie  cette  rc- 

edtion  des  mêmes  choies ,  qui  ne  ferc  qu'à  rendre 
difcours  plus  long  &  plus  ennuyeux.  Lorfque  le 
(Ëfcours-eft  ainfi  chargé  de  paroles  fuperfluifs  »  -ce  dé- 
£iut  fe  nomme  aufli  PeriffiUgie.  Néanmoins  on  n'dt 
pasobli^de.ménager  fes  paroles  avec  tant  de  fcru- 
pule,  que  Ton  ne  puifle  mettre  quelque  mot  déplus 
qu'il  ne  £iut,  comme  quand  on  dit  en  Latin  ,  Vs» 
vere  vif  mm  ,  surikus  ëiuRre.  Cette  manière  de  parler 
fûeft^urée,ie  nomme  Pleimajme  ou  mbotUUmee. 

Pour  évites  les  deux  extremitez  de  dire  trop  ou 
de  ne  dire  pas  aâez ,  il  faut  méditer  fon  fujet  avec 
beaucoapid  application ,  pour  s'en  former  une  ima* 
{e  nette ,  qui  ait  tous  les  traits  qui  lui  font  propret 
Se  eflenticls;  Dans  le  premier  feu  delà  compofîtion 
fl  ne  hxx^  point  ménager  fes  paroles ,  mais  après 
qu'on  a  dk  tout  ce  qu'on  pouvoit  dire,  il  faut,  s'il 
m'eft  permis  de  parler  ainu ,  mettre  toutes  ces  pa- 
roles dans  le  preubir  pour  en  exprimer  le  fuc ,  5c  en 
rctrandier  le  marc.  C'eil-à-dire  qu'il  faut  retran- 
(àer  ce  qui  eit  inutile»  avec  cette  précaution  qu'en 
coupant  des  chairs  fuperfiuës  ,  on  ne  coupe  point 
quelque  nerf.  Un  difcours  doit  être  lié  ;  une  parti- 
cule retranchée  fait  que  la  liaifon  ne  paroît  plus. 
La  dclicateflc  ,.  &  en  même  tems  la  force  du  llile 
conflue  dans  l'union  &  dans  la  liaifon  des  parties 
du  difcours.  Il  ne  faut  point  laiffer  aux  ledeurs  à 
deviner  cette  liaifon  ;  &  ce  ne  font ,  comme  je  l'ai 
dit,  que  de  petits  mots  qui  la  font;  il  faut  donc  bien 
prendfre  garde  de  ne  pas  les  retrancher.  Mais  auffi 
il  hvx  aroucr  que  lorfque  le  difcours  eft  clair  par 
lui-même ,  ces  mots  étant  inutiles,  ils  ne  font  que 
rcmbaraffcr.  C'cft  pourquoi  on  a  raifon  de  con- 
damner nôtre  car  en  pluficurs  occalions  ;  par  exem- 
ple en  ccUe-d  ,  il  Jsit  jour ,  emr  k  SqUU  eft  lti*é. 
Cette  confequence  eft  trop  claire  pour  qu'il  (bit  bc- 
foin  de  la  marquer. .  Comme  un  Leâeur  eft  bien 

aifc 


é^4  Ea  RHEtORlOluE-i  aiM'ÀEl'* 

aifc  qu'on  ne  l'oblige  pas  de  deviner ,  auffi  toufce 
qu'on  lui  dit  de  trop ,  l'importune,  U  ne  faut  rie» 
oublier  pour  atteindre  la  fin ,  mais  c&  qui  n^fert  de 
rien  ât  un  embarras  qui  retarde» 


C  H  A  P  I  T  K  B     XllL 
l>e  l'ordre  é^ék  Parrangement  des  moU. 

C'E  n'eft.pa^  une  chofc  auffi  aifiée  qu'on  le  pcrf- 
Te  ,  de  dire  quel  eft  Tordre  naturel  des  par<p 
ties  du  difcours  ; .  c'eft-à-dire  ,  quel  eft  Tarrange- 
ment  le  plts  raifomiable  qu'elles  puiflent  avoir.  L4 
difcours  eft  une  image  de  Telprit ,  qui  eft  vif: 
tout  d'un  coup  il  envifage  pluneurs  cnofes,  don| 
il  feroit  par  confcquent  difficile  de  déterminer  It 
place  ,  k  rang  que  chacune  tient ,  puifqu'il  leç 
embraffe  toutes  ,  &  les  voit  d'un  feul  regard.  C« 
qui  eft  donc-  effcirticl  poup  ranger  les  termes  d*ui| 
difcours  ,  c'eft  qu'ils  foient  liez  de  manière  qu'ik 
ramaffent  5c  expriment  tout  d'un  coup  la  penfée  que 
nous  voulons  fignifier.  Néanmoins ,  fi  nous  voulons 
trouver  quelque  fucceffion  d'idées  dans  l'efprit ,  com* 
me  l'on  ne  peut  concevoir  le  fens  d'un  difcours, 
fi  auparavant  on  ne  fait  quelle  en  eft  la  matière-, 
on  pourroit  dire  que  Tordre  demande  que  dantf 
toute  propofition  le  nom  qui  en  exprime  le  fujel 
foit  placé  le -premier;  s'il  eft  accompagné  d'un  adr 
jeélif ,  que  cet  adicétif  le  fuive  deprès:  ciuc  Taiiri- 
but  foit  nris  après  le  Verbe  qui  fait  la  liaifon  du 
fujet  avec  Tattribut  :  aue  les  particules  qui  fervent 
à  marquer  le  rapport  aune  chofc  avec  une  autre, 
foient  mferées  entre  ces  chofes  ;  enfin  que  tous  les 
mots  qui  lient  deux  propofitions,  fe  trouvent  entre 
ces  deux  propofitions. 
AuJÛi  voyons -uous  que  les  peuples  qui  expri- 
ment 


DE   FA&££&.  *I^V.X  Chef.  XI 1  h  6^ 

neflt  fans  art  leurs  penfées ,  fc  font  afTujettis  à  cet 
ordre.  Les  anciens  Francs  pnrloicnt  comme  ils  pen- 
ibicnt.    lis  ne  cherchoient  point  d'autre  ordre  que 
celui  des  chofes  mêmes  y  Se  les  exprimant  fulon 
quelles  fe  prcfentoient  à  leur  efprit^ils  rangeoient 
leurs  paroles  comme  leurs  penfées  fe  trouvoicnt 
diTpofees  dans  leur  conception.    On  penle  d'abord 
au  fujet  d'une  propofition  :  TcTprit  cnluite  le  com- 
pre  ,  &  en  allure  quelque  chofe  »  ou  il  nie  cette 
diofe  félonie  jugement  qu'il  fait;  ainfi  le  fujet  oc- 
cupe la  première  place  ,  enfuite  l'adion  de  rcfprit 
qui  juge  eil  avant  la  chofe  qui  eA  niée  ou  affirmée. 
Dans  nôtre  langue  le  nom  qui  exprime  le  fujet  de 
lapropoiltion  va  devant;  après  on  place  le  verbe» 
&  le  nom  qui  marque  l'attribut  fuit.    Cet  ordre 
cft  naturel  >  oc  c'eft  un  des  avantascs  de  nôtre  lan- 
gue de  ne  point  fouffiir  qu'où  s  en  écarte.    £lle 
Tcut  qu'on  parle  comme  Ton  penfc. ,  Pour  pcnfct 
nifonnablement  il  faut  confiderer  les  chofes  avec 
cet  orvlre ,  que  premièrement  on  s'applique  à  celles 
dont  la  lumière  fert  à  faire  découvrir  les  autres.  Il 
ftut  donc  qjae  les.  paroles  foient  placées  félon  que 
leur  fens  doit  être  entendu  ,  afin  qu'on  paille  ap- 
percevoir  le  fens  de  celles  oui  fui  vent.  Le  gcnie  de 
nôtre  langue ,  c'eft  qu'un  difcours  1^'rançois  ne  peut 
toc  beau  fi  chaque  mot  ne  reveille  toutes  les  idées 
l'une  après  l'autre  félon  qu'elles  fe  fui  vent..    Nous 
ne  pouvons  fouifrir  qu'on  éloigne  aucun  mot,  qu'il 
fidllc  attendre  pour  concevoir  ce  qui  précède  ;  en- 
nemis pour  cela  des  parcnthefcs  &  des  longues  pé- 
riodes.   Auffi  nôtre  langue  eft  propre  pour  traiter 
les  fciences  >  parce  qu'elle  le  fait  avec  une  admira- 
ble clarté ,.  en.  quoi  elle  ne  cède  à  aucune  autre,  IL 
W  s'agit  donc  en  enieignant  que  d'être  clair. 

Mais  auffi  il  fiiut  avouer  quecen'eft  pas  tant  une 
tcrtu  qu'une  neceffité  à  nôtre  langue  de  fui vre  l'or- 
dre Qaturcl;  ce  oui  lui  eft  commun  avec  toutes  le;; 

laa-r 


#5         Lit  RHïToitrQntyE,  ov^l'Akt 

langues  dont  les  noms  n*ont  ni  genre  ni  cas.  II  f 
dans  un  difcours  qu'il  paroiife  où  fe  doivent  r 
porter  les  parties  dont  il  eft  compofé:    Nous 
parlons,  des  chofes  que  pour  marquer  ce  que  n< 
en  jugeons ,  à  quoi  nous  les  rapportons.  Si  cela 
garoît ,  le  îfcours  eft  confus.  Qu'on  dife  en  Lat 
Deux  fiât  bomtnemy  ou  bcmtnem  feett  Deas,  il  n' 
aucune  ambiguïté,    pn  voit  bien  que  ce  n' eft 
l'homme  qui  a  £iit  Dieu  ,  parce  qnbûmtnem  eft 
accufatif  qui  marque  que  Detts  qui  eft  au  nomi 
tif  agit  furrhomme;  mais  dans  nôtre  langue ,  I 
à  fait  l* homme  y  ^.Pbommta  fait  Dieu*  n*eft  pas  i 
même  chofc.    Ceft  le  feul  ordre  qui  diftingue 
lui  qui  agit  d*avec  celui  qui  eft  le  lujet  de  Tadic 
quand  ondit,  DiHimfkit  iHtwnrnt^  l'on  marque  < 
c'eft  Dieu  qui  agit.    Sans  cet  arrangenfient  ces  i 
mes  mots  ont  un  fens  contraire;  au  lieu  qu'en 
tin  bomtnem  fecit  Deusy  oxx  buminem  Dtus  fecit  ^ 
ffcit  bomtnem  Deus,  ou  Deus  feeh  bêminem^  eft  i 
même  chofe. 

Les  Latins  &  les  Grecs  ne  font  donc  pas  obli 
de  s'aflujettir  comme  nous  à  l'ordre  naturel.  ] 
t  même  lieu  de  contefter  fi  c'eft  un  défaut  d 
leucr langue  de  s'en.difpenfer  ;  car  outre  que 
renverfement ,  comme  on  l'a  fait  voir,  quand  il 
réglé  ne  caufe  point  d'obfcurité  ,  on  peut  dire 
le  difcours  en.  dl  même  plus  clair  &  plus  i 
Lorfqu'ori  parle  on  ne  veut  pas  feulement  n 
quer  chaque  idée  qu'on  a  dans  l'efprit  par 
terme  qui  lui  convienne;  on  a  une  conception 
eft  comme  une  image  faite  de  plufieurs  traits 
fc  lient  pour  l'exprimer.  U  fembie  donc  qu'il  ç 
propos  de  prefenter  cette  image  toute  entière , 
qu'on  conudere  d'une  feule  vue  tous  fes  traits 
tes  uns  avec  les  autres  comme  ils  le  font  ;  ce 
fe  fait  dans  le  Latin  :  tout  y  eft  lié  ,  comme 
chofes  font  liées  dans  l'efprit.  Dans  cette  exprçftî 


DS  parztbk*  LhJ:  ebnf.xirr.        &I 

hmhum  Jecit  Veus  ,  on  voit  que  ce  mot  tûminem^ 
s'efl  pas  là  fans  fuite,  qu'il  fe  doit  ni^porter à  quel- 
le nonr;  &  toute  Tcxpreffion  bmimmfecit  Deur. 
çprefente  la  pcnfée  de  celui  qui  parle,  non  parpaïc 
tiesbrifécs,  mais  toute  entière,  «  faifant  un  corpr 
comme  elle  le^it.  Ce  premier  mot  bcminem,  ne 
fignifie  rien  ;  il  faut  pour  découvrir  ce  qu'il  figni- 
fie,  envifagcr  toute  Texpreffion  ;  ce  qui  oblige  de 
confiderer  l'expreffion  entière.  On  peut  dire  qu'en 
Fiahçoîs  chaque  mot  fait  un  fens..  Dieu  a  fait  \  ce- 
ti  a  un  fens ,  mais  ces  mots  bomitiem  fecit^  n'en  ont 
wcun  qu'après  qu'on  y  a.  joint  ce  qui  fuit.  En 
^uel(}ue  langue  que  ce  foit  on  n'apperçoit  jamais 
ftr&itement  le  (ens  d'une  expreffion  qu'après  l'a- 
Toir  entendue  toute  entière  ;.  ainfi  Tordre  naturel 
R'cft  pas  fi  abfolument  néceflaire  qu'on  fe  Timagi- 
ne,  pour  faire  qji'un  difoour»  foit  clair.  Celui  qui 
dit  iominefnfecit  Deus ,  ne  confidere  l'homme  que 
&ns  ce  rapport  qu'il  a  avec  Dieu  qui  eft  fon  Créa- 
teur.  Cet  acculatif  marque  ce  rapport.  Ajoutez 
^  le  retardement  que  foufîre  le  Ledeur ,  &  l'at- 
tente qu'on  lui  donne  d'une  fuite ,  le  rendent  bca\i- 
coup  0us  attentif.  L'ardeur  qu'il  a  de  découvrir 
b  chof^  s'augmente  ,  &  çette.attention  fait  qu'il 
te  conçoit  plus  facilement. .  Auffi  les  expreffiôns  La-- 
tincs  font  plus  fortes  étant  plus  liées.  Le  renverfe- 
9ent  Qu'on  y  hxi  lie  une  propofition ,  &  la  ramaife 
en quaquc manière;  car  lé  Leâeur  eft  obligé  pour 
(entendre  d'envifager  toutes  les  parties  enlemblet 
ce  qui  fait  que  cette  propofition  le  frappe  ^us  vive* 
ment.  Encore  une  fois ,  tout  eft  coupe  en  François. 
Nos  paroles  font  détachées  les  unes  d'avecles  autres  ; 
c'eft pourquoi  elles  font  binguiffantes ,  à  moins  que 
te  chofes  dont  on  parle  n'en  foutiennent  le  tiffu. 

Je  l'ai  dit ,  il  ne  faut  pas  s'imaginer  que  Tefprit  for* 
©c  £ts  penfécs  avec  tant  de  lenteur,  que  les  chofes 
«(quelles  il  penfa  ne  fc  prefentcnt  à  lui  que  fucceffi- 


6&         La  Rhetoriqjje,  au  l'Aur 

vement»    D*unc  feule  vue  il  voit  plufieurs»  chofêsi- 
On  peut  donc  dire  qu'un  arrangement  eft  naturct' 
Ibriqu'il  prefcnte  toutes  les  parties  d'une  propolw 
tion  unies  entre  elles  comme  elles  le  font  dant- 
l'efprit.  Cela  s'accommode  mieux  à  nôtre  vivacité 
naturelle.    On  perd  patience  lorfqu'on  ne  nous  dit 
lés  chofcs  que  1  Une  après  Tautre  ,  d'une  manière 
interrompue  ,  &  par  conféqucnt  ennuyeufe  à  un- 
efpritquivoudtoit  qu'on  lui  dit  les  chofestoutd'ua 
coup ,  comme  il  les  voit.  Celui  qui  suécrit  des  avan- 
tages de  nôtre  langue  n'avoit  pas  fait  cette  réflexion^ 
lorfqu^il  condamne  la  manière  dont  les  Latine 
pouvoient  arranger  leurs  paroles.    Il  tâche  de  k^ 
rendre  ridicules.    Il  rapporte  ces  paroles  de  Cice« 
rôn  :   Quem  enim  nojî'rûm  ilU  moriens  aùud  AimnH^ 
neam  Epatninondas  non  cum  quadam  miferatiwu  d»* 
leéiat  ?  Cie  qu'il  traduit  ainn  :  Leqjsel  car  de  noup 
ht  mourant  à  Mantmée  Epaminondas  ne  avec  queU 

fue  comf/ijjton  deiefiè-t-ii point  ï  Sans  doute  que  ce 
'rançois  eft  choquant ,  parce  que  ce  n'eft  poinfc 
ainfi  qu'on  parle  en.  François ,  &  que  c'eft  l'or^ 
dre ,  comme  nous  avons  dit ,  qui  fait  connoître  oùr 
chaque  chofe  doit  fe  rapporter  ;  au  lieu  qu'en  La-^ 
tin  ce  font  lès  cas ,  lés  genres.  Aufïï  quelque  reiw 
verfement  qu'on  trouve  dans  les  paroles  Latines 
de  Ciceron>.à  moins  qu'on  n'ignore  le  Latin,  on- 
ce peut  y  trouver  d'obfcurité.  C'eft  en  vain  que 
cet  Auteur  dit  que  les  Romains  penfoient  en  Fran- 
çois avant  que  de  parler  en  Latin.  Car  un  Fran- 
çois même  ne  tiendroit  guère  du  génie  defa  nation  j^ 
s  il  penfoit  fucceffivement  &  diftindlement  à  tou- 
tes les  chofes  qu'il  ne  peut  expriaier  que  les  unes 
après  les  autres.  On  le  fait  fi  bien  qu'un  tour  trop 
régulier  rend  le  difcourr  languiflânt.  Quand  on  le 
geut  on  s'en  écarte ,  &  avec  grâce.  II périt  ce  Germa* 
vicus  fi  cher  aux  Romains  >  dans  une  armée  où  il  eût- 
êumms à  craindre  les  ennemis  de  PBmpire i  qu*u% 


«n  PAKLZK.  Liv.LChsp.XI7L         6f 

ùiftriurquHéivoîtfi  bknfervi.  Cela  a  bien  plus  de 
jgrace  que  ce  tour  régulier  :  Ce  Germanicus  fi  cbtr 
à*  Romains  ptrit  dans  une  armée  ^  itc. 

Néanmoins  il  ne  feut  pas  conclure  de  tout  cela 
çi'îl  foit  permis  aux  Latins  &  aux  Grecs  de  tranfpor- 
tcrleurs  mots  Êins  aucune  modération.  Il  n'y  a  que 
de  fbibles  Ecrivans  qui  prennent  cette  liberté  ,  les 
bons  Font  condamnée  ;  car  fans  difficulté  un  mot 
ne  doit  jamais  être  trop  éloigné  du  lieu  où  il  fe 
Apporte.  Quand  on  y  manque  ,  cVd  un  défaut 
qui  fe  pardonne  ,  mais  c'eft  lorfqu'il  eft  rare  ;  & 
âors  les  Grammairiens ,  comme  nous  l'avons  dit» 
en  font  une  figure  qu'ns  appellent  hyperksiei  c'eft- 
à-dirc  tranfpontion  ,  telle  qu  eft  ccUc-ci  dans  ces 
THs  de  Virgile  : 

■         Furit  immilfis  Vulcsnus  bakenis 
'Drânftra  fer  &  remos» 


Difons  encore  en  faveur  de  la  langue  Latine,' 

3ue  cette  liberté  qu'elle  a  lui  donne  moyen  de  ren- 
re  le  difcours  plus  coulant  5c  plus  harmonieux. 
Elle  peut  déplacer  un  mot  de  fon  lieu  naturel  fans 
que  ce  déplacement  caufe  dudefordre,  pour  le  met- 
tre ailleurs  où  fa  prononciation  s'accommodera 
mieux  avec  celle  des  mots  qui  le  précéderont  on 
qui  le  fuivront.  Nous  fomipes  extraordinairement 
gênez  en  François.  Comme  ce  n'efl  que  le  feul 
ordre  qui  fait  la  conftruétion  ,  c'eft-à-dire  qui  fait 
<onnoïbe  où  chaque  chofc  fe  doit  rapporter  ,  le 
génie  de  nôfre  langue  nous  affujcttit  à  l'ordre  qiU 
eft  ufîté,  quand  même  il  n'arriveroit  aucune  obfcu- 
rité  fi  on  ne  le  fuivoit  pas  :  c  ell  une  même  chofe 
que  blanc  bonnet  ou  bonnet  blanc  9  noir  chapeau  ou 
dfapeau  noir  •  blanche  robe  ou  robe  blanche  ,  cepen- 
dant on  ne  peut  pas  dire  l'un  8c  l'autre.  On  eft 
contraint  de  dire  toujours  un  bonnet  blanc ,  un  cba- 

f  cai» 


•^O         Lii  Rhétorique,  ow  j^'Aet  ii 

fefiu  noir  y  uhe  robe  biancbe ,  comme  au  contraire  ^  ii 
fkvx  dire  y  ne  belle  femme  ^  il  n'eH  jamais  permis  4ç  « 
^t  une  femme  b^U. 

L'arrangement  même;  ce  qui  n'efl  point  en  La^   e 
tin ,  dian^e  le  fehs  des  mots  »  car  Jage  femme  >  2ç    i 
Jmme  fage  \  greffe  femme ,  &  femme  greffe  i  mort  britp 
îc  boU  mort  >  ne  font  pas  une  même  chofe.  ; 

Il  y  a  pourtant  dé  certaines  occaiions  oî^  le  re^r    ■ 
Terfement  dé  Tordre  naturel  eft  une  beauté.  Çettf    i 
«CXprciTion,  commedifent  les  Pbilofopbes  y  eft  plus  âfi* 
.gante  que  celle-ci ,  comme  les  Pbilofopbes  (dijeni.     : .  , 

Ce  qui  fait  voir  que  fi  ^on  ne  peut  fouf&ir  lei 
xhangemens  qui  ne  caufcnt  point  d  obfcurité ,  c'çft 
fouvent  un  caprice.  Les  Italiens  ne  font  pas  fi 
cxads  obfervateurs  de  l'ordre  naturel  que  nous^ 
Ceft  Une  beauté  de  leur  langue  que  de  dire  »  il 
jmio  amore ,  pour  Pamore  mto  :  ils  ne  fe  mettent  pas 
«n  peine  que  cela  feffe  quelque  écjuivoque»  '  Us  di- 
fcnt  Alejfandro  Vira  vince  i  ce  ^ui  peut  avoir  deut 
fens.  La  coutume  fait  beaucoup.  On  conçoit  ai- 
fément  ce  qui  eft  dans  les  manières  ordinaires  ;  ce 
iqui  fait  qu'elles  deviennent  naturelles.  Les  Anr 
^ois  arrangent  leurs  fubftantift  autrement  que 
nous.  TbeKingsCour4i  comme  $*ils  difoient  du  R^ 
ià  Cour. 


Chavxtre    XIV. 
De  la  netteté  4f  des  vices  qui  lut  font  oppoflz» 

L'Arrangement  des  mots  mente  une  application 
particulière  ,  &  Ton  i>eut  dire  que  c'eft  par 
l'art  de  bien  placer  les  prties  du  difcours  que  leç 
cxcellens  Orateurs  fc  diftinguent  de  la  foule  ;  car 
enfin  les  mots  font  dans  la  bouche  de  tout  le  mon- 
de t  les  Orateun  ne  les  font  pas  ;  il  n'y  a  que  î^ 

difpo^ 


lifoofîdonde  ces  mots  qui  leur  appartienne»  &qui 
afle  dire  qu'ils  parlent  bien. 

I>txeris  p^regiè^  notum  fi  CMiûda  vtrbim 
ëtidéBénit  junêiura  navum. 

Je  ne  parle  pas  encore  ki  de  cet  arrangement  qm 
tend  le  ufcours  harmonieux  «  mais  de  cdui  qui  le 
tend  net.  La  netteté  &  la  darté  font  une  même  cho* 
fe.  Undifcourseftnet  lorfqu'il  prefente  une  peintu- 
re nette  &  daire  de  ce  qu'on  a  voulu  faire  concevoir. 
Fourpeindrcim  objet  nettement  il  en  faut  reprefen- 
ter  les  propres  traits  ,  donnant  pour  cela  les  feuls 
coups  aepmceauneceiTaires.  Ceux  qui  font  inutiles 

êent  l'ouvrage.  La  darté  dépend  en  premier  Ueu 
l'airangement  des  paroles.  Lorfqu'on  s'attache 
à  Vùsàre  naturd  on  en  dair  »  ainfi  le  renverfement 
de  cet  ordre  «  ou  la  tranfpofîtion  des  mots  trtjeiih 
verkûrttm  ,  cft  un  vice  oppofé  à  la  netteté.  Nôtre 
langue  ne  fouf&e  point  de  tranfpofitions  que  rare- 
ment. Ce  n*eft  pas  parler  François^  dit  Vaugclas, 
que  de  dire  ;  lin^j  en  m  point  qui  ùius  que  Juije  M* 
vejujiement  promettre  la^ire  :  li  faut  dire*  I/ny 
99  a  peint  m  P/us  juflement  que  iuife  doive  promettre 
la  gloire.  C'eft  une  tranf|>oution  que  d'éloigner  trop 
im  mot  de  celui  qu'il  doit  fuivre  immédiatement  » 
comme  dans  cet  exemple;  Jeton  kfentiment  du  plus 
upakle  d^en  juger  de  tous  Us  Grecs ,  au  lieu  de  dire  t 
jîkn  le  Jentiment  de  celui  de  tous  Us  Grecs  qui  éteit  le 
flus  capahU  d'en  juger.  Il  faut  placer  chaque  mot 
iians  le  lieu  où  if  répand  plus  de  lumière.  Ceft  une 
tfpece  de  tranlpofition  que  d'éloigner  deux  mots 
^ui  doivent  s'édaiwân  Afin  que  cela  n'arrive  pas  » 
il  Êiut  couper  une  phrafe  lorfque  la  fin  eft  trop  écar- 
tée du  commencement  ;  autrement  quand  le  Leéleur 
i  à  la  fin ,  il  ne  fe  fouvicnt  prefqueplus  du  commen- 
cement. 

Le 


Ta.         La  Rhetoii^qjjê,  oo  l'Aut 

Le  fécond  vice  contre  lit  netteté  eft  unembamSl 
4c  paroles  fuperflues.  On  ne  conçoit  jamstis  nctto^ 
tnent  une  vérité  qu  après  avoir  fait  le  difcérnement 
de  ce  qu'-eile  eft  aavec  ce  qu'elle  n'eft  pas  »  c'cft- 
à -dire ,  qu'après  qu'on  s'en  eft  formé  une  idée  nette 
^ui  fe  peut  exprimer  en  peu  de  paroles.  Le  froment 
tient  peu  de  place  après  qu'il  eft  feparé  de  lapàiUe; 
Auffi  les  paroles  qui  ne  fervent  de  rien  retranchée! 
le  difcours  eft  court  &  net  :  par  exemple ,  ôtant  ât 
rexpreiTioA  fuivante  les  paroles  inutiles  qui  Vem^ 
barraftent  :  En  cela  piufieurs  abuferH  êçus  Us  jours 
vierveiileufementde  Uurtoifir  ;  d'cmbarraffée  qu  éteit 
cette  expreffion  vous  la  rendrez  nette-,  la  rcduifaat 
à  ceis  termes  :  jp«  cela  piufieurs  abufent  de  leur  lo/fir* 
Il  faut  éviter  3e  prendre  de  longs  détours ,  il  hMl 
mener  droit  à  la  vérité. 

On  doit  être  exadl  à  obferver  les  règles  de  It 
fyntaxe  ,  ou  de  la  conftrudion.    Ce  n'eft  pas  par- 
ler nettement  que  de  dire  :  Une  fe  peut  taire  ni 
parler  y  car  on  ne  dit  pas/^  parler  :  ainfl  il  feut 
dire  »  Il  ne  feutfe  taire  ni  pai^er.    Il  y  a  des  ter- 
mes dont  la  fignification  vague  &  étendue  ne  peut 
être  déterminée  que  par  leur  rapport  à  quelqu'au- 
tre  téVme  ;  fe  ferrir  cle  ces  termes,  &  ne  pas  faire 
connoîtr^  où  ils  fe  doivent  rapporter  ,  c'eft  vou- 
loir ufer  d'équivoques.    Par  exemple  qui  diroiti 
//  a  toujours  aimé  cette  perfonne  dans  fon  advtrfi" 
//,  il  fcroit  une  équivoque  ;   car  le  Lcd:cur  n'ap- 
perçoit  pas  où  le  pronom  fin  doit  fe  rapporter ,  fi 
c'eft  à  cette  perfonne  ,  ou  à  celui  qui  a  aimé:  - 
cette  faute   eft  très-conliderable.      Or  une  dci 
principales   applications    de   ceux  qui  écrivent, 
doit  être  d'éviter  de  femblables  équivoques ,  com- 
me nous  en  avertit  le  plus  judicieux  de  tous  les 
Rhéteurs ,    non  feulement  celles  qui  jettent  le 
Leéleur  dans  l'incertitude  ,  quel  peut  être  le  véri- 
table fens  d'une  expreilion  ;  mais  celles  même 

que 


BB    PABllI,.    LivJ.  Ckéff.Xiy,  7) 

h  fuite  du  difcours  édaircit,  &  oùperfonne 
«ut  être  trompé. .  U  en  doime  des  exemples 
de  la  langue  Latine.  Vit^ndà  in prim'ts  ambi- 
s  no»  bétc  fêlùm  j[u£  inarium  mteùeétumjmcii  ; 
Cbr^mettm  sudivi  percujjiffe  Bemeam  »  Jed  ilis 
a  f «4  itimn  fi  iurkare  non  fott/i  fenfum  ,  im 
tsmen  verkinrum  v'itium  inciaiti  uî  fi  quh  di* 
vifum  à  ft  hmntntm  lihrum  fcribtntem  \  nam  esiam 
rmm  sk  hmine  firihi  fMtesf  ,  malè  tamen  CÊim^ 
rs$  j  fittratque  smbiguum  >    quémtum  im  iffi 

3mme  dans  le  François  nous  ne  marquons 
t  les  rapports  des  noms  par  des  genres  &  par 
cas  ,  nous  ferions  à  tous  momens  des  équivo- 
;>  fi  nous  n'employions  les  articles  qui  fervent 
^tenniner  le  fens  au  difcours.  Ce  feroit  une 
.voque  de  dire  Pamour  de  la  Vtrtu  &  Pbilofi* 
9  car  on  ne  marque  point  le  rapport  de  ce 

Pbi/û/bpbie ,  s*il  le  faut  joindre  avec  /a  Ver* 
ou  avec  âmûur.  Cette  ambiguïté  n'ell  point 
-Atin  :  quand  on  dit  amor  Vtrtutis&Pbi/o/opbiétt 
voit  que  Pbikfopbis  étant  au  génitif  comme 
utis  ,  il  fiiiut  joindre  ces  deux  chofes  enfemble. 
r  ôter  cette  équivoque  dans  cette  expreffion 
içoife  ,  il  faut  mettre  l'article  »  Pamour  de  U 
u  et  de  la  Pbilofopbie.    Dans  Tufage  des  arti- 

il  Êiut  diftinguer  l'article  indéfini  d'avec  ce- 
qui  efl  défirii ,  &  nç  pas  mettre  l'un  pour 
tre.  C'eft  mal  parler  que  de  dire  je  n^ai  point 
éÊTgent ,  lorfqu'on  veut  dire  en  général  qu'on 
fans  argent.  En  cette  occafion  il  faut  écrire  je 
point  dargent.  Au  contraire  quand  on  ne  par- 
as en  général ,  mais  qu'on  indique  une  chofe 
aminée  ,  c'eft  une  faute  de  fe  feryir  de  cet  ap- 
!  indéfini  pour  celui  qui  efl  défini:  Dire»  par 
nple,  donniz-moi  d argent  ^  pour  donnex^-moi  de 
'tnn 

D  C'cft 


•74         La  Rhitork^ui,  <>u  l'Art 

C'eft  la  nécefîité  qu'il  y  a  d'éviter  Icsëqmvoqtfts 
qui  npus  feit  rejettcr  les  partidpcs  autant  qu'on  k 
•peut ,  je  dis  autant  qu'on  le  peut,  car  on  eft  fott- 
vcnt  obligé  de  s'en  lervir  ,  parce  qu'ils  abreg«t 
le  difcours.  Le  fens  des  participes  eft  indétermi» 
né  dans  notre  langue  ,  ils  n'ont  ni  cas,  ni  geni;e: 
ainfi  comme  leur  rapport  ne  paroît  pas ,  il  n'y  « 
que  la  fuite  qui  le  faiTe  appercevoir  ;  c'eft  poiBV 
quoi  ils  caufent  des  ambiguitez ,  comme  dans  cet 
exemple  :  yîr  Pai  apperçû  Jortant  tk  l'EgHJè  s  ôll 
ne  fait  fi  c'eft  moi  qui  fortois ,  ou  celui  dont  jfc 
parle.  Cette  équivoque  ne  fe  foit  point  en  Latin» 
car  félon  ce  que  je  voudrai  lignifier,  je  dirai ,  vi£ 
eum  egredientem  Ecclefiâ ,  ou  vidi  eum  Ecclefiâ  epn» 
diens.  Pour  éviter  donc  l'équivoque  on  eft  obligé 
de  dire  la  chofe  d'une  autre  manière.  Je  l'ai  apper- 
çû lorfque  je  fortois  de  tEglife  ^  ou  lorjqu'il  fortirit 
de  PEgftfe ,  félon  le  fens  qu'on  veut  marquer.  Vau- 
gelas  remarque  fort  bien  que  ce  n'eft  pas  aflcz  de 
ït  foire  entendre  ,  mais  qu'il  faut  faire  en  forte 
qu'on  ne  puiffe  point  n'être  pas  entendu.  Il  n'y  a 
rien  de  plus  oppofé  à  la  netteté ,  que  le  font  cer- 
taines expreffions  que  ce  même  Auteur  appelle  lou- 
ches ,  parce  que  1  on  croit  qu'elles  regardent  d'un 
côté,  &  elles  regardent  de  l'autre  ,  comme  eft  ce 
Vers  de  l'Oracle , 

Ato  H  ^  Mactda  i  Rbmanos  vîncere  pojfe* 

Pyrrhus  fils  d'iEacidas  ,  à  qui  s'adreflbit  cet  Gra- 
de, l'entendoit  de  cette  manière  :  O  fkdJEacidas^ 
je  dis  que  tu  pourras  vaincre  le\  Bomains  ,  &  le  fens 
étoit  que  les  Romains  remportcroient  fur  lui  la 
viéloire.  Les  Grecs  appellent  ce  vice  Amphibologie • 
Les  parentîiefes  trop  longues  &  trop  fréquentes  (ont 
suffi  oppofées  à  la  netteté:  Les  exemples  n'en  font 
.  pas  rares  dans  les  Auteurs. 

Lavis 


ox    FAiLiBR.  Lh.L  Cbaf.XV.  7^ 

Vvns  que  j'ai  donné  de  placer  les  particulet 
èns  les  lieux  où  elles  font  néceiTaires  ,  eiî  très* 
œnfiderable.    Comme  nos  membres  ne  i'eroient  pas 
n  corps  s*ils  n'étoient  liez  les  uns  avec  les  au* 
tici  d'une  manière  imperceptible  :  au(E  des  paro- 
b  8c  des  phrafes  ne  font  pas  un  difcours ,  fi  eÛes 
K  font  liées  fi  étroitement ,  que  le  Ledteur  foit 
conduit  du  commencement  jufques  à  la  fin ,  pref- 
fie  Huis  qu'il  s'en  apperçoive.     Ce  font  ces  pe- 
ines particules  qui  font  cette  liaifon ,  qui  font  un 
corps  de  toutes  les  parties  du  difcours ,  &  en 
VDiÎTent  les  membres.    £lles  font  h  beauté  &  la 
dâicateâe   du  langage  :   elles  rendent  le  difcours 
couhnt  &  fuivi:  fans  elles  il  eil  femblable  à  un 
corps  diiloqué ,  coupé  &  mis  en  pièces  »  à  du  fa- 
Ue  fins  chaux  »  Artna  fine  cake ,  comme  l'Empe- 
xeor  Qaude  le  difoit  du  fiile  de  Seneque.    Ce  dé- 
duit rend  &  languifiànt  &  defagréable  tout  ce  que 
Ton  dit.   Le  ménagement  des  paiticides  eil  un  des  . 
grands  fecrets  de  l'éloquence,  particulièrement  dans 
u  langue  Grecque  &  dans  la  Latine. 


Chapitre    XV, 
Dt  la  véritable  Origine  des  Langues. 

SI  ce  que  Diodore  de  Sicile  a  écrit  de  Torigine 
des  langues  étoit  véritable ,  ce  que  nous  avons 
dit  de  ces  nouveaux  hommes  qui  fe  font  formez 
une  langue ,  ne  feroit  pas  une  fable ,  mais  une  vé- 
ritable Hiftoire.  Cet  Auteur  propofe  le  fentiment 
de  quelques  Philofophes  toudiant  le  commence- 
ment du  monde.  Après  que  les  élemens  eurent  pris 
leur  place  dans  TUmvers ,  &  que  les  eaux  fe  furent 
écoulées  dans  la  mer,  la  terre,  difent-ils,quictoit 
encore  humide,  fut  échauffée  par  la  chaleur  du  So- 

D  2  kA, 


76         La  Rmitokiqui,  ou  l'Art 

kfl  9  &  devenant  féconde ,  produiiit  les  hommi 
^  les  autres  animaux ,  comme  elle  produit  cn< 
aujourd'hui  des  rats ,  des  grenouilles  ,  &  la 
part  des  infeâes,  qui  naiflent»  comme  on  le]^ 
de  pourriture.  Tout  eft  faux  dans  ce  que  dit 
dore.  Quel  mouvement  pourroit  remuer  lc$  ^ 
ties  du  Hmon,  de  forte  qu'en  fe  froiflant,  câlll 
coupant,  elles  priffent  des  figures  juftes  poura 
çofer  la  machine  d'un  animal?  Je  ne  parle*, 
feulement  de  l'homme  ,  je  dis  qu'il  n'y  a  p 
d'infeâe  qui  ne  foit  compofé  d'un  nombre  de  icf| 
forts  qui  ne  fe  pourroient  compter,  (juandik  iN 
Toient  afiez  gros  pour  être  fenfibles.  Si  on  ne  pcjM 
donc  nous  faire  comprendre  que  le  hazard  pîw 
former  une  montre  d'une  centaine  de  parties  diilii^ 
rentes ,  comment  nous  expUqueroit-on  la  comp6- 
iition  d'un  animal  qui  a  des  millions  dç  reflbitrt 
Mais  achevons  d'écouter  cette  fable  que  DiodoMÎ 
raconte.  11  dit  donc  que  les  hommes  nez  de>li 
terre,  comme  les  herbes  dans  un  jardin,  lesgftf 
nouilles  dans  un  étang  ,  que  ces  hommes  ,  àih 
je ,  qui  étoient  difperfez  de  côté  &  d'autre ,  appri- 
rent par  expérience,  qu'il  leur  étoit  avantageux  de 
vivre  enfemble  pour  le  défendre  les  uns  les  autm 
contre  les  bêtes:  Que  d'abord  ils  s'étoient  fervisdc 
paroles  confufes  8c  groffîeres,  lefquelles  ilspolireat 
enfuite  ,  &  établirent  des  termes  néceflaires  pod 
s'expliquer  fur  toutes  les  matières  qui  fe  préf^ 
toient:  Et  qu'enfin,  comme  les  hommes n'étoftK 
point  nez  dans  un  feul  coin  de  la  terre ,  ôc  jquepH 
conféquent  il  s' étoit  fait  plufieurs  focietez  diffère»- 
tes,  (iacune  ayant  formé  fon  langage  il  étoit  arri- 
vé que  toutes  les  Nations  ne  parloient  pas  uoe 
même  langue. 

C'étoit  là  l'opinion  des  Grecs  Içs  plus  polis,  qui 
s'imaginoient  être  effedivement  nez  dans  les  païi 
qu'ils  babitoient  »  fe  glorifiant  d'être  enfans  de 

leor 


DS    Y  AULlK.  I/i»./.  Cbap.XV.  77 

leur  propre  terre  »  «»r«>^l«?f  $  inJigen£,    Si  la  terre 

ne  peut   pas  produire  un  infede  ,  ou  qu'on  ne 

paiffe  pas  concevoir  comme  elle  le  pourroit  foire , 

on  ne  concevra  pas  que  l'homme  foit  forti  de  la 

lOïc ,  ou  qu'il  fe  foit  fait.    Tous  les  anciens  mo- 

Bnmens  de  THiftoire  s'accordent  avec  rÉcriture, 

fù  nous  apprend  que  Dieu  créa  le  premier  hom- 

BC.  Les  Grecs  n'avoient  aucune  véritable  connoif- 

fimce  de  l'Antiquité ,  comme  Platon  le  leur  re- 

Rodie  dans  l'un  de  fes  Dialogues ,  oïl  il  fait  dire 

âTimée,  que  les  Egyptiens  avoient  coutume  d'jp- 

pdler  les  Grecs  des  enfans ,  parce  qu'ils  ne  fa- 

▼oicnt ,  non  plus  que  de  petits  enfans ,  d'où  ils 

étoicnt  fortis ,   &  ce  qui  s'étoit  paffé  avant  leur 

isdf^ce;  ainfi  nous  ne  devons  pas  nous  arrêter  à 

kuR  contes. 

Tous  les  anciens  monumens  de  l'Antiquité,  com- 
me je  l'ai  dit,  rendent  témoignage  à  la  vérité  de 
ce  que  Moïfe  raconte  dans  la  Genefe  de  la  naif- 
fimce  du  Monde,  &  des  premiers  hommes.    Nous 
a^nrcnons  de  ce  Livre  divin ,  de  l'autorité  duauel 
Mibnne  ne  peut  douter  ,  que  Dieu  forma  Aoam 
le  premier  de  tous  les  hommes  ;  il  le  créa  parfait, 
ivec  une  compagne;  il  lui  donna  donc  un  langage 
qu'ils  parlèrent  l'un  avec  l'autre.  C'eft  cette  langue 
çd  doit  être  regardée  comme  la  première.  Les  Sa- 
lins aoycnt  avoir  des  preuves  que  c'eft  la  langue 
Hébraïque  dont  Dieu  s'eft  fervi  en  parlant  aux  ra- 
triarcfaes,  Se  dans  laquelle  Moïfe  &  les  autres  £cri- 
^'aini  facrez  ont  écrit  les  Saintes  Ecritures.  On  croit 
donc  que  ce  premier  langage  ,  qui  fut  cnfuite  ce- 
i     kn  des  Hébreux ,  fc  conferva  après  le  Déluge  jufqu'à 
=    la  confiifîon  qui  furvint  dans  le  langage  de  ceux 
:     qui  bâtirent  la  Tour  de  Babel.  Ce  n'eft  pas  le  fen- 
timent  d'un  certain  Auteur*,  dont  le  Livre  a  été 
imprimé  à  Venife  il  y  a  quelques  aimées.    Il  fou- 

D  3  tient 

t 


7?         La  RHET©iiia.uE,  ©u  l'AiLt 

tient  que  la  langue  Grecque  eft  la  première  dtt( 
tes  les  langues  :  qu'Adam  a  parlé  Grec.  Cespreui 
font ,  qu*auffi-tôt  que  ce  premier  Homme  ouvrit 
yeux ,  il  admira  la  beauté  des  ouvrages  de  Die 

6  s'éaia,  O;  qu'ainli  il  trouva  Vi  Grec;  cnfu 
Yttf  lorfqu'après  qu'Eve  fut  fortie  de  fon  côti 
dn  la  Tentant  il  prononça  S  S,  D  dit  que  le  prem: 
né  d'Adam  ayant  pleuré  en  naiiTant,  il  fit  ente 
dre  î  2  f  î.  Comme  le  fécond  enfant  quiavoit ,  t 
l'Auteur,  la  voix  plus  grêle,  en  criant pronon 

7  if  I  ?.  C'eft  par  de  femblables  raifons  qu'il  pi 
tend  prouver  que  la  langue  Grecque  eft  auffi  nat 
relie  que  certains  chants  à  une  certaine  efpece  d'< 
féaux.  U  tombe  ainii  dans  l'opinion  de  ces  Phil 
fophes  dont  nous  nous  fommes  mocquez.  Rien  < 
plus  ridicule  ni  de  plus  faux  qu'un  femblable  feni 
ment.  Les  Grecs  mêmes  ,  comme  Hérodote ,  ] 
font  pas  difficulté  de  croire  que  leur  langue  vie 
d'une  langue  plus  ancienne. 

Reprenons  la  fuite  conftante  de  l'Hiftoire  d 
langues.  L'Hébreu  ,  ou  la  langue  des  andc 
Patriarches  fut  celle  de  toute  la  terre.  Avant  qi 
les  enfans  de  Noé  euifent  entrepris  de  bâtir 
Tour  de  Babel, il  n'y  avoit qu'une leule langue.  I 
delTcin  de  ceux  oui  voulurent  élever  cette  Tou) 
étoit  de  fe  défenare  contre  Dieu  même  ,  s'il  voi 
loit  encore  punir  le  Monde  par  un  Déluge  ;  qu'i 
cfperoient  ne  leur  pouvoir  plus  nuire  lor^u'ils  ai 
roient  achevé  cet  ouvrage.  Dieu  voyant  cette  a 
treprife  téméraire  ,  mit  une  telle  confufîon  d^ 
leurs  langues  &  dans  leurs  paroles ,  qu'il  leur  éto 
impoflible  de  comprendre  ce  qu'ils  s'entredifoici 
les  uns  aux  autres.  C'eft  ce  qui  les  contraignit  c 
laifTer  imparfait  cet  ouvrage  de  leur  vanité  ,  &  é 
fe  féparer  en  divers  païs. 

L  opinion  la  plus  commune  touchant  cette  coi 
fufion>  eft  que  Dieu  ne  confondit  pas  tellement  '. 

lai 


/ 


i>B  PHHLIK.  Uv,L  Chéf.XV.  79 

e  de  CCS  hommes  »  qu'il  fît  autant  de  diffe- 
langues  qu'ils  étoient  d'hommes.  L'on  croit 
lent  qu'après  cette  confoûon  chaque  famil- 
èrvît  d'une  langue  particulière  :  ce  qui  ût 
:s  familles  s  étant  féparées  »  les  hommes  fu- 
liftinguez  <iuffi-bien  par  la  différence  de  leur 
;e ,  que  par  celle  des  lieux  oîi  ils  fc  retirèrent. 
x)UYoit  £ûre  que  cette  confulion  ne  confluât 
1  de  nouveaux  mots  ,  mais  dans  le  duinge- 
ou  tranfpoiîtion  »  dans  l'addition  ou  retran- 
:nt  de  quelques  lettres  de  celles  qui  compo- 
les  termes  qui  étoient  en  ufage  avant  cette 
fion.  Ce  qui  le  fait  croire  ,  c'eft  qu'on  tire 
cent  de  la  lan£ue  Hébraïque ,.  qui  a  été  celle 
m,  &  qui  s'elt  toujours  confervéc ,  l'origine 
iciens  noms  des  Villes,  des  Provinces ,  &des 
es  qui  les  ont  premièrement  habitées ,  comme 
urs  fa  vans  hommes  font  très -bien  prouvé, 
particulièrement  Samuel  Bochart  dansfaGeo- 
ie  faaéc. 

jr  a  des  Auteurs  qui  prétendent  que  ce  que 
:  dit  de  la  confudon  des  langues  de  ceux 
>atiflbient  la  Tour  de  Babel  »  le  peut  enten- 
Tune  mes -intelligence  qui  fe  mit  entre  eux. 
raifon  ,  c'dd  que  les  Orientaux  après  la  dif- 
m  fe  font  fervis  de  diverfes  Dialeétes  plutôt 
le  diveries  langues:  Que  fans  une  confuûon 
:uleufe  de  langues,  l'éloignement  des  peuples, 
liffement  des  Empires  &  des  Républiques ,  la 
&é  des  loix  &  des  coutumes  ,  le  commerce 
dations  déjà  féparées  purent  caufer  du  change- 
dans  le  langage  :  Que  la  Grèce  ,  par  exem- 
a  été  habitée  par  les  Phéniciens  &  les  Egyç- 
9  de  la  langue  defquels  le  Grec  s'eft  formé  : 
la  langue  des  Pcrfes ,  des  Scythes ,  &  celle 
«uples  Septentrionnaux  ,  ont  beaucoup  de 
»rt  les  unes  avec  lesautres,  &  tirent  toutesleur 

D  4.  on- 


8o        La  Rreto&iqus,  ou  l'Art 

origine  de  rHcbrcu.  Ccft  cequelcPercThom 
prouve  dans  Ton  GloUâire. 

Ainii  ce  n'eft  point  le  hazard  <|iii  a  appris 

]^omnies  à  parier  ;   c'eft  Dieu  qm  kur  a  d( 

leur  premier  langage;  c'eil  de  la  langue  qu'il  < 

na  à  Adam  »   que  toutes  les  langues  font 

nues,  cdHe-là  ayant  été»  pour  ainûdire,  divifif 

multipliée.    De  qudque  manière  que  cela  fe 

fait  »  la  confufion  que  Dieu  mit  dans  les  pai 

de  ceux  qui  vouloicnt  élever  la  Tour  de  Babd  -,  : 

pas  la  feule  caufe  de  cette  grande  diverfîté  de  i 

tiplidté  des  langues.     CeUes  qui  font  en  u 

aujourd'hui  par  toute  la  terre  ,  font  en  bien 

grand  nombre  que  n'étoient  les  familles  des  en 

ce  Noé  lorfqu'élles  fe  féparerent  ,  &  bien  d 

rentes  de  leur  langage.    Il  fe  fait  dans  les  hngi 

auffi-bien  que  dans  toutes  les  autres  chofes , 

diangemens  infenfîbles  »  qui  font  qu'après  ^quel 

tems  eïïes  paroiffent  tout  autres  qu'eUes  n'éto: 

dans  leur  commencement.    Nous  ne  doutons 

que  le  François  que  nous  parlons  maintenant 

vienne  de  celui  qui  étoit  en  iifage  il  y  a  c 

Cens  ans;  cependant  à  pdne  pouvons-nous  ent 

dre  le  François  qui  fé  pâiloit  il  y  a  deux  cens  i 

U  ne  faut  pas  s'imaginer  que  ces  diangemens  n 

rivent  que  dans  notre  langue.    Quintilien  dit  < 

la  langue  Romaine  de  fon  temps  étoit  fi  di 

rente  de  celle  des  premiers  Romains ,  que  les  ï 

très  n'entendoient  prefque  plus  les  Hymnes  que 

premiers  Prêtres  de  Rome  avoient  corapofcz  p 

être  chanter  devant  les  idoles  de  leurs  Dieux.  I 

ton  dans  le  Cratyle  dit  la  même  chofe  de  Tanc 

Grec  ;    que  vu  les  granBs  changemens  qui 

étoient  faits  ,  il  ne  faUoit  |)as  s'étonner  qu'il  dil 

rat  autant  du  nouveau  ,  que  celui-d  du  Barba 

hiif  %vf{gtrot  âf  Hv  H  1}  'nuXudà  ^«f«  <9e?$  'M  1 

^ttçQmeA»ni  fèit^tf  :^pie9t,    PUton  appelle  B 

b 


mm  F  AU  LU.  Liv.I.  Chéip.XV.         fit 

Wre  le  langage  des  peuples  qui  n'ont  aucune  po- 
:  ittffe ,  qui  ne  cultivent  point  ni  les  Arts ,  ni  les 
Sdences. 

La  différence  du  langage ,  ou  la  férocité  des  pre« 
■ieis  hommes  qui  étoient  corrompus ,  comme 
fEoiture  le  dédare  ,  firent  qu'en  peu  de  temps 
nés  la  confuiion  de  la  Tour  de  Babel  ,  ils  fe 
fqitrerent ,  ne  pouvant  vivre  les  uns  avec  les  au- 
tres. CHiacun  fc  retira  dans  les  lieux  qui  n'étoient 
point  encore  habitez ,  où  il  pouvoit  vivre  avec  fet 
;  ibimes  &fesenfans,  &:re^erfeul.  C'efl  le  grand 
sombre  d'idées ,  la  diverfite  des  afiàircs,  le  trafic, 
1k  Arts ,  les  Sdences ,  qui  ont  fait  trouver  ce  nom- 
bre prodigieux  de  mots  dont  une  langue  a  befoin ,  & 
cette  grande  régularité  dans  la  confhuélion  des  pa- 
roles» afin  qu'dles  foient  capables  d'un  (lile  clair» 
&ns  équivoques.  Mais  qui  étoient-ils  ces  premiers 
hommes  qui  allèrent  habiter  les  differens  climats 
de  la  terre  ?  Des  chaflcùrs  qui  n'avoient  aucune  oc- 
cupation ,  ni  entretien ,  ni  commerce  qui  deman- 
dât de  la  fécondité  dans  les  termes ,  de  la  régula- 
rité dans  l'arrangement.  Ils  n'avoient  btfoin  que 
d'un  jargon ,  qui  fe  multiplia  &  diverfifia  prodi- 
pcufement  ;  car  comme  il  ne  confiftoit  que  dans 
M  petit  nombre  de  termes ,  il  fe  pouvoit  changer 
frôlement. 

La  difiference  du  tempérament  8c  des  climats  fait 
qu'on  ne  prononce  pas  de  la  même  manière.  Ainfi 
ceux  mêmes  qui  avoient  dans  le  commencement  le 
même  langage  avant  leur  féparation ,  purent  dans 
la  fuite  prononcer  fi  différemment  les  mêmes  mots , 
qu'ils  ne  parurent  plus  les  mêmes.  Ajoutons  que 
n'ayant  eu  qu'un  très-petit  nombre  de  termes, 
quand  ils  fe  féparerent ,  lorfqu'il  en  fallut  trou- 
ver de  nouveaux  pour  marquer  les  chofes  dont 
ik  commençoient  de  fe  fervir ,  ils  ne  pouvoient 
pas  inventer  les  mêmes ,   étant  éloignez  les  uns 

D  5  des 


Si»         La  Rhetori<3jj£,  ou  l'Aut 

dés  -autres,  &  ne  fe  connoiflant  plus.  Ceft  ainfi 
€^\xû  Y  eut  fur  la  terre  autant  de  différentes  lan- 
gues que  de  contrées.  Cela  devoit  arriver  ^uand 
il  n'y  auroit  point  eu  de  confufion  miraculeule  des 
langues  parmi  les  entrepreneurs  de  la  Tour  deB^- 
bel;  &  que  tous  les  hommes  dans  le  tems  quiîs 
fc  difperlcrent  fe  fuflent  entendus.  Ils  ont  pu  dans 
la  fuite  changer  fi  fort  leur  premier  langage  ,  qu'il 
s'en  foit  formé  de  nouvelles  langues.  L'inconftan- 
ce  des  hommes  en  eft  une  des  principales  caufes. 
L'amour  qu'ils  ont  pour  la  nouveauté  leur  fait  éta- 
blir de  nouveaux  mots  en  la  place  de  ceux  qu'ils 
rebutent ,  &  introduire  des  manières  nouveUes  de 
prononcer ,  qui  changent  entièrement  le  langage, 
&  qui  en  font  un  nouveau  dans  la  fuite  des  an- 
nées. 

Chaque  peuple  a  fes  manières  de  prononcer , 
félon  la  qualité  du  climat.  Ceux  du  Nort  font^ 
portez  à  fe  fervir  de  mots  compofex  de  confones 
fortes,  qui  fe  prononcent  du  fpnd  du  gofier.  Les 
Saxons  changent  les  confonds ,  que  les  Grammai- 
riens appellent /^««^x,  dans  les  moyennes,  ôccellss- 
ci  en  aipirées;  ainfi  au  lieu  de  bibimus  ^  ils  pro- 
noncent///>/w//j,  pour  ^<?»aw  ils  difent />«»«'»,  pour 
vinum  ,  finum.  Il  y  a  des  Nations  entières  qui 
ne  peuvent  prononcer  de  certaines  lettres,  com- 
me les  Ephraïmites  ne  pouvoient  prononcer  le 
fcbin  des  Hébreux  ,  &  pour  fchibboleth  ,  difoieni; 
Jibboletb.  Les  Gafcons  &  les  Efpagnols  n'aiment 
point  la  lettre  F.  Ceux-ci  difent  barim  pour  fa^ 
rina  ,  babulare  j>o\xr  Ja  bu  lare  :  les  Galcons  di- 
fent bille  pour  fille,  Ceft  ce  qui  fait  aue  chaque 
Nation  déguife  tellement  les  mots  qu'elle  emprun- 
te d'une  langue  étrangère  ,  qu'on  ne  les  connoît 
plus. 

Auffi  ceux  qui  recherchent  Tétymologie  ou  To- 
ligine  des  nouvelles  langues ,  pour  faire  com- 
prendre 


-DÉ   VARIER.  Liv.L  Chsp.  XV.  83 

:e   comment  elles  viennent  des  anciennes  , 
Mn  de  rapporter  quelles  ont  étc  Ica  manie- 
iflferenies  ae  prononcer  en  differcns  tems,  & 
.Tient  par  ces  différentes  manières  les   mots 
été  changez  de  telle  forte  ,  qu'ils  paroilTcnt 
:  difFerens  de  ce  qu'ils  étoient  dans  leur  pre- 
.Tc  origine.    Par  exemple  ,  il  n  y  a  pas  gran- 
conformité  entre  écrire  ,  &  le  mot  Latin  /cri» 
f,   d'où  il  vient;  entre  établir^  ^  flabifirt^ 
)ilà  la  caufe  de  cette  différence.    Nos  François 
soient  coutume  en  prononçant  cette  lettre  S ,  de 
aire  fonner  devant  elle  im  Et  comme  on  le  fait 
encore  au-delà  de  la  Loire.    Âinil  au  lieu  de /cri" 
bere  ,  ils  prononçoient  efcribere  :   eflabiiire  ,  pour 
fiëbilire.    L'on  a  pris  la  coutume  enfuite  de  ne 
point  prononcer  la  lettre  S  ,   après  E ,  au  com- 
mencement des  mocs:  ainli  on  a  dit  ccr ibère  ^  eta" 
biftre\  &  enfin  en  abrégeant  ces  mots ,  font  ve- 
nus ces  mots  François,  écrire»  établir.    Les  chan- 
gemens  qui  fe  font  faits  de  cette  manière  dans  la 
prononciation  ,    ont   tellement  dcguifé  les  mors 
Latins ,  qu'il  s'en  eft  feit  une  nouvelle  lançuc.    Il 
en  eft  de  toutes  les  langues  comme  de  la  Françoi- 
se. Notre  lançuc,  l'Efpagnole,  &  l'Iraliennc  vien- 
nent du  Latin.     Le  Latin  vient  du  Grec.    Le 
Grec  vient  en  partie  de  l'Hébreu,  comme  le  Chal- 
daïqne  &  le  Syriaque.  L'on  s'étonne  d'abord  quand 
on  £iit  venir  d*une  langue  plus  ancienne  quelque 
mot  dune  nouvelle  langue,  par  exemple,  un  mot 
Latin  d'un  mot  Hébreu  ,  fi  leur  différence  efl  con- 
fidcrable.   Cet  étonnement  vient  de  ce  que  l'on  ne 
prend  pas  garde  que  ce  mot  Latin  ,  avant  que  d'a- 
Toir  la  forme  qu'il  a ,  a  pafie  par  pluiieurs  païs , 
&  qu'il  a  été  prononcé  en  différentes  manières  qui 
l'ont  défiguré. 

Les  peuples  ont  des  inclinations  particulières 
pour  de  cextaines  lettres  »  pour  de  cenaines  ter- 

P  6  mi- 


84        La  RiiiToiit^uEy  ou  l'Aiit 

mînaîfonSy  foit  par  caprice  ou  par  raifon  ,  tj 
vant  que  la  prononciation  de  ces  lettres  &  de 
tcrminaifons  eft  plus  facile  ,  &  qu'elle  s'accomi 
de  mieux  avec  leurs  difpofitions  naturelles. 
h  fe  remarque  particulièrement  dans  la  lan 
Grecque  ;  &  c*eft  ce  qui  a  introduit  dans  Tu; 
commun  de  cette  langue  ces  particularité!  qi 
nomme  Dialefies.  Les  Attiques ,  par  exemp 
au  lieu  de  r  mettent  |7,  pS^  taS.  Ils  ajoutent  c 
fyllabe  Jy,  à  la  fin  de  beaucoup  de  mots:  ils 
grient  fouvent  i ,  à  la  fin  des  adverbes  :  ils  al 
gent  les  mots  ;  au  contraire  les  Ioniens  les 
k>ngent.  Les  Dores ,  ou  Doriens  font  dom: 
r  a ,  prefqae  par  tout.  Les  Eoliens  mettent  u 
avant  ^s  de  deux  /uAt,  ils  font  deux  a-n-,  ils  cl: 
gent  le  ê,  en  ^.  Il  en  eft  de  même  de  la  lan 
Chaldaïque  ,  au  regard  de  la  langue  Hebraïc 
Les  Italiens ,  les  François ,  &  les  Efpagnok 
leurs  lettres  &  leurs  terminaifons  particulier 
comme  on  le  peut  voir  dans  les  Grammair 
&  dans  les  Didionnaires  de  ces  langues, 
particularité!  r  comme  il  eft  manifefte  ,  cl: 
gent  beaucoup  les  langues ,  &  mettent  de  gi 
des  différences  entfelles;  de  forte  que  bien  qu 
ks  viennent  d'une  même  mère  ,  s'il  m'eft  ] 
mis  de  parler  ainii  9  elles  ne  paroiifent  p< 
îœurs.  Les  langues  Françoife,  Elpagnole,  & 
Menne  femblent  être  fordes  de  languesi  toutes  di 
rentes. 

Si  chaque  canton  de  terre  a  eu  dans  fon  ce 
menccment  un  langage  particulier  ,  commei 
me  dira-t-on,  ces  langues  générales,  étendues, 
qu'on  a  nommé  des  langues  mercs  ,  fe  feroic 
cUes  pu  former  ^  Cela  eft  arrivé  lorfqu'un  hc 
me  qui  avoir  plus  d'efprit  &  de  force  de  cor 
foit  par  fon  favoir-faire  ,  foit  par  la  force  de 
armes,  a  ralTemblé  plufieurs  peuples  qu'il  a  o 


DB  »A&£lii.  Liv.ï.  Cbâp.XV.         S5 

|é  de  Tiyre  fous  des  Loix.    C'a  été  une  néceffité 
qa'Os  conTinfTent  d*un  hngage.    Les  yaincns  pri- 
rent cdui  des  vidorieux  y  à  qui  ils  voulurent  Ai* 
rclcur  cour ,  &  dont  ils  recherchèrent  les  fkveuri. 
Alors  vivant  cnfemble,  s'entr*aidant ,  bâtiflantdef 
DMofons,  exerçant  les  Arts,  trafiquant;  lanéccffi-" 
té ,  le  plaifir  ,  Futilité  ,  les  omemens ,  les  afiài- 
les  ,  les  jeux  »  les  converfations  ,  firent  qu'il  leur 
étoit  néccflâire  d'avoir  plufieurs  termes  pour  s'ex- 
pliquer.   Soit  par  hazard  »  foit  par  choix  ,  ils  fe 
fervirent  des  termes  les  plus  propres  pour  s'expri- 
mer fans  équivoques  &  avec  agrément.    Or  quand 
un  terme  cil  uiie  fois  reçu  &  autorifé  ,  il  devient 
propre:  l'ufaçe  en  eft  plus  facile.    Ce  qui  eft  fiidlc 
plaît  :  on  agit  félon  les  habitudes.    Âuifi  dans  un 
£tat  il  s'efl  établi  une  forte  de  langage  qu'on  a  par- 
lé plus  volontiers. 

La  terre  ayant  été  comme  partagée  en  diffcrens 
Etats  &  Empires  ,  il  s* eil  fiiit  différentes  langues. 
H  n'étoit  plus  pofliblc  que  des  peuples  éloignez , 
fous  de  mffercntes  dominations  ,  fous  diffcrens 
dimats ,  inventaflent  les  mêmes  termes ,  fe  for- 
maffcnt  un  même  langage.     Chaque  peuple  s'eft 
fcrvi  des  mêmes    mots   qu'il  a  trouvé  *  établis  : 
qu'il  a  allongé  ,  abrégé  ,  changé  pour  fignifier  des 
diofes  à  peu  près  femblables ,  félon  qu'il   s'eft 
pM  à  certains  fons ,  à  certaines  lettres  ;  ce  qui 
eft  remarquable  en  toutes  les  langues  ;  le  feul 
fon  ou  la  leulé  terminaifon  d'un  mot  faiémt  juger 
de  quelle  langue  il  peut  être.    C'eft  toujours  fé- 
lon une  certaine  analogie  ou  proportion  que  let 
hommes  forment  lem:  langage.    On  fait  plus  vo- 
lontiers ce  qu'on  a  coutume  de  faire  ;  on  le  fait 
Elus  aifémént  ;  &  enfuite  prefque  néccffairement. 
>t  là  vient  que  chaque  langue  a  fes  mots  d'un 
certain  fon  t  fcs  termes  particuliers ,  un  ceruin 
tour.  .  -    . 

D  7  L'ét^.' 


86.         La  R.RBT0RIQJ7E»  op  l'Akt 

L'établiflcmcnt  des  Empires  a  été  fuivi  ,  com- 
me nous  venons  de  le  dire ,  de  rétabliflement  des 
langues  mères.  Ce  font  auûî  les  changement  qui 
font  arrivei  aux  Etats  ,  qui  ont  caufé  des  change- 
mens  dans  le  langage.  Car  dans  ces  changemens 
pluïieurs  peuples  le  Tient  enfemble  ,  d'où  l'on  voit 
naître  un  bngage  bizarre.  Ainfi  nôtre  François 
ne  vient  pas  femement  du  Latin  ,  il  efl  compofë 
de  plufieurs  mots  ufîtez  aux  anciens  Gaulois, 
avec  lefquels  lés  Romains  fe  mêlèrent  dans  les  Gau- 
les. La  langue  Angloife  a  plufieurs  mots  Fraiv- 
çois  ;  ce  qui  vient  de  ce  que  les  Anglois  ont  long7 
têms  demeuré  dans  la  France ,  dont  ils  poffedoient 
une  partie  très-confiderable.  Les  Efpagnols  ont 
plufieurs  mots  Arabes  ,  fournis  qu'ils  ont  été  pen- 
dant plufieurs  fiecles  aux  Maures  qui  parlent  Ara- 
be. Les  termes  des  Arts  viennent  pour  l'ordinaire 
des  lieux  où  ils  ont  été  cultivcx.  Ainfi  les  Grecs 
ayant  travaillé  avec  plus  de  foin  à  perfeéHonner 
lés  Sciences ,  les  termes  des  beaux  Arts  viennent 
prefque  tous  du  Grec.  L'art  de  nuviger  a  été  fort 
cultivé  dans  le  Nort  ;  plufieurs  de  nos  termes  de 
marine  viennent  du  Nort. 

La  langue  Latine  s'eft  Corrompue ,  &  de  fa  déca- 
dence font  venues  les  langues  Italienne ,  Efpagno- 
le  ,  &  Françoife  ;  ce  qui  s'eft  fait  de  cette  manie-, 
re.  Les.  Romains  perdirent  l'Empire  par  leur 
moleffe.  En  dégénérant  de  la  valeur  de  leurs  pè- 
res ».  ils  corrompirent  leur  langage  avec  leurs 
mœurs.  Outre  cela  les  Barbares  s'étant  rendus 
maîtres  de  l'Italie  ,  de  l'Efpagne  &  des  Gaules , 
il  fe  fit  un  mélange  de  mots  barbares  avec  le  La- 
tin qu'on  parloit  dans  tout  l'Empire.  Les  peuples 
devinrent  grofllers  &  ignorans  ;  ils  ne  penferent 
plus  à  parler  correélement.  La  langue  Latine  ne 
le  peut  bien  parler  fans  une  attention  particulière, 
i  caufe  de  tous  fes  difierens  genres  &i  difierent.es 

déck- 


DS  PAULER.  Liv.L  Cbap.XV.  %i 

dédinaifons.  Mous  voyons  que  dans  nôtre  langue 
qd  eft  fi  facile  ,  le  petit  peuple  ne  peut  s'aflujetir 
aux  règles  ;  il  dira  plus  fouvent  'fattions ,  jefifmes^ 
^e  nous  alitons  »  nous  pjmts  i  ainû  la  langue  La« 
tme  ne  devint  plus  qu'un  jargon  ;  on  prit  les 
manières  des  Barbares  qui  n'avoient  point  de  dé- 
dinaifons. Lorfque  les  Italiens ,  les  ETpagnols, 
les  François  commencèrent  à  fe  relever  ,  &  qu'ils 
fîurent  maîtres  chez  eux,  ils  travaillèrent  à  dégrof- 
fir  ce  jargon  qui  s'étoit  introduit  après  la  décaden- 
ce de  l'Ënopire  &  de  la  Latinité.  Chacun  com« 
mença  à  fe  fiire  des  règles ,  &  à  s'y  affujettir.    Gs 

?  ai  a  fait  les  trois  langues  Italienne  »  EJpasnole  & 
rançoife. 

Les  Colonies  ont  fort  multiplié  les  langues. 
On  voit  Que  les  Tyriens  qui  trafi^uoient  autrefois 
par  toute  la  terre  ,  avoient  porte  leur  langage  de 
tous  cotez.  On  parloit  à  Carthage  ,  Colonie  des^ 
Tyriens  ,  la  langue  Phénicienne  ,  qui  eft  une  dia* 
kôe  de  l'Hébreu ,  comme  on  le  peut  démontrer 
par  plufîeurs  argumens ,  mais  particulièrement 
par  les  Vers  écrits  en  langage  Punique  ou  Cartha- 
ginois ,  qui  fe  lifent  dans  Plaute.  Or  ces  Colonies 
multiplient  mie  langue ,  comme  nous  venons  de  le 
dire  ,  &  d'une  elles  en  font  plufîeurs.  Car  outre 
que  ceux  qui  vont  en  ces  Colonies  ne  favent  pas 
aflei  exaiâement  la  langue  de  leurpaïs»  pour  La 
conferver  fans  la  corrompre  :  cette  langue  rece- 
vant dans  deux  diSerens  païs  où  on  la  parle  des 
chajagemens  differcns ,  elle  fe  divife  &  fe  multi- 
plie néceffairement.  11  n'eft  pas  difficile  de  trou- 
ver la  véritable  origine  des  langues ,  pourvu  auc 
Ion  connoiffe  un  peu  l'antiquité  ;  mais  mon  deC- 
fcin  ne  me  permet  pas  de  m'arrêter  plus  long- 
tems  fur  cette  matière.  De  ce  que  nous  avons 
dit  »  il  fuit  clairement  que  l'Ufage  change  les  lan- 
gues, qu'il  les  fait  ce  qu'elles  font ,  &c  ^u'il  exer* 


88         La  RHiToiiQuif  ou  l'Ait 

ce  fur  dits  un  fouverain  empire  »  comme  nous 
le  ferons  voir  plus  amplement  dans  le  Chapitre 
fûivant. 


Chapitui    XVL 

VUfage  eft  k  maître  des  langues.  Elles  s^appren^ 

nent  far  rujfàge. 

IL  ne  s'agit  pas  de  £dre  une  nouvelle  langue , 
mais  d'entendre  celles  dont  on  fe  fert,  &  de  les 
parler  purement.  Nous  avons  vu  qu'originellement 
les  hommes  font  maîtres  du  langage  ;  qu'il  dépcn- 
doit  d'eux  de  choifir  comme  il  leur  plaifoit  des 
fons  pour  lignes  de  leurs  penfées  ;  mais  que  c  eft 
de  la  première  langue  que  Dieu  forma  lui-même, 
que  toutes  les  langues  font  venues.  Je  ne  peux 
aonc  m'empêchcr  de  combatre  id  l'impertinence 
d'Epicure  ,  quoique  je  l'aye  déjà  fait.  Il  préten- 
doit  que  les  hommes  étoient  nez  de  la  terre  com*- 
me  des  champignons ,  &  que  les  mots  dont  ils  fe 
font  fervis  étoient  naturels ,  &  qu'il  ne  dépendoit 
pas  de  leur  liberté  d'en  choifir.  Voilà  comme  le 
langage  fe  forma  félon  ce  mauvais  Philofophe  : 
ainu  que  les  animaux  à  la  préfence  de  qudque 
Objet  extraordinaire,  font  de  certains  cris,  les  hom- 
ines  ayant  été  frappez  par  les  images  desdiofesqui* 
fe  prefenterent  à  eux ,  l'air  qui  étoit  renfermé  dani 
leurs  poumons  ayant  été  déterminé  à  jTortir  d'une 
certaine  manière  ,  forma  une  voix  qui  devint  le 
nom  de  ces  chofes. 

Il  eil  très-certain  qu'il  y  a  des  voix  naturelles ,  & 
que  dans  les  pallions  l'air  fort  des  poumons  d'une 
manière  particulière ,  &  forme  les  foûpirs ,  &  plu- 
lïeurs  exclamations ,  qui  font  des  voix  véritable- 
ment naturelles.   Mais  il  y  ai>ien  deia  différence 

entre 


V 


9B   PAULIR.  LivJ.  Châp.XVL         89 

entre  ce  langage  qui  n'eft  pas  Kbre  ,  &  cdui  dont 
nous  ufons  pour  exprimer  nos  idées.    U  7  a  plu- 
ficurs  preuves  pour  prouver  que  les  mots  ne  font 
point  naturels.    Premièrement  ils  ne  font  pas  les 
mêmes  en  toutes  les  langues ,  ce  qui  devroit  être 
fi  la  nature  avoit  trouvé  elle-même  les  mots  dont 
nous  nous  fervons.    Car  les  Turcs  qui  ne  parlent 
pas  François  9  ne  foûpirent  pas  d'une  autre  manière 
que  les  François.    Toutes  les  brutes  d'une  même 
cTpece  font  le  même  cri;  &  communément  nous 
ne  voyons  rien  faire  à  un  homme  qui  foit  diffe- 
lent  de  ce  aue  nous  faifons ,  que  dans  ce  qui  dé- 
pend de  fa  liberté.  La  nature  agit  de  la  même  ma- 
nière en  tous  les  hommes;  les  peuples  ayant  donc 
Afibens  langages  ,  c'eft  une  marque  aflurée  que  le 
langage  n'eft  point  l'ouvrage  de  leur  nature  ,  mais 
dcTcur  liberté.   L'expérience  le  montre.  Tous  les 
JOUR  on  fait  des  mots  nouveaux  ;  on  en  tire  qud- 
ques-uns  des  autres  langues;  mais  on  en  invente  q\û 
n'ont  jamais  été. 

Ce  n'eft  donc  point  la  Nature  que  nous  devons 
codiilterpourapprendre  d'elle  quels  termes  on  doit 
employer.  L'Ufage  eft  le  maître  &  l'arbitre  fouve- 
nùn  des  langues ,  perfonne  ne  lui  peut  contefter  cet 
empire.  Or  cet  Ufage  n'eft  rien  aurre  chofe  que 
ce  que  les  hommes  uSmt  de  leur  liberté ,  ont  coû« 
tnmc  de  fidre.  Un  particulier  s'avife  de  propofer 
rai  certain  terme ,  fi  plufieurs  veulent  bien  prendre 
la  coutume  de  fe  fervir  de  ce  terme ,  c'en  eft  fait  » 
cen'dlplus  un  fon  confus  qui  ne  fignifie  rien ,  mais 
«û  véritable  mot  qui  a  une  idée  qui  fe  lie  avec  lui 
parla  coutume  que  Ton  a  depenler  à  la  chofe  qu'il 
fignifie ,  en  même  tems  qu'on  le  prononce  &  qu'on 
l'entend  prononcer. 

U  Raifon  &  la  neceffité  nous  oblige  de  fuivre 

llJfage;  car  il  eft  de  la  nature  du  figne  d'être  connu 

parmi  ceux  qui  s'en  fervent.  Les  mots  n'étant  donc 

^  les 


5)o        La  Rhetoiiiqjue,  ou  l'Aut 

les  fignes  de  nos  idées ,  que  parce  qu'ils  ont  été  liez 
pîir  Tufoge  à  certaines  chofes ,  on  ne  doit  les  em- 
ployer que  pour  iignifier  celles  dont  on  eft  conve- 
nu que  les  mots  Icroient  les. fignes.  Onpouvoit 
appeller  cet  animal  que  nous  appelions  Cheval^ 
un  Chien  i  6c  celui  que  nous  appelions  Chien  ,  un 
Cheval  i  mais  l'idée  du  premier  étant  attachée  à 
ce  mot  9  Cheval ,  &  celle  du  fécond  à  cet  autre 
mot ,  Chien ,  on  ne  peut  les  confondre  &  les  pren- 
dre l'un  pour  l'autre ,  fans  mettre  une  entière  con- 
fufion  dans  le  commerce  des  hommes ,  femblable 
à.  celle  qui  s'éleva  parmi  ceux  qui  voulurent  bâ- 
tir la  Tour  de  Babel.  On  méprife  la  bizarrerie 
de  ceux  qui  ne  fuivent  pas  les  modes  qu'une  lon- 
gue coutume  autçrife;  c'eft  une  bizarrerie  bien  plus 
grande,  &qui  tient  de  la  folie  de  s'écarter  des  ma- 
nières ordinaires  de  parler.  Se  fervir  de  termes 
inconnus ,  c'eft  envelopper  de  tencbres  ce  qu'on  veut 
cxpUquer. 

Il  arrive  dans  le  langage  la  même  chofe  que  dans 
les  habits;  il  y  en  a  qui  pouffent  les  modes  jufques 
à  l'excès  ;  d'autres  prennent  plaifir  à  s'oppofer  au 
torrent  de  la  coutume.  11  y  a  des  perfonnes  qui 
afifeâent  de  ne  fe  fervir  que  des  termes  &  des  ex- 

Çreffions  qui  font  reçues  depuis  fort  peu  de  tems. 
ies  autres  déterrent  le  l^gage  de  leurs  bifayeuls, 
ôç  parlent  avec  nous  comme  s'ils  converfoient 
avec  ceux  qui  vivoient  il  y  a  deux  cens  ans.  Les 
uns  &  les  autres  pèchent  contre  le  bonfens.  Lorf- 
quc  rUfage  ne  fournit  point  de  termes  propres 
pour  exprimer  ce  que  nous  voulons  dire ,  on  a 
droit  de  rappeller  ceux  que  l'Ufage  a  rebuté  mal 
à  propos.  Un  homme  elt  excufable  quand  pour 
fe  faire  entendre  il  fait  un  nouveau  mot  ;  pour 
l9rs  on  doit  blâmer  la  pauvreté  de  la  langue  ,  8c 
loiier  la  fécondité  de  l'efprit  de  celui  qui  Ta  enri-^ 
chic.  Datur  venia  verborum  noviiatif  fibjcuriiati  re^ 

rum 


SB  PAR LiK.  LivJ.  Cbâp,XVL        91 

rrnm  firvienti.    Pourvu  toutefois  que  ce  nouveau 

mot  foit  habillé  à  la  mode,  &  qu'il  ne  paroifTe  point 

étranger  ;   c'eil-à-dire  qu'il  ait  un  fon  qui  ne  foit 

pas  entièrement  diffèrent  de  celui  des  mots  ufitez; 

qu'en  le.&ifant  venir,  par  exemple,  du  Latin,  on 

k  change  félon  l'analogie ,  c'eil-à-dire  ,  en  h  ma- 

mere  qu'on  change  les  mots  Latins  qui  ont  une 

terminaifon  femblable  ,  comme  de  alacer  on  fait 

ëlaigre  %  de  macer  on  f^it  maigre.    Au  lieu  que  les 

noms  en  ^,  qui  n'ont  pas  ^  devant  r,  comme  /#- 

ner,  Alexander^  fe  changent  autrement:  nous  di- 

fons  tendre  t  Alexandre, 

Les  langues  s'apprennent  par  l'Ufage  fans  étude 
&  fans  art.  Le  fils  d'un  artifan  ,  d'un  laboureur 
parle  le  langaj^e  de  fon  père  ,  il  fe  fert  des  mêmes 
mots,  des  mêmes  manières  de  parler,  &  il  les  pro- 
nonce avec  le  même  ton  ,  fans  que  fon  père  l'en 
inftruifc.  On  n'a  befoin  de  maîtres  que  pour  les 
langues  étrangères.  Celles-là  même  s'apprennent 
uns  prefque  aucun  defîein  d'apprendre ,  lans  écou- 
ter aucune  leçon ,  en  les  entendant  parler  feule- 
ment La  Nature  eft  une  excellente  maîtrelTe.qui 
infhuit  efficacement.  Les  organes  de  nos  fens  font 
prefque  tous  liez  les  uns  avec  les  autres.  Lorfque 
les  oreilles  font  remuées  par  un  certain  mouvement, 
h  langue  eft  déterminée  à  un  mouvement  propor- 
tionné à  celui  qui  fe  fait  dans  les  oreilles.  De  là 
vient  qu'entendant  chanter  ou  prononcer  quelque 
parole ,  nous  fentons  dans  les  organes  de  la  voix 
une  difpofition  à  chanter  le  même  air,  à  pronon- 
cer la  même  parole.  L'homme  eft  porté  par  la 
Nature  à  imiter  tout  ce  qu'il  voit  faire.  Si  nous 
voyions  ce  qui  fe  paiTe  dans  le  mouvement  des 
nerfs ,  ou  petits  filets  qui  viennent  du  cerveau , 
nous  verrions  fans  doute  cette  admirable  liaifon , 
&  communication  des  organes.  Nous  y  remarque- 
rions que  par  le  chant  d'une  perfonne  les  nerfe  des 

oreil- 


ç%        La  Rhétorique,  ou  i'Art 

oreilles  font  remuez  de  manière  que  leur  mou^ 
ment  fe  communique  aux  filets  qui  fervent  aux  c 
g^nes  de  la  parole  ,  qui  reçoivent  ainff  une  difpo 
tion  pour  produire  le  même  chant. 

Outre  cela  nous  avons  de  rempreflement  po 
dire  ce  que  nous  penfons  ,  &  la  neceffité  où  no 
fommes  de  demander  du  fecours,  &  d'entretei 
commerce  avec  les  hommes ,  fait  que  nous  de 
rons  ardemment  de  favoirceque  les  autres  penfei 
Nous  aimons  la  compagnie,  nous  prenons  plai 
à  parler  &  à  entendre  parler.  Tout  cela  fait  q 
dans  un  pais  étranger  on  en  apprend  la  langue  fa 
peine  autant  qu'û  eft  néceflaire  pour  entendre  ce 
avec  qui  nous  converfons ,  &  pour  demander  r 
befoins  les  plus  pre^ans.  Les  enfans  font  encc 
plus  ardens  pour  tout  ce  qu'ils  fouhaitent  ;  c* 
pourquoi  ils  apprennent  les  langues  plus  facileme 
Si  on  veut  jfiiire  apprendre  le  François  à  un  jev 
Etranger,  il  n'y  a  qu'à  le  foire  joiier  avec  desFn 
çois  de  fon  âge  :  le  defir  qu'il  aura  de  prendre 
part  du  pkifir ,  ce  qu'A  ne  peut  faire  qu'en  exj 
mant  fes  de£u^ ,  &  entendant  tout  ce  que  difent 
autres,  lui  fera  plus  apprendre  de  François  en  qu 
ze  jours ,  qu'un  Maître  ne  lui  en  montreroit  en 
mois. 

Il  n'eft  donc  pas  difficile  de  concevoir  co 
ment  un  enfant  apprend  le  langage  de  fon  pe 
&  comment  il  prononce  avec  le  même  ton ,  & 
la  même  manière  les  paroles  qu'il  entend  i 
père ,  en  lui  prefentant  du  pain ,  ou  quelque  ai 
chofe ,  a  fouvent  fait  fonner  à  fes  oreilles  ce  r 
pain.  Ainfi  ,  comme  nous  avons  dit  ci-de£ 
Vidée  de  la  diofe  qu'on  appelle  pain  •,  &  le 
des  lettres  qui  compofent  ce  nom,  fe  font  liées  c 
fa  tête  ;  de  forte  qu'il  eft  porté  à  dire  ce  m< 
mot  en  voyant  du  pain ,  qu'il  fe  trouve  difj 
à  le  prononcer  9  ôc  qu'il  le  fait  »  l'expérience 

a^ 


D£  PAELIR.  LhuL  Cbêf.XTlL        93 

ayant  fait  connoître  que  lorfqu*il  prononce  ce  mot 
on  lui  en  donne.    Ceft  ainfî  que  plufîeurs  oifeauz 
apprennent  à  parler  ;  mais  il  ]r  a  bien  de  la  diffé- 
rence entre  les  ensuis  &  les  oifeaux  »  qui  n|ayant 
point  d'efprit ,  ne  prononcent  jamais  le  petit'nom- 
bre  de  mots  qu'ils  ont  appris  avec  beaucoup  de 
peine,  que  dans  le  même  ordre  &  dans  la  même 
occaûon  où  ces  organes  ont  reçu  cette  difpofi- 
tion  pour  les  prononcer  :  au  lieu  qu'un  enfant 
arrange  en  différentes  manières  les  mots  au'il  a  ap» 
pris,  &  en  fait  mille  ufaget  differens.    Il  fût  dits 
difcours  foivis ,  qui  ne  peuvent  être  l'effet  d'une 
impreffion  corporelle ,  amfi  que  Vir^  dit  que  les 
oifeaux  chantent  d'une  manière  particulière ,  félon 
la  difpofition  de  l'air.    La  parole  efl  l'appanage  de 
l'homme. 


Chapitrb    XVII. 

Uy  âunhon&  un  mauvais  Ufage.    Règles  four 
en  faire  la  diflinéfion. 

QUAND  nous  élevons  l'Ufage  fur  le  trône  ,  & 
que  nous  le  faifons   Taibitre  fouvcrain  des 
langues ,  nous  ne  prétendons  pas  mettre  le  fcentrc 
entre  les  mains  de  la  populace.    11  y  a  un  bon 
&  un  mauvais  ufage  ;  &  comme  les  gens  de  bien 
fervent  d'exemple  à   ceux  qui  veulent  bien  vi- 
nc ,  aulïï  la  coutume  de  ceux  qui  parlent  bien , 
cft  la  règle  de  ceux  qui  veulent  bien  parler.  U/ùm 
fw  fit  arbiter  Mcendi ,  vocamus  amfenfum  erudita^ 
fum  ,    ficut  Vivendi ,    cênfenfum  bonorum.     Or  il 
n'eft  pas  diffiidle  de  faire  le  difcernement  du  bon 
uiàge  d'avec  celui  qui  eft  mauvais  ;  des  maniè- 
res de  parler  de  la  populace  qui  font  baffes ,  d'a- 
vec cdles  des  perfonnes  ôvantcs ,  6c  que  la  con- 

diûoii 


^4         La  RHSTORiqjJBy  ou  t'AmT 

dition  ou  le  mérite  élevé  au  deffus  du  commun. 

11  y  a  trois  moyens  de  faire  ce  difcerncment. 
Le  premier  eil  l'expérience.  On  peut  confuherfur 
Xax  aoute  ceux  qui  parlent  bien  :  remarquer  de 
quelle  manière  ils  s'expriment  :  quel  tour  fls  don* 
ncnt  à  leurs  paroles  ;  ce  qu'ils  afiedent  ;  ce  qu'ils 
évitent.  Si  on  ne  peut  avoir  leur  converfation ,  on 
a  les  Livres ,  où  l'on  parle  ordinairement  avec  plu$ 
d'cxaditude  ,  parce  qu'on  a  le  tems  &  Iç  loifir 
de  corriger  les  mauvail'es  façons  de  parler  qui  fe 
'gKffent  dans  le  difcours.  La  mémoire  étant  plei- 
ne des  méchans  mots  qu'on  entend  continuelle- 
ment ,  il  eft  difficile  qu'il  n'en  éçiiappe  quelqu'un 
dans  la  converfation.  Dans  la  compolition  en  re- 
voyant fon  ouvrage ,  on  fait  fortir  les  manières  de 
parler  mauvaifes ,  qui  s*y  étoient  gLflees  fans  qu'on 
s'en  apperçût. 

Le  fécond  moyen  que  nous  avons  pour  con- 
/noître  le  bon  UfîUge ,  elt  la  Raifon ,  comme  je  vais 
le  faire  voir.  Toutes  les  langues  ont  les  mêmes 
fondemcns ,  guc  les  hommes  établiroient  ,  fi  par 
une  avanture  femblable  à  celle  que  nous  avons  fein- 
te ,  ils  étoient  obligez  de  fe  faire  ime  nouvelle  lan- 
gue. Il  eft  facile ,  avec  les  connoifTances  que  nous 
avons  données  de  ces  fondemens ,  defe  rendre  maî- 
tre &  juge  d'une  langue,  condamner  les  loix  de  l'u- 
fage  qui  font  oppoféesà  celles  de  la  Nature  dcdela 
Raifon.  Si  l'on  n'a  pas  droit  d'en  établir  de  nou- 
velles ,  on  a  la  liberté  de  ne  fe  pas  fervir  de  celles 
qui  font  mauvaifes.  Les  langues  ne  fe  polilfcnt 
que  lorfqu'on  commence  à  raifonner ,  qu  on  ban- 
nit du  langage  les  expreffions  qu'un  ufagc  corrom- 
pu y  a  introduites ,  qui  ne  s'apperçoivcnt  que  par 
des  yeux  favans ,  6c  par  une  connoiffance  exade 
de  l'Art  que  nous  traitons.  Or  par  ce  choix  d'cx- 
prcffions  juftes,  les  langues  fe  renouvellent ,  &  le 
non-ufage ,  s'il  m'eft  permis  de  parler  ainû  i  des  mé- 

chan* 


SK  PARLEit.  Liv,I.  Cbéf.XVïL        ^5 

cbantes  manières  de  parler  établit  l'uTage  de  celles 
qui  font  raifonnables.    Ceft  de  cette  manière  que 
la  langue  Grecque  s*eft  polie  ,  &  qu  elle  dl  deve- 
nue ,  uns  contredit ,  la  plus  bdie  6c  la  plus  parfaire 
de  toutes  les  langues.  On  fait  que  les  Grecs  s'adon- 
nèrent entièrement  à  la  fcience  des  mots  ;  leurs 
Philofophes  méloient  la  Grammaire  avec  la  Philo- 
Ibphie,  &  en  faifoient  une  partie  de  leur  étude, 
Ainfi  remarquant  dans  lêiir  langue  ce  qui  choquoit 
h  Raifon  &ies  oreilles,  ils  tàchofent  de  1  éviter  en 
cfaerdiant  des  expreffions  plus  raifonnables  Se  plus 
commodes.    Ce  langage  q-i'ils  le  formoient  aani 
leur  cabinet  &  dans  leurs  écoles ,  paiToit  bien-tôt 
dans  les  converfarions  du  peuple  ;  car  les  Grecs , 
fur  tout  les  Athenic^ns ,  avoient  une  paffion  pro- 
digieufe  pour  Téloquencc.     Ceux  qui  leur  pré- 
paroieni  des  difcours  étudiez ,  étoient  écourer  fa- 
vorablement.   C'étoitlà  un  àçs  grands  divcrt'lTe- 
mens  d* Athènes.  Ainfi  ce  peuple  étant  accoutumé 
à  entendre  parler  d'une  manière  belle  &  polie ,  ne 
parloit  que  poliment. 

Dans  rétabliflement  du  langage,  la  Raifon,  com- 
me nous  l'avons  vu  dans  les  Chapitres  précedens , 
ne  prefcrit  qu'un  petit  nombre  de  loix;  les  autres  dé-  * 
pendent  de  la  volonté  des  hommes.  Tout  le  mon- 
de ne  fe  propofe  qu'une  même  fin  en  parlant;  mais 
comme  on  y  peut  arriver  par  difFercns  chemins ,  la 
lil>erté  de  choifir  ceux  qui  plaifent ,  caufe  les  diffé- 
rences qui  fe  remarquent  entre  les  manières  de  s'ex- 
primer d'une  même  langue.    Néanmoins  quelque 
iil>erté  que  les  pères  de  cette  langue  ayent  pris  en 
la  formant,  on  y apperçoit  une  certaine  uniformité 
qui  règne  dans  toutes  fes  exprclîions ,  &  des  rerics 
confiantes  qui  y  font  obfervées.    Les  hommes  fui- 
vent  ordinairement  les  coutumes  qu'ils  ont  une  fois 
cmbraffées  ;  c'eft  pourquoi ,  bien  que  la  parole  dé- 
pende prei^ue  entièrement  du  caprice  des  hom- 


96        La  Rhetoek^us,  ov  l*A&t 

mes  y  on  remarque ,  comme  il  a  été  dit ,  une  cet 
taine  uniformité  dans  fon  u^e.  Si  on  (ait  don 
que  les  noms  qui  ont  un  td  fon  ,  font  de  td  gtat 
te ,  quand  on  doutera  du  genre  de  quelqu'antn 
nom ,  il  faudra  le  comparer  avec  ceux  qui  fe  tennt 
nent  de  la  même  manière ,  &  dont  le  genre  eft  coma\ 
Lorfque  je  veux  être  afluré  fi  la  troifiéme  pafoa 
ne  du  parfait  fimple  d'un  verbe  qui  eft  propolé,  û 
doit  terminer  en  «  9  ie  ofnfidere  fon  iiinniti£  S"! 
eft  en  rr  9  je  n'ai  plus  de  difficulté  ,  fâchant  qu 
dans  nôtre  langue  tous  les  verbes  qui  ont  un  fem 
blable  infinitif,  terminent  en  ji  la  troifiéme  perfon 
ne  de  ce  tems.  Nous  voyons  que  les  noms  en  « 
ont  au  pluriel  sux  »  comme  cbevalf  ckevsuxi  smi 
mal,  antmsux. 

Cette  manière  de  cormoître  Tufage  d'une  Jang» 
par  la  comparaifon  de  plufieiu^  de  les  expreffîons 
oc  par  le  rapport  que  l'on  fuppofe  qu'elles  on) 
entr'elles ,  s'appelle  Anakgie^  qui  eft  un  mot  Grec 
qui  fignifie  proportion.  Ceft  par  le  moven  di 
l'Analogie  que  les  langues  ont  été  fixées.  C  eft  pal 
elle  que  les  Grammairiens  ayant  connu  les  re^e 
&  le  bon  ufage  du  langage  »  ont  compofé  de 
Grammaires  qui  font  très-utiles  ,  lorfqu'elles  fon 
bien  faites,  puifque  l'on  y  trouve  ces  règles  que  l'oi 
feroit  obligé  de  chercher  par  le  travail  ennuyeux  d< 
l'Analogie. 

De  tous  les  trois  moyens  pour  reconnoîtreleboi 
ufage  ,  le  plus  afluré  eft  l'expérience.  L'ufage  ef 
toujours  le  maître.  On  doit  choifir  les  expreflion 
les  plus  raifonnables  ;  ôc  c'eft  par  ce  choix  ^ue  k: 
langues  fe  purifient  de  ce  qu'elles  ont  d'impur 
Mais  lorfque  l'ufage  ne  nous  prefente  qu'un  feu 
terme  &  qn'une  feule  expreflîon  pour  exprimer  c< 
que  nous  fommes  obligez  de  dire ,  la  Raifon  mêm< 
veut  que  nous  cedionis  à  la  coutume  qui  lui  eft  con- 
traire,  &  nous  ne  péchons  point  en  employant  cett< 

expref 


DE  9k%li%.  Liv.L  Cbâp.XVIL        97 

effion ,  quoiaue  mauvaife.  Car  en  cette  occa- 
la  maxime  des  Jurifconfultes  fe  trouve  vcrita- 
Communis  rrror  fâcitjus.  L'Analogie  n'efl  pas 
aîtrefle  du  lan^ge.  Elle  n'eilpasddcenducdu 
pour  en  établir  les  loix.  £lle  montre  feulement 
s  de  l'uTage.  î^on  efi  lex  loquenéTt,  fetl  objerva» 
comme  le  dit  Quintilien. 
yax  apprendre  parfaitement  Tufage  d*unc  lan- 
,  il  en  faut  étudier  le  génie,  &  remarquer  les 
mes,  ou  manières  de  parler  qui  lui  font  parti- 
eres.  Le  génie  d'une  langue  confiflc  en  de  cer- 
cs  qualitcz  que  ceux  oui  la  parlent  affedcnt  de 
mer  à  leur  fille.  Le  génie  de  notre  langue  eft  la 
tcté  &  la  naïveté.   Les  François  recherchent  ces 
ilitez  dans  le  (lile ,  &  font  fort  difFerens  en  cela 
>  Orientaux ,  qui  n*ont  de  Teftime  que  pour  les 
)rcffions  myfterieufes,  &  qui  donnent  beaucoup 
«nfer.    Les  idiomes  diflingucnt  les  langues  les 
es  des  autres  aufli-bien  que  les  mots.  Cen'eftpas 
a  pour  parler  François  de  n'employer  que  des  ter- 
r$  François;  car  fi  on  tourne  les  termes,  &:  qu'on 
difpofe ,  comme  feroit  un  Alleman  ceux  de  fa 
iguc  ;  c*efl  parler  Alleman  en  François.    L'on 
pdlc  Hebraï/mes  les  idiomes  de  la  langue  He- 
llène, Hclhnifmes  ceux  de  la  langue  Grecque; 
ainfi  des  autres  langues.    C'eil  un  Hebraïfme 
le  de  dire  vanité  des  vanitez^  au  lieu  de  dire 
plus  grande  de  toutes  les  vanitez;  &  de  mar- 
cr  une  diftribution  par  la  répétition  d'un  même 
3t ,  comme  dans  ce  difcours  :    Noë  fit  entrer 
ns  TArdie /^/.  &  fept^  de  tous  les  animaux: 
'Ur  dire  Nfoe  fit  entier  Jept  paires  de  tous  les 
imaux.     Cefl  un  Hellenilme  que  de  fe  fervir 
Tinfinitif  au  lieu  des  noms;  mais  cet  idiome  fe 
)uvc  auffi  dans  notre  langue ,  qui  a  ime  très-gran- 
!  conformité  avec  la  Grecque.    Les  exprelilons 
li  ont  été  rejettécs  par  l'ufagc  nouveau ,  &:  qui 

E  font 


9^8         La  RnEToniQUE,  ou  l'Art 

font  ainfi  partiailicres  aux  anciens  Auteurs ,  fe  no 
ment  Arcbaifmes.  Chaque  Province  a  fon  idioi 
au*il  n'^  pas  facile  de  quitter.  Tite-Live  de 
1  éloquence  eft  fi  pure,  n'a  pu  purger  fon  ftile  < 
manières  de  parler  de  Padouc ,  comme  Ta  rem; 
que  Afinius  Pollio ,  félon  Quintilien.  tn  Ttto  Lh 
mir£  jacundié  viro  >  {utat  incjje  Pol/io  Ajinîus  quA 
dam  Fatavmtatm. 


Ch  AP  ITK  S     XVIII. 

Dt  le  pureté  du  langage.    En  quoi  elle  conjijîe. 
Ce  que  cefl  que  inélégance. 

PUisoj/'ii.  fc  faut  foûmettre  à  la  tyrannie  « 
l'ufage  »  nous  devons  étudier  avec  fom  fes  lo 
pour  les  obfervcr  religieufement.  La  prcmic 
étude  doit  être  des  mots  particuliers ,  dont  il  fa 
rechercher  avec  exaélitude  les  idées ,  pour  ne  1 
employer  que  dans  leur  propre  fignification  ;  c*c 
à-dire ,  pour  fignifier  exadement  les  idées  auxqu( 
les  ils  ont  été  attachez  par  l'ufage.  Outre  cela 
faut  faire  attention  à  toutes  celles  qui  font  acceffc 
res  de  cette  principale  idée  qu'ils  ont ,  de  crain 
de  prendre  le  noir  pour  le  blanc ,  en  donnant  ui 
idée  baffe  d'une  chofe  qu'on  a  deffein  de  relever 
de  faire  paroître. 

Pour  bien  parler  il  ne  fuffit  pas  feulement  d'ct 
.ployer  des  mots  qui  foient  autorifez  par  Tufag^ 
il  faut  que  ce  foit  dans  la  fignification  précife  qi 
leur  donne  l'ufage ,  comme  nous  venons  deledii 
Pour  faire  le  Portrait  du  Roi ,  ce  n'eft  pas  affei  « 
repréfenter  un  viiàge  avec  deux  yeux,  un  nez,  m 
bouche  ;  il  faut  exprimer  les  traits  du  vifage  < 
Roi.  On.  s'imagine  devenir  éloquent  pour 
qu'on'  charge  fa  mémoire  de  phrafes  ramafli 

ds 


DB   FAKLlii.  Lrv.L  Cbéip.XVIIL        99 

dans  les  Livres  de  ceux  dont  réloqucncc  cft  eftimée. 
On  fc  trompe  fort,  &  ceux  qui  fuivcnt  cette mé- 
diode ,  ne  parlent  jamais  jufte.    Car  ils  accommo- 
dait les  chofes  qu'us  traitent  à  ces  phrafes ,  fans  fe 
fouvenir  du  lieu  où  les  Auteurs  de  qui  ils  les  ontpri- 
fâ ,  les  avoient  appliquées  :  ainfi  leur  difcours  eil 
fcmblable  à  ces  habits  qu'on  acheté  chex  les  frip- 
TOcrs,  qui  ne  font  jamais  fi  juftesaue  ceux  que  Toit 
nit  fiire  pour  foi.    Leur  ftile  eft  bizarre ,  lemblà' 
Wc  à  ces  grotefques  qui  font  faits  de  mille  pièces 
apportées,  de  coquillages  de  différentes  figures ,  de 
ërfercntes  couleurs ,  de  rocailles  qui  n'ont  aucun 
rapport  naturel  avec  la  figure  qu'elles  repréfentent. 

Les  phrafes  font  une  marque  de  pauvreté  dans 
le  ftile,  comme  les  pièces  dans  un  habit;  elles  y  re- 
mc<Ucnt  en  rempliflant  les  places  vuides  du  difcours; 
car  ci^,  quand  on  eft  garni  de  phrafes,  on  ne  de- 
meure iamais  court.  C'elt  pourquoi  un  de  nos  Poè- 
tes fe  plaint  agréablement  du  chagrin  de  fa  Mufe  qui 
rqcttoit  un  fecours  fi  favorable. 

Encor  fi  pour  rimer  dans  ma  verve  tndifcrete 
Ma  Mufe  au  moins  fouffiroit  une  froide  épithete-y 
Jtferois  comme  un  autre  y  &fàns  chercher  Ji  loin» 
fêurois  toujours  des  mots  pour  les  coudre  au  kefoini 
Si  je  huois  Pbilis  en  miracles  féconde  , 
Je  trouverois  bien-têt  :  A  nulle  autre  féconde* 
Si  je  vouhis  vanter  un  objet  nompareilt 
'Jt  mettrois  à  Pinflant  :  Plus  beau  que  le  Soleil. 
Enfin  parlant  toujpurs  A»  d^Aflre  &  de  merveilles  y 
ik  Qbef'â'atuvres  des  deux ,  de  beautez  fans  pareil* 

Its» 
Avec  tous  ces  beaux  motsfouvent  mis  au  bazard^ 
Jtfourrois  aijément,  fans  génie  f  &  fans  Art^ 
Et  tranjpofant  cent  fois  &  le  nom ,  &  le  verbe , 
Dcfir  mes  Vers  recoufus  mettre  en  pièces  Malherbe. 


El  Ct 


/ 


loo       La  Rhetoriqjji,  ou  l*Aiit 

Ce  n*cft  pas  affez  de  choifir  des  termes  ufitcx  4 
propres,  leur  liaifon  doit  être  raifonnable;  fanscdk 
un  difcours  n'aura  aucune  forme  »  non  plus  quêta 
lettres  d*Imprimerie  qu'on  jetteroit  auhazardïSi 
une  table  ;  car  les  idées  de  diaque  mot  enpartic% 
lier  peuvent  être  très-claires,  &  ne  faire cependan) 
aucun  fens  jointes  enfemble;  parce  que  les  idétt 
auxquelles  ils  ont  été  joints  par  iufage,  font  incoift' 
patibles.  Ces  deux  moUûusrréf  ècrends  fonttr^ 
bons ,  leurs  idées  font  claires.  On  conçoit  b^en  jQ( 
que  c'eft  qu'être  ouarré,  ce  que  c'eft  qu'être  rond; 
mais  unifiant  ces  aeux  mots  en  difant  un  quarré  nmi^ 
on  dit  une  chofe  qui  ne  peut  pas  être  conçue.  (^ 
ne  peut  pas  comprendre  qu'on  chauffe  des  gans,  ce- 
pendant ces  deux  ipots  chauffer  y  ^Cganst  fonttràn 
rrançois;  ni  qu'on  defcende  à  cheval  ^  quand  on -y 
monte.  Lorfque  la  répugnance  de  deux  idées  n'eftm 
fi  manifefle,  6c  que  la  liaifon  de  deux  termes  nit^ 
pas  fi  clairement  condamnée  par l'ufage  que  cellc4c 
ceux-ci,  chaujjer  desgans^  defcendre  achevait  dk 
n'eft  apperçûe  que  par  un  petit  nombre  de  perfbn- 
nes.  La  plupart  de  ceux  qui  entendront  prononça 
ces  paroles  lui  vantes,  feront  furpris  par  leur  édat, 
&  n'appercevront  pas  qu'elles  ne  forment  aucun 
fens  raifonnable.  Dr  nobles  journées  qui  portent  de 
hautes  dejîinées  au  delà  des  mers,  N'efi^ce  pas  U  une 
confufion  de  belles  paroles  qui  ne  figninent  rien  2 
Le  Vers  fuivant  eft  encore  un  galimatias. 

Le  comble  des  grandeurs  fappe  leur  fondement. 

Qui  pourroit  s'imaginer  ce  que  dit  l'Auteur  dec< 
Vers.^  Les  idéc$  de  comble  »  ècdç/appery  fe  com- 
battent, il  efi  impoflible  de  lès  allier.  On  fait  bien 
ce  que  veut  dire  le  Poëte,  mais  affurémentilneîc 
dit  pas.  Cette  faute  eft  plutôt  une  faute  dejugemeçt, 
qu'une  ignorance  du  langage;  ce  qui  fait  voir  que 

poui 


DE   PARLEE.    LsV,L  Ctuf.XVIIL         TOT 

ir  parler  iufte ,  on  doit  travailler  pour  le  moins 
ant  à  former  fon  jugement  que  fa  langue. 
^our  le  rang  qu'il  faut  donner  aux  mots  lors- 
on  les  lie  enfemble  ,  les  oreilles  inltruifent  fi 
fiMcment  de  ce  qu'il  y  faut  obferver ,  qu'il  n'cft 

bdbin  que  j'en  parle.  L'Ufage  ne  garde  pas 
goors  l'ordre  naturel  dans  certains  mots  :  il 
Il  qu'on  place  les  uns  les  premiers,  il  veut  qu'on 
figncles  autres.  Les  oreilles  qui  font  accoutu- 
més à  cet  arrangement,  enapperçoiventlcsmoin- 
s  diangemens,  &  elles  en  font  blefTées.  Nous 
mmes  plus  touchez  de  ce  qui  choque  nos  fens , 
«de  ce  qui  choque  laraifon.  On  fera  moins  cho- 
ie d'un  mauvais  raifonnement ,  que  de  cette  tranf- 
)fition  têti  ma ,  pour  ma  tête.  Ce  défaut  eft  fi  vifi- 
e ,  qu*il  n'eft  pas  befoin  d'avertir  que  l'on  y  prenne 
ude. 

Le  difcours  eft  pur  lorfque  Ton  fuit  le  bon  ufa- 
e:  le  fervant  de  ce  qu'il  approuve ,  &  rejettant 
c  qu'il  condamne.    Les  vices  oppofez  à  la  pureté 
ont  le  barharifme  &  k  foleàjme.     Les  Grammai- 
iens  ne  font  pas  d'accord  touchant  la  définition  de 
»  deux  vices.   Vaugelas  dit  que  le  barbarifme  eft 
IBX  mots ,  aux  phrafes  &  aux  particules ,  &  que  le 
Uedfine  dft  aux  déclinaifons,  aux  conjugaifons , 
&  en  la  conftruétion.    On  commet  un  barbarifme 
cndifantun  mot  qui  n'eft  point  François,  comme 
?«**,  pour  pafie'y  ou  un  mot  qui  eii  François  en 
nnfens,  &-nonpas  en  l'autre,  comme  ient ,  pour 
fcttift*  i  en  fe  fervant  d'un  adverbe  pour  une  pré- 
poiition;  comme  eteffus  la  tabht  pour y^r  la  table -^ 
a  ufimt  d'une  phraie  qui  n'eft  pasFrançoife ,  com- 
me é/rverks  mains  vers  le  Ciel  t  au  lieu  de  dire  lever 
^  mains  au  Ciel  -,  je  m* en  fuis  fait  pour  cent  piftoles 
»  jeu ,  comme  difcnt  les  Gafcons ,  au  lieu  de  dire , 
'asjerdu  cent  piftoles  au  leu.  C'eft  un  barbarifme  de 
iflcr  \e$  particulei  qu  il  feut  mettre ,  ou  de  met- 

E  3  uc 


ïôi        La  Rmetoriqjje,  ou  l'Aut 

trc  celles  qu  il  faut  laifler.  Pour  le  folecifinc  q 
lieu  dans  les  déclinaifons ,  dans  les  conjugaifons 
dans  la  conftrudlion;  voici  des  exemples  de  1 
les  trois.  Les  emails  ^  '^oyxx  Us  émaux  \  ÙaUit^  p 
il  alla  :  je  n*at  point  de  Parlent ,  pour  je 
point  iT argent:  Vn grand  erreur ^  'poux  une gn 
erreur  :  j'avons  fait  cela  \  poiu:  nous  avons 
cela. 

Vaugdas  remarque  qu'il  y  a  bien  de  la  di 
rcnce  entre  la  netteté  dont  nous  avons  parlé 
delTus ,  &  la  pureté  dont  nous  parlons  préfci 
ment.  Un  langage  pur  eft  ce  que  Quintilien 
pelle  emendata  oratio  s  &  un  langage  net  ce  <; 
appelle  dilucida  oratio.  Ce  font  deiy .  chofc 
différentes ,  dit  Vaugelas ,  qu'il  y  a  une  infi] 
de  gens  qui  écrivent  nettement;  c'efl-à-dire , 
s'expliquent  û  bien,  qu'à  la  lîmple  ledure  onc 
çoit  leur  intention  :  &  néanmoins  il  n'y  a  rien 
ii  impur  que  leur  langage  :  comme  au  contrair 
y  en  a  qui  écrivent  purement  ;  c*eft-à-dirc,  i 
barbarifme  &  fans  folecifme;  &  qui  néaimioins 
rangent  fi  mal  leurs  paroles  &  leurs  périodes , 
cmbarrafTent  tellement  leur  ftile ,  qu'à  peine  conç< 
on  ce  qu'ils  veulent  dire. 

Les  plus  belles  cxpreffions  deviennent  baffes  le 
qu'elles  font  prophanées  par  l'ulàgc  de  la  popul 
qui  les  applique  a  des  chofes  bafïcs.  L'applicat 
qu'dle  en  fait ,  attache  à  ces  expreffions  une  ccrta 
idée  de  baffeffe ,  de  forte  qu'on  ne  peut  s'en  fei 
fans  fouiller ,  pour  ainfi  dire ,  les  chofes  que  l'on 
revêt.  Ceux  qui  écrivent  poUment ,  évitent  a^ 
foin  ces  cxpremons ,  &  c'eft  de  là  en  partie  que  vi< 
ce  changement  continuel  dans  le  langage. 

Utfylva  foRis  pronos  mutantur  in  annos , 
Trima  cadunt  \  ita  x^erborum  -vêtus  interit  atas, 
litjuvenum  ritufiorent  mode  nata,  x'igentijue. 


Dï  PA&LEK.  Liv.I,  Cbap,  XVllL      103 

^  Les  perfonnes  de  qualité,  &  les  fa  vans  tâchent  de 
s'élever  au  deffus  de  la  populace.  Pour  cela  ils  évi- 
tent de  parler  comme  die,  &  ils  n'cmployent  ja- 
mais ces  exprefîions  qu'elle  gâte  par  le  mauvais  ufage 
«u'clle  en  6it.  Les  hommes  imitent  volontiers  ceux 
«ont  ils  eftiment  la  qualité  ;  ainii  on  voit  qu'en 
très-peu  de  tcms  les  mots  que  les  riches  ou  les  fa  vans 
ijannifTent  de  leur  converfation ,  ne  font  enfuite  re- 
çus de  pcrfonne.  Ils  font  obligez  de  quitter  la  Cour 
celles  villes ,  &  de  fc  retirer  dans  les  villages  pour 
A'être  plus  que  le  langage  des  paifans. 

Mais  enfin, outre  cette  exa<flitude  à  garder  les  loix 
deTufage,  &  ce  foin  à  n'employer  que  des  façons 
de  pader  pures;  il  faut  avouer  que  ce  qui  élevé  au 
ddOTus  du  commun  ceux  qu'on  admire ,  eft  un  cer- 
tain Art ,  ou  un  bonheur  qui  leur  fait  trouver  des 
cxpreffions  riches  &  ingenieufes  pour  dire  ce  qu'ils 
pàfcnt.  Avec  un  peu  de  foin  &  d'étude  on  évite  la 
cenfure  des  Critiques  ;  mais  on  ne  peut  plaire  que  par 
Bn  bonheur  qui  eft  très-rare.  Que  peut-on  blâmer 
dans  les  paroles  fuivantes  :  djl  à  Cadmus  que  /m 
^ta  eft  redevable  de  Pinventlon  des  carétéier^  5  c*eji 
^  lui  qu*eUe  a  offris  tArt  àePEcriture,  On  ne  peut, 
is-je ,_  blâmer  cette  expreffion ,  mais  on  eft  charmé 
lor(qu  on  entend  la  même  chofe  exprimée  de  cette 
inanicre  noble  &  fpiiituelle  : 

C*^  de  lui  que  nous  vient  cet  Art  ingénieux 
^f  peindre  la  parole  y  ^  de  parler  aux  ysux  , 
^^par  les  traits  divers  de  figures  tracées , 
l^mner  de  la  couleur  et  du  corps  aux  penjêes. 

Ce  choix  d'expreffions  riches  &  heureufes ,  fait 
ce  qu'on  zj>^ç[\tP élégance  \  mais  outre  cela  ,  pour 
rendre  un  difcours  élégant,  il  eft  néceflaire  que  l'on 
y  ftffe  appercevoir  une  certaine  facilité  qu'on  re- 
fiiarque  dans  ces  belles  ftatuës  qu'on  appelle  en  La- 

E  4  ^» 


lo4       La  Rhétorique,  ou  i'Art 

tin  ElegantîM  fiina.  Cette  facilité  plaît  à  la  vue,  ci 
ce  qu'dle  imite  de  plus  près  la  Nature,  dont  les  ope 
rations  nont  rien  de  gêné.  Ces  Ratuës  groffieres  dont 
ks  membres  font  roides,  &  collez  les  uns  contre  la 
autres,  rigintiafiinûy  choquent  les  yeux.  Quand 
un  homme  a  peine  à  s'exprimer,  on  travaDle  avec 
lui  y  &  on  reflent  une  partie  de  &  peine.  S'il  s'ex- 
prime d'une  manière  naturelle  8c  facile ,  de  foite 
S^'il  femble  que  chaque  mot  foit  venu  prendre  fil 
.  ace,  £uis  quil  ait  eu  la  peine  de  l'aller  chercher» 
cela  plaît  innniment.  La  vue  d'un  homme  qui  ft 
joue ,  rdadie  en  quelque  manière  l'efprit  de  ceux 
qui  le  voyent. 

Cette  fecilité  fe  fait  fentir  dans  un  ouvrage  Ibîf- 
que  l'on  fe  fert  d'expreflions  naturelles;  que  l'on 
évite  celles  qui  femblent  recherchées ,  &  qui  por- 
tent les  marques  fenûbles  d'un  efprit  qui  Êdt  ks 
chofes  avec  peine.  Ce  n'efl  pasquepourfcfcrvirdc 
termes  naturels  &  propres,  fl  ne  foit  befoin  de  tra- 
vail; mais  ce  travail  ne  doit  pas  paroître.  Dftntfe 
donner  la  torture  en  compofànt  u  l'on  veut  bien  fai- 
re ,  nftds  il  faut  que  le  Leéteur  conçoive  à  la  facilité 
3u'il  trouve  d'entendre  ce  qu'on Im  dit, qu'on étoit 
e  fort  bonne  humeur  lorfqu'oh  écrivoit.  Ludmtii 
fpeciem  dab'tt ,  et  torquebitur.  Autant  qu'on  le  peut» 
&  que  la  matière  qu'on  traite  le  permet ,  il  faut  Am- 
ner  à  fon  difcours  le  tour  libre  des  converfations. 
Lorfqu'une  perfonne  parle  avec  un  air  facile  &  en- 
joué ,  cela  ne  fert  pas  peu  à  faire  entrer  dans  fes 
fentimens  ;  le  plaiûr  de  fa  çonverfation  rend  les 
chofes  aifées.  ^ 


C  H  A- 


^ s  ^  A.  m  I.  X  IL.     jLi-v. h  Chap.  XIX.       105 


ClTAPXTlll     XIX. 

^  Il  btrjt^^itn  des  lav^^ues.    VHebraïque  a  été  par* 
jtite  ih  /«  première  origine  :  Ceft  à  elle  que  tou' 
tB  ks  autres    âfoi-uefft    leur  première  perfeélion* 
Jjuwwf  i  &    cotntnertt    la   Grecque  s'eji  perfeéiim^ 


M 


0\3s  avons  compris  dans  ce  premier  Livre  ce 

(\u'ilyade  plus  effentiel  à  rArtdeparler;  fe$ 

^dpalcs  règles  font  fondées  fur  la  Raifon;  ce  n*a 

donc  été quclorfque  les  hommes  ont  commencé 

te  nifonnablcs  ,  que  les  langues  fe  font  polies 

îtwifeftionnécsi  qu  il  s'cft  trouvé  des  perlonnes 

îojïit  qui  les  ont  ciiltivées  ;  qui  ont  confulté  la 

Mon  m  les  manières  de  s'exprimer  clairement 

j.  ,    &iK)blcmcnt.    Puifqu'Adam  avoit  été  crée  raifon- 

fc  \    Mti  fiigc,  on  ne  peut  pas  douter  <ju*il  n'ait  par- 

'    ié  i^nnablcment    &  fagement  ;  amfi  fa  langue 

^  cft  VHebraïque  ,  fut  parfoite  dès  fa  première 

Dit  \     <^ïi&ÛC.. 

ïto  le  temps  que  Moïfe  écrivoit  en  Hébreu , 
fc  Grccc  étoit  un  x>*ïs  barbare ,  &  tel  que  pouvoit 
fecrAmcrique  lorfque  nos  Navigateurs  la  décou- 
^nt.  Toute  l'Antiquité  témoigne  que  ce  fut 
pinm  qui  apprit  aux  Grecs  l'ufage  des  lettres. 
Les  uns  le  font  Egyptien  ,  les  autres  Phénicien  ; 
DJMS  tous  conviennent  que  ce  fut  de  la  Phenicie 
?»i'il  alla  en  Grèce  ,  &  que  le«  lettres  qu  il  donna 
aux  Grecs  étoient  Pheniaenncs.  Il  auroit  fallu  di- 
J'e  qu'elles  étoient  Hébraïques  ,  car  les  noms  des 
lettres  de  V  Alphabet  Grec  font  les  mêmes  que  ceux 
de  l'Alphabet  Hébreu;  &  ce  qui  démontre  que  ce 
^  font  pas  les  Grées  qui  ont  donné  cet  Alphabet 
^.  I    aux  Hébreux  >  c'cftquc  ces  noms  en  Grec  ne  figni- 

E  s  fient 


s 
ic 
a- 

fc 
d- 

Lte 

DÎT 
itis 
lî. 

ns. 

.•^ 

fes 
les 


1 


ic6       La  Rhïtoriqjje,  ou  l*Art 

fient  rien,  &  qu'en  Hébreu ,  ou  dans  la  langue  Phé- 
nicienne ,  ils  ont  une  lignification  ;  comme  Plu- 
tarque  le  remarque.  Ainfi  il^  font  barbares  au  re- 
gard des  Grecs,  &  naturels  aux  Hébreux.  Une  au- 
tre preuve,  c'eft  que  les  Grecs  s*étant  fervisdel'Al- 
phaoet  pour  compter,  quand  ils  ont  ceffédefefcr- 
vir  de  quelques-unes  des  lettres  Hébraïques  pom 
conferveraux  autres  leur  valeur,  ilsontfubftituéun 
ôgné  en  la  place  de  l'ancienne  lettre;  parexempk, 
après  avoir  rejette  le  vau ,  qui  eft  le  digame  Eoli- 
que ,  &  la  lettre  F  des  Latins ,  ils  ont  mis  en  fa  plaa 
cette  notre  «•  pour  figne  du  nombre  iîx ,  dont  h 
vau  Hébreu  eft  le  figne ,  étant  la  fixiéme  lettre  dt 
r Alphabet  Hébraïque.  De  même  ayant  rejette  le 
Tzade ,  &  le  Kopb  des  Hébreux ,  ils  ont  fubftitué 
des  fignes  des  nombres  que  marquoient  ces  lettres, 
afin  que  les  fuivantes  confervaflent  leur  prenaierc 
valeur.  C'eft  donc  une.  vérité  confiante  que  l'Al- 
phabet Grec  a  été  formé  fur  l'Alphabet  Hebrea 
Or,  comme  nous  l'avons  remarqué,  les  langues  ne 
fe  font  perfeâdonnées  que  quand  on  a  commence 
de  les  écrire;  c'eft  donc  à  1  Hébreu  que  les  Grca 
doivent  la  première  perfection  de  leur  langue ,  qui 
ne  pouvoit  être  que  très-groffiere  avantl'arrivéedi 
Cadmus  dans  la  Grèce ,  vers  le  tems  que  la  Répu- 
blique Judaïque  étoit  gouvernée  par  des  Juges.  La 
Grèce  avoit  été  entièrement  barbare  jiîfques  à  ci 
tems-là ,  pendant  deux  mille  cinq-cens  ans ,  ou  deos 
mille  fix-cens. 

Cadmus  porta  la  Science  des  Egyptiens  cheî  lei 
Grecs  ;  au  moins  leur  donna-t-il  plufieurs  connoif 
fances qu'ils  n'avoiem  point;  il  leur  donna  des  loix 
illes  affembla;  il  les  gouverna.  Ce  fut  vers  ce  tems 
là  qu'ils  commencèrent  d'obéir  à  des  Princes ,  As 
bâtir  des  Villes.  L'Hiftoire  Grecque  nous  apprend 
oue  la  Grèce  eut  differens  Princes ,  qu'il  fe  form 
oifferens  Etats  >  différentes  Républiques. 


ISÉ   PARLEE.    Liv.I.   Cbsp.XIX.  107 

De  là  cft  venu  que  tous  les  Grecs  ayant  conçu  de 
hmour  pour  Téloquence ,  &  chacun  travaillant  à 
polir  la  langue  de  fon  pais ,  la  langue  Grecque  fe 
puia  diâferemment.  11  le  forma  plulueurs  diale(f^cs  » 
ou  différentes  manières  déparier:  chaque  peuple  fc 
fit  des  termes.  Lç^  principales  dialedes  furent  l'At- 
tique,  rionique,  laDonque,  l'Eolienne.  La  Grè- 
ce n'eft  pas  fort  étendue  :  les  i\theniens ,  les  Io- 
niens, lesDoriens,  les  £oliens  ne  font  pas  éloignez 
les  uns  des  autres;  ainû  le  commerce qu  ils avoient 
cnfcmblc  faifoit'que  toutes  ces  dialedes ,  ou  ma- 
nières de  parler  ne  leur étoientpas inconnues; leurs 
Ecrivains  purent  donc  prendre  la  liberté  defefervir 
de  toutes  les  dialeéles ,  de  tous  les  termes  de  chaque 
£ut;  ce  qui  donna  une  merveiUeufe  fécondité  à 
leur  langue. 
•Ce  qui  contribua  particulièrement  à  dcgrofllr  & 
i  polir  la,  langue  Grecque ,  &  la  rendre  la  plus  capa- 
ble -de  toutes  les  langues  d'exprimer  toutes  choies 
avec  énergie ,  &  harmonieufement ,  ce  fut  Tamour 
qu'ils  eurent  pour  la  Mufique.    Les  inilrumcns  de 
Mufique  furent  en  ufage  parmi  eux  de  fort  bonne 
heure.    Ce  n'étoient  pas  feulement  des  airs  qu'ils 
chantoient  en  pinçant  leurs  Luts,  ou  Guitares.  En 
touchant  les  cordes  ils  prononçoient  des  paroles ,  6c 
flparoît  que  leurs  premiers Dodeurs,Philofophes, 
Théologiens ,  Hiftoriens  étoient  des  Poètes  ou  des 
CTiantres.  Dans  le  premier  Livre  de  l'Odyffée  Phé- 
nix chanta  fur  fa  Guitarre  les  aéiions  des  Dieux  ôc 
des  hommes  >  comme  le  font  les  Chantres  : 

Les  Muficiens  chantoient  ainfiles  faits  des  Héros. 
Ds  expliquoicnt  la  Religion  ,  fes  Myfteres ,  la  Gé- 
néalogie des  Dieux.  Ils  rendoient  raifon  de  ce 
Qui  sobfcrvc  dans  le  Ciel.  Ce  n'eft  point  unecon- 

E  6  jeauic 


Xo8       La  Rhétorique,  ou  l'Akt 

Jcôurc  en  Tair.  Strabon  en  parlant  d'Homer 
,  le  premier  Livre  de  fa  Géographie ,  tfjlî 
9  dit  qu'il  y  a  deux  efpeces  ou  fortes  deHifcou 
,  diez ,  l'un  mefuré ,  &  l'autre  libre ,  c'eft-à-di 
,  tout  difcourseft  Vers  ou  Profe:  ilfoutient,< 
y  premières  pièces  étudiées  furent  des  Vers:  ^ 

Sue  les  Vers  ayant  plû,  Cadmus ,  Pherec 
ecatœus  qui  écrivirent  en  Proie  ,  con 
»  rtntles  manières  des  Poètes,  àlareferved 
,  fures.  Strabon  ajoute  que  ceux  qui  écrivirent 
,  eux,  quittant  davantage  les  manières Poët: 
,  changèrent  enfin  entièrement  le  premier  fti 
,  reduifirent  la  Profe  à  Tétat  où  elle  eft ,  l'ajra 
,  gradée,  comme  fi  on  changeoitleftile Tn 
,  dans  celui  de  la  Comédie.  Dire  &  chanter 
,  toit  autrefois  la  même  chofe ,  ce  qui  mont 
la  Poëfie  eft  la  fource  de  l'éloquence.  (Ce 
jours  Strabon  qui  parle.  )  Tous  les  Vers  é 
des  chants ,  on  ne  l'es  recitoit  qu'yen  chantant 
vient  que  toutes  les  pièces  de  Poëfîcs  fe  non 
chant ,  Rapfodie ,  Tragédie ,  Comédie ,  ce  mo 
àhi  fignifiant  chant.  Enfin  Strabon  dit  que  1 
Grec  mi^ci  qu'on  donne  à  la  Profe  (  en  Lat 
fe  nomme  pedejiris ,  )  eft  une  preuve  que  1 
cours  écrits ,  ^de  Poétiques  qu'ils  étoierit  aut 
élevez ,  Se  comme  portez  dans  un  diariot ,  c 
abbaiflez ,  &  réduits  à  marcher  à  pied; 
Ce  paflage  de  Strabon  étoittrop  confidérabi 
ne  le  pas  rapporter  tout  entier.  Il  eft  facile  de 
prendre  comment  les  Poètes  purent  chanj 
langue  Grecque ,  en  la  perfeétionnant ,  &  ei 
comme  une  nouvelle  langue  toute  différente 
qu'dle  étoit  dans  fa  première  origine.  Le  pla 
la  Mufique  rend  indulgents  ceux  qui  écouten 
fouffre  que  les  Muficiens  prennent  la  libei 
couper,  d'allonger  le  difcours,  félon  quec^ 


PB  PAKLtu.  LivJ,  Cbap.XIX,         T09 

commode  avec  leur  chant.    Ces  premiers  Hifto- 
riens'.  Théologiens,  Philofoiphes ,  qui  étoient  en- 
femble  Poètes  ÔcMuficiens,  furent  les  maîtres  de  la 
langue.    Ils  la  polirent  comme  il  leur  plût  ;  ainiï 
en  peu  de  tems  ils  en  firent  le  langage  le  plus  par- 
fait. Ailleurs  c'eft  Tufage  qui  a  été  le  maître  oc  la 
langue.  Ccft  un  tyran,  comme  nous  l'expérimen- 
tons en  France ,  qui  fouvcnt  commande  fans  raifon , 
à  qui  il  faut  obéir  aveuglément.    Pdur  bien  pailer 
François  il  faut  parler  comme  on  parle.  Nos  Poè- 
tes mêmes  n'ont  guère  plus  de  hberté  que  ceux  qui 
écrivent  enprofe.  D'abord  qu'on  s*apperçoit  qu'un 
Poëte  employé  dans  fes  vers  un  terme ,  une  cxpref- 
fion  hors  de  Tufage  ,  &  qu'il  paroît  que  c'eft  pour 
attraper  une  rime ,  on  ne  peut  le  founrir  ni  Im ,  ni 
fcsvers. 

Ce  n'étoit  pas  cela  dans  la  Grèce  ,  fur  tout  dans 
les  premiers  tcmi.'    Les  favans  furent  les  maî- 
tres d'ajouter  à  un  mot  des  lettres,  d*en  retrancher, 
de  l'allonger  ,  de  le  couper.    La  Grèce  eut  des 
cforits  excellens  qui  voyageoient  en  Egypte  ,  en 
Pnenide,  de  tous  cotez,  pour  profiter  de  la  dodtri- 
ne  &  des  expériences  de  tous  les  peuples.  En  tou- 
tes chofes  ils  étudioient  la  Raifon  ;  ils  écoutoient' 
ce  qu'elle  prefcrit.    Il  ne  faut  donc  pas  s'étonner 
s'ils  réiiffirent.  Us  fe  formèrent  un  goût  admirable 
pour  l'éloquence,  pour  les  arts.  Auffi  tout  ce  qu'on 
a  pu  faire  dans  la  fuite  des  tems ,  c'eft  de  les  imi- 
ter. Nous  n'avons  ni  Peintre ,  ni  Sculpteur  qui  les 
ait  furpaffé.  Les  Architeéles  n'ont  réulïi  qu'autan^ 
^'ils  ont  fuivi  les  belles  proportions  que  la  Grèce 
«voit  trouvées.  On  voit  dans  la  conduite  des  poè- 
mes Epiques  &  Dramatiques,  combien  les  Grecs 
font  raiîbnnables.  Toute  la  Grèce  avoit  un  amour , 
une  eflime  infinie  pour  ceux  qui  réuffiffoient ,  & 
une  déférence  entière.     Une  langue  qui  a  donc 
été  formée  avec  une  dcinc  liberté  ôc  autorité  par 

E  7  4es 


iiô       La  Rhétorique,  ou  l'Art 

des  Maîtres  û  raifonnables ,  comment  n  auroit-ellc 
pas  été  la  plus  parfaite  ? 

Toutes  les  autres  langues  ne  fe  font  perfeâion- 
néesdans  la  fuite ,  que  lorfque  les  Eai vains  ont  pris 
les  Grecs  pour  modèles  de  Tart  de  bien  écrire.  On 
peut  dire  que  la  langue  Grecque  étoit  déjà  dans  fà 

{)èrfe(iUondu  tems  d'Homère ,  trois  mille  ans  après 
a  création  du  monde ,  lorfque  Salomon  regnoit 
en  Judée.  Rome  fut  bâtie  environ  deux-cens  cin- 
(puante  ans  après  ce  tems-Ià.  Alors  la  langue  La- 
Uhê  étoit  fort  grofîîere.  Ce  ne  fut  que  dans  le  lixié  • 
tne  fîecle  depuis  que  cette  ville  fut  bâtie  ,  qu  elle 
eut  des  Poètes  confiderables ,  Livius ,  Nevius ,  Plau- 
te.  Us  tâchoient  d'imiter  les  Grecs  ;  ils  ne  faifoient 
prefque  que  traduire  en  Latin  leurs  ouvrages.  Ceux 
qui' vouloient  profiter  voyageoicnt  dans  la  Grectf, 
Y  demcuroient  long-tems  pour  y  acquérir  la  con- 
noiffançe  des  arts ,  c'étoit  la  fin  de  leur  voyage  : 
Âd  mercaturam  honarum  artium  y  comme  parle  Ci- 
(icron.  Enfin  la  langue  Latine  a  acquis  fa  per- 
fedion  fous  ce  Prince  des  Orateurs ,  &  fous  le  ^it- 
de  d'Augufte  ,  après  la  mort  duquel  la  langue  ne 
fit  plus  que  fe  gâter,  &  perdit  fon  éclat,  auilî-bicn 
que  l'Empire  Romain  fon  luflre  &  fa  grande  puii- 
Unce.  .  On  n'eut  plus  le  bon  goût  de  Ciceron ,  de 
Virgile,  d'Horace.  On  ne  confulta plus ,  comme, 
ils  le  faifoient,  le  bon  fens;  au  moins  on  ne  le  fit 
pas  avec  tant  de  foin ,  ni  tant  de  fuccès.  Les  peu- 
ples qui  ruinèrent  l'Empire  Romain  ,  &  fe  mirent 
en  leur  place  ,  étoient  groffiers ,  barbares.  Ce  fut 
UTphilasqui  apprit  auxGoths  l'ufage  des  lettres  vers 
la  nn  du  quatrième  fîecle.  Ils  étoient  encore  barbares 
quand  ils  fe  jetterent  fur  l'Empire  Romain.  Vers  ce 
tems-là  il  fe  fit  plufîeurs  Etats ,  pluficurs  Royaumes 
du  débris  de  cet  Empire.  Il  s'y  forma  des  lan- 
gues particulières  que  chacun  tacha  de  polir.  Dans 
Ë  fiede  paiTé  i  communément  nos  habiles  ne  s'ap- 


BX^ARlEll.  VilKh  Cb4prXIX.         II i 

plîquoient  qu'à  bien  écrire  en  Latin.  Nôtre  langue 
ne  s'eft  perfedionnée  que  dans  ce  (îecle  ,  où  nos 
écrivains  s'étant  défaits  des  mauvais  préjugez  qu'on 
avoit  contre  la  bonne  éloquence ,  &  formé  le  goût , 
lifant  les  Auteurs  Grecs  &  Latins ,  ils  ont  rendu  le 


François  fi  bcair,  fi  dair,  fi  coulant,  que  quoiqu'il 
n'ait  pas  tous  les  granès  avantages  de  la  langue 
\jrecq\ie  &  delà  Latine ,  il  engage  tous  les  étrangers 
à  l'étudier.  On  imprime ,  ôç  on  Ut  hors  de  Frailce  nos 
bons  Auteurs  François.  A  quoi  doit-on  cette  per- 
f eétion  de  nôtrelaogue ,  qu'à  ce  fc^in  qu'ont'  eu  eni^ 
nos  Auteurs  d'examiner  leurs  compofitions  à  la  lu- 
mière de  la  Raifon ,  &  de  chercher  les  véritables  fon- 
demens  de  l'Art  de  parler } 

11  eft  important  pour  l'honneur  de  la  Religion , 
qu'on  foit  bien  perfuadé  que  c'eft  aux  Hébreux  que 
les  Grecs  doivent  leur  première  poUtefle.  Hérodote 
le  déclare  nettement;  car  après  a  voir  dit  que  ce  fut 
Cadmus  qui  apporta  les  Lettres  &  les  Sciences  dans 
la  Grèce ,  il  ajoute  qu'ayant  lui  les  Grecs  n'avoient 
point  l'ufage  des  lettres  :  que  les  premières  dont  ils 
le  fervirent  étpient  Phéniciennes  ;  &  qu'ils  en  chan- 

ferent  le  fon  &  la  figure  dans  la  fuite  du  lems.  Selon 
aufanias  les  Grecs  écrivoient  de  droit  à  gauche , 
preuve  que  c'eft  des  Hébreux  qu'ils  a  voient  appris 
féaiture.  D  parle  {Liv,  y.)  d'une  Statue  anciennô 
où  le  nom  à' Agamemnon  étoit  ainfi  écrit  de  droit 
à  gauche.  Cette  ancienne  manière  n'avoit  donc 
changé  que  depuis  la  prife  de  Troie.  H  dit  avoir  vu 
dans  une  ancienne  Arche  ouCofl&e,  qui  fe  gardoit 
religieufement  dans  un  Temple  ,  une  Infcription 
dont  les  caraâeres  étoient  rangez  comme  des  fil- 
ions ,  qui  recommençoient  où  ils  finiflbient ,  tantôt 
de  droit  à  gauche ,  tantôt  de  gauche  à  droit  ;  ma- 
nière dont  nous  avons  parlé  ci-defius. 

LA 


La  RHlTORHiûB,'  on  l'Art' 


RHETORIQUE 

0  U 

L'ART  DE  PARLER. 

LIVRE    SECOND. 


Chapitre   Premier. 
lêmti  ctwfii  peuvent  Stri  conduis  Jiffèremmtut: 
e  que  la  partit,  qui  efi  P  image  dtl'efprit^, 
doit  marquer, 
1  les  hommes  concevoient  toutes  la 
chofes  qai  fe  prdentent  à  knr  efinit 
fimpîcmcnt  comme  elles  fonteneuc»^ 
,  mêmes ,  ils  en  paricroicnt  tous  de  la 
même  manière.   Tous  les  Geomctrei 
tiennent  le  même  langage  ,  quand  ils  d<!montrent 
ce  Théorème  :    i«  trvii  angles  ti'uti  trianele  font 
égaux  à  deux  angles  droits.    Us  fe  fervent  des  mê- 
mes cxpreffions ,  parce  que  la  nature  nous  détcr- 
"mino  à  parler  comme  nouspenfons ,  &  que  quand 
on  penle  de- même,  on  tient  le  même  langage. 
Mais  il  s'en  faut  bien  que  toutes  les  penfées  des 
^Spies  ioKSA  femblaUes ,  c'eA-il-4iie  qu'ils  re- 


Dl  PARLIR.  Liv.ïL  Cbap.L  iij 

gardent  toutes  chofes  d'une  même  façon.    Us  en 
jugent  différemment ,  &  félon  le  bien  ou  le  mal 
qu  ils  y  découvrent ,  ou  qu'ils  croyent  y  décou- 
vrir i  ils  ont  difffcrens  mouvemens  de  mépris  ou  de 
haine  ,  d'amour  ou  d'averfion ,  c[ui  font  que  dia- 
can  a  des  idées  différentes.  La  même  diofc  ne  pa- 
roît  jamais  la  même  à  toutes  les  hommes.  Elle  eft 
aimable  aux  uns',  les  autres  ne  la  peuvent  regarder 
qu'avec  des  fcntimens  d'averfion.    Après  qu'on  a 
une  fois  regardé  un  homme  comme  ion  ennemi , 
on  ne  prend  plus  çlaifir  à  confîderer  îcs  bonnes 
qualitez.  Cette  conhderation  augmenteroit  la  dou- 
leur qu'on  a  de  le  voir  oppofé  à  fes  prétentions , 
parce  qu'elle  feroit  voir  la  puiffance.    On  prend 
donc  plaifir  au  contraire  de  fe  former  des  idées 
extraordinaires  de  fes  défauts.  On  trouve  de  la  fa- 
tisfaftion  à  le  concevoir  foible  &  méchant.     Ses 
moindres  défauts  fe  prefentent  fous  une  forme 
monflracufe  ;  comme  fes  vertus  paroilfent  toutes 
petites  &  imparfaites  ;  l'on  ne  fait  attention  qu'à 
ce  qui  peut  en  donner  du  mépris.  Ce  n'eft  pas  en- 
core auei  ;  à  l'occafion  de  fes  imperfections  dont 
on  s'occupe  volontiers ,  parce  que  nous  voulons  tou- 
jours juftifier  nos  pafèons ,  on  fe  reprefente  tous 
ceux  qui  fe  font  fîgnalez  parleurs  crimes  :  joignant 
^nfi  (hns  fa  penfée  cet  ennemi  avec  tous  les  crimi- 
nels qui  ont  jamais  été.   La  fineffe  des  renards ,  la 
malice  des  ferpens ,  l'avidité  des  loups ,  la  cruauté 


perfc 

jet  de  fon  averfîon  &  de  fa  colère. 

Je  fais  ici  ce  que  feroit  un  Peintre  qui  n'enfeigne 
PW  à  fon  élevé  ce  que  les  chofes  doivent  être  pour 
qu'elles  foient  paràites ,  mais  qui  ne  s'âppfique 

SUes  lui  faire  bien  reprefenter  telles  (ju'elles  font. 
tt'cftpasàuaRhcteuràformcrrcfpnt  &  lecœup 

de 


114        La  Rhëtokiqjue,  ou  L*AiiT 

de  celui  qui  étudie  la  Rhétorique ,  &  à  lui  appren- 
dre qu'il  ne  doit  pas  concevoir  les  chofes  autres 
qu'elles  font ,  qu'il  n'en  doit  avoir  que  des  idées 
raifonnables ,  &  qu'il  ne  lui  eft  pis  permis  d'en- 
tretenir dans  fon  cœur  des  mouvemens  injuftes. 
Cela  n'eft  pas  du  retfbrt  de  fa  profeffion.  Tout  ce 
qu'il  doit  faire  c'eft  de  l'avertir  que  fi  fes  penfécs 
ne  font  pas  réglées ,  fi  le  jugement  qu'il  èiit  des 
chofes  eft  extravagant ,  le  difcours  qui  en  fera  la 
peinture ,  fera  paroître  fon  extravagance.  Je  puis 
néanmoins  faire  cette  reflexion  ,  qu'il  n'eft  pas 
p.ofîible  que  nous  regardions  indifféremment  toute 
fprte  de  chofes.  Les  pafîions  ne  font  mauvaifes 
que  par  le  mauvais  ufage  qu'on  en  fait.  Elles  nous 
ont  été  données  par  l'Auteur  de  la  Nature  pour 
nous  mouvoir  vers  le  bien,  &  pour  fuir  le  mal. 
Ceft  une  lâcheté  de  regarder  le  bien  froidement 
fans  s'y  porter,  &  de  confiderer  le  mal  fans  horreur 
&  fans  un  violent  defir  de  le  fuir.  Ainfi  il  n'y  a 
qu'une  ame  molle  ,  &  qui  n'a  aucun  fentiment  de 
la  Nature ,  qui  puilTe  être  indifférente  à  l'égard  de 
toutes  chofes  bonnes  ou  mauvaifes.  Une  ame  ge- 
nereufe  qui  a  du  feu  ,  s'excite  félon  la  qualité  de 
l'objet  qui  l'occupe;  elle  en  conçoit  les  idées  <ju'U 
en  èiut  avoir,  &  elle  reflcnt  les  mouvemens  qui  ne 
manquent  point  de  fuivre  lorfque  la  nature  eft  vi- 
ve ,  &  qu'elle  eft  bien  réglée  ;  de  forte  qu'il  fc  fait 
une  image  dans  fon  efprit ,  où  les  chofes  fe  trouvent 
reprefentées  avec  les  traits  qui  leur  font  propres,  & 
avec  leurs  couleurs  naturelles. 

Les  hommes  qui  ont  été  faits  les  uns  pour  les 
autres ,  imitent  ce  au'ils  voyent  faire.  Il  y  a  une 
merveilleufe  fympathie  entre  eux.  Ils  font  comme 
liez  les  uns  aux  autres.  Un  enfant  prononce  fans 
peine  les  mots  qu'il  entend  prononcer.  Si  on  en- 
tend chanter ,  on  prend  le  ton  que  celui  qui  chan- 
te le  plus  fort,  oblige  les  autres  de  prendre.  11  faut 

fiire 


DB  PAiiiER.  Ltv.IL  Çbap.L  115 

faire  des  efforts  pour  ne  pas  fuivrc  ceux  qui  vont 
devant  nous ,  &  pour  ne  pas  marcher  avec  eux  de 
compagnie.  lêjdjîs  cela  pour  foire  comprendre  que 
tout  le  fecret  de  la  Rhétorique ,  dont  la  fin  cil 
de  perfuader ,  confifle  à  faire  paroître  les  chofes 
telles  qu'elles  nous  paroiflent;  car  fi  on  en  fait  une 
vive  image  femblable  à  celle  que  nous  avons  dans 
l'efprit,  fans  doute  que  ceux  qui  la  verront,  auront 
les  mêmes  idées  que  nous  ;  qu'ils  concevront  pour 
elles  les  mêmes  mouvemens ,   &  qu'ils  entreront 
dans  tous  nos  fentimens.  Il  s'agit  donc  maintenant 
d'apprendre  comment  par  le  fecours  de  la  parole 
on  peut  faire  une  image  de  nôtre  efprit,  ou  Ton 
voye  la  forme  de  nos  penfées ,  c*eft-a-dire ,  com- 
ment on  peut  faire  que  les  chofes  qui  font  la  ma- 
tière du  oifcours,  foient  reprefentées  avec  les  traits 
k  avec  les  couleurs  fous  lefquelles  nous  voulons 
qu'elles  foient  vues. 

n  eft  certain  que  nous  parlons  félon  que  nous 
fommes  touchez.  Les  mouvediens  de  Tame  ont 
leurs  caraôeres  dans  les  paroles  comme  fur  le  vifa- 
gc.  Le  ton  de  la  voix ,  &  le  tour  qu'on  prend , 
Eut  connoître  de  quelle  manière  on  regarde  les 
diofcs  dont  on  parle ,  le  jugement  qu'on  en  fait, 
&lcs  mouvemens  dont  on  eft  animé  à  leur  égard. 
Ce  font  ces  caraéleres  qu'il  faut  étudier  &  dans  la 
pratique  duanonde ,  &  dans  les  livres.  Les  Auteurs 
qui  excellent  dans  ces  manières  vives  de  peindre 
les  mouvemens  de  l'ame ,  n'ont  réuffi  que  parce 
qu'ils  ont  obfervé  ce  que  chacun  fait ,  &  de  quelle 
manière  on  parle  dans  l'émotion.  On  donne  de 
grandes  loUanges  à  Ariftote  pour  avoir  marqué 
dans  fa  Rhétorique  le  caraétere  de  chaque  paiîion , 
&  les  mœurs  de  chaque  âge ,  de  chaque  condition. 
Je  confens  qu'il  mérite  ces  louanges  5  mais  je  fou- 
tiens  qu'il  eft  plus  utile  de  s'étudier  foi-même ,  & 

remarquer  comme  chacun  padc  &  agit.    On  pro- 
fita 


ii6        La  Rhitoriove,  ou  l'Art 

fitc  bien  davantage  lorfqu'on  lit  le  quatrième  Livre 
de  TEneide ,  où  Ton  voit  des  peintures  naturelles 
des  paffions  ;  ou  que  fans  s'amufer  à  lire  ides  Li- 
vres on  étudie  le  monde  même.    On  ne  peint  ja- 
mais bien  une  paffion  qu'après  l'avoir  vue  en  ori- 
ginal ,  c'eft-à-dire  ,  qu'après  avoir  étudié  ceux  qui 
étoient  animez  de  cette  paffion.    Les  Auteurs  fc 
trompent ,  &  ce  qui  fait  qu'on  eft  peu  touché  en 
lifant  leurs  Livres ,  c'eft  qu'ils  ne  peignent  pas  les 
mouvcmens  qu'ils  veulent  infpirer  ,  avec  des  traits 
naturels.    Ils  ne  veulent  employer  que  de  riches 
couleurs ,  des  paroles  magnifiques ,  ils  rejettent  les 
expreffions  ordinaires  qui  font  pourtant  les  traits 
naturels  de  ces  mouvemcns  ;  c'eft- à -dire  ,  que 
lorfqu'on  eft  ému  ,  on  ne  parle  point  comme  ils 
le  font.    Il  en  eft  des  figures  que  les  Déclamateurs 
cmployent ,  comme  de  ces  raifonnemenS  en  for- 
me des  Philofophes,  qui  dégoûtent ,  parce  que  ce 
D'cft  point  la  manière  naturelle  de  raifonncr.    11 
fiiut  encore  remarquer  que  quoique  les  hommes 
fages  n'entrent  pas  fans  de  grands  fujets  en  des 
mouvemens  de  colère  impétueux ,  que  cependant 
ils  ne  parlent  jamais  fans  quelque  feu  ;  c'eft  pour- 
quoi dans  THiftoire  même  ,  l'on  ne  doit  point  ra- 
conter les  chofes  froidement.    Il  y  a  des  tours  fi- 
gurez de  converfation  :  quand  on  les  fait  prendre , 
le  Leéleur  ne  croit  pas  lire  un  Livre  ;  il  croit  voir 
les  chofes  >  ou  qu'un  homme  vivant  lui  raconte  ce 
qu'il  ht. 

Tous  ces  traits  qui  peignent  les  mouvemens  de 
nôtre  ame ,  l'eftime ,  le  mépris ,  la  haine ,  l'amour, 
confiftent  en  trois  chofes  :  Premièrement ,  dans  le 
ton;  il  y  a  un  ton  railleur  &  de  mépris;  Ù  y  a  un 
ton  d'admirateur.  Dans  l'empreflement  de  trou- 
ver la  vérité  ,  ou  de  la  faire  connoître  ,  on  preflc 
ceux  à  qui  on  parle  ,  de  la  déclarer.  On  leur  fait 
die  vives  interrpgationi  d'un  ton  ^mé.  En  fécond- 

lieu  p 


DE   PARLE  n.  Liv.lL  CbapIL         117 

lieu ,  on  donne  un  tour  extraordinaire ,  tout  diffé- 
rent de  celui  qu'ont  les  paroles  d'un  homme  tran- 
quille. Enfin  ,  comme  nous  allons  voir  dans  le 
Chapitre  fuivant,  dans  les  grands  mouvemens  on 
employé  des  mots  extraordinaires  ,  parce  que  la 
pamon  nous  fait  concevoir  les  chofes  tout  autres 
qu'eues  ne  paroiflcnt  quand  on  les  confidcre  tran- 
quillement. 


Chapites    il 

U  n^y  a  p§int  de  Ungue  ajjez  riche  é^  ajfez  éhn» 
iante  pour  fournir  des  termes  cépables  dexprimer 
toutes  les  différentes  fmces  fous  lefquelJes  tefprit 


ftUt  Tropi 
vmtion. 

LA  fécondité  de  l'efprit  des  hommes  cft  fi  gran- 
de ,  qu'ils  trouvent  fleriles  les  langues  les  plus 
fécondes.  Ils  tournent  les  chofes  en  tant  de  ma- 
nières, ils  fe  lesreprefentent  fous  tant  de  faces  dif- 
férentes ,  qu'ils  ne  trouvent  point  de  termes  pour 
toutes  les  diverfcs  formes  de  leurs  penfées.  Les 
mots  ordinaires  ne  font  pas  toujours  juftes ,  ils  font 
ou  trop  forts ,  ou  trop  foibles.  Ils  n'en  donnent  pas 
lajufle  idée  qu'on  en  veut  donner.  C'cft  néan- 
moins ce  que  ceux  qui  parlent  avec  art  recher- 
chent avec  plus  d'empreflement  ;  car  c'eft  en  cela 
uc  confifte  l'éloquence.  On  prend  les  fentimcns 
c  ceux  qui  nous  parlent ,  lorfque  leurs  paroles  les 
marqiicnt  vivement ,  comme  nous  l'avons  remar- 
qué. Si  l'on  veut  donc  exprimer  les  fentimens 
«eftimc  &  d'amour  qu'on  a  pourlachofc  dont  on 
padc,  il  ne  faut  employer  aucun  terme  qui  ne  con- 


l 


iiÇ       La  Rhbtorique,  ou  l'Art 

tribuë  à  donner  des  idées  de  grandeur  &  de  pcr- 
'  fcdion  ;  c  eft-à-dire  qu'il  fout  choifir  des  termes 

2ui  foflent  Daroître  cette  chofe  grande  &  parfaite. 
]e  choix  demande  un  grand  difcernement  ;  ceux 
qui  n'ont  qu'un  médiocre  génie ,  fe  contredirent  à 
tous  momens.  Il  y  a  dans  leurs  difcours  cent  chofes 
qui  font  contraires  à  leur  d^ffein  ,  qui  font  pleurer 
lorfque  leur  principal  deffein  eft  de  faire  rire  ,  àc 
qui  ne  donnent  que  du  mépris  de  ce  qu'ils  avoicnt 
•entrepris  de  faire  eftimer.  Celui  qui  rait  attention 
à  ce  défaut ,  &  qui  tâche  de  Téviter ,  trouve  fteri- 
les  les  langues  les  plus  fécondes.  Ainfi  pour  expri- 
mer exaélement  ce  qu'il  penfe ,  il  eft  obligé  de  fe 
fcrvir  de  cette  adreiie  dont  on  ufe  quand  ne  fa- 
chant  pas  le  nom  propre  de  celui  que  Von  veut  in- 
diquer ,  on  le  foit  par  des  figncs  &  par  des  cir- 
conftancesqui  font  tellement  attachées  a  faperfon- 
jie  9  que  ces  fîgnes  èc  ces  circonftances  excitent 
l'idée  qu'on  n'a  pu  lignifier  par  un  nom  propre. 
Ccft  un  foldat ,  dit-on  ,  c'eft  un  Magiftrat ,  c'dft 
vn  petit  homme. 

Critfe  ruber,  ntger  ore^  brevis  pede^  lumtne  Ufus. 

Les  objets  qui  ont  entre  eux  quelque  rapport  & 
quelque  haifon,  ont  leurs  idées  en  quelque  maniè- 
re liées  les  unes  avec  les  autres.  En  voyant  un  fol- 
dat ,  on  fe  fouvient  focilement  de  la  guerre.  En 
voyant  un  homme ,  on  fe  fouvient  de  ceux  dans  le 
vLlage  defquels  on  a  remarqué  les  mêmes  traits. 
Ainfi  l'idée  d'une  chofe  peut  être  excitée  parle  nom 
de  toutes  les  autres  chofes  avec  lefquelles  elle  a 
quelque  liaifon. 

Quand  pour  fignifier  une  chofe  on  fe  fert  d'un 
mot  qui  ne  lui  eft  pas  propre  ,  .&  que  l'ufage  avoit 
appliqué  à  un  autre  fujet  ;  cette  manière  de  s'ex- 
pliquer eft  figurée;  &  ces  mots  qu'on  tranfporte  de 

la 


DE  PÀmiim.  Liv.IL  Chaf.JlL       119 

la  chofe  qu'ils  fignificnt  proprement ,  à  une  autre 
qu'ik  ne  lignifient  qu'indirectement ,  font  appeliez 
Tropes ,  c'ed-à-dire  termes  dont  on  change  &  on 
rcnverfe  Tulàge  ;  comme  ce  nom  Tropes ,  qui  cft 
Grec  ,  le  fait  affez  connoître ,  ^iîw  ,  verto.  Les 
Tropes  ne  fignifient  les  chofes  aufquelles  on  les 
applique  »  qu'à  caufe  de  la  liaifon  oc  du  rapport 
que  ces  chofes  ont  avec  celles  dont  ils  font  le 
propre  nom  ;  c'eft  pourquoi  on  pourroit  compter 
amant  d'elbeces  de-  Tropes ,  que  Ton  peut  mar- 
quer de  differens  rapports  ;  mais  il  a  plii  aux  pre- 
miers Maîtres  de  l'Art  de  n'en  établir  qu'un  petit 
nombre. 


Chapit&£    III. 

lifie  des  e/feces  de  Tropes  qui  font  les  plus  confi- 

derabies, 

METONYMIE. 

TE  donne  entre  les  efpeces  de  Tropes ,  la  nre- 
J  miere  place  à  la  Metonvmie  ,  parce  que  c'elt  le 
Tropc  le  plus  étendu  ,  «  qui  comprend  fous  lui 
plofieurs  autres  eipeces.  Métonymie  ngnifie  un  nom 
pour  un  autre.  Toutes  les  fois  qu'on  fe  fert  d'un 
iwrc  nom  que  de  celui  qui  eft  propre  ,  cette  ma- 
nière de  s'exprimer  ^s'appelle  une  Métonymie  ; 
comme  quand  on  dit  :  Cefgr  a  ravagé  les  Gaules  5 
^m  le  monde  lit  Ciceron  ;  Paris  efl  allarmé  :  il  eft 
évident  que  Ton  veut  dire  que  l'armée  de  Ccfar  a 
levage  les  Gaules  ;  Que  tout  le  monde  lit  les  ou- 
vrages de  Ciceron;  Que  le  peuple  de  Paris  eft  dans 
une  grande  crainte.  Il  y  a  une  fi  grande  liaifQji 
entre  le  Chef  &  fon  armée ,  entre  un  Auteur  6c  fes 

faits ,  entre  une  ville  &  fes  citoyens  ,  qu'on  ne 

peut 


110       La  Rhetoriqjje,  ow  l*Ailt 

peut  penfer  à  l'un ,  que  l'idée  de  l'autre  ne  fc  p 
fente  auffi-tôt.  Ainfi  ce  changement  de  nom 
caufe  aucune  confuûon. 

SYNECDOCHE. 

LA  Synecdocbe  eft  une  efpece  de  Metonym 
par  laquelle  on'met  le  nom  du  tout  pour  ce 
de  la  partie ,  ou  celui  de  la  partie  pour  le  nom 
tout  :  comme  quand  on  dit  P  Europe ,  pour  la  Frs 
ce  9  ou  la  Frmnce  pour  P  Europe  :  le  rojpgnol  pc 
un  oifeau  en  gênerai ,  ou  oifeau  pour  roffigm 
mrhre  pour  une  efpece  d'arbres  en  particulier, 
ime  efpece  d'arbres  pour  toutes  fortes  d'arbi 
On  dira  :  La  pelle  eft  en  Angleterre ,  quoi  qu'c 
ne  foit  qu'à  Londres;  qu'elle  eft  à  Londres ,  qi 
qu'elle  foit  dans  toute  1  Angleterre.  On  dit  en  p 
lant  d'un  rofSgnol  en  particulier,  d'un  chêne  enp 
ticulier:  Voilà  un  bel  oifeau  :  voilà  un  bel  arbre: 
fervant  avec  cette  liberté  du  nom  de  la  partie  po 
fignifier  le  tout ,  6c  du  nom  du  tout  pour  fignif 
la  partie. 

On  rappojte  à  cette  efpece  de  Trope  la  libci 
que  l'on  prend  de  mettre  im  nombre  certain  &  c 
terminé  pour  un  nombre  qu'on  ne  fait  pas  précii 
ment.  On  dira;  Cette  maifon  a  cent  belles  avenu! 
lorfqu'elle  en  a  pMeurs ,  &  ^u'on  n'en  fait  pas 
nombre.  Quand  aufïi  pour  foire  un  compte  ron< 
on  ajoute  ou  l'onretrandie  ce  quicmpêcneroitqi 
le  compte  ne  fût  rond.  S'il  y  a  quatre-vingts  m 
neuf  ans ,  trois  mois ,  quinze  jours  ;  on  dira  libr 
ment,  il  y  a  cent  ans. 

ANTONOMASE. 

L-Antonomafe  eft  une  efpece  de  Metonymi 
Elle  fe  fait  lorfqu'on  applique  le  nom  prop 
y  '  d'ui 


Di  PARIS R.  Liv.JL  Ckap.JJL       m 

ic  diofc  à  plufieurs  autres  ;  ou  au  contraire 
lue  ron  donne  à  quelque  particulier  un  nom 
mun  à  plufieurs.  Sardanapale  étoit  un  Roi  vo- 
lieux.  Néron  un  Empereur  cruel;  c'ellparAn- 
)mafe  qu'on  appellera  un  voluptueux  un  Sar^ 
\ùaU  y  èc  que  l'on  donnera  le  nçm  de  Néron  à 
Tince  cruel.  Ces  mots  d'Orateur ,  de  Poète , 
Philofophe  font  des  noms  communs ,  &  qui  fe 
aent  à  tous  ceux  qui  font  d'une  même  profef- 
:  cependant  on  applique  ces  mots  à  des  parti- 
:rs,  comme  s'ils  leur  ëtoient  propres.  On  dit, 
ant  de  Ciceron,  l'Orateur  donne  ce  précepte 
5  ÙL  Rhétoriaue.  Le  Poète  a  fiait  la  delcription 
le  tempête  aans  le  premier  Livre  de  fon  iïincï- 
pour  dire  :  Virgile  a  fait ,  &c.  Le  Philofophe 
îcmontré  dans  fa  Metaphyfique ,  au  lieu  de  dire. 
Ilote  Ta  démontré.  Dans  chaque  état  ceux  qui 
xcdlent  par-defTus  le  commun,  s'en  approprient 
î  la  ^oire  &  le  nom.  Tontes  les  fois  qu'on 
le  de  l'éloquence  ,  on  penfe  facilement  à  Cicc- 
,  &  par  conféquent  Tiaée  d'Orateur  ôcdcCicc- 
fc  Ûent,  de  forte  que  l'une  fuit  l'autre. 

METAPHORE. 

Es  Tropes  font  des  noms  que  Ton  tranfporte 
'  de  la  chofe  dont  ils  font  le  nom  propre  ,  pour 
appliquer  à  des  chofes  qu'ils  ne  fîgnifient  qu'in- 
îCTcment  ;  ainfi  tous  les  Tropes  font  des  Mefa^ 
resy  car  ce  mot  qui  eft  Grec,  fîgnifie  tranfla- 
1.  Cependant  on  donne  le  nom  de  Métaphore 
Antonomafe  à  une  efpece  de  Trope ,  &  pour 
5  on  définit  la  Métaphore  un  Trope ,  par  lequel 
met  un  nom  étranger  pour  un  nom  propre,  que 
1  emprunte  d'une  chofe  femblable  à  celle  dont 
parle.  On  appelle  les  Rois  les  Chefs  de  leur 
r»unic,  parce  que,  comme  le'' Chef  commande 

F  à  to\iii 


lit        La  Rhitohiqûi,  ou  l'Art 

à  tous  les  membres  du  corps ,  les  Rois  com 
dent  à  leurs  fujets.  L'Ecriture  Sainte  appela 
gamment  le  Qel  durant  une  fechercire  ,  un 
d'airain.  On  dit .  d*une  maifon  qu'elle  ell  ris 
lorfquc  la  vue  en  ell  agréable ,  &  femblable  en  < 
que  manière  à  cet  agrément  qui  paroit  fur  le  v 
oe  ceux  qui  rient. 

L'Megorie  fc  fait  lorfqu'en  parlant  on  fe 
dire  toute  autre  chofe  que  ce  que  l'on  d: 
effet*,  comme  Tétymologie  de  ce  mot  le  mai 
Ceft  une  continuation  de  plufieurs  Metaphc 
comme  dans  cette  Allégorie  que  fait  Ifaïe  chs 
Mon  bien  aimé  aveit   une  vigne  fur  un  lieu  él 
gras  &  fertile,^    li  tenvirojina  etune  haie ,    il  et 
/es  pierres,  &  la  planta  d'un  plan  trésor  are  6 
cellent  :    il  bâtit  une  Tour  au  milieu ,  je*  il  y  fi 
prejfêir  :  il  sattendoit  qu^ellè  porteyoit  de  bons  fy 
é*  elle  n'en   a  porté  que  de  faur>agès.     Mainti 
donc  ,  vous  babitans  de  Jerufalem ,  i^f  vous  bo. 
de  jfuda  >  /oyez,  les  juges  entre  moi  &  ma  i^ igné.  Q 
je  dû  faire  de  plus  à  ma  vigne  que  je  n*aye  point  ^ 
Eft-ce  que  je  lui  ai  fait  tort  d^attendre  qu'elle  p 
de  bons  raifins ,    au  lieu  qu'elle  nen  a  produis 
de  mauvais  f  Mais  je  vous  niant  y  er  ai  maint  ena 
ique  je  m'en  vas  faire-  à  ma  vigne.    J*en  arrai 
sa  baie  ,   &  elle  fera  ex  pope  au  pillage  :  je  di 
tài  Uus  les  murs  qui  la  défentlent ,  é'  elle  fera 
téc  aux  pil'ds,    Je  la  rendrai  toute  deferte  >  é 
m  fera  point  taillée ^  ni  labourée:  Les  ronces  { 
épines  la  coûter  iront  j    &  je  commanderai  aux 
de  ne  pleuvoir  plus  fur  elle*     Ce  qu*lfaïe  a 
fiiit  aflci  copnoître.  que  ce.difcours  cil  une 
fforie.    Là  vigne  %  dit-il,  du  Seigneur  des  armi 
%  ifiàifbn^d^lfrâ'élt   &  les  /Sommes  de  Judà  % 


•  1  F  AU  L  EU.   LrvJl.  Chup.  IIL  II] 

k  flan  auquel  il  prenait  fes  délices  :  ^/li  atten* 
ië  qu'ils  fjfent  des  unions  juftes.  Saint  Profpcr 
nous  donne  rexemple  d'une  Allégorie  qui  elî  en- 
core fort  éloquente  ,  lorfqu'il  décrit  les  effets  de 
h  Graice. 

Ceji  elle  qui  fuivantfin  immuable  loi, 
Sme  en  l'e/prit  ce  grain  dont  doit  naître  la  foi  ^ 
Imî  fait  prendre  racine ,  é^  par /es  thuces  fiâmes 
îeàtpoujjer  puijjamment  fon  grrme  dam  nos  âmes. 
,    C^  ella  qui  d'enhaut  veille  pour  le  nourrir  , 
Qwt  le  garde  fans  cejfe ,  &  qui  le  fait  meurir. 
ï6eajêin  que  fyvraie^  ou  les  âpres  épines 
iPilêujfint  en  croijfant  fesfemences  divines  \ 
QiCun  vent  de  complaifance  ^  unfoufle  ambitieux 
Nt  renverfi  l'épi  qui  monte  vers  les  deux  » 

Su  U  torrent  bourbeux  des  cbarnçlles  délices 
ttemtraine  avec  foi  dans  le  torrent  des  vices  : 
Qu^un  lâche  amour  de  Vor  ne  lefecbe  au  dedans 
fer  tinvifible  feu  de  fes  defirs  ardens\ 
Ou  que  i  lorJqu*élevéfurJa  tige  fupei'be  ^ 
liiédaigne  de  loin  la  baf[effe  de  Herbe ^ 
Un  tourbillon  d'orgueil  t  comme  un  foudre  foudain» 
Nf  lui  d§nne  en  /a  chute  une  bonteujefin. 

Prenez  garde  que  dans  TÂllegorie  il  faut  fiuir  com- 
me l'on  a  commencé,  &  prendre  toutes  les  Méta- 
phores des  mêmes  chofes  dont  on  a  emprunté  les 
wcnrieres  expreffions.  Ce  que  vous  voyez  que  Sainrc 
Profper  obferve  exadement ,  prenant  toutes  ces 
Meta^ores  des  chofes  qui  regardent  les  bleds. 
Quand  ces  Allégories  font  obfcures,  &qu  onn'an- 
perçoit  pas  d'abord  le  fens  naturel  des  paroles  ce 
l'Auteur ,  elles  peuvent  être  appcllées  Enigmes  \  ref- 
le  qu'eft  celle-a.  Le  Poète  décrit  les  agitations  du 
ftng  pendant  h  fièvre. 

Fi  Ct 


1^4       La  RHBTORiQjjiy  ou  l'âht 

Cefang  chaud  é^  bouillant  9  cette  flâme  liquide  f. 
Cette  four  ce  de  vie  à  ce  coup  homicide  j 
Enfin  lit  agité  ne  fi  peut  repofir  y 
Et  confime  le  champ  qu^elle  doit  arrofir» 
Dans  fis  canaux  troublez  fi  cour  fi  vagabonde 
Porte  un  tribut  mortel  au  Roi  au  petit  monde. 

Ce  dernier  Vers  partioilierementeft  fort  Enigma 
tiqué,  &  tout  d'un  coiip  on  ne  découvre  pas  qu( 
ce  Roi  eft  le  cœur  qui  eft  le  principe  de  la  vie ,  pa 
lequel  tout  le  fang  du  corps  pafle  continuellement 
Il  faut  faire  reflexion  fur  ce  qu'on  ditquerhomm< 
eft  un  petit  monde. 

LITOTE. 

Litote  ou  diminution  eft  un  Trope  par  Iequ« 
on  dit  moins  qu'on  ne  penfe,  comme  quant 
on  dit  :  Je  ne  fuis  vous  louer  :  laquelle  expreffioi 
eft  la  marque  d'un  reproche  fecret.    Je  ne  méprit^ 

()as  vos  préfins',  au  lieu  de  dire:  Je  les  reçois  vo 
ontiers. 

On  peut  rapporter  à  cette  figure  les  manière 
extraordinaires  de  repréfenter  la  baflefTe  d'une  cho 
fe  f  comme  le  fait  Ifaie  en  repréfcntant  ce  qu'd 
le  monde  entier  au  regard  de  la  grandeur  de  Dieu 
diap.  40.  Qui  eft  celui  9  dit-il  »  qui  a  mejuré  k 
gaux  dans  le  creux  de  pi  maim  &  qui  la  tenam 
étendue  »  a  pefé  les  deux  ?  Qui  fiùtient  dt  tm 
doigts  toute  la  majje  de  la  terre  »  qui  pefi  les  mo» 
tagnes  ^  &  rnet  les  collines  dans  la  balance  ?  El 
dans  le  même  Chapitre  ce  Prophète  parlant  en» 
core  de  la  grandeur  de  Dieu  :  t\ft  lui ,  dit-flj 
qui  s*ajjied  (ur  le  globe  de  la  terre  ,  ^  qui  \m 
tous  les  hommes  qu*elle  renfirme  comme  des  /autirti 
Us  l  qui  a  Jufpendu  les  deux  comme  une  toile  f  é 


DE  PAULIU.  Liv.IL  Chaf.III,        115 

fui  les  étend  comme  un  favtllon  qu*on  drejjefour  s*y 
retirer. 

H  y  P  E  R^B  0  L  E. 

L*Hyperboîe  eft^un  Tropc  quirepréfcntclcscho- 
fes  ou  plus  grandes ,  ou  plus  petites  Qu'elles  ne 
font  dans  la  vérité.    On  employé  les  Hyperboles 
lorfque  les  termes  ordinaires  font  ou  trop  foibles , 
ou  trop  forts;  &  qu'ils  ne  fe  trouvent  pas  propor- 
tionnez à  nôtre  idée:  ainii  craignant  de  ne  pas  afler 
dire  ,  on  dit  plus.    Comme  fi  je  veux  exprimer  la 
^iteflc  d'un  excellent  coureur;  je  dirai  qu'il  va  p/us 
rite  que  ie  vent     Si  je  parle  d'une  perfonne  qui 
marche  avec  une  extrême  lenteur  ;  je  dirai  qu'il 
marche  plus  ientemant  qu^une  tortue.     On  peut  dire 
que  ces  expreffions  font  des  menfonges  ;  mais  ces 
mcnfonges  font  fort  innocens,  puifqueleurfin  c'eft 
la  vérité;  comme  le  dit  Seneque:  Jn  boc  ornais  by- 
ptrbo/e  extenefitur  ut  ad  verum  menrlncio  ventât.    Ces 
Hyperboles  ,  comme  il  paroît  dans  les  exemples 
que  nous  venons  de  propofer ,  font  concevoir  que 
a  vitefle  de  l'un  eft  bien  grande ,  5c  que  la  lenteur 
de  l'autre  eft  extrême  ,  puifque  Ton  dit  du  pie- 
mier,  qu'il  \^ p/us  vite  que  le  vent\  &  de  l'autre, 
qu'il  marcbe plus  lentement  qu'une  tortue.  On  pardonne 
CCS  excès;  parce  qu'en  fe  fervant  de  termes  ordi- 
.naircs,  on  ne  diroit  pas  alTez  ,  il  etl  à  propos  de 
dire  plus  que  moins.  Conceditur  ampli  us  dit  ère ,  quia 
dici  quantum  ejl ,  non  poteji ,  meliufque  ultra ,  quàni 
àtraftat  oratio.     C'eft  pourquoi  Saint  Jean  n'a  pas 
ftit  de  difficulté  de  dire  à  la  fin  de  fon  Evangile  : 
y<p/»/  fi  fait  tant  d^autres  cbofes  ^  que  ft  on  Us  raf^por' 
fM  en  détail  y  je  ne  crois  pas  que  le  monde  entier  pût 
wttenir  les  Livres  qu'on  en  écrirait. 


F  3  JRO' 


Xi6       La  Rhstoriqjue,  ou  l'A&t 

IRONIE. 


I 


Ronic  cft  un  Tropc  par  lequel  on  dit  tout  1 

contraire  de  ce  que  Ton  penfe  ;  comme  quan 

on  appelle  komme  de  bien  une  perfonne  dont  L 

vices  font  connus.    Le  ton  de  la  voix  avec  leqi* 

on  prononce  ordinairement  les  Ironies ,  &  la  quj 

lité  de  la  perfonne  à  qui  on  fait  que  le  titre  qu'o 

lui  donne  ne  convient  pas ,  font  connoîtrc  la  pei 

fée  de  celui  qui  parle ,  comme  lorfque  le  Proph< 

te  Elie  difoit  aux  Prêtres  de  l'Idole  de  Baal,  qi 

invoquoient  à  haute  voix  cette  Idole  qui  ne  It 

pouvoit  entendre  :    Criez  plus  haut  ,  car  vùit 

Dieu  Baal  parle  peut  -  être  à  quelqu'un  ,    ou  il  ej 

en  chemin  9   ou  dans  une  Hôtellerie  :   il  dort  peut 

être  t  é^  il  a  befoin  qu*vn  le  réveille.     L'effet  d 

rironie  c'eft  de  faire  faire  attention  à  la  baflcff 

de  celui  qu'on  veut  faire  méprifer  ,  en  lui  don 

nant  des  louanges ,  &  difant  des  chofes  qui  ne  lu 

conviennent  point ,  &  ne  font  que  préparer  à  fen 

tir  fa  bafleffe.    Ce  feroit  un  menfonge  que  Tire 

nie  ,  fi  le  faux  à  fa  faveur  ne  devenoit  vrai,*di 

un  célèbre  Auteur.    C'eft  elle  qui  a  introduit  o 

que  nous  appelions,  contre  -  vérité  ^  &  qui  fait  qa< 

quand   on  dit  d'une  femme  libertine  &"  fcanda- 

leufe  ,  que  c'eft  une  très-honnête  perfonne  ;  tou 

le  monde  entend  ce  qu'on  dit,  ou  plutôt  cequ'oi 

ne  dit  pas ,  intelligitur  quod  non  dicitur.     Les  càit 

\re'Veritez  font  ce  que  les  anciens  Rhéteurs  nom- 

moient  Antipbrafe, 

CATACHRESE. 

CAtachrefe  eft  le  Trope  le  plus  libre  de  tous: 
on  prend  la  liberté  d'emprunter  le  nom  d'une 
chofe  toute  contraire  à  celle  qu'on  veut  fignificr, 

ne 


DI    PAELIU.   LivJI.  Cbaf.IV.  T17 

ne  le  pouvant  faire  autrement;  comme  lorfqu* on 
dit,  u»  cheval  ferré  tP  argent.  La  Raifon  rejette 
.cette  expreûîon  ;  mais  u  néceflité  oblige  de  s'en 
fervir.  AUtr  à  cheval  fur  un  bâton  \  Equitareinarun* 
âne  longa.  Un  bâton  n  eil  pas  un  cheval.  Ces  ex- 
preffions  enferment  une  contradidtion  »  mais  s'en- 
tend bien. 

Voilà  les  efpeces  de  Tropes  les  plus  confidera- 
blcs;  &  c'eft  à  ces  efpeces  que  les  Maîtres  rappor- 
tent tous  les  Tropes  dont  on  fe  peut  fer\'ir.  Jen*ai 
pas  prétendu  enfeigner  la  manière  d'en  trouver. 
Outre  que  l'ufage  en  fournit  un  trcs-§rand  nom- 
bre ,  dans  la  chaleur  du  difcours ,  on  lait  fe  fervir 
de  tout  ce  que  l'imagination  préfente  :  &  comme 
dans  la  palCon  on  ne  manque  jamais  d'armes,  par- 
ce que  la  colère  donne  l'adrelTe  de  s'armer  de 
tout  ce  que  l'on  rencontre ,  Furor  arma  mintfirat  ; 
lorfque   l'on   a  l'imagination  échauffée  ,    on  fe 
fcrt  de  tous  les  objets  qui  fe  trouvent  dans  la 
mémoire  pour  figniner  ce  que  l'on  veut  dire.    Il 
n'y  a  rien  dans  la  Nature  que  l'on  n'applique  à  la 
chofe  dont  on  parle  ,  8c  qui  ne  fourniffc  des  Tro- 
pes au  befoitt  >  lorfque  les  termes  propres  man- 
quent. 


Chapithe    IV. 
Les  Trofes  doivent  être  clairs» 

C'E  s  T  particulièrement  dans  les  Tropes  que  con-  n 
fiftent  les  richeffes  du  langage.  Auffi  comme 
le  mauvais  ufage  des  grandes  richeffes  caufe  le  de- 
«glement  des  Etats;  le  mauvais  ufage  des  Tropes 
cft  la  fource  de  quantité  de  fautes  que  l'on  commet 
dans  le  difcours  ;  c'eft  pourquoi  il  eft  important  de 
le  bien  régler.  Premièrement  l'on  ne  doit  employer 

F  4  lc$ 


Ii8        La  Rhetoriqui,  ou  l'Aut 

les  Tropes  que  pour  exprimer  ce  qu'on  n'auroit  pu 
lepréfenter  qulmparfaitcment  avec  des  termes  or- 
dinaires; &  lorfque  la  néceflité  oblige  de  s'en  fer*» 
VÎT,  il  faut  qu'ils  ayent  ces  deux  qualitez;  en  pre- 
mier lieu  qu'ils  foient  clairs  ,  &  faflent  entendre  ce 
qu'on  veut  dire,  puifque  l'on  ne  s'cnfert  que  pour 
rendre  le  difcours  plus  expreffif.  La  féconde  quali- 
té ,  c'cft  qu'ils  foient  proportionnez  à  l'idée  qu'ilr 
doivent  reveiller. 

Trois  chofes  empêchent  les  Tropes  d'être  clairs, 
la  première  s'ils  font  tirez  de  trop  loin  ,  &  pris 
de  chofes  qui  ne  donnent  pas  occafion  à  l'ame  de 
penfer  d'abord  à  ce  qu'il  faut  qu'elle  fe  repréfente 
pour  découvrir  la  penfée  de  celui  qui  parle  :  com- 
me fi  on  appelloit  une  maifon  de  débauche ,  les 
;ijrrtes  de  la  jeunefle  ,  on  ne  pourroit  pénétrer  le 
.  fens  de  cette  Métaphore ,  qu'après  avoir  rappelle 
dans  fa  mémoire  que  les  fyrtcs  font  des  bahcs  de 
fable  proche  de  l'Afrique  fort  dangereux  ,  ce  que 
tout  le  monde  ne  fait  pas  ;  au  lieu  qu'en  nom- 
mant cette  maifon  l'écueil  de  la  jeunelTe ,  ce  que    ■ 
l'on  a  voulu  fignifier,  eft  auflî-tôt  apperçû.  Il  n'y  a 
perfonne  qui  ne  comprenne  d'abord  ce  qu'on  a  voulu 
dire. 

Pour  éviter  ce  défaut ,  on  doit  tirer  les  Méta- 
phores de  chofes  fenfibles  qui  foient  fous  les  yeux, 
&  dont  l'image  par  conféqucnt  fe  préfente  d'elle- 
même  fans  qu'on  la  cherche.     l:.n  voulant  indi- 
quer une  perfonne,  dont  le  nom  ne  m'eli: pas  con- 
nu ,  je  me  rendrois  ridicule  fi  je  me  fervois  de 
certains  fignes  obfcurs  qui  ne  donneroient  aucu- 
ne occafion  facile  à  ceux  qui  m'écouteroient ,  defe 
former  une  idée  de  cette  perfonne.   Mais  ce  défaut 
que  l'on  évite  avec  tant  de  foin  dans  la  converfation, 
efl  recherché  comme  une  vertu  par  un  trcs-grand 
nombre  d'Auteurs.    Il  y  a  des  perfonnes  qui  pren- 
nent plaifir  à  faire  venir  de  loin  toutes  leurs  Méta- 
phores, 


BS  PAftLSH.  Lh.II.  Cbap.  IV,         îlp 

phores ,  &  qui  les  empruntent  de  chofes  incon- 
nues ,  pour  faire  paroître  Içur  érudition.  S'ils  par- 
lent d'une  Province  ,  ils  lui  donnent  par  Syneato- 
cbe  le  nom  d'une  de  fes  parties  qui  fera  la  moins 
connue.  Leurs  Tropes  viennent  tous  du  fond  de 
TA  fie ,  de  T  Afrique.  Il  faut  pour  les  entendre  fa- 
voir  le  nom  des  plus  petits  villages  ,  de  toutes  les 
fontaines ,  de  toutes  les  collines  du  pais  dont  ils 
parlent.  Ils  ne  nomment  jamais  une  perfonne  par 
fon  nom ,  mais  par  celui  de  l'ayeul  de  fes  ayeuls, 
ftifant  une  vaine  montre  des  connoifTances  qu'ilsont 
de  TAntiquité. 

La  Sageffe  divine  qui  s^accommode  à  la  capaci- 
té des  hommes ,  nous  donne  un  exemple  dans 
les  divines  Ecritures  de  ce  foin  qu'on  doit  avoir  de 
fc  fervir  des  chofes  connues  à  ceux  qu'on  inftruit , 
ïorfqu'il  eft  queftion  de  leur  faire  comprendre 
quelque  chofe  de  difficile.  Ceux  qui  ont  Fcfprit 
petit ,  &  qui  cependant  ofent  critiquer  l'Ecritu- 
re, condamnent  les  Métaphores  &  les  Allégories 
qui  y  font  prifes  des  champs,. des  pâturages,  des 
brebis  ,  des  chaudières  &  des  marmites.  Ils  ne 
prennent  pas  garde  que  les  Ifraëlites  étoient  tous 
bcrgen ,  &  qu'ainfi  il  n'y  avoit  rien  qui  leur  fût 

flus  connu  que  le  ménage  de  la  campagne.  Les 
•rêtres  ,  à  qui  l'Ecriture  s'adreflbit  particulière- 
ment ,  étoient  perpétuellement  occuper  à  tuer 
des  bêtes  dans  le  Temple ,  à  les  écorcher ,  &  à  les 
faire  cuire  dans  les  grandes  cuifmes  qui  étoient 
autour  du  Temple.  Les  Ecrivains  facre'^  ne  pou- 
voient  donc  pas  choifir  des  chofes  dont  les  images 
fc  préfentafTent  plus  facilement  à  l'efprit  des  Ifraëli- 
lites. 

2.  L'idée  du  Tropc  doit  être  tellement  liée  avec 
celle  du  nom  propre ,  qu'elles  fe  fuivent ,  &  qu*en 
excitant  l'une  des  deux  ,  l'autre  foit  renouvelée. 
Ce  àéSxoX  de  liaifon  ell;  la  féconde  diofe  qui  rend 

F  s  les 


î3^       La  Rbitorique,  ou-l'Art 

les  Tropcs  obfcurs»  Cette  liaifon  eft  ou  nature 
ou  artificielle.  J'appelk  liaifon  naturelle  celle 
fc  trouve  lorfque  les  chofes  fignifiées  par  les  no 
propres ,  &  par  les  Métaphoriques ,  ont  un  rap] 
fi  naturel  ,  qu'elles  fe  reflemblent  ,  &  qu'elles 
pendent  les'unes  des  autres:  comme  quand  on  di; 
aun  homme  ,  qu'il  a  les  bras  d'airain ,  pour  diip' 
que  fes  bras  font  forts:  on  peut  appeller  naturdfc' 
la  liaifon  qui  eft  entre  ce  Trope  &  fon  nom  propre. 
J'appelle  liaifon  artificielle  celle  qui  a  été  faite  pf^ 
rufagc.  C'eft  la  coutume  d'appcUer  un  Arabe  ail 
homme  avec  lequel  on  ne  peut  traiter:  c'eilun  to- 
me ufité  ,  la  coutume  qu'on  a  de  s'en  fervir  dans 
ce  fens ,  fait  que  l'idée  de  ce  mot  Arabe,  révcilk 
celle  d'un  homme  intraitable.  Une  liaifon  artŒr 
cielle  eft  plutôt  apperçûe  qu'une  liaifon  naturdlc» 
parce  que  cette  première  ayant  été  établie  par  Fufir 
ge ,  on  y  eft  accoutumé. 

3.  L'ufage  trop  fréquent  êit%  Tropes  eft  la  troi- 
£éme  chofe  qui  les  rend  obfcurs.  Les  Metapluh 
jes  les  plus  claires  ne  fignifient  les  chofes  qu'indi- 
redement.    L'idée  naturelle  de  ce  que  l'on  n'cxr 

frime  que  par  Métaphore,  ne  fe  préfente  point i 
efprit  qu'après  quelque  reflexion;  on  s'ennuycdc 
toutes  ces  reflexions,  &  l'on  fouhaite  que  celui  que 
l'on  écoute  épargne  la  peine  de  deviner  fes  pcar 
ïtts.  Mais  quand  nous  condamnons  le  trop  fréquent 
ufage  des  'Tropes ,  nous  parlons  de  ceux  qui  iû||t 
extraordinaires.  Il  y  en  a  qui  ne  font  pas  moai 
ufitez  que  les  termes  naturels  ;  ainfi  ils  ne  peuvent 
jamais  obfcurcir  le  difcours. 

L'on  ne  doit  jamais  fe  fervir  d'exprefîions  Mft* 
taphoriques  qui  ne  foient  pas  ordmaires  ,  fans  f 
avoir  préparé  les  Ledeurs.  Un  Tropc  doit  être 
précédé  de  chofes  qui  les  empêchent  de  prendre 
le  change  ;  &  la  fuite  du  difcours  leur  doit  £ûce 
connoître  qu'il  ne  faut  pas  s'airêter  à  l'idée  nattir 


L 


»t  pAftLtK.  Lfv.IL  Ckâf.V.  131 

KHe  que  préfentent  les  termes  que  Ton  emi^yc. 
A  moins  que  d*être  extravagant ,  ou  de  vouloir 
pendre  plaifîr  à  n*être  pas  entendu  ,  c-n  ne  conti- 
nue point  depuis  le  commencement  d'un  dilcours 
ou  d'un  livre  jufqu*à  la  fin  ,  dans  de  perpétuelles 
Allégories.     Nous  ne  pouvons  connoure  la  pen* 
tk  d'un  homme  que  lorfqu'il  nous  en  donne  , 
an  moins  quelquefois ,  des  ugnes  naturels ,  &  qui 
ne  font  point  équivoques.    Comment  favons-nous 
qu'une  perfonne  fe  joue ,  &  ne  parle  pas  féneufe- 
ment ,  finon  parce  que  nous  l'avons  vu  féricux 
dans  d'autres  occafions?  Comment  diftingue-t-on 
un  bateleur  qui  fait  le  fou  ,  d'avec  un  fou  veri- 
taUe  ?  N'eft-ce  pas  parce  que  l'on  voit  que  ce 
bâtdcur  ne  joué  ce  perfonnage  que  pendant  un 
peu  de  temps ,  &  qu'un  fou  eft  toujours  fou? 
Quand  donc  on  prétend  qu'un  Auteur  n'a  ja- 
mais exprimé  fes  penfées  que  par  des  Metapho- 
les  9  on  le  juge  capable  d'une  extravagance  qui 
eft  prefque  inouïe  ,  à   moins  que  quelque  trait 
de  politique  ne  l'obligeât    à   obfcurcir  fon  dif- 
cours. 


Chapitre    V. 

Lu  Trcpes  Mvent  être  proportionnez  à  Pîdé^ 
qu'on  veut  donner.     Cette  idée  doit  être 

ruifonnable. 

T  'Usage  des  Tropes  eft  abfolument  néceflai- 
^rc,  parce  que  ,  comme  nous  avons  die,  les 
mots  ordinaires  ne  fuflSlent  pas  toujours.  Si  je 
veux  donner  l'idée  d'un  rocher  dont  la  hauteur  çft 
extraordinaire  ;  ces  termes  grand  ,  haut ,  élevé , 
^  fc  donnent  aux  rochers  d'une  hauteur  com- 
mune y  n'en  feront  qu'une  peinture  imparfaite  : 

F  6  "   mais 


131        La  Rmïtorique  ,  ou  l'Aut 

mais  difant  que  ce  rocher  femble  menacer  le  Ck 
ridée  du  Ciel  qui  cft  la  chofe  la  plus  élevée  i 
toute  la  Nature  ,  l'idée  de  ce  mot  menacer ,  qi 
convient  à  un  homme  qui  efl  au-deflus  des  ai 
très  ,  forme  l'idée  de  la  hauteur  extraordinai: 
que  je  ne  pouvois  exprimer  d'une  autre  mani 
re  que  par  cette  hyperbole.  On  dit  plus ,  < 
crainte  de  ne  pas  dire  aflez.  Mais  il  faut  appo 
ter  beaucoup  de  tempérament  dans  ces  exp« 
fions,  &  prendre  garde  qu'il  y  ait  toujours  qu< 
que  proportion  entre  l'idée  naturelle  du  fr 
pc  ,  &  celle  que  l'on  a  deflein  de  donner  ;  a 
trement  ceux  qui  écoutent  s'imaginent  toute  a^ 
tre  chofe  que  ce  que  penfe  l'Auteur.  Si  en  pa 
lant  d'une  vallée  médiocrement  profonde ,  onc 
qu'elle  va  jufques  aux  Enfers  5  u  en  parlant  d'i 
rocher  qui  eft  peu  élevé  ,  on  dit  qu'il  t»ucke  - 
deux  5  qui  ne  croira  pas  que  l'on  parle  d'ui 
vallée  d'une  profondeur  prodigieufe  ,  &  d'un  r 
cher  d'une  merveilleufe  hauteur  ?  Il  faut  f 
tout  prendre  garde  que  le  Trope  ne  donne  ui 
idée  toute  contraire  à  celle  qu'on  veut  donne 
&  que  voulant  faire  pleurer ,  on  ne  fafle  rire , 
la  Métaphore  dont  on  fe  fert  donnoit  une  idée  i 
dicule  ,  comme  celle-ci:  M9rt§  Catonis  Refpubli 
cajlrata  ejl* 

Il  y  a  mille  moyens  de  tempérer  les  exj^c 
fions  hardies  dont  on  eft  quelquefois  contraii 
de  fe  fervir.  On  y  peut  apporter  ces  adoudff 
mens  :  Pour  ainfl  dire  î  fi  j'ofe  me  fervir  de  c 
termes  ;  pour  m' exprimer  plus  hardiment  ;  prév< 
nant  ainfi  le  Ledleur  ,  lorfqu'on  a  foin  de  fa  r 
putation  :  car  il  eft  évident  que  le  mauvais  uf 
ge  des  Tropes  eft  une  marque  d'une  imagin 
.  tion  déréglée.  Ces  grandes  expreffions  font  h 
marques  de  nos  jugemens  &  de  nos  paffion 
Lorfque  les  objets  nous  paroiâent  rares ,  &c  qi 

no 


Mt  PktiitIL.  th.tl.  Cbap.V.         T33 

nous  les  jugeons  tels  »  foit  pour  leur  bafleffe  >  fok 
pour  leur  extrême  grandeur,  pour  lors  nous  refTen- 
tons  des  mouvemens  d'eilime  ou  de  mépris  ,  de 
haine  ou  d'amour ,  que  nous  exprimons  par  des 
paroles  proportionnées  à  nôtre  jugement  &  à  nô- 
tre paffion.  Si  le  jugement  que  nous  avons  formé 
de  ces  objets  eft  donc  mal  fondé  ,  û  les  fentimens 
que  nous  en  avons  conçus  font  déraifonnablcf , 
nôtre  difcours  nous  trahit ,  &  découvre  nôtre  foi- 
bleffe.  Ainfi  ce  n'cft  pas  alfcz  que  les  Tropes 
foient  proportionnez  à  nos  idées  ;  mais  il  faut 
que  ces  idées  foicht  juftes.  Les  hommes  n'aiment 
que  les  grandes  choies  ;  c'eft  pourquoi  les  Auteurs 

2ui  prennent  pour  fin  &  pour  règle  de  leur  art  la 
itisfeftion  de  leurs  Lcdeurs ,  affeélent  de  n'em- 
ployer que  de  grands  mots ,  que  de  riches  Méta- 
phores, que  des  Hyperboles  hardies;  mais  ils  pa- 
roifent  ridicules  à  ceux  qui  favent  juger.  Les  per- 
(oDnes  raifonnables  ne  peavent  fouffrir  qu'un  hom- 
me regarde  d'un  même  œil  les  petites  &  les  gran- 
des chofes;  que  tout  lui  paroifle  grand  ;  qu'il  efti- 
mc  auffi-bien  une  bagatelle  ,  que  la  chofe  la  plus 
fcrieufe  &  la  plus  importante,  &  qu'il  parle  de  tout 
avec  un  ftile  égal. 

n  faut  néanmoins  diftinguer  fi  c'eft  dans  la  paf- 
fion qu'il  piirle  ;  car  c'eft  avec  fujet  que  Plutarquc 
l'a  dit ,  que  la  paffion  eft  comme  un  nuage ,  au  tra- 
vers duquel  leis  chofes  paroiflent  plus  grandes.  Ainfi 
les  Hyperboles  les  plus  hardies  peuvent  être  prô- 
portionées  à  l'idée  de  celui  que  la  paffion  fait  par- 
ler. Mais  encore  une  fois  ,  fon  idée  doit  être  rai- 
fonnable  ;  c'eft  pour  cela  qu'on  ne  peut  excufcr 
l'Hyperbole  de  l'Epigrammc  fuivante  de  Martial 
fur  le  Palais  de  Domitien  :  c'eft  une  flatterie  dérai- 
fonnable. 


F  7  Quanél 


\ 


134       L^  Rhitouxqjji,  ou  l'Ailt 

^htanJl  je  vois  ce  Palais  que  tout  le  monde  admire  l 

Loin  de  l^admirer .  jefoupire 
'  De  le  voir  ainfi  limité. 

Quoi  l  prèfcrire  à  mon  Prince  un  lieu  qui  k  rejfirre  f 

Une  fi  grande  Majefté 

A  trop  peu  de  toute  la  terre. 


"'•rr 


Chapitre    VL 

Utilité  des  Jropes, 

X  T  Es  Tropes  font  une  peinture  fenfible  de  la 
i-'chofe  dont  on  parle.  Quand  on  appelle  un 
grand  Capitaine  un  foudre  de  gutrre  ,  l'image  du 
foudre  reprelentefenfiblement  la  force  avec  laquel- 
le ce  Capitaine  fubjugue  des  Provinces  entières,  la 
yiteffe  de  les  conquêtes  >  &  le  bruit  de  fa  repiua- 
tion  &c  de  fes  armes.    Les  hommes  pour  rordinai- 

^'je  ne  font  capables  de  comprendre  que  les  chofes 
qui  entrent  dans  refprit  par  leslens.  Pour  leur  fai- 
re concevoir  ce  qui  eft  fpirituel ,  il  fe  faut  fervir  de 
comparaifons  fenlibles  ,  qui  font  agréables  ,  parce 
qu'elles  loulagent  l'efpnt ,  &  l'exemptent  de  TappU- 
^tion  qu'il  faut  avoir  pour  découvrir  ce  qui  ne 
.tombe  pas  fous  les  fens.  Ç'eit  pourq\)oi  lies  ex*- 
preûlons  Métaphoriques  prifes  des  choies  &nfiUês^ 
îbnt  très-frequentes  dans  les  faintes  Ecritures.  Lorf» 
.que  les  Prophètes  parlent  de  Dieu  ,  ils  fc  fervent 
continuellement  de  Métaphores  tirées  de  chofes  cx- 
poiees  à  nos  fens ,  comme  nous  l'avons  déjà  remar- 
qué. Ils  donnent  à  Dieu  des  bras ,  des  mains ,  des 
yeux ,  ils  rju-mçnt  de  traits ,  de  carreaux  ,  de  fou- 
dres ,  pour  fiiire  comprendre  au  peuple  fa  puiflànr 
ce  invifible  &  fpirituelle  par  des  chofes  fenfibles  & 
corporelles.    Saint  AugulUn  dit  pour  cette  raifon, 


SI  PAUL  su.  Liv.ll.  Cbaf.VL        i^j 

que  la  ûigeife  de  Dieu  n*a  pasxiédaigné  de  jouer  en 
quelque  manière  avec  nous  qui  fômnies  des  cnfiins, 
aux  paraboles  &  aux  iimilitude$.  Sapiemia  Dei  qum 
tum  infantU  nopra  faraboHs  &  fimitttudinibus  quo^ 
iunmuàQ  ludere  non  dedignata  ejl  >  Propbetas  volm$ 
humano  nwre  de  divinis  loqui ,  ut  btbetes  bwninumamim 
mi  divina  &  cœlejiia,  terrejîrium  fimititudine  inteiH" 
gtrent. 

Une  feule  Métaphore  dit  fouvent  plus  qu'un 
long  difcours.  Quand  on  dit ,  par  exemple ,  que 
ks  Jciences  ont  des  recoins  é^  des  enfoncemens  fort  peu 
utiles.  Cette  feule  Métaphore  renferme  un  l'ens  que 
plufieurs  expreffions  naturelles  ne  peuvent  faire 
comprendre  d*une  manière  auflî  feniible.  Outre 
cela  par  le  moyen  desTropes  on  peut  diverfifier  le 
difcours.  Parlant  long-tems  fur  un  même  fujet, 
pour  ne  pas  ennuyer  par  une  répétition  trop  fré- 
quente des  mêmes  mots,  il  eft  bon  d'emprunter  les 
noms  des  chofcs  qui  ont  de  la  liaifon  avec  celle 
qu  on  traite  ,  &  de  les  fignifier  ainfi  par  des  Tro- 
pes  qui  foumiflent  le  moyen  de  dire  une  même 
chofe  en  mille  manières  différentes. 

La  plupart  de  ce  qu  on  appelle  expreffions 
cfaoifies  ,  tours  élegans  ,  ne  font  que  des  Meta- 

Shores,  desTropes,  mais  naturels,  &  fi  clairs,  que 
îs  roots  propres  ne  le  feroient  pas  davantage. 
Auffi  nôtre  langue ,  qui  aime  la  clarté  &  la  naive>- 
té  j  donne  toute  liberté  de  s'en  fervir  ;  &  on  y  eft 
tellement  accoutumé ,  qu'à  peine  les  diftingue-t-on 
des  e:içpreirions  propres ,  comme  il  paroit  dans 
<ïlles-d  qu'on  donne  pour  des  expreflions  choi- 
fies  :  Il  faut  que  la  complaifance  ète  à  la  feverit^ 
ce  qu'elle  a  d*amer  \  &  que  la  feverité  donne  quelquâ 
éofe  de  piquant  à  la  complaifance ,  &c.  La  fageâe 
la  plus  amlere  ne  tient  pas  long-tems  contre  de 
grandes  l^rgeifes  ;  de  les  âmes  vénales  fe  laiifent 

ibleutr  par  l'édat  de  l'or.    Les  dépits  déltint  la 

Jaiû- 


I 

136       La  Rhétorique,  ou  l'Art 

langue  des  amans.  Ces  Métaphores  font  un  grand 
ornement  dans  le  difcours  ;  mais ,  comme  je  l'ai 
dit ,  il  faut  en  ufer  avec  retenue  ,  autrement  on 
tombe  en  ce  qu'on  appelle  difcours  précieux ,  af- 
feélé  ,  qui  ne  confille  que  dans  un  mauvais  ufage 
des  Tropes ,  comme  dans  cette  expreffion  d'une 
précieufc  ridicule ,  qui  en  parlant  de  ceux  qui  ont 
du  goût  &  du  difcernement,  difoit  des  gens  qui  fa* 
vent  Jarre  un  dbux  accueil  aux  heautez  d^un  ouvrage , 
et  par  de  chatouilîantes  approbations  vous  régaler  de 
vôtre  travail.  C'eft  le  vice  des  petits  génies  ,  qui 
yne  fe  pouvant  diftinguer  par  des  penfées  nobles, 
/^tâchent  de  le  faire  par  des  manières  de  parler  ex- 
traordinaires. 


1  Chapitre    VIL 

Les  pajftons  ont  un  langage  particulier.     Les  ex^ 

prejjkns  qui  font  les  car aéf  ères  des  fajftons  > 

font  appeliez  figures. 

OUtre  ces  expreffions  propres  &  étrangères^ 
que  l'ufage  &  l'art  fourniffent  pour  être  les 
fignes  des  mouvemens  de  nôtre  volonté  auffi-bien 
que  de  nos  penfées ,  les  palTions  ont  des  caraderes 
particuliers  avec  lefquels  elles  fe  peignent  elles-mê- 
mes dans  le  difcours.  Comme  on  lit  fur  le  vifage 
d*un  homme  ce  qui  fe  pafle  dans  fon  cœur;  que  le 
feu  de  fes  yeux ,  les  rides  de  fon  front ,  le  change- 
ment de  couleur  de  fon  vifage  ,  font  les  marques 
évidentes  des  mouvemens  extraordmaires  de  fon 
ame  ;  les  tours  particuliers  de  fon  difcours ,  les  ma- 
nières de  s'exprhner  éloignées  de  celles  que  Ton 
garde  dans  la  tranquillité ,  font  les  fignes  &  les  ca- 
raélcres  des  agitations  dont  fon  efprit  cil  ému  dans 
Iç  tems  qu'il  parle. 

Lef 


DE  PARLlR.  LivJL  Cbap.  VIL        137 

Les  paffions  font  que  Ton  confîdere  les  chofet 
(Tune  autre  manière  que  Ton  ne  hit  dans  le  repos 
&  dans  le  calme  dé  lame  :  Elles  groffiifent  les  ob- 
jets, elles  y  attachent  l'efprit  ;  ce  qui  fait  qu'il  en 
til entièrement  occupé,  &  aue ces  objets  font  pref- 
lae  autant  d'impreflion  fur  lui ,  que  ïcs  chofcs  mè- 
nes. Les  paffions  produifent  louvent  des  effets 
x)ntraires  ;  elles  emportent  Tamc ,  &  la  font  paffcr 
a  un  inftant  par  des  changemens  bien  differens. 
Tout  Jun  coup  elles  lui  font  quitter  la  confidera- 
ion  d  un  objet  pour  en  voir  un  autre  qu'elles  lui 
rcfcntent  ;  elles  la  précipitent  ;  elles  1  interrom- 
pent ;  elles  la  tournent  ;  en  un  mot ,  les  paffions  fônt 
lans  le  cœur  de  Thomme  ce  que  font  les  vents  fur 
amer,  qui  tantôt  pouffent  fes  eaux  vers  le  rivage, 
antôt  les  font  rentrer  dans  fon  fein  ;  &  prefquc 
lans  le  même  inftant'  relèvent  jufqu'au  Ciel ,  & 
'emblent  la  faire  defcendre  jufques  au  centre  de  la 
erre. 

Ainfi  les  paroles  répondant  à  nos  penfées ,  le 
tours  d'un  homme  qui  eftémû  ne  peut  être  égal. 
Quelquefois  il  eft  diffus ,  &  il  fait  ime  peinture 
exade  des  chofes  qui  font  l'objet  de  fa  paffion  :  il 
tïtlamême  chofe  en  cent  façons  différentes.  Une 
autre  fois  fon  difcours  eft  coupé ,  les  expreffions 
en  font  tronquées  ;  cent  chofes  y  font  dites  à  la 
fois  :  il  eft  entrecoupé  d'interrogations ,  d'excla- 
mations; il  eft  interrompu  par  de  fréquentes  di- 
greflions  ;  il  eft  diyerfifié  par  une  infinité  de  tours 
particuliers ,  &  de  manières' de  parler  différentes. 
Ces  tours  &  ces  manières  de  parler  font  auffi  faci- 
les à  dirtinguer  d'avec  les  façons  de  parler  ordinai- 
resf;  que  les  traits  d  un  vifagé  irrité  d'avec  ceux  d'un 
vifage  doux  &  tranquille. 

On  voit  facilement  dans  le  difcours  de  Didon 
combien  elle  eft  animée.  Cette  Reine  parle  à  Enée 
après  qu'il  lui  a  déclaré  fa  rcfolution  de  quitter 

•         ^^Car- 


138        La  Rhetoriqjje,  ou  l'Aet 

Carthage ,  que  les  Dieux  l'avoient  obligé  de  pren- 
dre. Un  as  nos  Poètes  la  fait  ainfi  parler  en 
François,  * 

* 

p  Endant  qu^il parle  aînji  9  Didon  de  toutes  parts 

Jette  conjupment  inille  incertains  regards , 
Et  Tans  daigner  jamais  baijjer  fur  lui  la  vuèt 
plk  entrevoit  pourtant  Jon  aine  toute  nu'éy 
Mais  ne  voyant  plus  rien  qui  le  put  arrêter  > 
Le  dépit  en  ces  mots  la  force  d^ éclater. 
Non  y  cruel,  tu  n"*  es  point  le  fils  eVui^e  Déeffe , 
Tufùças  en  naijfant  le  lait  d*une  tjg'reffe: 
Et  Je  Caucafe  affreux  f  engendrant  en  couroux  ^ 
Te  fit  Pâme  &  le\oeur  plus  durs  que  fes  cailloux. 
Car  qu'haï -je  à  ménager ,  &  quai  je  plus  à  crêith 

drei 
A  quoi  bon    deguifer  >   &  pourquoi   me   contrain- 
dre ? 
Mes  plaintes  >  mes  regrets ,  é*  tout  mon  dêplaifir 
Ont-ils  pu  de  fon  cœur  an'acher  un  foupir  l 
Mes*  ji eux  noyez  de  pleurs  pour   toutes  mes  aUif' 

mes 
Ont' ils  va  de  fesyeux  couler  les  moindres  larmes  i 
Et  fin  ame  infenfible  aux  traits  de  la  pitié 
A -t- elle  d^un  regard  flatté  mon  amitié  î 
Grands  Dieux,  pourrez-vous  voir  de  la  voûte  été 

lée 
La  foi  fi  lâchement  à  vos  yeux  violée  t 
Helas\  en  qui  peut- on  s\ijjurer  déformais  f 
Ah  l  qu'on  fe  fie  à  tort  à  la  foi  des  bienfaits  l 
Qui  Peut  jamais  penfé  qu^un  traitement  fi  rude 
Eût  payé  mes  faveurs  de  tant  d^ingratitude  ? 
Ne  tefouvient  il  plus ,  perfide  9  de  ce  jour 
Que  pâle  &  tout  tremblant  tu  parus  à  ma  Cour  i 

Qu*t 

.  ^  Boiletn ,  Contrôlcar  d«  rArg«nteiIe  da  ILoi  »  fiete 
celui  9Hi  «  coiDpofé  les  Satyies* 


dIi  p  AR  L  £&•  Liv.  IL  Ckaf,  VIL       139 

Qu'incor  tout  effrayé  dts  horreurs  du  naufrage ^ 

Mb  pitié  mit  ta  flotte  à  l'abri  de  V or  âge  ; 

h  que  me  demandant  fecours  en  ton  maibeur^ 

Avteque  ce  fecours  je  te  donnai  mon  cœur  t 

0  ciel  î  qui  neferoit  tranjforté  de  furie  ^ 

Quand  à  Pimpieté  joignant  la  raillerie  , 

//  veut  pour  colorer  fan  départ  de  ces  lieuse 

Rendre  defon  forfait  coupables  tous  les  Dieux  \ 

Et  i&jfque  pour  aider  à  couvrir  Pimpofture 

Il  vient  nous  effrayer  des  ordres  de  Mercure  f 

Certes^  les  Dieux  là- haut  fer  oient  bien  de  loifir 

Si  des  fouets  Ji  bas  aiteioient  leur  plaifir. 

Bé  bien ,  ingrat ,  bé  bien ,  fuis  donc  ces  vains  Ont* 

des. 
fy  confens  de  hn  cœur  ,  é»  »>  fais  phts  d*$bfta* 

clef. 
Va  malgré  les  bjvers  &  tes  lUcbes  fermons '^ 
Expier  ta  fortune  à  la  merci  des  vents, 
hut-être  que  la  mer  ouvrant  cent  précipices  9 
A  ta  punition  offrira  cent  fupplices, 
Akrs  en  vain ,  alors ,  fur  la  fin  de  tes  jours 
T»  voudras  appeller  Didon  à  ton  fecours, 
des  feux  de  mon  bûcher  j^ir ai  juf qu'en  Pabîme 
Allumer  dans  ton  cœur  les  remords  de  ton  crime  ^ 
h  mon  ombre  par  tout  tefu'rvant  pas  à  pas , 
Te  montrera  par  tout  ton  crime  &  ton  trépas  i 
Etjufques  dans  PEnfer  faifant  vix^re  ma  haine  ^ 
Mon  ame  chez  les  morts  jouira  de  ta  peine. 

Ces  Tours  qui  font  les  caraâcrcs  que  les  paf- 
fions  tracent  dans  le  difcours ,  font  ces  figures  cé- 
lèbres dont  parlent  les  Rhéteurs  ,  &  qu  ils  défi- 
ûiflcnt  des  manières  de  parler  éloignées  de  celles  qui 
fint  naturelles  &  ordinaires  :  c*eft-à-dire  différentes 
de  celles  qu'on  employé  quand  on  parle  fans  émo- 
tion. Cette  définition  n  a  rien  d'obfcur  ,  &  qui 
Mérite  une  plus  longue  explication.    Nous  allons 

voir 


T40        La  Rhetoriqui,  ou  l*A&t  ' 

voir  Tavantage  &  la  néccffité  de  Tufagc  de  ces  fi- 
gures. 

Chapitre    VIII. 
Les  figures  font  utiles  et  nécejf aires, 

V 

TRois  raifons  obligent  particulièrement  à  s'en 
fervir.  Premièrement ,  quand  on  fait  parler  une 
perfonne  émue  de  quelque  paffion ,  fi  on  veut  fai- 
re une  peinture  exade  de  cette  pallion  ,  on  doit 
.donner  à  fon  difcours  toutes  les  figures  propres,  & 
le  tourner  en  la  manière  qu'une  perfonne  animée 
d'un  mouvement  femblable ,  figure  &  tourne  fot 
difcours.  Les  habiles  Peintres ,  pour  exprimer  les 
penfées  &  les  mouvemens  de  ceux  dont  ils  font  le 
portrait ,  donnent  à  leurs  images  tous  les  traits  qui 
ne  manquent  jamais  de  fuivre  ces  penfées  ,  &  ces 
mouvemens ,  dont  par  confequent  ils  font  les  in- 
dices. 

Les  paffions ,  comme  nous  avons  dit ,  fe  peignent 
elles- mên«s  dans  les  yeux  &  dans  les  paroles.  Les 
expreffions  de  la  colère  &  de  la  gaieté  ne  peuvent 
être  femblables  :  ces  paffions  ont  des  caraéleres  dif- 
ferens.  C'eft  donc  en  vain  qu'on  prétend  les  rcpré- 
fenter  ou  par  des  couleurs ,  ou  par  des  paroles,  S 
l'on  n'exprime  dans  la  peinture  &  dans  le  difcouB 
les  traits  &  les  figures  par  lefquelles  elle'stfc  diftin- 
guent  elles  mêmes  les  unes  des  autres. 

La  fecpnde  raifon  elt  encore  plus  forte  pour 
.  prouver  l'avantage  &  la  neceffité  de  l'ufage  des  fi- 
gures. On  ne  peut  pas  toucher  les  autres ,  fi  on  ne 
paroît  touché. 

—  Si  vis  meflere  doîendum  ejl 
Primùm  ipfi  tibi. 

La 


Dl  PA&L1&.  L'rv.IL  Châp.VIlI.       141 

Les  hommes  ne  peuvent  remarquer  que  nous 
imes  touchez ,  s'ils  n  apperçoivent  dans  nos  pa- 
sles  marques  des  émotions  de  nôtre  ame.  Ja- 
is on  ne  concevra  des  fentimens  de  compaflion 
ir  une  perfonne  dont  le  vifage  ell  riant  :  il  faut 
»ir  des  yeux  abbatus  ou  baignez  de  larmes  pour 
fer  ce  lentiment.  Il  faut  parla  mcme  raifonque 
lifcours  porte  les  marques  des  paiTions  que  nous 
entons  »  &  que  nous  voulons  communiquer  à 
X  qui  nous  écoutent. 

ues  hommes  font  liez  les  uns  avec  les  autres  par 
i  merveilleufe  fympathie ,  qui  fait  que  n^turel- 
aent  ils  fe  communiquent  leurs  Mflions ,  com- 
:  nous  lavons  déjà  obfervé.    Nous  nous  revé- 
ns  des  fentimens  &  des  affeéHons  de  ceux  avec 
i  nous  vivons  ,  à  moins  qu'il  n'y  ait  quelque 
iftade  qui  arrête  le  cours  de  la  nature  ;  êc  cela 
fait ,  parce  que  nôtre  corps  cft  tellement  difpo- 
,  que  la  feule  idée  d'une  perfonne  en  colère  re- 
uë  nôtre  fang  ,  &  nous  donne  quelque  mouve- 
cnt  de  colère.  Une  perfonne  qui  fait  paroître  de 
triflefTe  fur  fon  vifage  ,  donne  de  la  triftcflc  ;  fi 
le  donne  quelque  marque  de  joie ,  ceux  qui  s'en 
jpcrçoivent  prennent  part  à  fa  joie.     C'eft  un  s 
ret  merveilleux  de  la  fagefle  de  Dieu ,  aui  nous  a 
it  premièrement  pour  lui;  &  en  fécond  lieu ,  les 
QS  pour  les  autres*    Car  comme  les  pafHons  font 
pr  l'ame  pour  rechercher  le  bien  &  éviter  le  mal , 
.  nature  par  cette  fympathie  nous  porte  à  com- 
ittrc  le  mal  qui  attaque  ceux  avec  qui  nous  vi- 
ens,  &  à  leur  procurer  le  bien  qu'ils  fouhaitent. 
^fi  puifque  nous  ne  parlons  prefque  jamais  que  " 
•our  communiquer  nos  affeétions  auffi-bien  que 
los  idées  ,  il  elt  évident  que  pour  rendre  nôtre 
lifcours  efficace  il  faut  le  figurer  ;  c*eft-à-dîre  qu'il 
^feut  donner  les  caraéteres  de  nos  aflèébons, 
lui  fe  communiquent  »  comme  nous  vtnbns  de 

te 


i 


141       La  Rhitork^ue,  ov  l'Aet 

le  dire ,  à  ceux  qui  nous  entendent  parler 
qu'elles  paroiflent.  Outre  cela  ,  comme  les  r 
vemens  des  paillons  font  toujours  agréables,  q^ 
ils  font  modérez,  c*eft-à-dire,  ou'ils  ne  font  i 
accompagnez  de  quelque  grande  douleur ,  o 
me  un  ducours  animé ,  qui  remue  lame  ,  6 
infpire  differens  mouvemens.  Un  difcours 
pouillé  de  toutes  fortes  de  figures ,  eit  firoj 
bnguifiânt. 

Une  troifîéme  raifon  confîderablc  prouve  '. 
lité  des  figures.  Les  animaux  favent  fe  défei 
&  acquérir  ou  conferver  par  la  force  ce  qui 
cft  utile.  Ceux  qui  croyent  que  ce  ne  font 
des  machines ,  montrent  ingenieufement  comi 
leur  corps  eft  tellement  organifé ,  que  fans  j 
befoin  d'im  efprit  qui  les  dirige  ,  ils  peuva 
défendre  ,  &  combattre  pour  leur  conferva 
Nous-mêmes  nous  expérimentons  que  nosn 
bres  y  fans  la  participation  de  l'ame  ,  fe  difp 
en  la  manière  qui  eft.  propre  pour  éviter  les 
res.  Le  corps  prend  des  poftures  propres  à  atta 
&  à  fe  défendre  :  les  mains  &  les  pieds  s'expi 
pour  conferver  la  tête.  Les  pieds  s'afferm 
pour  foûtcnir  le  corps  &  le  rendre  capable  d 
Mer  aux  ^IfQrts  de  nôtre  adverfaire  :  Les  b; 
roidiffent  pour  firapper  avec  force  :  Tout  te  i 
fe  plie  ,  fe  courbe  ,  fç  ramalfe  ,  foit  pour  é 
les  coups  qu*on  lui  porte  ,  foit  pour  fe  p 
lui-même  fur  fon  ennemi ,  &  le  terraffer.  ' 
cela  fe  fait  naturellement ,  3c  prefque  ùlùs  au 
réflexion. 

Il  ne  faut  pas  s'imaginer  que  les  figures  de 
torique  foient  feulement  de  certains  tours  qt 
Rhéteurs  ayent  inventez  pour  orner  le  difc 
Dievi  n'a  pas  refufé  à  Famé  ce  qu'il  a  accord 
corps.  ;  fi  le  corps  fait  fe  tourner  ,  &  fe  dilj 
adroitcmiAt  pour  reppuâer  les  injures ,  l'ame 


1>l  PAKLEK.  Lh.IL  Cbap.JX.        143 

iflî  fe  défendre  :  h  nature  ne  l'a  pas  fait  immo* 
k  lorfqu  on  Tattaque.  Toutes  les  figures  qu'elle 
nployedans  ledXcours  quand  elle  eil  émue,  font 
même  effet  que  les  polturcs  dii  corps  ;  i\  celles- 
.font  propres  pour  le  défendre  des  attaques  des 
hofes  corporelles  ,  les  figires  du  diUoiii-^;  peuvent 
aincre  ou  fléchir  les  ei'pnis.  Les  paroles  foni  le» 
rmes  rpirituelles  de  Tame  ,  qu'elle  cnipl;ivc  pour 
icrfuader  ou  pour  diffuader.  Je  ferai  voir  reffica- 
ité  &  la  force  de  CCS  figures  dans  ce  combat,  après 
me  j'aurai  donné  la  définition  de  clucune  en  par- 
iculicr.  L'on  ne  peut  pas  maraucr toutes  lespo.lu- 
res  que  les  paiïïons  font  prendre  au  corps.  Il  eft 
wffi  impofllible  d'exprimer  toutes  les  figures  dont 
un  homme  fe  fert  dans  la  paflîon  pour  tourner  fou 
difcours.  Je  parlerai  feulement  des  plus  remarqua- 
bles ,  qui  font  celles  dont  les  Maîtres  de  l'art  trai- 
tent ordinairement. 


Chapitke    IX. 
Li/Ie  desfguva. 

P  O  u  B.  entrer  dans  une  véritable  connoiffance  de 
■^  toutes  lès  figures  dont  nous  allons  faire  la 
lifte  ,  il  fuffit  de  remarquer  que  ce  font  des  tours 
ou  manières  de  parler  que  la  paffion  fait  prendre , 
comme  nous  venons  de  le  dire.    Ces  tours  étant 
diffcrcns ,  les  Maîtres  de  l'art  leur  ont  donné  des 
noms  diflferens.    Il  ell  peu  important  pour  la  pra- 
tique de  l'éloquence  de  favoir  le  nom  de  toutes  ces 
*ê""cs ,  comme  il  n  eft  pas  nécelTairc  pour  bien 
combattre  que  Ton  fâche  le  nom  de  toutes  les  poftu* 
tes  qu'un  corps  adroit  &  bien  exercé  prend  dans  le 
combat.  Cependant  con>me  c'eft  un  langage  ordi- 
Wirc  dans  les  Sciences ,  îl  y  a  quelque  ncccffité  de 


144        ^^  Rhétorique,  ou  l*A&t 

ne  pas  ignorer  ce  que  veulent  dire  tous  ces  noms  ; 
ainu  l'on  ne  doit  pas  trouver  mauvais  ^  je  m*arrêto 
à  les  expliquer.    Les  reflexions  que  j'ajoute  à  çq  .r 
explications  ne  feront  pas  inutiles.  '  ^ 

EXCLAMATION.  / 

T  'Exclamation  doit  être  placée,  à  mo&  -^ 
^^  avis  ,  la  première  dans  cette  Me  des  toircs,,  ^ 
'   pnifque  les  pallions  commencent  par  elle  à  le  faire  '. 
paroitre  dans  le  difcours.    L'exclamation  eft  une 
voix  pouffée  avec  force.    Lorfquc  Tame  vient  à 
être  agitée  de  quelque  violent  mouvement ,  Ici    \ 
efprits  animaux  courans  par  toutes  les  parties  du 
corps ,  entrent  en  abondance  dans  les  mufdes  auî 
fe  trouvent  vers  les  conduits  de  la  voix ,  &  Icf    ' 
font  enfler  ;  ainfi  ces  conduits  étant  rétrécis  ,.  la 
voix  fort  avec  plus  de  vitefle  &  d'impetuofité  aa 
coup  de  la  paflion  dont  celui  qui  parle  di  fi:appé. 
Chaque  flot  qui  s'élève  dans  l'ame  eil  fuivi  du- 
ne exclamation.    Le  difcours  d'une  perfonne  paf- 
fionnée  ei^  plein  d'exclamations  femblables  }  He- 
las\.ab\  mon  Dieu  l  ê  Ciel  \   ê  terre  !   Il  n'y  a  rien  ' 
de  fi  naturel.  Nous  voyons  qu'aufl[i-tôt  qu  un  ani- 
mal eft  blefle  ,  &  qu'il  foufïre  ,  il  fe  met  à  crier, 
comme  fi  la  nature  lui  faifoit  demander  du  tcr 
cours. 

DOUTE. 

T  E  s  mouvemens  des  pafllons  ne  font  pas  moins 
^^  changeans  &  inconllans  que  les  flots  d'une  mer 
agitée:  ainli  ceux  qui  s'abandonnent  à  la  violence 
de  leurs  paflîons»  font  dans  une  perpétuelle  inquié- 
tude. Tantôt  ils  veulent ,  tantôt  ils  ne  veulent  pas. 
Ils  prennent  un  dcflcin ,  &  puis  ils  le  quittent  ;  ib 
l'approuvent ,  &  ils  le  rejettent  prcfqu'cn  même 

tems.    . 


Bl  PARIER.  LivJL  Ckaf.  !X.        14c 

:cms.  En  un  mot ,  Tincondancc  des  mouvemen» 
ie  leur  paffion  pouflc  leurs  cfprits  de  difFerens  cd- 
icz.  Elle  les  tient  fufpendus  dans  une  irréfolutioa 
:ontinuclle,  &  fe  joue  d'eux  comme  les  vents  fe 
jouent  des  vagues  de  la  mer.  La  figure  qui  repré- 
fentc  dans  le  difcours  ces  irréfolutions ,  crtappellée 
Doute,  dont  vous  avez  un  bel  exemple  dans  fa  pein- 
ture que  fait  Virgile  des  inquiétudes  de  Didon  fur 
ce  quelle  devoit  faire  quand  elle  fe  vit  abandonnée 
par  Enéc. 

He/éfs  l  s*écrtM-  t-elle  au  fort  de  fa  mîfere  , 
Qutl'frtjet  déformais  me  refîe  t  il  à  faire  f 
cEr«  les  Rots  mes  voifins  mon  cœur  humble  é^  confus  ■ 
IrS'i'il  sUxfofèr  au  bazard  d'un  refus  : 
Eux  dont  f  ai  tant  de  fois  avec  tant  dinfolence 
Mifrîfî  la  recherche ,  é»  bravé  la  fuijfance  ? 
Irai-je  en  fupp liante  à  la  honte  des  miens  y 
ImpUrer  la  ùttié  desfuferhes  Trovens  ?  , 

Trop  mveugte  "Didon  y  puis^je  après  cette  injure 
Ni  pas  connaître  encor  cette  race  parjure  f 
Et  comment  mesfoûpîrs  pourraient  ils  retenir 
Ceuse  de  qui  mes  bien-faits  n*ont  pu  rien  obtenir  ? 
Ou  bien  irai  je  enfin  jufqu'' au  bout  de  la  terre 
Avec  tous  mes  fu jets  leur  déclarer  la  guerre} 
Mais  comment  voudroieni^ils  à  travers  les  dangers 
Pouffiiivre  ma  vengeance  en  des  bords  étrangers^ 
Eux  que  leur  intérêt  f  &  que  leur  propre  vie 
Om  à  peine  arrachez  dufein  de  leur  patrie  F 
Moxrons  donc  y  puifqu^njin  en  Pétat  oitjefitis 
Le  mort  efl  Pefpoirjeul  qui  refîe  à  mes  ennuis» 

On  feint  quelquefois  de  douter  afin  d'obliger 
ceux  ï  qui  Ton  parle  de  confîderer  les  veritez  aux- 
quelles ils  ne  font  point  d'attention.  C'eil  ainfi 
qu'Ifâïe  ,  pour  faire  reflbuvenir  les  Ifraëlites  de  la 
poteâion  que  Dieu  leur  avoit  donnée  ,  leur  de- 


14^       La  RHETOKiQjaE,  ou  l'Aut 

mande,  chap.63.  Où  eft  celui  qui  /es  a  tiret 
Sa  mer  avec  /es  Pafteurs  île  fin  trou[èau\  Où^ 
àti  qui  a  mis  au  milieu  (feux  l'EJprit  de  fin  Sai 
Qui  a  pris  Moifi  far  la  main  droite  ,  et  l'afiùfi 
far  le  bras  de  Sa  Aîajefié  j  qui  a  divifé  lesnou 
fvant  eux  pour  s'acquérir  un  nom  éterne/f  Qui  k 
conduits  dans  le  fond  des  abîmes  comme  un  chç 
qu*on  mène  dans  une  campagne  fans  qu*il  fa£e. 
faux  pas* 

E  P  A  H  0  RTH  0  S  E..   . 

UN  homme  irrité  ne  fe  contente  jamais  de  #j( 
qu'il  a  dit  &  de  ce  qu'il  a  fait;  l'ardeur  de  Wj 
mouvement  le  pouffe  toujours  plus  loin:  ainfi!é|^ 
.mots  qu'il  employé  ne  lui  femblant  point  affez  dinf; 
ce  qu'il  fouhaite,il  condamne  fcs  premières cxprefr'' 
fions  y  comme  trop  foibles ,  8c  corrige  fondLTcoizrii^ 
y  ajoutant  des  termes  plus  forts.  "  • -y- 

Non,  cruel  f  tu  n*es  point  le  fis  d'une  Déeffet 
Tufuças  en  naiffant  le  lait  iPune  tygrefjei  ^ 

Et  le  Caucafe  affi'eux  f engendrant  en  courroux  ^        ^ 
Te  fit  Pâme  &  le  cœur  plus  durs  que  fis  cailloux. 

Le  nom  de  cette  figure  eft  Grec,  &  fignific  cor^ 
région, 

C'eft  une  efpece  d'Epanorthofe  que  ces  paroi 
au  Fils  de  Dieu  aux  Juifs  touchant  Saint  J^ 
Qu*êtes  vous  donc  allé  voir }  Un  Prophète}  Oui' 
je  vous  le  dis  ,  &plus  que  Prophète» 

ELLIPSE. 

UNe  paffion  violente  ne  permet  jamais  de  dW 
tout  ce  que  l'on  voudroit  dire.  La  langue  â 
trop  lente  pour  fuivre  la  viteffe  defesmouvemcni 

aiP 


»'B  9AILL1&.  Liv.IL  Cèap.lX.         147 

infi  dans  le  difcours  d'un  homme  que  la  colère 
urne.  Ton  ne  trouve  qu'autant  de  mots  que  la  lan- 
K  es  a  pu  prononcer  dans  la  promptitude  de  la 
iffioa.  Quand  le  mouvement  de  cette  paflion  eift 
lerrompu»  ou  tourné  d'un  autre  côté,  la  langue 
il  le  fuit  profère  d'autres  paroles  qui  n'ont  plus 
îfiaifon  avec  celles  qui  jprécedent.  Dans  Teren- 
U  ce  père  irrité  contre  ion  fils,  ne  lui  dit  que  ce 
iot  wmtum^  que  le  Tradudeur  François  a  rendu 
rareufement  par  ce  mot  le  plus.  Car  la  colère  de 
:  père  eft  fi  forte ,  qu'il  n'achevé  pas  ce  qu'il  vou- 
ftt  d^e;  que  fon  fils  étoit  le  plus  méchant  de  tous 
s  hommes.  Omnium  bominum  peffimus.  M//ipfe  dit 
i  même  chofe  c^OmiJfion, 

APOSIOPESE. 

A  Pofiopcfe  eftuneefpeced'EUipfcoud'omiffion. 
tVEUe  le  fait  lorfque  venant  tout  d'un  coup  à 
changer  de  naffion  »  ou  à  la  quitter  entièrement , 
on  coupe  t^ement  fon  difcours  j  qu'à  peine  cetfx 
cpn  écoutent  peuvent-ils  deviner  ce  que  l'on  vou- 
loit  dire.  Cette  figure  eil  fort  ordinaire  dans  les 
menaces.  Si  je  vous  y  ^c.  Aîais  t&cc. 

Qups  eg0,  Sed  motos  prdftat  eomponerefludus^ 

HVPERBATB. 

1*Ifyperhau  n'eil  autre  chofe  que  la  tranfpofîtion 
^  des  penfées  ou  des  paroles  dans  Tordre  &  la  fuite 
d'un  difcours.  Nous  en  avons  parlé  dans  le  premier 
Livre  comme  d'une  figure  de  Grammaire;  mais 
nous  la  devons  regarder  id  comme  une  figure  qui 
jotte  le  caraélcre  d'une  paffîon  forte  &  violente. 
Etteffiftt  comme  le  dit  LiOngin»  voyez  tous  ceux  ^i 
fi»t  émus  de  colère,  de  frayeur  ^  1^  dépit  ^  dejaloufie^ 

G  z  on 


14^       La  RRSTOKfQjJi,  ou  L'An.t 

$u  dt  quelqu'aufre  paffion  que  te  fiiti  car  il  y  en  a  tm 
que  ton  n^en  Jait  pas  le  membre  »  leur  efirh  eft  ékn 
une  agitation  continuelle.  A  peine  ont-ils.  formé  m 
dejfeint  qu*ils  en  conçoivent  auffi-tSt  un  autre.  ^  et  À 
miiieu  de  celui-  ci  s*en  propofant  encore  de  nouvean^ 
êù  il  n*y  a  ni  raifon ,  ni  rapport  y  ils  reviennent  fia 
vent  à  leur  première  réfolution.  La  pajjion  en  ctuff 
€omme  un  vent  léger  et  inconftant  qui  les  entra^A 
et  les  fait  tourner  fans  ceffe  de  côté  &  d'autre:: m 
tien  que  dans  ce  flux  et  ce  reflux  perpétuel  defetA 
mens  oppofez  ils  changent  à  tous  momens  de  penfteé 
de  langage  ^  et  ne  gardent  ni  ordre  t  ni  fuite  4W 
leurs  difcours*  .l 

PARALIPSE. 

CEttc  figure  n'cft  qu'une  feinte  que  Ton  fidt  de 
Touloir  omettre  ce  que  Ton  dit ,  mais  une  feiuc 
Gui  efl  naturelle.  Quand  on  efl  animé ,  les  iM- 
Ions  fe  préfentent  en  foule  à  TeTprir.  Il  defirenit 
fc  fervir  de  tdutes,  mais  il  craint  d'ennuyer,  ou- 
tre que  Taétivité  de  fes  agitations  empêche  au'iliN 
s'arrête  à  toutes;  ainfi  il  produit  on  foule  les  rd- 
fons  qu'il  propofe ,  témoignant  qu'il  ne  prétend 
pas  en  parler ,  c'eft-à-dire  ,  s'y  arrêter  autant  de 
tems  qu'elles  ledemanderoient,  Je  ne  veux  paspar* 
ier  9  Meffteurs  ,  du  tort  que  m^a  fait  mon  ennem» 
y  oublie  volontiers  ks  in^uret  que  'ffi  reçues  de  lui^ft 
ferme  les  yeux  à  tout  ce  qu'il  machine  contre  moi.  r9r 
ralipfe  m  un  mot  Grec  qui  fignifîe  OmiJJùm.  Dy 
en  a  un -bel  ei^emple  ds^nsTEpître  aux  Hébreux» 
oti  Saint  Paul  en  faifant  le  dénombrement  de  ceux 
dont  la  foi  avoit  été  forte  ,  après -en  avoir  nonuilé 
pluiieurs  ,  il  ajoute  ;  Que  dirai -je  davantage}  k 
$ems  me  manquera  fi  je  veux  parler  encore  de  Gedeên% 
de  Uarac,  de  Samfon  »  de  Jqété  ,  de  David ^  de  Sa^ 
tnuelt  iat  des  Brojketet. 

RB- 


DZ  rARLZR.  Lh.IL  Cbaf.IX.        149 

R^E  P  ETIT  I  0  î^. 

Répétition  eil  une  fi^e  fort  ordinaire  dans 
difcours  de  ceux  qui  parlent  avecdialeur, 
ji  défirent  avec  paûion  qu'on  conçoive  les 
s  qu'ils  veulent  fiure  concevoir.  Quand  on 
iz  prifes  avec  fon  ennemi  »  on  ne  fe  contente 
le  lui  £ûce  une  feule  bleifure  »  on  lui  porte 
:urs  coups ,  &  de  crainte  qu'un  feul  ne  fafle 
effet  qu'on  attend,  on  lui  en  donne plufienn. 
i  en  parlant ,  fi  Ton  craint  que  les  premières 
les  n'ayent  pas  été  entendues,  on  les  répète, 
>ien  on  dit  les  mêmes  chofes  en  différentes 
[ères.  La  pafilon  occupe  refprit  de  ceux  dont 
s'eft  rendue  maîtrcfle.  ÈUe  imprime  fortement 
liofes  qui  l'ont  fait  naître  dans  l'ame  ;  ainfi  il 
lut  pas  s'étonner  qu'en  étant  plein ,  on  reparle 
ent  des  chofes.  La  répétition  fe  fiiit  en  deux 
ieres ,  ou  en  répétant  les  mêmes  mots ,  ou  en 
tant  les  mêmes  chofes  en  differens  termes.  Ces 
\  de  David  ,  où  0  parle  de  Taffurance  qu'il  a 
i  les  promeifes  que  Dieu  lui  a  faites  de  le  (ecou- 
fcrviron^d'exemple  de  la  première  efpecc  de 
titioiL 

€s  htx  dejon  amour  font  des  hîx  éumtllis  : 
fMTx  dans  mon  maJbeur  je  Paurai  pour  appui  : 
}oursfin  bras  puijjant  variera  mes  quereUesi 
ifirs  toujours  ce  qu*il  m"^  aujouribu'u 

our  exemple  de  la  féconde  efpece  ,  j'ai  choifi 
beaux  Vers  de  Saint  Profper  ,  dans  lefqucls  il 
ime  en  différentes  manières  cette  feule  vérité , 
nous  ne  fàifons  aucun  bien  que  par  le  fecours 
;  Grâce  divine. 

G  3  Grand 


ï$o       La  Rhetoriqjje,  ou  l'A&t 

Grand  Dieu  »  quoi  que  foppofi  une  erreur  temt 
raire  5 
Si  Pbommefait  le  bien,  Toifeul  le  lui  fais  faire  i 
Ton  effrit  pénétrant  dans  les  replis  du  cœur  .. 

Pouffe  la,  volonté  vers  fin  divin  Moteur  •  ..( 

Ta  ponté  nous  donnant  ce  que  tu  nous  demandes  ^      «- 
Pour  accomplir  nos  vœux  forme  encor  nos  demandes»  \ 
Tu  conferves  tes  dons  par  ton  puijfani  feeours  ^ 
Tu  fais  notre  mérite -,  et  Paugmentes  toujours'. 
Et  dans  ce  dernier  prix  qui  tout  autre  furpaffe  ^ 
Couronnant  nos  travaux  >  tu  couronnes  ta  Grâce* 

£n  répétant  les  mêmes  paroles ,  on  les  peut  £t 
pofer  avec  tant  d'art ,  que  fe  répondant  les  unei 
aux  autres  »  elles  fisiflent  une  cadence  agréable  aux 
oreilles.  Je  referre  à  parler  dans  le  Livre  fuivant 
de  ces  répétitions  »  qu*on  peut  nommer  des  répéti- 
tions harmonieufes. 

PAROÎ^OMASE. 

C*£ft  une  répétition  du  même  nom  ,  mail 
après  y  ^voir  fait  quelque,  changement ,  fait 
en  ajoutant ,  foit  en  retranchant,  ftf'exemple  fui- 
vant eft  une  Paronomafe  très-belle  &  très-vive.  El- 
le eft  tirée  de  Ciceron.  Après  avoir  dit  à  Céfar; 
Vous  avez  déjà  vaincu  tous  les  autres  vainqueurs  par 
votre  éfuité  &  par  votre  clémence  9  mais  vous  vous 
êtes  aujourd'hui  vaincu  vous-même:  il  ajoute:  Vxu 
avez  9  ce  femble,t  vaincu  la  viéloire  même^  en  rmie^ 
tant  aux  vaincus  ce  qu'elle  vous  avait  fait  remporter 
fur  eux  :  car  votre  clémence  nous  a  tous  fauvez  9  non 
que  vous  aidiez  droit  y  comme  v/élorieux ,  de  faire  pe^ 
rir.  Vous  êtes  donc  le  feul  invincible  %  par  qui  la 
viéloire  même ,  toute  fiere  &  toute  violente  qu'elle  j/f 
de  fa  nature ,  a  été  vaincue, 

PLEO- 


DE   PARLER.    L'tV.lL   Cbdf.  IX.  25X 

PLEONjtSME. 

lonaûne ,  c'eft  quahd  on  dit  plus  qu'il  n'ctoit 

cci&ire ,  comme  quand  on  dit  :  Je  rai  emen- 

mes  oreille}.    Ce  mot  vient  d'un  verbe  Grec 

piifie  furnhonder.    Or  il  ne  £iut  pas  que  ce 

ajoute  foit  entièrement  faperflu.    Un  Pleo- 

qui  ne  feroit  pas  une  plus  grande  impreflîon, 

n^eil  pas  néceifaire  d*en  fau-e  une  plus  gran- 

videux:  ainû  dans  ce  diTcours  :  ,,  Comme  ie 

Auteur  ,  il  faut  que  je  réponde  en  homme 

métier;   c'ell-à-dire  que  j'examine  fclon  les 

les  que  nous  ont  donné  nos  Maîtres  ;  fans 

\  on  ne  me  dillingueroit  pas  du  commun  peu- 

L'Auteur  des  Réflexions  fur  Tclcgance  & 

LtelTe  du  ililc,  remarque  fort  bien  que  com- 

:n  cet  endroit  eil  unPleonafme  inutile,  puis- 

fuple  tout  court  fait  le  même  effet  que  ctun* 

fupU. 

rfquc  ce  que  l'on  ajoute  dit  plus  ,  &  qu'on 
:  comme  par  dcgrez ,  cela  fait  une  figure  que 
on  appelle  C/imax ,  tantôt  Auxeje ,  qui  font 
lots  Grecs.  Le  premier  iignifie  gradation  » 
ion  qui  fe  fait  de  degré  en  degré.  Le  fécond 

•M/M». 

SYl^OSTME. 

lonymey  c'eft  quand  on  exprime  une  même 
ofe  par  pluûeurs  paroles  qui  n'ont  qu'une  mê- 
piification:  ce  qui  arrive  quand  la  oouchene 
Qt  pas  au  cœur ,  on  fe  fert  de  tous  les  noms 
fait  pour  exprimer  ce  que  l'on  penfe.  Abiit, 
,  erufiti  U  s* en  eji  alié^  il  a  fris  la  fuite\  i) 
èappé. 

Synonymes  font  comme  autant  de  coups 

G  4  de 


"151       LAllHKToiijttvï,  o»  t'AmT 

de  pinceau.  Mais  ouand  ils  font  inutiles  ils  font 
vicieux ,  comme  le  fécond  pinceau  ne  fait  que  ^ 
ter  ce  qui  eft  fini.    Auffi  pn  critique  ce  vers  : 

Fuîr  i*un  fi  grand  fardeau  la  charge  trofpefana. 

Parce  qu'il  n'y  a  pas  de  différence  tvAxt  fardeau  tfi 
charge.  Si  ces  fortes  de  Synonymes  font  vicieioc», 
il  faut  condamner  ce  grana  nombre  d'épithetesiwh 
tiles  dont  les  mauvais  Orateurs  chargent  leurs  dif- 
cours;  comme  font  ces  épithetes:  V éclatant  emkar* 
ras  des  plus  fuperbes  équipages.  Le  pompeux  fracât 
de  ces  grands  divertiflemens. 

HYPOTYPOSE. 

T  Es  objets  de  nos  paffions  font  prefque  toûjoiut 
•*^  préfens  à  Tefprit.  Nous  croyons  voir  &  enten- 
dre ceux  à  qui  l'amour  nous  attache. 

— •  Illum  ahfens  abfentem  audttque  vîdetqtte. 

Nous  penfons  auffi  fortement  à  ceux  que  nom 
croyons  nous  vouloir  nuire. 

fe  les  vois,  je  les  vois  s'' apprêter  au  carnage  ^ 
Comme  des  lions  rugijjfans^  é^c. 

Ceft  pourquoi  toutes  les  defcriptions  que  Ton  fiât 
de  ces  objets  font  vives  &  exades ,  comme  cette 
que  fait  Orefle  dans  Euripide,  des  furies  de  TEnfer 
qu'il  aaint. 

Mère  cruelle  9  arrête ,  éloigne  de  mes  yeux 
Ces  files  de  l'Enfer  y  ces  Jpeéjlres  odieux. 
Ils  viennent ,  je  les  vois  :  mon  Juppiice  s'apprête  9 
Mille  horribles  ferpens  leur  fifflentfur  la  tète. 

Ces 


oi  PA&tim.  LhJL  Chtp.  IX.        1^3 

Ces  defcriptions  ^uî  font  fi  vives»  fc  dîftinguent 
des  defcriptions  ordinaires.  Elles  font  appellécshy*» 
potypofes,  parce  quelles  figurent  les  chofes  y  de  en 
forment  une  image  qui  tient  lieu  des  chofes  mêmes; 
c'eft  ce  que  fignifie  ce  nom  Grec  Hjpoiypo/è.  Da- 
vid parlant  du  fecours  que  Dieu  lui  devoir  donner 
contre  fes  ennemis  »  &  que  fa  foi  &  fon  efperance 
tû  rendoient  préfent ,  if  s'explique ,  comme  fi  fes 
amemis  étoient  déjà  abatus  à  fes  pieds. 

Tu  nCentens,  ks  voilà  qut  tombent 
,  «  Ces  hommes  pleins  tf  iniquité  : 

Tu  confonds  leur  témérité  ^ 
ïi  tM^ré  leur  orgueil  fous  ta  main  ils  fuccomkent, 

DESCRIPTION. 

T  "Hypotypofe  efl  une  efpece  d'enthoufiafme  qui 
fait  qu'on  s'imagine  voir  ce  qui  n'ell  point  pré- 
fent, &  qu'on  le  repréfcnte  fi  vivement  devant  les 
yeux  de  ceux  qui  écoutent ,  qu'il  leur  femble  voir 
ce  qu'on  leur  dit.  La  defcription  eft  une  figu- 
re aflez  femblable ,  mais  qui  n'eft  pas  fi  vive. 
Elle  parle  des  chofes  abfentes  comme  abfenies, 
cependant  eQe  le  fait  d'une  manière  qui  fait  une 
grande  imprefljon  ,  comme  il  paroît  dans  cette 
dcfcriptioii  qu'ifaïe  fait  d'une  Nation  que  Dieu  de- 
yoit  appeller  pour  punir  les  Juifs  de  leur  rébel- 
lion. Ce  Prophète  parle  ainfi ,  chap.  5.  Dieu  elle* 
verê  fin  étendard  pour  Jervir  de  fignal  à  un  peuple 
trh  éloigné',  il  l'appellera  d'un  coupdefiflet  des  extre^ 
mitez  de  la  terre  ,  &  il  accourera  aujji  tôt  avec  une 
vitejde  prodigieufi.  Il  ne  fentira  ni  la  iajfitude  ni  le 
travail  i  il  ne  dot  mira  ni  ne  fommeil'era  point  j  Une 
quittera  jamais  le  baudrier  dont  il  efl  ceint ,  et  un 
ftul  cordon  de  fes  fouHers  ne  fe  rompra  dans  fa  maW" 
tbc.    Toutes  fes  flèches  ont  une  pointe  perdante  »  é* 

G  5  'Ma 


I$4       La  Rhitorxqjje,  ou  l'Art 

Uns  fis  arcs  font  toujours  bandez.  La  corne  du  pie 
de  fis  cbex*aux  ejî  dure  comme  les  cailloux  ,  et  L 
roué  de  [es  chariots  ejl  rapide  comme  la  tempête,  l 
rugira  comme  un  lion  ,  il  pouffera  des  burlemens  terri 
hles  comme  les  lionceaux.  Il  frémira  »  il  fi  jettera  fut 
fitproyet  &  il  remportera  fans  que  perfinne  lak 


puiffe  ôter. 


''oilà  Texemple  d'une  defcription  fort  vive  àqu 
on  pourroit  donner  le. nom  à*hypotjpofi.  Ceftk 
Soleil  qui  décrit  à  Phaëton  la  route  qu'A  dcvor 
tenir. 

Aufjltùt  devant  toi  s* offriront  fept  étoiUs: 
Vreffe  parJà  ta  cour [è  y  et  fitis  le  droit  chemin» 
Phaéton  à  ces  mots  prend  les  rênes  en  main  : 
De  fes  chevaux  aîlez  il  bat  Jes  flancs  agiles. 
Les  courjiers  du  Soleil  à  fa  voix  fint  dociles. 
Ils  vont  ;    le  char  s* éloigne  y    &  plus  prompt  p^m 

éclair  9 
Pénètre  en  un  moment  les  vafles  champs  de  Pair* 
Le  père  cependant  plein  d*un  trouble  funefte^ 
Le  voit  rouler  de  loinfisr  la  plaine  celrfie% 
Lui  montre  encorfa  route  •  et  du  plus  haut  des  deux 
Le  fuit  autant  qu'il  peut  de  la  voix  &  des  yeux. 
Va  par-là  y  lui  dit- il  ^  reviens  i  détourne:  arrête. 

Ne  diriei-vous  pas,  dit  Longin,  quel'amed 
Poëte  monte  fur  le  char  avec  Phaëton;  qu'elle  pu 
tage  tous  fes  périls,  &c  qu'elle  vole  dansFairaveclc 
chevaux?  Car  s'il  ne  les  fuivoit  pas  dans  les  Cicux 
s'il  n'affiftoitàtoutcequis'ypaffe,  pourroit-ilpeia 
dre  la  chofe  comme  il  le  fait. 

DISTRIBUTION. 

LA  Difbibutîon  cil  encore  une  efpcce  d'Hypc 
typofe;  Ton  s'en  fert  lorfque  l'on  fait  un  d< 

noB 


0E  PAmiim.  Lh.Il.  CbéÊp,lXL       155 

flombrement  des  parties  de  l'objet  de  fa  paffion. 
David  nous  en  fournit  un  exemple,  lorfquedansle 
mouvement  de  fon  indignation  contre  les  pécheurs  , 
ilfiût  une  vive  peinture  de  leur  iniquité.  Leurg9^ 
ftr.  eft  comme  un  fepuicre  ouvert ,  ils  fefonifervis  di 
Itur  langue  pour  tromper  avec  adrtjfe  ,  ils  ont  fur 
iatrs  lèvres  un  venin  d*afpic  ,  leur  bouche  eH  remplie 
àma/ediéfion  &  d'aigreur  ,  leurs  pieds  font  vîtes  & 
h^rs  pour  répandre  UJang. 

Voici  un  exemple  rort  animé  tiré  de  Saint  PauL 
fii  été  battu  de  verges  par  trois  fois:  j'ai  été  lapidé 
une  fois  y  jai  fait  naufrage  trois  fois  y  fai  pajjé  un 
J9ur  &  une  nuit  au  fond  de  la  mer  \  fui  été  jouvent 
étns  les  voyages  9  dans  les  périls  fur  les  fleuves ,  dans 
ks  périls  des  voleurs  %  dans  les  périls  de  la  partdeeeUx 
ée  ma  Nation  >  dans  les  périls  de  la  part  des  Pajens  t 
iins  les  périls  au  milieu  des  villes  ^  dans  les  périls  au 
uilîeu  des  deferts  »  dans  la  peiilsjur  la  mer^  dans  le$ 
ftrils  entre  les  faux  frères  y  &c. 

ANTITHESES^  0U  OPPOSITIONS. 


T  Es  Antithcfes  ou  oppoiîtions,  les  comparai- 
fons ,  les  fimilitudes  qui  font  des  figures  pro- 
pres à  repréfenter  les  chofes  avec  dartc ,  Ibnt  les 
effets  de  cette  forte  impreffion  que  fait  fur  nous 
l'objet  de  la  paffîon  qui  nous  anime  ;  &  dont  par 
conléquent  il  eft  facile  de  parler  clairement  6c 
Qttâement, rayant  préfent  devant  les  yeux  de  l'a- 
inc.  On  fait  que  les  chofes  oppofées  fe  font  ap- 
pcrccvoirles  unes  les  autres:  la  blancheur  éclate  au^ 
près  de  la  noirceur.  Voici  un  exemple  d'une  An- 
tithefe  aue  Je  tire  de  Saint  Trofper  ,  qui  dit,  en 
pwUnt  de  ceux  qui  agiffent  fans  être  pouffez  par  le 
Saint  Efprit  : 

G  6  Leur 


Ij;6       La  Rhbtoiiiqj7S,  ou  l'Art 

LeMT  ami  en  cet  état  recule  en  s" avançant , 
En  veuUmt  monter  tombe  •  ëv*  perd  en  amajpin 
Comme  eUefuit  P attrait  ePune  lueur  trompeufe, 
Sa  lumière  reffufque  ^  &  la  rend  tenebreufe. 

Ce  paflage  du  Chapitre  troiiîémc  d*Ifaï< 
▼ous  allcx  Hrc ,  contient  de  fort  belles  Anti 
Parce  que  les  files  de  S  ion  je  font  élevées ,  qu\ 
marché  la  tête  haute  en  faifnnt  des  fignes  des  y 
des  gefles  des  mains  ^qu* elles  ont  me/ùré  tousleu 
A*  étudié  toutes  leurs  démarches ,  le  Seigneur 
chauve  la  tête  des  files  de  Ston ,  éf  il  arrache 
leurs  cheveux.  En  ce  jour- là  le  Seigneur  leu 
ieurs  chaujfures  magnifiques  ^  leurs  croijjans  d^Oi 
celliers  ,  leurs  filets  de  perle ,  leurs  brajfelefi 
co^es  ,  leurs  rubans  de  cheveux  ,  leurs  jarr^ 
leurs  chaînes  d^or ,  leurs  beetes  de  parfum  ,  leu 
dans  d'oreilles  y  leurs  bagues  ^  les  pierreries  q 
pendent  fur  le  front. ^  leurs  robes  magnifiques 
efcharpes%  leurs  beaux  linges  y  leurs  poinçons 
mans  t  leurs  miroirs,  leurs  chemijes  de  grant 
leurs  bandeaux ,  é^  leurs  habillcmens  légers  a 
ehaud  de  Pété.  Et  leur  parfum  fera  changé  et 
teur  5  leur  ceinture  d'or  en  une  coide  ;  leurs  i 
frijex,  en  une  tête  nue  &fans  cheveux  »  &  lem 
corps  de  iuppe  en  un  cilice. 

Le  Sonnet  fameux  de  l'Avorton  contient 
belles  Antithefes  ou  oppofitions.  Une  fÛleei 
pour  fauver  fon  honneur  fit  mourir  fon  fru 
lonfein.  Le  Poëte  parle.   On  fait  parler  cett 
cet  Avorton  : 

Toi  qui  meurs  avant  que  de  naître , 
AJJemblage  confus  de  Pêtre  &  du  néants 
'  Trtfle  Avorton ,  informe  enfant^ 
Rebut  du  néant  &  de  Pêtre* 


Toi  que  tAmwrft  par  un  crime  ». 
Et  que  tHmmur  défait  par  vn  crime  à  fan  ieitr , 

Funefte  ouvrage  de.  P Amour  y 

De  PHonneur  funejfe  viSime^ 

Laiffe-moi  cakner  mon  ennui  ^ 
Et  du  fond  du  néant  où  tu  rentre  aujourdkni , 
Nt  trouble  poini  Pbarreur  dont  ma  faute  efi  fuivie. 

Deux  tyrans  oppofez  ont  décidé  ton  fort  : 
V Amour  malgré  PHonneur  te  fait  donner  Ut  vie, 
UEonneur  malgré  P  Amour  te  fait  donner  la  mare. 

•  Je  ne  voudroîs  pas  foutcnir  que  ce  Sonnet  foit 
également  beau  en  toutes  fes  penfées ,  &  à  couvert 
d'une  critique  raifonnable. 

SIMILITUDE. 

POur  la  Similitude  ,  je  ne  puis  choifîr  un  plus 
bel  exemple  que  celui  que  je  rencontre  dans  la 
Paraphrafe  qu'a  faite  Monlieur  Godcau  du  premier 
des Pfeaumes  de  David;  où  il  cft  parlé  du  bon-heur 
des  Juftes. 

Comme  fur  le  bord  des  ruifjeaux 
Vn  grand  arbre  planté  des  mains  de  la  Nature  y 
Malgré  le  cbaud  brûlant  conferve  fa  verdure  f 
Et  éf  fruit  tous  les  ans  enrichit  fes  rameaux: 
Ainfi  cet  homme  heureux  fleurira  dans  le  mondes 
Il  ne  trouvera  rien  qui  trouble  fes  plaifirs  i 

Et  qui  confîamment  ne  réponde 
A  fes  nobles  projets  >  à  fes  juftes  defirs. 

COMPARAISON. 

IL  n*y  a  pas  grande  différence  entre  la  fimilitude 
&la  comparaifon  ,  fi  ce  n'efl  que  celle-ci  eft 
plus  animée  »  comme  il  paroit  dans  cette  comp^* 

G  7  rai- 


1^8        La  R^bt^ki^ve,  ou  l'Ajl,t 

raifon  où  David  fait  connoître  qu'il  préfère  IcsLoix 
de  Dieu  à  toutes  chofes. 

Vor  me  paraît  moins  defirable 
Que/es  divins  Cêmmandemens  : 
Pour  moi  les  riches  diamans 
N^onP  rien  qui  leurfoit  eomparabk  i 
Et  le  miel  le  plus  deux  efifans  douceur  pour  moi 
Auprès  déjà  divine  Loi* 

Voici  plufîeurs  exemples  dé  cette  figure  tirez 
d'Iûiïe;  on..ne  peut  rien  voir  de  plus  animé,  ch.  i. 
Le  bœuf  connoU  celui  à  qui  il  eft  ^  &  l'âne  Pejîa* 
ble  de  fin  maître  \  mais  Ifrael  ne  nia  point  con* 
nu  y  é^  mon  peuple  a  été  fans  entendement.  £t 
dans  le  chap.  lo.-  ce  Prcphetç  reprime  Tinfolence 
de  ceux  qui  s'élèvent  contre  Dieu  même ,  à  cau- 
fe  de  la  puifTance  qu'il  leur  a  donnée  pour  châtier 
fon  peuple.  La  coignée  fi  glorifie-t^elle  contre  celui 
qui  s*en  fert  ?  La  fiie  fe  fiuleve  t'cUe  contre  la 
main  qui  remployé  f  C^ejl  comme  fi  la  verge  s^éle» 
voit  contre  celui  qui  la  levé  i  &  fi  le  bâton  fe  glo* 
rifioit ,  quoique  ce  ne  fioit  que  du  bois,  £t  chap.  45. 
Malheur  à  Pbomme  qui  dijpute  contre  celui  qui  Pa 
créé ,  lui  qui  n'efi  qu'un  peu  d'argile ,  à*  qtCun  vafe  de 
terre.  Vargile  dit-elle  au  Potier',  Qtiavez-vousfait} 
Remarquez  deux  chofes  dans  les  comparaifons; 
La  première  ,  que  Ton  ne  doit  pas  rechercher  un 
^'rapport  exad  entre  toutes  les  parties  d'une  compa- 
raifon  &  le  fujet  dont  on  parle.  On  y  fait  entrer 
de  certaines  chofes  qui  n'y  font  placées  que  pour 
rendre  ces  comparaifons  plus  vives,  comme  dans  la 
comparaifon  que  Virgile  fait  de  ce  jeune  Ligurien 
vaincu  par  Camille,  avec  une  Colombe  qui  eft  en- 
tre les  ferres  d'un  Epervier  :•  après  avoir  dit  ce  qui 
cft  de  principal ,  &  fur  quoi  tombe  la  comparaifon  » 
il  ajoute  t 

Tum 


»1  rÀAtxm.  Liv.IL  Cbêf.ïX.       159^ 

Tm  crut  ^  &  vu^d  Muntur  ah  dtbm  plumet. 

Dji'étoit  pas  néccffaircdçdirc  qu'on  voit  le  fanj 
qui  coule 9  &  les  plumes  ^ui  tombent,  cela  n'cA 
point  de  la  comparaifon  »  èc  ne  fert  qu'à  faire  une 
peinture  fenfible  d'une  Colombe  qui  e(l  déchirée 
parunEpcrvicr.  Je  fais  la  féconde  remarque  en  fa- 
veur de  cet  admirablePoëte,  pour  le  défendre  con- 
tre la  critique  de  ceux  oui  condamnent  Tes  compa- 
nifons  comme  étant  bafies.  Mais  c'ell  avec  bien  de 
Fatt  que  dans  fonËneïde  il  tire  fescomparaifonsde 
diofes  fimplcs  :  il  veut  délafler  l'efprit  de  fon'  Lec- 
teur, que  la  grandeur  &  la  dignité  de  fa  matière 
avoit  tenu  dans  une  trop  forte  application.  Et  pour 
reconnaître  qu'il  a  eu  ce  deffein ,  on  n'a  qu'à  con- 
fiderer  lescomparaifonsdefesGeorgiques,  qui  font 
aa  contraire  grandes  &  relevées. 

SUSPENSION. 

T  Orfqu'on  commence  un  difcours  de  telle-fortc 
que  l'Auditeur  ne  fait  pas  ce  que  doit  dire  celui 
qui  parle ,  &  que  l'attente  de  quelque  diofc  de  grand 
le  rend  attentif,  cette  figure  efl  appellée  Sufpenfion. 
£11  void  une  de  Brebœuf  dans  fcs  Entretiens  Soli* 
taires.  11  parle  à  Dieu. 

Les  Mtbres  et  ia  nuit  i  h  clarté  du  jour  ^ 
Us  tranfforts  de  la  rage  aux  deuceurs  de  Pamour  » 
A  retraite  amitié  la  dï/corde  ou  l'envie  i 
la  fins  bruïant  orage  au  calme  le  plus  doux  : 
la  douleur  au  plaifir  «  le  trépas  à  la  vie 
SêHt  bien  moins  oppofez  que  k  pécheur  à  vous. 

Autre  exemple.     L'oùl  n'*a  point  vu ,  Poreilli 

^tk  Paint  cntwdu  '^  &  le  cœur  de  l'homme  n'a  ja» 

mais 


l6o       La  Rhstohiqjje^  ou  l'â&t 

mais  conçu  ce  que  Dieu  a  fréfaré  pour  ceux  fui  fat* 
ment. 

PROSOPOPEE. 

QUand  une  paflîon  cft  violente ,  elle  tend  in- 
fcnfei  en  quelque  façon  ceux  qu'elle  poflc- 
de  ;  pour  lors  on  s'entretient  avec  les  morts  & 
avec  les  rochers ,  comme  avec  des  perfonnes  vi- 
vantes :  on  les  fait  parler  comme  s'ils  étoient  ani- 
mex.  C'eft  de  là  que  cette  figure  s'appelle  Prefr 
Mée  f  parce  qu'on  £iit  une  perfonne  de  ce  qui 
n  en  efl  pas  une  :  Comme  dans  l'exemple  fuivant  » 
où  un  Etranger  ayant  été  accufé  d'homicide»  par- 
ce qu'on  le  trouva  feul  enterrant  im  homme  mort. 
ce  ^ue  la  charité  lui  avoit  fait  faire  :  Jufte  Dieu^ 
dit-il  ,  prote fleur  des  innocenst  permettez  que  Nrdre 
de  la  nature  foit  troublé  pour  un  moment  %  &  que 
ee  cadavre  déliant  fa  langue  ,  reprenne  tufage  de 
la  voix»  Il  me  femhle  que  Dieu  accorde  ce  miracle 
à  mes  prières  :  Ne  rentendez  vous  pas  ,  Mejpeurst 
comme  il  publie  mon  innocence  ,  &  déclare  les  au* 
teurs  de  fa  mort  ?  Si  c'eft  un  jujle  rejjentiment  >  dit- 
il  9  contre  celui  qui  m'a  mis  dans  le  tombeau ,  qui  vous 
anime  ,  tournez»  vôtre  colère  contre  ce  calomniateur 
qui  triomphe  maintenant  dans  une  entière  ajfuran» 
ce  »  après  avoir  chargé  cet  innocent  du  poids  dé  feiu 
erime. 

Quintilîen  dit  que  cette  figure  doit  fe  faire  avec 
beaucoup  d'art ,  &  qu'il  faut  qu'elle  touche  beau- 
coup ,  ou  qu'on  en  foit  extrêmement  rebuté  : 
Magna  quadam  vis  eloquentia  depderatur.  Fa^a 
enim  et  incredibilia  naturâ  neceffe  efl ,  aut  magis  mth 
veant ,  quia  fupra  vera  funt  ,  out  pro  vanis  acei* 
fiantur  quia  vera  non  Junt,  Ce  Maître  des  Ora- 
teurs dit  qu'il  faut  adoucir  cette  figure  ,  comme 
le  Eût  Ciceron  dans  cet  exemple.  Etenim  fi  mecum 

patrie. 


^B  PAULBt.   Lh.IL  Chêtp.IX.         161 

ftiriê  i  qu£  miki  vità  nuâ  muhl  eft  cbarÎ9r  »  Ji  ctm&m 
liêBa  9  /  9nmu  ELtJfuhRc»  fie  loquatur  ,  M*  DM^ 
pùfégrs  ? 

La  figure  que  fon  appelle  en  LiûnfirmodmMiici 
c'eft-à-dire  dia/êgue  »  entretien  »  eft  une  efpece  de 
Profopopée.  L'Orateur  feint  de  fe  taire  pour  ftire 
parler  celui  qui  eft  le  fujetde  fondifcours.  Envoi- 
là  un  riche  exemple  :  ce  font  des  vers  que  Patris 
compofa  peu  de  jours  avant  ùl  mort. 

Ji/ingeeis  eeite  nuit  que  de  maleenjumé  ^ 
Cite  à  cête  tTun  fauvre  on  m'avait  inhumé  t 
Et  que  n*tn  pouvant  pasfifuffrir  le  voifinage^ 
En  mort  de  qunfité  je  lui  tins  ce  langage  : 
^ire  toit  coquin  %  va  pourrir /ain  alci  : 
a  ne  ^appartient  pas  de  m* approcher  ainfi, 
Ctf>/ff  ^ce  me  dit- Ht  d^une  arrogance  extrême  ; 
Ve  àercoir  tes  coquins  ailleurs  >  coquin  toi-  même* 
id  t$usfent  égaux  >  je  ne  te  dois  plus  rien  : 
Jfjuisfir  mon  fumier  comme  toi  fur  le  tien» 

SENTENCE. 

L'Es  Sentences  ne  font  que  des  réflexions  que  l'on 
^  hit  fur  une  chofe  qui  furprend ,  8c  qui  mérite 
d'ôrc  confiderée.  Une  fentencc  fc  fait  en  peu  de 
pMolcs,  qui  font  énergiques,  &qui  renferment  un 
pandfens;  comme  eft  celle-ci  :  llny  a  point  de 

Îuifmont  qui  puiffe  lofig-tems  cacher  Pnmour  ok  il 
,  ni  le  feindre  oà  il  n'*efi  pas. 
On  peut  mettre  au  nombre  des  fentenccs  toutes 
ccsexpreflSons  ingenieufcs,  qui  renferment  en  peu 
de  paroles  de  grands  fens ,  ou  qui  difent  plus  de 
chofcs  que  de  paroles.  Néanmoins  leur  prix  ne 
confifte  pas  tant  dans  les  chofès  que  dans  le  tour  des 
pwolcs,  ou  Tart  avec  lequel  on  peut  avec  peu  de 

pvolesdire  beaucoup.  U  y  a  des  fentences  dont  le 

fens 


'tel       La  Rhstorxojvs,  ou  l'Art 

fens  fait  la  beauté  ;  n'importe  yxe  ce  fens  foit  ex- 
primé avec  étendue.  La  réflexion. <}\ie  Lucain  fait 
fur  rcrrcur  des  andens  Gaulois  ;  qmaoyoient  que 
les  âmes  ,ne  foitoient.  d'un  corps  que  pour  rentrer 
dans^  autre  ^  fejvirâ  d'exemple  d'une  efpece  de 
fentence  qui  eft  plus  étendue. 

Odieux, mentongeX  agréable  impojîureX 
Lajrayeur  de  la  mort  9  des  frayeurs  la  plus  dure^ 
N^a  jamais  faii  piltr  ces  fieres  Nations 
Qui  trouvent  leur  repas  dans  leurs  illufions. 
De  là  naît'dans  leur  cœur  cette  bouillante  envie 
V^ajfronter  une  mort  qui  donne  uno  autre  vie  9 
De  braver  les  périls  >  de  cffercber  les  combats 
Ot^  l'on  Je  voit  renaître  au  milieu  du  trépas. 

EPIPHONEME. 

EPiphonême  eft  ime  exclamation  qtii  contient 
quelque  fentence  ou  quelque  grand  fens  que 
Ton  place  à  la  fin  d'un  difcours  :  c'eft  comme  le 
dernier  coup  dont  on  veut  frapper  les  Auditeurs, 
&  une  reflexion  vive  &  prcflante  fur  le  fujet  dont 
on  parle.  Cet  Hemifliche  de  Virgile  eft  un  Ept- 
phonème. 


y' 


Tantane  animis  ccelejlibus  ira  ? 


Lucain  finit  par  une  efpece  d'Epiphoncme  cette 
plainte  qu'il  fait  faire  aux  habitans  de  Rimini  coor 
tre  la  fituation  de  leur  ville  »  qui  étoit  expofée  aux 
premiers  mouvemens  de  toutes  les  guerres  civiles 
&  étrangères. 


Et  Rome  n  a  jamais  vu  tûftner  de  tempêtes  » 
Que  Ifur  premitr  tokt  fiait  Jondu  fur  nos  têtes* 


/N- 


BB  FARLE&.   lÀV.IL  Chef.  IX.  16} 

INTERROGATION. 

T  Intcrrogatioii  règne  preique  par  tout  dans  un 
JudMcom  figuré.  La.  paflion  porte  continua» 
lemerit  vers  ceux  que  Ton  veut  pcrfuader  ,  &  fidt 
qu'on  leur  adreffe  tout  ce  que  Ton  dit.  Auffi  cette  ' 
%ure  eft  merveiUeufemcnt  utile  pour  appliquer  les 
Auditeurs  à  ce  qu'on  veut  qu'ils  entendent.  Voici 
l'exemple  d'une  interrogation  très -animée;  c'eft 
David  qui  fe  plaint  à  Dieu  dans  le  neuvième  l'fcau- 
me,  de  ce  qu'il  femble  avoir  abandonné  les inno^ 
cens  affligez. 

Quoi  ?  Seigneur ,  eft-ce  awfi  que  tu  veux  féhîgntr 

Du  Jufte  en  fa  mifere'i 
Efi'ce  ainf  que  tu  veux  d*un  Sauveur  it  d^tm 
Père 

Les  tendres  Joins  lut  témoigner  ? 
Il  gémit Jbus  le  faix  de  fis  vives  douleurs  l 

Son  ennui  le  confume  > 
Tendis  que  le  méchant  plus  fer  que  de  coutume^ 

Rit  &  triomphe  defesfieurSé 

Ceft  par  une  figure  femblable  que  Jésus- 
C  H  K  I  s  T  fait  faire  attention  aux  Juifs  qu'il  eft 
le  Meffie  f  puifque  Jean  Baptille  ,  qu'ils  avoient 
r^édé  comme  l'Ange  du  Seigneur ,  le  leur  avoit 
dédaré.  C'étoit  un  fait  auquel  il  étoit  important 
que  les  Juifis  fiffent  attention  ;  car  en  leur  fatfant 
confiderer  que  Jean  étoit  le  Précurfcur  ,  il  letûr 
Mbit  appercevoir  qu'il  étoit  le  Meffie ,  fuivant  le 
témoignage  que  Jean  lui  avoit  rendu.  Ceft  pour 
cela,  dis -je,  que  Jefus-Chrift  employé  cette  figure 
qui  eft  fi  propre  pour  rendre  un  efprit  attentif  à  la 
vérité  qu'on  hû  veut  faire  ientir.  Qu*êtes^ous  éill^ 

chor* 


t64       La  Rbstokiqjjb»  du  l*Art 

dfircber  dans  le  dejert  ?  Un  rofeau  agUé  du  vent  t 
Qu^êSes  VMS  •  iSs'je ,  allé  voir  ?  un  bommi  vêtu  avec 
luxe  ^  avec  moUejfe  ?  Vous  favez  que  ceux  qui  s^ba* 
kilient  de  cette  forte  9  font  dans  les  matfint  des  Rois* 
Qu'êtes  vous  donc  allé  voir  1  Un  Propbete  ?  Oui  cer» 
tes  je  vous  le  dis  ^  if  plus  que  Propbete  i  car  €*e/i  de 
lui  qu'il  a  été  écrit  :  Renvoyé  devant  vous  num  Ange 
qui  vous  préparera  la  voye.  Naturellement  quand 
on  parle  avec  chaleur  »  dans  l'envie  qu'on  a  de  per- 
fuaaër  &  d*étre  écouté  ,  on  agit  de  la  main  auffi- 
bien  que  de  la  voix ,  &  on  tire  celui  à  qui  on  parle 
par  fes  habits  ;  on  lui  frappe  le  bras  ann  qu'il  foit 
attentif.  Ceft  là  Tefifet  de  l'interrogation. 

APOSTROPHE. 

» 

L'Apoftrophe  fe  fait  lorfqu'un  homme  étant  cx- 
traordinairement  émû ,  il  fe  tourne  de  tous  co- 
tez ,  il  s'adrcfle  au  Ciel ,  à  la  terre ,  aux  rochers, 
aux  forêts ,  aux  choies  infenfibles  »  aulli-bien  qu'à 
celles  qui  font  fenfibles.  Il  ne  fait  aucun  difceme- 
raent  dans  cette  émotion  ;  il  cherche  du  fecoun 
de  tous  cotez  :  il  s'en  prend  à  toutes  chofcs  com- 
me un  enfant  qui  frappe  la  terre  où  il  eft  tombé. 
Ceft  ainfi  que  David  au  i.  chapitre  du  i.  Livre 
des  Rois,  étant  vivement  affligé  de  la  mort  deSatil 
&  de  Jonathas  »  fait  des  imprécations  contre  les  mon- 
tagnes de  Gelboë  ,  quiavoient  été  le  théâtre  funefte 
de  cet  accident. 

Et  vous,  montagnes  de  G  elbois  que  jamais  la  rofie 
if  la  pluye  ne  vous  rafraicbijfent ,  que  jamais  on  ne 
trouve  de  moiffins  fur  vos  funeftes  coteaux  qui  ont 
vu  la  fuite  de  tant  de  Capitaines  d'ifraél ,  &  fui 
ont  été  teints  de  leur  fang,  L'Apolïrophe  figmfie 
çonverfion. 

Ifaïe  apoftrophe  le  Ciel  &  la  terre  pour  les  prici 
de  donner  le  Meille  qu'il  attendoit  avec  tant  a  im* 

pa 


»1  FAtLBt.  Lh.IL  Cbap.JX.       x6$ 

patience.  CîeuM  »  tnwiyez»  d*enbaut  vôtre  roftt , 
et  qnf  Us  nuées  fnffent  defiendre  ie  jyfte  somme 
m  phye  \  fite  U  terre  iouvre^  &  fu*eUe  gsrme  h 
Setveitr» 

E  P  JSTR  0  P  H  E. 

Notre  langue  n'a  point  de  termes  propres  poui 
exprimer  le  nom  que  les  Rhéteurs  Grecs  don- 
noient  a  cette  figure. 

VEprfiropbe  cft  une  cfpcce  de  convcrfion  ,  ou 
plutôt  a  une  reverfion  ou  retour  lorfqu'on  répète 
le  même  mot  d'une  manière  fort  éncmque  »  comme 
dans  ce  raifonnement  de  faint  Paul  :  Sont-ilsHe* 
hrnx  ?  Je  le  fuis  auffi.  Sont-iis  Ifraérttût  ?  Je  le  fuis 
egffi,  Sont'ils  de  la  race  d^ Abraham  t  J^enfuis  auf* 
fit  &c.  Elle  a  beaucoup  de  force,  &  rend fenfibic 
ce  qu'on  veut  iaire  concevoir;  comme  quand  Ci- 
ceron  veut  pcrfuader  qu'Antoine  étoit  la  caufe  de 
toos  les  maux  de  la  Republique.  Do/ais  très  exer» 
iitas  f$pttli  Romani  interfeâios  ?  Jnterfeeit  Antonius. 
Ltfideratis  clarijfmios  cives  ?  Ees  queque  eripuit  vobis 
Ammius,  Aufleritas  bujus  ordinis  affliéia  eft  ?  Af- 
fixitAntoitiuSf&e.  Quislegemtulit}  RuUus,  Quis 
ntâjerem  p&puH  partem  fuffragiis  privavit  ?  BmTus, 
Quis  c$mitiis  frsjuit  ?  Idem  Rulhs^ 

PROLEPSE,  ET   UPOMOLE. 

ON  appelle  Prekpfi  cette  figure  que  l'on  fait 
lorfque  l'on  prévient  ce  que  les  Adverfaircs 
poiuToicnt  objeder  ;  &  Upobok  la  manière  de 
rtpondre  à  ces  objedions  que  l'on  a  prévenue, 
k  trouve  dans  faint  Paul  un  exemple  de  ces  deux 
figures.  Ce  Saint  parlant  de  la  Refurreétion  futu- 
i^c,  s'objedc  une  oifl&culté  qu'on  pouvoit  lui  pro- 


x66       La  Rhetouxqjjs»  ou  l'A&t 

pofcr  ,  &  il  y  répond  :  Aiaîs  quelqu'un  me  dira  ^ 
in  quelle  manière  les  morts  rejfufcitent  '  ils  »  ^  quel 

Êmm0^      ÏÏm     >tA«*A*      ^JÊaétm      iMMatMM     S/f     tf»^*»mam^i^ekmm^      S  Wmafmmmfma» 

'  VOUS  fé 

^^ ,.  -^  ,,. ,.  ,,-  reprend  ^ —  —  , ,^ 

Mi^i/r/  auparavant  j  éP*  jiv^M^  vous  limez  ,  vm/x  m 
/«mrs  dii/  /r  corps  de  la  plante  qui  doit  naître  ,  mais 
ia  gratne  feulement  j  eomme  du  bled  j  ou  quelque  aw» 
tn  cbofi. 

C  0  M  MUN  IC  ATIO  N. 

TA  Communication  fe  £iit  lorfqu'on  délibère 
*^avcc  fes  Auditeurs  ,  qu'on  demande  quel  cft 
leur  fentiment.  Que  feriez  -  vous  >  Meffieurs  Jidam 
une  occafion  Jèmblable  F  Quelles  mefures  prendriex^ 
vous  autres  que  celles  qu*a  prifes  celui  que  je  défens^  • 
Ceft  une  efpece  de  communication  que  £ût  ikint 
Paul»  Iprfque  dans  le  fixiéme  Chapitre  de  TEp^ 
tre  aux  Romains ,  après  leur  avoir  rapporté  les 
avantages  de  la  Gracè  »  &  les  miferes  qui  fuivent 
le  péché  ,  il  leur  demande  :  Quel  fruit  tiriez^ 
vous  donc  alors  de  ces  defordres  dont  vous  rou^* 
fez  maintenant  »  puifqu^ils  n*avoient  pour  fn  que  iê 
mortt 

C  0  N  F  ES  SI  ON. 

CEtte  figure  eft  un  aveu  de  fes  fautes ,  qui  en- 
gage celui  à  qui  on  le  fait  de  nardonner  la 
faute  que  Tcfperance  de  fa  douceur  donne  la  har* 
dieffe  d'avouer.  Ceft  une  figuie  fort  ordinaire 
dans  les  Pfeaumes  de  David  ;  Texemplc  fuivant 
eft  beau.  U  parle  à  Dieu  dans  le  vingt-quatrième 
Ffeaume  : 

NT. 


»B  PAELfift.  Liv.IL  Cbêf.IX.       167 

Nf  regarde  peint  mts  forfaits, 
Jifiis  qui  du  furdon  iis  me  renient  indigue  i 
tUgarde  ta  Benté  uui  ne  tarit  jamais. 
Pius  ies  pecbex,  fSnt  grands  ,  fins  la  GréTce  efl  ith 

fignei 
Vwr  Pamour  de  toifinJ,  non  pour  mon  repentir  t 

FaiS'm'en  les  effets  rfffentir, 

EPJTROPHBf  (m  CONSENJBMEUT. 

Quelquefois  on*,  accorde  liberalemeut  ce  mt 
Ton  peut  refufcr,  afin  d'obtenir  ce  que  Von  de- 
mande. Cette  figure  eft  fouvent;  malideufe^»  comme 
cdle-cL  C'cft  riUuftre  Poète  Satyriquc  qui  répond 
à  ceux  qui  le  reprenoient  d*avoircenfure  avec  trop 
d'aigreur  les  vers  d'un  honnête  homme. 

Ma  Mufe  en  Pat taquant  charitable  &  difcrète^  ' 
Sait  de  Pbomme  dbonneur  dijiingùer  le  Poète  : 
2»Vff  vante  en  lui  la  foi  ^Pbonneur^  la  probité  > 
Qi^on  prife  fa  candeur  et  fa  civilité  : 
Qtj^iljoit  doux ,  complaifant ,  officieux  9  fincere  > 
0»  le  veut:  fy  foufiris,  enfuis  prêt  de  me  taire* 
Mais  que  pour  un  modèle  on  montre  fes  éerits  : 
Qu^ilfoit  le  mieux  rente  de  tous  les  beaux  E/prits  : 
Comme  Roi  des  auteurs  qu*on  P élevé  à  P Empira 
Ma  bile  alors  s^écbatsffe,  &je  brûle  décrire. 

Ccft  encore  par  cette  figure  que  pour  toucher  un 
tocmi,  8c  lui  donner  horreur  de  fa  cruauté,  on  rin- 
▼itc  quelquefois  à  faire  tout  le  mal  qu'il  peut  faire. 
Blc  eft  auffi  ordinaire  dans  les  plaintes  qui  fe  font 
^  amis  ,  comme  dans  celle  que  fait  Ariftéc  dans 
"iîgilc  à  fa  mcrc  Gyrenc. 

Qui» 


l68       La  RHETORiQjuSy  ov  L^Aiir 

Quin  âge  y  &  iffa  manufelices  eruejylvas, 
Ferjiabulis  inimicum  i^nem  atque  interfice  meffis, 
Urefatë  >  &  vaUdam  m  vîtes  moRre  bi^ennem  : 
limta  meafi  U  ceferpnt  uiia  laudïs. 

Je  puis  donner  pour  exemple  de  cette  figure 
Sonnet  fuiTant  \  qui  eft  admirable. 

Grand  Dieu,  tes  îvgemens  fini  rempiis  ^  équité  i 
Toujours  tu  frens  fU^r  à  hous  être  propice: 
Mais  f  ai  tant  fait  de  mal  que  jamais  ta  bonté 
Ne  me  pardonnera  Jhns  ctoquer  tajufiice. 

Oui,  mon  Dieu  9  la  grandeur  de  mon  impiété. 
Ne  laijfe  à  ton  pouvoir  que  le  choix  dujupplice  : 
Ton  intérêt  s^oppofe  à  ma  félicité  » 
Et  ta  clémence  même  attend  que  je  perij/i. 

Contente  ton  dtfir  puifqu*il  feji  glorieux  : 
Offenfe-toi  des  fleurs  qui  coulent  de  mes  yeux  i 
Tonne  »  frappe ,  il  efi  tems  ;  rends-moi  guerre  pou\ 
guerre; 

^ adore  en  periffant  la  raifon  qui  t^ aigrit* 
Mais  deffus  quel  etidroit  tombera  ton  tonnerre 
Qui  nejoit  tout  couvert  dufang  de]%sy3  s-C  H  R  X  s  T 

PERIPHRASE. 

TA  Periphrafe  eft  xm  détour  que  Ton  pend 
•■^  pour  éviter  de  certains  mots  qui  ont  des  idée 
choquantes ,  6c  pour  ne  pas  dire  de  certaines  dio- 
fes  qui  produiroient  de  mauvais  effets.  Cicerofl 
étant  obligé  d'avouer  aue  Clodius  avoit  été  tu^ 
par  Milon  ,  il  fe  fert  a  adrefle.  Les  ferviteurs  à 
Milon  %  dit-il  ,  étant  empêchez  de  fecourir  leur  Mal- 
tre,  queClodiuffe  vantoa  d'avoir  tué  ^  &  le  croyant 

il 


DB  PAULBu.  Ltv.JL  Cbap.X.         169 

\  frent  dans  fin  abfince , /0ns  fa  participation  ^  & 
ms  fin  aveu ,  ce  que  chacun  aurait  attendu  de  fis 
rviteurs  dans  une  occafion  fimblable,  U  évite  ces 
3ms  odieux  de  tuer  ou  de  mettre  à  mort. 
La  Periphrafe  eft  particulièrement  d'ufagc  lors- 
a'on  eft  contraint  de  parler  de  chofes  qui  pour- 
>icnt  falir  l'imagination  fi  on  les  exprimoit  natu- 
llcment.  11  faut  les  défigner  par  des  circonftan- 
s  &  des  qualitez  qui  leur  font  propres ,  &  qui  ne 
iffcnt  f>oint  de  mauvaifes  imprcffions  dans  ref- 
it. Il  n*étoit  pas  fort  néceflaire  de  traduire 
t  endroit  d'une  des  Odes  d'Anacreon  ,  où  ce 
)ëte  hit  le  portrait  de  Venus  qui  fe  baigne  ,  ou 
li  traverfe  quelque  bras  de  mer  à  la  nage.  Mais 
\bbé  qui  a  fait  cette  traduction  ,  le  fait  avec 
mte  la  circonfpeftion  poffible ,  ufant  de  Pcrî- 
iiafe. 

Sur  la  mer  il  la  reùréfinte 
Tout  aujji  belle .  au  fi  charmante 
Quelle  eft  la  haut  parmi  les  Dieux , 
Sans  que  défi  beauté  celefte 
U  cache  aux  regards  curieux 
Que  ce  qu'Hun  ufage  modefte 
Dérobe  a  ordinaire  aux  yeux. 


Chapitre    X. 


1a  nombre  des  figures  eft  infni.    Chaque  figure  fi 
peut  faire  en  cent  différentes  manières* 

[E  n'ai  point  rapporté  dans  cette  Lifte  des  H7- 
'  perbolcs ,  les  grandes  Métaphores ,  &  plufieurs 
itrcs  Tropes  ,  parce  que  j'en  ai  parlé  ailleurs: 
î  font  néanmoins  de  véritables  figures;  &  quoi- 
iic  la  difcttc  des  langues  oblige  d'employer  aflez 

H  fou. 


170       La  Rhïtoriqjti  ,  ou  l'Akt 

fouvent  ces  cxpreffions  tropiques ,  lors  même  qm 
Ton  cft  tranquille  ;  cependant  on  ne  s'en  fert  ordi 
nairement  que  durant  la  paffion.  Ccft  elle  qui  far 
que  les  objets  nous  paroiflcnt  extraordinaires,  & 
€ue  par  conféquent  on  ne  trouve  point  de  terme 
cans  Tufage  ordinaire  qui  les  repréfentent  aufl 
grands  &  auffi  petits  qu*ils  nous  paroiffent.  Ootn 
cela ,  je  n'ai  pas  prétendu  parler  de  toutes  les  figo 
Tes;  il  faudroit  a  auffi  gros  volumes  pour  marque 
les  caractères  des  pallions  dans  le  difcours  »  q» 
pour  exprimer  ceux  que  les  mêmes  pafTions  pd 
gnent  fur  le  vifage.  Les  menaces  ,  les  plainte» 
les  reproches,  les  prières  ont  en  chaque  langue  leur 
ligures.  Il  n'y  a  point  de  meilleur  Livre  <^ue  fo) 
propre  cœur;  &  c'eft  une  folie  de  voulou*  allé 
chercher  dans  les  éaits  des  autres  ce  que  Ton  trouvt 
chez  foi.  Si  on  deiire  favoir  les  figures  de  la  cole 
le ,  qu'on  s'étudie  quand  on  parle  dans  le  mouvc 
ment  de  cette  paflion. 

Enfin  ,  il  ne  faut  pas  s'imaginer  que  les  figure 
doivent  être  toutes  femblables  aux  exemples  qu< 
j'en  ai  donné,  &  que  ces  exemples  foient  commi 
des  modèles  fur  lefquels  on.  doive  former  toute 
les  figures  que  l'on  fera.  L'Apoftrophe ,  l'Intenro- 
gation ,  l'Antithefe  fe  peuvent  faire  en  cent  ma- 
nières :  ce  n'efl  point  Y  An  qui  les  règle  ;  ce  n'd 
point  l'étude  qui  les  doit  trouver,  cefontdescffcfi 
naturels  de  la  palTion  ,  comme  nous  l'avons  déjj 
remarqué.  Je  le  ferai  voir  encore  plus  amplcmcnl 
dans  le  Chapitre  fuivànt. 


1.. 


C  H 


Di  pk%tM%.  LhJL  Cbap.Xl.         171 


Chapitre    XI. 


îgures  Jhnt  comme  les  armes  de  Vame,    VaraU 
lele  (Vun  Soldat  qui  combat  y  avec  un  Ora* 
teur  qui  parle. 

tjR  faire  comprendre  encore  plus  clairement 
;  aue  i'ai  dit  ci-deffus ,  que  les  figures  font  les 
>  de  1  ame ,  je  ferai  ici  le  paralicle  d'un  Soldat 
ombat  les  armes  à  la  main,  &  d'un  Orateur 
wurle.    Je  conlidere  un  Soldat  en  trois  états  : 
cmicr  cft  lorfqu'il  combat  avec  forces  égales, 
le  fon  ennemi  n'a  aucun  avantage  fur  lui: 
le  fécond,  il  elt  environné  de  dangers:  &dans 
)ifiéme ,  étant  obligé  de  céder  a  la  force ,  il 
lus  recours  qu'à  la  clémence  de  fon  vainqueur. 
\  le  premier  état  ce  Soldat  eft  appliqué  i  trou- 
es moyens  de  gagner  la  vidoire  ;  tantôt  il  at- 
:,  tantôt  il  repouffe,  tantôt  il  recule,  tantôt 
ance  :  il  fait  mine  de  fuir  pour  retourner  avec 
d'impetuofité;  il  redouble  fcs  coups,  il  mc- 
,  il  le  rit  des  efforts  de  fon  adverfaire.  Quel- 
bis  il  s'excite  lui-même ,  6c  combat  avec  plus 
leur.    Il  prévoit  tous  les  deffeins  de  fon  enne- 
n  s'empare  des  lieux  qu'il  juge  lui  être  avanta- 
c;  en  un  mot,  il  eft  dans  un  perpétuel  mouve- 
it;  toujoiu-s  difpofé,  foit  à  fe  défendre,  foit  à 
luer. 

orfque  l'ame  combat  par  les  paroles ,  les  paf- 
s  dont  elle  eft  échau'fïée  ne  la  portent  pas  avec 
ns  de  chaleur  à  fe  tourner  de  tous  cotez ,  pour 
ivcr  des  raifons  &  des  preuves,  des  vcritez 
:11e  foùtient.  Dans  l'ardeur  que  Ton  a  de  fe 
:ndre  ,  &  de  faire  valoir  ce  que  l'on  dit ,  on 
îte  les  mêmes  chofes ,  on  les  ait  en  diffcicmei 

H  1  X£Ar 


i 


J71       La  Rmetohiqui,  ou  l'Ait 

manières  :  On  en  fait  des  defcriptions ,  des  hy; 
typofes  ;  on  fc  fert  de  comparaifons  ,  de  fimili 
des;  on  prévient  ce  que  l'adveifaire  doit  objeâ 
(Se  l'on  y  répond.  Quelquefois  pour  marque 
confiance  Ton  accorde  tout  ce  qu'on  demande: 
Ton  témoigne  que  Ton  ne  veut  pas  fefervirdeti 
tes  les  raiions  que  la  juflice  de  la  caufe  poun 
fournir.  Un  Soldat  tient  fon  ennemi  en  haleine; 
coups  (ju'il  lui  porte  continuellement ,  les  affii 
qu'il  lui  livre  de  tous  cotez  le  tiennent  éveillé,  1 
Orateur  entretient  l'attention  de  fes  Auditci 
Lorfque  leur  efprit  s'éloigne ,  il  les  rapelleàluii 
des  Apoilrophes ,  par  des  Interrogations^  oui  cl 
gent  ceux  à  qui  elles  font  faites  de  réponore  à 
qu'on  leur  .demande.  Il  les  réveille ,  &  les  fitit 
venir  de  leur  aflbupiflcment  par  des  exclamatic 
fréquentes  &  réitérées. 

un  Soldat  environné  d'ennemis,  fans  fecou 
il  s'en  plaint  >  il  reproche  à  fes  ennemis  leur  lad 
té.  La  colère  le  porte  contre  eux,  la  crainte 
rapelle  aufli-tôt.  Il  demeure  immobile  &  pl< 
d'irrefolutions;  cependant  le  defir  d'éviter  le  p( 
qui  le  menace,  le  preflc  &  réchauffe;  il  tente  < 
fuite  toutes  fortes  de  voyes ,  il  s'anime,  il  s'ex 
te  ;  la  pafîjon  le  rend  adroit  &  ingénieux  ;  c 
lui  fait  trouver  des  armes;  &  il  employé  tout 

Su'il  rencontre  pour  fa  défenfe.  Un  Orateur  pci 
étouffer  les  fentimens  de  douleur  qu'il  reffent, 
ne  les  point  témoigner  par  des  exclamations  ,  i 
des  plaintes ,  par  des  reproches ,  lorfqu'il  appcrç 
que  la  Vérité  eft  combattue  ou  obfcurcie  .'^  Dans( 
occafions  l'ardeur  qu'il  arde  la  garantir  destcneh 
dont  on  veut  ï'oflfuiquer ,  fait  qu'il  avance  preui 
fur  preuves.  Tantôt  il  les  explique ,  tantôt  apj 
les  avoir  feulement  propofces ,  il  les  abandonn 
pour  répondre  aux  objeélions  des  adverfaires, 
demeure  quelque  tems  dai^  le  filence  &  dans  1' 


Bi  PAKiin.  LtvJï.  Chap.XL         175 

ition  fur  le  choix  de  fcs  preuves.    Il  avance 
[ue  chofe ,  auffi-tôt  il  ccniure  ce  qu'il  a  avan- 
comme  n'étant  point  aflez  fort.    Quand  les 
^es  lui  manquent ,  ou  que  celles  qu'il  produit 
)nt  pas  fuffifantes ,  il  apoftrophe  toute  la  Na- 
il  lait  parler  les  pierres,  il  fait  fortir des tom- 
X  les  morts  ,  &  il  oblige  le  Ciel  &  la  terre  à 
ier  par  leur  témoignage  la  vérité  pour  laquelle 
le  avec  tant  d*ardeur ,  &  qu'il  veut  établir. 
»ur  achever  le  parallèle  que  j'ai  commencé,  je 
dere  ce  Soldat  dans  le  troiiiéme  état  auquel 
:  réduit  ,  lorfqu'il  ne  difpute  plus  la  viéloire , 
l'il  efi  obligé  de  céder  à  ion  ennemi.  Pour  lors 
:mplo>e  plus  les  armes  qui  lui  ont  été  inutiles , 
■aits  de  fon  vifage  n'ont  plus  rien  de  menaçant; 
oppofe  que  des  larmes ,  il  s'abaifTe  encore  da- 
age  que  fon  ennemi  ne  l'a  abbaiiSc  ;  il  fe  jette 
;  pieds ,  &  embrafle  fes  genoux.  L'homme  eft 
pour  obéir  à  ceux  de  qui  il  dépend ,  &  dont 
foutenu  ,  &  pour  commander  a  fes  inférieurs 
reconnoiffent  fa  puifTance.  Il  fait  Tun  &  l'autre 
plaifir.    Deux  perfonnes  fe  lient  f^rt  étroite- 
t  cnfemble ,  quand  l'une  a  befoin  d'être  foula- 
,  au'dle  le  denre ,  &  que  l'autre  la  peut  foula- 
Dieu  ayant  ftdt  les  hommes  pour  vivre  en- 
ble,  il  les  a  formez  avec  ces  inclinations  natu- 
îs.    Une  perfonne  affligée  prend  naturellement 
lCS  les  poftures  humiliées  qui  la  font  paroitrc 
leflbus  de  ceux  à  qui  elle  demande  du  fecours  ; 
.DUS  ne  pouvons  fans  refider  aux  fenti mens  delà 
ure  ,  rcfufer  à  ceux  que  nous  voyons  humiliez  le 
mrs  qu'ils  nous  demandent.    Nous  les  fecou- 
s  avec  un  plaifir  fecret ,  qui  eft  comme  le  prix 
nous  paye  du  foulagement  que  nous  leur  don- 
is:  Et  c'eû  cette  efpece  de  récompenfe  qui  entre- 
nt un  commerce  entre  les  malheureux  &  ceux  qui 
foulagent. 

H  3  Dans 


174       La  Rhstokiqjuï,  ou  l'A«.t 

Dans  le  difcours  il  y  a  des  figures  qui  répon- 
dent à  ces  poftures  d'afiliélion  &  d'humilité  ,  aux- 
quelles les  Orateurs  ont  fouvent  recours.     Les 
hommes  étant  libres ,  il  dépend  d'eux  de  fe  laif- 
fer  perfuader.     Ils  peuvent  détourner  leur  vue 
pour  ne  pas  appercevoir  la  vérité  qui  leur  eft 
propofée,  ou  diflimuler  qu'ils  la  connoiffent  ;  ainfî 
un  Orateur  eft  prefque  toujours  dans  ce  troifié- 
me  état  où  nous  confîderons  ce  Soldat.    Lors- 
qu'un homme  fe  voit  contraint  de  céder,  &quc 
le  defîr  qu'il  a  de  fe  conferver  l'oblige  à  s'ab- 
baifler,  &  à  gagner  par  fes  prières  ceux  qu'il  ne 
peut  vainae  par  la  force  de  fes  raifons  ;  pour 
lors  il  eft  éloquent  à  perfuader  le  malheur  de 
rétat  auquel  il  eft  réduit.    Les  prières  ordinaire- 
ment font  pleines  de  defcriptions  de  la  mifere  de 
celui  qui  les  fiait.    Job  dit  en  parlant  \  Dieu,  qu'fl 
n'cft  qu'une  feuille  dont  les  vents  fe  jouent,  une 
paille  lèche.   Contra  foiium  quod  vento  rapitur  ofltB» 
dis  potentiam  tunm  ,  &  Jîifuiam  ficcam  ptrjefutris. 
Et  David ,  •— 

Jefoupîre  le  jour  fous  les  rudes  atteintes 

Dt  mes  longues  douleurs  : 
Le  repos  de  la  nuit  ejl  troublé  par  mes  plaintes  » 
Jb/  mon  lit  agité  nage  prefqu^en  mes  pleurs. 

En  un  mot ,  comme  il  y  a  des  figures  pour  me- 
nacer, pour  reprocher ,  pour  épouvanter;  il  y  en 
a  pour  prier,  poiu*  fléchir,  pour  flatter. 


C  n  k* 


DE  FAHiiE.  LiVéJL  Cbâp.Xn,        X75 


Chapitilb    XII. 

45 figures  éclaircijfent  ies  veriuz  oh/cures»  it rendent 

reffrit  attentif. 

ON  ne  peut  douter  d'une  vérité  connue.  On 
peut  bien  h  combattre  de  bouche  ,  mais  le 
cceur  lui  eft  véritablement  aflujctti.  Ainfi  pour 
triompher  de  l'opiniâtreté  ou  de  l'ignorance  de 
:cux  qui  refillent  à  la  Vérité,  il  fuffit  d'expofer  à 
brs  yeux  fa  lumière ,  &  de  l'approcher  de  iî  près , 
'uc  fa  forte  impreffion  les  réveille  ,  &  les  oblige 
l'être  attentifs.  Les  figures  contribuent  mer\'eil- 
brcment  à  lever  ces  deux  premiers  obftacles  qui 
împêchent  qu'une  vérité  ne  foit  connue  ,  Tobfcu- 
ité  &  le  défaut  d'attention.  Elles  fervent  à  mettre 
anc  propqfition  dans  fon  jour  ,  à  la  déveloper ,  & 
U'étendrc.  Êles  forcent  un  Auditeur  d'être  atten- 
tif, elles  le  réveillent ,  &  le  frappent  fi  vivement , 
lu'dles  ne  lui  permettent  pas  de  dormir,  &  déte- 
nir les  yeux  de  fon  efprit  fermez  aux  veritex  qu'on 
bipropofe. 

Comme  je  n'ai  deflcin  de  rapporter  dans  la  Lifie 
^t  j'ai  donnée  des  figures ,    que  celles  que  les 
Rlictcurs  y  placent  ordinairement ,  je  n'y  ai  pas 
▼ouh  parler  des  Syllogifaies ,  des  Enthymêmes , 
te  Dilemmes ,  &  des  autres  efpcces  de  raifon- 
ntmens  que  l'on  traite  dans  la  Logique;  cepen- 
dant il  eft  manifefte  que  ce  font  de  véritables  fi- 
sses, putfque  ce  font  des  manières  de  raifonner 
extraordinaires  ,  qu'on  n'employé  que  dans  l'ar- 
fcur  que  l'on  a  de  perfuader   ou  de  difluader 
ceux  à  qui  on  parle.    Ces  raifonnemens  ou  figu- 
res ont  une  force  merveillcufe  ,   qui  confille  en 
w  que  joignant  une  propofition  claire  &  incon-  • 

H  4  tefta- 


1^6       La  RfiiTOKiQUi,  ov  t'AnT 

tcftablc  avec  une  autre  qui  n'eft  pas  fi  dair 
qui  cft  conteftée  ,  la  clarté  de  Tune  diffi] 
ténèbres  de  l'autre:  &  comme  ces  deux  pn 
tions  font  étroitement  liées  ;  fi  ce  raifonnc 
cft  bon  ,  on  ne  peut  confentir  que  Tune  foit 
table  ,  que  l'on  ne  demeure  d'accord  que  Y 
Teft  aufli.  Mais  la  chaleur  de  la  paffion  ne  pc 
pas  que  Ton  s'aflujettiflc  entièrement  auxre^c 
la  Logique  préfente  pour  faire  ces  raifonneme 
forme. 

Un  raifonnement  folide  accable  &  defarn: 
plus  opiniâtres  :  les  autres  figures  n'ont  pas 
vérité  tant  de  force  ,  mais  elles  ne  font  pas  i 
les.  Les  Répétitions  &  les  Synonymes  éclaira 
une  vérité  :  fi  on  ne  l'a  pas  comprife  par  une 
miere  cxpreffion  ,  la  féconde  la  fait  conce 
Ce  font  comme  autant  de  féconds  coups  de 
ceau  ,  qui  font  paroître  les  traits  qui  ne  font 
afiez  formez.  Quelles  ténèbres  peuvent  obfci 
la  vérité  d'une  chofe  qu'une  perfonne  éloqu 
explique  ,  dont  il  fait  de  riches  defcriptions , 
dénombremens  qui  nous  mènent ,  s'il  eft  pc 
de  parler  de  la  forte,  par  tous  les  recoins  & 
cnfoncemens  d'une  affaire  ,  des  Hypotypofes 
nous  tranfportent  fur  les  lieux  ,  &  qui  par  un 
chantement  agréable  font  que  nous  croyons  ' 
les  chofes  mêmes  ?  Les  Antithefes  ne  font  pa; 
vains  ornemens  ;  les  oppofitions  des  chofes  ( 
traires  contribuent  à  réclairciffement  d'une  ^ 
té  ,  comme  les  ombres  relèvent  l'éclat  des  ( 
leurs. 

Notre  efprit  n'eft  pas  également  ouvert  à  i 
tes  veritez.  Nous  comprenons  bien  plus  fa< 
mène  les  chofes  qui  fe  piéfentent  à  nous  tou: 
jours,  &  qui  font  dans  Tufage  commun  des  h 
mes,  que  celles  qui  en  font  éloignées  ,  &donti 
n'entendons  parler  que  très-rarement.    C'ell  p 


&I  f  AniBH.  Lh.lL  Chêp.Xli.       177 

quoi  les  comparaifons  &  les  fimilitudcs  que  Ton  ti- 
re ordinairement  des  chofes  fcnfibles  ,  font  entrer 
fecîlcment  dans  Tintelligence  des  veritez  les  plus 
ïbftiaites.  11  n'y  a  rien  de  fi  relevé  &  de  fi  luStil 
qu'on  ne  puiire  foire  comprendre  aux  efprits  les  plus 

Eits,  pourvu  qu'entre  les  chofes  qu'ils  connoif- 
t ,  ou  qu'ils  peuvent  connoître ,  on  en  trouve 
tdroitement  de  fcmblables  à  celles  qu'on  veut  leur 
apliquer. 

Nous  trouvons  un  exemple  merveilleux  de  cette 
adrcffe  ,  dans  un  difcours  que  fie  Monficir  Pafchal 
î  un  jeune  Seigneur ,  pour  le  foire  entrer  dans  la  vé- 
ritable connoiflance  de  fa  condition.  11  luiprupofa 
cette  Parabole. 

Un  homme  tfl  jette  par  la  tempête  /fins  une  ÏJÎi 

ncânnii'ét  ^fit  i*^  hahitans  étaient  en  peine  de  tiow 

Vr  kur  Roi    qui  s^étoit   perdu  5     &  ayant  beau- 

f9Bp  de    rejfemblanee   de  C9rps   et  de  viffge  avec 

ce  Rfii  y   il  efl  pris  pour  lui  ,  if  reconnu  en  cette 

fuaHié   de    tout   ce  peuple,     V^abord  il  ne  favoit 

quel  parti  prendre  j    mats  il  fe  refolut  enfin  de  fe 

fréter  à  fa  bonne  fortune.     Il  reçût  tous  Arr   rv/- 

peÛs  qu'on  lui  voulut  rendre. ^  &  il  fe  lai  (fa  traiter 

de  Hpi. 

Mais  comme  il  ne  pou  voit  oublier  fa  condition 
natitreUe ,  il  fongeoit ,  en  mhne  temps  quii  recevait 
tes  refpe&s ,  qu'il  n  était  pas  ce  Roi  que  ce  peuple 
éercboit  «  àt  que  ce  Royaume  ne  lui  tippartenott 
pas,  Ainfi  il  avait  une  double  penfée  ;  l'une  par 
laquelle  il  agiffoit  en  Roi ,  rautre  par  laqueJ/e  il 
ftcmnoijjait  fon  état  véritable ,  &  que  a  nJtoit 
q»e,le  bazard  qui  Pavait  mn  en  la  place  où  il  t'« 
tnt.  Il  cachait  cette  dernière  penfée  >  &  découvrait 
famre.  C*ét§it  par  la  première  qii*il  trnitoit  avec 
k  peuple  t  &  par  la  d&niere  quil  t  rai  toit  avec  foi' 
fÊeme, 

Dans  cette  image  Monfieur  Pnfchal  fait  confi- 

H  s  dcrcr 


178       La  Rhitorique,  ou  l'Art 

dcrcr  à  ce  jeune  Seigneur  ,  que  c  eft  le  haiard 
de  la  naiffance  qui  Ta  fait  grand  ;  qne  c'eft  l'ima- 
gination  des  hommes  qui  a  attaché  à  la  qusdi- 
té  de  Duc  une  idée  de  grandeur ,  &  qu'en  ef- 
fet il  n*eft  pas  plus  grand  qu'un  autre.  Il  loi 
apprend  de  la  forte  quels  fentimens  il  devoit  i» 
voir  de  fa  condition  ,  &  lui  fait  comprendre  ds 
veritez  qui  euffent  été  au  delTus  de  fon  âge ,  s*ï 
ne  les  avoit  rendu  fenlibles  par  un  .tour  &  ior 
genieuz. 


Chapitre    XIII. 
Les  figures  Jhnt  propres  à  exciter  les  pajjùms^ 

SI  les  hommes  aim oient  la  vérité  ,  il  fuffiroit de 
la  leur  propofer  d'une  manière  vive  &  fenfibk 
i>our  les  pcrfuader;  mais  ilslahaïfTcnt,  parcequ'i 
le  ne  s'accorde  que  rarement  avec  leurs  interêtti 
&  qu'elle  n'éclate  que  pour  faire  paroître  leurs  ai- 
mes ;  ils  fuyent  donc  fon  éclat ,  &  ferment  les  yeux 
de  crainte  de  l'appercevoir.  Ils  étouffent  cetamoitt 
naturel  que  nous  avons  pour  elle  ,  &  ils  s*cndur- 
ciffent  contre  les  blelTurcs  falutaires  que  font  kl 
traits  dont  elle  frappe  la  confcience.  Ib  ferment 
toutes  les  portes  desfens ,  afin  qu'elle  n'entre  j^ 
dans  leur  efprit  ;  ou  ils  la  reçoivent  avec  tant  d  in^ 
différence ,  qu'ils  l'oublient  aufli-tôt  qu'ils  l'ont ap- 
prife. 

L'éloquence  ne  feroit  donc  pas  la  maîtreflfc  to 
cœurs ,  &  elle  y  trouveroit  une  forte  refiftancci 
fi  elle  ne  les  attaquoit  par  d'autres  armes  que  cch 
les  de  la  Vérité.  Les  paffions  font  les  reiîorts  de 
l'ame  ,  ce  font  elles  qui  la  font  agir.  Ceft  cm 
lamour ,  ou  la  haine  ,  ou  la  crainte  ,  ou  ^cfp^ 

raticei 


DX  FAELEt.    LIV.IL  Cbéif.XIIL  fjf 

ace,  qui  confcillcnt  les  hommes  ,  qui  les  déter- 
inent  :  ils  fuivent  ce  qu'ils  aiment ,  ils  s'cloi- 
ent  de  ce  qu'ils  haïflent.  Celui  qui  tient  les  ref- 
rts  d*une  machine  n'cft  pas  tant  le  maitre  de  tous 

effets  de  cette  machine ,  que  celui-là  l'eft  d'une 
rfonne  dont  il  connoit  les  inclinations  ,  &  à 
i  il  fait  infpirer  la  haine  ou  l'amour  ,  félon  qu  il 
it  le  faire  avancer  vers  un  objet ,  ou  l'en  cloi- 
cr. 

Or  les  paflions  font  excitées  par  la  préfcnce  de 
ir  objet  :  le  bien  préfent  donne  de lamour  ,  & 

la  joyc.  Lorfqu'on  ne  le  poflede  pas  encore, 
ais  qu'on  le  peut  poflcder  ,  il  brûle  Tame  de  de- 
s ,  dont  il  entretient  le  feu  par  Tefperance.  Le 
al  qui  eft  préfent  caufe  de  la  haine  ou  de  la 
iftcffe;  s'il  cft  abfent  ,  Tame  cfl  tourmcnice  par 
s  craintes  &  par  des  terreurs  qui  fe  changent  en 
rfcfpoir  lorfqu'on  n'a})perçoit  point  le  moicn  de 
Wtcr.  Pour  donc  allumer  les  paffions  dans  le 
EUT  de  l'homme ,  il  faut  lui  en  préfentcr  les  ob- 
ts ,  &  c'ell  à  quoi  fervent  merveillcufemeni  les 

Nous  avons  vu  comme  les  figures  impriment 
irtement  une  vérité ,  comme  elles  la  dcvelop- 
ait,  comme  elles  l'expliquent.  Il  faut  les  em- 
oycr  en  la  même  manière  pour  découvrir  l'ob- 
t  de  la  paffion  que  l'on  defïre  infpirer ,  &  pour 
ire  une  vive  peinture  qui  exprime  tous  les  traits 
t  cet  objet.  Si  on  parle  contre  un  fcelerat  qui 
icrite  la  haine  de  tous  les  Juges ,  on  ne  doit 
3int  épargner  les  paroles ,  ni  éviter  les  répéti- 
ons ,  &  les  fynonymes  pour  frapper  vivement 
or  dprit  de  l'image  de  les  crimes.  Les  Anti- 
rfcs  font  nécciTaires  pour  faire  concevoir  l'é- 
>rmité  de  fa  vie  par  l'oppofition  de  l'innoceh- 

de  ceux  qu  il  aura  perfecutez.  On  peut  le 
mparcr  aux  fccierats  qui  ont  vécu  avant  lui  , 

^  H  6  & 


tSo       La  Rhétorique,  ov  l'art 

&  faire  voir  que  fa  cruauté  ,eft  plus  grande  qoc 
celle  des  tigres  &  des  lion?/  Ccft  dans  la  def- 
cription  de  cette  cruauté ,  &  des  autres  mauvai- 
fes  qualitez  de  ce  fcelerat  que  triomphe  Télo- 
ouence.  Ce  font  particulièrement  les  Hypotypo- 
fcs  ,  ou  vives  defcriptions ,  qui  produifent  reffct 
oue  Ton  attend  de  ion  difcours ,  qui  font  élever 
aans  Tame  les  flots  de  la  paffion  dont  on  fefcrt 
pour  faire  aller  les  Juges  où  Ton  veut  les  me- 
ner. Les  exclamations  fréquentes  témoignent  la 
douleur  que  caufe  la  vue  de  Unt  de  crimes  fi 
énormes  ,  &  font  reflcniir  aux  autres  les  mêmes 
fentimens  de  douleur  &  d'averfion.  Par  les  Apollro- 
phes ,  par  les  Profopopées  ,  on  fait  qu'il  fcmUc 
oue  toute  la  Nature  demande  avec  nous  la  con- 
aamnation  de  ce  criminel. 


Chapitre    XIV. 
Reflexion  fur  le  bon  ufage  des  figures, 

LE  s  figures  étant ,  comme  nous  avons  vu,  Ic! 
cara(fteres  des  paflTions  ,  quand  ces  pâmons 
font  déréglées ,  les  figures  ne  fervent  qu'à  pein- 
dre leurs  déreglemens.  Elles  font  les  inftrumcDi 
dont  on  fe  lert  pour  ébranler  l'ame  de  ceux  i 
qui  on  parle.  Si  ces  inftrumcns  font  manici  par 
un  efprit  animé  de  quelque  paffion  injullc,  ces 
figures  font  dans  fa  bouche  ce  qu'eft  une  épéc 
dans  la  main  d'un  furieux.  Il  ne  faut  pas  s'ima- 
giner qu'il  foit  permis  de  noircir  par  de  fauflcs 
accufations  ceux  contre  qui  on  parle  ,  &  que 
pour  parler  éloquemmcnt  il  foit  nécelTairc  d'em- 
ployer contre  eux  îes  mêmes  figures  dont  on  fc 
lerviroit  pour  porter  des  Juges  à  condamner  le 

pltf 


SB  PAEtZE.  Liv.iLCBétp.XIV.      xBf 

us  criminel  8c  le  plus  abominable  de  tous 
s  hommes.  Les  Dédamateurs  »  à  qui  ce  dé- 
ut  eft  ordinaire  ,  ne  trompent  jamais  deux 
»is.  On  s'accoutume  à  entendre  leurs  excla- 
lations  ,  &  il  leur  arrive  la  même  chofc  qu'à 
îux  qui  ont  coutume  de  feindre  qu'ils  font  ma- 
ies. Quand  ils  le  font  effedivement ,  on  ne  les 
roit  pas. 

Necjèmel  irrifus  trivîis  attollen  curât , 
hiflo  crure  flanum  :  licet  ilii  plurima  munit 
Aéryma  :  ftr  Jandum  jurëtus  élUat  Ofirim  » 
'"éUdite  :  non  ludo  :  crudeies  tollite  claudum, 
^âre  peregrinum ,  vicinia  raucM  réclamât» 

Ce  défaut  dans  les  uns  efl  une  marque  de  ma- 
lice ,  &  dans  les  autres  de  légèreté  &  d'extra- 
ragance.    C'eft  une  malice  lorfqu'on  prend  plai- 
Gr  à  combattre  la  vérité  ;  ^ue  l'on  ne  defire  pas 
édairer  l'efprit  de  fes  Auditeurs ,  mais  le  trou- 
bler par  les  nuages  de  quelque   injufte  paflion 
jui  leur  dérobe  la  vue  de  la  vérité.    On  ne  doit 
pas  toujours  accufer  les  Dédamateurs  de  cette 
malice  :    fouvent  ils  ne  prennent  pas  garde  aux 
impreffions  que  peuvent  faire  leurs  figures  ;  leur 
dcflcin  n'eft  pas  de  perfuader ,  mais  feulement 
ie  paroître  éioquens.     Pour  cela   ils   s'échauf- 
fent y  8c  ils  employent  toutes  les  plus  fortes  figu- 
res de  la  Rhétorique ,  quoiqu'ils  n'ayent  point 
f  ennemis  à   combattre  ;  femblablcs  à  un  phre- 
actique  qui  fe  fert  de  fon  épce  pour  combat- 
tre un  ennemi   phantaftique  que  fon   imagina- 
tion troublée  lui  fiait  voir  en  l'air.    Ces  Déda- 
mateurs   entrent   dans    des  Enthouiiafmes ,  qui 
leur  font  perdre  Tufage  de  la  Raifon  ,  8c  leur  font 
îoir  les  cnofcs  tout  d'une  autre  manière  qu'elles  ne 
font  pas. 

H  7  i» 


l8i       La  Rhitohiqjje,  otj  l'Art 


Et  fbiem  gemînum  ,  et  dupUces  fe  eftendere 
bas. 

Ce  défaut  eft  le  caraâere  d*un  enfant  qui 
chc  fans  fujct  :  néanmoins  les  Ecrivains  les 
élevez  y  tombent ,  parce  qu'on  ne  croiroi 
pouvoir  pafler  pour  éloquent  lî  on  ne  faifoi 
figures.  11  faut  pour  cela  parler  avec  chaleu 
toutes  les  matières,  fe  corrompre  refprit ,  &  a 
cevoir  toutes  les  chofcs  autres  qu'elles  ne  fon 
faut  faire  des  reflexions  fur  tout  ce  qui  fe  prefi 
&  ne  parler  que  par  fentences.  Mais  ce  qui  ( 
plus  ridicule  ,  c'eft  que  dans  toutes  ces  figura 
mauvais  Orateurs  ne  tâchent  qu'à  plaire  ,  fa 
mettre  en  peine  de  combattre  ,  &  de  terraflci 
ennemi  par  la  force  de  leurs  paroles.  On  pei 
re  qu'en  cela  ils  font  femblables  à  un  infe 
qui  dans  un  combat  ne  fe  fouci croit  pas  de 
per  fon  adverfaire  ,  &  d'en  être  frappé  ,  po 
qu'il  attirât  fur  lui  les  yeux  de  fes  fpe<flat< 
qu'il  combattît  avec  grâce  ,  avec  un  air  gj 
&  agréable.  Ce  font  ces  mauvais  Orateurs 
Perfe  raille  dans  une  de  fes  Satyres  en  la  perfî 
de  Pedius. 

Fur  es ,  att  Pedio  ;  Tedius  quid}  cr'imtna  rapi 
Librat  in  Antitbetis ,  dçfias  pojuijje  figuras 
Laudatur* 

Ces  mauvais  Orateurs,  dis -je  ,  afTeéïen 
mefurer  toutes  leurs  paroles  ,  de  leur  do 
une  cadence  jufte  qui  flatte  les  oreilles.  Ils 
portionnent  toutes  leurs  exprefîions  :  En  un  r 
ils  figurent  leurs  difcours  ,  mais  de  ces  fi| 
qui  font  au  regard  des  figures  fortes  &  pcrfuaii 
ce  que  font  les  pofhires  que  l'on  fait  dam 


B 1  ^  A  K  L  K K. .  Liv.  IJ,  Cbsf.  XIV,         183 

ballet  y  au  regard  de  celles  qui  fe  font  dans  un 
combat.  ^ 

L'étude  &  Tart  qui  paroiflent  dans  un  dis- 
cours peigné  ,  ne  font  pas  le  caraélcre  d'un  ciprit 
qui  eft  vivement  touché  des  chofcs  dont  il  par- 
le, mais  plutôt  d'un  homme  qui  ell  dégagé 
de  toutes  affaires  y  &c  qui  fe  joue.  Ainfî  on  ap- 
peUe  ces  figures  mefurées ,  qui  ont  une  cadence 
agréable  aux  oreilles ,  des  figures  de  Théâtre , 
HeâiraUs  fguré.  Ce  font  des  armes  pour  la 
montre ,  qui  ne  font  pas  d'affez  bonne  trempe 
pour  le  combat.  Les  figures  propres  pour  per- 
luader  ne  doivent  point  être  recherchées,  c'cft 
la  chaleur  dont  on  efl  animé  pour  la  dcfenfe 
de  la  vérité  qui  les  produit ,  qui  les  trace  elle- 
même  dans  le  difcours  >  de  telle  forte  que 
l'éloqutnce  n*eft  que  l'effet  de  ce  zcle.  C'efl 
ce  que  dit  faint  Augultin  du  flile  éloquent  de 
fàint  Paul  :  D'où  vient ,  dit -il ,  que  les  E^îtrcs 
de  ce  grand  Apôtre  font  fi  animées,  qu il  fe 
fiche,  qu'il  reprend,  qu'il  fait  des  reproches, 
qu'il  blâme  ,  qu'il  menace  ?  qu'il  marque  les 
differcns  mouvemens  de  fon  cfprit  par  le  chan- 
gement de  fa  voix  ?  L'on  ne  peut  pas  dire 
qu'il  fe  foit  étudié  puérilement  ,  comme  font 
les  Dédamateurs  ,  a  faire  à^s  figures  :  ncan- 
ffici^is  fon  difcours  efl  très -figuré;  c'ell  pourquoi , 
comme  nous  ne  pouvons  pas  dire  que  faint 
Paul  ait  recherché  l'éloquence  ,  nous  ne  pou- 
vons pas  nier  que  l'éloquence  n'ait  fuivi  fon  dis- 
cours. Quid  fie  indignatur  yîpoflo/us  in  Epijîolis 
fuis ,  fie  çorripit  ,  fie  exprobrat  ,  fie  increpat ,  fie 
nifïêiur  ?  Quid  eft  quùd  animi  Jui  ttfftfium  i^m 
crebm  &  Um  afpera  vocis  mutatiçne  tefieiur  ? 
^uilus  dixerit  more  Sopbiftarum  puerilit4r  &  eojf* 
fidth  fgurajje  orationem  fuam.     TameH  multh  figu-y 

fis  djftinûa  eft.^   iMoj^roptfr  ficut, \ 4fofifiium  préz 

cepta 


•v 


ï84       La  RHSTORiQjtfiy  eu  l'Akt 

iepta  eloquentU  non  fecutum  ejfe  dicemus  ,  ita  qnhd 
ejus  fap'tentiam  fecuta  fit  eloquentia  non  denegtt* 
mus. 

Mais  ce  n'eft  pas  feulement  dans  les  gran- 
des occafions  que  les  figures  doivent  être  em- 
ployées. Les  paillons  ont  plulieurs  degrez.  Tou- 
tes les  colères  ne  font  pas  également  grandes  i 
Toutes  les  figures  n'ont  pas  aufii  la  même  for- 
ce. Il  y  a  des  Antithefcs  pour  les  grands  niou- 
vemens ,  il  y  en  a  pour  de  légères  émotions  ; 
c'eft  pourquoi  on  ne  doit  pas  condamner  tou- 
tes fortes  de  figures  dans  un  difcours  qui  cft  fait 
fur  une  matière  qui  femble  ne  donner  aucune 
occafîon  d'émotions  juftes  &  raifonnabîes.  L'ar- 
Xdeur  que  Ton  a  de  fe  bien  exprimer ,  &  de  fài' 
re  concevoir  les  chofes  que  l'on  enfeigne  ,  a  fcs 
figures  comme  les  autres  paflions.  Dans  la  con- 
Terfation  la  plus  douce  ,  quoiqu'on  ne  trouve 
aucune  refiftance  dans  Tefprit  de  ceux  avec  qui 
Ton  s'entretient ,  cela  n'empêche  pas  que  pour  une 
plus  grande  explication  on  ne  répète  quelquefois 
les  mêmes  mots ,  qu'on  ne  fe  ferve  de  différentes 
expreffions  poUr  dire  la  même  chofe.  Il  eft  per- 
mis d'en  faire  des  defcriptions  exa(f^cs  ,  de  dicr- 
cher  dans  les  chofes  naturelles  &  fenfiWes  des  com- 
paraifons  &  des  images  de  ce  que  l'on  dit.  On  peut 
demander  le  fentiment  de  ceux  qui  écoutent ,  les 
interroger  pour  les  rendre  plus  appliquer ,  ou  pour 
retenir  leurs  efprits  dans  l'attention  nécefraire  ,  & 
leur  faire  faire  des  reflexions  fur  ce  que  l'on  a  dit. 
Ainfi  la  converfation ,  comme  nous  avons  dit ,  a 
fes  figures  aufîi-bien  que  les  harangues  &  les  dédar 
mations. 

On  appelle  froid  le  flile  de  ces  Orateurs  qui 
font  un  mauvais  ufage  des  figures ,  parce  que 
quelques  efforts  qu'ils  faffent  pour  animer  leurs 
Auditeurs,  on  les  écoute  aycc  une  certaine  froi- 

'  #1eiir  • 


DI   FARLEK.    LHf.  1 1.  Cb/ff,  XlV.         185 

rtir,  qui  cft  d'autant  plus  fenfible  ,  que  Ton  n'cft 
;ité  d'aucune  des  émotions  qu'ils  avoient  voulu 
cciter.   Car  enfin  on  fe  rit  d'un  homme  &  de  fes 
jmes  quand  on  le  Yoit  pleurer  uns  fujet.    S'il  X 
Qtre  en  colère  fans  que  perfonne  s'oppofe  à  fes 
effeins ,  cette  paffion  paffe  pour  une  véritable 
olie.    On  ne  peut  donc  être  touché  quand  on 
'oit  quelqu'un  émû  ,  fi  l'on  ne  trouve  qu'il  y 
i  fujet  de  l'être.    Un  homme  qui  pleure  dans 
qh  péril  évident  y  oblige  ceux  qui  le  voyent  de 
pleurer  avec  lui.     La  colère  d'un  miferable  qu'on 
voit  accablé  injuftement ,  engage  dans  fon  parti 
ceux  qui  font  témoins  de  cette  injultice.    Ainfî 
pour  toucher ,  ou  pour  faire  que  les  figures  Qu'on 
employé  faflent  leur  effet ,  il  faut  que  les  pâmons 
qu'elles  peignent  foient  raifonnables ,  c'eft- à-dire , 
que  l'Orateur  doit  faire  paroître  les  chofes  qu'il 
traite  fous  une  telle  forme  ,  qu'on  ne  les  puifle 
voir  iâns  en  être  émû.    il  faut  difpofer  le  cœur  du 
Lcfteur ,  n'entreprenant  jamais  d'y  exciter  au- 
cun mouvement  qu'après  1  y  avoir  préparé.    Si  on 
veut  le  porter  à  la  compaffion  ,  il  faut  lui  faire 
voir  une  grande  mifere  ,    gardant  ce  tempéra- 
ment que  la  paffion  qu'on  exprime  par  des  figu- 
res ne  loit  pas  plus  grande  que  ne  le  mente  le  fu- 
jet ,  &  que   ce  foit  toujours  la  paffion  qui  fâffe 
produire  les  figures  extraordinaires  au  milieu  de 
quelque  grande  circonftance.    Cela  demande  une 
glande  prudence  ;  c'eft  auffi ,  comme  nous  di-^ 
ions  très-fouvent ,  le  jugement  qui  fait  les  grands 
Orateurs.    Les  François  font  particulièrement  en- 
nemis de  ces  figures  qui  font  trop  fortes.    On  a 
en  France  de  la  douceur  &  de  la  politefle  ;  on 
M  peut  fouffrir  les  humeurs  chaudes  &  violentes. 
On  eftime  &  l'on  aime  ceux  qui  favent  fe  mo- 
iercr  5  c'eft  pourquoi  les  figures  extraordinaires 

noiis 


i86       Là  Rhbto&xqjji,  ou  l'Ait 

nous  paroiflcnt  ridicules  ,  fi  ce  n'eft  dans  certai- 
nes occafions  qui  font  rares.  Car  il  n'arrive  pas 
fouvent  que  la  Raifon  permette  de  laifier  agir  les 
mouvemens  d'une  paffion.  Cet  avis  bien  médité 
donnera  de  grandes  lumières  pour  l'éloquence. 


LA 


»1  PAKLEX.   Liv.III.  Cié^.I. 


RHETORIQUE 

0  U 

L'ART  DE  PARLER- 
LIVRE  TROISIE'ME. 


CB&PITKt     PrIMISK. 

R^j»  Je  et  Livre.  On  y  trtile  de  b  partit  matt- 
rieiie  de  it  furtie,  e'e/t-i-éirtf  iufims  dtiti  les  (tt- 
n&i/tnl  nmptfiis.    On  décrit  ctmmtnt  fe  ftrmtnt 

7  E  donne  beaucoup  plus  d'étendue  1 

l'ouvrage  que  j'ai  entrepris,  qaen'en 

ont  pas  les  Rnetoriquei  ordinaires. 

Mon  but  eft  de  découvrir  les  ibnde^ 

mens  de  l'Art  que  je  uaittc.    Je  tî- 

che  de  ne  rien  oublier  pour  cela. 

Nmij  avons  vu  comme  fc  forme  la  voii.    Nous 

uons  dit  que  nous  avons  une  orgue  naturelle  ; 

Çtt  les  poumons  en  font  les  foufflets  ;  &  que  ce 

^nA  par  lequel  nous  rcfpirons ,  qu'on  appelle  la 

1  Ttadiée  artère  ,  ou  1  apre-arterc  ,  eft  comme  le 

I  '"yw  de  l'Orgue.    A  préfent  que  nous  cntrepre- 

I  nons 


|S8       La  Rretokiqub,  ov  l'Aut 

nons  de  traiter  à  fond  de  la  partie  matérielle  de 
la  parole  ,  c*eft-à-dire  des  fons  dont  elle  eft  com- 
poiée,  il  hut  expliquer  avec  plus  d*exaditude  com- 
ment fe  fait  la  voix  ,  &  comment  fe  forme  le 
fon  de  chaque  lettre.    Il  lâut  donc  conUderer  en 
premier  lieu  ,   que  le  larynx  ,  c*eft  ainfi  qu*on 
nomme  le  haut  de  l'àpre-artere  ,  eft  entouré  de 
mufclcs.    L'ouverture  du  larynx  fe  nomme  g/otte^ 
ou  languette  qui  s'ouvre    &  fe  ferme  plus  ou 
moins  par  le  moyen  des  mufclcs  qui  la  font  mou- 
voir.   Cette  gjotte  eft  compofée  de  deux  mem- 
branes cartilagineufes.     Lorfque  ces  membranes 
font  tendues  ,  &  qu'elles  ne  laiflent  qu'un  petit 
paflage ,  comme  une  fente ,  l'air  qui  fort  foudaine- 
ment  des  poumons ,  les  fecouë  ;  ce  qui  fait  le  fon 
de  la  voix  ,  de  la  même  manière  que  fe  fait  le  fon 
d'une  mufette  &  d'un  haut-bois.    Les  anches  de 
ces  inflrumens  font  le  mcme  effet  que  la  glotte. 
Les  cartilages  dont  elle  eft  compofée  ,  reçoivent 
un  tremoulîemcnt  de  l'air  qui  les  fepare  avec  con- 
trainte quand  nous  parlons.     Les  bons  Anato- 
miftes  en  diftinguent  cinq  aflei.  folides  ,  poHs ,  & 
faifant  reifort.    Ils  font  entourez  de  plufieurs  p^ 
tits  mufclcs  qui  ont  une  admirable  liaifon  avec 
les  oreUlcs ,  les  yeux ,  les  parties  du  vifage ,  avec 
le  cœur  ,  la  poitrine  ;  ce  qui  fait  que  le  feul  fon 
de  la  voix  fait  connoître  l'état  de  celui  qui  pjtf- 
1«  ,  &  qu'on  lit  fiu:  fon  vifage  ce  qu'il  dit  aux 
oreilles. 

C'eft  ainfi  que  fe  forme  la  voix  ,  qui  nous  ffr 
roit  commune  avec  plufieurs  animaux ,  fi  cUc  ni 
recevoit  point  d'autres  formes  que  celle  qucDc 
prend  en  fortant  du  larynx.  Les  mufcles  qui  font 
attachez  à  cette  partie  ,  fervent  à  la  modifier. 
Elle  eft  douce  ou  rude  ,  félon  la  qualité  des  mem- 
branes de  la  glotte;  &  elle  reçoit  plufieurs  degreii 

ou  tons ,  félon  que  l'ouverture  du  larynx  eft  plus  ou 

moins 


»B  PAAIEH.  LivJII.  Ckap,T.  189 

moins  grande  :  quand  dlc  cft  petite  le  fon  en  eft 
aieu;  mais  ce  n'eft  pas  ici  le  lieu  de  faire  ces  con« 
fiderations  qui  regardent  la  Mufique.    Confiderons 
que  la  voix,  après  être  forrie  du  larvnx,  reçoit  d*au- 
tres  modifications  différentes  ,  félon  qu'on  difpofe 
k  lieu  où  elle  eil  reçue,  que  la  langue  la  porte  con- 
tre différentes  parties  de  la  bouche  qui  s  ouvre  ou 
fe  ferme  différemment  par  le  moyen  des  dents  Bc 
4es  lèvres.  Ainfi  qu'on  voit  dans  les  orgues  que  le» 
tuaux  ont  des  fons  tout  dififerens ,  félon  leurs  diffè- 
l   lentes  formes.    Ces  différentes  modifications  font 
lésions  qui  compofent  les  paroles  :  les  lettres  font 
les  fignes  de  ces  fons. 

On  voit  par  l'expérience  qu'on  en  fait  dans  les 
orgues  j  qu'on  peut  imiter  toutes  fortes  de  fons. 
On  imite  avec  un  appeau  le  chant  des  cailles, 
j    4ans  lequel  on  entend  le  fon  de  quelques  fyUa- 
^    bcs  ;  ce  qui  a  fait  croire  qu'on  pourroit  faire  par- 
j    1er  une  machine.    Il  n'y  auroit ,  dit-on  ,  qu'à  re- 
marquer la  difpofition  particulière  des  organes  de 
la  voix  ,  ôc  la  difpofition  de  la  bouche  qui  eft 
néccffaire    pour   faire   le  fon  de  chaque  lettre. 
£n  faifant  autant  de  tuïaux  qu'il  en  faudroit  pour 
prononcer  toutes  les  lettres,  on  feroit  une  orgue 
wriante ,  qui  prononceroit  des  paroles  félon  qu'el- 
le feroit  toucnée.    Remarquons  combien  la  diffi- 
culté de  cette  entreprife  eft  grande  ,  afin  qu'on 
comprenne  l'habileté  de  celui  qui  nous  a  fait  » 
ce  que  nous  ne  pouvons  alTcz  confiderer.    S'il 
sagifToit  de  faire  parler  François  à  une  orgue, 
comme  nous  avons  cinq  voyelles ,  &  dix-fept  con- 
fcncs,  il  faudroit  déjà  vingt-deux  machines  diffé- 
rentes, &  il  ne  feut  pas  croire  qu'elles  fuffent  tou- 
te* également  fîmples ,  que  ce  ne  fuffent  que  des 
tuïaux.    Il  y  a  des  letties  qui  demandent ,  que  h 
niachine  qui  les  feroit  fonner  ,  fe  fermât  &  s'ou- 
vrit, ce  qui  ne  fe  pourroit  faire  qu'avec  pluHeurs 


190       La  Rhzto&xqjue,  ou  t'Air 

rcflbrts.  Il  y  a  bien  delà  différence  entre  le  ft 
deux  lettres  qu'on  prononce  feparémcit»  8c  li 
de  la  fyllabe  <|u  elles  compoient  Ces  deux 
s'aQient  pour  n  eh  fiadre  qu'un  ;  ainfi  deux  m 
aes  y  dont  l'une  feroit ,  par  exemple ,  a ,  Faut 
ne  feroient  pas  ^r^  ,  ni  ta.  Combinant  donc 
ces  deux  manières  avec  les  dix-fept  confone 
fiudroit  trente-quatre  diiBFerentes  madûnes 
marquer  ces  fyllabes  »  &  comme  il  en  faudroi 
tant  pour  chacune  des  cinq  voïeUes ,  qui  dema 
toient  pareillement  trente-auatre  madunes  difii 
tes ,  il  en  faudroit  par  confequent  pour  toutes 
foixante-dix. 

U  y  a  des  fyllabes  de  trois  lettres ,  don 
unes  ont  une  voïelle  entre  deux  confones  ,  < 
me  bab ,  6c  les  autres  une  confone  entre 
voïelles ,  comme  aba,  La  voïelle  a  fe  peut  ( 
biner  avec  les  confones  pour  faire  une  fy 
de  trois  lettres  pour  le  moins  en  deux*cens 
tre-vingts  neuf  manières  différentes.  Multiplia 
nombre  par  le  nombre  des  voyelles  ,  c'dt-à 
par  cinq  ,  cela  fait  mille  quatre  cents  qua: 
cinq  ;  u  faudroit  autant  de  differens  inlhra 
Les  fyllabes  de  trois  lettres  fe  font  encore  < 
autre  manière.  On  peut  à  la  fyllabe  ab  aj< 
une  confone  ,  comme  abb  •  abc ,  akd  ^  ce 
demanderoit  encore  une  infinité  de  mad 
Je  n'ai  point  voulu  remarquer  ici  que  nous  a 
plus  de  cinq  voïelles ,  comme  nous  le  ferons 
Nous  avons  deux  fortes  de  a  ,  trois  fortes  d 
deux  fortes  de  0  >  deux  de  1/  >  ce  qui  augi 
teroit  infiniment  l'orgue  dont  nous  parlons, 
quand  auroit-on  inventé  un  il  grand  nombr 
madiines  qui  pût  les  faire  jouer  avec  la  vi 
néceflairc  ?  Car  comme  les  fons  de  deux  01 
plufieurs  lettres  qui  font  une  fyllabe  ,  doivent 
unis  f  il  faut  que  les  fons  desYyllabcs  qui  fon' 

I 


SE  ^AmiBR.  Liv.JII.  Chéif.L        191 

t ,  foîent  liées  enfemble  ,  autrement  on  entend 
fyllabes  »  &  non  point  des  mots.  II  faudroit  un 
irier  d'une  infinité  de  touches ,  &  on  eil  embaiv 
'é  quand  un  clavier  n'en  a  qu'\m  certain  nombre 
eft  alTez  petit. 

Umirons  donc  ici  la  diQK)fition  merveilleufe 

organes  de  la  parole  qui  n'ont  rien  d'embafw 

imt ,  &  qui  font  tellement  placez  ,  qu'on  s'en 

S  lus  facilement  ç^u'on  ne  peut  remarquer  com- 
s  font  fsdts.  Dieu  dont  nous  fommes  l'ouvra* 
,  nous  fait  fidre ,  fans  que  nous  appercévions 
Q  y  ait  de  la  difRoilté ,  ce  oui  eft  impofSble  à 
t.  Nous  faifons  avec  la  bouoie  ce  que  ne  pouN 
t  pas  faire  un  million  de  machines;  car  ce  nom- 
:  ne  fuffîroit  pas  encore.  Il  y  a  plufieun  mil- 
as  de  differens  mots  qui  demandent  des  difpofi- 
ns  particulières  dans  les  organes  de  la  voix  ; 
fi  la  langue  qui  en  eil  un  des  prindpaux  ,  eft 
npofée  d'un  nombre  innombrable  de  petits 
ts  9  qui  font  comme  autant  d'inftrumens  par 
luels  elle  fe  tire  ,  elle  s'allonge  ,  elle  fe  replie, 
;  fe  tourne  en  tant  de  manières  qu  on  ne  les  peut 
npter. 

Lis  lèvres  ont  pareillement  plufieurs  mufclcs 
i  les  font  jouer  en  différentes  manières.  La  bou- 
î  fe  peut  ouvrir  différemment  ;  de  forte  que 
n'cft  point  une  exagération  de  dire  qu'on  ne 
oit  pas  avec  un  million  de  madiines  ce  que 
us  faifons  avec  la  bouche.  Après  quoi  qu'on 
î  vante  tant  qu'on  voudra  ces  têtes  parlantes, 
fuis  perfuadé  que  ce  n'étoient  que  des  mario- 
ttcs.  On  trompoit  avec  efprit  ceux  à  qui  on 
î  donnoit  pas  le  tems  de  remarquer  l'artifice 
Mit  on  fe  fervoit.  Les  Hiftoricns  qui  nous  par- 
ant d'une  tête  femblable  faite  par  Albert  le  Grand , 
ops  content  ce  qu'ils  veulent.  Il  n'y  a  que  ceux 
^  n'ont  pas  fait  attention  à  la  manière  dont 


ipz       La  RHETo&iQju£y  ou  L'Amr 

nous  parlons ,  qui  croyent  qu'on  puifle  i 
un  ouvrage  au(&  admirable  qu'eft  la  tête  de  1* 
me. 

Mais  il  eft  très-vrai  que  fi  on  ne  peut  pa 

te  parler  une  tête  artificielle  ,  on  peut  fain 

1er  un  muet  avec  artifice.  Il  n'y  a  qu'à  lui 

prendre  garde  à  la  difpofition   quu  voit 

prennent  les  organes  de  la  voix  de  ceux  qui 

lent  pour  £ûre  fonner  chaque  lettre ,  reït 

fouvent  la   prononciation   d'une   même  le 

dont  on  lui  fidt  voir  en  même  rems  le  caraé 

afin  qu'il  remarque  les  mouvemens  de  la  lan 

l'ouverture  de  la  bouche,  comment  les  dents 

peut  les  fons ,  comment  les  lèvres  battent  '. 

contre  l'autre   pour  faire   enfuite   ce  qu'il 

faire.    Les  muets  ne  font  muets  que  parce  < 

n'entendent  pas  ;  ainfi  ils  ne  peuvent  pas  ap] 

dre  à  prononcer  le  fon  de  chaque  lettre  a 

ment  que  par.  cet  artifice  ,  qui  leur  fait  vo: 

qu'ils  ne  peuvent  pas  entendre.     Monconis 

porte  dans  fon  voyage  d'Angleterre  ,  qu'un 

cellcnt  Mathématicien  d'Oxfort  fit  lire  en  fa 

fence  un  muet ,  &  que  c'étoit  le  fécond 

avoit  fait  parler.    11  avoue  néanmoins  qu'il  ne 

foit  que  faire  fonner  les  lettres  feparement 

qu'il  ne  pouvoit   her  leurs  fons.     J'ai  fou 

entendu  parler  de  plufieurs  fourds  qui  au  mo 

ment  des  lèvres ,  &  à  la  manière  qu'ils  voyc 

qu'on  ouvroit  la  bouche  ,  connoilîoient  ton 

qu'on  difoit.  Je  le  crois  ;   car  j'ai  vu  dans  le  ] 

cefe  de  Grenoble  ,  dans  la  Paroiffe  de  Beflc  , 

femme  fourde  ,  à  qui  fes  parens  faifoient  ente 

tout  ce  qu'ils  vouloient.    Ils  lui  parloicnt  fort 

de  manière  qu'elle  ne  pouvoit  remarquer  que 

mouvemens  de  leurs  lèvres ,  &  la  difpofition  c 

bouche  ;  j'en  û$  faire  plufieurs  expériences  en 

prefence. 

C 


I 


»B  PAR  lin.  Lh,ïîT.  Chnp,h  i(>3 

ctte  quatrième  Edition  étoit  commencée  lorf- 
j'ai  vu  une  excellente  DiiTerraiion  d'un  Me-  ' 
n  Suifle  qui  refîde  en  Hollande ,  8c  fe  nom- 
Amman.  Il  aflure  qu  il  a  açpris  à  plufîcun 
bnncs  fourdes  &  muetes  à  parler,  lire  &  écri- 
■II  explique  fa  méthode,  qui  confiile  en  deux 
fes  ,  dont  la  première  eft  d'obfervèr  avec  les 
s  les  diffcrens  monvemens  desorgaHcs  de 
•pononciation.  II  décrit  les  difpofitions  pahi- 
ercs  à  chaque  lettre,  &  comment  il  les  fait  rc- 
quer  &  diilingucr  à  ceux  qu'il  inflruit.    Pour 

il  les  oblige,  en  fe  regardant  dans  un  mi- 
,  de  s'habituer  à  faire  les  mêmes  mouve- 
15  qu  ils  lui  voient  faire.  L'autre  partie  de  fa 
hoae ,  c'eil  de  donner  lui-même  au  gpfier  de 

difcipk  la  difpofition  qu'il  doit  avoir  pour 
aines  lettres  ,   comme  peut  faire  un  Maître 
crire,  quv  prend  la  main  de  fon  difciple  ,  &  la  ; 
iduit,  ou  comme  un  Maître  à  danfcr  qiii  tour- 
les   pieds  de  fon  écolier,  &  lui  fait  faire  les 

qu'il  veut  qu'il  faife.    Cet  admirable  Maître 

muets ,  quand  il  leur  donne  fes  premières  le* 
s ,  forme  avec  fes  mains  dans  leurs  organes  la 
)ofition  qui  eft  neceflaire  pour  prononcer  cha- 
î  leitire.  '  Il  preflc  leurs  lèvres  Tune  contre  l'au- 
,"0U  ft  ie^  fepare  ;  il  leur  fait  étendre  la  lan- 
\\  ou  la  replier,  Tcnfler,  félon  que  cela  eft  ne« 
aire.  Dans  les  lettres  à  la  prononciation def- 
tlles  le  nez  contribue ,  il  leur  prefle  cette  ^r- 

de  la  manière  qu'il  convient.  Sans  doute 
1  faut  pour  cela  beaucoup*  d^tidrefle  &  d'exer- 
5.  Car  fi  nous  avons  tant  de  peine  à  foire  des 
uvemens  extraordinaires,  qu'il  y  a  des  lettres 
r-  chaque  langue  qu'on  ne  peut  prononcer 
î^n'on  n'y  a  point  été  habitue  dès  la  naiffan- 

il  ne  faut  pas  s'étonner  qu'il  fe  trouve  de  la  , 
iculié  à   £ûre  prendre  la  coutume  à  ceux  qui 

I  n'ont 


194       La  Rrztorx^ue,  ou  l'Art 

n'ont  point  d'ouïe ,  de  prononcer  des  lettres 
n'ont  jamais  entendues. 

'C'eft  une  excellente  remarque  de  ce  fçaya 
ingénieux  Médecin  ,  que  fi  Dieu  n'avoit  j 
donné  la  parole  au  premier  des  hommes,  l'i 
en  auroit  été  ignoré.  Je  reconnois  volontiers 
poffibilité  de  la  fuppofîtion  que  j*ai  faite  ( 
nouvelle  troupe-  d  nommes  nouvellement  : 
de  la  terre  y  ou  defcendus  du  Ciel.  Ces  bon 
n'auroient  poiiit  pu  fe  former  un  langage  arti< 
non  plus  que  des  muets.  L'expérience  le  fait 
noître,  que  des  muets,  qui,  étant inUruitsco 
nous  venons  de  le  dire,  peuvent  apprendre  à 
1er,  ne  le  peuvent  faire  fans  Maître.    Tout  1< 

Î;age  n'eft  qu'un  aflcmblagc  des  fons  fimples, 
es  lettres  que  nous  appelions  les  élemens  di 
cours,  font  les  fignes.  On  n'a  point  vu  qu'a 
muet  ait  inventé  de  lui-même  la  prononci 
de  ces  lettres.  La  chofe  eft  aifée  à  ceux  qi 
tendent  parler  ;  car  naturellement  nous  in: 
ce  que  nous  entendons.  Mais  un  fourd ,  qui 
je,  un  fourd  ^  un  enfant ,  un  homme,  qu 
âge  qu'il  eût,  quand  il  auroit  de  bonnes  ' 
les ,  s'il  ne  converfoit  point  avec  des  hoi 
qui  fçûffent  parler  ,  il  ne  parleroit  jamais , 
à-dire  ,  qu'il  ne  formeroit  jamais  aucune  j 
articulée.  C'efl  un  conte  que  ce  qu'on  nous 
dire  de  ces  enfans ,  qui  nourris  avec  des  anin 
prononcèrent .  naturellement  de  certains 
Aufii  les  miracles  que  faifoit  Notre-Seigne 
les  fomds  Se  fur  les muet&  étoient  grands,  ei 
mier  lieu ,  parce  qu'il  leur  rendoit  l'ouïe ,  & 
i'inftant  même  ils  entendoicnt  ce  qu'on  lei 
foit;  chofe  aufll  furprenantç  que  ii  tranfport' 
XTix  .les  Chinois  «  nous  connufllons  à  la  i 
hçurc  tout  ce  qu'ils  nous  diroient.  En  fi 
'li^u>  ce  qui  xendoit  les  miiaclcs  de  Notr 


DB  PABLBR.  Liv.  JÏI.  Cbêp.  L  X^; 

'  plus   admirables,  c*e(l  que  fans  inftmétion 
Duets  parloient  didindlement»  ce  qui  ne  fe 
3it  pas  faire  naturellement,  puifqu'en  mille 
s  plus  aifées,  il  eft  impoffible  de  faire  cer- 
mouvemens  qu'après  un  long  exercice.    Je 
ois  pas  que  jamais  les  hommes  eulfent  pro- 
h  les  diflTerentes  lettres  de  l'alphabet ,  s'ils  ne 
oient  entendues  prononcer.    Ils  peuvent  bien 
anger,  les  altérer,  &  faire  de  nouvelles  lan- 
;  mais  je  ne  conçois  pas  que  s'ils  n'avoient 
s  entendu  parler  diftin(5lement ,    ils  eufTent 
ré  d'eux-mêmes  le  fon  de  chaque  lettre.  L'ex- 
HCC  le  prouve  comme  je  Taidit ,  puifqu'onn'a 
[s  vu  de  muet  parler  de  lui-même. 
feroit  à  fouhaiter  que  la  méthode  dont  nous 
>ns  f  fut  connue ,  qu'en  tous  pais  il  y  eût  des  * 
)nncs  qui  en  fuflent  parfaitement  inftniits.    II 
des  muets  par  tout ,  &  des  enfans  à  qui  il  ne 
:  pas  d'entendre  parler   pour  parler  eux-mê- 
:  n  y  a  des  lettres  qu'ils  ne  peuvent  pronon- 
Cettc  méthode  s'emploie  avec  fuccès  pour 
:-ci.    La  facilité  avec  laquelle  nous  parlons  , 
laufe  qu'on  ne  fait  prefque  aucune  attention 
difoofition  des  organes  de  la  parole.    On  croit 
l  CK  inutile  de  le  faire.    Un  fameux  Come- 
i  en  a  ^t  un  fujet  de  raillerie  dans  l'une 
fes  Comédies,  où  il  joue  un  Bourgeois,  qui 
es  avoir  amaffé  du  bien  ,  vouloir  pafler  pour 
nmc  de  qualité ,  &  en  avoir  les  airs.    Pour  cela 
nx>ioit  qu'il  falloit   fçavoir  quelque   chofe  ;  il 
t  donc  un  Maître.    Ce  Bourgeois  étoit  fi  grof- 
r  &  fi  fot ,  que  l'idée  qu'il  avoit  de  la  fcience  fe 
Imfoit  à  vouloir  apprendre  l'Orthographe  ôc  T  Al- 

a,  pour  favoir  ^uand  il  y  a  de  la  Lune  & 
il  n'y  en  a  pomt.  Il  fsilloit  donc  que  fon 
lilofophe  qui  l'inftruit  fur  le  Théâtre  ,  choifit 
IC  leçon  accommodée  à  fa  capacité  ^   à  celle 

I  z  da 


tç6       La  Rhetohique,  ou  l'Art 
du  peuple.    11  lui  apprend  donc  feulement  com- 
ment fe  forme  chaque  lettre,  les  voielles  &  les 
confones. 

Un   homme   feroit    ridicule  qui  croiroit  que 
c'eft    là    une    grande    fcience  ;    qui    s'écriroit 
en  écoutant  de  femblables  leçons  :   Ab  i  que  ctU 
efi    ht  au  l   vive    la  fcience  \    comme    àit^Ie 
Bourgeois   qui   traite    fa   fervante    d'ignoran'tc , 
parce   qu'elle  ne  fait  pas  ce  qu'elle  ait  quand 
cUe  prononce  un  V,    Un  homme  ,  dis-jc ,  qui 
8*imagineroit  que  cela  eft  neceflaire  pour  parler, 
feroit  auffi  ridicule  que  celui  qui  croioit  ne  pou- 
voir manger  à  moins  que  de  (avoir  tout  ce  que 
les  Anatomiftes  difent  de  curieux  fur  la  maniè- 
re dont  les  viandes  fe  broient  dans  la  bouche,  & 
fc  mêlent  avec  le  fuc  falivaire  qui  en  fait  la  pre- 
mière digeftion.    Cette  connoiiTance  li  facile  de  la 
manière  dont  chaque  lettre  fe  forme ,  eft  le  fon- 
dement de  prefque  tout  ce  qu'on  peut  dire  de 
curieux  fur   les    irregularitez   de  la  Grammaire. 
Elle  fert  à  rendre  raifon  d'une  infinité  de  dio- 
fes  qui  regardent  la  manière  de  décliner  les  noms, 
de  conjuguer  les  verbes  ;    ainfi  quoi  qu'on  en 
puifle  penfer  &  dire ,  je  m'arrêterai  ici  quelques 
momens.    Outre  qu'à  prcfent  on  ne  peut  plus  mé- 
prifer  une  recherche  qui  a  appris  le  fccrct  de  feire 
parler  les  muets ,  &  de  faire  que  les  fourds  peu- 
vent lire  fur  le  vifage  de  celui  qu'ils  voient  parier, 
ce  qu'ils  ne  peuvent  entendre;  car  fans  doute  que 
ceux  qui  ont  obfervé  les  difpofitions  que  prend 
la  bouche  propres  à  la  prononciation  dechaquelet- 
tre ,  &  il  ne  faut  avoir  qu'un  miroir  pour  Maître, 
peuvent  au  feul  mouvement  des  lèvres  concevoir 
tout  ce  que  Ton  dit  en  leurprcfence,  quoiqu'ilsnc 
l'entendent  pas.    C'eft  un  fait  dont  j'ai  fait  desex- 
perienccs  certaines. 


DB  PARLER.  Uv. IIL  Chef. IL        197 


C  H  A  P  l.T  R  1      IL 

Dit  lettres  dont  les  mots  font  compofez.     Première'' 
ment   des  voielles.    Comment  Uur  Jon  fe 

forme* 

PErfonne  n'a  recherché  plus  utilement  que  ce 
fçavant  Médecin  dont  nous  venons  de  parler , 
w  manière  dont  fe  forment  les  lettres.  Il  en  traite 
^ns  deux  Ouvrages  qu'il  a  faits.  Le  premier  a 
Pour  titre  Surdus  &  mutas  loquens.  Le  dernier 
qui  vient  de  paroitre  eft  une  excellente  Diffcrtt- 
tion  fur  cette  même  matière.  Je  n'ai  pas  vu  le 
premier  Ouvrage.  Voilà  ce  que  j'avois  écrit  dans 
rEditipn  précédente  avant  que  d'avoir  vu  cette 
Diffcrtation. 

La  voix  ,  comme  on  Ta  dit,  n'eft  que  le  fon 
que  fait  l'air  qui  fort  des  poulmons  lorfqu  il 
pafle  avec  contrainte  par  l'ouverture  du  larynx 
entre  les  deux  membranes  de  la  glotte.  Cette  voix 
fe  modifie  différemment  dans  la  bouche;  il  s'en 
fait  differens  fons  dont  on  compofe  les  paroles  , 
&  qui  font  comme  les  membres ,  ertus ,  du  dil- 
cours,  ce  qui  fait  qu'on  dit  que  la  voix  ell  ar- 
ticoléc ,  après  qu'elle  a  reçu  ces  différentes  for- 
mes. Les  caraâeres  qu'on  a  choifis  pour  être  les 
figncs  de  chacun  de  ces  differens  fons ,  s'appcl- 
knt  lettres.  Les  lettres  qui  marquent  les  diffé- 
rais fons  qui  fe  font  feulement  par  les  différentes 
ouvertures  de  la  bouche  ,  '  s'appellent  voyelles  , 
parce  que  leur  fon  n'eft  prefque  que  la  feule  voix 
yû  n'a  pas  encore  reçu  de  grands  changemens. 
La  voix  eft  la  matière  du  fon  de  toutes  les  lettres. 
2>i  l'on  ne  faifoit  que  faire  battre  les  lèvres  Tune 
contre  l'autre,  ou  remuer  la  langue,  onnef'e'^i^ 

I  3  çovut 


îpS       La  Rhitorioue,  ou  l'Aut 

point  entendre  le  fon  d'aucune  lettre  ;  de  mê- 
me qu'une  flûte  ne  dit  rien  quand  on  n*y  pouiTc 
point  d'air,  &  qu'on  ne  fait  que  remuer  les  doigts, 
il  faut  que  la  voix  i^irécede  ou  accompagne  le 
mouvement  des  organes  qui  font  les  lettres  qu'on 
appelle  confines ,  qui  font  ainii  nommées  ,  par- 
ce qu'elles  ne  font  point  entendues  qu'on  n'enten- 
de en  même  temps  le  fon  d'une  voyelle ,  c'eft- 
à-dire  ,  qu'on  n'entende  une  voix  qui  leur  tient 
lieu  de  matière,  à  qui  elle  donne  une  forme  parti- 
culière. 

Il  faut  donc  parler  des  voyelles  avant  que  de 
venir  aux  conlbnes.  Les  différentes  manières 
dont. on  ouvre  la  bouche  ,  font  qu'il  y  a  dif- 
férentes voyelles.  Ce  palîage  de  la  glotte  oii 
fe  forme  la  voix  ,  peut  s'ouvrir  ou  fe  refferrer. 
.Les  poulmons  peuvent  renvoyer  plus  ou  moins  de 
cet  air  qui  fait  la  voix  ;  outre  que  félon  qu'on 
ouvre  la  bouche  plus  ou  moins,  on  y  fait  reten- 
tir la  voix  dans  fes  différentes  parties  >  ce 
oui  la  diverfifie.  Alors  la  ilangue  ne  fait  rien  » 
u  ce  n'eft  dans  fa  racine,  comme  nous  Talions  voir 
en  examinant  comme*  fe  forme  chaque  voyelle. 
Elles  ont  une  grande  affinité  entr'elles;  parce  que 
les  manières  dont  elles  fe  forment  font  peu  dif- 
férentes, ce  qui  fait  que  dans  toutes  les  langues  on 
change  facilement  une  voyelle  dans  une  autre 
voyelle. 

A.  Lorfqu'on  ouvre  la  bouche ,  la  voix  qui  fort 
fait  ce  fon  qu'on  appelle  A  ,  leauel  fon  reten- 
tit dans  le  fond  du  golier.  La  langue  ne  feit 
rien.  Elle  demeure  fufpenduë  fans  toucher  aux 
dents,  laiffantainfi  couler  la  voix  qui  eft  portée  en 
haut. 

E.  Quand  le  larynx  ferefferre,  que  les  poulmons 
pouffent  moins  d'air ,  que  la  bouche  eft  moins  ou- 
verte» 6c  que  les  lèvres  fe  replient  en  dedans,  la 

voix 


il  i»AELEii.  Liv.IIL  Chap.IL       ^99 

lix  au'on  entend  efl  la  lettre  £.  Il  femble  que 
gouer  retienne  le  fon  de  cette  lettre,  &  que  ce 
Q  s'appuie  fur  la  racine  de  la  langue  dont  la  pointe 
ache  pour  lors  les  dents,  qui  font  médiocrement 
paiées. 

I.  La  voyelle  /  fe  prononce  avec  moins  de 
ivail.  Il  faut  peu  dair  pour  la  former.  Le  fon 
m  e(t  point  retenu  dans  le  gofier.  Il  eft  porté 
Ts  les  dents  qui  contribuent  a  le  diftinguer.  La 
mdie  eft  un  peu  ouverte ,  8c  les  lèvres  s'éten- 
sit.  Nous  verrons  qu'il  y  aiin  J  confone. 
O.  Le  contraire  arrive  lorfqu'on  prononce  la 
)yelle  O.  Le  larynx  s'ouvre ,  le  goiier  s'enfle  , 

fc  fait  creux  :  on  y  entend  fonner  cette  let- 
^  Toute  la  bouche  s'arondit,  &  les  lèvres  font 
i  cercle  ;  au  lieu  que  dans  la  prononciation  d'un 
!lles  font  comme  une  ligne  droite.  Le  fon  de 
tte  lettre  approche  de  celui  de  la  lettre  A  ; 
:ft  pourquoi  il  y  a  des  nations  qui  les  confondent , 
mme  le  font  les  Allemans.  Le  fon  de  la  Diph- 
ongue  ou  diffère  de  l'O  feulement  parce  qu'il  eft 
os  obfcur. 

U.  La  prononciation  de  \U  eft  douce.  Le  la- 
nx  contraint  moins  la  voix  qui  fort  des  poul- 
ons,  ainfi  cette  voix  eft  moins  forte.  Le  go- 
ïr  ne  s'ouvre  pas ,  ainfi  l'on  n'y  entend  pas  la 
)ix  raifonner.  Les  lèvres  avancent  en  dehors , 
:  fe  raffemblent  pour  faire  une  très-petite  ou- 
ature.  Ceft  ce  qui  tait  que  les  Hébreux  ran- 
!nt  cette  lettre  entre  les  confones  qu'ils  appellent 
êkîa/es. 

Le  fon  de  Yu ,  quand  il  eft  adouci ,  approche 
ufonde-l'/.  Ceft  pourquoi  les  Latins  confon- 
loicnt  autrefois  ces  deux  voyelles.  Ils  diloiént 
pimus ,  &  optumus.  Ce  fon  adouci  de  Vu  , 
lue  les  Grecs  appellent  upfilon ,  c'eft-à-dire  u 
>ctit,  eft  bien  diôerent  du  ion  de  la  diphthonguc 

I  4  •»• 


iibo       La  Rhétorique»  ou  VJ^^r 

fiu.    Cette  voyelle  fe  range  comme  Vi  eiitr 
.  confones,  comme  nous  lèverions;  c'cft-à-c 
qu'il  y  a  un  1'  confone. 

Chacune  dé  ces  cinq  voyelles  peut  fe  pro] 
cer  différemment,  félon  la  mefure  du  temps  a 
s'arrête  à.  les  faire  fonner ,  afin  qu'elles  le 
mieux  entendîmes,  ce  oui  les  diilingue  en  vc 
les  longues  &  en  voyelles  brèves.  Nous  n'r 
point  de  caraâeres,  non  plus  que  les  Latins  j 
.  marquer  ces  différences,  comme  en  ont  lesGr 
qui  pour  cela  comptent  fept  voyelles.  11  dépen 
ceux  qui  parlent  de  s'arrêter  plus  ou  moinî 
temps  fur  les  voyelles,  &  ainfi  de  mettre  e 
elles  plus  ou  moins  de  différence. 

C'eft  pourquoi  le  nombre  des  voyelles  conf 
rées  félon  le  temps  qu'on  met  à  les  prononi 
n'cft  pas  le  même  dans  toutes  les  langues. 
Hébreux  en  comptent  jufques  à  treize,  parce  q 
ont,  par  exemple,  un  a  long,  un  a  bref,  u 
irès-bref. 

C'eft  une  qucftion  que  nous  examinerons  < 
la  fuite,  fi  en  nôtre  la.*gue  une  même  voyell- 
prononce  toujours  dans  des  temps  égaux,  c'cf 
dire,  fi  quelquefois  elle  eft  longue,  &c  qudq 
fois  brève.  Mais  il  eft  certain  que  nousprononç 
différemment  une  même  voyelle,  fans  que  n 
mettions  de  différence  dans  le  tcms  que  noiis  < 
ploions  à  la  prononcer.  Lorfqu'on  ouvre  la  b( 
che  davantage,  le  fon  en  eft  plus  fort  &  plusda 
quand  on  l'ouvre  moins ,  le  fon  eft  plus'  foiNc 
moins  clair.  Ces  differens  degre7.  de  force  aqf» 
cette  différence  qui  eft  entre  un  e  ouvert,  &  u 
fermé,  &  un  ^  muet.  L  eft  ouvert  dans/>r<|^i 
excès  t  fer  y  enfer.  Il  eft  ferme  dans  bonfé  ,  p/at 
Il  eft  muet  dans  grâce ,  p/ace.  Il  y  a  de  la  d 
ference  entre  p/ace  en  Latin  fe^fes  ,  &  p/acé 
qu'on  dit  en  Latin  Ucafus,    La  différence  de 


»l  »AmLSK.  Ltv.  in,  Chap  IL      tôt 

Yy  Grec  vient  de  la  même  caufc.  Nous 
•us  fervons  pas  de  differens  cara(flercs  pour 
ler  ces  différences  >  on  met  feulement  fur  la 

ordinaire  une  note  au  on  appelle  accent^ 
'ertit  qu'il  faut  élever  la  voix.  Nos  voycî- 
t  une  prononciation  toute  différente  quand 
■yïiX  accentuées.  On  prononce  diffcremmênt 
une  efpece  de  coffre,  &  mâle  en  Latin 
^us  :  ce  mot  hôte  en  Latin  bofpes  &  bote 
\.  une  efpece  de  panier.  On  compte  jufques  à 
voyelles  différentes  dans  notre  langue.  Outre 
erence  que  le  temps  qu'on  employé  aies  pro- 
:r  peut  mettre  entr'ellcs ,  il  elt  certain  qu*cl- 
it  differens  fons ,  félon  qu'on  les  retient  dans 
lier,  qu'on  les  pouffe  vers  le  palais,  qu'on 
rte  vers  différentes  parties  de  la  bouche.  De 
nt  que  les  mêmes  voyelles  n'ont  pas  le  même 
ans  la  bouche  de  différentes  nations. 

remarque  qu'entre  les  voyelles  celles  oui 
m  fon  plus  fort ,  font  particulièrement  Va 
,  cnfuite  Yo,  Le  fon  de  Yt  eft  fourd ,  par- 
i'il  fc  fait  dans  la  bouche  qui  en  retient  le 
Ceux  qui  ont  aimé  les  voyelles  fonnantes, 
vite  cette  voyelle  r,  lorfqu'elle  ne  fe  ren- 
oit  pas  avec  des  confones  qui  en  rclevaf- 
le  fon.  Quoique  Yo  foit  plus  fort,  auel- 
ons  ont  mieux  aimé  You  que  le  {Tmole  o, 
lu'on  lie  le  fon  de  deux  voyelles,  il  s'en 
a  troifiéme ,  ce  qu'on  nomme  une  diphthon- 

c'efl-à-dire ,.  une  lettre  qui  a  deux  fons, 
ne  ^y  or. 

mme  chaque  voyelle  a  un  fon  qui  lui  efl 
nilier,  plus  fort  ou  plus  foible;  chaque  na- 
,  félon  fon  inclination  dominante,  affeéle 
î  fervir  des  voyelles  qui  conviennent  plus  à 
lumeur;  &:  c'eft  ce  qui  a  fait  lés  différentes 
êtes  de  la  Grèce.    Cela  fe  voit  dans  les  !an- 

I  5  gués 


101       La  Rhetoriqjje,  ou.  l'Aut 

gucs  vivantes;  car  les  Efpagnols  qui  font  na 
rdlement  graves  &  fiers,  fe  font  fervis  de  m 
qui  rempliflent  la  bouche,  qui  demandent  i 
grande  ouverture,  de  grands  mots,  qui  fonn 
beaucoup.  Ainfi  ils  répètent  beaucoup  VAy  voy< 
magnifique,  qui  fe  fait  par  une  grande  ouver 
re.  Ils  terminent  plufieurs  de  leurs  mots  en 
&  Os  y  terminaifon  qui  eft  fort  fonnante.  I 
François  qui  n'aiment  point  l'affedation ,  fe  i 
vent  volontiers  de  YEy  dont  la  prononciation 

ÎAus  douce;  &  c'ell  pour  cela  que  les  élifions ,  < 
ont  rudes  dans  les  autres  langues,  n'ont  rien 
defagréable  dans  la  nôtre ,  parce  que  plufieurs 
nos  mots  fe  terminent  en"£,   dont  l'élifion 
douce ,  comme  il  paroît  dans  le  vers  fuivant. 

^aime  une   amante    ingrate  »   é^    n*aime  qu\ 
au  monde* 

C'eft  ce  que  montre  fort  bien  TAuteur  ( 
Avantages  de  la  langue  Fran^oife  ,  qui  reraarc 
qu'un  François  n'elt  point  obligé  de  parler  de 
gorge ,  d'ouvrir  beaucoup  la  bouche ,  de  fir 
per  de  la  langue  contre  les  dents,  ni  faire 
lignes  &  des  gefles,  comme  il  paroît  que  fi 
la  plupart  des  étrangers ,  quand  ils  parlent  le  1 
gage  de  leur  pais ,  &  comme  nous  femmes  a 
traints  de  faire  lorfque  nous  voulons  parler  1 
langage. 


o 


Chapitre        III. 
Ves  Confones,     Comment  elles  fe  forment* 

N  peut  [dire  que  les  voyelles  font  au  if% 
des  lettres  qu'on  appelle  confones,  ce^Q 


.  Mt  rATtlT»;  LIikIII:  Cbap.  ÏIL     163 

n  d'une  flûte  aux  différentes  modifications  de 
lême  fon  que  font  les  doiets  de  celui  qui  joue 
et  inûrument.  Dans  le  ion  des  voyelles,  la 
ne ,  comme  on  Ta  dit ,  ne  fait  preique  rien  ; 
ntend  imo  voix  continue.  Au  contraire  dans 
ronfones  Ta  voix  eft  interrompue:  tantôt  la 
ue  Tarrête,  &  tantôt  la  laiiTe  couler;  elle  eit 
}ée  par  les  dents  ,  &  battue  par  les  lèvres, 
langue  efl  un  des  principaux  organes  de  la  pa- 
.  Ceft  elle  qui  conduit  la  voix  ,  qui  la  dé- 
line,  6c  la  change  félon  qu  elle  fe  replie  ou  qu'el- 
déploye ,  &  qu'^elle  frappe  certaines  parties  de 
ouche.  La  capacité  du  goûer  fait  que  la  voix 
lifonne.  Il  y  a  des  confoncs  dont  le  fon  fe 
ne  dans  cette  partie.    Les  lèvres  donnent  auiTi 

forme  particulière  à  la  voix,  félon  quelles 
:cnt  les  uiics  contre  les  autres,  quelles  fe 
nent  ou  qu  elles  s*ouvrent.  Les  dents  contri- 
nt  pareillement  à  articuler  la  voix.  Il  y  a  des 
fones  dont  le  fon  fe  forme  dans  le  palais, 
as  avons  dit  qu*on  entend  toujours  lorfqu*on 
nonce  une  confone ,  le  fon  d'une  voyelle ,  qui 
entendue  dans  le  lieu  de  Tor^ane  qui  la  mo- 
e  pour  en  faire  une  confone,  loit  danslegolier, 
:  dans  le  palais ,  foit  fur  la  langue ,  entre  les 
its,  fur  les  lèvres.  D*où  vient  que  les  Hébreux 
inguent  les  confones  en  différentes  clafles  ,  à 
.  ils  donnent  le  nom  des  organes  qui  fervent  à 

former,  c'eft-à-dire  qu'ils  les  diftinguent  en 
Tes  du  gofier ,  ou  gutturales  ;  lettres  des  lèvres ,  ou 
iales;  lettres  de  la  langue,  lettres  du  palais  i  & 
Tes  des  dents. 

1  y  a  des  peuples  dans  l'Orient  qui  ont  des  let- 
S  que  leurs  Grammairiens  appellent  Uvalesy 
ce  qu'elles  s'entendent  dans  cette  partie  de  la 
iche'où  eft  la  luette,  qu'on  nomme  en  Latia 
u  Ils  ont  des  lettres  qu'ils  ne  prononcent  qu'en 

I  6  fiffiatit  » 


104        La  Rhétorique,  ou  l'Ailt 

fîfflant,  d'autres  qu'ils  prononcent  en  bega^ 
balbuttendo,  II  y  a  des  lettres  dans  leurs  al 
bets  qui  fe  prononcent  la  langue  repliée  proch 
la  racine  des  dents. 

Les  Grammairiens  Grecs  diftinguent  leurs 
très  en  voyelles,  c*eft-à-dire  lettres  qui  fon 
fon,  &  en  lettres  muet f^  y  qui  font  celles  qui 
dles-mêmes  n*ont  point  Me  fon,  &  en  lettres 
ont  un  demi-fon.  Ils  comptent  fept  voyelles ,  coi 
nous  avons  vu ,  &  neuf  muettes  qu'ils  difting 
en  trois  claifes ,  chacune  de  trois  lettres.  La 
micre  clafle  comprend  celles  qu'ils  appellent//! 
dont  le  fon  eft  foible  ,  fa  voir  ,  «-,  x.  t.  qu 
pondent  à  nos  lettres  p.  k.  t.  La  féconde  < 
contient  les  lettres  qui  ont  un  fon  qui  n'efl  ni 
ni  foible,  qu'ils  nomment  pour  cela  moyen 
&  qui  font  C,  y.  /.  b.  g.  d.  La  troifiéme  ( 
prend  les  afpirées  qu'on  ne  prononce  qu'ave 
piration  ,  favoir  ^.  z-  ^.  que  nous  exprimons 
ph.  ch.  th.  ajoutant  h.  qui  eft  la  .  marque  de  1' 
ration  aux  lettres  tenues. 

Les  lettres  d'un  demi  fon  font  celles  qu 
Grammairiens  appellent  iiquides ,  qui  ont 
prononciation  coulante.  On  compte  quatre  1 
des,  favoir,  a.  a*,  r.  p,  1.  m.  n.  r.  Les  lettr< 
demi-fon  font  en  fécond  lieu  toutes  les  letrres  <] 
appelle  doubles ,  parce  qu'elles  ont  la  force  de 
lettres,  comme  font  •»/..  |.  ^.  qui  enferment 
muette  avec  un  fîgma ,  c'eft-à- dire  avec  unei 
lettre  double  ^,  vaut  /3o».  tstt.  çt.    La  lettre  Ç. 

jtr.  yv,  x^'  &  C  V^^^  ^°'* 

Il  y  a  des  lettres  fort  oppofées  à  ces  le 
doubles ,  qui  font  celles  que  les  Hébreux  appe 
quiejcentesy  parce  qu'elles  femblent  fe  rep< 
&  ne  rien  faire  dans  la  prononciation.  Nous  a 
de  CCS  lettres  dans  notre  langue,  dans  ce 
pft ,  comme   quand   jaous  difons  ([u'il  fujï 

l 


BB  PâHIElL.    LÎV.JIL  Cbâf   111.         105 

lettre  s.  ne  fc  prononce  pas.  Cependant  elle  n'eft 
pas  inutile»  non  plus  que  dans  ce  mot  paon  lalettte 
0.  Ces  lettres  ^uon  appelle  quîefcentes^  ne  font 
pas  une  clafle  a  part»  parce  quen  gênerai  une 
lettre  eft  quiefiente  ou  de  repos  dans  le  mot  où 
elle  fe  trouve ,  lorfqu'elle  n'y  confcrve  pas  toute 
fa  force:  ce  qui  arrive  fonvcnt  dans  les  langues 
qui  aiment  une  grande  douceur  dans  la  pronon* 
dation.  Il  7  a  des  rencontres»  où  û  l'on  n*adoii-> 
dflbit  pas  certaines  lettres  »  la  pronondation  feroit 
fort  rude. 

Avant  que  nous  confiderions  comme  fc  forme 
diaque  confone  »  il  fera  bon  de  remarauer  que  les 
oiganeç  de  la  parole  peuvent  divernfier  la  voix 
en  tant  de  manières  différentes,  que  fi  on  mar- 
^uoit  ces  manières  par  autant  de  caraâeres  par- 
ticuliers »  on  feroit  oes  alphabets  qui  auroient  une 
infinité  de  différentes  lettres.  On  le  voit  par  expé- 
rience; chaque  nation  a  des  manières  fi  particu- 
lières de  prononcer  certaines  lettres ,  que  s'il  leur 
f^oit  donner  un  figne  propre,  il  faudroit  leur 
en  donner  un  tout  différent  de  ceux  qui  font  or- 
dinaires. Ct^  ce  qui  fait  que  les  alphabets  ne 
font  pas  les  mêmes  dans  toutes  les  langues.  Il  y 
a  des  peuples  qui  ont  plus  de  lettres  que  nous» 
comme  nous  avons  des  lettres  qu'ils  n*ont  point, 
La  prononciation  fe  peut  diverfifier ,  comme  nous 
venons  de  le  dire.  Lorfque  cette  diverfité  eft  no- 
table» on  eft  obligé  de  la  marquer  par  un  figne 
particulier  ,  ccft-à-dire,  par  une  lettre  ou  caraôe- 
re  particulier,  qui  ne  peut-  être  bien  prononcé 
que  par  ceux  du  païs ,  parce  que  la  pronondation 
oc  cette  lettre  confîfte  dans  une  manière  à  laquel- 
le il  faut  être  habitué.  On  ne  peut  pas  non  plus 
l'exprimer  avec  nos  caraderes,  qui  font  les  fignes 
d'une  prononciation  différente.  Nous  le  voyons 
lorfque  nous  voulons  exprimer  avec  nos  caraâeres 

I  7  Grecs 


j,o6        La  RHBTOniQj'Ey  ou  L'AUT 

Grecs  ou  Latins  les  caraâcrcs  Hébreux.  PcrfotMM 
ne  s'accorde:  les  uns  les  expriment  d'une  manière, 
les  autres  d'une  autre;  &  tous  fe  trompent ,  parce 
que  les  Hébreux  prononçoientces  lettres  d'une  ma- 
nière qui  leur  étoit  fi  particulière ,  que  nous  n'a- 
vons point  de  lettres  qui  en  puiâent  être  un  figne 
propre. 

L'ordre  qu'on  peut  garder  en  examinant  com- 
me fe  forment  ces  confones,  c'eft  de  fuivre  k 
diftribution  que  les  Hébreux  en  font  félon  les  or- 
ganes où  elles  s'entendent.  Commençons  par  les 
confones  du  gofler  ou  gutturales ,  qui  font  dans 
la  langue  Hébraïque,  aUpb,  be^gbet  om  cbett 
bgain  ou  grMÎm  ou  niim -y  car  les  Grammairiens 
ne  s'accordent  pas  entr'eux  touchant  la  pronon- 
ciation de  ces  lettres  que  les  anciens  Grecs  ne 
regardoient  que  comme  des  afpirations;  c'dl 
pourquoi  en  exprimant  les  noms  Hébreux  ou 
Grecs ,  ils  ne  marquoient  point  ces  lettres.  Elles 
font  appellées  gutturales ,  parce  qu'elles  fe  pronon- 
cent in  gutture,  dans  le  fond  du  gofîer,  c'eft-à- 
dire  que  pour  les  prononcer  il  faut  ouvrir  le  go- 
fier  plus  qu'on  ne  fait  pas  pour  les  autres  lettres. 
C'eft  ce  qu'on  appelle  afpirer  une  lettre.  Nous 
avons  en  Latin  &  en  notre  langue  un  caradere 
particulier  pour  marquer  l'afpiration,  qui  eft  H. 
qui  n'a  point  d'autre  uiâge.  SpirHus  magh  quàm 
Uttera,  Nous  n'avons  point  d'autres  lettres  afpi- 
rées.  Pour  exprimer  les  afpirées  des  Grecs  nous 
joignons  aux  lettres  tenues ,  comme  nous  l'avons 
dit,  une  h.  Âinfi  pour  ^.  nous  mettons  pby  pour 
X'  nous  mettons  eb,  &c  tb  pour  $,  Le  ^.  eft  un 
p.  prononcé  auec  afpiration.  Le  >j.  un  c,  avccaP 
piration ,  &tf  un/  avec  afpiration;  mais  l'alpi- 
ration  de  Yb  eft  douce.  On  voit  dans  les  mots 
Latins  qui  viennent  du  Grec,  &  oui  commencent 
par  une  voyelle  qui  s'afpirey  quon  met  une  b 

de- 


DB   PAB^tSB..    Liv.I  h  Chef. 111.       107 

devant  cette  voyelle.  Comme  de  i^/u^fim  on  fait 
barmonia  ,  barmonte.  Les  Orientaux  afpirent 
plus  fortement  que  les  Grecs  ;  &  ils  afpirent  des 
lettres  que  nous  prononçons  doucement.  Les  Hé- 
breux prononcent  leur  aieph  dans  le  fond  du  go* 
fier  d'une  manière  fi  particulière  »  que  leurs  Gram- 
mairiens prétendent  qu'on  n'en  peut  exprimer  le 
fon  par  aucune  lettre  des  langues  Européennes. 
Vakpb  tient  le  milieu  entre  a  èc  e.  Le  be  S^ 
le  ctet  ne  font  que  des  afpirations.  L'afpira- 
tionde  be  efl  douce,  c'eft  l'epfillon  des  Grecs» 
qui  en  traduifant  les  mots  Hébreux,  oublient 
cette  lettre.  Le  cbet  c'eft  Yetba  du  Grec.  Le 
insim  ou  aiim  leur  omicron.  Cette  dernière  let« 
tre  a  cela  de  particulier,  que  la  voijc  eft  portée 
vers  les  narines  où  elle  fonne.  Nous  n'avons  point 
de  guttm^es  que  notre  b.  qui  eil  la  marque  de 
l'afoiration. 

Les  lettres  des  lèvres  font  en  Hébreu  betby  vaui 
mm,  fe;  dans  le  Latin  &  dans  le  François,  b^ 
PiMfVtf.  On  entend  ces  lettres  fur  l'extré- 
mité des  lèvres,  auffi  voit-on  qu'elles  fe  confon- 
dent fiidlement,  parce  qu'elles  fe  prononcent  à 
peu  près  de  la  même  manière  ,  qu'elles  font 
entendues  dans  un  même  organe;  ce  qu'il  eft  bon 
de  remarquer  pour  appercevoir  comment  il  fe  fait 
que  ceruins  peuples  prononcent  une  lettre  pour 
une  autre,  ce  qm  change  tellement  une  langue, 
(pi'à  peine  peut-on  connoître  fon  origine.  Les  Al- 
lemans  confondent  ces  lettres  labiées;  ils  difent 
ponum  pour  bonum^  &  finum  pour  vinum.  Les 
Gafcons  binum  pour  vinum.  Les  Latins  ont  de 
même  confondu  l'v  avec  /.  de  /&/($►*  ils  ont  fait  vita. 
Nous  avons  changé  v  en  ^,  de  corvus  nous 
avons  fait  corbeau,  &  le  ^  en  v  ,  à'Aprilisj 
Avrils  de  cuffa^  cuve  y  de  nepost  neveu.  Chez 
I^  Hébreux  le  beib  a  tantôt  le  fon  de  ^  j  &  tanr 

tôt 


îo8       La  Rhitoriqjji,  ou  L'AiT 

tôt  celui  de  V.  Voyons  comme  chactme  de  ces 
lettres  labiales  fe  forme. 

B.  La  lettre  b,  s'entend  lorfque  la  voix  fortant 
du  milieu  des  lèvres ,  elles  les  oblige  avec  une  mé- 
diocre force  de  fe  feparer. 

P.  La  lettre  p,  fe  prononce  en  étendant  les  lè- 
vres, de  forte  qu'elles  ne  font  pas  li  grofles;  elles 
fc  compriment  plus  fortement  que  dans  la  pronon- 
ciation du  b.  ainfi  la  voix  fait  plus  d'effort  pour 
les  feparer. 

.  M.  Le  fon  de  la  lettre  m.  eil  fourd ,  mugiènt 
iittera.  On  ouvre  d'abord  la  bouche  en  la  pronon- 
çant, &  on  entend  une  voix  qui  prend  la  forme  du 
ion  de  cette  lettre  lor^ue  les  lèvres  viennent  à  s'ap- 
procher fans  fe  battre ,  &  qu'elles  ferment  la  bou- 
che; ce  qui  fait  qu'on  entend  un  bruit  obfcur  com- 
me dans  une  caverne. 

V.  Uv  confone  efl  le  Vau  des  Hébreux.  Les 
Grecs  l'avoient  dans  les  commenccmens ,  Tayant 
j-eçûë  des  Hébreux  avec  le  refte  de  leur  alphabet. 
Cètoit  leur  fixième  lettre  comme  elle  l'eft  dans 
l'Hébreu.  C'eft  pourquoi  après  qu'ils  l'eurent  re- 
tranchée, comme  ils  s'en  étoient  fervi ,  comme  de 
leurs  autres  lettres,  pour  notes  numériques,  ili 
mirent  en  fa  place  f ,  qui  n'eft  point  une  lettre 
Cette  confone  V  eft  proprement  une  afpiration;  les 
Latins  l'ont  prife  pour  cela,  faifant,  par  exemric, 
ve/per  de  'iartp(^.  Ce  qui  fait  que  v  diffère  de  >, 
c'eft  que  les  lèvres  ne  battent  pas  quand  on  le  pro- 
nonce. La  voix  fort  du  milieu  des  lèvres ,  au  liea 
que  dans  la  prononciation  du  b  les  lèvres  battent 
1  une  contre  l'autre. 

F.  Le  fon  de  /  eft  encore  une  afpiration.  Quand 
on  commence  de  prononcer  cette  lettre,  laboudie 
«'ouvre,  enfuite  elle  fe  ferme  un  peu,  la  lèvre 
inférieure  fe  colant  par  fon  extrémité  fur  ta 
-dents.  Le  ^  avec  l'afpiration  tient  Ueude  cette  lc^ 
•   -  trc 


trt  chez  les  Hébreux  comme  chei  les  Grecs.  Les 
Latins  ont  mis  quelquefois  /  au  communcement 
des  mots  Grecs  ^ui  commençoient  par  une  afpi- 
lation.  Ils  ont  ait  frsng§  de  fmym.  Les  Efpagnols 
f  en  h  >  d*où  ils  font  éfârins  de  farina ,  leur  bs^ 
iUrt  de  fahuiare.  On  voit  affez  Tutilité  des  re- 
marques que  hôûs  fâifons  ici»  &  qu'elles  donnent 
de  grandes  lumières  pour  découvrir  Torigine  des 
langues.  On  voit  comment  les  Romains  ont  faity^r» 
Mê  de  /Kf  f  ^^  »  p^fcê  de  ^êtnctt ,  fremo  de  /8^f ^«  Qoin- 
tilien»  ce  grand  Maitre  de  Rnetorique,  veut  qu'on 
ii^t  faire  ces  reflexions  aux  jeunes  gens.  Difcni 
fw  quid  in  iituris  proprium^  quid  commune,  quét 
cum  pitbiâs  cognaÙQ  :  nec  miretur  cur  tx  Jcamn$ 
fit  fcëbellmB. 

Les  lettres  du  palais  chez  les  Grecs  fonti^imr/» 
W,  ïa^ ,  hyfb\  en  Latin,  8c  parmi  nous  g.  i.  c. 
k.  d  ou  l'on  apprend  pouiquoi  ces  lettres  fc 
mettent  û -facilement  les  unes  pour  les  autres» 
comment  de  fervicns  on  a  fait  fergeans ,  de  %x%^ 
îieriét,  giibernmtort  de  xv^t^^ntmit  8c  que  de  l'Ho- 
breu^iim«/ona  fait  V/u4A<^.  Dans  la  prononr 
dation  de  ces  lettres  la  langue  en  fe  repliant  porte 
la  voix  contre  le  palais. 

G.  Quand  on  prononce  un  ^ ,  la  pointe  de  h 
langue  s'approche  du  palais;  les  lèvres  s'avancent  8c 
le  replient  un  peu  en  dehors. 

J.  Quand  on  prononce  j  confone,  la  voix  s'en- 
tend au  milieu  ae  la  langue  8c  du  palais.  La  bou- 
che ne  s'ouvre  qu'un  peu,' 

.   C,  &i  prononçant  c  la  langue  fe  replie  en  dc- 

.dans,  8c  porte  la  voix  contre  le  palais,  où  elle  s'ar- 

:  -rttc,  ce  qui  oblige  de  la  pouffer  avec  force.    Les 

•    lèvres  font  étendues,  8c  ainfi  elles  ne  s'ouvrent 

\  ^ue  médiocrement. 

-  K.  Les  Hébreux  ont  deux  fortes  de  c,  fçavoir  le 
;  Kaph  8c  le  Khoph.  11  nous  feroit  hier  difficile  de 
t  dit" 


*To       La  RniroRiQUE,  ou  t'AkT 

diftinguer  ces  dci^x  lettres  en  les  prononçant 
que  nou$  n'y  fonimes  pas  faits.  Le  k  ne 
guère  du  e  que  par  une  afpi  ration.  Nous 
dflbns  en  pluiîeurs  rencontres  le  Ton  duf ,  d< 
qu'il  approche  du  fon  de  Vs ,  comme  en  ce 
€9mmenqa  :  alors  on  niet  deffous  ce  c  une  n( 
que  les  Efpagndls  appellent  eedilk. 

Q.  Le  ^  eft  proprement  une  lettre  doul 
a  la  force  du  <:  &  de  Vu  vojcelle.  Les  Grecî 
point  cette  lettre.  Le  x  Latin  qui  répond  a 
Grecs,  eft  aufli  une  lettre  double  compo 
«  de  de  j. 

Les  lettres  de  la  langue  font  en  Hebrei 
ieth,  Tctb  y  Lamtdy  Nuny  Tau  y  D,  TI 
N ,  T.  Ceux  qui  ont  la  langue  épaiffc  ou 
de  ont  pcii^e  à  prononcer  ces  lettres,  qui  f 
fondent  facilement  propter  cognationem»  I 
on  a  fait  fans  peine  Deus. 

D.  Lojfqu'on  jappuye  Textrcmité  de  la 
fur  la  racine  des  dents  de  delTus ,  &  qu'en 
voix  l'en  fepare  pour  couler  entr'elle  ôtles 
t)n  entend  fur  l'extrémité  de  la  langue  le  fo 
lettre  d. 

T.  s'entend  pareillement  fur  rextrémîtt 
langue  qui  alors  touche  les  dents  de  deflus 
plus  près  de  leur  trenchant.  Les  Hébreux 
Grecs  ont  deux  /  qui  fe  diUinguent  par  TaQ 
que  nous  marquons  en  Latin  &  en  François 
lettre  b. 

L.  En  commençant  de  prononcer  /,  on< 
bouche,  ainii  cette  lettre  n'eft  pas  muette 
Tcment  La  langue  travaille  peu:  elle  port» 
ment  la  voix  contre  le  palais,  contre  leqi 
s'appuve  par  fon  extrémité.  La  mâchoire  d 
contribue  à  la  prononciation  de  cette  lettrt 
tant  la  voix  en  haut.  La  Trachée-artere 
auffi  la  voix ,  de  forte  que  cette  lettre  fc  pr< 


BX  PARIS R.    LÎV.IJL  Ckétp.IIL        II X 

irite^parce  que  le  larynx  fc  ferme  promptcmènt, 
ut  à  coup,  &  qu'on  ne  &it  point  d'effort  pour 
!cr  la  voix- 

La  bouche  s'ouvre  auffi  en  prononçant  ni 
pourquoi  elle  n*e(l  pas  muette  entièrement 
ingue  fe  replie»  &  porte  la  voix  dans  cette 
t  du  dedans  de  la  bouche  où  eft  la  communia 
n  des  narines.  Le  fon  de  cette  lettre  refonne 
t  lieu  9  parce  que  la  bouche  fe  ferme  fur  la  fin 
prononciation  y  ce  qui  fait  qu'on  appdle  cette 
t  iitterû  tinniens. 
)us  adoudfTons  le  fon  de  cette  lettre  dans  ces 

gagner  i  agnès,  tgmrer^  comme  nous  le 
is  de  la  lettre  /,  particulièrement  quand 
eft  double,  comme  dans  ce  mot  fii/e,  dont 
:ux  lettres  ne  fe  prononcent  pas  comme  dans 
•  Ceft  de  là  que  de  foi  on  hit  fou  ^  de  coi 
ic  maia  maux ,  de  me/  mreit  de  fe/fieL  Ces 
/^  ont  en  notre  langue  un  fon  particulier  qu'on 
t  pu  marquer  avec  un  figne  particulier  pour 
ire  une  lettre  diftinguëe  de  /,  quand  cette  iet- 
&  prononciation  ordinaire. 
s  lettres  des  dents  chez  les  Hébreux  font 
,  /àmecb  »  tjà/ie  ,  refcb ,  îfibht.  Nous  n'a- 
que  s ,  z ,  r ,  qui  fe  changent  facilement  les 
dans  les  autres.  Les  Latins  ont  dit  VmUfius 
iterius.  bonos  6c  bonor.  Il  y  a  des  lieux  en 
«  où  Ton  dit  courin  pour  cçufin,  Naufes 
de  favTîu, 

La.  lettre  s  fe  prononce  lorfque  les  dents  ap- 
ant  les  unes  des  autres  ,  coupent  la  voix 
3ule  fur  la  langue ,  laqucHe  s'appuye  dans  fon 
nité  contre  les  dents  de  deffus ,  &  demeure 
;;  c'eft  pourquoi  la  voix  n'étant  point  arrê-. 
au  contraire  étant  contrainte  de  paflcr  avec 
;  entre  les  dents ,  on  entend  unfiflementfem- 

à  celui  d'un  vent  qui  paflc  avec  violence 

par 


•  iTi       La  RHBtORiQUB,  ou  t'Auf 

par  une  fente.  Il  faut  pouffer  h  voix  fortement 
pour  faire  fonner  cette  lettre;  c'eft  ce  <j[mla  fti- 
foit  éviter  aux  Grecs,  qui  aimoient  mieux  dire 
rwXmrlêt  (jue  Texucart/.  Ils  faifolent  des  pièces  de 
.  vers  où  il  n'y  avoit  pas  une  feule  s,  qu'on  ap- 
-  pdloit  pour  cela  «#xy^«i«  «JW(.  Nous  adonai^ 
'  ions  cette  lettre  en  ces  mots  caufè^  AJir^  fi^fir* 

•  Nous  la  prononçons  comme  le  tfade  des  Hircin. 
Nous  la  doublons  quand  nous  lui  confervons  k 
fon  qu'elle  a,  comme  dans  ces  mots,  auffi^ 
kaigery  laijfer.  Les  Latins  fe  font  fervi  de  celte 
lettre  pour  marquer  Tafpiration.  Ainfî  de  $<  3i 
ont  hit  fus  j  de  ùxifyha.  Nous  avons  mis  un  « 
devant  s,  pour  en  faciliter  la  prononciation,  difàit- 
itablir  de  fiabilire^  &  écrire  de  Jcribere.  DlU 
]dufieurs  Provinces  au-delà  de  la  Loire,  onnepu»- 
nonce  point  cette  lettre  quand  elle  commence  k 
mot ,  qu'on  ne  mette  un  e  devant;  on  dit  ^dti^% 
9fpefiacie. 

Le  Samech  8c  le  Schin  des  Hébreux  ne  fe  diflift* 
•  guent  que  par  la  force  de  la  prononciation. 

Le  Z  des  Latins  6c  le  nôtre ,  comme  le  zaia 
des  Hébreux,  &  le  zêta  des  Grecs,  eft  une  let- 
tre double ,  qui  vaut  un  d  avec  s ,  comme  le 
tfade  vaut  un  /  avec  s.  Nous  donnons  aa  x 
ime  prononciation  douce  dans  ces  mots,  «Mft 
douze  y  treize. 

R.  Cette  lettre  n' eft  pas  entièrement  muette, 
parce  qu'on  commence  par  ouvrir  la  bouche.  Oa 
.  pouffe  enfurte  fortement  la  voix ,  qui  étant  anê» 
tée  par  les  dents  qui  ferment  le  paffage ,  eUc  d 
obligée  de  rouler  dans  le  palais ,  à  quoi  contlh 
buë  la  langue  qui  fe  replie  un  peu  dans  fon  a- 
trémité.  U  faut  pouffer  la  voix  fortement;  ce  q« 
rend  la  prononciation  de  cette  lettre  affex  rude  ft 
difficile.  Ceux  qui  ne  la  peuvent  pas  prononcer» 
mettent  /  en  fa  place.    Au  lieu  de  roturier  iis 


Di  PAULI  n.  Lh.IIL  Cbnp.  Ut.      213 

îSent  ktu/ier  y  d'où  Ton  a  dit  «Aiff-t®- pour  lcfi4- 
*f<^>  &  que  pour  foûtenir  la  voix  on  a  mis  b  de- 
vant cette  lettre ,  comme  fi^^év  pour  fi^êf^  bru/eus 
)OUt  rufcust  5c  qu'on  a  fait  train  de  rugire^  cbémt» 
re  de  caméra. 

On  comprend  aifément  que  Tclon  la  difpofî- 
ion  des  organes  il  y  a  des  lettres  qu'on  ne  pro* 
lonce  qu'avec  peine;  ce  qui  oblige  d'en  iùbfti-  . 
net  d'autr'es;     Ceft  qudàuefdis  par  affedatiqn,' . 
x>rnme  le  fait  cette  Gfanaycuré  de  la  Comédie 
le  r Après  fouppé  des  Auberges,  qui  change  tous 
es  G  en  D,  tous  les  K  en  T,  tous  les  J  en  Z, 
ions  les  Gi  en  S.    Elle  dit  Dalant  potir  Galant , 
Tour    pour    Cour»  Zoli    pour    Jo/i,     Soux  pour   . 
éoux.    Cela  vient  auffi  de  l'incuhation  naturelle  ; 
&.  c'eil  ce  qui  change  entièrement  une  langue, 
lorfqu'elle  paffe  d'un  peuple  à  l'autre,  &  aune 
langue  en  fait  plufieurs ,  comme  on  le  voit  dans 
les  différentes  diale(ftes  de  la  langue  Grecque.  Auffi 
tous  ceux   qui   travaillent  fur  les  Etymologies, 
mettent  à  là  tête  de  leurs  Ouvrages  de  longs  Trai- 
te! des  changemcns  des  lettres;  Ôc  font  remar- 
quer comme  les  lettres  d'un  même  organe,  par 
exemple  les  dentales ,  fe  mettent  facilement  les 
unes  pour  les  autres:  que  félon  les  différentes  difpo-  • 
iitions,  les  habitudes  qu'on  a  prifes ,  on  évité  les 
lettres  labiales,  ou  on  les  affede;  on  change  ks 
tenues  en  afpirées ,  ou  les  afpirées  en  tenues  pour 
adoucir  la  prononciation,  pour  l'égaler,  pour  la 
fortifier^    Ainfi  au  lieu  de  fcribtum  defcribo ,  on  a 
hit  fer ipium:  poviY  firib fi  on  2.  àîtferipfi.     On  en   , 
pourroit  donner  un  million  d'exemples.    Ces  deux 
lettres  V  &  F  ayant  quelque  liaifon ,  du  Latin  c<i/>-   ^ 
tivuSi  au  lieu  de  captivy  nous  ZYons.  hit  capnf,    . 
de  brms  on  n'a  pas  fait  brev^  mais  bref-y-pn  coi^ 
fcrvc  V  dans  ces  noms,  brcvty  ca^ttvitç, 

•        C  H  A- 


1X4         La  RHBTOiiiQjrfijOV  l'A^r 


Chapxt&i    IV* 

J)e  rdtrungtment  des  mots.    Ce  qu*il  y  faut  «^ 

ver  ou  éviter. 

G'Eft  un  effet  de  la  Sageffe  de  Dieu  qui  t\ 
^créé  rhomme  pour  être  heureux,  que  t 
ceHjui  cft  utile  à  fa  çonfervation  lui  eft  agréa 
Le  plaifir  qui  eft  attaché  à  toutes  les  adions 
peuvent  lui  conferver  la  vie ,  fait  qu'il  s*y  p< 
volontairement.  Nous  n'avons  pas  de  peine  à  m 
ger ,  le  goût  que  nous  trouvons  dans  les  viaB 
nous  feifant  trouver  la  neceffité  de  manger  agi 
blé.  Et  ce  qui  autorife  cette  remarque  que  Die 
joint  l'utilité  avec  le  plaifir,  c'eft  que  toutes 
viandes  qtii  fervcntd*ahmensontdugoût:le$au 
chofes  qui  ne  peuvent  être  changées  en  notre  fi 
tance ,  font  infipides. 

Cet  affaifonnement  de  l'utile  avec  le  dele 
ble,  fe  rencontre  dans  l'ufage  de  la  parole:  ; 
a  une  fympathie  merveilleufe  entre  la  voix 
ceux  qui  parlent ,  &  les  oreilles  de  ceux  qui 
tendent.  Les  mots  qui  fe  prononcent  avecpei 
choquent  ceux  qui  les  écoutent  :  les  organes  de  l'c 
font  dîfpofez  de  telle  forte ,  qu'ils  font  bleflcz 
un  difcours  dont  la  prononaation  bleffe  les  a 
nés  de  la  voix.  Le  difcours  ne  peut  être  agré 
à  celui  qui  écoute ,  s'il  n'eft  focile  à  celui  qu 
prononce,  &  il  ne  fepeutprononcer facilement 
qu'il  foit  écouté  avec  plaiiir. 

On  mange  plus  volontiers  les  viandes  dâic 
qui  confervent  la  fanté,  &  qui  font  agréables 
goût  On  prête  auiS  plus  facilement  les  ordlI< 
lui  difcours  dont  la  douceur  diminue  le  travai 
Vattcntion.    n  en  cft  des  fçiences  comme  des  t 


D9  'ABiia.  Uv.lIL  Châf.JV.       1x5 

iit  fi^nt  ÂugufHn;  il  £iut  tâcher  de  rendre  t?* 
[e  ce.  qui  eft  utile.  i2f!^»/0iif  wmnuiUtm  imttr 
fnt'fimilituéincm  vefcentés  atque  AJcentts^  pro* 
fmfiigTta  plurimûrum.^  nUm  ip(a  fim  quikut 
têm  poteftt  Mlimtnta  cêndieiida  funt.  Le  plai- 
ire  après  lui  tous  les  hommes  ,  c'eft  lui  qui 

principe  de  tous  leurs  mouvemens»  8c  qui 
It  agir.  La  prudence  demande  qu'on  fe  fer- 
;.  ce  pefichant  pour  lés  conduire  là  où  l'on 
qu'As  aillent  ;  &afin  que  nos  paroles  reçoi« 
un  fisivorable  accueil  »  qu'on  gagne  les  oreil- 
)ui  en  fait  de  fons  font  comme  les  portières 
ime  »  outre  que  le  plaiiir  que  nous  donnons 
u:hnt  eft  précédé  de  notre  propre  utilité»  le 
gement  de  celui  qui  parle  faiiànt  le  contente* 
:  de  celui  qui  écoute. 

ms  toutes  les  langues  polios  ,  c'efl-à-dire  dans 
s  des:  peuples  qui  ont  écouté  la  Raifon  ,  on  7 
tjpurs' évité.ce  qui  pouvoit  choquer  les  oreil- 
ce  qui  a  caufé  ces  grandes  irregularitez  qu'on 

dans  leuis  Grammaires  ;  car  fi  on  n'avoit 
l  qu'à  fe  faire  entendre  »  on  le  fcroit  d'une 
ère  uniforme»  comme  le  font  les  Barbares, 

les  Grammaires  font  extrêmement  iimples. 
Dt  peu  de  focieté  entr'eux  ,  ils  vivent  prelque 
me  des  bêtes  farouches;  idnfi  failant.  peu  d'u- 
de  k  parole  ,  ils  ne  penfent  pas  à  polir  leur 
âge  »  &  ils  ne  s'apperçoivent  pas  de  ce  qu'il 

rude.  Las  Hébreux ,  les  Grecs  8c  les  Latins 
Duffirnt  point  d'expreffîons  rudes.  Ils  les  chan- 
)^.  quoiqu'elles  foient  conformes  à  l'analogie 
I  langue ,  c'eft-à-dire  à  la  manière  commune. 
r  Hébreux  doublent  quelquefois  une  confone, 

ils  la  changent;  ou  'ils  l'accompagnent  de 
'çïlcs  longues  ou  brèves.  Oh  découvre  affez 
Icment  que  ce  n'eit  que  pour  rendrt  <B  pro^ 
idatien  i^us  aifée^   Pouirquoi^ange-t-on  dan9 

le 


le  Grec  les  lettres  douces  ciï  fortes  ,  otfcèUêÎ! 
font  fortes  en  douces;  .^  pourquoi  tanrôt  ajo 
t-on,  &  d'autres  fois  on  retranche,  que  de  c 
voydles  on  n*en  fait  qu'une ,  lefquelles  on-  fe 
en  d'autres  lieux  ?  cela  ne  fe  fait  que  pour  la  < 
ceur  de  la  prononciation.  Les  irrégularités  r 
point  d'autres  caufes.  Tous  les  noms  fe  dédinerc 
delà  même  manière  y  6c  tous  les  verbes  auro 
les  ïtêmes  inflexions,  fi  la  douceur  de  la  prol 
dation  n'ôbligeoit  point  d'éviter  les  inflexions 
dinaires  à  caufe  du  concours  de  quelques  confi 
qui  ne  s'accommodent  pas  enfemble.  il  fautrei 
quer  que  les  Grecs  ^  auffi-bien  que  les  Orientî 
ont  aimé  des  fons  diUinéb  &:  forts;  ils  ont, 
exemple,  préféré,  felonDenys  d'HalicamaflCj 
lettres  doubles  aux  lettres  fimples ,  ce  qui  feroit 
la  rudeife  feroit  plus  fenilble  dans  leurs  lang 
s'ils  n'avoient  eu  loin  de  l'éviter  ;  car  les  feux 
d'une  trompette  font  plus  remarquables  que  c 
d'une  flûte  douce.  Dans  la  langue  Françoifc 
fons  ne  font  pas  fi  forts  ;  c'eft  pourquoi  fi  elle  i 
pas  capable  d'une  fi  grande  harmonie  ,  elle  i 
pas  fujette  à  une  fi  grande  rudefTe  ,  qu'il  f< 
très-difficile  d'éviter  à  caufe  qu'elle  eft  afTujctt 
l'ordre  naturel  que  nous  ne  pouvons  pas  ren 
fer,  non.  plus  que  celui  que  l'ufage  a  une  fois 
torifé;  car  quoique  bJanc  hwet  6c  bonet  blanc  et 
une  même  chofe  ,  on  ne  dira  jamais  le  pra 
qu'en  riant. 

Avant  que  d'entreprendre  la  recherche  de  ce 
peut,  rendre  un  difcours  harmonieux  ,  tâd 
premièrement  de  découvrir  ce  qu'il  faut  é^ 
dans  l'arrangement  des  mots;  quelles  feutes  q 
peut  commettre  ,  8c  qu'eil-ce  qui  rend  la  ■ 
Donciatiou  difficile.  Le  premier  pas  qu'on' 
faire  pour  arriver  à  la  lagefle,  cil  de  s'âoij 
du  vice.    Saftentié  frima  Jiuhitiâ  ^aruiffi.    \ 


•  iPAaLin.  Liv.IIf.  Chef. IV.      xif 

tre  cela»  dans  ce  qui  regarde  les  fens ,  tout  ce 
oui  ne  choque  pas  eil  agréable ,  comme  dit 
uint  AugudiA  :  Id  omne  deleéiat  ^uod  non  vffen* 

Entre  les  lettres ,  les  unes  fe  prononcent  avec 

Elus  de  facilité,  les  autres  avec  peine;  celles  dont 
prononciation  efl  facile ,  ont  un  l'on  agréable  : 
celles  qui  fe  prononcent  avec  difficulié  écorchent 
les  oreilles.  Les  confoncs  le  prononcent  avec  plus 
de  difficulté  que  les  voyelles  ;  aufli  leur  fon  eft 
moins  doux  &  moins  coulant.  U  e(l  bon  de  tem- 
pérer la  rudeffe  des  unes  parla  douceur  des  autres, 
plaçant  des  voyelles  entre  les  confones,afinqu*el« 
les  ne  fe  trouvent  pas  pluûeurs  enfemble.  Quin- 
tilien  dit  agréablement,  qu*il  en  ell  comme  des 
pierres  raboteufes,  irregulieres,  qui  tiouvent  leiur 
place  dans  une  muraille  ,  quand  elles  font  em- 
ployées par  un  artifan. 

La  rudefle  du  concours  des  confones  e(l  fenfi- 
ble  dans  les  langues  du  Nort.   Le  Polonois ,  TAl- 
-    lemand ,  rAnglois  font  infupportables  à  ceux  qui 
n'ont  point  néncôlre  endurci  leurs  oreilles  à  la  ru- 
defle  ae  ces  langues.    La  coutume  fait  qu*on  ne 
s'apperçoit  pas  de  ce  que  les  mots  ont  de  rude  ; 
néanmoins  on  remarque ,  x]ue  félon  les  differens 
degrez  d'inclination  que  les  peuples  ont  eu  pour  la 
déUcateiFe,  ils  ont  compofe.leurs  mots  de  lettres 
ou  plus  ou  moins  douces:  ils  ont  eu  moins  d'é- 
gard à  fuivre  la  Raifôn,  qu'à  flatter  les  orçilles: 
c'eil  pour  cette  douceur  de  la  prononciation  que 
les  Latins  ont  dit  aufero  pour  ahfero,  coUoeo  pour 
cumkcÊ,  comme  l'analogie  les  obligeoit  de  parler. 
On  a  obtenu  de  l'analogie  qu'elle  relâchât  de  fes 
droits  en  faveur  de  la  douceur  de  la  prononcia- 
tion. ImperMium  eft  à  confuetudinc  ut  fuMvitatis  €mu'- 
si  Peccan  iiceret. 
Locfque  les  confones  font  afpirées  y  ou  qu'elles 

K  ft 


1x8       La  Rretorioub,  o*  l'Art 

fc  prononcent  d'une  manière  toute  contraire,  ot 
doit  particulièrement  en  éviter  le  concours.  Il  y 
«  des  confones  qui  fe  prononcent  la  bouche  fer- 
mée, comme  eil  le  P.  Il  faut  pour  prononcer 
les  autres  ouvrir  la  bouche  :  le  C  eft  de  ce  nom- 
bre. Ces  confones  ne  peuvent  marcher  de  com- 
pagnie ;  elles  ne  s'accordent  pas ,  &  on  ne  peut 
les  prononcer  immédiatement  les  unes  après  les 
autres  fans  quelque  difl5culté,  parce  qu'on  eft  obli- 
gé prefquc  en  même  temps  de  difpofer  les  or- 
ganes de  la  prononciation  d*une  manière  difi^ 
rente. 

Le  concours  de  deux  ou  de  plufieurs  voyd- 
Ics  eft  defagréable  pour  une  raifon  toute  contrai* 
rc.  Les  confones  fe  prononcent  avec  peine ,  les 
voyelles  avec  facilité;  mais  cette  grande  fiidlité 
qui  eft  accompagnée  d'une  grande  viteffc  ,  fait 
ou  e  Ton  ne  diftingue  pasaflez  nettement  leur  fon, 
ce  que  Tune  de  ces  voyelles  ne  s'entend  pas;  ain- 
fi  il  fc  fait  un  vuidc  dans  la  prononciation ,  & 
une  confufion  qui  eft  defagréable.  En  prononçant 
plufieurs  voyelles  de  fuite,  il  arrive  prefque  la  mê- 
me chofe  que  lorfque  l'on  marche  fur  du  marbre 
poli;  la  trop  grande  facilité  donne  de  la  pciçc; 
on  ^iife,  &  il  eft  difficife  de  fe  retenir.  En  pro- 
nonçant ces  deux  inots ,  hardi ,  Ect^er  ,  fi  Von 
ne  fait  quelque  effort  pour  s'arrêtfer  un  temps  coh- 
fiderable  fur  la  dernière  leth'e  du  premier  mot, 
ni  interfifiati  et  labnet  éntmusy  le  fon  de  I,  fin 
du  mot  hardi ,  fe  ct)nfbnfd  avec  la  voycUc  E^ 
par  oti  commence  le  mot  fcrivant  ,  £<r<^fr  ;  ce 
iqui  empêche  que  les  oreilles  ne  foient  fatisfaitcs, 
ne  pouvant  dmingucr  aflez  clairement  ces  deux 
difFerens  fons. 

Pour  empêcher  ce  concours ,  ou  l'on  retranche 
une  des  voyelle^  qui  fe  trouvent  cnfemble  ,  ou 
bien  l'on  infère  wine  confone  pour  remplir  le  vui- 
dc 


WM  FAELIR.    Lh.IJL  Ckâp.IV.       1x9 

de  qui  fe  fieroit  Ikns  cet  artifice  ;  c'eft  pour  cette 
Dtifon  que  nous  difons  en  notre  langue  ,  qu'il  fit 
four  fM  il  fit  :  «•/•//  fait  pour  a  il  fuit  :  fira* 
^i/pour  fera  il.  Quand  une  des  deux  voyelles 
mn  fbn  affcx  fort  pour  fe  faire  diilinguer,  cet 
ttdfice  t&  mutile.  Ce  foin  d'arranger  les  mots 
Ut  être  fans  inquiétude:  on  ne  doit  pasconfide- 
tr  comme  des  eûtes  confiderables ,  les  manque- 
nais  qui  fe  font  dans  cette  partie  de  l'An  de 
ttdar.  :  î^on  id  u$  crimen  ingens  ixpavefanm 
km  ifi  9  ae  nefcio  oh  negltgentia  in  boc  >  sn  folm 
mtmth  fit  pejer.  Je  ne  fai  ce  que  Ton  doit  évi- 
er davant^e  de  l'inquiétude»  ou  de  la  négligence, 
Kt  Quintilien.  La  négligence  a  cet  avanuge  , 
p'elle  âdt  juger  qu  on  s'applique  plus  aux  c^o- 
es  qu'aux  paroles  :  Indicium  ejl  kominis  de  rt 
mgis  quàm  de  ver  bis  labcrëntis.  Mais  enfin 
niurellement  »  félon  qu'on  a  plus  de  polit  elle, 
m  érite  ce  qui  eft  rude  »  ou  on  l'adoucit  ;  on 
Fiçprime  quelque  lettre,  ou  l'on  en  infère.  Le« 
penbnnes  polies  prononcent  nous  marcbons ,  com- 
me s'il  y  avoit  nQu  marcbons  ;  il  parle ,  comme 
rtly  avoit  i  parle.  Pour  éviter  le  bâillement  on 
Gût  fbnner  ta  confone  dans  ces  mots  ,  Nous  al- 
kns  i  vous  irez.  On  infère  des  lettres ,  comme 
a&Ueude  mon  ami  9  on  prononce  mitnnamii  au 
Uea  de  ton  ame ,  on  prononce  ton  natne  »  fclon  la 
remarque  d'un  favant  Académicien. 

La  prononciation  change  continuellement,  foit 
parce  qu'on  la  veut  adoucir, foit  par  caprice;  car 
en  toutes  chofes  il  y  a  des  moaes.  Cependant 
en  ne  change  pas  a'abord  la  manière  d'écrire; 
linfi  l'orthographe  ne  s'accorde  plus  avec  la  ma- 
nière ufitée  de  prononcer;  ce  qui  trompe  les  étran- 
gers, &  ceux  qui  ignorent  les  Etymologies  des 
Boms.  Nous  écrivons  toujours  avec  un  PH ,  les 
10ms  qui  viennent  du  Grec  ,  &  qui  commencent 

K  1  par 


110      La  Rritouxqui,  ou  l'Arr 

par  un  ^.  Ceux  qui  favent  quelque  chofc 
fignorcnt  pas  ,  &  prononcent  PH ,  comme 
Une  Dame  qui  'n'en  favoit  pas  tant ,  lifant  i 
Livre  où  l'ancienne  orthographe  étoit  obfervé 
&  pbsijkns  étoit  écrit  pour  JéÊt/an s  :  croyant  doi 
que  la  lettre  H  étoit  inutile  dans  ce  mot  pk 
/ans 9  comme  elle  Teft  fouvent,  &  prenant^ 
fans  &  Payfans  pour  un  même  nom ,  s'écria  qu'J 
liogabate  étoit  bien  cruel  de  fe  faire  faire  des  p 
tel  de  langues  de/^y2r*/5  ce  qu'elle  croyoit  fi 
dans  fon  Livre. 

Ceft  une  queftion  s'il  faut  écrire  comme  < 
prononce.  U  y  a  un  tempérament  à  prendre, 
faut  que  la  nouvelle  prononciation  foit  bien  U 
blie  9  &  confirmée  par  un  long  ufage ,  avant  qi 
de  dianger  l'ancienne  manière.  Mais  a|^ès  ce 
je  ne  vois  pas  par  quelle  raifon  on  retiendic 
l'ancienne  orthographe.  Si  c'eft  pour  confern 
les  marques  de  l'origine  de  certains  mots  •  poi 
quoi  n'ecrit-on  pas  eftuiTter^  eftablir^  pour  ma 
aucr  que  ces  verbes  viennent  du  Latin /?iw6n 
fitfiUire,  On  voit  dans  les  anciennes  langua 
dans  le  Grec  »  dans  le  Latin ,  qu'on  n'a  point  a 
dé  cette  re^e;  au  contraire  il  iemble  aue  lesta 
gués  n'acquièrent  leur  perfeélion  eue  lotfqa'cDi 
font  tellement  changées ,  qu'il  efl  difficile  de  ooi 
noître  leur  origine. 


ChapxtubV. 

Mn  pariant  la  voix  fe  reftofi  dt  temps  en  temfs,  fl 
peut  commettre  plufieun  fautes  en  plaçant  mai 
les  repos  de  la  vçix. 


L 


A  neceffité  de  reprendre  haleine  oblige  Ht 
tenompre  le  cours  de  la  prononciation;  Sck 


dcfir  de  s'expliquer  diftinAement  fait  qu'on  choi- 
fitpour  le  repos  de  la  voix  la  fin  de  cnaque  fens, 
poor  diftinguer  par  ces  intervalles  les  différentes 
chofes  dont  on  parle.  Naturdlenjent  quand  on  a 
commence  une  a6Hon ,  on  ne  fe'repoîe  qu'après 
qn'eUe  dl  faite,  an  moins  on  diffère  à  fc  repofcr. 
^Mne  partie  foit  achevée.  Âinfî  ayant  commen- 
a  de  dire  une  chofe ,  de  l'exprimer  >  on  continue 
jusqu'à  ce  qu'on  achevé  cette  expreflîon.  U  eft 
donc  naturd  de  ne  reprendre  haleine,  ou  de  ne 
fe  repofer  conllderablement  qu'à  la  lin  d'un 
fens  complet ,  &  de  ne  s'arrêter  en  aucune  ma- 
nière qu'après  une  partie  de  l'expreffion  qui  ren- 
ferme un  lens.  L'on  peut  commettre  deux  fau- 
tes en  diUribuant  mal  ces  intervalles.  Si  les  ex- 
preffioDS  de  chaque  fens  font  trop  courtes ,  &  par 
conféquent  que  la  prononciation  foit  fouvent  m-  v  < 
tem)mpaê,  cette  interruption  diminuant  la  for- 
ce de  Li  voix  y  &  la  faifant  tomber ,  l'efprit  du 
Leâeur  qu'on  devoit  tenir  en  haleine  ,  le  relâ- 
de,  l'ardeur  qu'il  a  fe  refroidit.  U  n'y  a  rien 
fd  fiifle  plus  ralentir  le  feu  d'une  aéiion ,  que  de 
«difcontmuer,  &  de  la  faire  à  trop  de  reprifes. 
Le  travail  rend  l'ame  vigoureufe  &  attentive; 
fctf veté  h  plonge  dans  le  fommeil  &  dans  l'aA 
tmpiffement  ;  Fit  aticntior  ex  difficuitstet  dit  St. 
Auguftin. 

Lorfque  les  fens  ne  font  point  trop  coupez» 
b  qu'il  faut  que  l'efprit  du  Leâeur  attende  quel- 
^  temps  pour  concevoir ,  ce  retardement  le 
tient  en  naleine:  ce  oui  f^it  qu'étant  plus  atten* 
tif ,  il  conçoit  mieux  le  fens  du  difcours.  Nous 
tvons  dit  dans  le  premier  Livre,  que  les  Latins 
pour  ce  fujet  rejettoicnt  à  la  fin  de  la  fentence 
quelque  mot ,  duaud  dépend  l'intelligence  des 
premiers  termes.  Mais  fans  cette  tranipofition  £e 
ce  renverfement  de  l'ordre  naturel,  il  fuffit  pour 

K  3  cm- 


111      La  RRETomaj^By  o«  l'Art 

empêcher  que  la  prononciation  ne  foit  trop  fouvcnt 
interrompue,  de  choifir  des  expreffions  un  peu 
étendues  qui  contiennent  un  allei  grand  nombre 
de  mots  ;  où  bien  il  faut  que  les  chofes  qu'on 
exprime  foierit  liées  fi  étroitement ,  que  les  pre- 
.  miers  mots  excitent  le  defir  d'entendre  les  der- 
niers ,  ôc  que  la  voix  fe  repofe  après  chaaue  fens , 
de  telle  forte  que  l'on  connoifle  qu'elle  aoit  aller 
plus  loin. 

Si  une  penfée  eft  exprimée  par  un  trop  grand 
nombre  de  paroles ,  on  tombe  dans  un  autre  excès. 
Comme  on  continue  l'adion  qu'on  a  commencée, 
la  voix  ne  fe  repofe  qu'à  la  fin  du  fens  dont  elle 
a  commencé  de  prononcer  l'expreffion.  Si  ce  fens 
comprend  donc  trop  de  chofes,  la  longue  fuite 
de  paroles  qu'il  demande ,  &  aufquelles  il  eft  en- 
chaîné, échauffe  les  poumons,  &  épuife  les  ef- 
prits;  ainfi  la  prononciation  en  cfl  incommode  & 
a  ceux  qui  parlent ,  &  à  ceux  qui  écoutent. 
\     Une  des  plus  grandes  difficultés  de  Téloauen- 
^  y,  ^ ce,  eft  de  lavoir  tenir  un  milieu,  &  de  séloi- 
l  gner  de  ces  deux  défauts.    Ceux  qui  parlent  fani 
Sttt,  &qui  n'bnt  qu'un  foible  génie,  tombent  or- 
dinairement dans  le  premier  défaut  ;  à  peine  peu- 
vent-ils dire  quatre  mots  qui  foient  liez  :  chaque 
fens  finit  auffi-tôt  qu'il  commence.    L'on  n'en- 
tend que  des  car ,  enfin  ,  après  cela ,  ce  élit^ii ,  & 
autres  femblables  expreffions  dont  ils  fe  fervent 
pour  coudre  leurs  paroles  détachées.    II.  n'y  a 
A"  point  de  défaut  dans  le  langage  ^  méprifablc  &  fi 
infupportable  que  celui-là.   Ceux  qui  veulent  s'é- 
lever ,   paflent  dans  une  autre  extrémité.    Les 
premiers  marchent  comme  des  boiteux  ;  ceux-ci 
ne  vont  ^ue  par  bonds  &  par  faults  ;  de  crainte 
de  s'abaifïer  ils  montent  toujours  :  ils  n'employcnt 
que  de  grands  mots ,  jefquipedalia  verba.     Ils  ne 
tt  fervent  que  de  longues  phrafes»  capables  de 

met* 


9 M  PAUL! A.   Liv.IIL  Cbêf.V.         11} 

tre  hors  d'haleine  les  plus  forts, 
dl  facile  d'abréger  oud'alongerlecorps  d*une 
cnce  :  on  peut  lier  deux  ou  plufieurs  fens , 
t  fidre  qu'un ,  ôc  ainfi  foûtenir  le  difcours  par 
longue  fuite  de  mots  qui  ne  faflent  qu'un  feul 
;  Hn'efl  pas  befoin  pour  cela  d'avoir  recours  à 
phrafes  creufes  6c  vuides ,  &  d*enfier  fon  difcours 
laroles vaines.  Au  contraii:e  û  une  fentence  con- 
it  trop  de  chofes  qui  demandent  un  trop  grand 
abre  de  paroles  »  il  eil  facile  de  couper  les 
;  de  cette  fentence ,  les  feparer ,  &  les  lignifier 
des  expreffions  détachées  »  qui  foient  par  con- 
sent plus  courtes  que  ccUequiexprimoittoucle 
ps  de.  cette  fentence. 

sous  prenons  naturellement  des  difpoGtions  con- 
mes  à  l'aétion  que  nous  allons  faire.  Nous  al- 
s  vite  fur  un  mot  quand  nous  en  devons  pro- 
icer  un  fécond;  c'ed  pour  cela  que  les  Hébreux 
ingent  les  points  »  c'ell-à-dire  les  voyelles  d'un 
>t,  lorfqu'en  le  prononçant  on  le  doit  lier  avec 
mot  qui  fuit ,  avec  lequel  il  a  un  certain  rapport, 
chuigcht,  dis-je»  les  points  qui  font  longs  dans 
;  points  brefs  :  ils  l'abrègent  afin  qu'il  fe  pronon- 
vîtc.  Ainfi  au  lieu  de  dire  debMrimJebQVMtVer^ 
Dû  9  ils  difent  dibn  Jebovs.  Ceft  la  douceur 
h  prononciation  qui  fait  dire  grand'  peine  > 
ind*  chère.  Grand' Méfie»  contre  la  Grammaire 
i  voudroit  qu'on  dît  ,  grande  peine ,  grande  cbe- 
.  Grênde  Mejfe.  On  ne  fait  point  ce  retranche- 
nt lorfque  le  mot  fuivant  elt  compofé  de  plu- 
os  fyllaoes .  6c  qu'il  efi  neceflaire  que  la  voix 
ppuye  pour  les  prononcer.  On  dit  grande  c/f- 
>^'>  grande  mijericorde. 

On  peut  encore  commettre  une  troifiéme  faute 
Dtre  la  julle  difiribution  des  repos  de  la  voix. 
\  commençant  une  fentence  on  élevé  la  voix 
[enfiblemcnt  >  ce  que  les  G recs  appellent  m«i s  »  6c 

K4  ^ 


114      La  RrIktoiii^ui,  eu  L*A&t 

à  la  fin  du  fens  on  la  rabaiife  ;  ils  appelleiit  i 
rabaiffement  ^m.  Les  oreilles  jugent  de  la  lot 
^eur  d'une  phrafc  par  Télement  de  la  voix  :  u: 
grand  élevement  de  voix  leur  fait  attendre  ph 
Seurs  paroles  ;  fi  ces  paroles  attendues  ne  fuivca 
pas  9  ce  manquement  qui  les  trompe  leur  Eût  de  h 
peine,  auffî-bien  qu'à  celui  qui  parle.  Il  dtdiffi 
cile  de  s'arrêter  au  milieu  d'une  courfe  y  quand  h 
nuit  on  eft  arrivé  au  plus  haut  degré  d'un  efcalicf 
fans  s'en  appercevoir  ,  6c  que  l'on  croit  pouvdt 
monter  encore»  le  premier  pas  qu'on  fait  aprèson 
chancelé  y  &on  reuent  la  même  peine  que  fi  le 

{>lancher  fur  lequel  on  eft ,  fe  déroboit  de  àtSom 
es  pieds.Toutes  les  particules  expletives ,  comne 
font  notre /AT  >  notre  point,  &  les  autres,  ontété 
trouvées  pour  tenir  la  place  des  mots  que  Toteille 
attendoit.  Les  Grecs  ont  un  tres-granclnombitfie 
ces  particules,  qui  n'ont  point  d'autre  ufage  qM 
d'alonger  le  difcours ,  &  d'empêcher  qu'il  se 
tombe  trop  tôt.  Les  oreilles  font  aufQ  choqaéei 
d'un  difcours  qui  va  trop  loin:  tous  les  mots  qo'd* 
les  n'attendoicnt  pas  iont  importuns.  Qcen» 
comprend  tout  ce  que  nous  venons  dédire,  daM 
le  paflàge  que  je  vais  rapporter  entier;  car  il  le 
mérite.  Aurcs  quid  plénum  ,  quid  inamfitJÊâ^ 
cant  :  &  nos  admonent  complere  verbis  qu£  prtfO' 
/ueiimus  ,  ut  nibil  defiderent  ,  nibil  éufbu 
ixpeéient.  Cùm  vox  ad  [ententUm  exproimiém 
Mttoiiitur ,  nm'tjfu  donec  conciudatur  arrêté  fint, 
quo  ùerfeâo  completoque  ambitu  gaudent  >  et  cv 
$éÊ  fentiunt ,  née  amant  redundantia»  lÀcïré  H 
mutiU  fint  &  quafi  decurtat£  JententU  ,  boc  ^ 
von  ante  tempus  cadant  cavondum  ,  m  fûf 
prvmijjis  auns  fraudentur  ,  aut  produétioribus,  ii^ 
immoderatiùs  excurrentibus  Udantur. 

Entre  les  défauts  de  l'arrangement  des  mots,  OB 
compte  la  iimilitude ,  c*eil-à-dire  une  repetidoi 

trop 


Dl  PAUIIIL.  Liv.IIL  Chap.  V.      tiç 

trop  fréquente  d'une  même  lettre ,  d'ime  même  ter- 
minaifon ,  d'un  même  fon  »  &  d'une  même  cadence. 
La  diverfité  plaît  ;  les  meilleures  chofes  ennuyent 
brfqu'elles  font  trop  communes.  Ce  défaut  eil  a'au- 
tant  plus  coniiderable ,  qu'il  fe  corrige  facilement  ;  il 
se  faut  que  pafler  les  yeux  pardeiïus  fon  ouvrage» 
danger  les  mots  ,  les  fyllabes ,  les  terminaifons 
qui  reviennent  tropfouvent.  On  peut  exprimer  les 
mêmes  chofes  en  cent  manières  ;  l'ufage  fournit 
des  expreffions  différentes  pour  exprimer  une  mê- 
me  penfée. 

On  rend  le  dîfcours  égal  &  coulant  lorfqu'on 
éfite  les  défauts  dont  nous  avons  parlé.  On  marche 
irec  peine  par  un  chemin  raboteux  ;  on  ne  peut 
manier  un  corps  plein  d'inégalité  fans  fouffrir 
^que  douleur:  une  prononciation  eft  auili  in- 
commode  &  auffî  importune  >  lorfque  fans  aucune 
proportion ,  il  faut  tantôt  élever  la  voix,  tantôt  la  ra- 
raifler ,  allant  d'une  extrémité  à  l'autre.  Les  mots, 
les  fyllabes  qui  entrent  dans  la  compoûtion  du  dif- 
couis,  ont  desfons  differens:  le  fon  des  uns  eir 
dair,  le  fon  des  autres  eft  obfcur  :  les  uns  rem- 
jfifTent  la  bouche ,  les  autres  fe  prononcent  avec 
mi  ton  foible.  Tous  ne  demandent  pas  une  mê- 
me difpoûtion  des  organes  de  la  voix  :  cette  diï- 
ference  fait  l'inég^té  de  la  prononciation.  Pour 
foûtcnir  le  difcours ,  &  le  rendre  égal ,  il  faut  re- 
lever la  cadence  d'un  mot  trop  foible  par  celle 
le  celui  qui  aura  une  forte  prononciation ,  tem- 
fcrcr  la  trop  grande  force  des  uns  par  la  dou- 
ccor  des  autres ,  faire  que  la  prononciation  des 
mgts^qui  précèdent,  difpofc  la  voix  pour  pronon- 
cer lés  fui  vans,  &  que.  dans  ceux-là  la  voix  fe  rxr 
baiffc  par  degrez. 

Je  pounoïs  donner  quelques  autres  préceptes;^ 
mais  ce  que  j'ai  dit  fuffit  pour  faire  faire  refle* 
Xion  à  ceux  qui  veoïent  écrire  avec  foin*  fur  ce 


%x6      La  RHiToaKtyi»  ou  l'A&t 

qu'il  cftneccflaire  de  confidcrcr  dansTarrange 
des  mots.  La  principale  utilité,  &prcfqucla 
qu'on  retire  des  préceptes ,  c*ell  qu'ils  noui 
prendre  garde  à  de  certaines  chofes  iufauell 
ne  pcnfe  pas.  Pour  vous  perfuader  encore  aava 
deTutilité  des  conlîderations  que  nous  ven< 
faire  fur  Tarrangcment  des  mots ,  remarque 
•vous  prie ,  encore  une  fois ,  que  les  anomal 
îrrcgularitez  qui  fe  font  glilTées  dans  les  lan 
y  font  fouffertes  pour  éviter  les  défauts  que 
venons'  de  cenfurer.  Pourquoi  dans  THebre 
te  miûtitude  de  points  qui  tiennent  lieu  de\ 
les  dans  cette  langue  ^  Pourquoi  cette  diflfe 
de  points  longs,  de  points  très-brefs,  quife 
gent  félon  les  différentes  inflexions  des  vc 
&  la  difpofition  des  notes  qui  marquent  le 
vations ,  les  rabaiffemens ,  &  les  repos  de  la 
Pourquoi  enfin  un  Scbeva  qui  efl  un  point  qi 
tôt  fe  prononce ,  &  tantôt  ne  fe  prononce  po 
ce  n'eft  pour  rendre  égale  la  prononciation,  1 
tifier  par  des  pdînts  longs  quand  il  en  eft  h 
&  diminuer  fa  force  par  la  brièveté  des  ] 
dont  on  fe  fert  quand  l'égalité  de  la  proni 
tion  le  demande  f 

La  délicateffe  des  Grecs  eft  connue  de  t 
monde.  Confîderez  en  paflant  comment poi 
ter  le  concours  trop  rude  de  deux  confoncs 
rées ,  ils  changent  la  première  dans  une 
quilui  répond ,  difant ,  par  exemple ,  «i  ^«yj^ 
Ai^ayxit  :  comment  pour  remplir  ce  vuid 
fe  rencontre  entre  deux  voiclles  de  deux 
ils  n'en  font  qu'un;  par  exemple,  de  fù  îyi 
font  xayù  ;^  OU  ils  infèrent  une  confone  JïJ^ki 
pour  /V^Ki  uÔTùf:  comme  ils  ne  fe  fervent 
ce  cet  artifice  lorfque  Tune  de  ces  voyelles  ei 
gue  >  &  qu'elle  a  un  fon  affez  fort  pour  fe 
*2iftiûguer^  comme  dans  u^V^^ifi.    Vous 


Dr  r> &  1 1  11.  Liv. III,  CtMp.  V.         1V7 

ne  pour  fortifier  la  prononciation  «lorfauc  le  mot 
iivant  commence  par  une  voycUc  aipircc  ,  ils 
hangent  les  tenues  en  afpirées  aans  la  fin  du  mot 
[ui  précède,  comme  dans  cet  exemple,  nî^jé*  «a  ^/, 
}our  ttîic?'  «>iitt^f  cet  cxLu  ayant  un  cfprit  rude  ,  il 
icmande  une  forte  prononciation,  qu'il fcroitdif- 
Sole  de  faire  après  avoir  prononcé  les  tenues  «  & 
f  dont  le  fon  cft  foible.  Les  Grammairiens  remar- 
quent que  les  Grecs  difcnt  tihtrji^  au  prétérit  du 
mcdion ,  pour  /V^«/JW ,  afin  d'éviter  la  triple  re- 
pctition  de  la  jncme  confone  Jl 

Chacun  peut  faire  les  mêmes  reflexions  fur  la 
lingue  Latine ,  &  généralement  fur  toutes  lcs.lan- 
gucs  qui  lui  font  connues.  Cette  grande  multitude 
de  termes  qu'a  chaque  langue  ,  differens  par  leurs 
tennînaifons ,  &  par  le  nombre  de  leurs  fvllabes  ; 
k  cette  abondance  d'exprdiîîons ,  dont  les  unes 
font  courtes ,  les  autres  longues ,  n'ont  été  inven- 
tées que  pour  rendre  le  diicours  égal,  &  donner 
ie  moyen  de  choifir  dans  cette  variété  les  paroles 
&  les  phrafes  les  plus  commodes,  rejcttant  ccl- 
b  qui  ne  pourroient  pas  s'allier  avec  les  autres, 
ii  câmfofistone  rixantes ,  êc  mettant  en  leur  place 
xlles  qui  font  plus  accommodantes.  Ce  qui  don- 
Qc  encore  le  moyen  d'éviter  la  répétition  trop  fre- 
loente  des  mêmes  mots,  &  de  diverûfier  le  flile, 
^  quoi  confifte  en  partie  Télo^uence.  Outre  que 
^'df  une  marque  de  pauvreté  d  employer  toijy ours 
ts  mêmes  expreflions  ;  lorfque  le  oifcours  eu  foit 
»arié,  on  ne  s'apperçoit  prefquc  pas  qu'on  en- 
tend parler;  il  femble  qu'on  voit  les  chofcs  inc- 
lues ,  ce  qui  n'arrive  pas  fi  les  mêmes  exprciTions 
fcncnnent  trop  fouvent.  Aufli  les  bons  Ecrivains, 
^près  s'être  fervis  d'un  mot  remarquable,  ils  ne 
l'cmployent  que  lorfqu'ils  croyent  que  le  Lcâeur 
ic  s'en  ïouvicnt  plus.  Les  Grecs  &  les  Latins  ont 
î^us  de  facilité  &  d'avantage  pour  cela  que  nous 

Ko  n'en 


lit     La  Rritouxqjdb,  ou  l'Aut 

n'en  avons  pas.  Il  ne  nous  cft  point  permis  de 
faire  de  nouvelles  phrafes.  Nous  fommes  telle- 
ment affujettis  à  Image,  que  pour  parler  François 
ce  n'eft  pas  affez  de  fe  fervir  des  termes  ordinai- 
res ,  il  faut  prendre  les  tours  qu*on  prend  ordi- 
nairement. 


Chapitkb    VI. 

Lis  mots  [9nt  des  fons,    ContTtttons  nécejjahres  anx 
fonspour  être  agréables, 

I. 

Un  fin  vh/mt  ejî  dejagreàble  \  un  fin  modéré  fiait* 

NOus  venons  de  voir  ce  qu'il  faut  éviter  dans 
Tarrangemcnt  des  mots  pour  ne  pas  cho- 
quer ^cs  oreilles;  voyons  ce  qu'il  faut  faire, afin 
que  lés  fons  qui  compofent  les  mots  foient  agréa- 
bles. Tout  fentiment ,  lorfqu'il  eft  modéré ,  caufe 
quelque  plaifir;  les  viandes  qui  remuent  douce- 
ment les  nerfs  de  la  langue,  font  reflentir  à  l'amc 
)e  plaifir  de  la  douceur;  celles  qui  la  coupent  & 
qui  Tagitent  avec  violence  ,  font  aigres ,  piquan- 
tes &  ameres.  L'ardeur  du  feu  caufe  de  la  douleur; 
la  rigueur  du  froid  eft  infupportable  ;  une' chaleur 
modérée  eft  utile  à  la  fanté  ;  la  fraîcheur  a  fe$ 
agrémens.  Dieu ,  pour  rendre  à  l'efprit  de  l'hom- 
me la  prifon  du  corps  agréable  ,  &  la  lui  faire 
aimer,  a  voulu  que  tout  ce  qui  arrive  au  corps, 
&  qui  n'en  trouble  point  la  bonne  difpofition, 
lui  donnât  du  contentement.  On  ^rend  plaifir  à 
voir, à  fentir,à  toucher,  à  goûter:  il  n'y  a  point 
de  fens  dont  la  privation  ne  foit  fâcheufe.  Le  fen- 
timent d'un  fon  doit  donc  être  agréabîc ,  &  plaire 
aux  oreilles ,  k>rrque  ce  fon  lei  frappe  avec  mo^ 

dcxa- 


Dï  PAmiBK.    Liv.IJI.  Chef.  VI.  11) 

ration.  Les  fons  doux  font  ceux  qui  fi^ppent 
X  cette  modération  les  organes  de  1  ouïe;  ceux 
i  les  bleflent ,  font  rudes  0c  defagréables. 

I  I. 

fm  doit  ttre  diftinH.  far  cçnfequent  éijfezfirt 
pour  êtn  entendu. 

iAis  auffi  un  fon  doit  avoir  aflez  de  force 
pour  fe  faire  entendre  ;  les  viandes  qui  font 
ipides  forit  plus  capables  de  fiure  perdre  rappe- 
y  que  de  Texciter.  L'on  eA  çbligé  de  les  afui* 
mer,  &  d'en  relever  le  goût  avec  dufel  &  du 
laijgre.  Il  en  eft  des  fenfations  comme  des  con- 
iflances  qui  ne  dépendent  point  du  corps;  une 
onoiflance  imparfaite  ne  fait  que  mortifier  U 
âofité;  die  fait  feulement  connoitre  qu'on  igno- 
qudque  chofe.  On  reflent  anfïï  une  efpece  de 
igrin  quand  on  apperçoit  obfcurément  un  ob- 
:  la  vue  d'une  campagne  que  le  Soleil  éclaire , 
ane  du  plaifir.  Tout  ce  qu'on  appptrçoitavec 
itéy  foitpar  lesfenSy  foit  par  rdprit,  donne 
plaifir.  Voilà  donc  deux  conditions  neceffaires 
Kfims»  afin  qu'ils  puiiTent  être  agréables.  La 
îmiere,  qu'ils  ne  foient  pas  il  violens  qu'ils  blef- 
it  les  oreilles:  la  féconde,  qu'ib  foient  daire- 
àit  &  diflinélement  entendus.  Ceft  pourquoi  » 
mme  nous  l'avons  remarqué^  les  Grecs  eftim  oient 
is  leslettres  doubles ,  que  celles  qui  font  fimples. 
;  préferoient  leur  betba  à  leur  epphn. 

III. 
^égalité  des  fons  contrîbut  à  les  rendre  diftinéls. 

"^E  n'efl  pas  toujours  le  manque  de  force  qtu 
^  rend  les  fons  confus ,  mais  leur  inégalité.  Les 
%t  in^ux  qui^  frappent  les  organes  fortement 

K  7  M  ^ 


.%io      La  RiiitORtQjaiy  ou  i'Art 

&  foiblemcnt,  avec  vitcfle  &  avec  lenteur,  bi 

aucune  proportion,  troublent  l'amc,  comme  1 

diverfité  des  affaires  trouble  un  homme  f^m  9 

peut  s'appliquer  à  toutes  en  même  temps.  La  yÛi 

d'une  multitude  de  differens  objets  difpofez  fan 

ordre,  eft  confufe.    Voyez  un  cabinet  enrichi  à 

bijoux,  orné  de  Tableaux,  de  Bronzes,  d'Eftam- 

pes,  de  Médailles:  la  vûë  de  toutes  ces  ridieffo 

n'eft  point  agréable  fi  elles  ne  font  difpofécs  avoc 

ordre.    Pourquoi  cft-cc  que  les  arbres  plantez  ia 

échiquier   plaifent  davantage   que  lorfqu'ils .  (c 

trouvent  rangez  fans  art  comnic  la  nature  les  a  &â 

paître?  Pourquoi  une  armée  rangée  en  bataîDCj 

plaît-elle  à  la  vûë  en  même  temps  qu'elle  époit 

vante  ^  On  peut  affigner  plufieurs  caufes  dfe  a 

pîaifir  :  pour  moi  je  crois  que  la  principale  é 

oue  l'égalité  &  l'ordre  rendent  une  lenfation  pini 

ûiftindc.    Cette  clarté  avec  lamielle  Tame  apçcr- 

çoit  les  chofes  entre  lefquelles  il  y  a  de  r^lit^ 

&  de  l'ordre,  lui  donne  une  feaette  fatis^aioa 

Elle  jouît  pleinement  de  ce  qu'elle  defirc.    ffi 

Vv  a  quelque  ordre  entre  lesimpreffionsdesfoûs, 

elles  ne  peuvent  être  diftinguées  par  l'ame.   DaBî 

une  affemblée  de  plufieurs  perfo^mes  qui  païknl 

toutes  à  la  fois ,  on  ne  peut  difcerner  aucune  » 

rôle.  Dans  un  concert  réglé  &  cdmpofé  de  po* 

fleurs  voix ,  &  de  differens  inflrumens ,  on  entènj 

fans  confufîon  &  fans  peine  le  fon  de  chaque  inflriir 

ment ,  &  le  chant  .de  chaque  Muficien  ;  &  c^efl 

cette  diflinélion  qui  plaît  aux  oreilles.    EUes  fe* 

roient  choquées  n  ces  voix  &  ces  inflrumens  d« 

s^accordoient.    Je  ne  m'en  étonne  pas ,  puifqtfen 

fonnant  mal  une  doche ,  il  on  lui  fait  faire  tu 

faux  fon ,  quelque  folide  &  forte  qu'elle  foit ,  <lfc 

fe  cafle  auffî  facilement  que  il  file  n'étoit  quç^ 

ycrrc.  ^. 


m  FAmtiK.  Liv.III.  Cbsf.îV.      131 

I  V. 

^iverfité  tfl  aujji  necejfaire  que  régaUté   four 
rendre  les  Jwis  agréables. 

ccron  dit  agréablement,  que  les  oreilles  font 
liffidles  à  contenter:  Fajiidlofijftma  funt 
;  fouvent  on  leur  déplaît  en  penfant  leur 
e.  L'égalité  eft  neccuaire ,  &  lans  elle  au- 
fcntiment  n'eft  diftinél  :  l'on  n'appcrçoit  rien 
confufément ,  &  avec  un  chagrin  femblabJe 
ui  que  Ton  reçoit  lorfqu'on  ne  jouît  pas  pld- 
ent  des  chofcs  cju'o^i  aime  &  qu'on  délire; 
ndant  cette  égalité  devient  infupportabJe  lorf- 
le  continue  trop  long-temps.  Les  oreilles 
inconftantes,  comme  tous  les  autres  fens. 
plus  grands  plaifirs  font  fuivis  de  près  de  quel- 
dégoût  :  Omms  voluptas  kabet  finiùmum 
Sum.  Ceux  qui  fa  vent  Tart  de  plaire  >  pré- 
icnt  ces  dégoûts  i  &  font  goûter  fucceffive- 
:  differens  plaifirs,  furmontant  par  la  va- 
cette  humeur  difficile  des  hommes  qui  s'en- 
SLt  de  toutes  chofes.  Ce  n  eft  pas  néanmoins 
al  caprice  qui  rend  la  variété  neceffaire  :  la 
rc  aime  le  changement ,  &  en  voici  la  raifon. 
on  lafle  les  parties  de  Torgane  de  Touïe  qu'il 
«  trop  long-temps;  c'eft  pourquoi  la  diver- 
A  neceffaire  dans  toutes  les  aélions ,  parce 
le  travafl  étaût  partagé,  chaque  partie  d'un 
oe  en  eft  moins  fatiguée, 
harmonie  fuppofe  donc  delà  variété.  Le  mê- 
6n,  quoique  doux  &  agréable,  ennuy eroit  s'il 
it  trop  long-temps.  Au  contraire  les  fons  def- 
ibles  d'eux-mêmes ,  pourvu  qu'ils  frappent 
ille  avec  ordre ,  deviennent  agréables  ;  ce  qui 
marque  dans  la  chute  des  goûtes  d'eau  qui 
:nt  lorfqu  elles  tombent  différemment,  &  par 
valles  réglez  >  comme  Ciceron  le  dit  éiegam*- 

menti 


431       La  Rhitoiiiqjti«  ev  i'Art 

ment:  Sumerus  in  contmuatione  nulius  eft ,  dîj 
£^h  &  dquaiium  intervallorum  pcrcujfto  ^  numt 
amfàti  quem  in  cadentibus  guttis  j  quhd  intervt 
iRfiinguuntur  notart  fojjumus  ^  in  smni  pr£cipiSi 
non  pojfumuu 

V. 
JJfaut  siRer  les  condtHons  précédente* 

IL  femble  que  les  deux  dernières  condidi 
foient  incompatibles»  &  que  l'une détniifel' 
tre;  mais  elles  s'accordent- fort  bien,  6c  l'onp 
allier  l'égalité  avec  la  variété  fans  aucune  o 
fufîon  de  ces  deux  qualitez.    Il  n'y  a  rien 
plus  dlverfiiié  qu'un   parterre    de  fleurs.   Oi 
voit  des  œillets,  des  tulippes,  des  violettes, 
rofes.    Les  compartimens  en  font  fort  difibc 
il  y  en  a  de  circulaires,  il  y  a  des  ovales, 
quarrez,  des  triangles;  cependant  fi  ce  paru 
a  été  tracé  par  un  habile  homme,  l'égalité 
rencontre  avec  lar  variété,  étant  partagé  en  dcsj 
ces  proportionnées  entr'dles,  &  ornées  de  fijgi 
femblables. 

Nous  allons  flaire  voir  comment  l'on  peut  al 
TégaHté  &  la  variété  dans  les  fons  :  c'eft  cette 
liance  oui  fait  la  beauté  &  l'agrément  des  cono 
dé  munque:  car,  commeditS.Auguftin,lesoi 
Icsne  peuvent  recevoir  un  contentement  plusgR 
que  celui  qu'elles  reflentent  lorfqu'elles  font  d 
mées  par  la  diverfité  des  fons ,  &  que  cepend 
elles  ne  font  pas  privées  du  plaifirquedonneFé 
lité.  Quîd  entm  auribus  jucundius  potefl  effi  n 
cum  &  varietate  mulcentur^  nec  £qua/itate.  frt 
dàntur  l 


Ci 


PA11IB&.  Lh.IIL  Châf.VL       133 

V  I 

née  de  Végûlité  &  de  ia  dherfité  d$H 
tfikle:  ee^u^ilfaut  obferver  feur  cela, 

Uiance  de  Tégalité  avec  la  irarieté  doit 
nfible;  il  faut  que  les  oreilles  appercoi* 
nperament  ;  c'eil  pourquoi  tous  fes  Ions 
els  elle  fe  trouve ,  doivent  être  liez  en- 
c  il  eil  neceflaire  <)ue  les  oreilles  les  en- 
is  aucune  intenuption  notable.  La  fym* 
m  bâtiment  ne  peut  être  remarquée lorf* 
le  découvre  qu'une  petite  partie  de  ce  bâ- 
!S  habiles  Ârchiteâes  réUniflent  pour  ce 

ouvrage  y  de  manière  qu'il  putfle  toe 
d*une  feule  vue.  Afin  que  les  oreillei 
ent  l'ordre  ôc  la  proportion  de  plufieurt 
ut  qu'elles  les  comparent.  Or  toute  com- 
dppofe  que  les  termes  de  la  comparaifon 
fens,  êc  joints  les  uns  avec  les  autres;  il 
unir  ces  fons  :  ce  qui  les  rend  plusagréa- 
lor&u'ils  font  fcparez;  parce  que  cette 
fuifant  fentir  tous  en  même  tems,  l'im- 
[u'ilsfont  eft  plus  forte ,  &  par  confcquent 
qu'ils  caufcnt  eft  plus  grand.  Pius  dt/ec^ 
ta ,  ^ukmfinguîa  •  fi  foffmt  fentir i  emniû  » 
iguflm.  Seneque  exprime  élégamment 
)us  voulons  marquer  ici,  qu'il  faut  unir 
'<  la  diverfité  des  fons,  &  rendre  cette  u- 
ible,  comme  elle  l'eft  dans  un  concert  de 
voix  &  de  plufieurs  inflrumens.  Chaque 
tellement  unie  avec  les  autres ,  qu'aie 
•  ainfi  dire,  cachée  dans  toutes  les  autres 
fient  toutes  enfenible.    No»  vides  fuhn 

vocibus  chorus  confiet}  Unus  tamen  ex 
lonus  redditur.  Aliqua  iUic  aeuta  eft^ 
rsvis ,    alloua   médis.  •     Accédant    virh 


i}4      La  RRSTOKi^uiy  «u  l'Aut 

fiemindy    interpênuntur    tibU^  fingulorum   îki  ùh 
Sent  voces  ,  omnium  apparent. 

gT— r» 1 — n ■ ■ .^ ...  _        ■      ■  

Chapitre*  VIL 

Cg   qêi   lis    oreilles    diflinguent    dans   le  fin  àt 
paroles  f  &  ce  qu'elles  y  peuvent  appercevoir 

.  avec  piaifir» 

CEs  conditions  dont  nous  venons  de  parler 
dans  le  Chapitre  précèdent»  fontneceflaircsji 
tous  les  fons  pour  être  agréables»  foit  aux  ibof  de  ' 
la  voix»  foit  aux  fons  dès  inûrumens:  cependantje 
ii*ai  prétendu  parler  que  des  fons  de  la  voix  hih* 
maine.  Encore  je  diitingue  deux  fortes  deviHXf 
une  que  j'appelle  contrainte,  Tautre  que  je  nomme 
fimplic  &  facile.  La  voix  contrainte  ell  celle  doitf 
on  le  fert  en  chantant, lorfque  l'air  qui  faitleiioni 
fort  avec  violence  des  poumons.  La  voix  fimpleeft 
ceHe  que  l'on  forme  en  parlant ,  qui  fe  fait  va 
£icilite,  &  qui  ne  laffe  point  les  organes  commeb 
première.  Ce  que  je  dirai  dans  la  fuite  de  ce  traité 
ne  regarde  que  le  fon  de  la  voix  fimple  :  il  faut  W 
maintenant  comment  on  peut  faire  que  lesfoitfoâ 
les  mots  ayent  les  conditions  qui  les  doivent  rendre 
agréables  aux  oreilles. 

L'on  peut  facilement  arranger  fon  difcouii  de 
tdle  manière  que  la  prononciation  n'en  foit  ni 
violente  ,  ni  trop  foible;  qu'elle  foit  modcréc  S 
diilinéte ,  &  que  ce  4ifcours  ait  par  conÎTçqucitf 
les  dçjix  premières  conditions.  On  a  vu  ce  que 
Von  doit  faire  ou  éviter,  afin  que  le  difcouis 
n'écorche  point  les  oreilles ,  &  qu'il  puiffc  être 
entendu.  L'on  a  fait  voir  avec  quel  loin  il  fiut 
éviter  la  rencontre  des  confones  rudes,  comme  il 
£iut  rempUr  les  vuides  qui  fç  rencontrent  cnucto 


BE.PAKLSR.    Uv.JÏL  Cbêf.VIL       I35 

otSy'oùle  cours  de  la  prononciation  fcroit  ar- 
té;  ave<:  quelle  prudence  on  doit  modérer  laru- 
:âe  Àt  certaines  fyllabes  par  la  douceur  de  celles 
li font  plus  douces;  en  un  mot,  comment  Ton 
:ut  égaler  la  prononciation ,  &  foûtenir  le  ion 
^  lettres  foibles>  en  les  faifant  accompagner  de 
ttres  plus  fortes. 

Les  quatre  autres  conditions  fe  peuvent  trouver 
i  différentes  manières  dans  le  difcours  ;  les  oreil- 
s  apperçoivent  dans  la  prononciation  plufieurs 
lofes  outre  le  fon  des  lettres.  Premièrement  elles 
gent  de  la  mefure  du  temps  dans  leouel  onpro- 
>nce  chaque  lettre  y  chaauefyllabNe»  cnaquemot» 
itque  expreflion.  En  lecond  lieu»  elles  apper- 
âvent  les  éievemensôc  les  rabûflemensde  voix» 
rlefquels  on  diilingue  en  parlant  chaque  mot, 
aque  expreffion.  £n  troiRéme  lieu  les  oreiUes 
marquent  le  filence  ou  le  repos  de  la  voix  à  It 
1  des  mots  &  du  fens:  quand  on  lie  deux  mots, 
iau*on  les  fépare:  lion  mange  quelque  voyelle; 
luulîeurs  autres  cbofes  qui  font  comprifes  foiis 
nom  d'accenSy  dont  la  connoiffance  eft;abfolii- 
ent  necefiaire  pour  la  prononciation.  Ces  accent 
avent  être  en  très-grand  nombre.  L'on  en  compte 
os  de  trente  dans  les  Grammaires  Hébraïques.  Il  jr 
.  a  huit  chez  les  Latins ,  félon  Servius  Honoratus  » 
roir  Paigu  ainfî  figuré  (')  qui  montre  quand 
&ut  hauifer  la  voix:  U grave  {)  quana  il  la 
ut  abaiifer;  It  circumflexé,    compofe  de  Taigu 


du  grave  (^  ovl^\  U  accent  long  figuré  ainfi 
")  qui  avertit  que  la  voix  doit  s*arrcter  fur  U 
ïycUe  qui  a  cette  marque  :  it  bref  ("  )  que  le 


mps  de  la  prononciation  doit  être  court.  Hy- 
wi,  ou  conjon<ftion  (-)  quil  faut  joindre  deux 
lots  enfemble,  comme  dans  male-jànus^  qu'on 
efepare  pas  dans  la  prononciation.  DiaflçUf  ou 
ivilion  marque  qu'il  faut  feparçr  les  mots  entre 

lefi> 


236        Là  RHETouXQjriy  ou  L*AllT 

Icfqucls  clic  fc  trouve.  LApoftropbe  montre  qu'oa 
a  rejette  une  voyelle.  La  Diaftole  &  rApoftro-  \ 
phe ,  ont  une  même  marque  (  *  )  mais  dans  TApot  j: 
trophe  elle  fe  met  au  haut  de  la  httrc,  êia^  \. 
fut  ihter^  'y  dans  la  Diaftole  au  bas ,  ad  peém.      ) 

Il  ne  faut  jpas  oublier  ce  <jue  les  Grecs  appcDeat  i 
§fprit^  qui  cft  une  note  qui  fe  met  au  commcû*  | 
cément  d'une  voyelle.  Il  y  a  deux  fortes  d'efprits ,  ï 
rua  doux  &  Tautre  âpre,  qui  ont  chacun  leur  ji 
note  qui  marque  s'il  faut  afpirer  fortement  ou  do*  i 
cernent  cette  voyelle.  11  ne  faut  pas  juger  dctoo»  i 
tes  les  langues  par  la  nôtre  ;  nous  ne  conceToM  p 
pas  qu'on  puifle  diftinguer  tant  de  difièrentescho-  j: 
Tes  en  prononçant,  parce  que  nous  fommcs  accou- 
tumez à  prononcer  d'une  manière  fort  unie;  ce 
qui  fait  que  nous  ne  pouvons  point  compreûdre 
comment  les  Chinois  prononcent  un  même  mot 
monofyllabe  avec  cinq  tons  differens,  &  qu'on  lei 
diflingue  aflèz  pour  donner  à  ce  même  mot  cinq 
différentes  fîgnifications. 

Or  Ton  peut  faire  que  les  oreilles  apperçoivcflt 
toutes  ces  chofes  avec  plaiiir,  y  faifant  trouver 
les  conditions  que  j'ai  propofées  d-deflus.  Difpo- 
fant,  par  exemple,  le  mots  avec  cet  artifice,  qne 
les  mefures  du  temps  de  la  prononciation  foieni 
égales ,  que  les  pauies  de  la  voix  ;  ou  les  interval- 
les de  la  refpiration  fe  répondent ,  que  la  voix 
t'éleve  &  fe  rabaiflc  par  des  degrez  égaux.  On  y 
peut  allier  l'égalité  avec  la  variété,  fâifant  que 
plufieurs  mefures  liées    enfemble  foient  ^fa, 

Î[uoique  les  parties  dont  elles  feront  compofto 
oient  inégales ,  &  que  les  oreilles  apperçoivcntcc 
tempérament  avec  plaifir.  Maisavantquedcpaflff 
outre ,  à  prefent  que  nous  parlons  de  l'art  déplaire» 
&  que  nous  fommes  tout  occupez  à  chercher  dans 
le  difcours  ce  qui  peut  divertir  l'oreille,  il  cft  b<» 

de  faire  quelque  renexion  fur  cette  maxime  àtïv^ 

de 


»t  FAmLl&.  Lîv.ïlL  Chaf.VIL      137 

lairc ,  que  les  chofes  les  plus  agréables  font 
n:éables  eu  certaines  rencontres.  Le  divertifle* 
:  n*ell  pas  toujours  de  fàifon,  le  travaille  les 
ne  s'accommodent  pas  enfemUe»  perfonne 
larche  en  cadence  pour  aller  à  Tes  affiures, 
lu'il  s'agît  de  découvrir  Amplement  fa  pen* 
^u'il  eft  utile  de  aire  connoître  aux  autres  ce 
*on  a  dans  l'efprît,  un  homme  de  bon  fcns  ne 
jfert  jamais  à  comparer  fes  paroles  »  à  mefu* 
s  mots  9  &à  placer  avec  juftelTe  les  paufesdela 
ondation.  Le  plaifir  n'eft  plaifîr  que  lorfqu'on 
iihaite;  s'il  vient  à  contre-temps»  il  déplaît  « 
:  qu'il  détourne  8c  divertit  de  1  application  fe^^ 
î  où  l'on  étoit. 

faut  donc  diftinguer  le  difcours  en  deux  efpe^ 
il  eft  naturel  y  ou  artificiel.  Le  naturel  eft  ce 
ont  on  doit  fe  fervir  dans  la  converfation  pour 
rimer»  pourindniire,  &  pour  faire  connoître 
kouvemens  de  fa  volonté»  &les  penféesdeibn 
:.  L'artificiel  eft  cdui  que  Ton  employé  pour 
:,  &  dans  lequel  s'éloignant  de  l'ufage  ordi- 

&  naturel,  on  fe  fert  de  toutrartificepoffi- 
our  diarmer  ceux  qui  l'entendront  prononcer,' 

le  difcours  naturel ,  il  fuflit  d'obfervcr  avec 
itudecequia  été  prefcrit  dans  les  premiers 
itres  de  ce  Livre.  Ce  n'eft  pas  qu'on  n'ypuiife 
lier  l'art  à  fon  fecours;  car  les  matières  ne 
pas  toujours  ï\  aufteres  qu'elles  ne  permettent 
[ue  petit  divertifiement. 
rfonne  n'ignore  la  différence  qui  efl  entre  la 
î  &  les  Vers ,  elle  eft  trop  fenfiblc.  Le  dif- 
»  qui  eft  lié  par  les  règles  étroites  de  vcrûfi- 
n  eft  entièrement  éloigné  du  difcours  libre , 
!ft  celui  que  l'on  employé  lorfque  l'on  parle 
tflemcnt  &  fans  art  ;  c'cft  pour  cette  raifoa 
es  difcours  en  Vers  font  appeliez  particuliere- 
i  artificiels.    Nous  fommes  obligez  de  com« 

mcft- 


138      La  RHiTomctuB  ,  ^v  t'Au  Y 

meneur  l'art  que  nous  traitons  »  par  enfeigner  ,com« 
me  l'on  peut  donnera  un  dîfcours  libre  &  naturel» 
c*efl:-à-dirc  à  la  pit)fe ,  les  conditions  qui  rendent 
les  fons  agréables,  fans  que  ces  conditions  lui 
ôtent  fà  liberté;  après  cela  allant  par  ordre  ,  nous 
viendrons  aux  difcours  artificiels,  tels  que  font  les 
Vers.  Cet  art  dans  la  Profe  fe  réduit  à  deux  chofes  , 
eu  à  rendre  la  Profe  Periodiaue,  ou  à  la  figurer. 
K  Voyons  ce  que  c'eft  que  période ,  ce  que  c*eft  que  fi- 
gure ,  comment  Ton  peut  rendre  le  diîcouis  periodi- 
que.comment  on  le  peut  figurer.Nous  verrons  enfui* 
te  comment  on  le  peut  mefurer  pour  faire  des  vers. 

Avant  que  de palTer outre,  remarquons,  i.  que 
ce  n'eil  pas  Tefprit,  mais  les  oreilles  oui  jugent  de 
cet  arrangement.  Or  elles  font  ^ftiaieufes,&ce 
qui  leur  plaît  une  fois  ne  leur  plaît  pas  toujours, 
comme  on  l'expérimente  :  ce  qui  nous  paroifibit 
bien  rangé  dans  un  temps ,  dans  un  autre  paroif- 
fint  rude.  1.  La  Raifon  demande  bien  qu'on  tra* 
▼aille  à  ranger  un  difcours ,  afin  qu'il  ne  foit  ni 
rude  ni  obîcur;  mais  elle  n'approuve  ni  les  affc- 
éhtions ,  ni  cette  grande  application  à  ordonner 
tous  les  mots ,  comme  pour  les  faire  marcher  en 
cadence,  &  par  leurdifpofition&  arrangement  en 
faire  des  figures  qui  plaifent.  C'eft  la  marque  d'un 
petit  génie  qui  s'occupe  de  rien ,  comme  le  dit 
Quintilien  dans  fon  neuvième  Livre  à  la  fin,  où  il 
donne  d'excellens  avis  pour  l'arrangement.  Jotus 
vero  bic  locus  non  ideo  traéHatur  à  nobis  $  u$ 
$ratîo  quée  fcrri  débet  ae  fiuere  •  àmetieniTis  fedi" 
bus  y  ac  perfendendis  fylUbis  confenefcnf,  nom  id 
tum  miferit  tum  in  minimis  occupati  eft»  Nifta 
enim  qui  fe  totnm  in  bac  cura  confumpferit  »  fo- 
tioribui  vaeabit:  fi  quidem  reliflo  rerum  ponde 
ret  ac  nitore  contempto^  tejferulas^  (ui  ait  La 
iiUus)  Jiruet  t  et  vermiculatè  inter  je  lexeis  cm 
miitit,  Nêmh  ergo  ufrigeretur  ^  fi  cahr  &  nul 


BB    FAKLIB.    LtV.IÏL  Ch.VIJJ.        If^ 

r  fifist,   ut  equûrtm  curfum',  qui  dlrîgif^  mi* 
ifi  &  paJfMS  qui  ésquat^  frungit. 


.  I   ,  111 


Chapxtub    VIII. 

mmtnt  il  faut  diftrihuer  ks   inttrval/ts  et  Ai 
refpirutian ,  sfin  que  les  rep^s  de  Is  v$ix  fiieni 
frofortiênnez*  Cemfofitiw  des  Perioeles», 

T  Ous  fommes  obligez  de  prendre  haleine  de 
^  temps  en  temps.    La  neceflké  qu'il  7  adefe 
re  entendre,  fait  que  l'on  s'arrête  ordinairement 
la  fin  de  chaque  expreflîon  pour  refpirer  »  afin 
le  des  repos  de  la  voix  fervent  en  même  temps 
rendre  le  difcours  plus  clair ,  &  à  reprendre  de 
)iivelles  forces  pour  parler  plus  long- temps.  La 
>ix  ne  fe  repofe  pas  également  à  la  fm  de  tous  les 
hs.    Dans  une  fentence  qui  a  beaucoup  de  fens , 
Elfe  repofe  un  peu  à  la  fin  de  chaque  fens;  mais  ce 
rpos  n'empêche  pas  au  on  ne  s  apperçoive  fort 
[en  qu'on  a  deffein  d'aller  plus  loin. 
La  partie  d'un  fens  parfait  ^ui  fait  partie  d'un 
Qtre  plus  grand  fens  »  eit  appellee  des  Grecs  f(9>/K^j 
tes  Latins  incifum,    Quana  on  entend  prononcer 
a  partie  d'un  fens  entier,  l'oreille  n'eft  point  con- 
ente,  parce  que  la  prononciation  demeure  fuf- 
)CQduë  jufques  à  ce  que  le  fens  foit  achevé.    Par 
temple  lonqu  on  commence  en  Latin  :  Cùm  r«- 
\nmpt  bene  facere  ,  &  audire  mmlè  -y  ou  en  Fran- 
çois: Put/que  c^eft  une  vertu    royale  de  faire   k 
(ira,  lors  même  qu*on  ejl  mefrtfé  j     les  oreilles 
lont  attentives  &  appliquées  à  entendre  la  fuite. 
Les  Grecs  appellent  un  fens  parfait,  mais  qui  fait 
partie  d'un  iens  plus  achevé,  »•>•«,' les  Latins 
9imbrum ,  membre.    Les  oreilles  font  fatisfaites 
^près  avoir  entendu  le  membre  d'une  fentence  : 


140      La  RffiroftïQjji,  OIT  l'Aut  - 

néanmoins  elles  défirent  encore  quelque  chofe  de 
plus  partit»  comme  on  le  fent  dans  ces  paroles 
Latines.  Si  quantum  in  a^ris ,  Acijque  defertit 
mudâcia  potefl  >  tuntum  in  foro  âtque  judkiis 
impudentia  vakst.  Cela  eft  auffi  dans  k  Tnh 
dudtion.  Si  Peffrontirie  était  aujji  MVMnh^ah 
fi  à  ceux  qui  parlent  dans  le  Barreau  dievaai 
kt  Jugett  que  Pefl  la  hardiejfe  aux  voleurs  eut 
les  lieux  écartez.  Vous  pouvez  juger  par  vos  ordI« 
les  Gue  ce  fens  parfait  contente,  mais  qu'il  n'Ate 
pas  le  defir  dç quelque chofe  de  plus  accomjdi,  8c 
que  Ton  defire  entendre  le  corps  de  la  fçotcDCS 
après  avoir  entendu  ce  membre. 

La  voix  ne  peut  fe  repofer  qu'en  fe  rabaiffantt 
ni  recommencer  fa  courfe  qu'en  s*élevant;  c^eft 
pourquoi  dans  chaque  membre  il  y  a  deux  partieSi 
une  élévation  &  rabailTement  de  voix:  tamt 
&  XsR^dffx.  La  voix  ne  fe  repofe  entiéremeflt 
qu'à  lafindelafentence,  6c  elle  ne  ferabaiflè  qu'en 
achevant  de  prononcer  cette  fentencequ'jelle  avdt 
commencée.  Lorfque  les  membres  qui  compi^^pt 
le  corps  d'une  fentence  font  égaux,  oc  que  la  voix 
en  les  prononçant  fe  repofe  par  des  intervalles  é- 
gaux,  &  s'élève  &fe  rabaiffe  avec  proportion  l'cir 
preiSon  de  cette  fentence  fe  nomme  Période:  dA 
un  mot  qui  vient  du  Grec,  ôc  qui  fîgnifîe  circuit. 
Les  périodes  entourent  &  renferment  tous  lesfeos 
qui  font  les  membres  du  corps  de  la  fent ence  qu'el- 
les comprennent.  L'artifice  dont  nous  parlons  id 
confîfle  à  rendre  égales  les  expreflîons  de  chaque 
membre  d'une  fentence;  à  proportionner  ces  w- 
ties  du  difcours  où  l'on  reprend  haleine;  où  Voo 
finit  un  fens  pour  en  recommencer  un  autre.  CZif- 
dendi  incboandique  fententias  ratio. 

Pour  compofer  une  période^  ou,  ce  qui  cftfc 
même  chofe ,  pour  exprimer  une  fentence  qui  cft 
compofée  de  deux  ou  aeplufîeurs  fens  part iculieiif 


»l  Pk%J.i%.  Lh.llL  Châp.VjJt,    141 

ec  cet  ait ,  eue  les  expreffions  de  cette  fentence 
'cnt  les  conditions  neceflaires  pour  plaire  aux 
tffles;  il  £iut  premièrement  aue  ces  exprefllout 
:  foient  point  trop  longues ,  &  que  toute  la  pe- 
ode  (bit  proportionnée  a  l'haleine  de  celui  qui  la 
)it  prononcer  y  tsI  wf liffjim  Ai^ft^  91/1*1141  T^^uf. 
.  D  faut  cnvifager  tout  ce  que  contient  la  fenten- 
:  ^ue  l'on  veut  comprendre  dans  une  période , 
loifir  des  expreffions  terrées  ou  étendues  ;  retran- 
lerou  ajouter ,  afin  qu'elle  ait  fa  jufte  longueur, 
ais  on  doit  prendre  garde  de  ne  point  inférer 
s  paroles  inutiles  ôc  fans  force  pour  remplir  le 
iak  de  la  période,  &  en  achever  la  cadence, 
MM  compicmenta ,  &  ramentâ  numerorum. 

2.  Les  expreffions  des  fens  particuliers  qui  font 
s  membres  du  corps  de  la  fentence ,  doivent  €- 
e  rendues  égales ,  afin  que  la  voix  fe  repofe  à  la 
i  de  ces  membres  par  des  intervalles  égaux.  Plus 
tte  égalité  eft  exadle ,  plus  le  plaifir  en  eft  fenfi- 
e,  comme  on  le  peut  voir  dans  cet  exemple. 
€C  eft  enim  non  fafla  »  fed  nata  lex  \  quam  non 
Acimus  9  accephttus  y  legimus  ;  verùm  ex  naturâ 
fi  âtripuimus  •  baufimus  »  expreffimus  :  ad  quant 
m  diéii  t  fed  faut  5  non  infiituti^  fed  imbuti  fum 
us. 

3.  Une  période  doit  avoir  tout  au  moins  deux, 
lembres ,  &  quatre  pour  le  plus.  Les  périodes 
oivent  avoir  au  moms  deux  membres,  puifque 
ior  beauté  v/ent  de  l'égalité  de  leurs  membres. 
)r  l'égalité  fuppofe  pour  le  moins  deux  termes. 
^  Maîtres  de  l'art  ne  veulent  pas  qu'on  fàife  en- 
icr  dans  une  période  plus  de  quatre  membres  « 
aice  qu'étant  trop  longue ,  la  prononciation  en 
eroit  forcée  \  par  conféquent  elle  déplairoit  aux 
)rdlles,  puifqu  un  difcours  qui  incommode  celui 
lui  parle  ne  peut  être  agréable  à  celui  qui  l'écoute. 

4*  Les  membres  d'une  période  doivent  être  Uez 

L  fi 


24%       La  Rhitorxqub,  ou  l'Art 

fi  étroitement»  que  les  oreilles  appcrçoivcnt  l'égi- 
lité  des  intervalles  de  la  prononciation.  Pour  cela 
les  membres  d'une  période  doivent  être  unis  par 
l'unité  d'une  feule  fentence  ,  du  corps  de  laqudk   -■ 
ils  font  membres.    Cette  union  eft  très-fcnliWCt 
car  la  voix  ne  fc  repofe  à  la  fin  de  chaque  mem-    -■ 
bre ,  que  pour  continuer  plus  loin  fa  courfe  :  clic    ' 
ne  s'arrête  entièrement  qu'à  la  fin  de  toute  lafenr    . 
tence.  On  peut  dire  que  la  voix  roule  en  pronon- 
çant une  période ,  qu'elle  fait  comme  un  ccfde    ': 
qui  renferme  tout  le  fens  d'une  période  :  ainfi  les*    ^ 
oreilles  fentent  facilement  la  difiindlion  ,6c  l'union 
de  fes  membres. 

5.  La  voix  s'élève  &  fe  rabaiflc  dans  chaque  j 
membre:  les  deux  parties  où  fe  font  les  inflexions  1 
doivent  être  égales,  afin  que  les  degrez  d'élcft-  ^ 
tion  &  de  rabaiffement  fe  repondent.  En  pronom 

Î;ant  une  période  entière  on  clcve  la  voix jufau'à 
a  moitié  de  la  fentence ,  6c  elle  fe  rabaifTe  oans     , 
Vautre  moitié.    Ces  deux  parties  qui  font  appel-    j 
lées  7K9i$  d)C>aiiù7tç,  doivent  fc  répondre  par  leur 
égalité. 

6.  Pour  la  variété ,  elle  fe  trouve  dans  une  pé- 
riode en  deux  manières;  dans  le  fens,  &  dans  les 
mots.  Premièrement ,  les  fens  de  chaque  membre 
de  la  période  doivent  être  difrcrensentr*eux.DiDS 

le  difcours  la  variété  s'y  rencontre  d'elle-même:    . 

on  ne  peut  exprimer  les  différentes  penféesdefon 

cfprit,  qu'on  ne  fe  fervc  de  difFerens  mots.   On-    | 

tre  cela  on  peut  compofer  une  période  de  dem 

membres ,   tantôt  de  trois ,   tantôt  de  qoane 

membres.    Les  périodes  égales  ne  doivent  pas  ils 

Âiivre  de  fort  près  ;  il  eit  bon  que  le  diicoan 

coule  avec  plus  de  hberté.  Une  égalité  trop  exic* 

te  des  intervalles  de  la  refpiration,  pourroitdctfr 

nir  ennuyeufe. 

Voici  quelques  paiTages  de  Ciceron  que  j'ai  pris 

Door 


»B  rA&LiR.  Liv.IIL  Ck  VI IL      i^y 

r  exemples  despériodes  Latines  »  parce  que  la 
:nce  de  nos  Françoifes  n'eil  pas  fi  fenfible. 
mple  d'une  période  de  deux  membres.  i.Quid 
^  admirsèiU  »  quàm  ex  tnfinita  multitudim  h0' 
m  ixfiftere  unum  , ,  i.  Qui  id  quoJ  ofnuibus  na* 
!  fit  datum  ,  vel  Jolus  y  vel  cum  faucis  frcetê 
t.  La  période  fuivante  a  trois  membres. 
Sâm  cùm  antes  fer  £tatem  ,  bujus  ouéloniM" 
loci  cêntingtre  non  autUrem  »  i.  Siatuiremquê 
l  hue  mfi  perfeêium  induflrrd  ,  eiaborâtum  in* 
io  ddferri  oporterey  y  Meum  wnpus  omne  ami" 
ntt  temforibus  tranjmittendum  futavi.  Celle- 
eft  de  quatre  membres,  i.  Si  quantum  in  a* 
S  locijquf  defersis  audacia  potefl  ,  z.  Tantum  in 
i  ac  in  judiciis  impudentia  valeret^  3.  Son  mi" 
r  in  caufa  ctderet  Au/us  Cacinna  Sexti  /Elfutii 
fudentia»  4.  Quantum  in  vi  jacienda  ce  (fit  an 
ùa, 

Sielquefois  l'on  termine  la  fin  de  chaque  m cm- 
*une  période  par  desterminaifonsprerauefcm- 
ibles;ce  qui  fait  quil  fe  trouve  une  égalité  dans 
>  diutes  de  ces  membres ,  &  que  l'harmonie  de 
période  eft  plus  fenfible ,  comme  vous  pouvez 
marquer  dans  les  exemples  que  nous  venons  de 
.pporter.  Toutes  les  périodes  ne  font  pas  ^ale- 
lent  étudiées. 

Le  foin  que  Ton  a  de  placer  à  propos  les  repos 
fi  la  voix  dans  les  périodes ,  fait  qu'elles  fe  pro- 
OQcent  fans  peine.    Nous  avons  remarqué  que 
K  chofes  les  plus  aifées  à  prononcer ,  font  aulfî 
ei  plus  agréables  à  Toreille  :    Id  auribùs  nojlris 
[filMPi  eft  inventum  y  quod  bominum  iàterikus  non 
Wft»  tolerabile ,  fed  etiam  facile  ejfe  potejî,    Ceft 
cette  raifon  qui  oblige  les  Orateurs  à  parler  pério- 
^aement.  Les  périodes  foûriennent  le  difcours: 
eBcs  fe  prononcent  ayec  une  majeflé  qui  donne 
^  poids  aux  paroles.    Mais  il  eit  bon  de  remar- 

L  z  ^tt 


^44       ^^  Rreto&iqjje»  ou  l'Art 
quer  <{uc  cette  majelté  eft  hors  de  faifon  loi 
1  on  fuit  le  mouv'ement  de  fa  paflîon ,  dont  la 
cipitation  ne  fouflfre  aucune  manière  réglée 
ranger  &  de  compofer  fes  mots.  Un  difcours 
Icment  périodique  ne  peut  fe  prononcer  qu* 
froideur.    Les  périodes,  comme  j'ai  dit,  ne 
bonnes  que  lorfque  Ton  veut  parler  avec  maj 
ou  plaire  aux  oreilles.  On  ne  peut  pas  courir 
en  même  temps  marcher  en  cadence. 
C'cft  dans  cette  jufte  mefure  des  intervalle 
^  ^  ^  le  fens  finit,  qu'il  paroît  fi  un  homme  fait  i 
re.  Ceft  le  fin  de  l'art  de  favoir  couper  les  : 
à  propos ,  &  de  donner  une  jufte  étendue  à 
cxpreffion.  Ceft  autre  chofe  d'écrire  que  de  pa 
Le  ton  de  la  voix ,  l'air  du  vifage ,  les  g< 
font  connoître  ce  qu'on  veut  faire  entendre 
fuppléent  à  tout;ôtent  les  équivoques,  empêd 

Îiue  le  difcours  ne  paroifle  fans  force  &  fans- 
on,  rude,  embarraflé.  Un  difcours  écrit  n'a 
les  mêmes  avantages.  Il  eft  obfcur,  il  eft  ennuyi 
îl  eft  infupportable  fi  la  compofition  eft  fans 
fi  les  mots  font  mal  rangez,  compofez  de  vo 
les  qui  fe  mangent, qui  fe  confondent ,  &  de  c 
fones  qui  ne  peuvent  s'allier,  qui  fe  choquent 
tantôt  on  perd  haleine ,  parce  qu'il  y  a  trop 
paroles  pour  chaque  fens ,  ou  que  les  fens  fo 
coupez,  &  finiiTent  trop  tôt ,  de  forte  qu'il  li 
ble  que  ce  difcours  ne  forte  de  la  bouche 
par  fccouflcs, comme  une  liqueur  fort  d'une  h 
teille;  il  n'y  a  point  de  Leàeur  qui  n'en  foit 
buté.  Le  ftile  doit  être  égal ,  doux.  Pour  ce 
fiiut  éviter  ce  qui  arrête  ou  précipite  trop  la  ] 
nonciation;  mais  fur  toutes  chofes  il  fauta 
égard  à  la  jufte  mefure  des  intervalles,  dans 

?uels  h,  VOIX  fe  repofe  à  la  fin  de  chaque  fi 
tendant  ou  refferrant  l'expreflion ,  afin  que 
fc  faffc  avec  proportion  ;  que  ces  intervalle 

fi 


BS  PA&LER  Zits  ///.  Cbâp,  IX»  145 

ibient  ni  trop  éloignez  ,  ni  trop  proches»  que  le 
dlfcours  fe  foutienne ,  &  qu'il  ne  tombe  pas.  Ceft 
en  cela  que  conûfte  l'art. 


Chapitrb    IX» 

th  tûrrmngement  figuré  des  mets.     En  qupi 

cela  confijîc. 

NO  u  s  avons  dit  fort  au  long  dans  le  fécond 
Livre  »  aue  les  figures  du  difcours  étoient 
les  caraâeres  aes  agitations  de  Tame  ;  que  les  pa« 
loks  fuivoient  ces  agitations;  &  que  lorfque  Ton 
ptdoit  naturellement ,  la  pailîon  qui  nous  faifoit 

eCTyfe  peignoit  elle- même  dans  nos  paroles.  Les 
res  dont  nous  allons  parler  font  bien  difTeren- 
ta:  elles  fe  tracent  à  loifu:  par  im  efprit  tran- 
quille. Les  premières  fe  font  par  faillies;  elles  font 
iridentes»  elles  font  foncs»  propres  à  combattre» 
k  à  vainae  un  efprit  qui  s'oppofe  à  la  vérité  : 
cdies-cifont  fans  force;  elles  ne  font  capables  que 
de  donner  quelc|ue  divertiflfement.  Je  parle  de 
cdet  qui  font  étudiées  ;  car  il  fe  peut  faire  que 
la  conditions  de  ces  dernières  figures  dont  on  or- 
ne le  difcours  pour  le  divertiflfement»  fe  trouvent 
erhaurddans  ces  figures  quon  employé  pour 
combat. 

Nons  avons  dit  aue  la  répétition  d'un  même 
mot»  d'une  même  lettre ,  d'un  même  fon  étoit 
dcTaÉréable  :  mais  auffi  nous  avons  remarqué 
fM  lorfque  cette  répétition  fe  fait  avec  art ,  elle 
ie  doque  point.  En  effet  les  fons  les  plus  defa- 
jréables  plaifent  lorfque  l'on  les  entend  par  de  cer- 
Hins  intervalles  mcfurcz.  Le  bruit  des  marteaux 
âonrdit  ;  cependant  lorfque  les  forjgerons  frap- 
pent fur  leurs  enclumes  avec  plDportion  >  ils  font 

L  3  une 


^4^      La  Rhbtoriqui,  ou  i'Ar! 

une  cfpccc  de  concert  où  les  oreilles  trou 
Tagrément.  La  répétition  d'une  lettre,-  d* 
me  terminaifon ,  d*un  même  mot ,  par  d( 
mefurez  »  &  par  des  intervalles  égaux ,  de 
être  agr^ble.  Cette  répétition  Te  fait  ta 
commencement»  tantôt  à  la  fin , tantôt  ai 
d'une  fentence ,  comme  vous  l'allez  voir 
exemples  que  j'ai  donné  de  ces  figures  ,  • 
tirées  pour  la  plupart  de  nos  Poètes;  il  c 
die  d'en  trouver  dans  notre  Profe.  Ne  fi 
tention  dans  ces  Vers  ç^u'aux  figures  dont  n 
Ions.  l>ans  la  fuite  je  fierai  remarquer  1 
de  la  Poëiîe. 

Ces  figures  peuvent  être  infinies ,  puifqi 
répétition  qui  les  fiùt^fe  peut  faire  en  une 
de  manières  toutes  différentes.  On  peut 
.Amplement  le  même  nom  ,  fans  lui  faire 
fa  fignification,  comme  dans  cet  exemple 
Dieu  •  mon  Dieu  ,  reffanfez-mvi  j  ou  ei 
géant  la  fignification  de  ce  mot. 

Un  père  ejl  toujours  fere,  éf  mafgrê  (on  coi 
Quand  il  nous  veut  frttffer  l'amour  retient  J 

Le  mot  de  perc  eft  pris  la  féconde  fo 
les  mouvemens  de  tendrefle  que  reflentent 
res  pour  leurs  enfans.  En  voici  un  autre 
pie  merveilleux  des  Entretiens  Solitaires  c 
bœuf  9  d'où  j'ai  tiré  plufieurs  autres  ex 

Vinflinfl  règle  bien  mieux  les  plus  x>ils  an 
Jls  ufent  mieux  que  nous  éf  des  biens  é^  des 
Aux  noirs  dereglemens  ils  ne  font  point  en 
Et  fans  autre  jecours  que  ce  léger  appui, 
La  brute  ne  fait  rien  d^ indigne  de  la  hrute  : 
Et  tout  Ci  que  fait  l\bomme  efî  indigne  de  lui 


DB  PAU  1ER.  Liv.  m.  Cbêf.  IX.         147 

Oo  répète  la  même  expreffion  au  commence- 
nent  de  chaque  membre  du  difcours, 

//  If V?  ertmis  abominables. 
Il  n*efi  bruules  m  fiions^ 
Iln*èft  infâmes  pMjJûms  9 
Iknt  tes  mortels  nefoient  coupables. 
h  ee  fieck  maudît  à  peine  un  feulement 
Âjoin  de  vivre  jujlement. 

On  place  le  même  mot  à  la  fin  8c  au  commen- 
cement d'une  fentence. 

Vtngezvous  dans  le  temps  de  mes  fautes  pajpet , 
Mais  dans  P Eternité  ne  vous  en  vengez,  pas. 

On  place  le  même  mot  à  la  fin  d'un  membre,  8c 
tu  commencement  du  fuivant ,  ou  au  commence- 
ment d'un  membre ,  &  à  la  fin  du  fuivant  :  comme 
tous  voyez  dans  les  Vers  fuivans. 

Se  voyant  Pennem)  de  Ton  Jugefuprimey 
^*thrit  plein  de  fon  ertme  >  ennemi  de  foi-mime  ^ 
d pi-même  à  toute  heure  il  devient  odieux , 
yijait  fouvent  qu^en  lui  tout  contre  lui  s'irrite^ 

En  tous  Reux  if  s* évite , 

Etfe  trouve  en  tous  lieux. 


AUTRP    EXEMPLE. 

Bten'tôt ,  vous  difoit-il ,  je  veux  furvre  vos  tra»^ 

^itthtôt  vous  me  verrez  confentir  à  ces  grâces 

Que  vôtre  bonté  me  départ  ; 
Cr  hten^têt  toutefois  eft  arrive  bien  tard, 

L  4  Cette 


148       La  Rhbtoriove,  ou  l'Aat 

Cette  répétition  de  mêmes  mots  fe  £ût  à 
milieu  des  membres  d'une  fentence. 


Le  dtfir  dts  honneurs  ^  des  biens  ^  &  des  dé&c 
Traduis  feu/ /es  versus ,  comme  il  produit  fes  vit 
Et  Pmveugle  Intereft  qui  règne  détnsfin  cœur^ 
Vit  d*ohjet  en  objets  it  d^ erreur  en  erreur \ 
Le  nombre  de/es  maux  s^accroit  par  kur  remeà 
JLu  mal  qui  Je  guérit  un  autre  malfuccede, 
Au  gré  de  ce  tyran  dont  l'empire  ejt  eacbéy  • 
Vn  péché  fi  détruit  par  un  autre  péché. 


On  répète  le  même  mot  dans  toutes  les  ]» 
du  difcours,  comme  il  parolt  dans  la  defcri] 
fuivante  de  Tinconilance  d*un  homme  qui  q 
Tunique  &  le  véritable  bien  ,  pour  s'abandc 
à  la  pourfuite  des  aux  biens  qui  ne  peuve 
contenter. 

Il  veut  >  //  ne  veut  (as  :  //  accorde ,  //  rèfufe 
Jl  écoute  la  haine ,  ilconfuhe  V amour  :  • 
llajfuret  ilretrafie\  Ù  condamne  y  ilexcufei 
Et  le  même  objet  plaît  j  it  déplaît  afin  tour. 

On  met  dans  le  même  membre  les  mêmesi 
au  commencement  >  6c  puis  changeant  cet  01 
on  les  place  à  la  fin. 

Ainfi  rhomme  infinfé  ^  fans  trêve  &/ans  relt 
Va  du  remords  au  crime,  &  du  crime  au  remon 
Jl  pèche  t  //  s'en  repent  $  //  seniporte ,  il  s* en  fie 
Mais  ces  vaines  douleurs  nont  que  de  vains  ^ot\ 


AUTRE    EXEMPLE. 
Dieulnniten  Tere  fui  veut  guérir  fe  s  enfam 


»B  DAHLIA.  Lh.  III.  Chef.  IX.      i4f 

hiimi  hrs  mhmt  qu'U  Us  Mise  j  puifqu'il  m  Its 
f^tt  §m  parée  qu^il  ks  aime. 

AUTRE    EXEMPLE. 

dieu  n'a  foi  deux  vçyes  peur  fauver  ie  rieke  : 
Ht  é  kri/er  &  de  ruiner  fin  cœur  dans  fes  tiens: 
eu  et  ruiner  fes  kiens  dans  fin  eeeur,  La  main 
é  Dieu  m^^  pas  moins  adorable  lorfyu'elle  tué, 
ioe  lerfqu*eile  reffufeite  »  puifqu^lle  ne  tué  fes  Elût 
f  If  pour  les  rejfufeiter  ;  it  que  comme  ce  qui  pa* 
rnt  vie  dans  les  méchans  eji  une  véritable  mort^ 
aiafi  ce  que  parois  mort  dons  les  Juftes^  eft  une 
yHffitêble  vie. 

n  7  a  une  efpece  de  répétition  qui  fe  foit  en. 
diDgeant  un  peu  le  mot  que  Ton  répète. 

Les  traverfes  qu*il  endure^ 
Contre  leur  propre  nature 9 
Luifent  un  don  précieux  f 
£/  quoique  vous  fuiOiez  faire  ^ 
Rien  ne  déplait  a  fes  yeux , 
Que  ce  qui  peut  vous  déplaire. 

AUTRE    EXEMPLE. 

le  temps  d*un  infenfible  cours 
Kous  Perse  à  la  fin  de  nosjoursi 
Cefi  a  notre  frge  conduite  % 
Sens  murmurer  de  ce  défaut  « 
Dr  nous  confoler  défit  fuite 
En  le  ménageant  comme  ilfnut^. 

lEnfuite  Ton  peut  en  même  temps  faire  toutes  les 
^esde  répétitions,  comme  dans  ce  bel  exemple 
Kl  de  la,  tiaduâion  du  Poëme  de  S.Profper. 

L  s  Nul 


ifo     La  Rhetoriqub,  ov  l'Aiii 

Nul  ne  prévient  la  Grâce ,  é*  lorfqu*on  h  defin 
C*ejl  par  le  faïnt  deflr  que  fon  feu  nous  inffire  : 
Jl  faut  p9ur  la  chercher  qu^ elle  guide  nos  pas  \ 
Si  Pon  ne  va  par  elle  on  ne  la  trouve  pas; 
jiinfi  ^ejl  le  chemin  qui  meine  au  chemin  même% 
Nul  fans  un  jour  du  Ciel  ne  voit  ce  jour  fuprême. 
Qui  tend  à  Dieu  fans  Dieu ,  fait  un  fuherbe  effori 
Et  mort  cherchant  la  vie ,  //  trouvera  ta  mort. 

Les  Rhéteurs  donnent  à  ces  différentes  figur 
qui  font  des  éfpeces  de  répétition ,  des  noms  p 
ticuliers  qu'ils  trouvent  dans  la  langue  Greq 
Ils  nomment  Anaphore  la  répétition  d'un  mfc 
mot  qui  recommence  une  période  ou  un  ti 
Epiflrophoy  c'eft  quand  on  finit  par  les  mér 
paroles.  Symploque,  l'union  de  V Anaphore, 
de  VEpiflropbe.  Us  nomment  Epana/effe  la 
pétition  qui  fe  fait  au  commencement  d'uncj 
riode  précédente  ,  &  à  la  fin  de  celle  qui  v 
UAnadiplofe ,  c'ell  tout  le  contraire.  LiOric 
l'on  répète  tout  de  fuite  le  même  mot ,  qu'on 
joint ,  c'eft  ce  qu'on  nomme  Conjnnfium  en  I 
tin,  &*en  Grec,  Epizeuxe.  Si  on  répète, &qu' 
augmente,  c'eft  une  Gradation,  Quand  on 
tourne  au  même  mot,  ctilEpanodoy  ou 
tour.  Il  y  a  des  répétitions  où  ce  n'eft  pts 
même  mot  qui  eft  répété,  mais  feulement  le  n 
me  fon ,  ou  la  itiême  terminaifon  ,  ou  h  mêi 
fyllabe ,  ou  la  même  lettre  ;  ce  qui  fe  peut  h 
en  différentes  manières  aufquelies  ces  Rhctc 
donnent  des  noms.  Il  n'eft  pas  neceflairc  d 
charger  fa  mémoire.  Voffius  les  explique,  &iî 
donne  des  exemples  dans  fcs  Commentaires 
Rhétorique. 

Je  n'ai  pas  deffein  de  comprendre  toutes 
cfpeces  poŒUes  de  ces  Figures  dont  nom  F 

la 


0B  rARL'EK.  Dv.JIL  Cbap.  IX.       1^1 

Ions;  j*ai  crû  qu'il  fuffiroit  d'en  donner  quel- 
ques exemples.  Ces  expreffions  qui  font  lîgu- 
fes  en  cette  manière ,  peuvent  être  ellimablcs , 
2  caufe  du  fens  qu'elles  renferment  ;  mais  il  e(t 
aident  que  ces  figures  ne  méritent  par  ellcs- 
îiêmes  qu'une  médiocre  eftime.  L'artincc  qu'on 
mploye  pour  les  produire  y  e(l  trop  fcnfible  »  6c 
our  parler  franchement ,  trop  grofliere  ;  auflî 
otre langue,  qui  efl  naturelle,  ne  les  aime  pas, 
:  nos  excellens  Auteurs  les  évitent  avec  plus 
e  foin  que  quelques  Ecrivains  ne  les  recher- 
lent.  A  peine  les  fouffrent-ils  ,  lorfqu'elles  fe 
refentent  elles-mêmes ,  &  qu'elles  fe  placent 
.ns  qu'ils  s'en  apperçoivent.  Les  petits  cfprits  ai- 
lent  CCS  figures,  parce  que  ce  foiblc  artifice  eit 
IFcz  proportionné  à  leur  force  ,  6c  conforme  à 
:ar  génie.  Puerilibus  hgeniis  hoc  gratius ,  qub  prp^ 

Il  n'y  a  rien  de  fi  fadle  que  de  figurer  un 
ifcours  de  cette  manière  ;  c'cft  pourquoi  ceux 
tti  ne  font  pas  capables  d'une  véritable  éloquen- 
î,  s'attachent  à  ces  figures.  Ils  les  aiment,  par- 
e  qu'ils  les  remarquent ,  &  qu'ils  les  imitent  fa- 
ilcment.  Un  efprit  folide  examine  de  quoi  il  s'a- 
it ,  6c  après  il  s'y  applique.  Les  chofes  ne  font 
eUes  que  par  rapport  a  leur  fin  ;  c'eft  cette  fin 
tfil  confîderc.  Oue  fert  un  jeu  de  paroles  à  la 
larté  du  difcours  r  Si  la  matière  eft  ferieufe ,  il 
fi  hors  de  faifon  :  on  ne  joue  point  quand  on  a 
a  tête  une  affaire  importante.  Cependant  je  ne 
nis  pas  fi  critique  que  je  condamne  toutes  ces  fi- 
Snres.  Elles  font  belles  quand  elles  ne  font  pas  re- 
icrchces,  qu'il  ne  paroît  pas  .que  l'Auteur,  au 
icu  de  s'appliquer  à  la  venté ,  s'eftamufé  à  badi- 
ner. Il  y  a  des  répétitions  figurées  qui  font  natu- 
relles 6c  élevantes ,  comme  celles-ci. 

L  6  Les 


i;i       La  Rhitouklvb,  ou  l'Aut 

Lis  Grunisfe  plaifent  dans  Us  défauts  dont  il  t 
'  s  que  Us  Grands  qui  f oient  cafabUs» 

Vamaur  profre  efi  flus  babiU  que  U  plus  bel 
homme  du  monde. 

J*0ubli€  que  je  fuis  malheureux^  quand  je  fn. 
que  vous  ne  m^avez  pas  oublié. 

Il  s*eft  efforcé  de  connoître  Dieu  ,  qui  par 
grandeur  efi  inconnu  aux  hommes  ^  it  de  coua 
tre  Phomme  ,  qui  par  fa  vanité  efl  inconnu  à  i 
tneme» 

Noos  pouTom  comparer  toutes  ces  figures  a 
figures  d  un  parterre.  Comme  celles-là  plaiiéni 
la  vûë  par  leur  variété,  &  par  cet  ordre  avec' 
quel  elles  font  difpofées  ingenieufement;  les  k 
ou  les  mots  dont  un  difcours  eft  compofé  étt 
^urez  de  la  manière  que  nous  venons  de  le  dii 
ils  font  agréaUes  aux  oreilles.  On  les  peut  an 
comparer  à  ces  figures  qu'on  voit  fur  les  oavni| 
de  la  nature,  ou  il  femble  quelle  ait  voulo 
jouer  en  prenant  plaifir  à  les  cliverfifier.  Unvoj 
geur  fe  doafie  quelauefois  en  confiderant  uneo 
quille ,  une  fleur.  Un  Ledeur  mélancolique  i 
auffi  reveillé  par  cet  arrangement  %uré  de  moi 
Ces  figures  renouvellent  fon  attention,  &  cesp 
tits  jeux  ne  lui  font  pas  defagréables.  J'ai  renu 
Qué  quelques-unes  de  ces  ^ures  dans  les  Livr 
iacrez ,  particulièrement  dans  le  texte  original  d* 
ûïe ,  qui  eft  le  plus  éloquent  de  tous  les  Propb 
tes.  Les  Percs  ne  les  rejettent  point ,  ibk  poi 
s*accommoder  à  leur  fiecle  qui  y  prenoitpiaifi 
foit  parce  que  l'on  retient  mieux  une  fcntOK 
dont  Texpreûion  a  quelque  cadence. 


Cil 


»1  »▲&!!&.  LhJlI.  Chsp,  X.      %5) 


Chàpit&s    X- 

b  nu/yrc  du  temps  aucune  JylUtt  fs  ptut  pr$» 
nonar.    De  la  JtruÛure  des  Vers* 

\  voix  s'arrête  nccedàirement  quelque  temps 
ur  chaaue  fyllabe  pour  la  fisiire  Tonner  &  la 
entendre.  Nous  cherchons  maintenant  les 
ens  de  mefurer  la  quantité  de  ce  temps  de  la 
ondation,  de  le  proportionner ,  &  de  lui  don- 
es  conditions  que  doivent  avoir  les  chofesque 
'eillesapperçoivent  dans  la  prononciation.  La. 
ère  de  prononcer  n'efl  pas  la  même  chez  tous 
îuplcs.  La  prononciation  des  langues  vivantes- 
Lurope  eil  entièrement  différente  de  celle  des 
Etes  mortes  qui  nous  font  connues  y  comme 
atin ,  le  Grec ,  l'Hcbreu.  Dans  les  langues  vi- 
es on  s'arrête  également  fur  toutes  les  fyllabes;. 
les  temps  de  la  prononciation  de  toutes  les 
•Ues  font  égaux ,  comme  nous  le  ferons  voir» 
;  les  langues  mortes  les  voyelles  font  dillin- 
s  entr*elles  par  la  quantité  du  temps  de  leur 
ondation.  Les  unes  font  appellées longues». 
squ*ellesne  fe  prononcent  que  dans  un  efpace 
nnps  conûderaDle,  lesautresfont brèves, 6c fe 
iOncent  fort  vîte. 

ous  ne  devons  pas  nous  imaginer  que  nous 
lOndons  aujourd'hui  le  Grec  «  le  Latin  corn- 
es andens  Grecs  &  les  Latins  prononçoient  ces. 
ues:  ils  diîlinguoient  en  parlant  la  quantité 
iiaque  voyelle.  Nous  ne  marquons  en  pro- 
çant  un  mot  Latin,  que  la  quantité  de  la 
jltiéme  voyelle  de  ce  mot.  Nous  ne  pro- 
jons  pas  une  finale  brève  d'une  autre  ma- 
e  qu'une  finale  longue.  Cependant  iaint  Au* 
-  -        -         -   -  guftitt 


IJ4       La  RRifoniQuii  tr\r  t'Aàt 

guftin  dit,  que  celui  qui  lilant  ce  Vers  de  Virgile; 

jfrma  y  tùrumquc  cano  j  Tr(^£  qui  primus  ab  orîsr 

prononceroit  prtmts  ^oxax  prtmust  cette  fVllabe  h 
étant  longue,  &  us  bref,  il  troubleroft  toute 
rharmonie  de  ce  Vers.  Qui  de  nou$  autres  a  des 
oreilles  affez  délicates  pour  appcrcevoir  cette  dif- 
férence ;  Quts  fe  fintit  ffefirmitate  fini  offenfum  5 
comme  les  oreilles  des  Romains  du  temps  de  S. 
Auguftin  étoient  choquées  par  ce  changement? 
Quelle  étoit  donc  cette  délicatefle  fous  l'Empire 
d'Augufte  ?  Ciceron  dit  que  le  plus  petit  peuple 
s'appercevoit  des  fautes  qu'on  faifoit  dans  la  ré- 
citation d'un  Vers.  La  véritable  prononciation  du 
Grec  &  du  Latin  ell  perdue  depuis  long-temps.    Il 

Îr  a  plufîeurs  liecles  qu'on  n'a  plus  d'égard  à  la 
ongueur  &  à  la  breveté  des  fyllabes,  mais  aux  ac- 
cens  qui  fe  font  introduits  dans  la  prononciation» 
difFcrcns  de  ceux  que  les  plus  habiles  &  anciens 
Grammairiens  ont  marqué  en  certains  noms;  ce 
qui  change  entièrement  la  cadence  du  vers.  Ifaac 
Voffius  le  montre  en  quelques  vers  d'Homerc, 
dans  lefquels  il  rétablit  les  accens  qu'ils  devroient 
avoir.  Cette  remarque  eft  de  la  dernière  impor- 
tance pour  ne  pas  juger  de  l'harmonie  de  Tan- 
cienne  poëfie  par  ce  que  nous  y  fentons^  aujour- 
d'hui. 

On  nomme  mefure  un  certain  nombre  de  fyllabes 
que  les  oreilles  diilinguent  5c  entendent  féparément 
d'un  autre  nombre  de  fyllabes.  L'union  de  deux 
ou  de  plufîeurs  mefures  tait  un  vers.  Ce  mot  qui 
vient  du  Latin ,  verftts,  iignific  proprement  ran- 
gée; &  on  donne  ce  nom  aux  vers,-  parce  que 
dans  l'écriture  ils  font  difringuezde  la  Profequori 
n'écrit  point  par  rangs,  mais  tout  de  fuite,  à*oh 
die  eft  appeliéc  Profu  Orath,  quafi  frvrja  ûratio. 

Marius 


Marius  VidorinuJs  prétend  que  ce  mot  Latin ,  ver^ 
fast  vient  à  veifuris  ^  iJ  ift  à  refefitâ  Jcripturâ 
M  ex  farte  in  qumn  définit.  Les  anciens  Latins 
Arivoicnt  par  filions,  ayant  commencé  de  la 
gauche  à  la  droife ,  ils  écrivoicnt  le  fécond  vers 
commençant  de  la  droite  à  la  gauche,  comme 
les  bœuft  font  en  fillonnant  la  terre  ;  c*cft  pour- 
quoi, comme  remarque  le  même  Auteur,  cette 
manière  d'écrire  étoit  nommée  Buflropbe,  à  boum 
vtrfatime.  C'eft  ce  que  nous  avons  dit  de  la  pre- 
mière manière  dont  les  Grecs  écrivoient. 

L'égalité  des  mefures  du  temps  de  la  pronon- 
dation ,  ne  peut  être  agréable ,  comme  nous  avons 
dit,  fi  elle  n'eft  fenlible.    Pour  cela  il  faut  que  les 
oreilles  diftinguent  ces  mefures ,  &  (ju'cn  même 
temps  qu'elles  font  entendues  fcparemcnt,  elle» 
foicnt  liées  enfemble,  de  forte  que  les  oreilles 
puiffent  les  comparer  les  unes  avec  les  autres,  & 
appercevoir  leur  égalité  qui  fuppofe  tout  au  moins 
deux  termes,  &  quelque  diilincflion  entre  ces  ter- 
mes.    Car  on  ne  dit  point  de  deux  grandeurs 
au'elles  font  égales,  que  lorfqu'clks  font  toutes 
deux  prefentes  à  rcfprit.    Outre  cela  Tégalité  des 
mefures  doit  être  alliée  avec  la  variété ,  comme 
nous  l'avons  fait  voir  avec  étendue  dans  le  Cha- 
pitre huitième;  d'où  nous  apprenons  que  l'artifice 
&  la  lîruÂure  des  Vers.conhlle  dans  1  obfervatioa 
de  ces  quatre  chofes. 

I.  Chaque  mefure  doit  lêtre  entendue  diftinéle* 
mcnt,  &  féparément  de  toute  autre  mefure. 

Z,  Ces  mefures  doivent  être  égales. 
'  3.  Ces  mefures  ne  doivent  pas  être  les  mêmes, 
Dfeut  qu'il  y  ait  quelque  différence  entr'elles  afin 
que  la  variété  &  l'égalité  y  foient  alliées  l'une 
avec  l'autre 
4.  Cette  alliance  de  l'égalité  avec  la  variété  ne 

l>cut  être  îenûblc  dans  CCS  mefures ,  fi  cllc«nefont 

liées 


%^6       La  Rhetouk^vi^  ou  x.*ApLT 

liées  les  unes  avec  les  autres.  11  &ut  oacics  • 
les  les  entendent  toutes  enfembley^qu'eUes  les 
parent»  &  que  dans  cette  comparaifon  elles  a 
çoîvent  redite  qu'elles  ont  aans  leur  difièr 
La  prononciation  des  langues  étant  difieri 
la  flruélure  des  Vers  ne  peut  être  la  même 
toutes  les  langues.  Toute  cette  diflference  i 
moins  fe  réduit  à  deux  chck;  car  la  Poëfîe 
ne  &  la  Poëûe  Grecque  ne  différent  delà  P 
Françoife,  Italienne»  &£rpagnole,  que  parc 
dans  ces  dernières  langues  on  prononce  touti 
fyllabes  paiement»  &  qu'elles  n'ont  point 
diftindion  de  voyelles  brèves  &  de  voyelles 
gués;  c'efl  pourquoi  ie  ne  ferai  point  obli£ 
parler  en  particulier  de  la  ftrudure  des  Vei 
chaque  langue;  il  fuffira  pour  mon  defleii 
découvrir  les  fondemens  aes  règles  de  la  P< 
Latine ,  ôc  de  celles  de  la  Poëûe  Françoife.  . 
prétens  pas  qu'on  devienne  Poëte  en  lifant  a 
e  vais  aire.  Mon  defiein  eft  de  faire  conn 
es  principes  de  l'art,,  ce  qui  doit  plaire  à 
ui  font  ^i rituels,  beaucoup  plus  que  rhami 
e  la  Poëue  ;  les  plaifîrs  de  refprit  étant  plusgt 
que  ceux  du  corps ,  certainement  ils  font  p 
râbles  ;  d'où  S.  Auguftin  conclut  que  ce  fcro 
dérèglement  d'aimer  mieux  un  vers  que  la 
noiuance  de  l'artifice  avec  lequel  il  eft  com; 
Ce  feroit  une  marque  qu'on  fait  plus  d'état 
oreilles  que  de  l'efprit.  NonnulU  perverse  i 
Mmant  verfum^  quàm  artem  ipfam  quâ  cm 
sur  ver/us,  quia  plus  amibus  quàm  intelligi 
fe  Ce  de/ierunt,  Lorfque  Cyrus  faifoit  voir  a 
fander  fes  jardins,  fes  vergers,  fes  boccages 
tous  les  arbres  étoient  plantez  avec  ordre  ;  Ce! 
admirable,  dit  ce  Grec  ;  mais  celui  qui  eft  I 
teur  de  cette  belle  difpofition ,  me  paroît  en 
plus  digne  d'admiration.  Je  tâche  par  ces  r 

J 


BZPA&LEK.     Lh.  IlI.Ckaf.  XL         1^7 

ns  de  prévenir  ceux  qui  vont  voir  le  détail  dans 
uel  je  defcends.  Il  cil  neceûaire  pour  connoî- 
l'art  de  la  Poëfîe  Latine.  Or»  félon  ce  que  je 
:iis  de  dire»  cette  connoiiTance  doit  plaire  à  un 
prit  raifonnable,  pour  le  moins  autant  que  les 
lyrages  de  cette  Poëfie. 


Cmapit&b    XI. 

u  mefaretf  qu  pieds  dont  Us  Grecs  &  les  Latins 
compofint  leurs  Vers. 

"^Haque  mefurc  dans  la  Pocfîe  Latine  eft  en- 
■'tcnduc  fcparément  &  diftinélemcnt  par  une 
î^atîon  de  voix  qui  fe  fait  au  commencement, 
par  un  rabaiffement  de  voix  qui  fe  fait  à  la  fin, 
3  mêmes  mefures  font  appcuées  pieds;  parce 
11  femble  que  les  vers  marchent  en  cadence  par 
moyen  de  leur  mefure.  Ainfi  les  pieds  dun 
îB  Latin ,  comme  le  remarque  Marins  Viélori- 
5i  fe  forment  par  une  élévation  &  par  un  rabaif» 
ncnt  de  voix,  Ik^iri  &  JiW,  id  ejl  y  alterna fyiUs- 
^^m  [ùblati^ne  &  pofitione  fedes  nituntur  ^& 
iMtar,  Les  Romains  battoient  la  mefure  en 
itant  leurs  Vers:  Plaudendo  recitabant.  Pe* 
palfus  ponebatur ,  tollebaturque  ;  d'où  vient 
tte  manière  de  parler,  percutere  pedes  verfûs% 
»ur  dire  diflinguer  les  pieds  ou  les  mefures  d*un 
ers. 

Poju"  déterminer  combien  il  peut  y  avoir  de 
fifercntes  mefures,  ou  de  difFcrcns  pieds  dans 
Poëfie  Latine,  il  faut  faire  attention  aux  te- 
«  fuivantcs ,  qui  font  fondées  fur  cette  ner 
îffité  qu'il  y  a  de  rendre  les  mefures  nett^  & 
ffiuftcs. 

PRE- 


158       La  RHETORiQjaE,  ou  l*Art 

PREMIERE    REGLE. 

II  cft  confiant  qu'un  pied  doit  être  cora 
tout  au  moins  de  deux  fyllabes,  fur  la  prcn 
dcfquelles  la  voix  s'élevé,  &  s'abaiflcfur  lafc 
«le,  aûn  de  la  faire  remarquer. 

SECONDE    REGLE. 

Les  deux  fyllabes  d*un  pied  ne  peuvent  paî 
toutes  deux  brèves,  parce  qu'elles  pafferoient 
vite  ,•  &  que  Toreille  n'auroit  pas  le  temps  de 
ti^guer  deux  differens  degrez  dans  la  voix  qo 
prononce;  fçavoir,  une  élévation  &  un  rabs 
ment. 

TROISIEME    REGLE. 

.  Deux  brèves  dans  la  prononciation  ont  la 
leur  d'une  longue,  c'efï-  à -dire,  le  tenipsc 
prononciation  d'une  longue  eft  égal  a.  ( 
que  l'on  employé  pour  prononcer  deux  vOy 
brèves. 

QUATRIE'ME    REGLE. 

Un  pied  ne  peut  être  compofé  de  plus  dc( 
fyllabes  longues,  ou  équivalentes  à  deux 
gués;  car  celles  qui  fc  trouvent  entre  les  fa 
mes ,  fur  lefquelles  la  voix  s'élève  &  fc  rai 
fc,  troublent  l'harmonie,  &  empêchent  1'^ 
des  mefures ,  comme  nous  le  dirons.  Je  ne 
le  à  prefent  que  des  pieds  Amples  qui  pcff 
former  une  harmonie  parfaite.  On  appelle ^ 
€omp9f€z^  ceux  qui  font  faits  de  deux  pieds 
pics, 

C 


Di  PARLER.  Lh\  IJL  Chp.  XL      1J9 

CINQUIEME    REGLE. 

Un  pied  ne  peut  être  compofé  de  plus  de  trois 
iyliabes:  Il  îie  peut  letre  de  quatre;  car  ces  fyl- 
labes feront  ou  toutes  brèves,  ou  quelques-unes 
ftront  longues.  Si  elles  font  toutes  brèves  »  la 
prononciation  en  fera  trop  gliflante,  &  par  con- 
fcqucnt  vicieufe ,  une  mefure  de  quatre  brèves  ne 
pouvant  être  entendue  dillindlement.  Si  dans 
une  mefure  de  quatre  fyllabes  il  y  a  une  longue 
êc  trois  brèves ,  ces  trois  brèves  valent  plus 
d'one  longue  :  ainû  cette  mefure  pèche  contre  la 
qoithéine  règle. 

SIXIFME    REGLE. 

Les  oreilles  rapportent  toujours  les  mcfures 
Compofèes  aux  plus  fimplês ,  parce  que  leis  chofcs 
fimples  s'entendent  plus  facilement  ôcplus  diftinc- 
temcnt.  Ainfi  d'une  mefure  compofée  de  quatre 
^bcs  longues  9  les  oreilles  veulent  qu'on  en 
Mc  deux. 

Ces  règles  nous  font  connoîtrc  que  tous  les 
pieds  fimples  font  ou  dedeu^  fyllabes»  ou  de  trois 
lyDabes.  Voyons  de  combien  de  fortes  il  peut  y 
iToir  de  pieds  de  deux  fyllabes,  de  combien  dfé 
Ws  fyllabes. 

Dans  un  pied  de  deux  fyllabes ,  ou  ces  fylla- 
tefont  deux  longues,  &  ce  pied  s'appelle  Sfcn- 

*• 

.  On  ces  deux  fyllabes  font  deux  brèves ,  &  ce 

•ïCd  eft  nommé  Pyrrhlque, 
Ou  la  première  de  ces  deux  fyllabes  eft  longue , 
la  féconde  brève,  ce  qui  fait  le  pied  qu'on  nom- 

e  Trochée. 

Ou  la  première  eft  une  brève,  6c  la  derniè- 
re 


i6o      La  Rbstohiqjue»  ou  l'Art. 

rc  une  longue;  ce  qui  cft  appelle  lêmbe. 

Dans  un  pied  de  trois  iyllabes,-ou  ces 
fyllabes  font  longues,  &  ce  pied  eft  ne 

Ou  ces  trois  fyllabes  font  brèves,  ce  qi 
kpied  qu'on  nomme  Tribraque. 

Ou  la  première  eft  longue ,  &  les  deux  \ 
brèves;  ce  qui  eft  un  Daflyle. 

Ou  la  dernière  eft  longue ,  &  les  deux  pr 
res  brèves,  ce  qui  eft  nommé  AnapeftB^^ 

Ou  la  première  eft  brève,  &  lesdeuzriS 
longues  :  ce  qui  eft  nommé  Bachique. 

Ou  les  deux  premières  font  longues.  &I 
niere  eft  brève,  qui  eft  appelle  Antibacbîqui 

Ou  les  deux  extrêmes  étant  longues ,  elle 
ferment  une  brève  :  on  appelle  ce  pied  d 
wiacre. 

Ou  les  deux  extrêmes  étant  brèves,  ell( 
ferment  une  longue;  ce  pied  fe  nomme  ^ 
bruqui» 

Or  tous  ces  pieds  ne  peuvent  pas  entre 

la  compofition  des  Vers,  parce  qu'ils  n'o 

les  conditions  qui  doivent  fe  trouver  dan 

mefures.    Plufteurs  font  exclus  de  la  Poefie 

règles  précédentes.  Le  Pyrrhique  par  la  C 

règle.    Le  Moloflepar  la  quatrième.  ^Le  Ba 

&  l'Antibachique  par  la  même  règle.    L'i 

înacre  &  TAmphibraque  par  la  nxièmc. 

cda  nous  ferons  voir  que  Tégalitè  ne  pc 

gardée  dans  ces  deux  dernières  mefures; 

mfil  n'y  a  que  fix  pieds;  favoir,  le  'Spon< 

Trochée,  l'ïambe,  le  Tribraque,  leDaâ 

r Anapeftc.  On  compte  plufîeuft autres  picc 

ils  fe  rapportent  naturellement  à  ces  fix  fc 

pieds  dont  nous  venons  de  parler.     ^ 


DS  PAULBi.  Liv.IlL  Cbsf.  XI L     z6i 


Chapxtii    XII. 

\  fuoi  eonfifte  régaVitè  dis  me  fur  es  du  Vers  Greci 
&  Latins  \  ou  ce  qui  fais  cette  égattié. 

• 

Otfi}ue  deux  fyllabes  ib  prononcent  en  temps 
toiiiXy  on  dit  Gué  la  quantité  ou  le  temps  de 
;  deux  fyllabes  eit  égal.    Cette  égalité  fe  trouve 
tre  deux  fyllabes  &  unetroifiéme»  lorfquedans 
temps  qu'on  prononce  une  de  ces  fyllal>es,ona 
[oifir  de  prononcer  les  deux  autres.    On  dit  que 
temps  d'une  fyllabeeft  ou  le  double,  ou  le  triple 
temps  d'une  féconde  fyllabe ,  il  dans  le  temps 
'on  prononce  l'une ,  l'autre  fe  peut  prononcer 
nsle  même  elpace  de  temps  ou  deux  fois»  ou 
m  ibis.  Alnfi  le  temps  d'une  longue  eil  double 
temps  d'une  brève.  Lorfque  les  temps  de  la  pro- 
ndation  de  deux  iVllabes  peuvent  être  mefurez 
r  une  mefure  précîle  ;  par  exemple ,  que  le  temps 
Tune  eft  double  de  cdui  de  l'autre ,  cette  pro- 
ndation  empêche  la  confuiîon ,  8c  fsiit  que  les 
tilles  apperçoivent  diUindlement  la  quantité  de 
s  fjOanes;  ce  qui  doit  plaire  infailliblement» 
Âque l'égalité»  comme  nous  avons  vu»  eila- 
àue,  parce  qu'elle  rend  les  fons  diflindts»  8e 
leh  confufion.  D  y  a  dans  une  mefure»  ou  pied 
name  il  a  été  dit»  une  élévation»  &un  rabaiffe- 
icnt  :  Pes  habet  elatiouem  &  pifitiottem.     Afin 
(toc  que  l'égalité  y  foit  gardée ,  le  temps  de  l'é- 
^on  doit  être  égal  à  celui  du  rabaiiTement. 
^  un  Spondée  les  temps  de  Tabaiffement  &  de 
Sevation  font  parfaitement  égaux  »  puifque  ce 
ied  eil  compofe  de  deux  longues.    La  même  cho- 
•  arrive  dans  le  Daétyle  &  dans  l'Anapefte»  le 
'mps  de  deux  brèves  étant  égal  à  celui  d'une  Ion* 


164       La  Rhetori^vb»  ou  l'Aki 

Spondée  &  un  ïambe  :  mais,  comme  nou 
dit,  la  différence  n'eft  pas  grande.  On  çeu 
compofer  des  Vers  des  iîx  fortes  de  pied 
nous  avons  parlé  L  puifqu'ils  font  ou  ^i 
prefque  égaux.    11  faut  encore  remarquer 
mêmes  voyelles,  quoique  toutes  brèves ,  p 
n'être  pas  égales  dans  la  prononciation  ,  fi 
trouvent  entre  des  confones  qui  retardent  | 
moins  leur  prononciation.  Par  exemple»  1< 
mieres  vovelles  de  ces  quatre  noms  Grec 
brèves:  «/«t»  fôf»(^  r^mç^  fpo^ç;  mais 
de  la  différence  entre  les  temps  de  leur  pron 
tion.    C'eff  à  quoi  il  faut  fure  attention , 
on  veut  rendre  im  vers  harmonieux« 


Chapxtks    XIII. 

De  Ut  variété  des  mefuresy  &  de  t alliance  de 
Uté  avec  cette  variété.  Comme  fe  trouve  fi 
l'autre  cbofe  dans  les  Vers  Grecs  &  Latins. 

LA  variété  eft  fi  néceffaîre pour  prévc 
dégoût  qu'on  prend  des  chofes  les  plus  î 
blcs,  que  les  Muficiens,  qui  étudient  avect 
foin  la  proportion  &  la  confonance  des  fon 
fcôent  même  de  temps  en  temps  quelque 
nance  dans  leurs  concerts.    C'ell-à-dire  , 
négligent  d'unir  leurs  voix  par  un  parfait  ao 
afin  que  la  rudeffe  par  laquelle  ils  piquent 
lors  les  oreilles ,  foit  comme  un  fel  qui  1( 
-veille,    Quand  les  Poëtes  fe  difpenferoient 
quelquefois  des  règles  dont  nous  avons  parlé 
ne  devroit  pas  ni  les  reprendre  ,    ni  blâme 
règles  ,  aufquelles  nous  ajoutons  celle-ci  ; 
feut  relever  la  douceur  de  l'égalité  par  1 


BB  PAKLEK.  Lh.IIL  Cbap.  XI IL      16; 

e  la  variété»  s'il  m'eft  permis  de  parler  de  te 
>rte. 

La  Tarieté  fe  trouve  en  plufîeurs  manières  dans 
s  Vers  Latins.  Je  ne  parle  point  de  celle  qui 
onfifte  dans  la  difièrence  du  iens  »  &  dans  la  di- 
crfité  des  mots.  Premièrement ,  il  eft  confiant 
[ucdansle  Dad^lc  .TAnapefte  ,1e  Trochée, Tlam- 
le,  leTribraque  l'élévation  eil  fort  diflfcrcnte  du 
alÂiiTement  :  &  quoique  le  temps  de  deux  voycl- 
es  brèves  foit  égal  à  celui  d'une  longue,  cepcn* 
bntles  oreilles  apperçoivent  fenliblemcntla  Jiflfe* 
xnce  qui  efl  entre  une  longue  &  deux  iyllabes 
brèves.  De  même ,  quoique  les  temps  d'un  Spon- 
dée, d'un  Daélyle  ,  d'un  Anapelle  loicnt  égaux, 
cependant  leur  aifferenee  eft  très-fenliblc.  In  Dac^ 
tjhtaiHtur  una  longa^  pomtntur  du£  brèves  :  in  A* 
ufé^o  totluntur  du£  brèves  j  ponitur  una  longa:  in 
Sfvndio  toUitur  &  ponitur  una  longa. 

On  ne  compofe  pas  ordinairement  des  Vers  d'u- 
ne feule  forte  de  pieds.  Les  Vers  Hexamètres  font 
compofez  de  Spondées  &  de  Dadlylcs ,  les  Vers 
Pentamètres  de  Spondées ,  de  Dadtyles ,  &  d'Ana- 
peftcs.  L'ïambe  reçoit  plufieurs  pieds.  Les  Vers 
Lyriques  font  encore  plus  diverlifiez  que  les  au- 
tre, parce  que  non  feulement  ils  reçoivent  difFc- 
Tcns  pieds  ,  mais  encore  le  nombre  de  ces  pieds 
cftin^l,  tantôt  plus  grand,  tantôt  plus  petit. 

Un  vers  compofé  tout  entier  de  spondées  ou 
deDaâyks-,  ne  plairoit  pas;  il  faut  tempérer  la 
viteife  desDaélyles  par  h  lenteur  &  par  la  gravité 
det^ndées.  Les  Vers  ïambes  peuvent  être  com- 
JoTci  de  purs  Ïambes ,  parce  que  ce  Vers  patfant 
extrêmement  vîte  ,  quoiqu'il  loit  compofé  de  ilx 
inefures,  il  femble  qu'il  n'en  ait  que  trois.  Ainfi 
h  trop  grande  égalité  de  ces  mefurcs  dans  un  fi 
Petit  nombre,  ne  peut  être  ennuyeufe , comme  il 
eft  évident  en  celui-ci. 

M  Suis 


^66     La  Rbetoriqjje»  ov  l'A«3 

Suh  éf  îpfa  Homa  viribus  ruit. 

Les  mefures  de  THexametre  font  grai 
fort  fenfiblcs  :  ainfi  fi  leur  égalité  ne  f< 
accompagnée  de  la  variété  ,  ce  Vers  < 
greable. 

Les  Vers  Lyriques  font  compofez  ordins 
de  plufieurs  fortes  de  pieds ,  parce  que  • 
étant  faits  pour  être  chantez  en  Mulique , 
n'en  fcroit  pas  agréable  ,  fi  la  différence  c 
ne  donnoit le  moyen  aux  Muficicns  de  d 
leurs  voix. 

L'alliance  de  la  variété  avec  Tégalité  c 
fefte  dans  la  Poëfie  Latine.  Premieremei 
chaque  pied;  car  il  eft  évident,  par  cxem 
dans  un  Daâ:yle  TégaUté  &  la  variété  s 
vent;  l'égalité,  puîfque  le  temps  de  deu; 
cft  équivalent  à  une  longue;  la  variété,  ] 
comme  nous  avons  dit ,  les  oreilles  appe: 
bien  de  la  différence  entre  une  fyllabe  lo 
entre  deux  fyllabes  brèves.  En  fécond  lie 
alliance  eft  fenlible  dans  les  vers  entiers 
font  compofez  de  pieds  qui  font  differei 
même  temps  égaux,  puifque  les  temps 
prononciation  font  égaux. 

Ce  n'eft  pas  affez,  félon  ce  qui  a  été 
tré  ci-deffus ,  que  les  Vers  foient  comj 
mefures  égales ,  il  faut  rendre  cette  .égal 
ble ,  &  pour  cela  lier  ces  mefures  enfemb 
Latins  le  font  par  la  céfure ,  qui  eft  un  re 
ment  de  quelques  fyllabes  du  mot  p 
pour  en  faire  un  pied,  avec  celles  qui 
commencement  du  mot  fuivant,  comme 
exemple. 

liU  mtas  trrari  bovcs  i  é^c* 


Bl  rAKLSK.  Lh.IIL  Chap.XIIL      t6j 

Ce  mot  cé/ure»  vient  du  Latin  c£/o  ,  qui  figni- 
:  couper.  La  fyllabe  as  dans  meas ,  eil  une  cé- 
re,"  cette  fyllabe  atf  avec  la  fyllabe  er ,  du  mot 
vant  errare^  faifant  un  Spondée.  Ccft  cette 
fore  qui  fait  un  corps  des  mefures ,  6c  qui  les 
êfente  toutes  enfemble  aux  oreilles;  car  la  voix 
lyant  pas  coutume  de  s'arrêter  au  milieu  d'un 
ot,  &  de  le  divifer,  elle  achevé  vite  de  le  pro- 
incer.  Or  la  céfure  fût  que  les  pieds  finirent,  ôc 
mmencent  au  milieu  des  mots;  ainfl  la  voix  qui 
:  fe  repofe  point  dans  ces  lieux ,  6c  qui  lie  lei 
Qabes  de  chaque  mot ,  lie  en  même  temps  les 
eds,6cles  enchaîne  les  uns  dans  les  autres.  Cette 
ifcrvation  fe  peut  rendre  fenfible  aux  yeux ,  en 
upant  les  deux  Vers  fuivans  par  leurs  cé« 
tts. 

^mi  \as  er]  rare  ho  ]  ves  ut  \  cetnis  &  \  ipfum 
id&e  I  qiue  vel  \  tem  cala  \  mo  per  |  m{fi$  a  \  greflu 

La  voix  diftinguc  chacune  de  ces  mefures ,  com- 
c  no"us  avons  dit ,  par  une  élévation  au  commeri- 
ment,  6c  par  un  rabaiffement  à  la  fin.  Or  elle 
:  auffi  ces  mefures  par  la  céfure  :  car  quand  la 
lix  a  prononcé  la  fyllabe  me  dans  meas  »  elle 
ononce  de  fuite  as^  qui  fait  partie  de  la  mè- 
re faivante  ;  ainfi  elle  lie  6c  la  première  mefu- 
,  &  la  fuivante.  Cette  féconde  mefurc  cft  liée 
tcla  troiliéme;  caria  voix  ne  fe  repofant point 
i  milieu  du  mot  crran ,  elle  pounuit  fans  in* 
niption ,  après  avoir  dit  er ,  la  prononciation 
la  fin  rare-^  ainfi  les  oreilles  les  entendent  unies 
jointes  enfemble.  La  troifiéme  mefure  eft  liée 
la  même  manière  avec  la  quatrième.  Les  Vers 
is  céfures  ne  paroiffent  pas  Vers ,  parce  que , 
mme  nous  avons  dit ,  Tégalité  des  mefures  qui 
\,  la  beauté  des  Vers ,  ne  peut  être  fenfible  fi 

M  X  elles 


1(58         Là  RHETOHIQrSjOU  l'Ar" 

elles  ne  font  liées ,  &  fi  les  oreilles  n'appt 
leur  liaifon.  On  liroit  le  Vers  fuivant  fa 
dre  garde  que  c'eft  un  Vers ,  parce  qu'il  : 
de  câfure. 

Urbem  I  fortem  I  cepit  \  nuptr  \  fortior  \ 

Il  ne  me  reftc  plus  qu'à  parler  du  noi 
mefures  qui  doivent  compofer  les  Vers.  1 
dent  qu'un  Vers  demande  tout  au  moi 
mefures.  Nous  venons  de  dire  que  c'eft 
de  ces  mefures  qui  plaît  aux  oreilles ,  lo 
mefures  leur  étant  prefentées  elles  en  app( 
régaJité  en  les  comparant  les  imes  avec  1< 
Or»  comme  nous  avons  remarqué,  tout 
laifon  fuppofe  tout  au  moins  deux  term( 
nombre  de  ces  mefures  étoit  trop  gran» 
évident  que  les  oreilles  qui  les  doivent  o 
toutes  enfemble  y  feroient  accablées  de  • 
nombre;  c'câft  pourquoi  on  ne  compofe  j 
Vers  de  plus  die  fix  grandes  mefures ,  t( 
font  les  Spondées  &  les  Dadyles.  Les  \ 
bes  reçoivent  jufqu'à  huit  pieds ,  parce  qi 

3ui  donne  le  nom  à  ce  Vers,  pafle  fortvît< 
e  ces  mefures  ne  font  que  quatre  grand 
res.  Il  y  a  cette  différence  entre  lei 
des  Anciens,  &  les  Vers;  quelesRythmi 
bien  compofez  de  plufieurs  pieds;  mais 
bre  de  ces  pieds  n'étoit  point  déterminé, 
cft  celui  des  Mètres ,  ou  des  Vers.  Ce  < 
nous  avons  dit  ici  de  la  Poëfie  Latine ,  r 
Poëûe  Grecque  qui  a  les  mêmes  règles. 


M  p ARL EU.  Liv.  ilL  Cbsp.  XIV.    269 


C  H  API  THE       XIV. 

V  premières  Po'éfies  dn  Hébreux  t  &  de  toutes 
ks  autres  Nations  >  n'ont  été  vraifemh/ab/t* 
ment  que  des  Rimej   dèns  leur  commencemenh 

A  Poëiie  n*a  pas  été  d*abord  parfeUe.  La  ca- 
^  dence  qui  fe  trouva  par  hazard  dans  4^ue]- 
'cxpreffion ,  plut ,  avant  même  qu'on  fût  ce 
e  c*étoit  que  Vers ,  comme  le  dit  Qumtilien  ; 
^te  enim  carmen  ortum  eji  ,  quàm  obfervatio 
minis.  En  fuite  on  afFeétt  de  mcfurer  fcs  pa- 
cs,  afin  qu'elles  euffent  quelque  cadence  ,  ce 
i  fc  faifoit  tfabord  fort  groflierement.  Les 
ecs  sy  appliquèrent  avec  foin  ;  &  ce  qui  contri- 
I  à  perfeâionner  les  premiers  commencemens  de 
r  Foëfie ,  ce  fut  que  long-temps  avant  la  guer- 
de  Troie  leurs  Poètes  joignirent  la  Foëfie  avec 
Vfufique  »  comme  nous  l'avons  remarqué.  Ils 
itoient  leurs  Vers  au  fon  des  inftrumens.  Auffi 
deux  Arts  femblent  être  nez  en  même  temps; 
îl-vicnt  que  les  Poètes  font  encore  appeliez 
intreSy  Muficiens.  Les  Vers  étoient  des  chants; 
fe  recitoient  en  chantant.  Dans  la  fuite  la  Mufî- 
îs'cft  diftinguée  de  laPoëfie;  &,  comme  le  dit 
intilien ,  la  recitation  des  Vers  tient  un  milieu 
rc  le  chant  &  la  manière  de  parler  ordinaire. 
is  dans  les  commencemens  la  roëfie  étoit  une 
iique.  Ifaac  VofTius  dans  un  Livre  qu'il  a  fait 
»rtt  pour  cda ,  démontre  fort  bien  que  cette 
fîque  n'a  voit  pas  befoin  de  notes;  les  longues 
es  brèves  en  tenoient  lieu;  d'où  vient  que  tous 
Vers  d'une  Ode  très-longue  fe  chantoient  éga- 
cnt  bien ,  parce  que  les  mêmes  mefures  y  étoient 
:rvées.    Nos  Muficiens  en  faifant  aujourd'hui 

M  3  ua 


'%^0        La  RBBTO&IQJÎlf  ov  k'Ak 

un  air  fur  une  Ode  Latine  »  ne  s'aflu 
ni  à  la  lon^eur ,  ni  à  la  breveté  des  fyllabi 
cet  air  qui  convient  aux  premières  ftropl 
$'accorde  pas  toujours  avec  les  autres  ûro 
-  Il  dl  facile  de  concevoir  comment  Is 
Grecque  fc  perfectionna,  c'eft-à-dire  qu 
vint  plus  charmante  aux  oreilles ,  les  N^ 
s'en  mêlant,  &  les  Grecs  leur  donnant  toi 
té  fur  le  langage ,  pourvu  qu'ils  le  poliflTei 
rendiifent  harmonieux.  Les  Poètes  Grecs 
^uûciens  purent  donc  aflujettir  à  des  p 
Vers,  qui  dans  le  commencement  n'ctoi 
dci3  cadences groilleres,  imparfaites,  con 
Proie  rim^.  C'efl  ce  que  dit  Quintilicn 
mifM  dukitaverfi  imferito  quodam  inutê 
et  aurium  nunfurâ ,  et  fimUitar  decm 
fpatiorum  $kfervatkne  iffi  generatum , 
€9  npirtos  fedes.  Les  mtervalles  de  la 
don  pouvoient  avoir  qudques  mefures 
rimes  réndoient  fenfibles.  C'eft  un  ardf 
Baturel,  &  uiité  de  tout  temps.  Encore 
d'hui  les*  Poëiies  des  Perfes ,  des  Tartai 
Chinois,  des  Arabes,  des  Africains,  de 
peuples  de  l'Amérique  ne  confident  que 
rimes ,  dans  Ats  terminaifons ,  ou  chutes 
blés.  La  langue  Hébraïque  eft  la  pren 
toutes  les  langues  :  certainement  elle  eft 
denne  que  la  Grecque.  Or ,  on  voit  qui 
breux  avoient  des  Poè'fies  dans  le  tem' 
fprtirent  de  l'Egypte.  Marie  après  cette  i 
cka  un  Cantique  que  Moyfe  rapporte.  C 
ve  dans  TEcriture  pluiieurs  Cantiques.  Le 
mes  font  une  véritable  poëlie.  Les  Sça^ 
purent  fur  la  nature  de  cette  poëfie.  Ce 
ctre  confiant,  c'eft  qu'on  y  obferve  une  cadc 
intervalles  égaux,  ou  des  expreffions  égî 
quelle  égalité  eft  rendue  fenuble  par  la  re 


1^1  PAKLCR.  Ltv.JIL  Chaf.XIV.    171 

lêmes  fyllabes ,  ou  mêmes  lettres.    C'cft  ce 
l'Auteur  de  la  Bibliothèque  univerfelle  a  ob- 
.  U  le  fait  voir  dans  plufieurs  paflages  qu'il 
ofe,  oii  il  montre  comme  c'eft  l'égalité  des 
îffions ,  &  les  mêmes  chutes  ou  rimes  qui  en 
toute  la  cadence.    11  en  donne  tant  d'exem- 
qu'on  ne  peut  douter  de  fes  fçavantes  ob- 
tiens.   On   ne  les  avoit  pas  faites ,  parce 
Q  n'avoit  pas  pris  garde  à  la  négligence  des 
[lies ,  qui  en  décrivant  les  anciens  Cantiques 
s  Pfeaumes,  n'ont  pas  eu  le  foin  dclesdecri- 
omme  ils  le  dévoient ,  en  la  manière  que  fe 
ent  écrire  les   vers ,    finiffant  chaque  ligne 
la  rime.    Ainfi  une  partie  de  l'inauftrie  de 
Auteur  confifte  dans  le  retablifleraent  de  la 
:able  écriture ,  finiflant  ou  commençant  cha- 
ligne  comme  la  rime  le  demande  ;  en  quoi 
iiflit  fi  ordinairement,  qu'on  ne  peut  pas  pen- 
[uc  ces  rimes  foient  un  effet  du  nazard.    Au 
raire,  s'il  y  a  quelque  partie  d'un  Pfeaume 
«la  ne  s'obferve  pas ,  on  peut  penfer  que  cela 
rrivé  par  quelque  tranfpoiition  qu'un  Copiile 
■habile  aura  pu  faire.    L'Auteur  en  convainc 
homme  docile  qui  aime  &  écoute  la  venté , 
uelque  bouche  qu'elle  forte, 
lilon  &  Jofephe ,  &  après  eux  Saint  Jérôme  » 
avancé  qne  dans  la  Poëlie  Hébraïque  il  y 
t  des  pieds  comme  dans  la  Poëfie  Grecque  ; 
{  on  ne  fait  pas  s'ils  ont  bien  examiné  la  me- 
de  cette  poëfie.  On  foupçonne  Philon  &  Jo- 
e  d'avoir  fû  peu  l'Hébreu.    Ce  foupçon  eft 
fondé.     Saint  Jérôme  les  a  pu  croire  fans  au-» 
•ail on  que  celle  qui  fe  retire  de  leur  autorité.  Go- 
a  fait  un  Traité  qu'il  a  intitulé:  DavidtsLyrOy 
es  pour  foûtenir  le  même  fentiment  ;   mais 
id  il  vient  au  détail ,  il  ne  réuifit  pas.  Louïs 
el  Ta  refaté.  Quand  on  approfondit  la-chofei 

M  4  OCL 


^^l       La  Rh£toxxqji7B»  ou  l'Aut 

on  trouve  même  que  la  langue  Hcbraiqi 
pas  capable  de  mefures  ou  pieds  des  vers  G 
Latins.  Ce  qu'il  faut  confidercr  ici. 

Nous  avons  dit  que  les  anciens  Poètes  Gr< 
formé  la  langue  Grecque,  qui  dans  foncon 
cernent  fut  fort  imparfaite.  Elle  tire  fa  pr< 
origine  de  la  langue  Phénicienne  ;  ce  f< 
Poètes  qui  Tont  changée.  Les  Grecs  n'avoic 
bord  que  des  noms  &  des  verbes  monof; 
iâns  temps  :  leurs  noms  n*avoient  point  c 
adons  ou  de  cas,  comme  n'en  ont  point  les] 
ciens  ou  Hébreux;  car  c*eft  la  même  langii 
mefure  des  vers  oblige  à  des  tranfpofitioi 
cauferoient  de  robfcmité  fi  les  noms.n'avoi 
difierens  cas  de  difierentesterminaifons,  qv 
quent  leurs  rapports.  Or ,  il  n*y  a  pas  ma 
faire  des  vers  oui  aient  des  pieds  iànstranipo 
Pans  ce  Vers  ae  Lucain  ^ 

Belia  per  Ematbi$s  plufquàm  civilia  camfi 

le  mot  clvirta  ,  n'eft  pas  en  fa  place  natu 
mais  on  voit  où  il  fe  doit  rapporter.  L'Heb 
foufire  point  de  renverfemens  femblables.  Il 
point  de  diflferens  cas  en  cette  langue  ,  ta 
différentes  terminaifons.  Le  fubftantif  pi 
toujours  Tadjeélif  lorfqu  onne  fous-entendri' 
tre  deux;  comme  ten  cbacam,  c'e(l-à-dire, 
foge  :  &  on  ne  peut  point  dire  chacam  ben; 
jne  en  François  on  ne  peut  dire  que  moupen 
tnere.  Dans  THebreu  le  fubftantif  qui  cft  ' 
gime,  doit  toujours  précéder;  comme ^ 
Scbalmé  r  Les  paroles  de  Saiumon  ,  & 
mais  Scbolmo  debarim,  £n  Latin,  Salomonl 
^  ba  ,  Se  verbû  Salomonis  ,  c*eft  la  même  < 
Enfin  les  affujetiflemens  de  cette  langue  à 
dre  naturel ,  les  terminaifons  prefque  fei 
blesi  car  tous  les  noms  pluriels  mafculinsfi 


Bi  PAULEK.  Uv.ïtL  Cbap.XIK       173 

lincnt  en  I M ,  &  les  féminins  en  O  T  ,  ont 
mpêché  les  Hébreux  de  faire  des  Ters  Métriques, 
u  des  vers  compofez  de  pieds. 
Ifjcs  Hébreux,  auûi  bien  que  prcfque  toutes  les 
Qtres  langues  du  monde ,  excepté  le  Latin  &  le 
îrec,  n'ont  donc  pu  avoir  qu'une  poëfiefimple, 
onfiftant  dans  Tégalité  des  expremons  d'un  égal 
tombre  de  voyelles ,  8c  dans  la  rime  qui  rend 
énfible  cette  égalité.  Ce  mot  rîmes 9  vient  fans 
bute  de  Rythme  ,  fvàfMf  Rytbmus  »  mot  Grec 
roi  fignifie  un  arrangement  harmonieux ,  ou  ca- 
[ence  a^éable.  Ce  mot  Grec  comprend  tout  ce 
[œ  l'oreille  apperçoit  demefuré»  foitprofe»  foit 
reis,^  comme  Cîceron  le  définit.  Quidqutd  eft 
«nu  quod  Jitb  atrium  menfuram  aliquam  cadit  9 
tfâm  fi  itbej^  à  verfuy  numerus  vocatur^  qui 
rrech  fvéfAêç  dkitur.  La  profe  même  eft  ainfi  ca- 
pable de  rythme  ;  car  on  en  peut  difpofer  les 
mots  dont  elle  eft  compofée,  de  manière  qu'iU 
àflcnt  une  cadence  lente  ou  accélérée,  douce  ou 
Sorte,  félon  que  le  fujet  le  demande.  Dans  les 
rcrs  ce  font  toujours  les  mêmes  mefures  :  dans  la 

Sfc-il  faut  une  grande  variété.  Lemot/?y//&OT/iXj 
lifie  beaucoup  :  félon  fon  idée  générale ,  qui 
«nferme  toutes  les  fignifications  qu'on  lui  peut* 
lonner ,  c'eft  une  compolition  réglée  ,  qui  fe 
iit  avec  un  certain  ordre,  raifon,  proportion  du 
bû  &  du  mouvement  des  paroles. 
Dans  toutes  les  langues  qui  ne  font  pas  capa- 
fcs  d'avoir  des  vers  qui  ayent  despieds ,  la  poëfie 
onfifte  principalement  en  ce  que  nous  appelions 
mes^  Quand  la  prononciation  de  la  langue  La- 
ne  commença  à  fe  perdre  ,  qu'on  ne  diftingua 
lus  la  longueur  &  la  breveté  des  voyelles,  qu'on 
î8  prononça  toutes  prefque  également ,  on  fe  con- 
înta  d'une  profe  rimée,  comme  font  ces  fortes  de 
'êntipes  9   Hymnes  >   Profes  ,   qui  fC\  chantent 

M  5  "  dans 


174      ^^  Rhetohiqjje,  ou  l'Ak. 

dans  nos  F^iTcs,  dont  l'artifice  ne  coi 
dans  des  cxprcŒons  égales  »  qui  fe  tcn 
la  même  manière.  Ceft  ce  <me les  bons! 
tins  évitoient  avec  autant  de  foin  qne 
vais  Poètes  l'ont  recherché  depuis  la  c 
de  la  langue  Latine.  On  fçait  combien  ( 
Ciceron  a  été  mépxifé^ 

Ofirtuamum  astétm  me  Comfuk  Rom 

n  ne  fe  feroit  jamais  fait  de  jaloux 
qu'il  a  dit  eut  été  de  ce  (lile,  comme  J 
dit  agréablement  en  raOlant  ce  mauvais 

Afttomî  ghuTtos  fo$uit  conUmnere,  fi  fie 
Ommis  iUxiffct. 

Ilàac  Voffius  obferve,  que  pour  évit 
mes  Virgile  a  mieux  aimé  écrire» 

Cifm  câniktts  timi£  ventent  ad  pocnh 

que  de  mettre  comme  il  le  pouvoit 
11  ajoute  qu'on  fe  trompe  fi  on  s'im^ 
avoit  une  rime  dans  ce  vers. 

Cernua  velatarum  obvertimus  mntennm 

Les  deux  dernières  lettres  de  veiatn 
mangeoient ,  &  n'ctoient  point  entend 
qu'un  Romain  prononçoit  ce  vers.  L 
Grecque  &  Latine  avoit  d'autres  char 
les  nôtres.  Nous  l'avons  dit ,  ils  rccitoi 
vers  d'une  manière  qui  ne  nous  eft  guei 
difficile  de  concevoir  que  les  cinq  tons 
quels  les  Chinois  prononcent  differemn 
même  mot  monofyllabe;  c'eft  pourquoi 


B  B  F  1.1.  L 1  &:  Lh.  m.  Chef,  XV.      i7f 

icore  une  fois  qu'on  a  tort  de  s'imaginer  que 
s  peuples  pûflent  fentir  autre  chofe  dans  1  liar«> 
onie  de  leurs  vers»  que  ce  que  nous  y  Tentons 
gourd'hui. 


Chipxtrb    XV. 

h  la  Poefie  Franqoifi  $   &  de  alie  it  foMtis  lu 
ëutres  S  étions  qui  fit  des  rimes. 

I^Ous  l'avons  dit  que  l'artifice  de  la  |>oëfie 
^^  Grecque  &  Latine  eft  fi  particulier  à  ces 
leur  langues»  qu'aucune  autre  langue  n'a  rien  de 
emblable  »  fe  que  pour  toutes  les  autres  poèfiei 
ndennes  &  nouvelles»  elles  ne  confifioient  que 
bns  l'égalité  du  nombre  des  fyllabes,  dedans  les 
imes.  Avouons  néanmoins  ici  qu'il  y  a  des  en« 
iroits  des  Ffeaumes  6c  de  quelques  Cantiques  oik 
I  n'cft  pas  poffible  de  trouver  ces  rimes,  &  qui 
ependant  difTerent  de  la  profe.  Les  manières 
ontraintes  &  obfcures  de  ces  endroits  marquent 
Q'il  faut  que  celui  qui  en  eft  Auteur  fe  foit  af- 
yeti  à  des  mefures  que  nous  ne  diilinguonspas. 
1  n'eft  pas  toujours  neceflairc  que  ila  rime  fc 
t>nve  à  la  fin  du  vers;  on  peut  lier  des  paroles» 
e  forte  qu'dles  ayent  une  cadence ,  comme  on  en 
Dit  des  exemples  dans  les  langues  Efpagnole, 
alienne  6c  Angloife,  dans  lefquelles  on  fait  de 
rt  bons  vers  fans  rimes.  Ceux  qui  poffedent  ces 
Mucs  peuvent  examiner  ce  qui  produit  cette 
fcnce ,  6c  fait  que  fans  rimes  queliques-uns  de 
1rs  vers  ont  de  l'harmonie.  Cela  peut  venir  de 
que  les  terminaifons  dans  ces  langues  étant  plus 
tes,  elles  font  plus  d'impreffion  ;  ainfi  Téga- 
5  dans  les  cxpreffions-,  dans. le  nombre  des 
labes  peut  faire  une  harmonie  fenûble.    Il  n'en 

M  6  clb 


^^6      La  R  à'i  Vo  r  <  ^tr  «  ;  é  #  VA  k  i 

îeft  fas  de  même  dans  rk>trt  lanniê  à-ca^ 
doucair.  die  ne  irappe  pas  n  fbttei 
breJDes. .  Cependant  on  parle  d'une  pieo 
qui  n'avoîent  point  de  rimes ,  faits  par 
ziriac  :  c'étoit  une  traduétion  des  £pitres 
qui  n*a  point  été  imprimée.  Nous  ne  pari 
que  des  vers'  avec  des.  rimes  :  &  comme  i 
Ucher  à  des  exemples  ce  que  nous  allô 
nous  ks  tirerons  de  la  po^bûe  Françoiiè. 
Ce  qui. fût  la.  difièrence  eâeutieUe  < 
loëfic  d'avec  la  Latine  &  la  Grecque  »  c^ 
pronônciatioif  difRïrehte  de  celle  dont  on 
^it  autrefois  le  Grec  &  le  Latin.  Nous 
fons  d'une  taaniere  unie,  &  prefqae  éi 
toutes  les  voyelles.  Il  eft  vrai  que  nous  è 
Voix  fur  certaines;  ce  qui  a  fait  croire 
]^énneque  nos  voyelles  étoient  longue 
ves  comme  les  voyelles  Latines.  Il  doi 
exemple  ces  mots,  grâce ^  race ,  jnatim 
^ixjûir^  &  matin  y  le  nom  d'un  chien;  /t 
mangé»  &  hpa$e  d'un  chien*,  il  dit  que 
font  trois  brèves  ;  maitréjje  ,  une  long 
deux  brèves;  mifertcordëy  trois  brèves 
trochée.  C'eft  pourquoi  il  prétend qu  on] 
^es-vef s  François,  femblables  aux  vers  L 
pour  exemple  il  traduit  «en  François  ce 
Latin  :  . 

Tbofibore^  reêié  âiem\  eur  gaudia  mftra\ 
'  Cefamvintm'9^^  fbêfpboret  rtdde  diem. 

ni  célui<i  v 

m 

'fdubet  réaiUe  h  jour  :  pourquoi  notnêîfi 
tu  } 

Céfar  doit  revemr  :  auife ,  rekai/Zt  Uf 


•  t 


VS  PAKLBB..  Liv.  /i/.  Ckip.  XT.        177 

Henry  Efticnnc  trouvent  ces  deux  vers  François 
fort  beaux.    Feu  de  gens  feroicnt  de  fongoût. 

Quand  les  voyelles  en  François  pourroicnt  faire 
différentes  mefures ,  &  que  ce  ne  ieroit  pas  feule- 
ment par  l'accent  qu'une  me  me  voycHe  pût  diffe- 
Bcrd'cHc-même,  mai^  encore  parce  qu'elle  peut 
être  prononcée  différemment  »  en  peu  de  temps , 
ou  dans  un  temps  plus  long ,  perfonne  ne  pour- 
roit  difconvenir  que  pour  la  plupart  elles  fe  pro- 
noncent également.  Nous  les  iaifonsprefque  toutes 
kreves  ;  ainli  il  n*y  a  pas  alTez  de  voyelles  lon- 
gues pour  faire  différentes  mefures.  On'  ne  peut 
ws  faire  des  vers  Latins  de  voyelles  toutes  brèves, 
rious  fommes  donc  obligez  de  donner  de  l'har- 
monie à  DOS  paroles  d'une  autre  manière  que  les 
Grecs  &  les  Latins.  L'art  que  nous  fuivons  ,c'cft 
celui  de  toutes  les  nations  du  monde  depuis  plu- 
ficuTS  fiedes ,  comme  nous  l'avons  dit  :  il  ne  con- 
fifte  aue  dans  un  certain  nombre  de  fyllabes  :  U 
dans  les  rimes. 

*  Nous  n'élevons- la  voix  qu'au  commencement 
iafensy  &  nous  ne  la  rabaiffons  qu'à  la  fin.  C'eil 
pourquoi  (i  une  mel'ure  dans  notre  poëfie  commen- 
Çoit  au  milieu  d'un  mot ,  &  finilfoit  au  milieu  d'un 
ïQtre  mot ,  h  voix  ne  pourroit  dillinguer  par  au- 
cune inflexion  cette  mcfure,  comme  elle  le  Ait 
en  Latin.  Afin  donc  de  mettre  de  la  diftindioa 
^treles  mefures,  ëc  que  les  oreilles  apperçoivent 
cette  diflindion  par  une  élévation  de  voix  au 
Commencement  >  &  ua  rabaiflcment  à  la  fin ,  cha- 
que mefure  doit  contenir  un  fens  parfait  :  ce  qui 
&t  qu'une  mefure  doit  être  grande ,  &  que  cha- 
cun de  nos  vers  n'eft  compoié  que  de  deux  mefu- 
f^y  qui  le  partagent  en  deux  parties  égales,  dont 
fa  première  eft  appellce  Hemifticbcy  Les  mefurei 
*ïc  nos  vers  fe  mefurcnt  d'une  manière  fort  natu- 
f^i  pi^Que  naturellement  Se  fans  aa  on  élevé 

M  7  U 


178       La  Rhitork^ui;  oit  l'Aut 

la  voix  en  commençant  Tcxpreffion  d'un  f 
parfait,  &  qu'on  la  rabaifle  fur  la  fin  de  cette  • 
preffion.  L'égalité  de  ces  mefures  dépend  d 
nombre  égal  de  voyelles.  Toutes  les  voyelles 
notre  langue  fe  prononçant  en  temps  égaux ,  il 
évident  que  fi  deux  expreflionsontunégalnoml 
de  voyelles,  les  temps  de  leur  prononciation  & 
égaux. 

L'égalité  de  deux  mefures  dont  chaque  vers  1 
conapofé,  ne  peut  donner  qu'un  plaifîr  médioa 
Âum  on  lie  tout  au  moins  deux  vers  enfembIe,Q 
font  quatre  mefures.  Cette  liaifon  fe  fait  par  1 1 
nion  d'un  même  fens.  Pour  rendre  encore  cet 
liaifon  plus  fenfible  ,  on  fait  que  les  vers  qui  rci 
ferment  un  même  fens ,  riment  enfemble;  c*cft-s 
dire  qu'ils  fe  terminent  de  la  même  manière, 
n'y  a  rien  que  les  oreilles  apperçoivent  plus  fcni 
blement  que  le  fon  des  mots  ;  ainfi  la  rime  qui  n'e 
que  la  répétition  d'un  même  fon ,  eft  tres-pron 
pour  faire  diflinguer  feniiblement  les  mefures  du 
vers.  Cette  manière  eft  tres-fimple;  auffi  ellea 
nuye  bien  tôt ,  li  Ton  n'a  foin  d'occuper  l'efprità 
Ledeurs  par  la  richeffe  &  par  la  variété  des  peu 
fées ,  afin  qu'ils  ne  s'agpcrçoivent  point  de  fa  fin 
plicité. 

Voilà  en  peu  de  mots  les  fondemens  denotr 
poëfie:  pour  rendre  plus  fenfibie  ce  que  j'en  ai  dit 
j'en  ferai  l'application  aux  deux  vers  fui  vans.. 


fe  chante  cette  guerre 
Où  Pbarfaiâ  jugea 


en  cruauté  féconde ^ 
de  VEmphe  du  monde» 


■  L'oreille  n'apperçoit  que  deux  mefures  dans  dtf 
cun  de  ces  vers,  &  elle  les  diftingue,  parce  quel 
voix  s'élève  au  commencement,  &  le  rabaincàli 
fin  de  chacune  de  ces  mefures  qui  contiennent  de 
fens  parfeits.    Les  quatre  mefures  de  ces  deux  v» 

fofll 


B  B  p  A  R I B  ft.  Lh.  ///•  Cbap.  XV.      17^ 

iont  liées  enfcmble  par  l'union  d*un  même  fens 
dont  elles  font  les  membres,  &  par  la  rime.  Ou- 
trcr^alité  du  temps ,  nous  pouvons  remarquer  que 
l'égalitc  du  repos  de  la  voix,  quife  rcpofe  en  pro- 
nonçant nos  vers  par  des  intervalles  égaux,  contri- 
bue fort  à  leur  beauté.  Je  ne  parle  point  des  diffé- 
rais ouvrages  en  vers,  des  vers  Alexandrins,  des 
Sonnets ,  des  Stances ,  &  c.  Ces  vers  ne  font  diffe- 
lens  entr*eux  que  par  le  nombre  de  leurs  fyllabes* 
Les  uns  font  compofezde  plus  grandes,  ou  de  plus 
courtes  mefures;  danslesuns  les  rimes  font  entre- 
mêlées. Comme  chez  les  Latins  on  compofe  des 
ouvrages  de  différentes  fortes  de  vers,  en  François 
en  lie  de  petits  vers  avec  de  grands  vers.  L'arti- 
fice qu'on  employé  dans  ces  ouvrages  n'a  aucune 
difficulté  qui  mérite  que  nous  nous  anêtions  à 
Tcxpliquer- 

Ce  n'eil  pas  affezr  pour  donner  à  un  verslajufte 
Biefure,  d'avoir  égard  à  la  quantité  du  temps  de 
^quc  voyelle ,  ou  au  nombre  des  mêmes  voycl- 
fa:  leurs  concours  &  celui  des  confones  avec  qui 
elles  fc  trouvent ,  augmente  ou  diminué  leurs  me- 
ures. Entre  les  inots  qui  ont  même  quantité ,  ou 
jui  contiennent  un  égal  nombre  de  voyelles ,  les 
^  font  rudes ,  les  autres  font  doux ,  les  autres 
coulans ,  les  autres ,  languiffans  :  c'ell  pourquoi 
pour  rendre  les  mefures  d'un  vers  égales ,  on  doit 
avoir  prefque  autant  égard  aux  confones  qu'aux 
yoyclles,  comme  nous  l'avons  dit  de  la  poëlie  La- 
tine. Il  faut  fur-tout  prendre  garde  aux  accens, 
®u  fi  l'on  veut ,  à  la  mcfure  des  voyelles ,  &  pren- 
dre garde  fi  elles  font  brèves  ou  longues;  m/i/e^ 
Hne  efpece  de  coffre,  nepeutpas  rimeravec  ma/ey 
«n  Latin  mafcu/us,  comme  l'enfeigncnt  ceux  qui 
fraitcnt  eiprcflément  de  la  Poëlie  Françoife. 


C  M  k^ 


i8o       La.  RKixoiiia.uE,  ou  l'A&t 


C   H   A  I»  I    T   H   £      XVI. 

É 

U  y  a  une  jjmfathte  merve'ilUafi  entre  notre 
it  la  cadeyice  du  dijcvurs  y  quand  cette  ca^ 
dence  convient^  à  ce  qu*U  exprime. 

NOux  avons  vu  qu'un  difcours  cft  agréabtfc 
lorfque  les  temps  de  la  prononciation  des 
fyllabes  qui  le  compofent,  peuvent  être  mduraî 
par  des  mefures  exaaes:  que  le  temps ,  par  exem- 
ple ,  d'une  fyllabeeftexadement  ou  le  double,  oo 
le  triple  de  celui  d'une  autre  fyllabe.    Lcsmefuitt 
cxades  font  celles  qui  s'expriment  par  dés  nont- 
bres.    Dans  la  Géométrie  toutes  les  raifonsexaâb 
font  nommées  raifons  de  nombre  à  nombre i  c'eft 
pourquoi  les  Maîtres  de  l'Art  de  parler  ont  ap-    • 
pelle  nombres ,  numéros ,  tout  ce  que  les  oreilles 
appcrçoivent  de  proportionné  dans  la  pronondt-    \ 
tion  du  difcours ,  foit  la  proportion  des  mefarei 
du  temps ,  foit  une  jufte  diftribution  des  interval- 
les de  la  refpiration.    C'eft  ce  que  dit  Ciccroii 
Numero/um  ejl   id  in  omnibus  fonis  atque  vodktt 
quod  babet  quafdatn  imprejjiones ,  é*  quod  metirif^ 
Jumus  intervaUts  étqualibus,     £n   Latin ,  Numirtfê 
oratio ,  c'eft  ce  que  nous  nommons  en  Fianfoil 
difcours  harmonieux. 

Oue  l'harmonie  plaife ,  c'eft  une  chofc  qoi 
ne  demande  point  de  preuves;  &nous  ne  devotf 
pas  être  furpris  fi  nos  oreilles  font  choquées  d'un 
ton  qui  n'eft  pas  réglé,  puifque  pour  rompre 
les  plus  groflcs  cloches  il  ne  faut  que  les  fonncr 
de  manière  qu'elles  faffent  un  faux  ton.  Tous  loi 
Auteurs  conviennent,  &entr'autrcs  S.  Augufli»f 
qu'il  y  a  une  merveilleufe  alliance  de  notre  cP 
prit  avec  les  nombres,  que  les  differens  mouvc- 

meo» 


'.-• 


i>ï  PARLE  %.  LiV.ÏJI.  Chap.  XVL      i8i 

mens  de  Tame  répondent  à  certains  tons  de  la 
voix ,  avec  qui  elle  a  je  ne  fai  quelle  efpece  d'ha- 
bitude. .  Miré  animi  noflri  cum  numeris  cognnth. 
Omnes  tiffefius  fpiriiùs,  nojîri  p7'o  juî  d'tverfitate 
babtnt  proprios  modos  in  vûce  9  quorum  nefch 
quâ  QCcultâ  familiaritate  eonneêtantur.    D*où  Lon- 

fin,  cet  excellent  Critique,  conclut  quele<înora- 
res  font  des  inilrumcns  merveilleufemcnt  pro- 
pres à  remuer  8c  à  faire  agir  les  pallions.    Jw 

fi^TlOV  TméSi  0ç^1fOfi 

Pour  pénétrer  dans  les  caufes  de  cette  mervcil- 
leufe  fympathic  des  nombres  avec  notre  efprit, 
&  de  leur  puilTance  fur  nos  paffions  »  il  faut  fa- 
voir  que  les  mouvemens  de  l'arae  fuivent  ceux 
des  efprits  animaux.  Selon  que  ces  efprits  font 
plus  lents  ou  i^us  vîtes  »  plus  tranquilles  ou  plus 
violens,  l'ame  fefent  émûë  de  différentes  paffions. 
La  plus  petite  force  eft  capable  d'arrêter  ou  d'ex- 
citer ces  efprits  animaux:  ils  refiftent  peu,  &  leur 
IcgereTié  feit  que  le  plus  petit  mouvement  étran- 
ger les  détermine^'  le  mouvement,  par  exemple, 
d'un  fon  peut  ks  ébranler.  Notre  corps  eft  telle^ 
ment  difpofé,  qu'un  fon  rude  &  violent  les  fait 
-.  couler  dans  les  mufcles  qui  le  difpofent  à  la  fuite  » 
de  la  même  manière  que  le  fait  la  vûë  d'un  objet 
affreux ,  comme  nous  l'expérimentons  tous  les 
jours;  au  contraire  un  fon  doux  &  modéré  a  ht 
force  d'attirer.  En  parlant  rudement  à  un  animal  > 
il  s'enfuit:  on-l'apprivoife  en  lui  parlant  douce- 
ment ;  d'où  l'on  apprend  que  la  diverfité  des  fons 
produit  des  mouvemens  differcns  dans  les  efprits 
animaux. 

Chaque  mouvement  qui  fe  fait  dans  les  orga* 
nesdesfens,  &  qui  ert  communiqué  aux  efprit» 
animaux,  ayant  donc  été  lié  par  l'Auteur  de  h 
nature  à  un  certain  mouvement  del'ame,  les  fons 
peuvent  exciter  ks  paillons;  ôc  l'on  peut  dii:e  que 

cha- 


ï82       La  Rhetork^ite,  6v  l'Art 

chacun  répond  à  un  certain  fon ,  qui  eft  celui  qui 
excite  dans  les  efprits  animaux  le  mouvement  avec 
lequel  elle  eft  liée.  Ceft  cette  liaifon  qui  eft  là 
caufe  de  la  fympathie  que  nous  avons  avec  les- 
nombres ,  &  qui  fait  que  naturellement ,  félon  le 
ton  de  celui  qui  parle,  nous  reffentons  differens 
mouvemens.  Un  ton  languiflant  nous  infpircde 
la  trifteffe,  un  ton  élevé  nous  donne  du  courage: 
entire  les  airs ,  les  uns  font  gais ,  &  les  autres  mé- 
lancoliques ,  félon  la  paffion  qu'ils  excitent. 

Pour  découvrir  tous  les  iecrets  de  cette  fympa- 
thie, &  expliquer  comment  entre  les  nombres 
les  uns  caufent  plutôt  la  trifteffe  que  la  joye ,  il 
feudroit  examiner  quel  eft  le  mouvement  des  ef- 
prits animaux  en  chaque  pafîion.  On  conçoit  fa- 
cilement que  fi  l'impreffion  d^un  tel  fon  dans  les 
organes  de  Touie  eft  fuivie  d'un  mouvement  dans 
les  efprits  animaux ,  femblable  à  celui  qu'ils  ont 
dans  la  colère,  fî,  par  exemple,  ce  fon.lesagitd 
violemment  &  avec  inégaUté ,  qu'il  pourra  exci- 
ter la  colère  >  &  Tentretenir  :  au  contraire  qu'il  fera 
languiflant  8c  mélancohque  fi  l'émotion  qu'il  caufe 
dans  les  efprits  animaux  eft  foible.ôc  languiffante , 
telle  qu'eft  celle  qui  accompagne  la  mélancolie. 
Ce  que  je  dis  ne  doit  pas  furprendre ,  après  ce 
que  nous  rapportent  tant  d'Auteurs  célèbres  des 
effets  de  la  mufique.  Ils  difent  qu'il  y  a  eu  ^es 
Muliciens  qui  favoient  joiier  fur  leurs  flûtes  des 
airs  propres  à  guérir  toutes  les  maladies,  qui  pou- 
toient  appaifer  les  douleurs ,  &  rendre  la  fanté 
aux  malades* 

Peut-être  qu'on  en  dit  trop;  mais  nous  ne 
pouvons  pas  douter  de  ce  que  nous  expérimen- 
tons tous  les  jours,  que  lorfque  nous  entendons 
quelqu'un  chanter,  rire,  ou  pleurer,  que  nous  le 
voyons  fauter ,  danfer ,  nous  fommes  invitez  à  faire 
la.  même  chofe.  La  nature  nous  a  liez  enfemblè. 
'     ^  Da&s 


PB  PAjiiER.  Lh. Il L  Ckap, XVI.      28 j 

Dans  un  Luth  ,  lorfqu'on  pince  une  corde ,  ccMe 
qui  eft  à  l'uniflon  fe  remue  fans  qu'on  y  touche ,  * 
quoiqu'elle  foit  éloignée ,  &  qu'entr'ellcs  il  y  ait 
plufieurs  autres  cordes  qui  demeurent  immobiles. 
La  nature,  dis-je ,  nousaliezenfemble;  ainfinous 
reiTentons  les  mouvemens  que  nous  appercevons 
dans  les  autres  :  auffi  il  eft  indubitable  que  la  feu- 
le cadence  peut  exciter  les  paffions..  Ceft  delà  que 
Platon,  dans  fes  Livres  de  la  Republique,  tire  cette 
confequence,  que  félon  qu'on  change  lamufique, 
les  mœurs  des  Citoyens  changent.  Cela  paroît  pa- 
radoxe ,  mais  il  n'y  a  rien  de  plus  véritable.  Les 
chants  effeminez  amollilfent.  11  y  en  a  de  mâles , 
de  graves ,  de  religieux  que  les  Muficiens  obfer- 
vent  félon  les  mouvemens  qu'ils  veulent  infpirer. 
L'expérience  &  l'autorité  ne  permettent  pas  d'en 
douter.  In  certaminibus  facris  non  eadem  rafione 
concitant  animos  ac  remittunt  ,  nec  eofdem  modat 
ëdbibent  càm  beUicum  eft  canendum  ,  é^  cùm 
fofito  gcnu  fupplicandum  j  nec  idem  fignarum 
concentus  eft  procedefite  ad  pr^lium  exercttu^ 
idem  receftiû  carme».  Ges  paroles  font  de  Quin* 
tdlien. 

On  ne  peut  donc  douter  que  les  fons  ne  foient 
fignificatifs,  &  qu'ils  ne  puiffent  renouveller  les^ 
idées  de  plufieurs  chofcs.  Ainii  comme  lefonde 
la  trompette  fait  naturellement  penfer  ■?.  ;a  guerre  r 
Thucydide,  par  la  cadence  élevée  qu'il  donne  à  fe* 
paroles  en  parhnt  des  combats ,  fait ,  comme  Ci- 
ceron  dit  de  lui ,  qu'il  femble  qu'on  foit  prefent 
à  une  bataille,  éc  qu'on  y  entende  la*  trompette:. 
2>tf  bellicis  firibens  concitatiori  numerè  ,  videtur 
beUicum  canere.  Quand  on  entend  le  bruit  de  lar 
mer  on  fe  l'imagine;  facilement,  quoique  les  yeux 
ne  la  découvrent  point.  Quand  on  entend  parldr 
un  homme  qui  eft  connu  d'ailleurs ,  onfc  lerepre- 
feite  avant  qu'il  foit  prc(entaux.yeui«.   Lesidéeé 


z^4       La  RHCTo&i^rx,  ou  i*A&r 

des  chofes  font  lices  entr'eUcs ,  &  sVxdteiit  lés 
unes  les  autres.  Ainfi  il  efi  hors  de  doute  que 
certains  fons  »  ceitains  nombre»  »  &  cenaines  ca- 
dences peuvent  contribuer  à  réveiller  les  images 
des  dioies  avec  lefquelles  ils  ont  quelque  npport 
&  liaifon. 

Nous  expérimentons  qu'en  parlant  no«  prenons 
un  ton  conforme  à  nos  difpofitions  intérieures. 
Ce  n'cft  pas  feulemeût  fur  le  vifage  queparoiflèct 
les  mouvemens  dont  nous  femmes  a^^tez.  La 
feule  manière  dont  nous  parions  Êiit  connoitie 
ces  mouvemens ,  nous  prenons  un  autre  ton  en 
raillant  que  loré^ue  nous  parlons  ferieufemcnt 
Notre  voix  n'efl  point  lamêmequandnousloâons 
que  quand  nous  blâmons.  En  un  mot  »  nous  chan* 
geons  de  voix  félon  nos  differens  mouvemens  :  auffi 
on  fait  bien  mieux  connoitre  ce  que  l'on  pcofe 
quand  on  parle,  que lorfqu'on écrit. 

Cependant  il  eft  certain  qu'on  peut  donner  uni 
cadence  à  fes  paroles  y  qui  tienne  lieu  d'une  voix 
vivante.  Virgile  réiiflit  admirablement  en  et- 
la:  il  donne  à  fes  vers  une  cadence  qui  peutdk 
feule  exciter  les  idées  des  chofes  qu'il  veut  figni: 
fier.  £n  lifant  ces  paroles  :  £/  ithQi<bufc€n£tfu' 
ribunda  rogos ,  qui  eft-ce  qui  ne  conçoit  pas  par 
cette  cadence  précipitée  &  élevée ,  la  précipitation 
avec  laquelle  Didon,  dont  il  eft  parlé  en  ce  lieu, 
monte  en  furie  fur  le  bûcher  qu'elle  avoit  préparé 
pour  s'y  brûler.  Quand  je  lis  cette  defcription  du 
ibmmeil:^ 

Temfus  erat  quo- prima  quies  mortalibus  Mjni 
Jncifity  it'dono  divûm  graûj^tna  ferait  i 

la  douceur  de  ce  vers  qui  glifle,  me  donnel'idéé 
du  fommeil  qui  fcnible  fe  glilTcr ,  &  couler  dans 
nos  membres,  fans  que  nous  nous  en  apperco* 

YÎOM 


yions.    Ce  nombre  languiflant  de  cette  Harangue 
du  fourbe  Sinon: 

Heu  l  qu£  nuttc  iellus ,  inqutt,   qu£  me  dquors 
>         fôjjtmt 
Accipere  j  aut  quîdjam  mtferê  mibi  denique  reftat  ? 

Ce  nombre,  dis-je,  n*étoit-il  pas  capable  d'ex- 
citer la  compaffion  dans  le  cœur  des  Troyens. 
La  feule  cadence  du  vers  fuivant  exprime  le  ton 
languiCant  avec  lequel  on  parle  d'un  accident 
fâcheux  ; 

Partent  opère  in  tanto  ^.fineret  difUr^  Icare ,  Jfa* 
beres, 

Ce^crs  fuivant  marque  la  gravité  &  tranquilli- 
té du  Jloi  dont  parle  le  Poëte , 

oui  fedato  rejfondît.eorde  Latînus» 

Souvent  la  manière  de  dire  les  chofes ,  la  po- 
fture ,  les  habits  font  plus  éloquens  que  les  paro- 
les. Un  habit  négb'gé,  une  mine  trille  fléchira 
plutôt  que  les  prières  6c  les  raifons.  AufH  la  ca- 
dence des  paroles  fait  fouvent  plus  que  les  paroles 
mêmes.,  comme  nous  l'avons  vu  dans  le  .premier 
Livre  de  cet  Ouvrage.  Un  ton  ferme  imprime  la 
crainte ,  un  ton  languifl*ant  porte  àla  compadion. 
Un  difcours  perd  la  moitié  de  fa  force  lorfqu'il 
n'eft  plus  foutenu  de  l'adion  &  de  la  voix  :  c'efl 
un  inîlrumcnt  quil  reçoit  fa  force  de  celui  qui  le 
manie.  Les  paroles  fur  le  papier  font  comme  un 
corps  inort  qui  cft  étendu  p^r  terre.  Dafts  U  bou- 
che de  celui  qui  les  profère  elles  vivent,  elles 
font  efficaces  :  fur  le  papiçr'elles  font:  fcns  vie* 
incapables  ce.produke  les  mêmes  effets.  Une  ca- 
dence 


1.86       La  Rhstork^ui,  ou  t'Axt 

tlence  conforme  aux  chofes  confervc  en  quelque 
manière  la  vie  au  difcours ,  en  confervant  le  ton 
avec  lequel  il  doit  être  prononcé. 


Chapithe    XVII. 

Moyens  de  donner  à  un  difcours  tme  cadence  qui 
réponde  aux  chojes  quilfign'tjie. 

PLaton,  comme  nous  Tavons  dit,  prétend  que 
les  noms  n'ont  point  été  trouvez  par  hazard. 
Sa  preuve  c'cft  que  les  premières  racines  d'où  font 
dérivez  les  autres  mots,  ont  été  compofées  de 
lettres  dont  le  fon  exprimoit  en  quelque  manière 
la  chofe  iignifiée.  Cela  n'eft  vrai  que  dans  un 
petit  nombre  de  racines.  Mais  il  eft  confiant  que 
la  beauté  d'un  difcours  confiftant  dans  le  rapport 
qu'il  a  avec  la  chofe  qu'il  fignifie ,  fi  fa  cadence 
convient,  il  efl  plus  fignificatif,  &  parconfequent 
plus  agréable.  Or ,  pour  lier  fon  difcours  par  une 
cadence  conforme  au  fens;  on  n'a  qu'à  con- 
fulter  les  oreilles ,  &  apprendre  d'elles  quel  efl  le 
fon  de  toutes  les  lettres ,  des  voyelles ,  des  con- 
fones,  des  fyllabes,  &  à  quelle  chofe  ce  fon  peut 
convenir.  11  y  a  des  Auteurs  qui  fefont  appliquer 
à  remarquer  ces  ufages.  Ils  obfervent ,  par  exem- 
ple, que  la  confoneF ,  exprime  levcDtCàmjlam" 
tua  furentibus  aujlris  :  que  là  confone  S ,  réveille 
l'idée  d'une  chofe  qui  coule ,  d'un  courant  ou  d'eau, 
ou  de  fang,  étfienes  fanguine  riv$s:  comme  auffi 
les  tempêtes, 

Luêianus  ventes  t  Umfeflatêfqut  finofàs. 

La  lettre  L  convient  aux  chofes  douces; 

'  MMé 


»  E  p  AR  1« R.  Lh.  ni.  Cbap.  XVIî,    187 

Moilta  iuteela  pînpt  vaccintacaltha^ 

■  eft  mollis  flamma  mcâuUas* 

Virgile  fe  fcrt  heureufement  de  plùficurs  M^ 
|)our  un  bruit  fourd  &  confus. 

lâagno  cum  murmure  montts 
Ctrcum  claufira  fremunt. 

Le  fondement  de  tout  cda  eft  ce  que  nouJ 
avons  dit,  qu'un  fon  excite  naturellement  Tidée 
de  la  chofe  qui  peut  produire  un  fon  femblable, 
Ainfî  comme  chaque  lettre  a  un  fon  qui  lui  eft 
particulier ,  il  eft  certain  qu'il  y  a  des  lettres  qui 
font  plus  propres  à  marquer  de  certaines  choies , 
comme  le  fon  de  la  lettre  M,  &  de  TO,  pour 
exprimer  un  fon  obfcur.    Platon  dit  que  ces  mots, 
<wA«^7^f  )  f^^i  •  qui  fe  prononcent  diffidlcr 
ment,  marquent  bien  par  cette  rudeffe  ce  qu'As 
iignifient.  Au  contraire ,  la  prononciation  douce  & 
facile  de  ce  mot  yxvxv  ^  contribue  à  faire  connoî- 
tre  la  douceur  dont  il  eft  le  nom.  Il  eft  certain  qu'en 
parlant  d'une  chofe  douce ,  on  eft  porté  à  en  par- 
ler avec  un  fon  doux.    Les  mots  qui  font  donc 
compofe^  de  lettres  d'une  prononciation  douce  & 
facile ,  tiennent  lieu  fur  le  papier  de  ce  ton  avec 
lequel  on  auroit  parlé.  Il  eft  naturel  de  prendre 
les  fignes  qui  font  les  plus  convenables.    Il  n'y  a 
pas  de  termes  plus  propres  que  ceux  dont  nous  mar- 
quons le  cri  des  animaux  ,  parce  qu'ils  expriment 
ce  cri;  ainfi  c'eft  la  nature  quia  fait  trouver  itcopm 

4e  mugijjement  des  Taureaux,  le  binniffement  des 
Chevaux;  corhme  nous  difons auiB ^ %;r ,  béeler. 
3^fi^,m7ety^y  rue*»*/»*^  font  dcs  noms  naturels 
•comme  nos  noms  Ynn%oi%JifourdonnemcntJîffiement. 

Nous 


i88       La  RffiTdRXQj/i,  eu  l^àrt 

Nous  avons  vu  la  nature  du  ton  de  chaque  lettre  ;  il 
cft  faciïc  déjuger  à  quoi  elle  peut  être  propre:  &  par 
confequcnt  un  Orateur  peut  connoître  entre  plu- 
fieurs  mots  qu'il  a  pour  s'exprimer,  ceux:  dont  le 
fon  eft  plus  propre  pour  fon  deffein. 

Entre  les  voyelles ,  les  unes  ont  un  fon  clair  8c 
élevé  ;  les  autres  ont  un  fon  obfcur  &  foible.  On  peut 
faire  entrer  dans  lacompofitiondefondifcourscel- 
lies  qui  font  propres  au  deffein  que  Ton  a.pris  de  faire 
une  cadence  plus  foible  ou  plus  forte ,  plus  élevée  ou 
plus  baffe. 

n  faut  avoir  particulièrement  égard  aux  mefures 
du  temps.  Entre  les  mefures,  les  Dadlyles  coulent 
avec  viteffe:  le  Spondée  va  gravement, Hambe  mar- 
dievîte;  le  Trochée  femble  courir:  aufliil  prend 
fon  nom  d*un  verbe  Grec  qui  lignifie c(?»nV.  L' Ana- 
pcfte ,  tout  au  contraire  du  Dady  le ,  coule  avec  vi- 
teffe dans  fon  commencement,  &  fur  la  fin  il  fem- 
ble qu'il  va  heurter  contre  quelque  corps  qui  1ère- 
pouiâe  &  qui  l'arrête ,  d'où  il  a  pris  fon  nom ,  qui 
fignifie  repcrcufjion.  Les  effets  de  ces  mefures  font 
tout  di  ffcrens.  Celui  qui  veut  accorder  la  cadence  de 
fes  paroles  av.cc  les  chofcs  qu'il  traite,  doitchoiiir 
entre  ces  pieds  ceux  qui  l'accommodent.  Virgile  fe 
fert  de  daâyles  pour  exprimer  la  viteffe  d'une  acr 
tion. 

lirt  iequore  apefto 
jinte  Notbosy  Zepbtrumque  voknt: gémît  uhimapu{fu 
Thraca  pedum. 
Fer  te  cttiferrum ,  date  te/a  ,  fcandtte  muros» 

Au  contraire  il  évite  les  Daélyles,  &  choifît  le« 
Spondées;  lorfque  la  gravité  convient  mieux  à  l'cx- 
preffion. 

w  Magnurn  Jovu  incrementum. 

Tftfita  moiis.frat  Romanam  condere  gentem, 
lUi  interfefe  rmtgnâ  vi  bracbia  to/lunt,  éfc. 

Ciceron 


-B4  pnuLSn.  Ltv.JIL  Chap.XVII,    i8f 

'Ciccron  rapporte  que  Pythagorc  empêcha  des 
jeunes  gens  d'entrer  par  force  dans  une  honnête 
nnifon,  &  qu'il  leur  fît  quitter  leur  mauvais  def- 
ian ,  ayant  commandé  à  une  femme  qui  chantoit  » 
de  Élire  entrer  des  Spondées  dans  fon  chant.  Pytba^ 
fir«f  C9nciîatos  4id  vint  putticd  eïomus  inftrendam 
jnenes  jujft  mâture  in  Spondeum   modes  tibicinâ^ 
mpeCcuit.    Le  Spondée  &  le  Daâyle  font  les  deux 
grandes  mefures.    Ceft  pourquoi  les  vers  Hexamè- 
tres font  les  plus  majeftucux.    Le  Spondée  qui  fe 
trouve  à  la  fin ,  fait  qu'on  les  prononce  avec  un  ton 
ferme,  parce  qu'il  foutient  la  voix.  L'Anapefte  qui 
cft  à  la  fin  du  rentametre ,  fait  tomber  la  voix  ;  c'cil 
Pourquoi  ou  employé  le  Pentamètre  pour  exprimer 
les  plaintes  danslefquclleslavoix  tombe  à  tous  mo- 
mcns,  &  fon  cours  eil  interrompu.    On  joint  le 
P-cmamctre  avec  l'Hexamètre,  afin  que  la  force  de 
Tim  foûtienne  la  foibleffe  de  l'autre.   L'ïambe  eft  fi 
tîic,  que  la  cadence  du  vers  qui  en  eft  compofé,  n'eft 
pasfouvent  fenfible.  Elle  paife  avec  tant  de  vitefle , 
îtfon  apeineà  dirtinguer  ce  vers  de  la  Profe  ;  C'eil 
pourquoi  on  employé  ce  pied  dans  les  pièces  de 
Théâtre,  dont  le  itile  doit  être  fort  naturel,  & 
peu  différent  de  la  profe. 

"11  eft  facile  de  rendre  la  cadence  du  difcours  dou- 
ce ou  rude.  Pour  la  rendre  douce ,  il  faut  éviter  le 
concours  des  voyelles  qui  caufe  des  vuides  dans  le 
dilcours ,  &  empêche  qu'il  ne  foit  imi  &  égal.  Ce 
concours  de  voyelles,  &  celui  de  plufîeurs  confones. 
Particulièrement  de  celles  qui  font  afpirées ,  ou  qui 
pe  s  accordent  point ,  rendent  le  difcours  raboteux. 
>lï  difcours  rude  convient  aux  chofes  rudes  &  defa- 
K'^bles,  •  Rébus  atrocibus  conveniunt  ver  ha  num 
f'^^alperâ.  Pour  décrire  de  grandes  chofes  il  fout 
^piloyer  de  grands  mots  dont  le  fon  foit  éclatant, 
^%\à\  rempliflent  la  bouche.  La  cadence  du  difcours 
^  doit  être  négligée  ôc  languiflantc,  pourcefujet 
*  QutntUien,  N  il 


»ço      La  Rhétorique  ,  ou  l'Art 

il  eft  à  propos  que  tous  les  termes  dontonfcfciti 
ayent  un  fon  foiblc. 

Plus  les  périodes  font  longues,  Faction  de  la  voix 
cft  plus  forte.  Lorfqu'il  eft  important  de  parler  avec 
douleur ,  les  cxpreflions  doivent  être  courtes  &  cou- 
pées. Si  Fadion  eft  véhémente ,  s'il  eft  befoin  de 
donner  du  poids  à  fes  paroles,  comme  ceux  quife 
veulent  faire  craindre  font  un  grand  bruit ,  il  faut  fc 
fcrvir  de  longues  périodes,  qu'on  ne  peut  prononcer 
fans  prendre  un  ton  plus  ferme  qu'à  l'ordinaire. 

Je  n'en  dis  pas  davantage  :  ce  feroit  abufer  du 
temps  que  de  vouloir  donner  des  règles  plus  parti- 
culières pour  chaque  nombre.  Cela  ne  s'acquiert 
que  par  une  longue  habitude ,  &  par  une  forte  appli- 
cation qui  fait  qu'on  s'anime  en  compofant ,  &  que 
naturellement  on  choiiit  des  termes  rudes  ou  doux , 
qui  conviennent  à  ce  que  l'on  veut  exprimer.  Je  ne 
confeillerois  pas  à  un  Auteur  de  s'opiniâtrer  à  trou- 
ver une  cadence  lîgnificative  avec  les  mêmes  gênes 
gueTon  cherché  une  rime.  Il  eft  difficile  d'y  réuffir: 
)uvent  c'eft  tenter  l'impofTible. 

La  plupart  des  Poètes  femblent  avoir  ignoré  cet 
accord  des  nombres  avec  les  chofes.  Ils  ne  cherchent 
dans  leurs  vers  qu'une  douceur  qui  devient  fede  dans 
la  fuite.  Chez  eux  les  affligez  &  les  jqyeux ,  les  maî- 
tres &  les  valets  parlent  d'un  même  ton.  Un  païfan 
parlera  avec  autant  de  délicatefTe  qu'un  courtifan. 
Cependant  cesPoctes  ont  des  adorateurs  qui  croyent 
fort  favorifer  Virgile  quand  ils  difcnt ,  des  vers  rudes 
&  négligez,  avec  lefquels  il  décrit  les  chofes  baffes , 
qu'il  s'eft  négligé  dans  ceux-là  pour  faire  paroître  la 
douceur  des  autres.  Ils  n'eftiment  pas  cette  cadence 
admirable  de  ces  vers ,  où  il  décrit  le  foible  coup  que 
le  vieillard  Priam  porta  à  Neoptolemus,parce  qu'elle 
cft  foible&languiffante,  comme  elle  le  doit  être. 

Sic  fatus/iniçr  j  ulumfui  mMhfim  i(lu 
Conjtcit»  J'ai 


DB  PARIER.  Lh.JÏL  Cb,XVÎL      19 1 

Pai  honte  d'employer  Tautorité  des  Maîtres  de 
l'Art  pour  les  convaincre  d'une  vérité  qui  n*a  pas 
bdbin  de  preuve.  Ciceron  &  Quintilien  donnent  de 
grandcsloiiangesàceux  qui  accordent  les  nombres 
avec  le  fens.  Les  Hiftoriens  ,les  Poètes ,  &  les  Ora- 
teurs ont  recherché  avec  foin  cette  beauté.  Ulpien, 
dans  les  Commentaires  qu'il  a  faits  fur  les  haran- 
gues de  Demofthcne ,  remarque  que  toutes  les  fois 
que  ce  Prince  des  Orateurs  Grecs  parloit  des  pro- 
grès de  Philippe,  il  arrctoit  le  cours  de  la  pro- 
nonciation de  fon  difcours,  y  faifant  entrer  à  cette 
finjdiifîeurs  particules ,  pour  faire  voir  combien 
Philippe  marchoit  lentement  dans  fcs  conquêtes , 
^9ties  tardas  Phillppi  frogrejjus  voluit  vf! entier e^ 
tirdam  muitis  inttrjeàis  particuiis  oratiomm  facie* 
iit. 

Pour  Virgile,  on  peut  dire  que  c'cft  en  cela 

2u*il,eft  inimitable,  &  qu'aucun  Pocte n'approche 
e  lui.  11  ne  feroit  pas  befoin  d'en  apporter  des 
exemples ,  parce  que  chacun  a  ce  Poète  entre  les 
mains:  néanmoins  pour  vous  faire  remarquer  l'ex- 
cellence de  fes  vers,  je  rapporterai  quelques-uns 
des  plus  beaux  endroits  qui  fe  prefentent  à  ma  me» 
ïftoire.  Lorfqu'il  fait  parler  Neptune  dans  le  pre- 
mier Livre  de  l'Enéide ,  il  donne  à  fes  paroles  une 
cadence  élevée,  majeftueufe,  &  qui  convient  à  ia 
Q)tjefté  de  celui  qu'il  fait  parler. 

Tantane  vos  generts  tenuit  fiducîa  vejlri} 
7«m  eœlum^  terramque  ,  rneû  fine  numini%    ventl 
Mifiere  »  &  tantas  autietts  toUere  moies. 

Remarquer  la  pompe  des  fuivans,  avec  lef- 
^ucls  il  flatte  l'Empereur. 

l^afcetur  pulcbrâ  Trojanus  ortgîne  Cdfar , 
^^ptrhim  Ocâano  »  ftmam  qui  termines  aflrts» 

Ni  îtt- 


29*       La  Rhétorique,  ou  l'Art 

Perfonne  ne  lit  les  vers  aveclefquels  il  décrit  P0I7- 
pheme ,  cet  horrible  &  difforme  Géant,  faiTs  reffen- 
tir  quelque  mouvenaent  d'horreur  &  de  crainte. 

Monjlrum  bârrendum,  infirme,  ingens t  eut  lu* 
men  ademftumi 

comme  auffi  les  fuivans  : 

Tela  inter  média ,  atque  borrentes  marte  Latinos^ 

La  cadence  de  ce  vers,  Procumbit  bumt  bos  %  qui 
tombe  tout  d*un  coup ,  imite  la  chute  de  ce  pe- 
lant animal.  'Celle  de  celui-ci  : 

Quadrupedante  putrem  Joriitu  ^uatit  ungula  cant" 
pum  : 

imite  Tallurc  ou  Tardeur  d'un  cheval  fougueux^ 
Peut-on  mieux  exprimer  la  triftefle  que  par  cette 
cadence  interrompue  , 

O  pater,  ê  bominum,  divùmque  dterna  potejîasl 
O  lux  Dardanu ,  6  fpes  fidijjima  Teucrûm  \ 

Les  vers  fuivans  font  pleins  de  la  douleur  dune 
perfonne  affligée,  qui  regrette  la  perte  de  fon  ami  : 

Te  y  amice^  nequivî  conjpicere»  i^, 
Implerunt  rupes ,  flerunt  RbodopeU  arxes. 

Denys  d'Halicamafle  que  nous  citons  fi  fouvcnt  J 
montre  qu'Homère  lie  ordinaitcment  des  nombres 
propres  à  fa  matière.  11  cite  quantité  de  vers  de  ce 
Poète ,  fur  lefquels  il  fait  fes  reflexions  avec  une 
élégance  dont  vous  pouvez  juger  par  cet  échantil- 
lon.   U  rapporte  ces  vers ,  dans  lefquels  Homese 

fait 


DE  r A R I E R.  Liv. IIL  Cbap, XVII.      293* 

fait  raconter  à  Ulyflc  les  travaux  que  fouflïc  Sify- 
phe  dans  les  Enfers. 

K«c/  fBfi  2i(7r/^«»  Hnlhfj  x^Ttp'  «Ayi*  i/l^^i 
A««#  «vnr  ii')%TKt  mn  Atf^tff.  OdyiT.  /!  I  !• 

Denys  d'Halicamaflc  fait  cette  reflexion  judi- 
cieufe  ëc  élégante; 

Homère ,  continue  cet  habile  Rhéteur ,  fe  fert 
dans  fes  vers  de  voyelles  qui  s'entre-choquent , 
wuyxçHfihtff ,  &  qui  arrêtent  le  cours  de  la  pro- 
nonciation. Pour  exprimer  la  longueur  du  temps 
que  Sifyphe  employé  dans  ce  pénible  travail,  il  fe' 
wrt  de  fyllabes  qui  ont  des  arrêts ,  ^e^yfuiç  Kèf 
iyt(sitSîorfi^tct  ;  pour  fignifier  la  refiltance  de  cette 
pierrqà  caufe  de  fa  propre  pefanteur ,  &  de  la  ren- 
contre des  autres  pierres ,  rlu^  m-nivmu/it  j^  li  fietph 
9j  T»  f*,û24u  Et  afin  qu'on  ne  croyepasquecefoit 
par  hazard  que  les  nombres  répondent  aux  chofes 
dans  ces  vers,  il  montre  comme  la  cadence  des  vers 
fuivans  eft  toute  différente ,  dans  lefquels  il  décrit 
la  chute  de  la  pierre  de  Sifyphe,  &  comme  elle 
roule  du  haut  du> rocher  où  il  l'avoit  portée  avec 
peine.  Cette  cadence  eft  extrémenxent  vite;  ilfem- 
ble  ,  dit-il ,  que  les  mots  a-t^oMsuivuTi  coulent 
&  roulent  avec  la  même  précipitation  que  cette 
pierre.  Cet  Auteur  fait  les  mêmes  remarques  fur 
pluiicurs  paflages  de  Demofthene,  &  montre  que 
jipn  feulement  la  poëfie,  mais  encore  la  profe  eil 

N  3  capable 


M 


'%p4         L*  RHETOUKU'It  OU  L'AxT' 

capable  d'un  cadence  qui  contribue  1  donner  4 
jullcs  idées  des  chofes. 

On  ne  doit  pas  s'imaginer  qu'il  foit  nece^ireen 
traitant  toutes  fortesde  matière, de  l'étudicr  à  ren- 
dre le  Ton  de  fes  paroles  expieflif:  cette  exaâîtqde 
n'ell point  neceffaire  partout ,  mais  feulement  d^ 
quelque  partie  d'un  Ouvrage  qui  elliaplusenvflè', 
K  dans  laquelle  on  veut  toucherplus  vivementfci 
Auditeurs.  Outre  cela ,  cette  cadence  doit  ftrcni- 
lurelle.  Il  n'eft  paspermisdercnvetfcrrordKiia- 
turel,  de  tranfpofer  les  mots,  de  retrancher  quel- 
que exprcffi  on  utile ,  ou  d'en  inférer  d'inutile, pour 
fiire  une  jullccadence.  Quelquepriitqu'aitundif- 
cours  dont  le  nombre  peut  eupriraerleschofesau- 
lantquelesparoles,  on  doitbienfe  donner  de  garde 
de  préférer  cette  beauté  à  une  plus  folide ,  qui  tft 
celle  de  la  jullelTe  du  raifonnement,  &  delaçnn- 
deur  des  penfées.  Notre  efprit  ne  peut  pas  toujoui 
fitre  attentif  à  deux  différentes  chofes  i  la  fois;  c'eft 
pourquoi  il  arrive  fouventquelorfqu'ils'appliquei 
contenter  les  Sens,  il  déplait  à  la  Raifon.  Laplusso' 
ble  partie  du  difcours  cfl  lefensdcs  paroles  qui  en 
eft  1  ame  ;  c'eft  cette  amc  qui  mérite  nos  prûnica 

foies. 


SE  fARtEit.  Liv.  IV  Cbap.  I. 


RHETORIQUE 

0  U 

L'AjVT  DE  PARLER. 

LIVRE    QUATRIE'ME. 


Chapitre   Prs* 
Sttjtt  de  et  ^ualTiénie  Livre.     Des  Jiffen 


Ce  fue  c'tjl  qiieJUle. 


!  fiiht: 


3iOu5  avons  remarqué  que  tousles mots 
1  ne  donnent  pas  la  mcmeidecdescho- 
I  Ces  qu'ils  fijnifient ,  &  que  pour  faire 
!  connoître  la  forme  de  nos  penfées ,  il 
'  falloit  choifir  ceux  qui  reprefentcnt 
en  même  temps  leurs  traits  véritables ,  &  leurs 
couleurs -naturelles;  c'eft-i- dire  qui  réveillent  dans 
l'efprit  des  autres  les  mêmes  idées  &  les  mêmes 
fentimens  que  nous  en  avons.Nous  ferons  connoître 
dans  ce  quatrième  Livre,  que  félon  la  différence 
de  la  matière ,  il  faut  employer  une  manière  d'é- 
crire particulière,  8f  que  comme  chaque  chofe  de- 
mande des  paroles  qui  lui  conviennent,  auffi  un 
fujet  entier  requiertuBlUlcquiluifoit propre.  Les 
N  4  règles 


'i<}6       La  RHÈTôntQuï,  ou  l'Art 

règles  que  nous  avons  données  de  rélocution  ci- 
deflus ,  ne  regardent ,  pour  ainlî  dire ,  que  les  mem- 
bres du  difcours.  Ce  que  nous  allons  enfeiper  en 
regarde  tout  le  corps. 

Stile,  dans  fa  première  iigniiîcation,  fe  prend  pour 
une  efpecc  de  poinçon  dont  les  Ancien^le  fervoient 
pour  écrire  fur  Técorcc,  &  fur  des  tablettes  cou- 
vertes de  cire.  Pout  dire  quel  eft  l'Auteur  d'une 
telle  écriture,  nous  difons  que  cette  écriture  eft  de 
la  main  d'un  tel  :  les  Anciens  difoient ,  c'cft  da 
ftile  d'un  tcL  Dans  la  fuite  du  temps  ceimotdcfti- 
le  ne  s'eft  plus  appliqué  qu'à  la  manière  de  s'ex- 
primer :  quand  on  dit  qu'un  tel  difcours  eft  du 
îtile  de  Ciceron ,  on  entend  que  Ciceron  a  coutume 
de  s'exprimeï  de  cette  manière. 

C'eft  une  choCê  admirable  que  chaque  homme 
en  toutes  chofes  a  des  manières  qui  lui  font  parti- 
culières dans  fon  port,  dans  fes  geftcs,  dans  Ibn 
marcher.  C'eft  un  effet  de  fa  liberté ,  de  ce  qu'il 
fait  ce  qu'il  veut,  &  qu'il  n'eft  pas  déterminé 
comme  les  animaux  quiagilfcnt  également, parce 
que  c'eft  une  même  nature  qui  les  fait  agir.  On 
voit  donc  que  chaque  Auteur  doit  avoir  dans  fes 
paroles  ou  dans  i^ts  écrits  un  caraélere  qui  lui  eft 
propre  &  qui  le  diftingue.  Il  y  en  a  qui  ont  des 
manières-  plus  particulières  &  plus  extraordinaires, 
mais  enfin  chacun  a  les  fiennes. 

Le  fujet  de  ce  quatrième  Livre,  commcjcfti 
dit,  eft  le  choix  d'un  ftile  qui  convienne  à  la 
jiwtiere  que  l'on  traite  :  Quel  doit  être  le  ftik 
d'un  Orateur ,  d'un  Hiftorien ,  d'un  Poète  qui  veut 
plaire ,  &  de  celui  qui  inftruit.  Mais  avant  que 
de  déterminer  avec  quel  ftile  il  faut  traiter  chaque 
chofe,  j'ai  cru  qu'il  neferoitpas  inutile  de  recher- 
cher les  caufes  de  cette  différence  qui  fe  remarque 
dans  les  manières  dont  s'expriment  les  Auteur 
Quoiqu'ils  parlent  la  même  langue ,  qu'ils  écriwnt 

fis 


»i  pauler.  Liv.  ly,  Cbaf,  IL        297 

ftir  les*  menues  matières,  &  qu'ils  tâchent  de  pren* 
dre  le  même  ftile ,  chaeut  a  une  manière  qui  le 
caraéterife.  Les  uns  font  diffus,  &  quelque  retenue  • 

Sn'ils  affeélent ,  on  pourroit  retrancher  la  moitié 
e  leurs  paroles^  fans  faire  tort  au  fens  de  leurs 
difcours.  Lesautresfontjecs', pauvres,  fteriles;  & 
quelque  eflfort  qu'ils  faffènt  pour  revêtir  les  cho- 
ies, ils  les  laiflcnt  demi-nues.  Il  y  eu  a  dont  le 
ftile  eft  fort,  les  autres  font  languiffans  :  les  uns 
font  rudes,  les  autres  font  doux.  Enfin  comme  les 
vifages  font  differens,  les  manières  d'écrire  le  font 
auffi;  c'eft  de  cette  différence  dont  nous  allons 
rechercher  la  caufe. 


C  H  A  F  r  T  »   E      II. 

tes  quaittez»  du  fit  le  de  chaque  Auteur  dépendent 

de  celles  defon  imagination  t  de  fa  mémoire , 

&  de  fin  effrit. 

LOrfqueles  objets  extérieurs  frappent  nos  fens?; 
le  mouvement  que  ces  objets  y  excitent,  fe 
communique  par  le  moyen  des  nerfs  jufques  au 
centre  du  cerveau,  dont  la  fubftance  molle  re-: 
çoit  par  cette  impreffion  de  certaines  traces.  L'é- 
troite îiaifon  qui  eft  entre  l'ame  &  le  corps, -fait 
que  les  idées  des  chofes  corporelles  font  liées- avec 
ces  traces;  de  forte  quelorfque  les  traces  d'ua  ob- 
jet, par  exemple  celles  du  Soleil,  font  imprimées 
dans  le  cerveau ,  l'idée  du  Soleil  fe  prefenteà  l'ame  j- 
&  toutes  les  fois  que  l'idée  du  Soleil  fe  prefente  à 
Famé,  ces  traces  que  caufelaprefencedecetAftrfe- 
fe  r'ouvrent.  Nous  pouvons  appeller  ces  tracés  les 
images  des  objets.  La  puiffance  qu'a  l'ame  de  for- 
mer fur  le  cerveau  les  images  des  chofes  qu'on  a 
tmc  fois  apperjûë^,  s'appelle  imagination  ;  &  ce 

N  5      ^  mot 


298      La  Rhetoriqjje,  ou  l*Art 

mot  fignifie  en  même  temps  &  cette  puifTance  de 
Tame ,  &  ces  images  qu'elle  forme. 

Les  qualitez  d'une  bonne  imagination  font  fort 
ncceflaires  pour  bien  parler  :  car  enfin  le  difcours 
n'eft  rien  qu'une  copie  du  tableau  que  Tefpiit  fc 
forme  des  chofes  dont  il  doit  parler.    Si  ce  tableau 
cft  confus ,  le  difcours  ne  peut  être  que  confus.  Si 
l'original  n'eii  pas  reflemblant,  la  copie  ne  le  peut 
être.  La  forme,  la  netteté,  le  bon  ordre  de  nos 
idées  dépend  de  la  netteté  &  de  la  diftinélion  des 
traces  que  font  les  impreffionsdes  objets  fur  le  cer- 
veau.   S'il  eft  propre  pour  recevoir  ces  traces ,  on 
fe  forme  fans  peine  les  images  des  chofes  aufquel- 
les  on  penfe;  ainfi  on  en  parle  aifément,  comme 
les  ayant  devant  les  yeux.    C'efl:  ce  qui  s'appelle 
avoir  une  imagination  vive.  Ceux  en  qui  elle  fe 
trouve  peuvent  faire  des  peintures  vives  &  natu- 
relles de  ce  qu'ils  s'imaginent,  qui  font  des im- 
preffions  prefque  auflî  fortes  que  la  vue  des  cho- 
Us  mêmes.    L'imagination  eft  proprement   ne- 
cefTaire  à  ceux  qui  traitent  des    chofes  fenfibles 
comme  à  un  Poëte ,  dont  une  des  qualitez  eft 
d'être  ce  que  les  Grecs  appellent  « tf^«i»T«ai«T^ , 
homme  dlmagination.    On  ne  peut  donc  douter 
que  la  qualité  du  ftile  ne  dépende  de  la  qualité  de 
l'imagination.    Tous  les  hommes  n'imaginent  pas 
de  la  même  manière  :  la  fubftance  du  cerveau 
H*a  pas  les  mêmes  qualitez  dans  toutes  les  têtes  : 
c'eft  pourquoi  l'on  ne  doit  point  s'étonner  û  les 
manières  de  parler  de  chaque  Auteur  lui  font  par- 
ticulières. 

Les  mots  que  nous  lifons  ou  que  nous  en- 
tendons ,  laiflent  auffi-bien  leurs  traces  dans  le 
cerveau,  que  les  autres  objets.  Ainfi,  comme 
ordinairement  on  penfe  aux  mots  6c  aux  cho- 
fes en  même  temps ,  les  traces  des  mots  &  des 
cbofcs  qui  ont  été  ouvertes  de  compagnie  plu- 

fieurs 


MOMfa 


DB  PAUL  St.  LhuIV,  Cbap.IH.      ij^ 

fleurs  fois ,  fc  lient  ;  de  Tortc  que  les  chofcs  fe 
reprefentent  à  refprit  avec  leurs  noms.  Lorfque 
cela  arrive  ,  on  dit  que  la  mémoire  eft  heu- 
reufe ,  &  fon  bonheur  ne  coniifte  que  dans  cette 
facilité  avec  laquelle  les  traces  des  mots  &  celles 
des  chofes  avec  qui  elles  font  liées ,  s'ouvrent 
en  même  tems ,  c*eft-à-dire  que  le  nom  de  la 
chofe  fuit  la  penfée  que  Ton  en  ».  Lorfque  la 
mémoire  n*eft  pas  fidèle  à  reprefenter  les  ter- 
mes propres  des  chofes  qu'on  lui  avoit  confiées, 
l'on  ne  peut  parler  jufte.  L'on  eft  ^obligé  de  fe 
taire ,  ou  de  fe  fervir  des  premiers  mots  qui 
fe  rencontrent,  quoiqu'ils  ne  foicnt  pas  faits  pour 
exprimer  ce  que  l'on  eft  preffé  de  dire.  Les  ex- 
preffions  hcureufes  &  juftes  font  l'effet  d'une  bon- 
ne mémoire. 

Enfin  il  eft  conftant  que  les  qualitez  de  l'efprit 
font  caufe  de  cette  différence  que  Ton  remarque 
entre  tous  les  Auteurs.  Le  difcours  eft  l'image 
de  refprit  :  on  peint  Jfqn  humeur  &  fes  inclina- 
tions dans  fes  paroles  Tahs  que  l'on  y  penfe.  Les 
efprits  étant  donc  fi^  differéhs ,  quelle  merveille 
que  le  ftile  de  chaque' Auteur  ait  un  caractère  qui 
le  diftingue  de  tous  lés  autres ,  quoique  tous  pren- 
nent leurs  termes  &:  leurs  -expreffions  dans  Tufage 
commun  d'une  même  langue? 

■/ 

j_     ■--         -^— ^^^— ^-^— —  ■  _-■     -     ^.  ^  iii    I     r  -  I  I         ■    -    — 

t  9 

Chapitre     III. 

Qualhez    àe    la    fuh fiance    du    cerveau  ,    6^  det 

efprits  animaux  ,  necejfa'tres  pour  faire 

une  bonne  imagination, 

DAns  l'imagination  il  y  a  deux  chofes  i  la  pre- 
mière eft  matérielle-,  la  féconde  eft  fpirituel- 
le.   La  matérielle  ce-  font  ces  traces  caufécs  par 

N  6  rim- 


•joè      La  RhitoriO-VI,  ou  L'Airr 

rimprcûîon  que  font  les  objets  fur  le&  fens  j  h 
fpirituelle  eft  la  perception  ou  connoiflancc  que 
1  ame  a  de  ces  traces ,  ôc  la  puifTance  qu'elle  a  et 
les  renouveller  ou  ouvrir  quand  elles  ont  été  fai- 
tes une  fois.  Il  n*eft  queuion  ici  que  de  la  par- 
tie matérielle  ;  je  ne  puis  expliquer  éxa<fteniciit 
ces  tracesr  fans  m'engager  dans  des-  difcuifions 
philofophiques  dont  mon  fujet  m'éloigne:  je  di- 
rai feulement  que  ces  traces  font  faites  par  lc$ 
efprits  animaux  quir  font  la  partie  du  fang  la  plus 
pure  qui  monte  en  forme  de  vapeur ,  du  cœurau 
cerveau.  Ces  efprits  font  indéterminez  dans  leurs 
cours  :  lorfqu'un  nerf  eft  tiré ,  ils.  fuivcnt  fou 
mouvement,  &  ç'eft  par  leur  cours  qu'ils  tracent 
différentes  figures  fur  le  cerveau  ,  félon  que  les 
nerfs  font  différemment  tirez.  De  quelque  mar 
niere  que  cela  fc  faffe ,  il  clt  confiant  que  la  net- 
teté de  l'imagination  dépend  du  tempérament 
de  la  fubilance  du  cerveau^,  &  d^.Ia  qualité  des 
efprits.  animaux. 

Les  figures  que  l'on  décrit  fur  la  furiàcc  de 
Teau  n'y  laifTent  aucun  vellige;  les  traces  qu'elles 

Îr  font  étant  aufïi-tôt  remplies.  Celles  aulii  que 
'on  grave  fur  le  marbre  font  ordinairement  im- 
parfaites à  caufe  de  la  rcfillance  que  trouve  le 
cizeau  fur  la  dureté  de  cette  matière.  Cela  nous 
fait  connoître  que  la  fubftance  du  cerveau  doit 
avoir  de  certaines  qualitez ,  fans  lefquelks  elle  ne 

F  eut  recevoir  les  images  exades  des  chofes  que 
ame  imagine.  Si  le  cerveau  ell  trop  humide,  & 
que  les  petits  filets  qui.  le  compofcnt  foient  uop 
foibles ,  ils  ne  peuvent  conferver  les  plis  que  les 
efprits  animaux  leur  donnent  ;  c'efl  pourquoi  les 
images  qui  y  font  tracées  font  confufes ,  &  fem- 
blables  à  celles  que  l'on  tâche  de  former  fur  ht 
fange.  S'il  efl  trop  fec  ,  &  que  les  filets  foient 
uop  durs ,  il  eu  impoffible  que  tous  les  traits  des 

objelt 


M  p  A  R I S  R.  Ltv,  IV.  Cbap.  ///.       301: 

objets  y  foicat  imprimez:  ce  qui  fait  que  toutes 
chofes  paroiflent  maigres  à  ceux  qui  ont  ce  tem- 
pérament. Je  ne  parle  point  des  auires  qualitezda 
cerveau,  de  fa  chaleur,  de  fa  froideur  :  quand  il' 
eft  chaud ,  les  efprits  animaux  le  remuent  plus  fa- 
cilement: fa  froideur  rallentit  le  feu  de  leur  cours, 
elle  fait  que  l'imagination  eft  pefante,&  qu'on  ne 
peut  rien  imaginer  qu'avec  peine. 

Les  efpriis  animaux  doivent  avoir  ces  trois  qua- 
litez^ils  doivent  être  abondans ,  chauds,  &  égaur 
dans  leur  mouvement.  Une  tête  épuifée  d'elpritr 
animaux  eft  vuidé  d'images ,  Tabondance  des  ef- 
prits rend  l'imagination  féconde;  les  veftiges  que* 
tracent  ces  efprits  par  Icuiî  cours  étant  larges,  pen- 
dant que  la  fom-ce  qui  les  produit  n'eft  point  épui- 
fée ,  on  fe  reprefente  facilement  toutes  chofes ,  & 
fous  une  infinité  de  faces  qui  fourniffent  une  am- 
ple matière  de  parler.  Ceux  oui  n'ont  point  cette 
fécondité  que  l'abondance  des  efprits  animaux 
entretient,  font  ordinairement  fecs.  Comme  les 
chofes  ne  s'expriment  que  foiblement  fur  le  fiege 
de  leur  imagination ,  elles  leur  paroiifent  maigres^, 
pentes ,  décharnées.  Ainfi  leur  difcoui  s  qui  n'ex- 
prime que  ce  qui  fe  pafle  dans  leur  intérieur,  eft 
fec,  maigre  &  décharné.  Les  premiers  font  grands 
caufeurs ,  ils  ne  parient  que  par  hyperboles  ,  tou- 
tes les  chofes  leur  paroiflent  grandes.  Le  difcours 
des  derniers  eft  fimple  &  bas;  l'imagination  des 
premiers  groflit  les  chofes ,  celle  des  derniers  les 
rétrécit,, 

Lorfque  la  chaleur  fe  trouve  avec  Tabondantre , 
que  les  efprits  animaux  font  chauds,  prompts,  8c 
en  grande  quantité  ;  la  langue  n'eft  point  aiTez 
prompte  pour  exprimer  tout  ce  qui  eft  reprefente 
dans  l'imagination  ;  car  outre^  que  la  première 
qualité  fait  que  les  images  des  chofes  font  tracées 
Cans  toute  leur  étendue;  la  féconde  qualité  qui  eft 
*^       •  N  7  lai 


301       La  RiHiTOKiQus,  ou  l*A»t 

la  chaleur ,  rendant  les  efprits  animaux  vi6  &  l^crs^ 
rimagination  eft  pleine  dans  un  inftant  de  diffc- 
rentes  images.  Ceux  qui  poffedent  ces  deux  quali- 
tés ,  fans  méditation  trouvent  fur  le  champ  plus 
de  chofes  fur  un  fujet  qu  on  leurpropofc,  que  les 
autres,  après  avoir  médité  long-temps  fur  ce  mê- 
me fujet.  Un  efprit  froid  ne  peut  remuer  fon  imagi- 
nation qu'avec  des  madhines.  L'expérience  fait  con- 
noître  que  le  défaut  de  chaleur  eft  un  grandobfta- 
de  à  Teioquence.  Dans  une  violente paflion,  lorf- 
que  les  efprits  animaux  font  extraordinairement  re- 
muez 9  les  plus  fecs  parlent  avec  facilité ,  les  plus 
fteriles  ne  manquent  point  de  paroles,  &  cette  di- 
verfité  d'images  dans  lefquelles  le  fiege  de  l'ima- 
gination fe  métamorphofe ,  pour  ainfi  dire  ^  aufe 
une  agréable  variété  de  figures  6c  de  mouvemeos 
qui  fuivent  ceux  de  l'imagination. 

Afin  que  l'imagination  foit  nette  &  fans  confo- 
fion,  le  mouvement  des  efprits  animaux  doit  être 
égal.  Lorfque  leur  cours  efl  déréglé ,  qu'ils  font 
tantôt  lents  dans  leur  mouvement,  tantôt  vîtes, 
les  images  qu'ils  tracent  font  fans  proportion,  com- 
me il  arrive  à  ceux  qui  font  malades ,  6c  dont  la 
maladie  conlifte  dans  un  mouvement  dérègle  de 
toute  la  maife  du  fang.  Ceux  qui  font  gais ,  & 
d'un  tempérament  fanguin ,  s'expriment  a vecàd- 
litc  &  avec  grâce.  Dans  ce  tempérament  les  efprits 
animaux  ont  un  mouvement  prompt  &  égal;  ainfi 
leur  imagination  étant  nette ,  leur  difcours  qui  eft 
une  copie  des  images  qui  y  font  tracées ,  eft  nécei&i- 
rement  net  6c  diltinét. 


Cma- 


«B  paklee.  Lh.  IV»  CBétf.  ly.       30] 


L; 


Chapitrb     IV. 

"De  ce  qui  rend  la  mémoire  beureufe. 

A  bonté  de  la  mémoire  dépend  de  la  nature 
&  de  rexercicc.  Puifqu'elle  ne  confifte  que 
dans  la  facilité  avec  laquelle  les  traces  des  objets 
que  Ton  a  apperçûs  fe  renouvellent  ;  elle  ne  peut  par 
confcquent  être  neureufe ,  fi  la  fubftance  du  cerveau 
n'eft  propre  à  recevoir  les  traces  des  chofes ,  &  à  les 
conferver,  &  fi  ces  traces  qui  ne  peuvent  pas  tou- 
jours être  ouvertes ,  ne  fe  rouvrent  facilement. 
L'exercice  donne  de  la  mémoire  ;  chaque  chofe 
fe  plie  facilement  du  côté  qu'on  la  plie  fouvent  ; 
aum  les  filets  du  cerveau  s'endurciflent ,  pourainfi 
dire,  8c  Ton  fe  rend  incapable  d'apprendre  par  mé- 
moire ,  fi  Ton  ne  prévient  cet  endurciflcment  en  les 
pliant  fouvent,  c'eft-à-dire  en  répétant  fouvent  ce 
que  Ton  a  appris ,  &  tâchant  tous  les  jours  d'ap- 
prendre quelque  chofe  de  nouveau.  Il  eut  remplir 
fa  mémoire  de  termes  propres ,  &  faire  que  la 
liaifon  des  images  des  chofes  &  de  leurs  nomsfoit 
fi  étroite  ,  que  les  images  &  lesexpreifionsfepre^ 
fentent  de  compagnie.  Un  excellent  homme  z, 
dit  que  la  mémoire  étoit  comme  une  Imprimerie.. 
Un  Imprimeur  qui  n'a  que  des  caraéleres  Gothiques, 
n'imprime  rien  qu'en  caradlere  Gothique ,  quelque 
bel  ouvrage  qu'il  mette  fous  la  prefle.  On  peut  dire 
de  même,  que  ceux  qui  n'ont  la  mémoire  pleine 
que  de  mauvais  mots,  n'ayant  dans  l'efprit  que, 
des  moules  Gothiques,  leurs penfées,  enferçvê-^/ 
tant  d'expreffions ,  prennent  toujours  un  air  Qi^ 
thique. 

C'eft  pour  cela  que  les  perfonncs,  de  qualité 
parlent  bien.  Ils  vivent '&  convçrfentivecdespcr- 

ion- 


;o4     La'  RhitoricL^s,  ov  i:'A«.t 

(bnnes  d'efprit»  qui  s'appliquent  à  ne  dire  aucun 
mot  qui  ne  foit  du  bel  ulage.    Comment  donc  en 
diroient-ils  de  méchans  qu'ils  ignorent,   ou  s'ils 
les  ont  entendus ,  c'eft  fi  rarement ,  qu'ils  les  ont 
oubliez  ?  La  même  chofc  arrive  à  ceux  qui  ne  li- 
fent  que  de  bons  Livres ,  à  qui  la  mémoire  ne  prc- 
fente  que  des  termes  purs.    Les  enfâns  parient  la 
langue  de  leur  pcre  &  dcleurpaïs,  qu'ils  appren- 
nent entendant  parler.  En  lifant  les  Auteurs  on  ap- 
prend leur  langue;  mais  fi  on  s'attache  également 
a  plufieurs  qui  aient  vécu    en  difFerens  fiedcs, 
comme  chaque fiecle  a, pour  ainfîdire.  falangnc, 
on  fe  forme  un  ftile  bigarré  qui  n'eft  d'aucun  fic- 
elé. Ceft  ce  qu'on  reproche  à  Erafme ,  qui  ayant 
beaucoup  lu ,  &:  conier\'é  dans  fa  mémoire lescx- 
preffions  qu'il avoit  lues ,'  il  s'en  eft  fait  un  ftile  mêlé, 
qui  n'eil  pas  toujours  pur.    Heureux  neanmoini 
celui  qui  peut  auffi  bien  écrire  qu'il  le  fait.  Ce  que 
j'ai  voulu  dire  ici ,   c'eft  qu'il  ne  fuffit  pas  de 
confervcr  en  fa  mémoire  les  phrafes  ou  manicrei 
de  parler  délicates  qu'on  a  lues  ou  entendues  de 
tous  cotez.    Nous  l'avons  déjà  dit,  qu'un ftilede 
phrafes  ne  vaut  rien  ;  qu'il  faut  imiter  èes  abeilles, 
qui  des  difi^erensfucs  qu'elles  cueillent  fur  les  fleurs, 
en  compofent  leur  miel,  liqueur  fimple;  de  même 
que  la  nature  forme  le  chrie  de  dinerens  alimcns 
qu^elle  digère.    Sans  cela  ces  différences  ledures 
qu'on  fait  feront  non  feulement  inutiles ,  maif  mê- 
me nuifibles,  comme  le  dit  Scneque.    Afesà* 
btmus  imturi ,    é*  qutcumque  ex  diverfii  congf^ 

fimus  feparare deinde   adbibitâ  ingenii  «•• 

Jîri  cura  &  facu/tate  ,  sn  unum  Japorem  varié 
iila  libaments  confundere  :  ut  etiam  ft  afparutr'n 
vnde  fumptum  fit  ,  aliud  tamen  ,ejje  quàm  unit 
fumptum  eft  ,  appareat,  Quod  in  corpore  nofin 
vîdemus  fine  ul/a  opéra  nojlra  facere  naturétm, 
Mmenta  qu4S  accepimus  ,    quêndiu    in  fus  quâff 

Utê 


m  PAR  Lin.   Liv.IK  Chef.   V.  3or^ 

UU  perdurant  ,  é^  foUda  iniuttant  'JUmacbo  ^ 
0nera  funt  :  at  cùm  §x  eo  quod  trttnt ,  mutât  a 
funtt  tune  demùm  in  vires  &  in  fânguinem  trun^ 
feunt.  Jdem  bis^  quitus  a/untur  ingenis ,  prdfiemust 
ut  qudcumque  baufimus ,  non^  patiamur  intégra  ejfe  t 
ne  aliéna  fint. 


Chai^xtri    V. 
Qualitez  de  l'efprit  neceff aires  pour  l^éUquencev 

CE  qpe  nous  venons  de  dire  ne  regarde  aue  les- 
organes  corporels  ;  les  qualitez  de  lefprit 
font  plus  corifiderables  &  plus  importantes.  Ceft 
la  Raifon  qui  doit  régler  les  avantages  de  la  na^ 
ture ,  qui:  font  plutôt  des  défauts  que  des  avanta- 
ges à  ceux  qui  ne  favent  pas  s'en  fervir.  Ce- 
lui qui  a  riraagination  féconde  ,  mais  qui  ne: 
Ciit  pas  fiiire  le  choix  de  fes  richeffes ,  le  perd 
&  s'égare  dans  de  Jongs  dîfcours.  Parmi  la  mul- 
titude des  chofcs  qu'il  dit,  il  y  en  a  quantité  de 
mauvaifes  :  &  les  bonnes^  font  étouffées  par  le 
grand  nombre  de  celles  qui  rie  vallent  rien.  S*il 
a  de  la  chaleur  avec  cette  fécondité,  &  s^il  fuit 
le  mouvement  de  fa  dialeur,  il  tombe,  dans  une: 
infinité  d'autres  défauts;  fon  difcours  eft  un  tilTa 
perpétuel  de  figures  :  il  ne  parle  jamais  fans  paf* 
fion,  mais  prefque  toujours  fans  raifon.  Etant 
prompt  ôc  chaud,  les  plus  petites  chofes  l'exci- 
tent., &  lui  font  prendre  feu*  Sans  avoir  égard 
à  la  bien-féance;  tfans:  confiderer  fi  la  ,chbfe  le 
mérite.;  il  entre  en  fureur;  il  fe  laiffe  emporter  à 
k  fougue  de  fon  imagination,  dont  fes  paroles 
peignent  le  dérèglement  &  l'extravagance. 

Pour  acquérir  la  perfeébon  fouveraine  de  Mo- 
quence  ,  il  faut  que  Fefprit:  foit  doiié  de  ces 

uoi» 


5o6      La  RHETfoRi^ui,  ou  l'Art 

trois  qualités  ;  la  première  (eft  une  capacité ,  on 
une  étendue  d'efprit  qui  fait  qu'on  découvre  fur 
le  fujet  qui  eft  propofé,  tout  ce  qui  fe  peut  dire 
avec  abondance.  Un  efprit  borné  eft  incapable 
4e  donner  à  une  matière  l'étendue  qui  lui  eft  ne- 
ceffaire. 

La  féconde  qualité  confifte  dans  une  certai- 
ne délicateflc  ,  une  certaine  vivacité  qui  entre 
d'abord  dans  les  chofes  ,  qui  les  aprofondit  , 
&  en  éclaire  tous  les  recoins.  Ceux  qui  ontl'ef- 
prit  pefant  &  groffier  ne  pénètrent  pas  dans  les 
replis  d'une  affaire ,  ils  n'en  voient  que  le  gros  ; 
ainfi  ils  ne  peuvent  qu'effleurer  la  furface  des 
chofes. 

La  troifiéme  qualité  eft  ,1a  iuftefTc  de  refprit , 
c'eft  elle  qui  règle  toutes  les  autres  qualitei ,  foit 
de  l'efprit ,  foit  de  l'imagination.  Un  efprit  juftc 
choifit  ;  il  ne  s'arrête  pas  à  tout  ce  que  fon 
imagination  lui  prefente;  il  fait  le  difcernement 
de  tout  ce  qui  fe  doit  dire ,  &  de  ce  qui  fe  doit 
-taire.  Il  n'étend  pas  les  chofes  félon  la  gran- 
deur de  leurs  images  ;  il  amphfie  ou  abrège  fon 
difcours,  félon  que  la  chofe  &  le  bon  fens  le 
demandent.  Il  ne  fe  fie  pas  à  fes  premières  idées  ; 
il  juge  fi  les  chofes  font  auffi  grandes  qu'elles 
lui  paroilfent ,  &  choifit  des  exprefCons  qui  leur 
conviennent ,  fclon  la  lumière  de  la  Raifon ,  & 
non  pas  fdon  le  rapport  de  fon  imagination, 
qui  fouvent  eft  fembiable  à  ces.  verres  qui  font 

Êaroître  les  objets  plus  grands  qu'ils  ne  leiforit. 
.  l'arrête  lorfqu'elle  eft  trop  légère  :  il  l'excite  , 
.  il  l'échauffé  lorfqu'éUe  eft  trop  ffoide:  en  un  mot, 
il  ufe  bien  des  avantages  que  la  nature  lui  t 
donnez;  il  les  perfeétionne;  &  fi  elle  ne  lui  i 

Sas  été  favorable ,  il  combat  fes  défauts ,  &  tâche 
clés  corriger. 

Lcsbonncs  qualitcz  de  l'efprit  ne fc rencontrent 

pas 


DE  PARLER.    Liv.IV,  Chef.  V.  307 

pas  toujours  avec  celles  d*une  bonne  imagination, 
&  celles  d'une  mémoire  heureufe;  ce  qui  met  une 
différence  très-grande  entre  parler  &  écrire.  Sou- 
vent ceux  qui  écrivent  bien ,  lorfqu*on  leur  donne 
du  temps  pour  penfer ,  parlent  mal  fi  on  les  obli- 
ge de  parler  fans  préparation.  Pour  écrire  il  lï'eft 
pas  befoin  d'une  imagination  fi  féconde ,  fi  chaude 
&  fi  prompte.  Quand  on  a  un  génie  qui  n'eft  pas 
entièrement  malheureux  ,  en  méditant  ferieufe- 
menr  on  trouve  ce  que  Ton  doit  &  ce  que  l'on 
peut  dire  fur  un  fujet  propofé.  Ceux  qui  parlent 
avec  facilité ,  fans  préparation',  reçoivent  cet  avan- 
tage d'une  imagination  abondante  &  pleine  de  feu, 
lequel  feu  s'éteint  &  fe  rallcntit  dans  le  repos  Ôc 
dans  la  froideur  avec  laquelle  on  compofe  ime 
pièce  dans  un  cabinet. 

Les  qualitez  de  l'efprit  font  préférables  à  celles 
du  corps  :  l'éloquence  de  ceux  qui  ont  ces  der- 
nières qualités,  eft  comme  un  grand  feu  de  poudre 
à  canon,  qui  paffe  en  un  moment.  Cette  éloquen- 
ce fait  du  bruit  d'abord,  elle  éclate,  mais  auflî- 
tôt  on  n'en  parle  plus  ;  au  contraire  un  ouvrage 
compoic  avec  jugement,  conferve  fa  beauté,  8c 
plus  il  eft  lu,  plus  il  eft  admiré,  comme  rremar- 
que  Tacite  au  fujet  d'un  certain  Halerius  qui  fut 
célèbre  pendant  fa  vie ,  mais  dont  les  écrits  n'eu- 
rent pas  le  même  fuccès  que  fa  perfonne ,  parce 
qu'ayant  plus  de  feu  d'imagination  aue  dejufteffe 
d'efprit;  ion  talent  étoit  de  parler  lur  le  diamp, 
&  non  pas  d'écrire.  Un  Ouvrage  folide  &  travaillé, 
dit  Tacite,  vit  dans  l'eftime  des  hommes  après  la 
mort  de  fon  Auteur  :  la  douceur  &  l'éclat  de  l'é* 
loquence  d'Halerius  s'éteignit  avec  lui  :  Quîntus 

Halerius eloquentU  quoad  vixit  oclebrutétf 

montmenta  ingenii  ejus  bnud  ferinde  retinentur. 
ScUicet  impetu  magis  quàm  cura  vigebat  :  tttqut  mC' 
tfitafio  aliorum  &  Mûr  in  fffiirum  vêUfcii  ,  /c 


3oS       La  RHiTom^ut,  ou  l'Art 

Malerii  canorum  illud  &  pr»fiuens  cumipfojimulex" 
iinéium  efi, 

„  Il  y  adesefpritsd-unordrefupericur,  qui  ont 
„  une  élévation  naturelle ,  nourris  au  Grand  >  pleins 
^  &  enflez,  d'une  certaine  fierté  noble  &gencrcufe, 
„  comme  parle  le  Traduéteur  de  Longin.  L'élcva- 
,>  tiond'efprit,  dit-il,  eft  une  imagede  la  grandeur 
,,.  d'ame  ;  &  c'eft  pourquoi  nous  admirons  quelque  • 
„  fois  la  feule  penfée  d'un  homme,  encore  qu'Û  ne 
„  parle  point .  à  caufe  de  cette  grandeur  de  courage 
,»  que  nous  voions.  Par  exemple,  le  filence  d*  Ajax 
y^  aux  Enfers ,  dans  l'Odyffée  :  car  ce  filencc  a  je  ne 
)j  fai  quoi  de  plus  grand  que. tout  ce  qu'il  auroit 
M  pu  dire. 

„  La  première  quaKtéqu'ii  faut  donc  fuppoferen^ 
n  un  véritable  Orateur,  c'eft  qu'il  n'ait  point  l'ef- 
»>  prit  rampant.  En  effet,  il  n'eft  pas  noffiblc 
s»  qu'un  homme  qui  n'a  toute  fa  vie  que  àcsfen- 
t%  timens&des  inclinations  baffes  8c  ferviles,  puifTe 
M  jamais  rien  produire  qiri  foit  fort  merveilleux  » 
^  ni  digne  de  la  pofterité.  Il  n'y  avrai-femblable- 
y^  ment  que  ceux  .qui  ont  de  hautes  8c.dc  fdidcs 
>^  penfées  qui  puiffcnt  faire  des  difcours  élevez  ;  8c 
„  c'eft  particulièrement  aux  Grands  Hommes  qu'il 
„  échappe  de  dire  des  chofes  extraordinaires.  Voiez, 
„  par  exemple,  ce  que  répondit  Alexandre  quand 
„  Darius  lui  fit  offrir  la  moitié  de  l'Alîe  avec  fa 
„  fille  en  mariage.  Pour  moi,  lui  difoitParme- 
»  nion,  /i  j^éfois  Alexandre  y  jlaccepterois  ces  of- 
»»  jres.  Et  moi  aujji^  répliqua  ce  Prince  yfi'fétois 
,,  Parmtnion,  N*eft-il  pas  vrai  qu'il  falloir  être 
„  Alexandre  pour  faire  cette  réponfe  ? 

„  Et  c'eft  en  cette  partie  qu'a  principalement 

^excellé  Homère,  dont  les  .penfées  font  toutes 

^  fublimes ,  comme  on  le  peut  voir  dans  la  def- 

^.  cription  de  la  Déeffe  Difcorde.  quia,  dit-il, 

i>  La  tête-  dâm  kt  QUun  ^  it  les  pifdsfurla  terre. 

Car 


«B  VAULSIL.  Lh.  IV.  Chef,  VI.         309 

.;,  Car  on  peut  dire  que  cette  grandeur  qu'il  lui 
i,  donne  eft  moins  la  mefure  de  Ta  Difcorde ,  que 
w  de  la  capadtc  &  de  l'élévation  de  rcfprit  d'Ho- 
ir mère. 


Chapitre    VI, 

Le  êTroerfiU  des  ineùnâtims  &  du  tiJi^g* 
ment  drverfifie  le  ftile.  Chaque  per/orme  » 
cbéique  cGmât  m  fin  fiik  qui  lui  eji  parti-» 
tuUer. 

TE  difirours  eft  le  cara(ftere  de  Tamc;  notre 
hupieur  fe  peint  dans  nos  paroles;  &  chacun 
làns  y  pcnfer  fuit  le  (lile  auquel  fcs  difpofitions 
naturelles  le  portent.  Elles  font  toutes  différentes 
dans  chaque  homme  :  c'eft  pourquoi  il  y  a  autant 
4e  difierens  ililes  qu'il  y  a  de  perfonnes  qui  par- 
lent.ou  qui  écrivent.  De  là  vient  encore  <juc  cha- 
que climat  a  une  manière  de  parler  qui  lui  eft 
particulière.  Car,  comme  ordinairement  ceux  qui 
font  d'un  même  païs ,  ont  beaucoup  de  rapport  dans 
kur  tempérament ,  ils  ont  auffi  des  manières  de 
parler  aflci  fcmblables ,  &  conformes  à  ce  tempe- 
tament  qui  leur  eft  commun.  Les  Efpagnols ,  par 
Memple ,  qui  font  tous  graves ,  choinront  bien 
Dlûtôt  des  mots  dont  la  cadence  fera  majcftueufe , 
&  des  expreffions  nobles ,  que  des  mots  doux  & 
languilTans,  &  des  exprcûions  délicates ,  comme 
feroicnt  les  Italiens. 

Les  Orientaux  qui  ont  l'imagination  chaude  Se 
;>leine  d'images,  ne  parlent  que  par  métaphores 
Bc  par  allégories;  parce  que  lorfqu'ils  fe  propo- 
fcnt  de  traiter  quelque  fujct,  auifi-tôt  leur  imagi- 
nation leur  prelcnte  mille  images  qui  ont  du  rap- 
port ï  ce  fiàet,  dont  ils  peuvent  tirer  plufieursmé- 

taplio- 


3T0       La  RniToiii^uiy  ov  l'Art 

taphorcs.  Ainfi  fi  ce  fujct  eftpcufenfible,  comme 
CCS  images  font  fort  vives ,  qu'elles  frappent  for- 
tement leur  cfprit,  &  le  tournent,  pour  amfi  dite, 
vers  elles ,  ils  font  bien  plutôt  portez  à  fc  fcrvir 
du  nom  de  ces  images  avec  lefquelles  ce  fujcta 
rapport,  que  du  nom  propre.  Ils  quittent  dondcs 
expreffions  naturelles,  pour  employer  celles  qui 
font  figurées  ;  c'eft  ce  qui  rend  leur  ftile  obfcur  à 
ceux  qui  n'ont  pas  une  imagination  auffi  prompte 
qu'eux;  car  pour  pénétrer  dans  le  véritable Icni 
de  leurs  paroles,  il  ne  faut  prefque  jamais  confi- 
derer  ce  qu'elles  fignifient  naturellement,  mais  ce 
qu'elles  peuvent  fignifier  prifes  dans  un  fens  mé- 
taphorique qu'il  n'eft  pas  facile  d'apperccvoir , 
parce  aue  les  métaphores  dont  ils  fe  fervent,  font 
tirées  d'objets  qui  ne  nous  frappent  pas  auflivite- 
ment  qu'ils  en  font  frappez  i  ainfi  nous  ne  pouvoni 
pas  découvrir  d'abord  la  liaifon  qu'ils  Ont  avccll 
chofe  qui  efl  le  fujet  du  difcours.  ' 

Cela  fc  remarque  dans  les  Poëfies  que  nous  avons 
des  Orientaux  :  l' Ecriture  fainte  nous  en  fournit  mê- 
me des  exemples  dans  les  Cantiques  de  Salomon. 
Nous  fommes  furpris  d'abord ,  que  ce  Prince ,  en 
décrivant  les  beautcz  defonEpoufe,  compareibn 
vifage  au  côté  de  la  Tour  du  mont  Liban,  qui^^ 
gardoit  la  ville  de  Damas,  &  fes  dents  à  une  trou- 
pe de  brebis  nouvellement  tendues,  quifortcntda 
bain  :  mais  avec  un  peu  d'applicaûon  on  pénètre 
dans  fa  pcnfée ,  &  l'on  apperçoit  qu  en  mêmetcmp! 
qu'il  penfc  aux  beautez  de  fonEpoufe,  il  efl  frap- 
pé des  images  de  ce  qu'il  avoit  vu  de  plus  beau 
La  Tour  du  Liban  fe  prefente  à  fon  imagination, 
qui  faifoit  une  face  extraordinaire  ment  beUe  du  cô- 
té de  Damas;  il  eil  frappé  de  la  blancheur  des  brcWJ 
oui  fortent  du  bain ,  &  qui  commencent  à  fe  revêtir 
a  une  nouvelle  toifon.  Les  Septentrionaux  n-ontj»J 
tant  de  feu  :  leur  imagination  ne  reçoit  pas  une  fi 

grande 


AB  PARtlii.  Liv.  IV.  Cbâf.  VL       31X 

grande  variété  d'images.  Quand  ils  pcnfcnt  à  un 
fujet,  ils  en  font  occupez;  ainfi  s'ils  le  fervent  de 
métaphores;  ils  ne  les  prennent  que  de  chofes  qui 
ont  une  liaifon  fort  étroite  avec  ce  qui  fait  le  prin- 
cipal fujet  de  leur  difcours.  Ceft  pourquoi  leuràÛe 
eu  fimple ,  naturel ,  &  s'entend  facilement.  Ils  fc 
donnent  tout  le  temps  quieftneceffaire  pour  expli- 
quer les  chofes  qu'ils  propofent.  Ce  que  les  Orien- 
taux ne  peuvent  faire,  étant  emportez  par  la  vivaci- 
té de  leur  imagination,  qui  les  oolige  de  quitter*  ce 
qu'ils  avoient  commencé  de  dire,  pour  paflertoirf 
d'un  coup  à  d'autres  chofes. 

Les  anciens  Rhéteurs  diftinguent  en  trois  claflcs 
les  differens  ftiles  que  les  diferentes  inclinations 
des  peuples  leur  font  aimer.  Le  premier  eft 
l'Afiatique ,  élevé  ,  pompeux ,  magnifique.  Les 
peuples  de  l'Afie  ont  été  toujours  ambitieux, 
leur  difcours  exprime  leur  humeur  ,  ils  aiment 
le  luxe;  leurs  paroles  font  accompagnées  de  plu- 
fieurs  vains  orncmens  qu'une  humeur  féverc  ne 
peut  fouffrir.  Le  fécond  ftilc  ell  TAttique  :  Les 
Athéniens  étoient  plus  réglez  dans  leurs  maniè- 
res de  vivre  :  auffi  font  -  ils  plus  exafts ,  & 
pour  ainfi  dire  plus  modeftes  dans  leurs  dif- 
cours. Le  troifiéme  eft  le  ftile  Rhodien  :  Les 
Rhodiens  tenoient  de  Ihumeur  ambitieufe  & 
paffionnée  pour  le  luxe  des  Afiatiques ,  &  de 
la  modeftie  des  Athéniens  :  leur  ftile  caraéle- 
rife  leur  humeur  ;  il  garde  un  milieu  entre  la 
liberté  du  ftile  Afiatiquc  ,  &  la  retenue  du  ftilc 
Attique. 


C  H  A- 


311       Là  RHtT^HtQjcri,  eu  l'A&t 


L 


Chapitkk  vil 
Chagut  fiecle  n  fin  flile* 

A  divcrfité  des  ftilcs  vient  encore  des  pr^a- 
'  gez  avec  lefquels  on  parle.  Quand  on  con- 
çoit dans  le  monde  de  refÙme  pour  quelque  ma- 
niera d'écrire ,  &  qu'il  s'en  fait  une  mode ,  chaam 
tâche  de  la  fuivre ,  &  de  s'y  conformer;  mais  com- 
me Ton  fe  lafle  des  modes  >  &  que  ceux  qui  les 
ont  inventées  en  cherchent  de  nouvelles  aptes 
que  celles-là  font  devenues  communes  ,  pour  k 
diilinguer  de  la  foule;  ainû  il  fe  fait  un  change- 
ment perpétuel  dans  le  langage  auûi-bien  que  (Uns 
les  habits  »  comme  nous  l'avons  dit  aillcus. 
C'efl  ce  qui  fait  que  chaque  âge ,  chaque  fiede 
a  fa  manière  de  parler  qui  lui  eil  particulière.  Les 
bons  Critiques  reconnoiffent  le  temps  auquel  on 
Auteur  a  écrit  en  obfervant  fa  manière  d'écrire,  & 
fon  goût  :  c'eft-a-dire  l'eilime  qu'il  a  pour  de  cer- 
tains tours ,  pour  de  certaines  expreiEons  qu'il  af- 
fccfte  d'employer. 

Sencque  a  remarqué  qu'en  chaque  fiede  il  y  a 
toujours  quelque  Auteur  de  réputation ,  qoi  eft 
le  modèle  de  tous  ceux  qui  écrivent ,  lequà  pcoi 
ainfi  introduire  de  certaines  manières  qui ,  bien 
Quelles  foient  mauvaifcs,  quand  elles  ont  àénne 
lois  applaudies,  font  enfuite  en  ufagc,  &  tout  le 
monde  les  afFe'de.  C'cft  ainfi  qu'on  voit  de 
certains  défauts  autorifez  pendant  des  fiedes  en- 
tiers. Hâc  vitia  unus  aiiquis  inducit  ,  fib  ## 
tune  eloquentia  eft  :  ceteri  imhantur  ,  et  éii^ 
atteri  tradunt.  Il  en  donne  un  exemple  dans 
Salufte.  On  aima ,  dit-il ,  de  fon  temps  les  exprrf- 
fions  concifcs ,  &  une  breveté  obfcure.  Sic  Sahftk 

vi£(9ff 


HE  jARtiR.  Ltv.  IV,  Cbap.  VIL      313 

vlgente  ampuiaU  JenttntUi  &  Virba  ante  expec' 
tatum  cadentU  fuere  pro  cultu.  Et  comme  on 
ilfedc  d'imiter  les  grands  hommes,  ce  qu'un 
Auteur  de  réputation  a  dit  une  fois ,  on  le  dit  à 
chaque  page.  Sencque  reprend  de  ce  défaut 
Aruntius  :  Qua  atud  Salufiium  rara  fuerunt ,  a» 
pud  bunc  crebra  Junt  é^  penè  cêfitinuat  ftec  fine 
4:aufa.  llle  enim  in  baç  incidcbat^  at  bic  illa  qu€' 
rebat. 

Le  ftile  de  chaque  fiecle  fait  aujîî  connoître 
quelles  en  ont  été  les  inclinations  &  les  mœurs. 
Ordinairement  dans  les  fiecles  où  les  peuples  ont 
€té  férieux  &  rcglei ,  le  ftile  ell  fec ,  auftere ,  8c 
fans  ornement.    Le  luxe  s'eft  introduit  pendant 
le  dérèglement  des  Republiaues ,  auffi-bien  dans 
le  langage  que  dans  les  habits ,  dans  les  tables , 
&  dans  les  bâtimens.    Séneque  avoit  Èiit  cette 
obfcrvation  :    Gtnus  dkendt  imitât ur  pub/icos  m0- 
res.    Si.  difciplina    civitatis    laboravit^   é^  fe  in 
éêlicias    àediiy    argument um^  ejl    /uxurid   publicés 
crationis  lalcivia  :  fi   modo   non   in  uno  aut  in  /?/• 
terofinft  fed  «pprobata  eft  et  recepts.    Non  poteft 
alius  effi  ingenio^   alius  an'tmo  color y  fi  ilk  /f- 
nus  efii  fi  compofitusy    gravis  ^  temperans,   ingc 
nium    quoque    ficcum     ac  fitbrium  eji.      C*eft    ce 
qui  eft  arrivé  à  la  langue  Latine.    Dans  les  frag- 
mens  qui  nous  reftent  des  premiers  Auteurs  de 
•cette  langue,  nous  voyons  que  les  Romains  fe 
contentoient  feulement  de  fe  faire  entendre ,  6c 
qu'ils  ne  cherchoicnt  aucune  douceur  dans  leurs 
paroles.    Elles  ctoient  grofBeres,  rudes,  &  ne  fe 
pouvoient  prononcer  ni  être  entendues  qu'avec 
peine.    Aum  on  fait  qu'en  ce  temps  les  Romains 
ne  recherchoient  aucune  façon,  ils  ne  favoitnt  ce 
que  c'étoit  que  de  cuiiiniers,  de  ragoûts;  leurs 
maifons  étoient  de  briques  fans  peinture ,  fans 
architcélurc ;  en  un  mot,  tout  ce  qui  s'appelle 

O  agré- 


3T4       La  Rhetohiqjue  »  ou  l'â&t 

'  agrément  étoit  mal  reçu  chez  eux;  ilsn*aimoicnt 
que  l'utile.  Lorfcju'ils  commencèrent  de  fefcrvir 
de  leurs  grandes  nchefles ,  après  ces  grandes  vic- 
toires qui  les  rendirent  maitrcs  de  prcfque  tout  le 
monde ,  en  même  temps  qu  ils  modérèrent  cette 
première  feveritc,  &  qu'ils  ne  furent  plus  fi  enne- 
mis des  plaifirs ,  on  voit  que  leur  langue  fe  po- 
lit ,  &  s'adoucit  par  degrez  :  ce  qui  continua  d^ 
puis  le  fieclc  des  Scipions  jufques  à  cqJui'dcrEm- 
pereur  Augufte.  Elle  retint  néanmoins  encore  ce 
premier  air  qui  étoit  fimple  &  naturel ,  axant 
feulement  retranché  ce  qu'elle  avoit  de  dur  & 
de  groffier.  Ce  changement  lui  fut  ainfi  a?aiitah> 
geux,  6c  la  mit  dans  fa  pcrfeélion.  C'eft  pour* 
quoi  on  a  toujours  regardé  comme  des  moddo 
achevez  les  Auteurs  Latins  qui  écrivirent  en  a 
temps- là. 

Mais  enfin  quand  les  Romains  n'eurent  phi 
d'ennemis  conuderables ,  &  qu'ils  ne  penfeiot 
plus  qu'à  fe  divertir,  leur  langue  fiit  pleine  d'if* 
fedations ,  do-  tours  étudiez  qui  ne  font  point 
ïiaturels.  Ils  ne  recherchèrent  plus  dans 'leur  fi- 
le que  ce  qui  peut  flatter  les  oreilles  ;  des  c»- 
dences  agréables,  des  jeux  de  mots,  des  alhh 
fions;  en  un  mot,  comme  ils  ne  recherdïcrent 
plus  dans  les  viandes  une  nourriture  folide,  mais 
des  plaifirs  qui  font  nuifibles  à  la  famé;  anffi  dans 
le  difcours  ils  quittèrent  cet  air  naturel  &  cette 
dartc  qui  font  fi  neceflaires  pour  fe  faire  enten- 
dre; ils  n'aimèrent  plus  dans  les  paroles  que  de  vains 
ornemens  qui  en  couvrent  le  fens  »  &  empédieot 
qu'il  ne  paroi  fie. 

Le  même  Philofophe  que  je  viens  de  dteTi 
recherche  la  caufe  de  cerenvcrfcment:  c'eft,  «Si' 
il,  la  vanité  &  le  luxe,  qui  ne  fe  contentent 
point  de  ce  qui  eft  commun  &  ordinaire.  Qnand 
on  a  de  la  vanité ,  l'on  n'aime  que  la  nouveao- 

tt 


»B  FARLB&.  Liv.lV.  Cbap.VJJf.     3TÇ 

té.  Commtndéttto  ex  novitase^  ex  fiHti  ordinU 
^ommutéttîone  eaptatur.  L'ambition  porte  à  fe 
Eure  diftingucr,  &  le  luxe,  ou  Taniour  de  la 
tolupté  fait  qu'on  n*eft  point  content  de  ce  qui 
eft  ordinaire.  Cette  corruption  s*ctend  furie  ftilc 
lufli-bien  que  fur  les  mœurs  ;  après  q^uoi  on  ne 
peut  rien  trouver  de  beau  dans  le  dilcours,  qui 
ne  foit  éloigné  des  manières  ordinaires.  Càm 
nBuevit  ammus  fajiidire  qu£  ex  more  funt^  & 
wi  fro  fordidis  follta  Junt ,  etiam  in  oratione  « 
U9d  novum  quétrit.  Auffi  ceux  qui  ont  le  goût 
bon ,  fe  donnent  bien  de  garde  d'imiter  les  Au- 
teor^  Latins  qui  ont  écrit  en  ce  temps-là  ;  &  ils 
regardent  toutes  ces  chofes  que  ces  Auteurs  elli- 
ment»  comme  des  défauts  qui  trompent  parquel- 
gn'agrémenty  dukia  vitia.  Quand  la  décaden- 
ce fe  mit  dans  r£mpire  Romain ,  quelque  temps 
même  auparavant ,  lorfque  toutes  les  Nations  du 
Inonde  fe  mêlèrent  avec  eux ,  il  fe  fît  un  langage 
mêlé  y  &  tout  plein  des  impuretez  des  autres  lan- 
gues. Ceux  qui  écrivirent  pour  lors,  &  que  l'on 
appelle  les  Auteurs  de  la  bafle  Latinité ,  ne  paf- 
KBt  que  pour  la  honte  5c  l'infamie  de  la  langue 
Latine ,  deboneflâmenta  Latinitaiis» 


Chapitre    VIII. 

Im  matière  que  Pon  traite  doit  déterminer  dans 

le  choix  du  ftiU. 

C*Eft  la  matière  qui  doit  déterminer  dans  le 
choix  du  ftile.  Ces  expreffions  nobles  qui 
icndent  le  ftile  magnifique ,  ces  grands  mots  qui 
Kmpliflent  la  bouche,  donnent  aux  chofes  un 
tir  oc  grandeur,  &  font  connoître  le  jugement 
avantageux  qu'en  fait  celui  qui  parle  d'elles  d'une 

O  Z  \SAr 


3i6       La  Rhetoriqui,  ou  l*Art 

manière  fi  relevée.    Si  donc  ces  chofes  ne  méri- 
tent point  cette  eftime ,  fi  elles  nefont  grandes  que 
dans  l'imagination  de  l'Auteur,  cette  magnificen- 
ce fait  remarquer  fon  peu  de  jugement,  en  ce 
qu'il  eftime  des  chofes  qui  ne  font  dignes  que  de 
mépris.    Les  figures ,  &  ces  tours  éloigner  de  l'or- 
dre naturel  du  difcours,  découvreur  auffi  les  mou- 
vemens  du  cœur:  or,  afin  que  ces  figures  foient 
juftes ,  la  paflion  dont  elles  l'ont  le  caraélere  doit 
être  raifonnable.    11  n'y  a  rien  qui  approche  plus 
de  la  folie ,  que  de  fe  laifl*er  aller  à  des  emportc- 
mcns  fans  aucun  fujet,  de  fe  mettre  en  colère 
pour  une  chofe  qu'on  doit  traiter  avec  froideur . 
Chaque  mouvement  a  fcs  figures.    Les  figures  en- 
richifl*ent  le  fiile ,  mais  elles  ne  peuvent  méri- 
ter de  louanges  fi  le  mouvement  qui  les  caufc 
n*eft  louable ,  comme  nous  l'avons  dit  ci-dcffus. 
Je  dis  donc  encore  que  c'eft  la  matière  qui  rè- 
gle le  fiile;  lorfque  les  chofes  font  grandes,  & 
que  Ton  ne  peut  les  envifager  fans  reffentir  quel- 
que grand  mouvement ,  le  ftile  qui  les  décrit  doit 
être  néceflairemcnt  animé,  plein  de mouvemens, 
enrichi  de  figures ,  de  toutes  fortes  de  métaphores. 
Si  le  fujet  qu'on  traite  n'a  rien  d'extraordinaire  ,  fi 
on  le  peut  confidcrer  fans  être  touché  de  paffion , 
le  ftile  doit  être  fimplc.    L'Art  de  parler  n'ayant 
point  de  matière  limitée ,  &  toutes  les  chofes  qui 
peuvent  être  l'objet  de  nos  penfécs  pouvant  être 
matières  de  parler,  il  y  a  une  infinité  de  ftilesdif- 
ferens ,  les  efpeces  de  chofes  que  l'on  peut  trai- 
ter étant  infinies.  Néanmoins  les  Maîtres  de  TArt 
ont  réduit  toutes  les  manières  d'écrire  particulières 
fous  trois  genres.    La  matière  de  tout  difcours  eft 
ou  extrêmement  noble,  ou  extrêmement  baflc, 
ou  elle  tient  un  milieu  entre  ces  deux  extrémitez  ; 
favoir,  la  nobleflc  &  la  baflefl*e.    Il  y  a  trois 
genres  de  fiilcs  qui  répondent  à  ces  tioi$  genres 

de 


»B  par'lbr.  LhJV,  Chêp.  VU  h     317 

de  matières;  favoir,  le  fublime,  lefirnple,  &  le 
médiocre.  L'on  appelle  quelquefois  ces  ûiles', 
caractères  ;  parce  qu'ils  marquent  la  quali* 
té  de  la  matière  qui  cft  le  fujet  du  difcours. 
Quand  on  entreprend  un  ouvrage ,  on  fe  propofe 
toujours  une  idée  générale.  Le  dcffein ,  par  exem- 
ple, d'un  Orateur  qui  fait  le  Panégyrique  d'un 
rrince ,  cfl  de  relever  l'éclat  des  adions  de  fon 
Héros ,  &  de  porter  fa  gloire  dans  un  fi  haut  point  ; 
qu'on  le  regarde  comme  le  premier  de  tous  les 
hommes.  Un  Avocat  qui  plaidera  la  caufe  d'un 
pauvre,  fe  contentera  de perfuadcr à fes Auditeurs 
que  celui  dont  il  a  pris  la  défcnfe ,  cft  un  bon 
homme,  fort  innocent,  &  qui  parmi  ceux  de 
fon  ordre  s'acquitte  de  tous  les  devoirs  d'un  bon 
, citoyen.  Ce  que  je  dirai  de*  ces  trois  caractères 
regarde  la  prudence  avec  laquelle  on  doit  condui- 
.rc  un  ouvrage,  fans  perdre  de  vue  cette  idée  géné- 
rale qu'on  s'eft  propofé  d'en  donner;  car  quoique 
toutes  les  chofes  qui  entrent  dans  la  compofition 
d'un  difcours  ne  foientpas  d'une  mcmc  cfpece, 
il  faut  pourtant  faire  cnforte  qu  elles  aycm  un  rap- 
port avec  le  tout  dont  elles  font  partie.  On  ne 
doit  rien  dire  qui  ne  convienne  au  principal  fujet, 
&  qui  n'en  porte  le  caraélere.  On  reprit  aveorai- 
fon  les  Alabandins  commç  d'une  grande  indécence , 
de  ce  que  les  Statues  qu'ils  avoient  placées  dans  le 
lieu  de  leurs  exei\cices ,  reprefentoient  des  Avocats 
qui  plaidoient  des  caufcs  ;  &  que  celles  de  leur  Audi- 
toire étoient  des  perfonnes  qui  s'exerçoicnt  à  la 
courfé,  &  qui  jouoient  au  palet  8c  à  la  paume. 
Ceft  pour  éviter  un  femblablc  défaut,  que  nous 
recherchons  dans  les  Chapitres  fuivans  cequicon^ 
Tient  à  diaque  caradere. 


P   3  C  H  A- 


3i8       La  Rhetoriqjji,  ou  l'Aut 

Chapithb    IX. 
Règle  pour  le  Jlile  fublime. 

A  Pelles  pour  faire  le  portrait  de  fon  ami  An- 
tigonus,  qui  avoit  perdu  rœil  gauche  à  l'ar- 
mée, le  peignit  de  profil,  faifant feulement paroî- 
tre  la  partie  du  vifage  de  ce  Prince  qui  étoit  fans 
difformité.  Il  faut  imiter-cet  artifice.  Quelque  no- 
ble que  foit  le  fujet  dont  on,  veut  donner  une 
haute  idée ,  on  ne  peut  réiiffir  qu'en  le  faifant 
voir  par  la  plus  belle  de  fes  faces.  Les  plus  bel- 
les chofes  ont  leurs  imperfeélions  ;  cependant  la 
moindre  tache  qu'on  découvre  dans  ce  qu'on  dH- 
moit  auparavant ,  eil  capable  de  faire  perdre  tou- 
te Teftinie  qu'on  en  avoit  conçue.  Après  avoir  dit 
mille  belles  chofes;  fi  on  ajoute  quelque chofe  de 
bas ,  il  fe  trouvera  des  efprits  allez  malins  pour 
ne  foire  attention  qu'à  cette  bafleffe ,  &  oublier 
tout  le  refi:e..  On  ne  doit  rien  dire  qui  démente  ce 
que  l'on  a  dit ,  &  qui  détruife  la  première  idée 
qu'on  a  donnée.  Longin  reprend  Hcfîode  de  ce 
que  dans  le  Poème  qu'il  a  intitulé  :  Le  Bouclier-, 
après  avoir  dit  ce  qu'il  pouvoit  pour  faire  une 
peinture  terrible  de  la  Déefle  des  Ténèbres,  il 
gâte  ce  qu'il  avoit  dit  en  ajoutant  ces  mots  : 

Un€  puante  humeur  lui  couhit  ides  narines. 

Cette  circoriftance  ne  rend  pas  cette  Déefle  terri- 
tte  ,  qui  étoit  le  deffein  d'Hcfiode,  mais  odieufc 
&  dégoûtante. 

Il  faut  donc  cacher  les  défouts,  ou  pour  mieux 
parler,  puifque  la  vérité  doit  toujours  paroîtrc, 
û  faut  s'attaàicr  à  tourner  les  chofes  dont  on  veut 

doa- 


Dl  rARtiK.   LhK  IV.  Cbâp.IX.         319 

donner  une  grande  idée,  de  manière  qu'elles  pa- 
roiffent  par  leur  bel  endroit.  Zcuxis ,  pour  repre- 
fenter  Hélène  aufli  belle  que  les  Poètes  Grecs  la 
font  dans  leurs  vers ,  étudia  les  traits  naturels  des 
plus  belles  perfonncs  de  la  ville  oii  il  faifoit  cet 
ouvrage,  &  donna  à  fon  Hclenc  toutes  les  grâces 
que  la  nature  avoit  partagées  entre  un  grand 
nombre  de  femmes  bien  foites.  Lorfcjti*on  eft 
donc  maître  de  fon  fujet,  qu'on  peut  ajouter  ou 
retrancher  :  qu'un  Pocf  te ,  par  exemple ,  entreprend 
de  faire  une  defcription  d'une  tempête,  il  doit 
confiderer  tout  ce  qui  arrive  dans  les  tempêtes , 
les  circonftances ,  les  fuites,  pour  rapporter  ce 
qui  eft  de  plus  extraordinaire  &  de  plus  furprc- 
nant,  comme  le  feit  l'Auteur  des  vers  fuivans. 

Cmme  Von  voit  les  flots  foûlevez  par  Porage  > 
"Fondre  fur  un  vaijfeau  qui  s^oppoje  a  leur  ritge  ^ 
Lt  vent  avec  fureur  dans  les  voiles  frémît  \ 
La  mer  bl^cbit  détourne ,  &  Pair  au  loin  gemiP*. 
Lie.  Matelot  troublé  ^  que  fon  art  abandonne^ 
Croii  voir  dans  chaque  flot  la  mort  qui  Penvi* 
ronne. 

Les  cxpreffions  du  ftile- fublime  doivent  être 
nobles,  &  capables  de  donner  cette  haute  idée 
«ju'on  cnvifage  comme  fa  fin.  Quoique  la  ma- 
tière he  foit  pas  également  noble  dans  toutes  fes 
parties:  néanmoins  il  faut  garder  une  certaine 
uniformité  de  ftile.  Dans  un  Palais  il  y  a  des  ap- 
partemens  aufli- bien  pour  les  derniers  Officiers ,  que 
pour  ceux  qui  approchent  de  la  perfonne  du  Prin- 
ce. Il  y  a  des  fales&des  écuries.  Les  écuries  ne 
doivent  pas  être  bâties  avec  autant  de  magnifi- 
cence que  les  fales,  cependant  il  y  a  quelque  pro- 
portion entre  tous  les  compartimens  de  cet  édifi- 
ce, &  chaque  partie,  pour  baffe qu^elle  foit,  fait 

O  4  affez 


â 


32.0       La  Rhetokiquè,  ou  l'Art 

aflcz  voir  de  quel  tout  elle  cft  partie.  Ainfî  dans 
le  ftile  fublirae ,  quoique  les  exprcflions  doivent 
répondre  à  la  matière ,  il  faut  néanmoins  parler 
des  chofes  qui  ne  font  que  médiocres  avec  un  air 
qui  les  relevé  de  leur  balfefl'e ,  parce  qu'ayant  dcf- 
iein  de  donner  une  haute  idée  de  fon  fujet ,  il  eft 
ncccfTairc  que  tout  porte  fes livrées,  luifaflc  hon- 
neur ,  &  que  l'ouvrage  entier  faffe  connoîtrc  dans 
toutes  fes  parties  la  qualité  de  ce  fujet. 

Les  Ecrivains  ambitiçux,  pour  avoir  fujet  de 
n'employer  que  ce  flile  fublime,  mclent  avec  tout 
ce  qulils  traitent ,  des  chofes  grandes  &  prodigicu- 
fes,  fans  prendre  garde  û  l'invention  de  ces  prodi- 
ges efl  fondée  fur  la  Raifon.  Les  Grecs  appellent 
ce  vice  rt^rôXo^îu.  Florus  qui  a  fait  un  petit 
abrégé  de  l'Hilloire  Romaine,  me  fournit  un 
exemple  aflez  remarquable  de  cette  Tératologie. 
11  n'étoit  queftion  que  de  dire^  comme  fait  Se»- 
tus  Rufus  :  ^ue  r Empire  Romain  s' é toit  éten^ 
4fu  jujques  à  l'Océan  ,  par  la  conquête  que  De* 
cimus  brut  us  avoit  faite  de  toute  l^Lfpagney  CC 
qu'il  exprime  ainfi  en  Latin.  Hifpanias  per  Deci* 
inum  Brutum  obtinuimus,  &  ujque  ad  Gades  é^ 
Oceanum  pervenimus,  Florus  prenant  un  vol  plus 
élevé  y  dit  :  Decimus  Brutus  aiiquanto  iatius 
GaliUcos  >  atque  omnes  G^/Uci£  populos  y  formi" 
datumque  militibus  fiumen  vblivionis ,  peragra" 
toque  viSior  Oçeani  littore  non  pviùs  figna  con- 
vertit quàm  cadentem  in  maria  Jolem  ,  obru* 
tumque  aquis  ignem  non  fine  quodam  facriiegii 
metu  &  borrore  deprebendit.  U  groffit  ainfi  fa 
narration  de  prodiges:  il  s'imagine  que  les  Ro- 
mains ayant  porté  leurs  conquêtesjufques  aux  ex- 
:trémitez  des  Efpagnes,  frémirent  de  peur ,  apper- 
cevans  l'Océan,  &  qu'ils  fe  crurent  coupables  d'a- 
voir regardé  avec  des  yeux  téméraires  le  So- 
leil dans  foA  couchant,  lorfqu'il  fembk  étein- 
dre 


DE  PAUL  SU.  Lh.IV.  Cbap.IX.       311 

dre  fes  feux  dans  les  eaux  de  TOcean. 

Ce  déÊiut  efl  auffi  appelle  Enflure ,  parce  que 
cette  manière  de  dire  les  chofcs  avec  un  air  fu- 
blime  qui  ne  leur  convient  point ,  eft  femblable 
à  ce  faux  embonpoint  des  malades  qui  paroiflcnt 
gras  lorfque  la  fluxion  les  rend  bouffis.  Le  carac- 
tère fublime  eft  difficile  :  tout  le  monde  ne  peut 
pas  s* élever  au  déflus  du  commun ,  &  continuer 
long- temps  le  même  vol.  11  elt  facile  de  s'élever 
par  la  grandeur  des  expreflTions  ;  mais  fi  ces  ex- 
preffions  ne  font  pas  foutenuës  par  la  grandeur  du 
fujet,  &  remplies  dé  chofes  folidcs,  on  les  com- 
pare juilement  à  ces  grandes  échaflcs  qui  font  re- 
marquer la  petite  taille  de  ceux  qui  s'en  fervent , 
en  même  temps  qu'elles  les  élèvent.  On  peut  bien 
par  la  machine  d'une  phrafe  faire  monter  une 
bagatelle  fort  haut  ;  mais  elle  tombe  bien-tôt  ^ 
dans  fon  néant ,  &  cette  élévation  ne  fait  que 
l'expofer  aux  yeux  de  ceux  qui  ne  l'auroient  ja- 
mais appcrçûë ,  fi  elle  étoit  demeurée  dans  fon 
obfcurité.  Cette  afFeélation  de  donner  un  air  de 
grandeur  à  toutes  les  chofes  que  l'on  propofe ,  & 
de  les  revêtir  de  paroles  magnifiques ,  fait  naître 
ce  foupçon  aux  porfonnes  judicieufes,  qu'un  Au* 
téur  a  voulu  cacher  la  bafleffe  de  fes  penfées  fous 
cette  vaine  montre  de  grandeur.  Auffi ,  comme 
dit  Quintilien,  plus  un  efprit  eft  rampant  8c 
borné,  plus  il  afîede  de  paroître  élevé  ëc  fécond. 
Les  petites  gens  alfcdent  de  paroître  grands  en 
s' élevant  fur  la  pointe  de  leurs  pieds  Ceux  qui 
font  foibles,  font  le  plus  de  rodomontades.  Cet- 
te enflure .  du  llilc ,  ces  afFedlations  de  mots  qui 
font  du  bruit,  font  plutôt  des  témoignages  de 
foiblclfc  que  de  force.  Quo  quif/ue  ingenio  jm* 
ftùs  valet ,  boc  fe  viagis  attoilcn  &  diktare  c(h 
ftatury  éf  ftaturâ  brèves  in  tiigitoî  erigmitur  p 
4gt  [Jura  wjîrmi  tninantur  3  nam  é*  tumidëSy  &  cor" 

O  5  r;//>- 


3*1       La  Rhetoriquï»  ^w  l'Akt 
ruptoSf  &  tînnulos  s    &  quoeumque  alto  CmuRi 
génère  peccantes  certum  haheo  non  virtmn  tfedhh 
frmitatts  vitio  laborare, 

Longin  donne  pour  exemple  derenflure  Tcx- 
preflSon  de  Gorgias ,  qui  a  appelle  Xerxès  te  Jt* 
fîter  des  Perfes  <  &  les  Vautours  des  fepulAra 
animez»  Il  compare  les  Auteurs  enflez  à  ces 
oifeaux  qui  s'élèvent  fi  haut  qu'on  les  perd  de 
vue.  11  dit  qu'ils  n'ont  que  du  vent  &  drrécor- 
ce,  qu'ils  reffemblent  à  un  homme  qui  outtcubc 
granae  bouche  pour  fouffler  dans  une  petite  flûte 
Cet  habile  Rheteiu*  fait  cette  reflexion  importan- 
te ,  qu'en  matière  d'éloquence  il  n'y  a  rien  de 
plus  diflScile  à  éviter  que  l'enflure.  Car  comme 
en  toutes  chofes  naturellement  nous  cherdions  le 
grand ,  &  que  nous  craignons  fur  tout  d'être  tc- 
cufez  de  fechcrelfe ,  ou.  de  peu  de  force  ;  il  anitc 
je  ne  fai  comment  que  la  plupart  tombent  dans 
ce  vice  :  fondez  fur  cette  maxime  commune» 

Dans  un  nobh  projet  on  tombe  noblement.  \ 

Un  ftile  enflé  eft  ordinairement  fioidy  ar  loif- 
qu'on  veut  dire  une  grande  chofe ,  &  que  ce-  j 
pendant  on  ne  dit  qu'une  puérilité ,  au  lieu  d'é- 
chauffer on  refroidit.  Qui  n'auroit  pas  été  glacé 
par  cet  Orateur,  qui  pour  loiier  Alexandirc  le 
Grand ,  difoit  de  lui  qu'il  avoit  conquis  toute 
l'Alîe  en  moins  de  temps  qu'Ifocrate  n'en  avoit 
employé  à  compofer  fon  Panégyrique?  Les 
grandes  expreffions,  les  mots  magnifiques  de 
plufîeurs  fyllabes,  une  cadence  fonore,  élevée» 
conviennent  aux  grandes  chofes  qui  iméritcnt  d'ê- 
tre dites  noblement.  Le  llile  fublime  demaode 
aufïi  des  reflexions  férieufes,  desfentencesj  c'cfl- 
à-dire,  des  manières  de  s'exprimer  ingenicufcs, 
courtes,  vives,  qui  par  un  tout  non  coDunim 

cxr 


{ 


tÉ  p  AK.LER.  Liv.    IV.  Cbap,  X*        313 

excitent  l'attention.   Mais  pour  cela  il  faut  que  le 
fujct  foit  digne  de  ces  reflexions.  Les  figures  con- 
viennent  au  ftile  fublime,  parce  que  le  fujet  en 
étant  grand ,  on  ne  peut  point  Fenvifager  froide- 
ment; n'être  point  toucké  &  émû  de  ce  qu'il  y  a 
d'extraordinaire.  Ainfile  difcours  qui  expnm'e  ces 
môuvemcns ,  cft  néceflairement  figuré  :  mais  ces 
figures  marquent  l'égarement,  &  pour  ainfi  dire, 
Tyvreffe  de  celui  qui  entre  dans  de  grandes  paf- 
(ions  fans  raifon.    Ceft  aflez  parlé  des  défauts 
où  tombent  ceux  qui  emploient  le  ilile  fublime 
mal  à  propos  ;  donnons  au  moins  un  exemple 
d'un  difcours  qui  en  ait  les  bonnes  qualitez  fans 
ces  défauts.  Monfieur  Flechier  parle  avec  ces  paroj 
les  magnifiques  contre  les  Juges  qui  ne  s'acquit- 
tent que  négligemment  de  leur  devoir;  quiren" 
verfdnt   Pordrt  des  cbofis^    \fe  font  une  occupa* 
tion  de  leurs  amufemens^  y  &  qui  ne  donnent  à 
ieurs  Charges  que  les  reftes  d^une  otfiveté  ]languif^ 
fante%  comme  s^'ils  n*étoient  Juges  que  pour  être  dt 
temps  en  temps  fur  les  Fleurs  de  4ysy  où  Us  vont 
peut-être  rêver  à  leurs  divertijfemens  pajfez  dont 
ils  ont  encore  l^ imagination    remplie  ,  ou  reparer 
par  un  mortel  affoupijfemént  les  veilles  qu'ils  ont 
donné  à  leurs  plaifirs. 


Chapitre    X. 
Dufîilei  ou  camper e  fimple* 

C'Eft  une  règle  de  bon  fens ,  qu*il  faut  que 
les  mots  conviennent  aux  chofes.  Ce  qui  efl 
•grand  demande  des  mots  qui  donnent  de  grandes 
Idées.  Il  faut  dire  -fimplement  ce  qui  eft  bas,  ôt 
rien  d'extraordinaire  ,  Ti»  ^'  fit^x»  fityoihtt^ , 
w  a  fitic^à  f^txpai.    Or  c'cft  ce  qui  cft  difficile 

O  6  non 


'gi4       La  RHEroRiQuE,  ou  l'Art 

noîTpour  le  choix  de  la  matière ,  mais  pour  l'é- 
locution.  Il  faut  avoir  une  connoiflance  par- 
faite de  la  langue  dans  laquelle  on  écrit,  pour 
(écrire  fimplemcnt ,  &  fe  foûtenir  fans  tomber.  Il 
y  a  des  termes  &  des  tours  qu'on  n'emploie  que 
dans  les  grandes  occafions  ;  mais  ordinairement 
ce  qui  fait  le  ftile  fublime  dont  nous  venons  de 
parler  ,  ce  font  les  métaphores ,  les  figures  où 
l'on  a  une  grande  liberté.  Mais  quand  il  s'agit 
de  dire  qudquc  chofe  Amplement ,  c'eft-à-dire , 
d'en  parler  comme  l'on  parle  ordinairement,  on 
cft  affujetti  à  l'ufage  ordinaire  ,  qu'il  faut  par 
confequent  poffeder  en  perfeélion  pour  réuffir  dans 
le  ftile  fimple.  C'eft  pourquoi  on  eftime  plus  pour 
la  pureté  de  la  langue  les  lettres  que  Ciceronécri- 
voit  à  fes  amis ,  que  fes  Harangues.  Il  en  eil  de 
même  de  ce  que  Virgile  a  écrit  dans  ce  ftile ,  com- 
me font  fes  Bucoliques.. 

Le  caradere  fimple  dont  nous  parlons  ici,  a 
donc  fes  diificultez.  Le  choix  des  chofes  n'y  eft 
pas  difficile ,  comme  nous  l'avons  dit ,  puifqu' elles 
doivent  être  communes  &  ordinaires;  mais  c'eft  ce 
qui  le  rend  difficile  :  car  la  grandeur  des  chofes 
éblouît  &  cache  les  défauts  d'un  Ecrivain.  Quand 
on  parle  de  chofes  rares  &  extraordinaires,  on 
peut  emploier  des  métaphores ,  parce  que  l'ufage 
îie  donne  "point  d'expreffions  aflez  fortes.  Ledif- 
cours  peut  être  enridii  de  figures,,  parce  que  Ton 
n'envilagc  giieres  ce  qui  eft  grand  tranquillement, 
ni  fans  rcffeatir  des  mouvemens  d'admiration, 
d'amour  ou  de  haine,  de  crainte  ou  d'efperance. 
Au  contraire  ,  li  l'on  n'a  pour  fobjet  que  des 
chofes  communes,  qn  eft  obligé  de  n'employer 
que  les  termes  propres  &  ordinaires  :  iln'eftpas 
perjîiis.  de  figUicr  ion  difcours-j  il  faut  parler  fim- 
.plemcnt,.  ce  qui  n'eil'  pas  fans  difficulté.  Car  en- 
fin, ceux  qui  écrivent  ne  peuvent  ignorer  que  la 

liber- 


I 


B  E  p  A  n  1 1 K.  Lrv.  JV,  Cbap,  X,       315' 

liberté  de  recourir  aux  figures  eft  fouvent  commo- 
de pour  s'exempter  de  la  peine  de  rechercher  des 
mots  propres  qui  ne  fe  trouvent  pas  toujours. 
L'expérience  fait  connoître  qu'il  eft  plus  facile  de 
faire  des  figures ,  que  de  parler  naturellement. 

J'ai  toujours  obfervc  que  c'cft  le  cara(flerc  det 
petits  génies  que  l'affedation  dans  le  difcours;  un 
cfprit  élevé,  lolide,  n'établit  pas  fa  réputation  fur 
des  plirafes ,  fur  des  expreffions  .qui  n'ont  que  le 
tour  de  rare.  Pourauoi  ne  pas  dire  les  chofcs 
d'une  manière  naturelle  ?  Pourquoi  dire  obfcuré- 
ment  que  nous  nous  devenons  plus  chers  à  mefu^ 
re  que  nous  fommes  plus  près  de  nou^  perdre  ; 
pour  dire  que  quand  on  eft  vieux,  &  fur  le  point 
de  mourir  y  on  ménage  davantage  la  vie  }  Cette 
penfée  eft-elle  fi  rare,  li  myfterieufe,  qu'il  la  fal- 
lût ainfî  envelopper  ?  11  en  eft  de  même  de'  cette 
CxprefCon  :  A  parler  fainement ,  nous  nous  fom» 
mes  les  premiers  fâcheux  dans  un  commerce  trop 
long  &  trop  ferteux  avec  nous-mctnes.  Ne  paf- 
leroit-on  pas  plus  raifonnablement  en  difant  nm- 
plement  ce  qu'on  veut  ici  marquer  :  qu'on  s'en- 
Duye  quand  on  eft  feul ,  fi  cette  folitude  dure  long- 
temps ?  Le  fameux  Rhetpur  que  je  cite  fouvent, 
Lpngin,  remarque  qu'un  difcours  tout  fimple  ex- 
prime quelquefois  mieux  la  chofe,  que  toute  la 
pompe  .&  tout  l'ornement  :  qu'on  le  voit  dansles 
affaires  de  la  vie;  une  chofe  énoncée  d'une  fa- 
çon ordinaire  fe  faifant  plus  aifément  croire  :  car 
les  exprcflîons  fimplcs  marquent  un  îiommc  qui 
dit  bonnement  les  chofes ,  &  qui  n'y  entend  point 
de  fincfle.  Je  fuppofe  que  ces  cxprefïîônsi enfer- 
ment un  fcns  qui  n'a  hcn  de  grofiier  ni  de  iriviâl. 
Cet  avis  eft  de  la  dernicre  impoitnncc  pour  les 
conversations  &  pour  les  compolîtior.s;  on  doit 
par  tout  éviter  ce  qui  s'appelle  phrafc ,  &  faire 
confifler  l'efprit  à  dire  d«  chofcs  raifonnables , 

O  7  6c 


5i6       La  Rhetoriqûi,  ou  l'Art 

?c  à  les  dire  d'une  manière  naturelle,  en  fcfer- 
vant  des  termes  .propres  que  l'ufagc  a  établi, 
fans  en  afTeéler  d'autres. 

C'efl:  donc  dans  ce  que  nous  appelions  le  IK- 
le  fîmple,  qu'un  honnête  homme    doit  particu- 
lièrement s'exercer.    Or ,  il  y  a  bien  de  la  dif- 
férence entre  la  fimplicité  &  la  baflefle  qui  n'cft 
jamais  bonne ,  &  qu'il  faut  éviter.    La  matière 
du  ftilc   fimple  n'a  aucune  élévation  ;  mais  ce 
îi'eft  pas  à  dire  que  le  difcours'quirexpriracdd- 
ve  être  vil  &  méprifable.    Elle  ne  demande  pas 
les  pompes  &  les  ornemens  de  l'Eloquence,  ni 
d'être  revêtue  d'habits  magnifiques;  mais  aaffi 
elle  rejette  les  façons  de  parler  baffes  5  elle  veut 
que  les  habits  que  l'on  lui  donne  foient  propres 
&  honnêtes  ;  &  ce  qu'il  faut  bien  remarquer, 
c'ett    que  dans  ce  llife  on  peut  être  fublimc , 
penfer  &  parler  fublimement.    Car ,  comme  le 
remarque  le  fameux  Tradudleur  de  Longin,pir 
le  fublime,  dont  Longiaa  fait  un  excellent  Tiai- 
té,  on  ne  doit  pas  entendre  ce  que  les  Oratttrs 
appellent  le  fille  fublîtne  ;  mais  cet  extraordhuùre 
&  ce  merveilleux  qui  frappe  dans  le  difcours^  if 
qui  fait  quun  ouvrage  enlevé  ,   ravît ,  trânfpêrte* 
Le  fiite  fublime  veut  toujours  de  grands  mots^fuk 
te  fublime  fe   peut    trouver  dans  une  feule  peth 
pi  ,   dans    une  feule  figure  ,   dans  un  feul  tint 
de  paroles.    Une  chofe  peut  être  dans  /ejlikA' 
blime  ,   ô*    n*être    pourtant  pas  fublime  5    c'ç/ï-i- 
dire  ,  n'avoir  rien   d'extraordinaire  ,    de  furfrt- 
ftant.    Le  fublime  demande  donc  quelque  chofe 
de  nouveau  &  dans  le  tour,  &  danslapenfée.  On 
donne  ce  Quatrain  comme  un  chef-d'œuvre  ea 
naïveté.  L'expre  Jion  en  eft  fimplc ,  mais  la  pcn- 
fée  du  Poète  furprend ,  Sz  donne  en  un  mot  pluî 
d'idées  que  ne  feroit  un  long  difcours, 

Ct 


91  PitïitEii  Ltiu  IV.  Cbap,  XL        J27 

'  Co/as  efl  mort  dé  maladie  ; 
Tu  veux  quej^en  pleure  le  fort  : 
Mé  bien ,  que  veux-tu  que  yen  die  l 
Colas  vivoit ,  Colas  efl  mort. 


Chapitre    XL 
^  "Duftile  médiocre. 

JE  ne  dirai  rien  du  'caraftere  médiocre ,  parce 
qu'il  fuffit  de  favoir  qu  il  confifte  dans  une 
médiocrité  qui  doit  participer  de  la  grandcurdu 
caraélere  fublime,  &  de  la  fimplicité  duçaraélere 
fimple.  Virgile  nous  a  donné  l'exemple  de  ces 
trois  caraéleres.  Son  Eneïde  efl  dans  le  caractère 
fublime  :  il  n'y  parle  que  de  combats ,  que  de  ^^t%f 
que  deguerres,que  de  Princes,  que  de  Héros.  Tout 
y  eft  magnifique  j  les  fentimens  8c  les  paroles  :  la 
grandeur  des  cxpreffions  répond  à  la  grandeur  da 
fujet.  On  ne  lit  rien  dans  ce  Poërae  qui  foit  ordi- 
naire. Ce  Poëte  ne  fe  tfert  point  de  termes  que 
l'ufage  de  la  lie  du  peuple  ait ,  pour  ainfi  dire ,  pro- 
fané. S'il  ett  obligé  de  nommer  les  chofcscommu*. 
nés ,  il  le  fera  par  quelque  tour  particulier ,  par  quel- 
que Trope ,  par  exemple ,  pour  panis ,  du  pain , 
il  mettra  Cerhy  qui  étoit  parmi  les  Payens,  la 
Déeffe  des  bleds. 

Le  caraétere  des  Eclogues  eft  fimple.    Ce  font 
des  Bergers  qui  parlent ,  qui  s'entretiennent  de  leurs 
amours  ,  de  leurs  troupeaux  ,  de  leurs  campa- 
gnes d'une  manière  fimple,  &  qui  convient  à  des. 
Bergers. 

Les  Georgiques  font  d'un  caradere  médiocre. 
La  matière  qu'il  y  traite  n'approche  pas  de  .celle 
de  l'Eneidc.    Virgile  ne  parle' point  dans  cet  ou- 
vrage 


A 


3iS      La  RHifotrojîïi  ot  l'Ait 

vrage  de  ct<  graniîs  guerres,  de  ccsilîuflrcscoîi^ 
baiv,  &  de  îe:ab::iremcr*:  de  l'Empire  Romain, 
çui  font  le  fu;e:  de  foa.  Eneiic  ;  miis  rjLÎn  les  Gcor- 
giques  ne  for.r  pas  r^valczj'-fqucsâîacoadirion des 
Bergers.  Car  dans  cci  llivfes  il  pénètre  dans  les 
caufes  les  p:<^  cachées  de  la  nature ,  il  découvre 
les  myileres  de  la  Religion  des  Romains;  îF  y 
mêle  de  la  Phi'.ofophie  ,  de  la  Théologie,  de 
l'HL^oire  :  ce  oui  l'oblige  à  tenir  un  milica  en- 
tre la  majefté  de  fon  Ëneide,  èc  la  fîmplidtcde 
fes  Bucoliques. 

C'efl  au;u  dans  le  ilile  dont  on  parle  en  ce 
Chapitre ,  qu  un  honnête  homme  doit  s'exercer. 
Le  Kile  grand  &  fublimc  n*efl  que  pour  les  cho- 
fcs  fort  extraordinaires,  &  par  conféqucnt  qui  font 
hors  de  l'ufage  commun.  La  plupart  des  chofes 
qui  font  le  fujct  de  nos  entretiens  &  de  nos  diP- 
cours,  font  médiocres.  Laque/lion  cft  donc  de 
les  envifager  telles  qu'elles  font,  d'en  juger  lai- 
fonnabiemcnt,  comme  le  doit  faire  un  honnête 
homme.  Il  y  a  des  cfprits  de  travers  qui  pren- 
nent les  choîcs  tout  autrement  qu'elles  ne  fonti 
Tant^ot  les  colines  leur  paroifl'ent  des  montagnes. 
Ils  fc  récrient  fur  tout  ;  &  tantôt  ils  regardent 
avec  froideur  les  chofes  qui  font  les  plus  dignes 
d'admiration.  Il  y  a  auul  des  efprits  groffiers  qui 
ne  découvrent  ricr,  ncn  pas  mcme  ce  qui  leur 
fau*c  aux  ycu:;.  Lii  h-orncre  homme ,  c'eil-à-dir 
rc,  un  hoiniTit  qui  adujrj-:ment,  qui  eft délicat, 
voit  ce  que  font  1er  cli;.  es  ,  il  ne  lui  ècbape 
rie;;;  &:  cnruitv;  il  s'en  fortr.c  des  idé:s  veritablcii 
îî'il  en  parle  ,  il  le  fait  nanircllc-acnt  ,  les  pci- 
gii'iiil  avec  les  ^'ouleiirs  na*i;iei'es  ,  c'eil-â-àre, 
ex;-  -tnrint  les  idées  qu'il  en  a  avec  les  termes 
<ju:  T'iiu  fA'iT,  pour  cr«^  i:iccs;  (>  'bric  qu'on  voit 
claî  ,  l'on  jlilc  un  cfprit  railbnnabic  &  narurd 
qui  ij'ouire  rien,  qui  juge  des  chofes  comme  il 

fau!; 


x>E  PARLIR.  LhK  Il(.  Cbétp,  XL       319 

faut;  qui  ne  les  fait  point  plus  grandes  .^qu'elle? 
font ,  qui  ne  les  fait  point  plus  petites ,  &  qui  en 
parle  ;^ns  les  termes  qu;*on  en  parle  lorfqu'on  ny 
cherche  point  de  façon ,  qu'on  n'afFede  rien ,  qu'on 
fuit  laRaifon,  la  bien-ieancc,  rufagedeshonnôr 
tes  gens.  Ceit.  là  le  caraôcrc  d'un  lefprit  poli , 
qu'on  prend  dans  la  converfation  de  ceux  qui  ont 
l'efprit  naturel ,  bien  fait ,  &  que  par  conféqucnt  on 
ne  le  peut  empêcher  d'aimer  &  d'honorer  ;  ce 
qui  leur  fait  donner  le  nom  d*honnêtes  gens ,"  à 
caufe  de  l'honneur  dont  ils^  fc  rendent  dignes.  Il 
y  a  peu  d'Auteurs  qui  tyent  ce  caraderc;  e'eft 
pourquoi,,  en  lif^rlcs  Livres  *  on  y  prend  le  plus 
îbuvent  un  caradcrç  oppofé,  qui  eft  celui  de  Pf- 
0lanf.  £n  lifant  beaucoup  Homère,  on  prend  un 
ftile  naturel.  Les  lettres  de  Qceron,  fur  tout  celles 
qu'il  a  écrites  à  Atticus>  les  Satyres  &  lesEpitrcs 
-d'Horace;  Virgile,  Salufte,  Cefar  donnent  cette 
politefTe  qui  fait  ce  qu'on  appelle  un  honnêtç 
homme. ,  On:  voit  dans  cc&  ouvrages  des  modèles 
parfaits  du.  ûile  doBt  nous.paiioEfê.  Peu  en  jugent 
bien;  car  on  n'aime  que  ce  qui  a  un  air  de  gran- 
deur. On  pardonne  à  un  Auteurcent  endroits  bas, 
fi  on  en  trouve  un  qui  biille.  Seneque  redrelTeun 
de  fes  amis  qui  avoir  ce  mauvais  goût ,  qui  n'ai- 
moit  que  ce  qui  étoit  élevé,  &  prenoit  pour  baf- 
feffe  l'égalité  &  la  douceur  qui  font  les  qualitez  du 
ftile  médiocre.  Les  paroles  de  Seneque  renferment 
un  grand  fens.    Humii'm  tibi  vidtri  dicis  omnië  ^ 

éy  farùm  ertâi^ îlon  funt  bumiita  ilia  j 

J<eti  placida»     Sunt   mhn  tendre  qtûeta  eompofitoqus 

formata ,  nec  sieprejjfa ,  fed plana .  Dteft  iliis  oratoriuà 

vi^or  y  Jîimulique   quos  quarts  ,     é^   fubiti  idui 

fentent'tarum  :  fed  totum  corpus  vidcris  y  quamvU 

Jit  'mcomptum.i  bonejîum  efi. 


jjo       La  Rhetohiqub,  ou  t*A»-T 


Chapitui    XI L 

Stîia  propres  à  certaines  matières,    Quaistet  m» 

munes  à  tous  ces  ftîlis. 

NO u s  allons  parler  des  lliles  particuliers qrâ 
font  afFcdcz  à  certaines  matières,  comme 
font  les  ftiles  des  Poètes,  des  Orateurs,  des  Hit 
toriens,  &c.  Mais  il  cft  à  propos  de  faire  a»; 
paravant  quelques  obfervations  fur  les  oualitciqiti 
îbnt  communes  à  tous  ces  ftiles.  Car  de  plaficoa 
Ecrivains  qui  s'exercent  dans  un  même  ftilc,  kt 
uns  font  plus  doux ,  les  autres  font  plus  forts  :  lei 
tins  font  fleuris ,  les  autres  font  auftercs.  Voiœii 
en  quoi  confillent  ces  qualitez,  &  comtnent  on  la 
peut  donner  à  un  ftile  lorfqu'elles  conviefineotà 
la  nature  du  fujet. 

La  première  de  ces  qualitez  eft  la  douceur.  Oa 
dit  qu'un  ftile  cft  doux  lorfque  les  chofesj[foat 
dites  avec  tant  de  clarté ,  que  Telprit  ne  nit  aih 
cun  effort  pour  les  concevoir,  comme nousdifons 
que  le  penchant  d'une  montagne  eft  doux,  lorf- 
que  Ton  y  monte  fans  peine.  Pour  donner  cette 
douceur  à  un  ftile,  il  ne  faut  rien  lailleràdcri^ 
fier  au  Leéleur.  On  doit  débrouiller  tout  ce  qô 
pourroit  Tembarraflcr;  prévenir  fes  doutes.  Êa 
un  mot,  il  faut  dire  les  chofes  dans  l'étendue  ça 
cft  necelTaire,  afin  qu'elles  foient  apperçûès;  ce 
qui  eft  petit  fe  dérobant  à  la  vue.  J'ai  dit  dia 
fe  Livre  précèdent  de  quelle  manière  on  adoucit 
foit  la  cadence  &  la  prononciation  du  difcou» 
La  douceur  du  nombre  contribue  mer>'eDlcnfr 
ment  à  la  douceur  du  ftile.  Cette  douceur  pe< 
avoir  plufieurs  degrez.  On  dit  d'un  Auteur  qi 
écrit  avec  une  douceur  extraordinaire,  qucW 

ni- 


i>B  PARLE  n.  Liv.IF.  Chap.  XI L        33:1 

ftile  cft  tendre  &  délicat.  Je  ne  veux  pas  oublier 
ici  qu'il  n'y  a  rien  qui  contribue  davantage  à  là 
douceur  du  ftile ,  que  le  foin  d'inférer  où  il  faut , 
toutes  les  particules  neceffaires  pour  faire  apperce- 
voir  la  fuite  &  la  liaifon  de  toutes  les  parties 
du  difcours.  On  donne  pour  modèle  d'un  ftile 
doux  Hérodote  dans  là  langue  Grecque ,  &pour 
la  Latine  Titc-Live. 

La  féconde  qualité  eft  la  force.  Cette  qualité 
cft  entièrement  oppofée  à  la  précédente  :  clic 
frappe  fortement  l'efprit ,  elle  l'applique ,  &  le 
rend  extrêmement  attentif.  Pour  rendre  un  ftile 
fort,  il  jfeut  fe  [fcrvir  d'expreflions  courtes,  qui 
fignifieût  beaucoup,  &  qui  réveillent  plufifeufs 
idées.  Les  Auteurs  Grecs  5c  Latins  ,  comme 
•Thucydide  &  Tacite,  font  pleins  d'expreffions 
fortes.  Elles  font  rares  dans  le  François  cesei- 
preffions.  Notre  langue  aime  que  le  difcours  ft)it 
naturel,  libre,  &  un  peu  diffus;  c'cft  pourquoi  ôii 
ne  doit  pas  s'étonner  quelestraduélionsFrançoifes 
des  Auteurs  Grecs  &  Latins  foicnt  plus  abondan*- 
tes  en  paroles  que  les  originaux,  puifqu'cfn  ne 
peut  pas  fe  fcrvir  d'expreffions  fi  courtes  &  fi 
îerrées ,  félon  le  génie  de  notre  langue ,  qui  veut 
qu'on  développe  toutes  les  idées  que  le  mot  GreC 
ou  Latin  rcntermc.  Saint  Paul,  par  exemple,  dit 
d'une  manière  noble,  qu'il  eft  prêt  de  mourir,  fb 
feryant  de  cette  expreffion  :  êyà  ^^  î*^  rm^^ôfisM^ 
que  la  verfion  Latine  rend  par  ces  mots  :  E^ 
tnim  jam  deiibor  :  Pour  traduire  en  François  ce 
pafTage,  il  faut  necclTairement  le  faire  dfe  cette 
manière  :  Car  pour  moi ,  je  fats  comme  une  vic" 
time  qui  a  déjà  reçu  rafferfion  four  être  facrî^' 
fée.  Toutes  ces  paroles  ne  font  que  développer 
les  idées  que  donne  le  mot  Grec  carn&ùiifff 
lorfqu'on  confidere  fa  force  avec  toute  Tattcnrion 
necelfairc.  -  .    • 

Je 


351       La  Rhetôhi^ub,  ou  l'Ai.t' 

Je  le  penfois  ainfi  lorfque  j*ai  fait  imprimer  ce 
Livre  les  premières  fois.  Je  crois  à  prcfent  qu'il 
faut  traduire  5  Car  pour  mot  y  jifuis  comme  une  vie* 
$ime,  dont  le  facnfice  va  être  bien-tôt  achevé: 
Âéja  on  fait  reffufion  de  mon  fang.  Saint  Paul  fait 
allufion  aux  Sacrifices  Judaïques.  Il  n'eft  point 
vrai  qu'on  fît  aucune  afpcrfion  fur  la  tête  de  la 
Tidlime,  comme  cela  fc  pratiquoit  chci  les  Gen- 
tils. Après  la  macftation  on  verfoit  le  fang  de  là 
vidtirae  au  pied  de  l'Autel;  &  c*ell  cette  aâion 
dont  le  verbe  flw-iip^«^t{^  donne  l'idée.  Enfuitc  on 
coupoit  la  vidtimc,  on  la  partageoit^  &  c'eft  ce 
que  Saint  Paul  appelle  tempus  rejolution'n  medi  Le 
temps  de  la  fcparation  de  fon  amc  d'avec  foa 
corps. 

Y  La  troificme  qualité  rend  un  flile  agréable  fc 
fleuri.  Cette  qiwl'té  dépend  en  partie  de  laprcr 
micre,  &  elle  en  veut  éire  précédée,  l'efprit  ne 
fc  diverti  (Tant  pas  lorfqu  il  s'applique  trop  forte- 
ment. Les  Tropes  &  les  Figures  ibnt  les  flcua 
du  flile.  Les  Tropes  font  concevoir  fenûblc- 
ment  les  penfces  les  plus  abllraites.  Ils  font  une 
peinture  agréable  de  ce  que  l'on  vouloit  figni- 
fier.  Les  figures  réveillent  l'attention ,  cDc! 
échauffent,  elles  animent  les  Lcéleurs,  ce  qui 
lui  eft  agréable;  le  mouvement  étant  le  pnnf 
cipe  de  la  vie  &  d*:;s  plaifirs  ;  la  froideur  au  con- 
traire mortifiant  toutes  chofes.  Quintc-Curcecft 
fleuri. 

La  dernière  qualité  efl  aufterc ,  elle  retrandie 
du  flile  tout  ce^uin'eflpasabfolumentnccef&irc, 
elle  n'accorde  rien  au  plaifîr,  elle  ne  fouflre  aa- 
cun  ornement,  &  comme  un  Juge  de  l'anafl 
Aréopage,  elle  ne  permet  pas  que  le difcours /ôtf 
animé  -,  elle  en  bannit  tous  les  mouvcmens  capf 
blés  d'attendrir  les  cœurs.  Lorfque  l'auflcriti  « 
trop  loin ,  elle  dégénère  en  fecherelTe. 

L'on 


»1  PARLER.  LiV.JV.  Chap,  XJlî.     33} 

L'on  doit  faire  en  forte  que  le  flilc  ait  des  qua- 
îitci  qui  foient  propres  au  fujet  que  l'on  traite. 
Vitruve,  cet  excellent  &  judicieux  Architedequi 
Tivoit  fous  Auguftc,  remarque- que  dans  la  rt  rue- 
turc  des  Temples  on  fui  voit  Tordre  qui  expri- 
moit  le  caraiftere  de  la  Divinité  à  qui  le  Temple 
àoit  dédié.  Le  Dorique  qui  eft  le  plus  foiide&le 
çlus  fîmple ,  étoit  employé  dans  les  Temples  de 
Minerve,  de  Mars  &  d'Hercule;  les  deli  cat  elfes  & 
Icsomcmens  des  autres  ordres  ne  couvcnant  pas  à 
la  Décifc  de  la  Sagefle  ,  au  Dieu  des  combats, 
ni  à  l'exterminateur  des  Monftres.  Les  Temples 
de  Venus ,  de  Flore ,  de  Proferpine ,  &  des  Nym- 
phes étoient  bâtis  félon  l'ordre  Corinthien ,  qui  eft 
tendre ,  délicat ,  chargé  de  fêlions ,  de  feuillages , 
&  paré  de  tous  les  ornemens  de  l'Archiieélurc. 
L'ordre  Ionique  étoit  confacré  à  Diane&à  Junon, 
k  aux  autres  Dieux  ;  les  règles  de  cet  ordre  don- 
nent le  caraélere  de  leur  humeur.  H  tient  un  mi- 
lieu entre  la  folidité  de  Tordre  Dorique,  ôclagen- 
tiHcflc  du  Corinthien.  Il  en  eft  de  même  du  dif- 
cours,  les  fleurs  &les  gentiJleflcs  de  l'éloquence  ne 
Ibnt  pas  propres  pour  un  fujet  grave  &  plein  de 
majcfté.  L'aufterité  du  Itile  eft  importun  lorfque 
la  matière  permet  de  rire  :  la  force  des  expreiiîons 
eft  inutile  quand  les  efprits  fe  gagnent  par  la 
douceur,  &  qu'il  n' eft  pas  befoin  de  les  combattre 
&i  de  les  forcer. 


Chapitre    XIIL 
Quel  doit  être  le  Jlile  des  Orateurs, 

XL  femble  que  ceux  qui  ont  traité  jufqu'à  pre- 
*-fent  de  TArt  de  parler ,  rfayent  écrit  que 
pour  les  Orateurs,    Ùs  ne  donnent  des  préceptes 


^ 


334       La  Rhétorique»  ou  l'Ar  t 

que  pour  leur  ftilc;  &  ceux  qui  étudient  cet  art 
regardent  Tabondance  &  la  richefle  des  expref- 
fions  que  nous  admirons  dansledifcours  des  grands 
Orateurs ,  comme  le  principal  &  l'unique  fruit  de 
leur  étude.  11  eft  vrai  que  l'éloquence  paroît  avec 
éclat  dans  ce  ûile ,  ce  qui  m'oblige  de  lui  donner 
la  première  place. 

Les  Orateurs  parlent  ordinairement  pour  édair- 
cir  des  veritez  obfcures  ou  conteflées  ;  ce  qui  de- 
mande un  ftile  diffus ,  puifque  dans  cette  occafion 
il  eft  néceflaire  de  diffiper  tous  les  nuages  &  toutes 
les  obfcuritez  qui  cachent  ces  veritex.  Ceux'qui 
entendent  parler  un  Orateur ,  ne  prennent  pas  au- 
tant d'intérêt  que  lui  dans  la  caufe  qu'il  défend; 
ils  ne  font  donc  pas  toujours  attentifs,  ou  n'ayant 
pas  l'efprit  alTei  vif,  ils  ne  conçoivent  qu'avec  pei- 
ne ce  qu'on  leur  dit.  L'Orateur  efl  donc  obli- 
gé de  redire  les  mêmes  chofes  en  plulîeurs  ma- 
nières ,  afin  que  fi  les  premières  paroles  n*ont 
pas  porté  coup  ,  les  fécondes  falTent  l'effet  qu'il 
fouhaite. 

Mais  cette  abondance.ne  confiftc  pas  dans  une 
multitude  d'épithetes ,  de  mots ,  &  d'expreflions 
entièrement  fynonymcs.  Pour  perfuader  une  vé- 
rité ,  pour  la  faire  comprendre  par  les  plus  grol- 
fiers ,  &  la  faire  appercevoir  aux  efprits  les  plus 
diftiaits  ;  il  faut  la  reprefentcr.ibus  plufieurs  fa- 
ces différentes ,  avec  cet  ordre  que  les  dernières 
cxpreffions  foient  plus  fortes  que  les  premières , 
&  ajoutent  quelque  chofe  au  dîfcours;  de  forte 
que  îans  être  ennuyeux ,  on  rende  fenfible  &  pal- 
pable ce  que  l'on  vouloir  faire  connoître.  un 
habile  homme  s'accommode  à  la  capacité  des 
Auditeurs,  il  s'arrête  aux  chofes  qui  font  obfcu- 
res, &  il  ne  les  quitte  point  jufques  à  ce  qu'elles 
foient  entrées  danî  leur  efpriî:,  &  qu'elles  s'y  foient 
établies.  .         .     ,  ^ 

Les 


9£  ^ARLZR.  Liv.JV.  Cbap.MH,     ^;5 

Les  vcritez  qui  fe  démontrent  dans  les  plai- 
doyers &  dans  les  harangues,  ne  font  pas  de  la 
nature  des  veritci  Mathématiques.    Ces  dernières 
lïc  dépendent  que  d'un  tres-pctit  nombre  de  prin- 
cipes certains  &  infaillibles.    Les  premières  dé- 
pendent d'une  multitude  de  circonftances  qui ,  fé- 
parées ,  n'ont  pas  de  force ,  &  qui  ne  peuvent  con- 
vaincre que  lorfqu'elles  font  ramaflees  8c  unies  en- 
femble.  On  ne  peut  les  ramaifer  fans  art,  &  c'eft 
où  paroît  radrelte  des  Orateurs.    Ils  ménagent  les 
moindres  circonftances,  &  fouvent  ils  font  le  fon- 
dement de  leur  preuve  d'une  particularité  qu'un 
autre  auroit  rebutée ,  &  n'auroit  daigné  employer. 
Pourquoi  Ciceron  groffit-il  fes  Oraifons  de  cir- 
conftances qui  femblent  inutiles  &  bafles  ?  A  quoi 
bon  rapporter  que  Milon  changea  de  fouliers , 
qu'il  prit  fes  habits  de  campagne,  qu'il  partit  tard, 
attendant  fa  femme  ,  laquelle  tut  long-temps  à 
fe  préparer,  félon  la  coutume  des  femmes;  Ceft 
que  cette  peinture  fimple  &  naïve  qu'il  fait  fans 
oublier  le  moindre  trait  de  l'aéHon  qu'il  veut  met- 
tre devant  les  yeux  des  Juges ,  perluade  eflScacc- 
lîient  qu'on  ne  peut  rien  appercevoir  dans  la  con- 
duite de  Milon  qui  le  faflTe  foupçonner  d'avoir 
Srémedité  d'aflafrmer  Clodius ,  comme  prétcn- 
oient  fes  ennemis. 

Les  grands  Orateurs  n'emploient  que  des  ex- 
prcffions  riches,  capables  de  foire  valoir  leurs  rai- 
fons.  Ils  tâchent  d'éblouir  les  yeux  &  l'efprit,  8ç 
pour  ce  fujet  ils  ne  combattent  cju'avçc  des  armes 
brillantes.  L'ufage  ne  leur  foumiffant  pas  toujours 
des  mots  propres  pour  exprimer  le  jugement  qu'ils 
font  des  chofes  ,  &  pour  les  faire  paroîtrc  auiS 
grandes  qu'elles  font  :  ils  ont  recours  aux  Tro- 

!>es,  qui  leur  fervent  encore  à  donner  telle  cou- 
eur  qu'ils  défirent  à  une  aétion  ,  à  la  faire  pa- 
roîtrc petite  ou  grande  ,  lotiablc  ou  méprifable, 

juftc 


3^3^  ^^  Rhitohique,  ou  l*Akt 
juïlc  ou  injufte ,  félon  que  les  termes  métaphori- 
ques dont  ils  fe  fervent,  la  relèvent  ou  l'abaiffent. 
Mais  l'abus  qu'ils  font  de  cet  art  les  rend  fou- 
vent  ridicules.  On  n'a  pas  droit  de  dcguifer.  une 
aâion ,  de  l'habiller  comme  l'on  veut ,  de  donner 
le  nom  de  crime  à  une  faute  excufable  ,  &  d'en 
parler  comme  d'une  faute  légère ,  fi  elle  eft  cri- 
minelle. Les  mots  de  crimes  &  de  fautes  donnent 
des  idées  contraires.  Si  l'on  n'appUque  ces  ter- 
mes avec  juflefle,  on  doit  pafTer  ou  pour  n'avoir 
pas  de  jugement,  ou  pour  avoir  peu  de  bonne  foi. 
Les  perfonnes  fages  qui  écoutent ,  s'^attachent  aux 
çhofes ,  &  avant  que  de  fe  lai  (Ter  perfuader  par 
.  les  mots ,  ils  examinent  s'ils  font  juftes.  J'admi- 
re ces  Déclamateurs  qui  croyent  avoir  triomphé 
de  leur  ennemi,  quand  ils  fe  font  raillez  defesrai- 
fons  :  ils  croyent  l'avoir  terrafle  quand  ils  l'ont 
diargé  d'injures,  &  qu'ils  ont  cpuifé  toutes  les  fi- 
gures de  leur  art  pour  le  rcpreJcnter  tel  qu'ils  veu- 
knt  qu'ils  paroifTent. 

"Mais  aufli  un  Orateur  ne  doit  pas  être  froid  & 
indiffèrent.  On  ne  peut  défendre  fortement  une 
vérité  ,  fi  l'on  ne  s'interefle  dans  fa  défenfe.  Le 
difcours  eft  languiflant  qui  ne  part  pas  d'un  cœur 
échauffé  &  ardent  à  çombatre  pour  la  vérité , 
dont  il  a  pris  le  parti.  Nous  avons  montré  dans 
le  fécond  Livre,  aue  comme  la. nature  fait  pren- 
dre aux  membres  au  corps  desr  poflures  propres  à 
attaquer  &  a  fe  défendre  dans  un  combat  fingu- 
lier ,  elle  fait  aufli  que  l'on  figure  fon  difcours  , 
&  que  Fon  lui  donne  des  tours  propres  à  foutenir 
une  vérité  conteftée  ,  à  l'établir  ,  &  à  réfuter  ce 
q,u*on  lui  oppofe.  Aufli  nous  voyons  qu'il  n'y  a 
rien  de  plus  figuré  que  le  difcours  d'un  grand  Ora- 
teur qui  entre  dans  tous  les  fentimens  de  celui 
.dont  il  plaide  la  çaufc  ,  &  fe  revêt  de  toutes  fcs 
afifeâions, 

Ccft 


f< 


Bi  PARLER.  Ltv.lV.  Chap.Xllî,       337 

Ceft  la  qualité  des  chofcs  dont  il  parle, 
qtri  doit  régler  fon  ftile  :  lorfque  les  chofcs  le  méri- 
tent ,  fl  doit  s*échaufFer  :  on  attend  de  lui  de  la 
véhémence.  Par  exemple ,  quand  il  déclame  con- 
tre le  vice ,  contpc  les  crimes  énormes ,  il  ne  le 
doit  pas  fidrc  foiblement,  comme  le  dit  Seneque 
•écrivant  à  un  -de  fes  amis.  Defideres ,  inquies ,  con^ 
ira  Initia  aliquid afperè  dici  ^  contra pericula  animosè  9 
eontra  fortunamfuperbè ,  contra  ambitionem  contume* 
Sosè.  Volo  luxuriant  objttrgari,  Hbidînem  traduci, 
impotentiam  frangî  :  fit  aliquid  oratoriè  acre ,  tra» 
jicè  grande  y  comice  exile.  Ces  paroles  Latines  di« 
Sent  beaucoup:  elles  peuvent  tenir  lieu  de  pluficurs 
préceptes. 

La-,darté  eft  particulièrement  neceflaire  à  un 
Orateur;  mais  il  faut  prendre  garde  gu'en  voulant 
trop  dire,  il  ne  fatigue;  car  on  n*aime  pas  à  en- 
tendre rebattre  ce  que  Ion  fait  déjà.  Quand 
on  eft  ferré,  on  n*eft  pas  entendu:  ce  qui  eft 
étudié  &  profond,  eftobfcur:  ce  qui  eft  dair,fu- 
pcrficiel ,  connu ,  &  entendu  de  tout  le  monde ,  eft 
méprifé.  La  difficulté  eft  de  trouver  le  jufte  mi- 
lieu. Auffi  il  fe  peut  faire  que  deux  Orateurs , 
après  s'être  entendus ,  eurent  raifon  de  dire  l'un 
de  Tautre  ;  l'un  ,  après  que  le  premier  eut  parlé  : 
Les  eaux  claires  ne  font  'jamais  profondes  y  le 
premier  ayant  entendu  le  fécond  :  Les  eaux  pro^ 
fondes  ne  font  jamais  claires  -,  fe  reprochant  ré- 
ciproquement leurs  défauts;  à  l'un  d'être  fuper- 
ficiel ,  à  l'autre  d'être  obfcur.  Eft-il  neceifairc  que 
j'avertifle  que  c'eft  une  extravagance,  ou  un 
orgueil  mal  entendu  que  d'affederl'obfcurité  pour 
faire  mine  qu'on  dit  de  grandes  chofes  ?  La  ré- 
putation eft  facile  à  acquérir  à  ce  prix-là  ;  mais 
il  faut  parler  devant  de  fottes  gens ,  qui  efFeéti- 
vement  n'admirent  que  ce  qui  eit  énigmatique, 
que  ce  qu'ils  n'ejatçndent  point.    Aulli ,  coniftie 

P  il 


335      La  Rhitokiqjui,  ou  l'Aut 

il  ne  s*cn  rencontre  que  trop,  je  nem*ctonnepM 
s'il  s'cft  trouvé  un  mauvais  Maître  qui  donnoir 
pour  préceptes  à  fcs  écoliers,  de  jetterde  robfcU'- 
lité  fur  leurs  écrits,  fans  doute  pour paroître mer- 
veilleux. Son  mot  ordinaire  •  étoit ,  aHcimt  i 
c'eft-à  dire,  ôbfcurcifTez  ce  que  vous  dites.  Quin- 
tilien  parle  de  ce  mauvais  Rhéteur,  à  qui  les 
chofcs  paroiflbient  d'autant  meilleures ,  qu'il  avoit 
peine  à  les  entendre:  Tanto  meliory  ne  eg9  quUem 
inutiexi  :  Cela  eH  exce^ent ,  je  ne  Tentens  pac 
moi-même. 

Pour  le  nombre ,  ou  cadence  propre  à  TOrateur  , 
fon  difcours  doit  être  périodique  de  temps  en 
temps  ;  les  périodes  fe  prononçant  avec  plus  de 
majefté,  elles  donnent  du  poids  aux  chofes. 


Chapitre    XIV. 
Quel  doit  kre  îeftile  des  Hijîoriens. 

A  Près  les  harangues,  il  n'y  a  point  de  fujct  où 
l'éloquence  fe  fafle  davantage  admirer,  que 
dans  l'Hiftoire;  car  c'eft  le  métier  de  l'Orateur 
d'écrire  l'Hiftoire ,  comme  dit  Ciccron  :  WJioria 
§pus  efl  maxime  Oratorium,  Ceft  par  fa  bouche 
que  les  aétions  des  grands  hommes  doivent  être 
publiées:  c'eft  fon  ftile  qui  en  conferve  la  mé- 
moire à  la  pofterité.  Les  principales  qualitci  du 
ftile  hiftorique  font  la  clarté  &  la  brièveté.  Un 
Hiftorien  éloquent  fait  une  vive  peinture  de 
l'aétion  qu'il  rapporte  ;  il  n'en  oublie  aucune  no- 
table circonftance.  Celui  qui  eft  fcc  ou  aride, 
ne  reprefente  que  la  carcafle  des  chofes,  il  ne 
les  dit  qu'à  demi  :  ainfi  fon  Hiftoirc  eft  mai- 
gre &  décharnée.  Quand  on  rapporte  un  com- 
bat qui  a  été  fuivi  d'une  viâoue  fi^alée,  ce 

n'cft 


t>i  ^AHiHii.  Lh.IV.  Cbap,  XJV,      339 

ti'cft  pas  être  Hiftorien  que  de  dire  ifimplement 
^ue  ion  a  combattu  ;  il  faut  rapporter  les  cau- 
fes  de  la  guerre,  dire  comment  elle  s!eft  allu- 
mée, faire  connoître  quel  étoit  le  deflcin  des" 
Prince's ,  quelles  étoient  leurs  forces  ;  il  faut 
faire  une  defcription  du  lieu  du  combat ,  pac? 
trculierement  fi  ce  lieu  a  été  caufc  de  quelque 
accident  confidcrablc,  &  découvrir  tous  les  fèa- 
tagèmes  dont  on  s*eft  fervi.  Mais  il  faut  fur 
toute  chofe  que  l'Hiftoirc  foit  comme  un  miroir 
qui  rend  les  objets  tels  qu'ils  fe  prefentent  à  lui^ 
fans  augmentation  ni  diminution  de  leurgrandeus 
naturelle. 

La  brièveté  contribue  à  la  clarté  :  je  ne  parle 
point  de  celle  qui  confifte  dans  les  chofcs,  6c 
dans  im  choix  de  ce  qu'il  faut  dire  &  de  ce 
qu'il  fout  négliger.  Le  ftilc  d'un  Hiftorien  doit 
être  coupé,  dégagé  de  longues  phrafes,  &  de 
CCS  périodes  qui  tiennent  l'efprit  en  fufpens.  n 
faut  que  fon  cours  foit  égal,  &  qu'il  ne  foit 
point  interrompu  par  ces  figures  extraordinai- 
res ,  par  ces  grands  mouvemens  qui  font  dé* 
fendus  à  un  Hiftorien  dont  le  devoir  eft  d'écri- 
re fans  paffion.  Ce  n'eft  pas  qu'un  Hiftorien 
Gui  eft  bon  Orateur ,  ne  puifle  faire  ufage  de 
ion  éloquence.  L'occafion  s'en  prefente  aflez  fou- 
vent.  Comme  il  eft  obligé  de  rapporter  ce  qui 
a  été  dit ,  auffi-bien  que  ce  qui  a  été  fait ,  il  y 
a  des  harangues  à  faire  dans  l'Hiftoire,  où  les 
figures  font  néceflaires  pour  peindre  la  paiEon  de 
ceux  qu'on  fait  parler. 


P  1  C  H  A- 


340        La  Rhetork^ue,  ou  lAkt 

Chapitue    XV. 
Quel  doit  être  le  Jîile  Dogmatique. 

LE  zelc  que  Ton  a  pour  la  défenfc  d'une  vé- 
rité conteftée,  caufe  dans  l'ame  des  mou- 
vemens  qui  font  qu'elle  fe  tourne  de  tous  cotez , 
quelle  cnerchc  par  tout  des  armes,  &  qu'elle 
employé  toutes  les  forces  de  l'éloquence  pour 
triompher  de  fes  adverfaires.  Dans  les  matières 
dogmatiques ,  où  pour  Auditeurs  on  n'a  que 
des  perfonnes  dociles ,  qui  reçoivent  ce  qu'on  leur 
dit  comme  ils  recevroient  des  Grades,  ces  fu- 

i'ets  de  zèle  &  de  chaleur  ne  fe  prefentent  point. 
)ans  unTraité  deGeometrie,quel  lujet  auroit-on  de 
s'échauffer  ?  Les  veritez  qu'on  y  démontre  font 
évidentes.  Elles  n'empruntent  point  leur  darté 
des  lumières  de  l'éloquence:  il  ne  faut  que  les 
propofer.  Ce  n'eft  pas  comme  dans  les  procès, 
où  la  vérité  ell  ftcheufeaux  uns,  &  avantageufe 
aux  autres,  &  où  étant  reconnue,  elle  enrichit 
l'un,  &apauvrit  l'autre.  Qui eft celui  qui  prend 
intérêt  à  contefter  ou  à  défendre  une  propofition 
de  Géométrie  ?  Les  Géomètres  démontrent  que 
les  trois  angles  d'un  triangle  font  égaux  à  deux 
angles  droits.  Que  cela  foit  vrai  ou  faux,  cela 
ne  fait  ni  bien  ni  mal  à  perfonnc,  l'on  ne  s'y 
oppofe  point.  C'eft  pourquoi  le  ftile  d'un  Géo- 
mètre doit  êtrelîmple,  fec,  &  dépouillé  de  tous 
les  mouvemens  que  la  palfîon  infpire  à  l'Ora- 
.teur.  Outre  que  plus  une  vérité  eft  claire,  & 
conçue  avec  évidence ,  on  eft  plus  déterminé  à 
l'exprimer  d'une  même  façon ,  &  en  peu  de  pa- 
roles. 
En  traitant  la  Phyfiquc  &  la  Morale,  on  peut 

prea- 


BE  PA&tBR.  Lh.  IV.  Ckap.  XV,      34t 

prendre  une  matière  d'écrire  moins  feche  que 
ceftilc  des  Géomètres.  Un  homme  qui  s'appli- 
que avec  contention  à  refoudre  un  problème  de 
Géométrie ,  à  trouver  une  Equation  d'Algèbre , 
cft  chagrin  &  auftere  ;  il  ne  peut  fouffirir  ces  pa- 
roles qui  ne  font  placées  dans  le  difcours  que 
pourrornement.  Mais  la  Phy (îquc  &  la  Morale  ne 
font  pas  des  matières  fi  épineufcs ,  qu'elles  ren- 
dent de  mauvaifc  humeur  les  Lecteurs.  Il  n  eft 
donc  pas  neceffaire  que  le  llile  de  ces  Sciences 
ibitfi  fevere. 

Les  veritez  qui  fe  démontrent  dans  les  Sciences 
pio&ncs,  font  lleriles,  &  peu  importantes.    Les 
ptflions  ne  font  julks  &  .  raifonnables  que  lorf- 
^a'cUes  portent  Tame ,  &  la  pouffent  à  chercher 
im  bien iblide ,  &  à  fuir  un  mal  véritable;  c'eft 
donc  une  chofe  aifez  ridicule  de  fe  paifionner 
pour  foûtenir  ces  veritez  qui  ne  font  ni  «bien  ni 
nul  y  d'en  parler  avec  des  emportemens  ,  des 
tranfports  &  des  figures  que  le  bon  fcns  veut 
qu'on  rcferve  à  d'autres  occafions.    Je  ne  puis 
xuffrir  ceux  qui  fe  paffionnent  pour  défendre  la 
leputation  d'Ariflote,  qui  difentdes  injurcsàceux 
fd  n'cftiment  pas  aflez  Ciceron,  qui  font  des 
exclamations  6c  des  figures  contre  ceux  qui  fe 
trompent  en  parlant  des  habits  des  Grecs  &  des 
Latins.    Mais  auffi  je  ne  puis  difllmuler  que  c'eil 
avec  peine  que  je  lis  les  ouvrages  de  ces  Théo- 
logiens qui  parlent  avec  autant  de  froideur  &  de 
Icchcrefie,  des  principales  veritez  de  notre  Reli- 
BÏon»  que  fi  elles  n'etoient  importantes  à  perfon- 
de.    C'clt  une  efpece  d'irréligion  que  d'envifager 
les  chofes  de  Dieu  fans  des mouvemens d'amour,. 
le  refped  ëc  de  vénération  qui  fe  faffent  paroître 
au  dehors.    On  ne  peut  affilier  aux  faints  Myfte- 
que  dans  une  polture  refpeélueufe.    Ceux  qui 
mêlent  de  parler  de  Théologie,  qui  veulent 

P  3  inf- 


i 


moWÎ'^5„,,eS  ,   °\:,     CUV  1=^°^  ni4C' 


B 1  p  AK  L  £ K.  Lh.  IV.  Chaf. XVî.      34J 

âans  la  poëfie,  l'ufage  ne  foumiffant  pas  défi 
termes  aflez  forts.  Le  tour  du  difcours  poétique 
doit  être  auflî  figuré  pour  la  même  raifon  ;  car  la 
dignité  de  la  matière  rempliffant  l'ame  du  Poète 
de  tranfports  d'eftime  &  d'admiration,  le  cours 
de  fes  paroles  ne  peut  être  égal  ;  il  eft  neceffaire- 
ment  interrompu  par  les  flots  de  ces  grands  mou- 
vemens  dont  ion  efprit  eft  agité.  Auffi  lorfque 
le  fujet  de  fes  vers  n'a  rien  qui  puifle  caufer  ces  fou- 
gues &  ces  tranfports,  comme  dans  les  Comé- 
dies ,  dans  les  Eclogues ,  &  dans  quelques  autres 
efpeces  de  vers  dont  la  matière  eft  oalfe ,  fon  ftilè 
doit  être  fimple  &  fans  figures.  C'eft  la  qualité 
des  chofes  qui  font  grandes  &  rares,  quiexcufe  & 
aùtorife  la  manière  de  parler  des  Poètes;  car  fi  ces 
chofes  font  communes,  il  ne  leur  eft  pas  plut 
permis  qu'à  un  Hiftorien  de  s'éloigner  de  rufï^c 
commun. 

On  n'aime  pas  ordinairement  les  vcritcz  abf^ 
traites ,  qui  ne  s'apperçoivent  que  par  les  yeux  de 
Fcfprit.  Nous  fommes  tellement  accoutumez  à 
ne  concevoir  que  ce  que  les  fens  nous  prefentent, 
que  nous  fommes  incapables  de  comprendre  un 
raifonnement  s'il  n'eft  établi  fur  quelque  expe* 
rience  fenfible:  de  là  vient  que  les  cxpreffions 
abftraites  font  des  Enigmes  à  la  plupart  des  gens, 
&  que  celles-là  plaifent ,  qui  forment  dans  l'ima- 
gination une  peinture  fenfible  de  ce  qu'on  leur 
veut  faire  concevoir.  C'eft  pourquoi  les  Poètes 
dont  le  but  principal  eft  de  plaire ,  n*employent 
que  ces  dernières  expreffions;  &  c'eft  pour  cette 
même  raifon  que  les  Métaphores,  qui  rendent 
toutes  chofes-lenfibles,  comme  nous  avons  vu, 
font  fi  fréquentes  dans  leur  ftile. 

Ce  defir  de  frapper  vivement  les  fens ,  &  de 
fc  foire  entendre  lans  peine ,  a  porté  les  anciens 
Poètes  à  ufer  fi  fouvcnt  de  fiélions ,  donnant  à 

P  4  cha- 


344     Là  Rhetoriqjue,  ou  l'Aut 

chaque  chofe  un  corps  fait  comme  le  nôtre,  une 
amc  &  un  vifage.  Lorfqu'un  Poète  eft  une  fois 
échauffé,  il  ne  coufidcre  plus  les  chofes  dans 
leur  état  naturel. 

Ce  nejl  plus  la  vapeur  qnt  produit  le  tonnerre» 
(Ttfi  Jupiter  armé  pour  effrayer  la  terre  : 
Vn  orage  terrible  aux  yeux  des  matelots , 
C*ejl  Sept  une  en  courroux  qui  gourmande  les  fiots» 

Cela  touche  d'une  autre  manière  que  les  ^Jg 
preflions  communes.  Quand  un  Poëte  vient  a 
parler  de  la  fguerre  ,  &  qu'il  dit  que  Bellonne , 
Déeffe  de  la  guerre ,  porte  la  terreur  &  répou- 
vante dans  toute  une  armée ,  que  le  Dieu  Mars 
anime  Tardeur  des  foldats;  ces  manières  de  dire 
les  chofes  font  bien  une  autre  impreffion  fur  les 
fens,  que  celles-ci  dont  on  fe  fert  dans  Tufage 
ordinaire.  Toute  l'armée  fut  épouvantée  :  Les 
foldats  étoient  animez  au  combat.  Chaque  ver- 
tu, chaque  paffion  eft  une  Divinité  dans  la  Poëiie. 
Minerve  eft  la  Prudence.  La  Crainte,  la  Colère, 
l'Envie  font  des  Furies.  Ces  noms  de  crainte ,  de 
eolere^  d'envie  ^  quand  on  ne  confidere  que  les 
idées  que  l'ufage  y  a  jointes ,  ne  font  pas  gran- 
de impreffion.  Mais  on  ne  peut  fe  reprefenter  la 
Déeflc  de  la  colère  avec  fes  yeux  pleins  de  fu- 
reur, fes  mains  teintes  de  fang,  ces  fiâmes  qui 
fortent  de  fa  bouche ,  ces  ferpens  fifRans  autour 
de  fa  tête,  cette  torche  allumée  quelle  tient  à  la 
main ,  fans  frémir  &  fans  s'effrayer. 

Dans  les  Poëfies  faintes  .  c  eft-à-dire  ,  dans 
celles  mêmes  qui  fe  chantoient  devant  le  Sanc- 
tuaire ,  les  Prophètes  fe  fervoient  de  manières  à 
feu  près  femblables  pour  fe  rendre  intelligibles 
la  populace.  David  fait  concevoir  comme  Dieu 
l'avoit  fecouru  £c  protégé  contre  fes  ennemis,  d'un 

ftilc 


D  EPAULER.  Z/V.  7  V,  Cbap,  XV  L       345 

ftile  qui  eft  auffi  vif  &  aufli  hardi  que  celui  des 
Poètes  profanes  dont  nous  venons  de  parler.  11 
reprefente  Dieu  qui  defccnd  du  Qcl,  &  vient 
combatre  pour  fa  défenfc. 

En  cette  extrémité  dernière 
J^invoquai  le  Seigneur  y  j* eus  recours  à  mon  Dieu  ^ 

Et  voilà  que  de  fin  haut  Heu* 
Jl  entendit  ma  voix  y  il  ouït  ma  prière* 

Pour  moi  fis  firces  il  affemble  : 
Ces  hauts    monts  dont  Porgueil  s^éleve  jufiiu*aux 

deux 

Agitent*leurs  fronts  glorieux  5 
Etjufqu^au  findement  toute  la  terre  tremble. 

De  courroux  fin  vifige  fume , 
De  fis  yeux  irritez  fort  un  feu  dévorant* 
Qui  court  comme  un  affreux  torrent , 
Et  tout  ce  quil  rencontre  a'ujji-tôt  il  rallume. 

Les  deux  pour  le  la ijjer  def cendre 
Abaijfent  par  rifpeSl  leurs  grands  cercles  voûtez  \ 

Et  fius  fis  pas  de  tous  côfez 
Les  nuages  épais  commencent  de  s^étendre. 

Let  Chérubins  qui  deja  gloire 
Sont  avec  tant  d'ardeur  les  Minijlres  favans^ 

Tirent  fur  les  allés  des  vents , 
Son  char  9    où  fa  puiffance  attache  la  vÙioire, 

Jl  cache  fa  Majefté  fainte 
Sous  un  noir  pavillon  fait  de  fombres  brouillards  t 

Qui  comme  de  fermes  remparts , 
l'ont  autour  de  fon  trône  une  effroyable  enceinte. 

Laprofe  endort,  la  poëfîe  réveille.    Les  narra- 

P  5  tions 


34^      La  Rhitôukujs,  ou  l'Art 

tions  que  font  les  Poètes  font  interrompues  par 
des  exclamations  ,  par  des  apoftrophes  ,  par  des 
digrcffions ,  8c  par  mille  autres  figures  qui  entre- 
tiennent l'attention.  Ils  ne  regardent  jamais  les 
chofes  que  par  les  endroits  capables  de  charmer. 
Ils  n'en  apperçoiveht  que  la  grandeur  &  que  la  ra- 
reté :  ils  ne  confiderent  rien  de  tout  ce  qui  pour- 
roit  refroidir  la  chaleur  de  leur  admiration;  ce  qui 
fait  qu'ils  fortent,  pour  ainii  dire,  d'eux-mêmes, 
&  que  fe  laiflant  aller  au  feu  de  leur  imagination , 
ils  deviennent  femblables  à  une  Sibylle,  qui  étant 

t>leinc  d'un  efprit  extraordinaire,  ne  parloitpluslc 
angage  ordinaire  des  hommes. 

Sed pefius  anhelat , 
'Et  rahU  fera  corda  tument  5  maj orque  videri , 
J^ec  mortale  fonans  ,  ajjiata    eji    numine    quandê 
Jam  propiore  Dei. 

La  cadence  des  versleur  donne  une  force  particu- 
lière, d'où  vient  que  les  mêmes  chofes  infipides 
en  profe,  font  picquantcs  en  vers.    Eadem  negii» 
gentiùs  audluntur  ,   mînuffue  percuttunt  ,   quandiu 
folutâ  oratiêfte  dicuntur  :   ubi  accejfere  ttumeri  y  é^ 
egregium  fenfum  afirhfsùere  certî  pedes  ,   eadem  illa 
fententîa  velut  lacerto  excujja  torquetur»     Mais  pe- 
fez,  bien  ce  que  dit  ici  Seheque,  qu'il  faut  que  les 
vers  renferment  quelque  beau  fcfttmient  :  car  il 
en  eft  de  la  poëliè  comme  de  toutes  les  autres  cho- 
fes que  le  feul  plaifir  fiait  rechercher.  Ce  n'eft  pa> 
•aflez  qu'elles  foient  bonnes,  il  fiaut  qu'elles  foient 
agréables.    AmTi  on  ne  peut  lire  un  roëte  qui 
n'cft  que  médiocre. 


Cha- 


0 r  ?  AR L m.  Liv.  IV.  Cbap.  XVI J.      347 


C  H  A  P  I  T  n  E     XVII. 

De^  ornemeftSf  premièrement  de  ceux  ^u* on  peut  nom'» 

mer  nature/s^ 

I'L  fcmble  que  nous  n'aions  travaillé  jufqu*à 
ipréfent  qu'à  irendrc  folidcs  les  ouvrages  qu*on 
a  entrepris,  fans  penfer  à  leur  embelli ffement. 
On  fe  trompe;  car  la  beauté,  ainfi  que  Ta  dit  un 
Ancien ,  n*eft  autre  chofe  que  la  fleur  delafanté. 
Les  fleurs  font  un  eflfet  &  une  marque  du  bon 
état  de  la  plante  qui  les  a  produites.  Les  ome- 
mcns  du  difcours  naiflent  pareillement  de  fa  fan- 
té;  c*eft-à-dire ,  de  la  juftefle  avec  laquelle  il  a  été 
compofé.  Ainfi  il  ne  faut  point  d'autres  règles 
pour  parler  avec  ornement,  que  celles  que  nous 
avons  données  pour  parler  julle. 

La  même  chofe  reçoit  differens  noms,  félon 
les  différentes  faces  par  lefquelles  on  la  regarde. 
Quand  on  confidere  la  beauté  en  elle  même,  c*eft 
la  fleur  de  la  fanté  ;  mais  quand  on  la  confidere 
par-  rapport  à  ceux  qui  jugent  de  cette  beauté  , 
on  peut  dire  que  la  véritable  beauté  eft  ce  qui 
plait  aux  honnêtes  gens,  qui  font  ceux  qui  ju- 
gent raifonnablement  des  chofes.  Il  n'cft  pas  ûif- 
licile  de  déterminer  ce  qui  plaît ,  &  en  quoi  con- 
fifte  ce  «que  Ton  appelle  ,  un  je  ne  fat  quoi  , 
que  Ton  fent  dans  la  leélurc  des  bons  Auteurs  ; 
car  fi  on  refléchit  un  peu  fur  cefentiment,  on 
trouvera  que  le  plaifir  que  l'on  fent  dans  un 
difcours  bien  fait ,  n*eft:  caufé  que  par  cette 
relfemblance  qui  fc  trouve  entre  Timage  que  les 
paroles  forment  dans  Tefprit ,  &  les  chofes  dont 
elles  font  la  peinture.  De  forte  que  c'eft  la  vé- 
rité qui  plaît  ;  car  la  vérité  d'un  difcours  n'eft 

P  6  au- 


34^        La  Rhétorique,  ou  l*Art 

autre  chofe  que  la  conformité  des  paroles  qui  le 
compofent  avec  les  chofes.  Ainfi  lorfque  cette 
conformité  eft  cxtraordinairement  parfaite  ,  le 
difcours  eft  extraordinairement  parfait.  Il  en 
cft  comme  de  la  peinture ,  lorfqu'elle  eft  reffem- 
blante ,  elle  plait ,  quoique  les  chofes  qu'elle  re- 
prcfente,  foient  en  elles-mêmes  defagréables  & 
horribles.  Le  plus  affreux  ferpcnt  plaît  dans  un 
Tableau.  De  même  quelque  médiocres  que  foient 
les  chofes  qu'un  Ecrivain  raconte,  s'il  le  fait  clai- 
rement &  vivement,  il  fe  fait  lire. 

L'harmonie  contribue  à  la  beauté.  Le  difcours 
eft  un  inftrument  qui  eft  fait  pour  lignifier  ce 
que  l'on  penfe  :  cet  inftrument  plaît  quand  il  rend 
le  fervice  que  l'on  en  attend  ,  &  qu'il  le  fait 
d'une  manière  facile.  Nous  avons  fait  voir  aiU 
leurs  qu'un  <iifcours  qui  fe  prononce  facilement , 
donne  du  plaifîr.  D'oii  l'on  peut  conclure  qu'il 
n'y  a  rien  de  véritablement  beau  dans  un  dif- 
cours ,  que  ce  qui  eft  utile  ,  foit  pour  la  clarté 
des  exprefîions,  foit  pour  la  facilité  de  la  pro- 
nonciation. Il  eft  conftant  que  dans  les  ouvra- 
ges de  la  nature ,  tout  ce  qui  eft  beau ,  eft  ac- 
compagné d'une  grande  utilité.  Dans  un  verger 
la  difpofition  des  arbres  qui  font  plantez  à  la  ligne, 
&  en  échiquier ,  eft  agréable  &  urilc  ;  car  elle 
fait  que  la  terre  communique  également  Ton  Aie 
à  tous  ces  arbres.  Arbores  in  ordinem  certaque 
ititerva/Za  reda6la  placent  ;  quincunce  n'tbil  jite» 
c'wfius  eft ,  fed  iil  quoque  prodeft ,  ut  fuccum  ter» 
YA  éiqualiter  trabant.  Dans  im  bâtiment  les 
colomnes  qui  en  font  le  principal  ornement ,  y 
font  fi  neceffaires,  &  leur  beauté  eft  li  étroite- 
ment liée  avec  la  folidité  de  tout  l'édifice,  qu'on 
ne  peut  les  renverfer  fans  le  ruiner  entièrement 

Cependant  nous  fommes  obligez  de  reconnoî- 
tre  qu'outre  cette  beauté  uaturcllc,  il  y  a  de  cer- 
tains 


BB  PARLIR.  Liv^JV,  Chap.XVlIL       J4f 

tains  omcmcns  que  nous  pouvons  appellcr  artifi- 
ciels, en  les  comparant  à  ceux  dont  les  perfon- 
nes  bien-faites,  accompagnent  les   grâces  natu- 
rdles  de  leur  vifage.    Il  faut  avouer  que  dans 
les  ouvrages  des  Ecrivains  les  plus  judicieux,  on 
trouve  de  certaines  chofes  qu'on  pourroit  retran- 
c4ier  fans  faire  tort  au  fens  de  leur  difcours  , 
<  fans  en  troubler  la  clarté,  fans  en  diminuer  la 
force.    Elles  n'y  font  placées  que  pourl'embel- 
lilTemcnt ,  &  elles  n'ont  point  d'autre  utilité  que 
celle  d'arrêter  l'efprit  du   Ledleur  par  le  plaifir 
qu'il  reçoit  de  fa  ledure ,  &  àc  faire  qu'il  s'appli- 
que plus  volontiers.    Souvent  après  avoir  dit  tout 
ce  qui  eft  neceflaire  ,  on  ajoute  quelque  chofc 
d'agréable..    Après  que  les  mots  &  les  expreffions 
font  affez  bien  arrangées ,  &  qu'elles  fe  peuvent 
prononcer  commodément ,  on  fait  davantage , 
on  les  mefure,  &  on  leur  donne  une  cadence 
agréable  aux  oreilles.  La  Nature,  fe  joué  quelque- 
fois dans  fcs  ouvrages ,  toutes  les  plantes  ne  por- 
tent pas  des  fruits ,  quelques-unes  n'ont  que  des 
fleurs. 


Chapitre    XVIIL 

Des  orAemens  artîfcteh. 

* 

LES  orncmens  artificiels  confident  dans  les 
Tropes,  dans  les  Figures,  dans  un  arrange- 
ment harmonieux  des  paroles  qui  compofent  le 
difcours,  dans  des  penfées  fpirituelles  conçues  en 
dés  termes  rares  ,  dans  des  allufîons ,  &  des  appli- 
cations ingenieufes  de  paflages  de  quelque  Au- 
teur fameux.  Allons  jufqu'à  la  fource  du  plaifir 
que  donnent  ces  ornemens.  L'homme  étant  fait 
pour  la  grandeur,  tout  ce  qui  en  porte  les  mar- 

P  7  ques 


yço       l'A  Rhetohiqjdb,  ou  L'Aar 

ques ,  donne  du  plaifir.    Ainû  la  fécondité ,  là 
richcfle  des  expreffions ,  lés  grandes  périodes  ^ 
les  grands  mots ,  les  figures  hardies ,  les  penfée^ 
relevées  font  agréables.    De  cette  inclination  que 
nous  avons  pour  la  grandeur  y  vient  cet  amour 
que  nous  avons  pour  tout  ce  qui  eil  rare  &  ex- 
traordinaire.   La  capacité  de  notre  cœur  eft  in- 
finie, il  n'y  a  que  Dieu   qui  la  puifle  remj^. 
Tputes  les  chofes  communes ,  6c  que  nous  avons 
mefurées,  pour  ainfi  dire,  avec  cette  capacité, 
nous  doivent  donc  paroître  petites ,  &  nous  dé- 
goûter. Ce  qui  n'arrive  pas  fi-tôt  quand  les  chofes 
font  extraordinaires ,  parce  que  nous  n'en  avons 
point  encore  .trouvé  les  bornes ,  ainû  eUes  nous 
plaifent.    Il  femble  que  tout  ce  qui  fe  prefcnte 
a  nous  d'extraordinaire  ,  eil  ce  qui  nous  va  iâ- 
tisfaire.    Ceft   pour  cette  raifon  que  les  Méta- 
phores èc  les  Figures ,  qui  font  des  manières  de 
parler  extraordinaires ,  &  généralement  toutes  Icf 
expreffions  qui  ne  font  pas  communes ,  nous  font 
agréables. 

Nous  avons  auffi  naturellement  de  l'eftime  & 
de  l'amour  pour  ce  qui  eil  fait  avec  efprit,  & 
ce  qui  marque  quelque  rare  perfeélion.  Ainfi 
qnand  un  Auteur  dit  fur  un  fujet  quelque  chofc 
qui  ne  vient  pas  dans  la  penfée  de  tout  le  mon- 
de, quand  il  fe  fert  adroitement  d'un  pafTagedc 
quelque  Auteur,  qu'il  l'applique  bien,  qu'il  ait 
quelque  allufion  fpirituelle,  qu'il  trouve  un  moicn 
fin  de  s'exprimer ,  il  plaît ,  parce  que  ce  font  là 
des  marques  de  fon  efprit  qui  brille  dans  fon  ou- 
vrage. 

De  là  vient  encore  que  les  imitations  ingc- 
nieufcs  font  fouvcnt  auûi  agréables  que  la  vérité 
même.  Ne  prend-on  pas  autant  de  plaifir  à  en- 
tendre un  homme  qui  imite  fort-bien  la  voix 
d'unroffignol,  que  le  roffigaol  môme  ?  Quand 

un 


Ue  parle r.  Lh.IV.  Cbap.XVJIL     35^ 

nri  Orateur  fe  fert  de  quelque  expreffion  qui  n'eft 
pas  naturelle  ,  &  qui  néanmoins  fait  concevoir 
les  chofes ,  cette  imitation  eft  agréable ,  l'adrefle 
avec  laquelle  il  s'ell  fervi  de  cette  expreffion,  qui 
n'étoit  pas  faite  pour  cet  ufage,  plaît.  Ceft  pour 
cela  que  les  allulions  font  agréables  j  maiscen'eft 
pas  la  feule  beauté  de  l'efprit  de  l'Auteur  qui  char- 
me dans  ces  occafions  ;  un  Ledleurfpirituel  prend 
part  à  fa  gloire ,  parce  qu  il  remarque  qu'il  a  lui- 
même  de  l'efprit,  puifqu'il  a  pu  appercevoir  fa 
pcnfée  au  travers  au  voile  de  Tallufion  dont  il 
l'avoit  couverte. 

Les  emblèmes  doivent  être  mifes  dans  le  rang, 
de  ces  expreffions  ingenieufcs,  qui  font  conce- 
voir d'une  manière  courte  &  rare  ce  que  veut 
dire  celui  qui  les  propofe.  Il  plaît,  parce  qu'il 
fe  fert  adroitement  de  quelque  peinture  fennble 
pour  faire  concevoir  une  penféé  fpirituelle. 
Comme  dans  cet  emblème  qu'un  Sujet  prit  pour 
Symbole  de  fa  fidélité  à  fon  Prince  .  auquel 
il  demeura  attaché  après  que  ce  Prince  fut  tom- 
bé dans  une  difgrace  fâcheufe.  Le  corps  de 
cet  emblème  étoit  un  lierre  qui  embralloit  le 
tronc  d'un  chêne ,  &  qui  demeuroit  enlaffé  après 
que  le  chêne  avoit  été  renverfé  par  terre ,  avec 
ces  mots  :  Héretque  cadenti.  Les  hommes  ne 
conçoivent  qu'avec  une  application  pénible  les 
choies  fpirituelles;  les  expreffions  fenfibles  qui  leur 
épargnent  cette  peine,  leur  font  agréables  ;  c^eft 
pourquoi  les  emblèmes  qui  font  dt^  peintures  fen- 
fibles, plaifent.  Pour  cette  même  raifon,-  comme 
nous  l'avons  dit  fouvent,  les -Mettphbres  qui  font 
prifes  de  chofes  fenfibles ,  font  mieux  reçues ,  6c 
Guelquefois  font  plus  claires  que  les  expreffions  or- 
dinaires. 

Enfin  un  difcours  figuré ,  &  qui  porte  les  ca- 
raélercs  d'un  efprit  animé,  doit  cauler  un  plaifir 

fe- 


j5*      La  R  HE  torique,  ou  l'Art 

fecret  :  car,  comme  nous  avons  vu,  la  Nature* 
mis  les  paflîons  dans  le  cœur  de  l'homme ,  com- 
me des  armes  dont  il  fe  peut  fervir  pour  re- 
poulTer  le  mal,  &  acquérir  ce  qui  lui  eft  avan- 
tageux.   Ainli  le  mouvement  de  ces  paflîons  qui 
font  il  utiles  pour  fa  confervation ,  eft  toujours 
accompagné  de  quelque  plaifir  fecret.    Une  trop 
grande    tranquilitc    de    l'ame  caufe  de  Tcnniu. 
On  aime  à  rcITentir  quelques  petites  .émotions, 
qiiand  on  ne  craint  point  d'ailleurs  aucune  f3- 
cheufe  fuite.    Selon  ce  qu'on  a  dit,  les  figures 
impriment    dans  refprit  des  Leéteurs  les  paffions 
dont  elles  font  les  carad^eres.    Un  difcours  figuré 
doit  donc  être  beaucoup  plus  agréable  qu'un  dif- 
cours uni.    On  ne  Jit  jamais  les  vers  fuivans  fans 
reflentir  des  mouvemens  de  tendrefle  ôc  de  dou- 
leur.   Virgile  fait  dans  ces  vers  la  peinture  de 
Nifus,  lorfquc  Volcens  s'avançantrépéeàlamaia   • 
contre  Euriale  qu'il  croioit  avoir  mis  à  mort  Ta- 
gus  :  Nifus  ,  pour  mettre  à  couvert  de  ce  danger 
Euriale  fon  ami  ,  fe    déclare    auteur  de  cette 
aélion  :  il  dit  que  c'cft  lui  qui  a  tué  Tagus,  ilfc 
prefente  pour  recevoir  le  coup  dont  Volcens  al- 
loit  frapper  Euriale. 

Me  me,  adfum  qui  feciy  in  me  convertite  ferrum, 
O  Rutuli  :  mea  fraus  omnis ,  nibi/  ijîe  nec  aufus  , 
l^ec  potuit  :  cœ/um  boc  éf  confcia  Jydera  tefiçTy 
Tantùm  infelicem  nimiiitm  dilexït  amicum. 


Chapitre    XIX. 
Des  faux  ornemens* 

L'On  trouve  peu  de  perfonnes  qui  examinent 
avec  jugement  .les  chofes  qui  le  préfenterit.. 

On 


Di  PARLER.  Lh.IV.  Cbaf.XIX,        3^53 

On  fe  laiffe  furprendrc  par  les  apparences.  Ainfi  y 
parce  que  les  grandes  chofes  font  rares  &  extraor- 
dinaires ,  les  hommes  fe  forment  une  telle  idée  de 
la  grandeur,  que  tout  ce  qui  a  unairextraordinai- 
rc,  leur  paroît  grand.  Ils  n* eiliment  enfuite  que  ce 
qui  n'eft  pas  commun  ;  ils  méprifent  les  manières 
de  parler  naturelles,  parce  qu'elles  ne  font  pas  ex- 
traordinaires. Ils  aiment  les  grands  mots ,  les  phra- 
fes  enflées ,  Sefquipedalia  verba  &  ampullas.  rour 
les  éblouir ,  il  faut  feulement  revêtir  d'un  habit 
étranger  &  magnifique  ce  qu'on  leur  propofe.  Ils 
ne  rechercheront  pas  fi  fous  cet  habit  extraor- 
dinaire il  y  aquclque  chofc  de  caché ,  qui  foit  effec- 
tivement grand  &  extraordinaire.  Ce  qui  feit 
remarquer  encore  plus  fenfiblement  leur  lottife  , 
c'cft  qu'ils  admirent  ce  qu'ils  n'entendent  pas  » 
mirantur  qns  non  intelligunt  ;  parce  que  l'obfcurité 
a.  quelque  apparence  de  grandeur ,  &  que  les 
chofes  fublimes  &  relevées  font  ordinairement  obf- 
cures  &  difficiles. 

Les  hommes  ayant  donc  une  fi  fauffe  idée  de  la 
grandeur ,  il  ne  faut  pas  s'étonner  fi  les  orncmens 
dont  ils  chargent  leurs  ouvrages,  font  faux,  &en 
fi  grand  nombre  ;  car  enfin ,  comme  nous  avons 
dit  ailleurs ,  ils  ne  veulent  rien  dire  que  de  grand- 
Leur  ambition  les  porte  plus  loin  qu'ils  ne  peuvent 
aller,  ainfi  ils  tombent  en  voulant  s'élever,  & 
acvent  en  voulant  s'enfler.  La  fécondité  eft  ime 
marque  de  grandeur  ;  Tardeur  qu'ils  ont  de  paroî- 
tre  féconds ,  fait  qu'ils  étouffent  leurs  penfccs  par 
orne  trop  grande  abondance  de  paroles.  Quand  iUel- 
que  chofe  leur  plaît,  ils  s'y  arrêtent,  ilslarep<ï*:eht: 
Hefciunt  quod  bette  ceffft  reiinquere.  Ils  font 
comme  ces  jeunes  chiens  qui  ne  peuvent  quitter 
leur  proye,  &  qui  s'en  jouent  long-temps.  Il  faut 
donner  à  chaque  chofe  Ion  étendue  naturelle^  Une- 
ttatuc  dont  les  parties  ne  font  pas  proportionnées^ 

qui 


354      La  Rhetohioué,  ou  l'Art 

qui  a  de  grandes  jambes  &  de  petits  bras,  unpetit 
corps  ^  une  groffe  tôtc,  cft  monflrueufc;  Le  [dm 
grand  feaet  de  l'éloquence  eft  de  tenir  les  efpriti 
attentifs,  &  d'empêcher  (qu'ils  ne  perdent  de  vûëlc 
but  où  il  faut  les  conduire.  Quand  on  s'arrête 
trop  long-temps  à  de  certaines  parties ,  leLeâcor 
en  eft  fi  occupé,  qu'il  ne  fe  fouvient  plus  dufojet 
principal,  La  fécondité  n'eft  donc  pastoûjoursbon- 
ne.  Les  repletions,  aufli-bien  que  le  jeûne,  au- 
fent  des  maladies. 

Entre  les  favans^,  on  eftime  ceux  qui  ont  plus 
de  leéhu'e;  la  difficulté  des  Sciences  en  relerelc 
prix;  on  a  de  l'eftime  pour  ceux  quifaventl'^- 
be  &  le  Perfan.  On  n'examine  pas  fi  par  lemoien 
de  ces  langues  on  acquiert  quelque  rare  connoit 
fance  qui  ne  fe  puifle  trouver  dans  nos  Auteoxs. 
Il  fuffit  que  ceux  qui  ont  chargé  leur  memoiie 
de  ces  langues ,  fâchent  ce  qu'il-  eft:  difficile  dr 
favoir,  &  ce  qui  n'eft  fû  que  d'un  trèfrferit 
nombre  de  perfonnes.  L'ambition  qu'on  a  de  pi- 
roître  favant^  &  de  faire  remarquer  fonéruditioDr 
Ait  donc  qu'en  parlant  ou  en  écrivant  on  aDc* 
gue  continuellement  lès  Auteurs ,  quoique  leur 
autorité  ne  foit  neceffaire  que   pour  foire  &• 
voir  qu'on  les  a  lus,  &  pour  paner  pourdoâe, 
comme   faint   Auguftin   le   reproche    à  JuKco. 
Quis    hétc    audîat,    é^    non    ipfê    nominum  JtSê* 
rumque   conghbatarum  flrepitu    terreatur  ,  /  jf 
ineruditus  qualis  eft  bominum  multitudot  &  exh 
Jiimtt  te   aliquem  magnum  qui  hac  Jcire  potuerH  ^ 
On  entaflc  du  Grec  fur  du  Latin ,  de  l'HcbrcB 
fur  l'Arabe.    Une  fottifc ,  lorfqu  elle  eft  dite  c» 
Grec ,  eft  fouvent  bien  reçue  :  un  mot  Italien disf 
un  difcours,  quelque  application  qu'on  en  ûfir 
fait  pafler  fon  Auteur  pour  galand  &  poli.  S  f** 
cette  coutume  n'étoit  point  ordinaire,  nous  lé*  £^^ 
dons  auffi  étonnez  de  cette  manière  bizant  * 


tél. 


BE  PAUIEE.  Lhu  JV.  Cbap.  XIX.      3^5 

parler ,  que  d'entendre  un  phrenetique.  Ce  défaut 
gâte  un  ftile,  &  empêche  qu'il  ne  foit  net  &  cou- 
lant. Si  c'eft  pour  donner  du  poids  à  fes  parolet 
qu'on  allègue  les  Auteurs  ,  on  ne  le  doit  faire 
que  dans  la  neceffité  d'appuyer  ce  que  l'on  avance 
de  l'autorité  d'un  Auteur  de  réputation.  Qu'eft-il 
bcfoin  d'alléguer  Euclide  pour  prouver  que  le 
tout  eft  égal  à  fes  parties  :  de  citer  les  Philofo- 

Î)hcs  pour  perfuader  le  monde  qu'il  fiiit  froid 
'hyvcr.  Je  ne  blâme  pa^  toutes  les  citations: 
au  contraire ,  je  les  approuve  lorfque  les  paroles 
font  belles ,  &  qu'il  eft  à  propos  de  réveiller  l'ef- 
prit  du  Lcdeur  par  quelque  divcrfité;le  feu!  excès^ 
en  eft  blâmable. 

Les  fentences  trof)  fréquentes  troublent  auflî 
l'uniformité  du  ftile.  Par  fentences  on  entend  ces 
penfées  relevées  qu'on  exprime  d'une  manière 
€oncife ,  ce  qui  leur  fait  donner  le  nom  de 
pointes.  Je  ne  parle  point  de  ces  fentences  pué- 
riles &  fauffes  qui  ne  contiennent  rien  d'extra- 
ordinaire &  de  particulier  qu'un  tour  forcé,  &. 
qui  n'eft  point  naturel.  Les  plus  belles ,  fi  elles 
font  placées  trop  près-à-près,  s'étouffent,  &  ren- 
dent le  ftile  raboteux  :  6c  comme  elles  font  déta* 
chées  du  refte  du  difcours ,  on  peut  dire  d'un  ftile 
qui  eft  chargé  de  ces  pointes  ,  qu'il  eft  hériffé  d'é- 
pines. Ces  penfées  détachées  font  comme  des  pie- 
ces  coufuës  &  rapportées ,  qui  étant  d'une  couleur 
différente  du  refte  de  l'étoffe,  font  une  biiarreric 
ridicule;  ce  qu'il  faut  éviter  avec  grand  foin;  C«. 
randum  eft  nefentetttU  emineemt  extra  corpus  oratiom 
nis  exprejj£ ,  fed  intexto  veftlbus  colore  n'tteant.  On 
aime  à  parfcmer  fes  ouvrages  de  fentences,  parce 
qu'on  croit  qu'on  pafferapour  un  homme  d'efprit» 
F  acte  ifigenii  blandluntur. 

En  effet ,  comme  on  l'expérimente  en  ouvrant 
Scncque,  on  eft  charmé  de  cette  manière  inge- 

nieufc 


356       La  R,hitoxiqjje,  ou  l'Art 

nieufe  de  dire  beaucoup  de  chofes  en  fi  peu  de 
paroles ,  &  d'un  tour  rare  &  nouveau ,  comme 
quand  pour  exprimer  l'entière  ruine  de  la  Ville  de 
Lyon,  qui  avoit  été  réduite  en  cendre,  il  dit, 
Lugc/unum    quod   ojiendebatur    in    G  allia ,    quart" 
fur.    On  cherche  à  prefent  dans  les  Gaules  où 
étoit  autrefois  la  Ville  de  Lyon.    Et  pour  mar- 
quer en  peu  de  paroles  la  rapidité  de  fon  incen- 
die,  il  ait  :   In  bac ,  una  mx  fuit  inter  urbem 
maximam_y  éf  nullnm.    On  rencontre   dans  cet 
Auteur    à  chaque  page  des   chofes  admirable- 
ment dites,  d'un  grand  fens,  exprimées^  en  pei» 
de  mots  :   Quicl  ejf  Eques  Romantts  ,   aut  liber» 
iinus ,  aut  fervus  ?     Nomina   ex  ambitione  aut  ex- 
ifijuria   nata.      Mais    afin   que   ces   expreflîons 
plaifent ,  il  faut  les  lire  détachées  de  l'ouvrage  ; 
car  il  en  ell  comme  de  toutes  les  chofes  où 
Ton  ne  cherche  que  le  plaifir  :  on  s'en  dégoûte 
bien-tôt»    lAuffi  ces  penfécs  &  ces  expreffions 
ingenieufes,  qui  d'ailleurs  ornent  un  ftile  ,  le  gâ- 
tent ,  fi  elles  ne  font  fi  bien  enchaffées  qu'elles 
y  foient  comme  naturelles ,  &  ne  paroilTent  point 
étrangères  :  que  ce  foit  1^  nature  même  qui  les 
prefente  ,  qui  les  faiTe  naître.    Tout  ce  qui  eft 
redierché  ,  ou  femble   l'être  ,  qui    eft  tiré  de 
loin,  n'a  point  une  certaine  naïveté  qui  fe  fait 
aimer  &  eftimer.  Faites  attention  aux  paroles  La- 
tines fuivantes  du  Maître  des  Rlietcurs,  Quinti- 
lien.       Nihil   videatur  fiflum  ^   nibil  foUicitum  : 
omnia    potius   à  caufa  quàm   ab   Oratore  proféra 
videantur.    Ces  paroles  font  du  même  Rhéteur  : 
Qptima  nùnimè   accerfita  ,    éf  fimplicibu^s ,    atque 
ab    ipfa    veritate  profeétis  fimilia.     Ces  paroles 
contiennent  un  grand  fens  ;    ce  font  des  règles 
qu'il  faut  avoir  toujours  prefentes  pour  fe  défen- 
dre de  la  corruption  qui  s'introduit  dans  l'éloquen- 
ce, qu'on  gâte  par  des  afFcélations  dans  la  trop» 

gran- 


»-B  PAKLER.  Lîv,  IV.  Cbap   XX.      357 

grande  paffion  de  s'exprimer  avec,  efprit. 

En  parlant  des  omemens ,  il  ne  faut  pas  oublier 
les  portraits  dont  on  embellit  un  difcours ,  com- 
me on  fait  ime  fale  &  une  gallerie  en  y  plaçant 
les  images  des  Princes ,  des  Rois ,  des  Grands- 
bommes;  car  comme  les  images  fe  peuvent  dé- 
tacher du  lieu  où  elles  ont  été  mifcs ,  auffi  ce 
^u'on  entend  par  portraits  dans  le  difcours ,  ce 
font  des  defcriptions  fur  lefquelles  on  s'arrête, 
&  qu'on  auroit  pu  pafler.  Voilà  le  portrait  de 
ces  flateurs  qui  affiegent  les  Princes ,  &  corrom- 
pent leur  vertu. 

Par  de  lâches  adrejjes 
J>es  Princes  malheureux  nourrtjfent  les  foibhjjes^ 
Les  pûufjent  au  penchant  oà  Itur   cœur  ejl  enclin 
Et  leur  çfent  du  vice  applanir  le  chemin  : 
Detefîables  flateurs ,  prefent  le  plus  fune fie 
Que  fuijfe  faire  aux  Rois  la  colère  celefle» 


Chapitke     XX. 

Piegles    qu^on    doit   fuivre    dans    la    dijlribution 
des  Qrnemens  artificiels. 

L'On  ne  peut  pas  condamner  abfolument  les  or- 
nemens  artificiels ,  qui  ne  font  inferez  dans 
les  ouvrages  que  pour  divertir  ôcdélafler les  Lec- 
teurs, comme  nous  l'avons  dit  ci-deflus.  Ils  ont 
leur  prix  ;  mais  c'eft  le  bon  ufage  qu'on  en  fait 
qili  le  leur  donne.  Les  règles  fuivantes  ne  fe- 
lont  pas  inutiles  pour  bien  ufer  de  toutes  ces 
richenes  du  langage  ,  &  pour  les  ménager  avec 
î>rudence.  La  première  règle  que  l'on  doit  fui- 
Vre  dans  la  diftribution  des  omemens  artificiels, 
c'eft  de  ks  appliquer  en  temps  &  lieu.   Les  jeux 


358       La  Rhbtoiiiqjjb,ou  l'Art 

font  importuns  ,  quand  on  cil  accablé  d'affaires» 
Quand  une  matière  eft  difficUe  ,  èc  que  la  dii- 
culté  rend  le  Leâeur  chagrin  ,  il  faut  éviter  tous 
les  jeux  de  paroles  qui  ne  feroient  qu'augmenter 
fon  travail,  le  détournant  de  fon  appliatioi 
ferieufe.  Si  on  ne  dierche  que  Futilité  ,  Tagréa- 
ble  déplatt.  Il  y  a  des  matières  qui  ne  fouffi«&t 
aucun  ornement ,  telles  que  font  celles  qu*oa  ap- 
pelle dogmatiques. 

Ornart  res  îpfa  negat  ^  contenta  doceru 

Lorfque  la  matière  du  difcours  eft  fimpki 
tout  doit  être  fimplc.  Les  habits  chargez  de  pic^ 
reries ,  &  extraordinairement  ornez  ,  ne  fe  p<M> 
tent  Qu'à  certaines  Fêtes  dans  les  cérémonies  ex- 
traordinaires. Il  faut  proportionner  les  paroles  aux 
chofes ,  &  avoir  toujours  égard  à  la  bien-feancft 
Ceft  pourquoi ,  comme  le  remarque  faintAugofr 
tin  ,  lorfqu'on  traite  quelque  matière  ferienfti 
comme  font  celles  qui  regardent  la  Religion ,  8 
ne  faut  pas  donner  à  ces  paroles  une  cadence 
qui  leur  faflc  perdre  beaucoup  de  ce  poids  &  de 
cette  gravité  qui  les  doit  rendre  vénérables.  C^ 
vendum  ne  divinis  gravibufque  JententUs  èm 
ndditur  numerus  ,  pondus  detrahatur. 

Les  omemens  doivent  être  raifonnables,  c'eft- 
à-dire  ,  qu'il  ne  faut  rien  dire  qui  choque  k 
fens  commun.  Vous  trouverez  de  petits  cflpili 
qui  ne  fe  mettent  pas  en  peine  de  dire  ime  impef» 
tinence ,  &  d'avancer  une  chofe  fauife  ,  powît 
que  ce  qu'ils  difent  ait  l'air  d'une  fentence  ;  de 
parler  fans  jugement ,  pourvu  qu'ils  fâffent  en- 
trer une  métaphore  &  une  figure  dans  leur  df 
cours.  Es  ne  font  pas  de  reflexion  û  ce  qu'* 
difent  eft  pour  ou  contre  eux.  S'ils  peuvent  fii* 
une  antitbefc,  une  répétition ,  une  cadence  91 


m  FAHLiR.  Lh.lV,  Ckap.XJt.       jy^ 

flatc  les  fens ,  n'importe  qu'ils  bleffent  la  Raifon; 
ils  font  fatisfaits  de  leur  cfprit.  On  doit  être 
convaincu  qu'il  n'y  a  rien  de  beau  qui  ne  foi* 
f aifonnable ,  &  fi  on  ellime  quelquefois  ces  faux 
omemens. ,  c'eft  qu'on  fe  lailfe  éblouir  par  leur 
faux  brillant,  &  étourdir  par  un  certain  bruit  qui 
ne  fignifie  rien  ;  ou  pour  le  dire  franchement 
c'eft  qu'on  a  l'efprit  petit.  Une  ame  élevée  aime, 
iSc  cherche  dans  le  difcours  la  vérité  ,  &  non  pas 
des  paroles.  Bonorum  ingeniorum  infignïs  efi  in» 
iioks  9  in  l'erbis  verum  amare  non  i^erba.  Je 
ne  puis  eilimer  un  difcours  dont  k  fon  flate  les 
oreilles ,  lorfque  les  chofes  dioquent  le  bon  fens ,  di- 
foit  S.  Auguftin.  Nulkmçdo  miki  fonst  diferù^ 
quod  dteitur  inepte» 

Les  omemens  font  raifonnablcs  lorfque  la  tc- 
rité  neft  point  choquée ,  c'eft-à-dirc,  que  toutes 
les  exprefïïons  dont  on  fe  fert ,  ne  donnent  que 
des  idces  véritables.  Ceux  qui  veulent  éblouir ,  ne 
parlent  jamais  naturellement  ;  leurs  paroles  font 
paroître  tout  ce  qu'ils  difent  fi  extraordinaire, 
qu'il  n'y  a  point  de  vraifemblance.  Pour  rendre 
ce  défaut  fenfibl# ,  je  rapporterai  ici  un  paflagc 
de  Vitruve,  qui  eft  admirable  pour  cela.  Ce  ju- 
dicieux Architeéle  fe  plaint  de  ce  que  dans  la  pein* 
ture  Ton  ne  prenoit  plus  pour  modèle  les  chofes 
comme  elles  font  dafis  la  vérité.  On  met,  dit- il, 
pour  colomnes  des  rofcaux  :  on  peint  des  chande- 
liers qui  portant  de  petits  châteaux  ,  defquels  , 
comme  fi  c'étoient  des  racines ,  il  s'élève  quan- 
tité de  branches  délicates ,  où  l'on  voit  des  figures 
affifes ,  5c  fortir  de  leurs  fleurs  des  demi-figiires , 
les  unes  avec  des  vifagcs  d'hommes ,  les  autres 
avec  des  têtes  d'animaux ,  qui  font  des  chofes  qui 
ne  font  point,  &  qui  ne  peuvent  être ,  comme  elles 
n'ont  jamais  été.  Les  nouvelles  fantaifies  préva- 
lent 4e  teHc  forte  »  qu'il  ne  fc  trouve-  prefque 

■  -  •  per- 


360      La  Rhetoriqjje,  ou  l'Art 

perfonne  qui  foit  capable  de  découvrir  ce  -qu'il  y 
a  de  bon  dans  les  Arts ,  &  qui  en  puiffe  juger. 
Car  quelle  apparence  y  a-t-il  que  des  rofeaux 
foûtiennent  un  toit  ;  qu'un  chandelier  porte  des 
trhâteaux;  que  de  foibles  branches  portent  les  fir 
cures  qui  y  font  comme  à  cheval  ,  &  que  d'une 
fleur  il  puifle  naître  des  moitiez  de  figures  ?  Pour 
moi  (dit  Vitruve)  je  crois  qu'on  ne  doitpointefti- 
-mer  la  peinture  fi  elle  ne  reprefentc  la  vérité. 
Ce  n'eft  pas  alTez  que  les   chofes  foient  bien 
peintes^  il  faut  auiïï  que  le  deflein  foit  raifonna- 
bleî,  &  qu'il  n'ait  rien  qui  choque  le  bon  fens. 
Il  faut  appliquer  à  l'éloquence  ce  que  Vitruve  dit 
ici  de  la  peinture.    Quand  on  parle ,  il  faut  pren- 
dre la  vérité  pour  modèle  ,  &  il  ne  faut  pas  pour 
donner  plus  d'éclat  aux  chofes,  les  repréfcnter au- 
tres qu'elles  font. 

C'eil  donc  à  quoi  il  faut  travailler ,  que  les 
chofes  paroiflent  ce  qu'elles  font  ;  fimples  ,    fi 
elles  font  (impies.    PMoflrate  louant  un  taUeau 
où  étoient  repréfentez   les  chevaux  d'Amphia- 
raiis  ,  dit  que  le  Peintre  les  avoit  rcpréfentez 
baignez  de  leur  fueur ,  &  couverts  d'une  pouflSe- 
re  qui  les  rendoit  moins  agréables  ,    mais  plus 
reflemblans  à  ce  qu'ils  étoient  ;   Deformîorest  fed 
veriores.    Il  y  a  des  perfonnes  à  qui  tout  eft  égal, 
qui  habillent  tout  le  monde  magnifiquement; 
c'eft-à-dire,  qu'ils  parlent  fur  un  même  ton  des 
grandes  &  des  petites  chofes ,  &  prodiguent  par- 
tout les  omemens  de  l'élocution.  D'où  vient  cela? 
C'eft  qu'il  eft  aifé  d'employer  de  riches  couleurs , 
&  qu'Û  eft  difficile  de  tirer  les  traits  propres  d'un 
objet  qu'on  veut  peindre.     C'eft  ce  qu'Apellés 
difoit  à  un  jeune  Peintre  :  N'ayant  pu  faire  Hé- 
lène auffi  belle  qu'elle  eft ,  vous  l'avez  fait  riche. 
Je  dis  donc  encore,  qu'il  ne  faut  rien  eftimer  ni 
dire  que  ce  qui  eft  véritable  :  il  le  âut  faire 

d'une 


1>1  p  Al L  ZK.  Liv.  IV  Cbap,  XX.      361 

d'une  manière  noble ,  rare ,  nouvelle ,  qui  attire 
Tattention;  mais  que  la  vérité  s'y  trouve.  C'eft 
en  quoi  pèchent  les  Vers  fuivans  de  Racan  fur 
Marie  de  Medicis, 

Paîffez ,  chères  brebis  y  jouijjez  de  la  joyi 

Que  le  Ciel  vous  envoyé. 
A  la  fin  fa  clémence  a  pitié  de  n9s  pleurs. 
Allez  dans  la  campagne ,  allez  dans  la  prairie\ 

N^ épargnez  point  les  fleurs  \ 
lien  revient  ajjezfous  ks pas  de  Marie. 

Cela  n'eft  fondé  fur  aucune  vérité.  C'eft  une 
ilaterie  ridicule.  Je  fai  qu'on  dit  que  c'eft  une 
allufion  à  ce  que  quelques  anciens  Poètes  ont 
dit  :  Cette  allulion  ne  me  paroît  pas  fort  inge- 
nieufe ,  ni  à  propos  ;  car  ce  n'eft  pas  loUer  une 
Reine  que  de  lui  attribuer  ce  qu'elle  fait  ne  lui 
pouvoir  convenir.  On  dit  que  dans  l'Epigramme 
fuivante  fur  l'incendie  du  Palais  ,•  le  faux  y  do^ 
mine,  &  que  le  vrai  n'y  a  nulle  part:  càa  ne 
Hie  paroît  pas. 

Certes' Ton  vit  un  iriflejeu^ 
Qvand  à  Pariî  Dame  Jujlice 
Se  mit  le  Palais  tout  en  Jeu 
Pour  avoir  trop  mangé  d^êpices. 

Cette  allufion  fait  appercevoir  un  reproche  réel 
-qu'on  fait  aux  Juges  de  prendre  trop  d'Epices. 

Avant  ijue  de  penfer  en  aucune  manière  aux 
ornemens,  il  fiaut  travailler  à  rendre  utile  ce  qu'on 
doit  dire ,  choififfant  des  expreffions  qui  puiflent 
imprimer  dans  Tame  les  penfées  &  les  mouvemens 
qu'on  en  veut  donner.  Après,  filabien-féancelc 
permet,  on  peut  travailler  à  rendre  agréable  ce  qu'on 
a  dit  utilement.    Un  fage  Architcftc  fongc  premié- 

Q  re- 


3^t       La  Rhétorique,  ou  l'Ai 

rement  à  jettcr  de  bons  fondcmens  :  il  éle^ 
railles  capables  de  foûtenir  le  faîte  de  la  m 
bâtit.S'il  veut  que  fon  ouvrage  foit  agréab 
il  y  ajoute  des  omcmens.  Mais  remarque 
CCS  ornemens  qui  pourroient  être  retrancl 
à-dire ,  qui  ne  font  pas  abfolument  utile 
placez  c\u* après  qu'il  a  travaillé  àlafolidii 
lice.  Lèç  colonnes  de  marbre  qui  ne  fe  m 
four  rornc  ment,  ne  fe  placent  que  lorfqi 
de  Touvrag  e  eft  adicvé.Ce  n'eft  qu'après  c 
qu'on  taille  les  ornemens ,  &<,  qu'on  pofc 

Nous  pG  uvons  prouver  la  même 
tme  comparaifon  du  corps  humain,  d 
il  -fcrable  qu\r.  la  nature  établit  les  os  pc 
tenir  &  fortifier,  avant  que  de  le  couvrir» 
peau  qui  le  reiid  agréable.  C'eft  ce  que  di 
In  corpore  nojiro  offa ,  nervique  &  nrtic, 
vienta  totius  éf  vitalia  ,  minime  fpeciofa  • 
ordinantur\  éfeinde  héic  y  ex  quibus  omnù 
affeéîumque  décor  ejî  :  pofl  bac  omnia ,  q 
cculos  rapit  color ,  uhimusperjefiojam  cor 
4litur. 

Enfin ,1a  raifon  demande  qu'on  garde  qu 
deration  dans  les  ornemens.  Ils  ne  doive 
trop  frequens.  Les  grandes  douceurs  fon 
n'y  a  rien  de  plus  beau  que  les  yeux  ;  n 
un  vifage  il  y  en  avoir  plus  de  deux,  au  lieu 
il  feroitpeur.  La  confufion  des  ornemen 
qu'un  difcours  ne  foit  net  :  &  ce  queje  v( 
rcmatquer  coinme  un  des  plus  importai! 
j'ay  e  donné  dans  ccTraité,c'elt  que  l'excèî 
mens  fait  que  refi)rit  des  Auditeurs ,  qui  • 
tiéremcnt  occupé,  ne  s'applique  pointa 
Cela  arrive  affez  fouventdans  îesPanegy: 
les  Orateurs  prodiguent  leur  éloquence, 
à  pleines  mains  toutes  les  fleurs  de  l'art, 
teur  fc  tcxiït  pkiu  d'admiration  pour  o 


Di  PAKLER.  Liv.IV.  Cbap.XX.    •     363 

parlé ,  &  à  peine  penfc-t-il  à  celui  dont  on  a  fait 
le  Panégyrique.  On  doit  toujours  dans  chaque  cho- 
fe  en  rechercher  la  fin.-  Quand  on  veut  arriver  où 
Ton  s'eft  propofé  d'aliter ,  on  choifit  un  beau  che- 
min ,  mais  qui  y  conduife.  Lorfque  les  feuilles  cou- 
vrent les  fruits,  &  les  empêchent  de  tneurir,  on  les 
6te ,  fans  avoir  égard  qu'on  dépouille  l'arbre  de 
fes  orncmens. 

Il  y  adcsefpritsfipetits,  qu'ils  n'eftiment  que  le« 
bagatelles:  ils  ne  font  point  d'attention  à  ce  qui  eft 
folide ,  fi  on  ne  retire  de  devant  leurs  yeux  ce  qui 
les  amufe,  comme  on  ôte  aux  ehfans  les  jouets  qui 
les  arrêtent  trop.  C'eft  ce  que  fitProtogene ,  qui 
ayant  apperçû  qu'une  perdrix  qu'il  avoit  peinte 
dans  un  de  fes  Tableaux  pour  ornement ,  attiroit  les 
yeux  du  peuple ,  &  l'empêchoit  de  çonfiderer  ce  qui 
le  meritoit  plus ,  refolut  de  l'effacer.  Elle  étoit  fi  bien 
peinte,  cette  perdrix ,  que  les  véritables  perdrix  s'ap- 
prochoient  d'elle  comme  d'une  de  leurs  compa- 
gnes. Mais  il  voulut  ôter  au  peuple  cet  amufement , 
pour  tourner  ailleurs  fes  yeux.  Il  gagna  les  Offi- 
ciers du  Temple  où  étoit  placé  fon  Tableau ,  &  y 
étant  entré  fecretement,  il  l'effaça. 

C'eft  pour  cette  même  raifon  que  le  Saint-Efprit 
qui  conduifoit  la  plume  des  Ecrivains  facrez ,  n'a  pas 
permis  qu'ils  employafîent  cette -éloquence  pom- 
peufe  des  Orateurs  profanes,  qui  arrête  les  yeux ,  & 
fait  que  l'on  ne  confidere  que  les  fuperbes  paroles 
dont  les  chofes  font  revêtues.  Les  faintes  Ecritures 
ne  nous  ont  pas  été  données  pour  entretenir  notre 
vanité,  mais  pour  rempUr  le  vuide  de  notre  ame. 
Ceux  qui  ne  recherchent  dans  les  Livres  qu'un  di- 
vertiffcmentftcrile  ,  les  méprifent  ;  ceux  qui  aiment 
les  chofes ,  trouvent  de  quoi  fe  remplir  dans  ces  Li- 
vres divins.  Unfeul  Pfeaume  de  David  vaut  mieux 
que  toutes  les  Odes  de  Pindare ,  d'Anacreon ,  & 
.d'lr]|orace  :  Demofihene  èc  Ciceron  ne  méritent 

Q  X  pas 


364       L*  Rhïtôriqjji,  ou  l'Art 

pas  d'êlrc  comparez  i  Ifaie.    Tous  les  Livres  de 

Platon  &  d'Anftote  n'égalent  pasunfeul  Chapitre 
de  S.  Paul.  Car  enfin ,  les  paroles  ne  font  que  des 
fons  :  on  ne  doit  pas  .préférer  le  plaiCr  que  peut 
donner  l'harmonie  de  ces  fohs  ."à  celui  de  la  con- 
Boifl'ance  folide  de  la  Vérité,  Pour  moi ,  je  n'cf- 
time  l'Art  de  parler ,  tjue  parce  qu'il  contribue  à 
!a  faire  connoîtte ,  qu'il  la  tire ,  pour  ainfi  dire , 
du  fond  de  Vcfprit  où  elle  étoit  cachée  ;  qu'il  la 
dévelope ,  qu'il  l'eipofc  aux  yeux,  C'cft  ce  qui 
m'a  porté  à  travailler  avec  foin  à  cet  Artquipoiji 
cette  raifon  m'a  paru  û  utile  &  £.  neceflàire. 


■  I  PAXLIK.  liv.V.  Ciép.  I. 


RHETORIQUE 

VART  DE  PARLER. 

LIVRE    CINQUIE'ME. 


Chapitre   Pkimiek. 

^ifl  un  ^ri  que  de  Jàveir  f»rler  de  manière  f  a'm 

'  jf*/""^!    Ce  qu'il  fMut  faire  [Qur  e*im. 

Priyfl  de  et  Livre. 

^  Idée  de  la  Rhétorique  comprend  l'Art 
^  de  perfuadet ,  au fïï- bien  que  celui  de 
■^  parler.  L'on  n'étudie  la  Rhétorique 
Jf  que  pour  parkrde  manière  qu'on  faffe 
.  _.  acequ'ondefireenparlant;  &cequ'on 
K*ùe,  c'eft de perfuader.  Ainfiileftévident^uela 
g|*etorique.  qui  elll'Artdeparler,  doit enfeigner 
^ïftoyens  de  perfuader,  Cesmoyens  neconfillent 
2*  femement  en  des  paroles.  11  ya  desmanieres 
*  gagner  les  cœurs,  &  de  les  remuer.  C'eit  pat- 
^**lictement  de  ces  manières  que  je  dois  traiter 
***j  ce  dernier  Livre ,  où  je  renfermerai  Icschofcs 
Q  l  ,  ^ 


^66       La  Rhitoriqjjh,  ou  l'A*  t 

qui  fe  trouvent  dans  les  Rhétoriques  ordinaires ,  & 
dont  je  n'ai  point  encore  parlé. 

Ce  n'eft  pas  feulement  en  prêchant  &  en  plai- 
dant qu'on  veut  perfuader  ;  on  a  cette  intention 
dans  toutes  les  occafions  où  l'on  parle.  Car  nous 
defirons  qu  on  croye  que  les  chofes  font  comme 
nous  le  difons ,  ou  au  moins  fi  nous  rapportons 
les  jugemens  des  autres ,  nous  voulons  qu'on  foit 
perfuadé  que  le  rapport  que  nous  faifons  elt  fidèle. 
C'eft  pour  cela  que  la  Rhétorique  eil  très-utile  j  & 
fi  effedivement  elle  pouvoit  donner  des  moyens 
fûrs  pour  perfuader ,  il  n'y  auroit  aucun  autre  art 
qui  fût  d'un  plus  grand  ufage  dans  la  vie.  Mais 
je  fais  voir  qu'il  faut  plus  de  connoiflance 
que  la  Rhétorique  n'en  donne,  pour  perfuader  les 
hommes  en  toutes  rencontres.  Les  Maîtres  de 
Rhétorique  ne  fe  font  appliquez  qu'à  donner  quel- 
ques préceptes  pour  perfuader  des  Juges  en  plai- 
danf  dans  un  Barreau.  Ils  ne  fe  font  attachez  qu'à 
fuivre  ce  que  les  anciens  Payens  ont  écrit,  qui 
n'ayant  point  d*autres  Orateurs  que  des  Avocats , 
leur  Rhétorique  n'étoit  occupée  cju'à  leur  donner 
des  préceptes.  Quoique  je  ne  juge  pas  ce  qu'ils 
difent  là-deffus  fort  utile  aux  Avocats  mêmes,  je  le 
rapporte  fommairement ,  mais  de  telle  forte  que  û 
on  compare  cette  Rhétorique  avec  les  autres ,  on 
trouvera  que  ce  que  j'en  dis ,  eft  plus  que  fuffi- 
fant ,  &  que  je  m'applique  plus  qu'aucun  autre  à 
donner  les  véritables  moyens  de  perfuader.  Ce 
qu'on  trouve  en  ces  Rhétoriques ,  ne  fert  prefque 
point  pour  cette  fin.  Voilà  les  préceptes  que  les 
Rhéteurs  donnent  pour  perfuader. 

Il  faut  trouver  les  moyens  défaire  tomber ] dans 
fon  fentiment  ceux  qui  font  dans  un  fcmiment  con- 
traire ;  m ettre  en  ordre  ce  que  l'on  a  trouvé ,  Se  em- 
ployer les  paroles  propres  pour  s'exprimer.  Il  faut 
enfin  apprendre  par  mémoire  ce  que  l'on  a  écrit  > 

pour 


DBPARLER.  Liv.  t'.  Ckûp,  L  367 

pour  le  prononcer  enfuite.  Ainfi  TArt  deperfuader 
a ,  dit-on ,  cinq  parties.  La  première  eft  l'inven- 
tion des  moyens  propres  pour  perfuader  :  la  fécon- 
de la  difpofition  de  ces  moyens  :  la  troifieme  l'c- 
locution  :  la  quatrième  la  mémoire  :  la  cinquième 
la  prononciation. 

Si  on  conteile  une  vérité  de  bonne  foi  ,  fi  ce 
neft  point  l'intérêt ,  ni  la'mauvaife  humeur,  ni 
la  paflion  qui  aveuglent ,  &  qui  empêchent  qu  on 
ne  fe  rende ,  il  n'eit  befoin  que  de  bonnes  preu- 
ves ,  qui  lèvent  toutes  les  difficultez. ,  &  qui  diffipent 
par  leur  clarté  les  obfcuritez  qui  cachoient  la  vé- 
rité. Mais  lorfqiVon  a  affaire  à  des  gens  qui  ne 
l'aiment  pas,  qa'ii  s'agit  deleiirpeifuaderunecho- 
fe  qui  choque  leur  inclination,  &  dont  leurs  paflTions 
les  éloignent,  la  Raifon  feule  ne  fuffit  pas  :  l'adrelfe 
eft  necelfaire.  Dans  cette  occafion  il  faut  faire  deux 
chofes.  Premièrement ,  il  faut  étudier  leur  humeur 
&  leur  inclination  pour  les  gagner.  En  fécond  lieu , 
puifquc  chacun  juge  félon  fa  paffion,  qu  un  ami  a 
toujours  raifon,qu  un  ennemi  eft  toujours  coupable, 
il  faut  leur  infpirer  des  mouvemens  qui  les  faflent 
toutner  de  tïotre  côté.  Ainfi  les  Maîtres  de  l'Art 
reconnoiffent  trois  moyens  de  perfuader, les argu- 
mens  ou  les  preuves,  les  mœurs,  &  les  pafDons.  Il 
faut  trouver  des  preuves ,  il  faut  parler  conformé- 
ment à  l'inclination  de  ceux  que  l'on  veut  gagner ,  il 
faut  exciter  les  paffions  dans  leur  efprit ,  qui  les  faf- 
fent  pancher  du  côté  où  l'on  veut  les  conduire.  Ceft 
ce  que  nous  allons  voir  en  détail.  Nous  parlerons 
premièrement  de  l'invention  des  preuves. 


Q4  Cha- 


i 


368       La  Rhétorique»  oxr  l'Àrï 


Chapitre     IL 

frmierc  partie  d$  l'Art  dt  ferfuadert  fui  eft  Pin* 

vention, 

A  clarté  eft  le  caradlcre  de  la  Vérité,  l'on  ne 
'  peut  douter  d'une  vérité  claire.    Lorfque  fou 
évidence  eft  dans  le  dernier  degré,  les  plusopiniâ- 
tres  font  obligez  de  quitter  les  armes ,  ôcdes'yfoû'- 
mettre.    Peifonne  ofera  t-il  nier  que  le  tout  ne  foit 
pIuS  grand  que  fa  partie  :  que  les  parties  prifes  en- 
femble  n'égalent  leur  tout  ?  Quelquefois  on  détour* 
ne  la  vue  pour  ne  pas-appercevoir  des  veritez  claires 
qui  bleflent.  Mais  enfin,  lorfque  leur  éclat,  malgré 
toutes  nos  fuites,  vient  à  frapper  nos  y  eux,  il  faut 
fc  rendre,  &  la  langue  ne  peut  démentir  Fefprit; 
Pour  perfuader  ceux  qui  nous  conteftent  quelque 
propofition  ,  parce  qu'elle  leur  femble  douteufeôc 
obfcure ,  il  faut  fe  fervir  d'une  ou  de  plulicurs  pro- 
pofîtions ,  qui  ne  fouffrent  aucune  difiiculté ,  &  leur 
faire  voir  que  cette  propofition  cojiteftée  eft  la  mê- 
me (que  celles  qui  font  inconteftables.  Les  Juges 
de  Rome  doutoientfi  Milon  avoit  commis  un  cri- 
me en  tuant  Claudius.    Us  ne  doutoient  point  qu'ik 
ne  fût  permis  de  rcpoufler  la  force  par  la  force. 
Ciceron  voulant  donc  prouver  l'innocence  de  Tac- 
cufé ,  il  leur  étale  ces  deux  propofitions  :  qu'on  peut 
tuer  celui  qui  nous  veut  ùter  la  vie  i  que  Clnudius 
voulait  ôter  la  vie  à  Milon*    L'une  eft  claire, 
l'autre  eft  obfcure  ;rune  conteftée ,  Tautre  reçue  ; 
étant  bien  éclaircies ,  la  confequence  étoit  claire 
&  certaine ,  que  Milon  en  tuant  Claudius ,  n'a- 
voit  fait  que  repoufler  la  force  parla  force,  ce  qui 
étoit  excul'ablc. 

C'efii 


]$  E  p  A  R  L  E  R.  Zn».    Vi  Cbap.  //•        3(^9 

C'eft  à  la  première  partielle  la  Philofopliie , 
qu'on  appelle  Logique  9  à  donner  les  règles  du 
raifonnement.  Celt  pourquoi ,  vous  pouvez 
commencer  à  reconnoître  des  rentrée  de  ce  dif- 
cours,;que  pour  traiter  T  Art  deperfuaderdànstoiï- 
te  fon  étendue ,  il  faudroit  cmbraffer  plufieurs  au- 
tres Arts ,  ce  qui  ne  fe  pourroit  faire  fans  confu- 
iflon.  La  matière  de  l'Art  de  perfuader  n'eft  point 
limitée.  Cet  Art  fe  fait  paroître  dans  les  Chai- 
res de  nos  Eglifes,  dans  le  Barreau,  dans  tou- 
tes les  négociations ,  dans  les  converfations. 
En  un  mot ,  le  but  que  nous  avons  dans  tout  le 
commerce  de  la  vie ,  eft  de  perfuader  ceux  avec 
qui  nous  traitons,  •&  de  les  faire  tomber  dans 
nos  fentimens.  Pour  être  donc  parfait  Orateur, 
&  parler  utilement  fur  toutes  les  matières  qui  fe 
prefentçnt,  comme  les  Rhéteurs  prétendent  que 
leurs  diiciples  le  peuvent  faire ,  il  faudroit  poflc- 
der  toutes  les  connoiflances ,  &  n'ignorer  rien. 
Car  enfin ,  un  homme  n'eft  capable  de  raifonner 
que  lorfqu'il  connoît  à  fond  le  fujet  fur  lequel 
il  parle ,  &  qu'il  a  Tefprit  plein  de  veritez  conf- 
tantes,  de  maximes  mdùbitables,  dont  il  peut 
tirer  des  conféquences  propres  à  décider  la  quef- 
tîon  qui  eft  agitée.  Par  exemple ,  un  Théologien 
raifonne  bien,  &  perfuade  lorfqu'il tire  des  fain- 
tes  Ec-ritures,  des  Pères,  des  Conciles,  8t  de  la" 
Tradition ,  les  témoignages  propres  pour  faire  voir- 
qçie  fon  fentiment  a  toujours  été  celui  de  l'Eglife.  • 


Q5  G  H  A- 


370      La  Rhetohiciue,  ou  l'Art 


iChapitre    III. 

Des  lieux  communs  d^où  Von  peut  tirer  des  freuva 

générales. 

ON  ne  fe  remplit  refprit  de  veritez  cenaines 
fur  les  matières  qu'on   eft  obligé  de  traiter 
que  par  de  fericufes  méditations ,  &  par  de  lon- 
gues études  ,  dont  peu  de  gens  font  capables.  La 
fcience  eft  un  fruit  environné  d'épines ,  qui  éloi- 
gne de  lui  prefque  tous  les  hommes.    Ainfi  s'il 
n'étoit  permis  de  parler  que- de  ce  que  Ton  fait, 
la  plupart  de  ceux  mêmes  qui  font  métier  de  ha- 
ranguer, feroîent .  obligez  de  fe  taire.    Pour  re- 
médier à  une  neceflité  qui  feroit  fi  facheufe  à 
plufieurs  Déclamateurs ,  on  a  trouvé  des  moyens 
courts  &  faciles  de  difcourir  fur  des  fujets  entiè- 
rement inconnus.    On  diflribue  ces  moyens  en  cer- 
taines clailcs  qu'on  appelle  lieux  communs ,  parce 
qu'ils  font  expofez  au  public ,  &  que  chacun  y  peut 
prendre  librement  des  preuves,  pour  prouver  avec 
abondance  tout  ce  qui  lui  fera  contefté ,  quoiqu'il 
ignore  d'ailleurs  la  matière  fur  laquelle  il  difpute. 
Les  Logiciens  parlent  de  ces  lieux  communs  dans 
la  partie  de  la  Logique  qu'ils  appellent  la  Topique, 
J'expliquerai  en  peu  de  paroles  l'artifice  de  ces 
lieux.    Enfuite  nous  verrons  quel  jugement  on  en 
doit  faire. 

Les  lieux  communs  ne  contiennent  proprement 
que  des  avis  généraux ,  qui  font  reffouvenir  ceux 
qui  les  confultent,  de  toutes  les  faces  par  lefquelles 
on  peut  confiderer  un  fujet  :  ce  qui  peut  être 
utile ,  parce  qu'envifageant  une  matière  de  tous 
cotez ,  on  trouve  fans  doute  avec  plus  de  facili- 
te tout  ce  que  Ton  en  peut  dire.    On  peut  re- 

gar- 


»I  FARLER.    LiV.    V.  Cbap.  JJh         371' 

garder  une  chofe  par  cent  endroits  differcns  :  ce- 
pendant il  a  plû  aux  Auteurs  de  la  Topique  de  n'é- 
tablir que  feize  lieux  communs. 

Le  premier  de  ces  lieux  eft  \t Genre;  c*eft-à-di- 
re ,  qu'il  faut  confiderer  dans  un  fujet  ce  qu'il  a 
de  commun  avec  tous  les  autres  fujets  femblables. 
Si  on  parle  de  faire  la  guerre  contre  le  Turc  ,  on 
pourra  confiderer  la  guerre  en  gênerai,  &  tirer  des 
preuves  de  cette  généralité. 

L  c  fécond  lieu  eft  appelle  Différence ,  il  faut  exa- 
miner ce  qu'une  queftion  a  de  particulier . 

Le  troifiême  eft  la  Définition  ;  c*eft-à-dirc ,  qu'il 
faut  confiderer  toute  la  nature  du  fujet.  Le  dif- 
cours  qui  exprime  la  nature  d'une  chofe,  eft  la  dé- 
finition de  cette  chofe. 

Le  quatrième  lieu  çft  /e  Dénombrement  des par^ 
tiesy  que  le  fujet  que  l'on  traite  contient. 

Le  cinquième,  fEtymologie  du  nom  du  fujet. 

Le  fixicme,  les  Conjuguez^  qui  font  les  noms 
qui  ont  liaifon  avec  le  nom  du  fujet,  comme  ce 
nom ,  amour  y  a  liaifon  avec  tous  ces  autres  noms  / 
aimer,  aimant  y  amitié  y  aimable  y  ami  y  &c. 

On  peut  confiderer  que  les  chofes  dont  il  eft 
queftion  ,  ont  quelque  reffemblance  ,  ou  diffem- 
blance.  Ces  deux  confiderations  font  le  feptïéme 
ôcle  huitième  lieu. 

On  peut  faire  quelque  comparaifon,  &  dans  cet- 
te comparailbn  remarquer  toutes  les  chofes  auf- 
quelles  le  fujet  dont  o»  parle  eft  oppofé  :  Cette 
comparaifon  &  cette  oppojttion,  font  le  neuvième  & 
le  dixième  lieu. 

L'onziénie  heu  eft  la  Répugnance;  c*eft-à-dire, 
qu'en  examinant  une  chofe,  il  faut  prendre  garde 
à  celles  qui  lui  répugnent  ,  pour  découvrir  les 
preuves  que  cette  vûë  peut  fournir. 

Il  &}.  très-important  de  confiderer  toutes  les 
circonjiances  de   la  matie/e   propoféc.    Or,   ces 

Q  6  cir- 


^7^       La  Rhetoriqui,  ou  l*Akt 

circonftances  ont  ou  précédé,  ou  accompagné ,  oh 
fuivi  la  diofe  dont  il  cil  queftion  :  ainfi  ces  cir- 
conftances font  diftribuécs  en  trois  lieux ,  qui  font 
le  douzième,  le  treizième,  &  le  quatorzième  lieu. 
Toutes  les  circonftances  qui  peuvent  accoilipagner 
une  adlion.,  font  comprifes  dans  ce  vers  Latin. 

Quhf.quidy  ubt  y.  quitus  auxiiiisy.'curt  quornodo-x 
quando, 

Ceft-à-dire  qu'il  faut  examiner  quel  efirauteui 
deTacftionj  quelle  eft  cette  aélion;  où  elle  s'eit 
faite  ;  par  quels,  moiens  y  pourquoi,. comment, 
quand.. 

Le  quinzième  lieu  eft  l'Effet;  îefeiziémc,  h 
Caufe  ;  c'eft-à  dire  ,  qu'il  faut  avoir  égard  aux 
effets  dont  la  chofe  que  vous  traitet ,  peut  êtro 
la  caufe ,  &  aux  chof^  dont  elle-même  eft:  Tef- 
fct. 

Ces  lieux  communs  fourniflent  fans  doute- une 
ample  matière  de  difcourir.  Ces  confiderations  dif- 
férentes font  que  l'on  apperçoit  plulieurs  preuves  i 
&  cette  méthode^  pourroit  rendre  féconds  les  efprits 
les  plusfteriles.  Je  n'examine  pas  à  prefcnt  fi  cet- 
te fécondité  eft  loUable  ou  inutile.  Selon  cette. 
méthode  ,  fi  on  parle  contre  un  parricide  ,  oa 
s'étend  fur  le  parricide  en  général ,  &  on  rappor- 
te ce  qui  eft.  commun  à  l'accufé,  &  à  tous  leS' 
autres  parricides  :  ôc  après  on  defccnd  aux  cir- 
conftances du  parricide  :  on  en  reprefcntc  la  noir- 
ceur d'une  manière  étendue  ,  par  des  défini- 
tions, par  des  defcriptions,  par  des  dénomhre- 
mens.  Quelquefois  l'Etyniologie  du  nom  delà- 
chofe.  fur  laquelle  on.  parle,  ôc  les  autres  noms, 
qui  ont  liaifon  avec  celui-là,  donnent  fujet  dc. 
parler,  &  font  trouver  de  bonnes  preuves.  On 
peut  difcourir  long-temps  de  l'obligation. que  les. 

Chré- 


9t  FAR t EU.  Lh,  V.  Ctaf.  IK        jjy. 

Chrétiens  ont  de  bien  vivre ,  en  les  faifant  refibu- 
vcnir  du  nom  qu'ils  portent. 

Les  grands  difcours  font  groffis  par  les  fiimïh' 
tildes»  les  diflimilitudes  ,  les  comparaifons ,  qui 
fervent  à  éclaircir  june  difficulté ,  &  mettre  une 
venté  obfcure  dans^  un  grand  jour.  £n  un  mot , 
quand  on  veut  circonllancicr  ime  aéUon,  rap*. 
porter  ce  qui  Ta  précédé,  &  ce  qui  s'en  eft  en* 
îuivi,  les  circonftances  qui  Tont  accompagnée, 
ce  qui  Ta  caufé ,  ce  qu'elle  a  produit  :  on  lailTe^ 
roit  plutôt  Tes  Auditeurs,  qu'onnemanqueroitdo 
matière.. 


G  H  A  P  I  T  R  F.   IV. 

Dis  Rettx  proprts  à  certains  fujets  tt où  je  peuvent  ti* 

r^r  des  preuves» 

C Es- lieux  dont  nous  venons  de  parler,  font- 
appeliez  communs ,  parce  qu'ils  foumiflent 
des  preuves  pour  toutes  les  caufes  :  il  y  a  d'autres* 
lieux  qui  font   propres  à  certains  fujets.    Avant* 
que  de  parler  de  ceux  ci,  il  faut  confiderer  qu'il- 
]f  a  deux  fortes  de  queilions  :  la  première  s'ap- 
pelle Thcfe;  la  féconde  Hypothefe.  Thefe,  c'eft; 
Une  queîlion  qui  n'eft  point  déterminée  par  au- 
orne  circonflance ,  foit  du  lieu,  foit  du  temps, 
fcit  de  la  perfonne^  comme   fi  on  doit  faire  la- 
guerre.    Hypothefe  ,  c'eft  une  queftion  finie  ôc 
Cârconftanciee ,  comme  eft  celle-ci ,  s'il  faut  fai- 
ïc  la. guerre  avec  le  Turc  en  Hongrie  cette  an- 
née, &c.  Or,  toutes  ces  queftions  fe  peuvent  rap- 
porter à  trois  genres.    Car  l'on  délibère  fi  on  doit 
feire  une   adHon  ,    ou    l'on  examine  quel  juge- 
ïnent  on  doit  faire  de  cette  aélion ,  ou  on  lotie  ^. 
!Qu.on  blâme  cette  aétion.    Le  premier  genre 

Q  7  s'ap- 


3^74        La  RHEToniQUBr  ov  l'Akt 
s'appelle  Délibéra f  if  :  le  |fecond  genre  Jué/iciaîrer 
le  troifiéme  genre  Demon/h-atif,    Chacun  de  ces 
genres  a  fcs  lieux  propres,  c'eft-à-dirc,   comme 
nous  avons  dit  pour   chacun  de  ces  genres,  on 
donne  de  certains  avis  :  comme  pour  le  Déli" 
beratif ,  félon  qu'on  voudra  confeillcr  d'entre- 
prendre une  adion  ou  de  la  quitter,  il  faut  foi- 
re voir  quelle  eft  utile  ou  inutile  ;    néceflaire ,. 
ou  qu'elle  ne  l'cft  pas  j  qu  elle  eft  poflîble  ou  im- 
polTible;  que  l'événement  en  fera  avantageux,,  ou 
fâcheux  :  que  l'entreprife  eft  jufte  ouinjufte. 

Une  queftion  dans  le  genre  judiciaire  peut  être 
confiderëe  en  l'un  de  ces  trois  états.  Ou  l'on  ne  con- 
noît  pas  l'auteur  de  l'adlion  qui  fait  le  fujet  dudif- 
cours  :  6c  pour  lors ,  parce  que  l'on  tâche  de  dé- 
couvrir cet  auteur  par  des  conjeâ:ures;  cet  état  eft 
appelle  état  de  conjeSiures,  Si  l'Auteur  eft  connu , 
on  examine  qu  elle  eft  la  nature  de  Tacflion  :  par 
exemple,  un  voleur  a  pris  dans  un  Temple  les  cof- 
fres qu'un  particulier  y  avoir  mis  en  dépôt ,  on  exa- 
mine fi  cette  aélion  doit  être  appellée  oufacrilege, 
ou  un  fimple  vol  :  on  cherche  la  défioition  de  ce 
crime  :  ainfi  cet  état  s'appelle  l'état  dt  la  définition. 
Le  troifiéme  état  eft  appelle  Yétiideia  qualité  yjttX" 
ce  qu'on  examine  la  qualité  de  Tadion,  fi  elle  eft 
jufte,  ou  injufte. 

Pour  le  premier  état ,  il  faut  confîderer  fi  celui 
qu'on  foupçonne  a  voulu  faire  une  telle  adlion, 
s'il  l'a  pu,  &  fi  on  en  a  quelque  marque.  On 
confidcrc  qiielle  eft  fa  volonté,  en  confiderants'il 
avoit  quelque  intérêt  à  commettre  cette  adion;  fa 
puilTance,  parla  coniideration  de  fa  force,  de  les 
moicns.  On  r^connoît  s'il  eft  efl edivem en t auteur 
de  radiv-n  propofée,  parles  circonflanccs  de  cette 
aéfion,  comme  s'il  a  été  trouvé  fcul  dr.ns  le  lieu 
où  elle  s'eîl  f-iite^  fi  avant  ou  après  ceitcf  .idion 
il  a  fait  ou  dit  quelque  chofe  qui  le  puiifc  faire 

foup- 


DE  PARtlR.  Lîv.  V,  Cbap.  IK        57^ 

foupçonner  raifonnablement.  Pour  le  fécond  état^ 
il  fauc  Amplement  conliderer  la  nature  de  cette 
action.  Tout  ce  qu  on  en  peut  dire ,  dépend  de-Ia: 
connoiflance  particulière  que  Ton  en  a.  Pour  le 
troifiéme  état,  on  confulte  la  raifo"*!,  lesloir,  la 
coutume,  les  préjugez,  les  conventions ,  l'équité. 

Dans  le  genre  Démonftratif,  pour  loUer  ou  blâ- 
mer, il  faut  rapporter  le  bien  ou  le  mal.  11  y  a  trois 
fortes  de  biens  dans  l'homme;  les  |uns  regardent  le 
corps ,  les  autres  Tefprit ,  les  autres  dépendent  de 
la  fortune.  Les  biens  du  corps  font ,  line  patrie 
glorieufe,  une  naiflance  noble ,  une  bonne  éduca- 
tion ,  lafanté,  la  force,  la  beauté.  Les  biens  de  l'ef- 
prit  font,  les  vertus,  la  fageffe,  la  prudcncc;,  la 
fcience,  &  les  autres  vertus  &  bonnes  qualitez.  Les^ 
biens  de  la  fortune  font,  les  richeffes ,  les  dignitez,, 
les  charges ,  &c.  Remarquez  que  dans  ces  dénonir- 
bremens  je  rapporte  les  fentimens  des  autres. 

Tous  les  lieux  propres  &  communs  à  chacun  des 
trois  genres  dont  nous  avons  parlé,  font  appeliez 
intérieurs  ou  intrinfeques ,  pour  'les  dillinguer  de 
ceux  qu'on  nomme  extérieurs  ou  extrinfeques,  qui 
font  quatre  5  fçavoir,  lesloix,  les  témoignages ,  les 
tranfadlions ,  les  réponfes  de  ceux  que  l'on  met  à 
la  torture.  L'Orateur  n'a  pas  befoin  de  chercher  ces 
preuves;  celui  qui  donne  une  caufe  à  plaider,  met 
entre  les  mains  de  fon  Avocat  Tes  pièces ,  fes  con- 
trats ,  fes  tranCadiops  ;  produit  les  dépoiitions  des- 
témoins ,  &  les  ré^ionfes  de  ceux  qui  ont  étéappli-- 
quez  à  la  torture. 


Cha- 


3f7<5       La  Rhetoriqj/e,  ov  l'Akt 


Chapitre    V. 
Reflexhit  fur  cette  Méthode  des  Heuxi 

Voilà  en  peu  de  paroles  quel  eft  Tart  de  trou- 
ver des  argumens  fur  toutes  fortes  de  ma- 
tières ,  que  les  Rhéteurs  ont  coutume  d'enfeigner, 
&  qui  fait  la  plus  grande  partie  de  leur  Rhétorique, 
Cen:  à  vous  a  juger  de  l'utilité  de  cette  méthode. 
Lé  refpeél  que  j'ai  pour  les  Auteurs  qui  Tont  louée, 
m'a  obligé  a  en  faire  un  abrégé ,  &  de  vous  en  fai- 
re connoître  le  fond.  On  ne  peut  douter quclcs 
avis  qu'elle  donne,  n'àyent  quelque  utilité  :  ils 
font  prendre  gardée  plufieurs  chofes  dont  on  peut 
tirer  des  argumens;  ils  montrent  comme  Ton  peut 
tourner  un  fujet  de  tous  côtex ,  &  l'envifager  par 
toutes  fes  faces.  Ainfi  ceux  qui  entendent  bien  la 
Topique ,  peuvent  trouver  beaucoup  de  matière 
pourîgroffir  leur  difcours  :  il  n'y  a  rien  de  fterilc 
pour  eux  ;  ils*  peuvent  parler  fur  tout  ce  qui  fc  pre- 
fente  autant  de  temps  qu'ils  le  voudront,  comme 
nous  l'avons  dit. 

Ceux  qui  méprifent  la  Topique ,  ne  conteftent 
point  fa  fécondité.  Ils  demeurent  d'accord  qu'elle 
fournit  une  infinité  de  chofes;  mais  ils  foûtiennent 
que  cette  fécondité  eft  mauvaife,  que  ces  cho- 
fes font  triviales ,  &  que  par  conséquent  la  To- 
pique ne  fournit  que  ce  qu'il  ne  faudroit  pas  dire. 
Si  un  Orateur,  difent-ils,  connoit  à  fond  le  fujet 
qu'il  traite,  s'il  ell  plein  de  maximes  incontelta- 
hles ,  par  lefquclles  il  peut  refoudre  toutes  les  diffi- 
cultez  qui  s'élèvent  fur  ce  fujet;  Ç\  c'cft  unequef-- 
tion  de  Théologie ,  &  qu'il  foit  Théologien  ;  par 
la  connoiflance  qu'il  a  des  Pères ,  des  Conciles , 
des  faintes  Ecritures,. il  appercevra  d'abord  fi  le 

dogv 


9E  PAKLER.  LhuV.  CbapW.         }77 

d'ogme  qu'on  a  propofé  cft  Hérétique  ou  Catho- 
lique. Il  ne  fera  pas  neceffaixc  qu'il  confulte  la 
Topique  ,  qu'il  aille  de  porte  en  porte  frapper 
à  chacun  des  lieux  communs ,  où  il  ne  pourroit 
trouver  les  connoiflauces  neceflaires  pour  décider 
la  queftion  prefente.  Si  un  Orateur  ignore  le  fond 
de  la  matière  qu'il  traite ,.  il  ne  peut  atteindre  que 
la  fur  face  des  chofes,  il  ne  touchera  point  le  nœud 
de  l'affaire;  de  forte  qu'après  avoir  parlé  long- 
temps, fon  adverfairc  aura  fujet  de  lui  dire  ce  que 
difoit  faint  Augullinà  celui  contre  qui  ilécrivoit: 
Laiflez  ces  lieux  communs  qui  ne  difcntrien,  di- 
tes quelque  chofe,  oppofez  des  raifons  à  nos  rai- 
fons ,  &  venant  au  point  de  la  difficulté ,  établif- 
fèz  votre  caufe ,  &  tâchez  de  renverfer  les  fohdc- 
mens  far  lefquels  je  m'appuie.  Separatis  locorum 
cêmmunium  nugis^  res  cum  rf ,  ratio  cum  ratimi^^ 
CMufa  cum  cttuja  conpgat. 

Si  on  veut  dire  en  favçur  des  Heux  communs^ 
qu'à  la  vérité  ils  n'enfeignent  pas  tout  ce  qu'il  fout 
Are,  mais  qu'ils  aident  à  trouver  une  infinité  de 
raifons  qui  ie  fortifient  les  unesles autres:  ceux  qui 
prétendent  qu'ils  font  inutiles  »  répondent ,  &.  je 
fcroisbien  de  leur  avis,  quepourpcrfuaderiln'cft 
befoin  que  d'une  feule  preuve  qui  foit  forte  &. 
folide,  &  que  l'éloquence  confifte  à  étendre  cette 
preuve,  &  la  mettre  en  fon  jour,  afin  qu'elle  foit 
apperçûë.  Car  enfin ,  il  le  fout  avouer ,  les  preu- 
ves font  foibles  qui  font  communes  aux  accufez, 
&  à  ceux  quiaccufent,  dont  on  fe  peut  fervir  pour 
détruire  &  pour  établir.  Or ,.  celles  qui  fe  tirent 
des  lieux  communs  font  de  cette  nature  :  ce  font 
de  mauvaifes  herbes  qui  étouffent  k  bonne  fc- 
mence. 

Cet  Art  efl  donc  dangereux  pour  les  pcrfonnes 
qui  n'ont  qu'un  petit  favoir,  parce  qu'ils  le  conten- 
tent de  ces  preuves  qui  fe  trouvent  fedlcment , 


378        La  Rhetoriq^ue,  oit  l'Art 

&  qu'ils  ne  prennent  pas  la  peine  d*cn  cherchai 
d'autres  qui  foient  plus  folide?.  Un  homme  d'dl 
prit ,  en  parlant  de  cette  méthode  que  Raimonil 
Luile  a  traitée  d'une  manière  particulière ,  dit  quel 
c'efl  un  Art  qui  apprend  à  difcOurir  fans  jugemcnlj 
des  chofes  qu'on  ne  fait  point ,  ce  qui  eft  un  dé- 
faut indigne  d'un  homme  raifonnable.  J'aimerois' 
mieux,  ditCiceron,  êtrefage,  &  ne  pouvoir  par- 
ler ,  que  d'être  parleur  &  être  impertinent.  Mal- 
le?» indifertam  fapientîam  ,  quàm  Jiultittûtn  /#• 
quacem.  Ajoutez  que  dans  toutes  fortes  rde  dif- 
cours  il  faut  abfolument  retrancher  tout  ce  qui 
ne  peut  fcrvir  à  la  refolution  de  la  difficulté. 
Après  un  tel  retranchement,  je  crois  qu'il  ref- 
teroit  peu  de  chofes  que  la  Topique  auroit  four- 
nies. 


Chapitre    VI. 

Il  ny  a  que  la  Vérité ,  ou  l'apparence  de  la  Vérité  gui 

(erfuade* 

i 
E  ne  font  point  les  feules  paroles ,  ni  Tabon- 
'dance  des  chofes  qui  perfuadent;  c'efl  pour- 
quoi ,  tout  ce  qui  fe  tire  des  lieux  communs  ne 
peut  être  utile  qu'aux  jeunes  gens,  quin'étantpas 
capables  de  trouver  des  raifons  folides ,  connues 
feulement  de  ceux  qui  ont  étudié  à  fond  les  ma- 
tières ,  ont  befoin  de  ce  fecours  pour  pouvoir  faire 
leurs  déclamations  de  Collège.  C'cft  pour  cela 
que  les  Maîtres  qui  fe  ferviront  de  cet  ouvrage  ^ 
pourront  traiter  cette  méthode  des  lieux  avec  plus 
d'étendue ,  donnant  fur  chacun  des  exemples  qui 
fe  trouvent  dans  plufieurs  Livres  de  Rhétorique. 
Il  y  en  a  de  beaux  :  car  quoique  les  grands  .Ora- 
teurs ne  s'amufent  pas  à  confulter  les  hcux  com- 
muns, 


c 


BE  PARLE  n.  Liv.V.  Chap.  VI,  379 

miins,  cependant  on  peut  rapporter  tout  ce  qu'ils 
dilent  à  quelqu*un  de  ces  lieux  communs.  Ciceron 
n  étoit  point  allé  frapper  à  la  porte  du  douzième , 
du  treizième  &  du  quatorzième  lieu,  lorfquepour 
faire  voir  que  Rofcius  n'avoit  pas  été  capable  de 
commettre  les  crimes  effroyables  dont  onl'accufoit, 
il  dit  :  Qua  in  re  pratsreo  illud ,  quod  mibi  ma- 
x'imo  avgumento  ad  hujus  innocentiam  poterat  ejjè  , 
in  rujîicis  moribus ,  in  vi^u  arido ,  in  bac  borrida 
incuhaque  vita  illiufmodi  maieficia  gigni  non 
Jolcre.  Ut  non  omnem  frugem  ,  neque  arborem 
in  oimii  agro  reperire  pojjis  :  Jtc  non  omne  faciKus 
in  vmni  vit  a  nafcitur.  In  urbe  iuxuries  crcn^ 
fur  :  ex  /uxuria  exiftat  avaritia  neceffe  eft  }  ex 
avaritia  erumpat  audacia  :  inde  omni^  fcelera ,  ac 
maieficia  gignuntur.  Vita  autem  rujîica  qua?n  &  /?- 
£rejhm  vocas ,  par/tmeni£ ,  diiigenti£ ,  jujlitia  ma* 
giftra  eft,  Ciceron  dans  ce  lieu  preffc  Taccufa- 
teur  de  Rofcius .  &  fait  voir  par  toutes  les  cir- 
conilanccs  poffibles,  qu'il  n*a  point  tué  fon  propre 
père ,  comme  on  Ten  accufoit. 

On  trouve  affez  de  ces  exemples  dans  les  Rhé- 
toriques ordinaires.  Je  crois  devoir  m'appliquer  à 
des  chofes  plus  utiles.  Ce  que  je  vais  dire  dans  ce 
Chapitre,  appartient  à  la  Logique  5  maisjenepuis 
xne  difpenfcr  de  le  rapporter,  parce  que  c^^  eft 
neceflaire  pour  découvrir  les  fondemens  de  l'Art 
que  j'entreprens  d'expliquer. 

L'homme  eft  fait  pour  connoître.  Nous  ne 
pourrrions  vivre ,  ni  arriver  à  notre  fin ,  qui  eft  la  fé- 
licité, fi  nous  étions  fans  connoiffance*  Il  eft  pa- 
reillement nccelTaire  que  nous  puiflions  connoître 
les  chofes  comme  elles  font,  ^  que  nous  ne  nous 
trompions  pas.  La  capacité  que  nous  avons  de  fa- 
voir,  nous  feroit  defavantageufe  fi  nous  n'avions 
aucun  moyen  de  diilingucr  la  vérité  d*avec  lafauf- 
feté.    On  peut  biem  concevoir  q^ue  Thomme  ufe 

mal- 


3S0       La  Rhetorxqjdi,  ou  i*Akt 

mal  de  fes  facilitez  ;  mais  on  ne  peut  pas  penfér 
que  la  nature  dont  Dieu  eft  rAuteur,  (oit  d'eII^ 
même  mauvaife:  toutes  les  inclinations  vraymcnt 
naturelles  font  donc  bonnes»  &  nousnepouvom 
manquer  en  les  fuivant.  Voilà  un  principe  dontfl 
faut  voir  les  confequences  »  par  rapport  à  ce  qoe 
nous  cherchons. 

L'expérience  fait  connoître  qu'il  7  a  des  ooo* 
noiffances  claires,  aufquelles  nous  nous  lentoi» 
comme  forcez  deconfentir.  Je  ne  puis  point  doB- 
ter  que  jen'exille,  que  je  n'aye  un  corps,  qu*!» 
&  deux  ne  foient  pas  trois.  Âinfi  toutes  lesfiÉ 
que  je  fentirai  que  ma  nature  m'oblige  deconfor 
tir  à  ce  q^ui  m'eft  propofé  avec  une  pareille  d»  \ 
té,  c*eft-a-dire  que  je  me  trouve  eg^emcotc^. 
gagé  de  confentir ,  je  puis  croire  que  je  ncfli 
trompe  pas.  Car  fi  je  me  trompois»  ce  fcroitir 
nature  qui  me  tromperoit,  puifque  ce  feroitifc 
qui  m'engageroit  dans  Terreur.  Nousn'avoitf» 
cun  lieu  de  nous  défier  de  la  bonté  de  celui qoinoè 
a  fait;  ainfî  nous  devons  être  certains  que  les  dO' 
fes  font  comme  nous  les  connoiflbns,  lori^ 
notre  connoiflance  eft  fi  évidente  que  nous  ne  jo* 
vons  pas  fufpendre  notre  confentcmcnt.  Lrarf 
eft  donc  le  caradere  de 'la  Vérité,  ccft-à-<liiti 
que  toute  connoiflance  évidente  eft  conformctk 
chofe  qui  eft  connue ,  &  par  confequent  qu'dka 
▼raye:  la  vérité  eft  un  rapport  de  confomiirfî. 
c'eft  ainfi  quelle  perfuade.  Comme  nous Ib» 
mes  tellement  faits  que  la  volonté  fuit  le  Itoi 
&  que  c'eft  par  le  plaifir  que  nous  fentons ,  qucDfl* 
defirons  le  bien ,  l'efprit  fuit  de  même  la  TcriÉ 
&  il  eft  attiré  par  la  clarté,  comme  la  volfl* 
Feft  par  le  plaifir;  c*eft  lui  oui  nous  fait  agiTi'i 
ce  qui  nous  perfuade ,  c'eft  la  vérité. 

Mais  outre  que  l'homme  étant  libre,  il  peut* 
tourner  fon  efprit  de  laconfiderationd'uncTcriif» 

k 


DH  PARIER.  Lh.V,  Cit.  VL  381 

&  par  confequent  empêcher  que  la  clarté  ne  le 
perfuade;  il  peut  ,fans  bien  écouter  la  nature ,  don- 
ner fon  confentement ,  comme  il  peut  aimer  une 
chofe  avant  que  d'avoir  reconnu  certainement 
qu'elle  eft  capable  de  lui  procurer  un  véritable 
plaifir.  L'apparence  du  bien  trompe  &  engage  : 
la  feule  apparence  de  la  vérité  éblouît  pareille- 
ment. On  ne  fe  veut  pas  donner  la  peine  d'écouter 
la  nature ,  de  fonder  fes  inclinations  véritables. 
D'abord  on  confent ,  fans  examiner  fi  elle  nous  y 
oblige  :  ce  qu'il  fàudroit  faire  ^owx  éviter  l'erreur, 
comme  pour  juger  fans  erreur  fi  le  fucre  eft  doux, 
on  le  met  fur  la  langue ,  on  le  goûte  ,  on  fait  at- 
tention à  ce  qu'on  fent,  ou  à  ce  que  la  nature  nous 
fait  fentir.  Le  peuple  qui  ne  raifonne  point,  eft 
fujet  à  cette  erreur.  Ce  n'eft  prefque  jamais  la  vé- 
rité qui  le  perfuade,  ce  n'eft  que  la  vrai-femblance 
qui  le  déternîine ,  de  la  même  manière  qu'il  ne 
cherche  que  les  biens  apparens,  &  qu'il  les  préfère 
aux  biens  réels  &  folides. 

Il  n'eft  pas  inutile  à  un  Orateur  qui  doit  s'accom- 
moder à  la  foibleffe  de  fes  Auditeurs,  de  confidcrer 
en  quoi  confifte  cette  vrai-femblance  qui  perfua- 
de le  peuple  ,  puifque  pour  le  perfuader  ce  n'eft 
pas  aflei  de  lui  propofer  la  vérité.  11  n'arrive  que 
trop  fouvent  qu'il  n'eft  pas  capable  de  Tapperce- 
Toir.  Il  n'a  que  les  yeux  du  corps  ouverts  ;  &  il  fe- 
roit  neceflaire  qu'il  ouvrît  les  yeuxdcTefprit.  Ar- 
rêtons-nous un  peu  ici. 

Nous  expérimentons  que  nousfommestriftesou 
joyeux ,  félon  que  notre  confcience  nous  rend  té- 
moignage que  nous  nous  fommes  tromper,  ou  que 
nous  fommes  exempts  d'erreur.  Un  nomme  qui 
fent  que  fa  caufe  ne  vaut  rien ,  eft  abattu.  S'il  fe 
fent  coupable ,  il  eft  trifte.  Au  contraire  il  parle 
avec  confiance  quand  il  a  pris  le  bon  parti.  Il  eft 
gai,  il  ofe  attaquer  les  ennemis,  &  û  les  infulte. 

-  Voilà 


3S1        La  Rhitoriqjui,  ou  l'Art 

Voilà  ce  qui  arrive  ordinairement  ^uand  on  fuitl 
la  nature,  &  qu'on  ne  combat  pas  les  fcntimens. 
Ceft  pourquoi ,  pour  peffuader  le  peuple  qu'on  dit 
vrai ,  il  fufnt  de  parler  avec  un  difcours  encore 
plus  hardi  que  fon  advcrfaire  ;  il  n*y  a  qu  a  crier 
plus  fort,  &lui  dire  plus  d'injures  qu'il  n'en  dit 
)as,  fe  plaindre  de  lui  plus  aigrement ,   propofcr 
out  ce  que  l'on  avance  comme  des  oracles ,  fe  nil- 1 
er  de  fes  raifons  comme  fi  elles  étoient  ridicules, 
pleurer  s'il  en  eft  befoin ,  comme  fi  on  avoit  une 
véritable  douleur  que  la  vérité  qu'on  défend  fut 
attaquée  &  obfcurcie.    Ce  font  la  les  apparences 
de  la  Vérité.  Le  peuple  ne  voit  gueres  que  ces  ap- 
parences ,  &  ce  font  elles  qui  le  perfuadent. 

Les  Déclamateurs  n'étudient  guère  que  cette  vrai- 
femblance;  &  c'eft  là  leur  différence  d'avec  un  vé- 
ritable Orateur  qui  aime  la  vérité.  Comme  le  peu- 
i>lc  n'examine  point,  qu'il  juge  par  la  couleur  fous 
aqueUe  paroi  fient  les  chofes  ,  le  Dédamateur  ne 
penfe  qu'à  donner  cette  couleur  qui  trompe.  Le 
véritable  Orateur  inftruit ,  il  aide  fon  Auditeur  à 
découvrir  la  Vérité.  Il  ne  néglige  pas  de  fe  fervir 
de  tout  ce  qui  peut  toucher  le  peuple;  &c'eflpour 
cela  qu'il  allègue  quelquefois  des  raifons  foibles  en 
elles-mêmes ,  mais  qui  font  fortes  par  rapport  à 
ceux  à  qui  il  parle,  parce  qu'elles  s'accommodent 
avec  leurs  prqugez.  Néanmoins  la  principale  ap- 
plication eft  de  prouver  folidement  la  vérité,  de 
la  bien  mettre  en  fon  jour:  nous  allons  voir  com- 
ment cela  fe  peut  faire. 


ChA" 


DE   ?  A  R  L  E  R.    I/V.  V,  Cbap,  VIL  3Ç3 


Chapithe    VII. 

Comment  on   peut  trouver    la  Vérité  ,     la  fatn 
connottre  y   &  découvrir  l'Erreur, 

'Eloquence  feroit  pcrnicieufe  fi- elle  n'avoit  pour 
fa  fin  que  de  tromperie  peuple.  Elle  ne  reuffi- 
roit  pas  même  li  elle  ne  fa  voit  que  tromper  ;  car 
enfin,  on  ne  fe  laiflc  guère  tromper  deux  fois  de 
fuite.  Un  Sophifte  n'eft  eftimé  que  peu  de  temps: 
aufîi-tôt  que  l'art  dont  il  s'eft  fervi  ell  connu ,  on 
le  méprife.  Puifqu*il  s'agit  donc  de  perfuader,  & 
non  pas  de  tromper ,  qu'il  n'y  a  que  la  vérité  qui 
perfuade  pour  toujours ,  il  fout  voir  comment  on 
la  peut  trouver  ,  &  la  foire  connoître. 

On  peut  dire  en  un  mottoutccquieftncccffaire 
pour  cela.    Nous  avons  propofé  le  principe  fur 
lequel  nous  pouvons  être  aflurez  que  nous  ne  nous 
trompons  pas.  Lorfque  la  clarté  d'une  propofition 
nous  paroît  fi  évidente  qu'il  n'eft  pas  en  nôtre 
pouvoir  de  fufpendre  notre  confentement ,  que  nous 
nous  (entons  comme  forcez  d'acquicfcer,  nous  n'a- 
vons point  fujet  de  craindre  de  nous  tromper.  Nous 
avons  dit  qu'alors  c'eft  la  nature  qui  nous  fait 
agir.  Tout  ce  qu'elle  fait  eft  bien  foit:  elle  a  Dieu 
pour  Auteur,  qui  ne  peut  tromper  ni  être  trompé. 
Nous  ne  devons  point  craindre  Terreur  pendant 
que  nous  ne  fuivrons  que  les  inclinations  qu'il  nous 
donne  ;  mais  il  faut  bien  diftinguer  la  voix  de  la 
nature  d'avec  ce  que  nous  difcnt  nos  pallions  &  nos 
préventions.    Nous  allons  quelquefois  trop  vîte  ; 
nous  donnons  d'abord  notre  confentement  avant 
que  d'avoir  bien  confultéla  nature;  Nous  ne  nous 
tromperons  pas  en  la  fuivant  :  mais  il  ne  la  fout  pas 
prévenir,  il  fout  marcher  après  elle. 

Voilà 


\ 


384     La  Rhbtork^b,  ou  t'Aur 

Yoilà  donc  en  peu  de  mots  tout  ce  qu'il  fautfâi- 
TC  pour  ne  fe  pas  tromper.    Comme  les  Oratems 
ont  plus  fouvent  à  combattre  PErreur  qu'à  établir 
la  Vérité ,  ils  doivent  examiner  en  détail  tout  ce 
que  leurs  adverfaires  ont  avancé  comme  indubita- 
ble, pour  reconnoître  fi  elFeétivement  la  vérité  ea 
c(l  fi  claire ,  qu'on  ne  puiflc  s'empêcher  d'y  con- 
fcntir,  &  que  ce  foit  parler  contre  ce  qu'on  fent, 
que  de  la  contredire.  Si  on  découvre  au  contraire 
qu'ils  fe  font  trompez,  il  faut  rendre  fenfible  leur 
erreur.    Je  fuppofc  qu'ils  ne  trompent  que  parce 
qu'ils  font  trompez.   Voions  ce  que  doit  faire  un 
Orateur:  mais  auparavant  faifons  cette  remarque, 
que  pcrfonne  ne  peut  être  convaincu  entièrement 
que  de  ce  qui  eft  vrai ,  ou  de  ce  qu'il  croit  vérita- 
ble, &  que  ceux  qui  fe  trompent,  croyent  voir  la 
vérité  auffi-bien  que  ceux  qui  ne  fe  trompent  pas: 
ils  font  prêts  de  foûtenir  avec  une  égale  fermeté  leurs 
fcntimens.    Or  ,  qu'eft-ce  que  voit  celui  qui  fe 
trompe,  croyant  voir  la  vérité  qu^il  ne  voit  pas? 
Car  enfin,  il  voit  quelque  chofe  ,  fans  cela  ilfe 
rendroit.    Je  répons  en  premier  lieu  ,  qu'on  ne 
voit  rien  clairement  que  ce  qui  eft  vrai.  Que  voit 
donc  celui  qui  fe  trompe?  C*eft  une  confequencc 
qui  fuit  clairement  d'un  principe  qu'il  n'a  point 
examiné ,  &  qui  eft  faux.   Il  n'envifage  que  cette 
confequence  qui  eft  vraie ,  fuppofé  le  principe  le- 
quel il  ne  conudere  point.   Un  exemple  éclaircira 
cette  importante  remarque.    Allant  par  la  Ville, 
j*ai  vu  un  homme  habillé  comme  Merius ,  &  defa 
taille.  D'abord ,  fans  aucune  autre  refiçxion  ,  j'ai 
conclu  que  c*étoit  Metius;  j'ai  ainfi  fuppofé  que  je 
l'ai  vu  :  venant  enfuite  à  parler  de  lui ,  on  dit  qu'il 
eft  à  la  campagne  ,  moi  je  foutiens  qu'il  efî  à  la 
-Ville.  Je  ne  confidere  que  cette  confequence  qui  eft 
claire.  Je  l'ai  vu  en  Ville,  donc  il  y  cil;  &c'eft  ce 
qui  me  rend  opiniâtre  :  car  je  ccdcrois  fi  j'exa- 

minois 


Dl  PARLER.  Lh.   V.  Ciétp.VIL  38^' 

minois  bien  le  principe  dont  je  tire  cette  confe- 
quencc,  faifant  reflexion  que  deux  perfonn es  peu- 
vent être  habillées  de  même  manière ,  £c  avoir  beau- 
coup de  rapport  pour  la  taille,  &  qu*efFcétivement 
je  n'ai  vu  autre  chofe  quun  homme  fait  comme 
Metius  que  je  n'ai  point  vûauvifage.    Cet  exem- 
ple dit  beaucoup.    Avec  un  peu  d'attention  il  fera 
facile  de  reconnoître  l'erreur   de  ceux   qui  ne 
conteftent  que  parce  qu'ils  n'apperçoivcnt  pas  ce  qui 
les  trompe    Ceft  toujours,  comme  nousTavon»^ 
dit ,  l'aj^arencc  de  la  venté  oui  féduit.    Ainfi  l'ap- 
plication d'un  Orateur  doit  être  d'examiner  ce  qui 
-a  pÛ  tromper  ceux  qu'il  veut  defabufer,  c*eft-à- 
dire  de  quels  principes  ils  tirent  leurs  confequenccs  : 
s'ils  ont  fuppofé  ces  principes  pour  vrais  fans  en   ^ 
être  convaincus,  ou  s'ils  ont  tiré  de  fauffesconfe- 
quences.  Il  n'y  a  rien  qui  perfuade  mieux  ceux  dont 
on  combat  les  fentimens,  que  de  démêler  ainfi  les 
chofes  oviilsont  raifon,  d'avec  celles  où  ils  fetronjh 
pent;  de  leur  accorder  ce  qui  eft  vrai,  &  de  leur 
faire  voir  ce  qui  efl  faux  &  ce  <jui  les  aféduits. 

Tout  ceci  demanderoit  peut-être  plus  de  détail, 
mais  cela  appartient  à  la  Logique,  dont  l'étude  eft 
abfolument  neceflaire  à  un  Orateur.  Nous  avons 
dit  qu'il  faut  connoître  à  fond  les  matières  dont  il 
s'agk.  Pour  connoître  une  vérité  inconnue ,  ou 
pour  la  faire  connoître ,  il  la  faut  déduire  de  fcs 
principes.  Comme  dans  la*  nature  tout  fe  fait  par 
des  loix  (impies,  &  en  petit  nombre,  auffi  dans  les 
Sciences  tout  fe  peut  déduire  d'un  petit  nombre  de 
veritez.  Ceft  a  ceux  qui  traitent  les  Sciences  par- 
ticulières d'indiquer  ces  premières  veritez,  qui  font 
des  fources  fécondes  d'où  coulent  toutes  les  autres 
veritez.  On  fe  trompe  fi  on  croit  qu'en  lifantune 
Rhétorique  bien  faite ,  on  apprenm-a  à  difcourir 
raifonnablement  fur  toute  forte  de  matière. 

R  Cha- 


i 


.}86       La  Rhetoriqjui,  ou  x-'Art 


Chapitre    VIII. 

Vattention  eft  fiecejfaîre  pour  eonnoître  U   VerîU. 
Comment  on  peut  rendre  attentif  un  Jlnditeur. 

PArlant  en  général  de  ce  qu'il  faut  faire  pour 
perfuader,  je  ne  veux  pas  oublier  une  choie  qui 
«fl  plus  confîderable  qu'on  ne  pcnfc ,  pruifque  fans 
elle  les  plus  folides  raifonnemens  font  inutiles  11 
«'y  a  que  ceux  qui  font  fouvent  reflexion  fur  notre 
corruption ,  qui  apperçoivent  que  la  caufe  de  Tigno- 
rance  des  hommes ,  &  du  peu  d'effet  des  plus  beaux 
êc  des  plus  forts  difcours  ne  vient  que  du  défaut 
d'attention.  11  arrive  à  Tefprit  ce  qui  arrive  au  corps. 
Un  corps  malade  &  languiflant  ne  peut  agir.  Une 
ame  qui  eil  malade,  eft  fans  a^on;  fi  elle  travaille 
à  connoître  la  Vérité ,  aufli-tôt  elle  eft  fatiguée.  Les 
corps  qui  font  imprelTion  fur  elle ,  l'en  détournent  ; 
eue  ne  la  peut  donc  envifager  fans  combatre  con- 
tre fon  corps;  &  dans  l'état  de  langueur  où  le  péché 
l'a  réduite ,  elle  n'en  eft  prefque  plus  capable.  On 
aura  peine  à  le  croire  ;  cependant  il  n'y  a  rien  de 
plus  vrai ,  que  de  mille perfonnes  qui  écoutent  un 
Prédicateur  un  peu  fpintuel,  il  n'y  en  a  peut-être 
pas  dix  qui  foient  attentifs.  Le  fon  de  fes  paroles 
frappe  bien  les  oreille's  ;  mais  la  vérité  que  fes  pa- 
roles expriment ,  eft  peu  apperçûë  :  elle  n'cft  à  leur 
égard  que  comme  une  image  qui  paiTe  prompte- 
ment  devant  leurs  yeux.  Nous  l'expérimentons  ;  il 
y  a  des  veritez  que  nous  avons  entendues  mille  fois 
fans  en  être  touchez;  &  lorfque  Dieu  tourne  vers 
elles  notre  efprit,  nous  nous  trouvons  frappez,  & 
nous  les  voyons  d'une  manière  fi  particuhere,  que 
nous  croyons  ne  les  avoir  jamais  vues.  Ce  n'eft 
que  l'attention  qui  diftinguc  les  habiles  gen&d'avec 

^  les 


DE  PARLER,     i/v.  V.Cbap.  VIIL  38^ 

les  ignorans.  Tout  homme  qui  eft  capable  d'atten- 
tion, eft  en  même  temps  capable  de  toutes  les  pla« 
hautes  Sciences  ;  rien  n'eft  difficile  pour  lui. 

Ceft  à  quoi  un  Orateur  doit  prendrcgarde:  au- 
trement il  parle  à  des  rochers.  Toutes  les  figures 
de  Rhétorique  ne  s*employent  que  pour  cela.  Les 
Apoftrophes ,  les  I  nterrogations  ne  fc  font  que  pour 
réveiller  les  Auditeurs ,  &  les  tourner  vers  ce  que 
Ton  veut  qu'ils] confiderent.  Interroger ,  c'eft  com- 
me tirer  un  homme  parle  manteau,  pour  lui  faire 
appercevoir  ce  qu'il  ne  voit  pas.  Les  defcriptions , 
les  Hypotypofes ,  les  dénombremens  reprefentcnt 
fous  différentes  faces  la  venté  qu'on  veut  perfua- 
der,  afin  que  fi  elle  n'eil  pas  vue  fous  une  fiice, 
on  la  voye  fous  une  autre.  Les  Métaphores ,  les 
^^legories  en  font  des  peintures  fenfîbles  qui  frap- 
pent les  fens.  Cela  a  été  dit  avec  étendue  dans  le 
fécond  Livre;  mais  la  chofe  eft  fî  importante, 
qu'on  n'en  peutaflez  parler:  c'eft  de  ce  côté-là  que 
TOrateur  doit  tourner  fon  adrciTe. 

Comme  l'ame  eft  faite  pour  la  Vérité ,  qu'elle 
a  un  defir  ardent  de  favoir ,  aufïi-tôt  qu'elle  ap- 
'  perçoit  quelque  chofe  qu'elle  n'a  point  vue,  ôcqui 
'la  frappe  d'une  manière  extraordinaire,  elle  a  de 
la  curiofîté ,  elle  la  veut  connoître.    Ainfî  pour 
rendre  l'ame  attentive,  c'eft-à-dire,  pour  lui  don- 
ner de  la  curiofité ,  il  n'eft  queftion  que  de  trouver 
-  des-tours  ingénieux,  qui  donnent  un  air  extraordi- 
naire à  ce  qu'on  veut  faire  confiderer.  La  nouveau- 
té attire:  qu'un  homme  vêtu  en  étranger  pafle 
par  une  rue ,  il  fe  fera  regarder  de  tout  le  monde. 
Vitruve  rapporte  qu'un  fameux  Architeéle  n'ayant 
-pu  obtenir  audience  d'Alexandre  le  Grand  pour 
lui  propoferle  deffein  d'un  grand  ouvrage;  comme 
on  le  rebutoit,  &  qu'on  lelaiffoit  parmi  la  foule 
du  peuple,  à  qui  on  ne  donnoit  pas  la  liberté  d'ap- 
procher du  Prince,  il  s'ayifa  de  paroître  nud  à  la 

"^R  a  por- 


-  «.j 


3S8      La  RuïrouiauE,  o«  t'AnT 

porte  du  Palais,  couvert  de  feuilles.  Alexandre 
l'ayant  apperçû  dans  cet  habillement  extraordi- 
naire, eut  la  curiofité  de  lui  demander  ce  qu'il  étoit, 
&  pourquoi  il  paroiifoit  dans  cet  état.  Ce  qui  lui 
donna  Toccafion  de  propofer  fondeflcin,  ce  qu'il 
n'avoit  pas  pu  faire  auparavant.  Quand  on  a  trouvé 
la  Vérité ,  pour  en  perfuader  les  autres ,  il  ne  s'agit 
que  d'infoirer  un  dcfu:  véritable  de  la  connoître,  en 
la  proposant  d'une  manière  qui  la  fafTc  regarder. 
Lorfquon  lit  les  Orateurs,  il  faut  remarquer  Ta- 
drefle  dont  ils  fe  fervent  pour  fe  faire  écouter.  Les 

{)receptes  fervent  peu  de  chofe ,  fi  l'on  n'obfervc 
'ulage  qu'en  ont  fait  les  grands  Maîtres. 

Il  ne  fera  pas  néanmoins  inutile  de  faire  ces 
deux  reflexions,  aufquelles  fe  peut  réduire  Fart, 
s'il  y  en  a  un,  de  rendre  attentifs  ceux  à  qui  on 
parle.  Confiderons  donc ,  i.  Que  les  hommes  dc- 
firant  fa  voir ,  &  ce  defir  ayant  pour  fin  un  objet 
infini ,  il  fout  que  la  chofe  dont  on  promet  de 
parler,  foit  grande,  ou  paroiffe  grande;  car  fi  on 
connoiffoit  qu'elle  eft  petite ,  on  la  négûgeroit. 
1.  De  ce  que  l'objet  de  notre  curiofité  naturel- 
le eft  une  diofe  infinie ,  je  conclus  encore  que 
le  grand  fecret  pour  entretenir  le  feu  de  la  curio- 
fité, c'eft  de  ne  point  faire  connoître  entièrement 
ce  qu'on  propofe,  qu'après  qu'on  ne  demande 
plus  d'aUention ,  n'ayant  plus  rien  à  dire.  Jufqu'à 
ce  moment  il  faut  nourrir  la  curiofité  fans  la 
remphr,  l'enflammant  toujours,  afin  qu'elle  foit 
plus  ardente.  Car  enfin ,  tout  ce  qu'on  peut  en- 
seigner n'eft  point  ce  que  la  nature  fait  defîrer. 
Ainfi  on  fe  dégoûte  de  ce  qu'on  a  appris ,  &  le 
temps  du  plainr  ne  dure  que  pondant  ces  mo- 
mens  que  ce  qu'il  entrevoit  lui  donne  l'efperance 
de  connoître  quelque  chofe  de  nouveau  &.decon: 
fiderablc. 

C'eft  ce  que  les  Foëtes  favent  fi  bien  prati- 

quer. 


»E  PARLEiu  Liv,  V.  Cbap.VllU      3^(> 

quer.  Voyez  dans  TEneide  comme  Virgile  propofc 
d'abord  une  hiltoirc  fameufe  d'un  homme  de 
conlîderation ,  qui  par  Tordre  des Deftins  étoit  ve- 
nu en  Italie  y  jetter  les  fondemens  de  TEmpire 
Romain.    Il  ne  Commence  pas  cette  hiftoire  par 
la  naiflance  de  fon  Héros.  Il  le  reprefente  au  mi- 
lieu de  la  mer ,  battu  de  la  tempête  qu'une  Déeffe 
avoit  excitée  ;  les  Dieux  prennent  parti ,  les  uns 
font  pour  lui ,  les  autres  contre.    Sa  flotte  eft  dif- 
fipée.    Il  fait  naufrage ,  dont  à  peine  il  fe  fauve , 
jette  fur  un  bord  étranger.    Cela  donne  la  curio- 
fité  de  favoir  qxiel  étoit  cetEnée,  &  comment  un 
fugitif  comme  lui ,  fi  malheureux ,  pourroit  enfin , 
arriver  dans  l'Italie,  &  y  établir  un  puiflânt  Empire, 
A  mefure  qu'on  lit  l'Eneïde,  on  apprend  ce  qu'on 
defire  favoir;.  mais  il  y  a  toujours  quelque  cir- 
confiance  qui  éloigne  le  dénouement  des  diflScul- 
tez  qu'on  voudroit  voir  éclaircics.    La  curiofîté  eft 
de  plus  en  plus  fatisfaite  j  mais  jufqu'à  la  fin  il 
relie  quelque  chofe  qu'on  ignore,    ce  qui  fait 
qu'on  Et  avec  ardeur  ce  Poëmc  depuis  les  pre- 
miers vers  lufques  aux  derniers. 

Je  puis  dire  que  c'eft  en  cela  que  confïfte  un  des 
grands  fecrets  de  l'éloquence;  car  pour  perfuader, 
il  faut  fe  faire  écouter.  Or ,  quand  un  Orateur  trou- 
ve le  moyen  de  donner  de  la  curiofité  pour  ce  qu'il 
va  dire,  qu'il  l'entretient,  &  que  ce  n'eft  que 
lorfqu'il  ceffe  de  parler  qu'elle  eft  parfaitement 
contente,  on  peut  dire  qu'il  a  réuffi.  Autre- 
ment fon  Auditeur  s'ennuye.  C'eft  ce  qu'il  doit 
le  plus  appréhender.  La  plus  méchante  qualité 
d'un  Orateur  c'eft  d'être  ennuyeux.  S'il  ne  plaît 
pas ,  s'il  dégoûte ,  de  quelle  utilité  font  fcs  difcours  ? 
Fourquoi  s'emprefle-t-il  de  parler? 

Naturellement  on  eftime  &  oa  prend  plaifîr  à 
ce  qui  eft  bien,  fait ,  &  répond  à  la  fm  qu'on  s'y  eft 
propofé.    On  eftime  le  portrait  d'une  chofe  mé- 

^  3  Rfi- 


39^       La  Rhetoriqub,  ou  l'Art 

prifable  en  elle-même,  s'il  eft  rcflemblant.    Ainfî 
quoiqu'après  avoir  lu  TEneide ,  quand  on  le  relit , 
on  n'ignore  plus  toute  rhiftoired'Ènécj  cependant 
on  y  prend  encore  plaifir,  parce  que  fi   ce  n'eft 
pas  les  nouvelles  connoiflances  qu'on  acquiert  qui 
divertiflent ,  le  Poète  qui  fait  conduire  fon  ouvra- 
ge ,  plaît  par  fon  efprit.  Ce  n'eft  pas  feulement  dans 
le  Poème  Epiaue  &  dans  les  pièces  de  Théâtre , 
mais  dans  les  plus  petites  pièces  que  cette  conduite 
reuffit.    Quand  im  Auteur  commence  demanicit 
qu'il  fait  attendre  quelque  chofe  de  rare ,  de  nou- 
veau, fans  faire  connoîtrecc  qucc'eft ,  on  fentfa 
curiofitc  émue.  Il  l'enveloppe ,  il  la  cache  en  même 
temps  qu'il  la  laifle  entrevoir  jpar  quelque  bd  en- 
droit j  ce  qui  augmente  le  denrde  la  voir  entière. 
La  difficulté  où  U  jette  leLeéleur,  le  rend  plus  at- 
tentif ;  Animusfit  ettentior  ex  tTifficultate,     Ainfî  il 
s'applique  davantage;  &c'eftce  quilui  fait  trouver 
bon  ce  qu'il  lit,  comme  c'eftl'appetitqiii  nous  fait 
trouver  bon  ce  que  nous  mangeons.    Ne  pouvant 
pas  produire  ici  une  pièce  d'une  longueur  confide- 
rable  pour  prouver  ce  que  j'avance;  en  voici  une 
petite  qui  rervira  d'exemple. 

Elevé  dans  la  vertu , 
Et  malheureux  avec  elle  9 
Je  dîfois,  A  quoi  fers-tu  ». 
Fauvre  é*  miferaîle  Vertu  t 
Ta  droiture  et  tout  ton  zèle. 
Tout  compté 9  tout  rabattu» 
Ne  valent  pas  un  fétu. 
Mais  Vivant  que  fon  couronne 
Aujourd'hui  le  grand  Pompone , 
Aujji  tôt  je  me  fuis  tû  j 
.  A  quelque  chofe  elle  efl  bonne. 


Cha- 


PE  PARLiR.  Liv,  V.  Cbdf.  IX.         391 


C  H   A  P  I  T  R  1      IX. 

€e  qui  fait  la  dijfertnce  de  POrateur  d'avec  U  Pbik^ 

Jo^he* 

NO  us  pouvons  ici  décider  une  qucftionqui 
fcrvira  à  réclairciflement  de  TArt  de  perfua- 
dcr.  On  demande  ce  qui  fait  la  différence  de 
l'Orateur  d'avec  le  Philofophe  :  d'où  vient  que  le 
Philofophe  peut  convaincre ,  &  qu'il  ne  perfuade 
prefque  jamais;  au  lieu  qu'un  excellent  Orateur 
ne  manque  point  de  faire  l'un  &  l'autre.  On  peut 
comprendre  par  ce  que  nous  venons  de  dire,  qu'il 
n'y  a  que  la  Vérité  qui  puiflc  convaincre  &  pcr- 
fiiadcr;  mais  comme  elle  ne  le  peut  faire  qu'étant 
connue,  ce  n'eft  pas  afTez  de  la  propofer,  fi  on  , 
ne  trouve  les  maniérés  de  la  foire  appercevoir,&  fl 
ca  même  temps  Ton  n'ôte  les  préventions  qui  lui 
font  un  obftacîe. 

Le  Philofophe  fe  contente  de  donner  les  prin- 
cipes fur  lelqucls  il  s'appuye.    Il  les  expliç^ue  en 
peu  de  paroles  ,  fuppofant  que  fon  difciple  eft 
attentif,  qu'il  a  de  la  curiolité  pour  l'écouter,  de 
l'empreflement  pour  être  inftruit  :  qu'il  ne  veut 
que  voir  la  Vérité  pour  lafuivre  :  ainfi  il  ne  cherche 
aucun  tour  rare  pour  le  tenir  attentif.    Il  ne  s'a* 
vife  point  d'exciter  en  fon  ame  aucun  mouvement 
pour  le  porter  vers  la  Vérité,  &pour  l'éloigner  des 
objets  qui  l'en  détournent.  EfFedlivement  il  ne  feroit 
prs  neceffairedele  faire  fitousles  hommes  étoient 
dans  cette  difpofition  au  regard  de  la  Vérité ,  oh 
ce  Philofophe  fuppofe  qu'eft  fon  difciple  :  mais  il 
n'en  eft  pas  ainfij  les  hommes  ont  peu  de  curio- 
fité;  le  defir  que  Dieu  nous  a  donné  pour  la  Vérité 
eft  languiiTaot ,   il  ne  fe  réveille  que  lorfqu'il  fe 

R  4  prc: 


39X      La  RHEToitiQUE,  ou  l*Arx 

prefente  des  objets  extraordinaires.  Nous  arom 
tous  refprit  fort  diftrait ,  peu  perçant;  ainfiàmoins 
qu'on  ne  s*accomm'ode  à  notre  foiblcffe  comme  fait 
l'Orateur  pour  nous  faire  voir  la  Vérité  par  tant 
d'endroits  qu'enfin  nous  Tappcrcevions ,  nous  nch 
concevrons  jamais. 

On  voit  donc  pourquoi  les  Philofophes  con- 
vainquent bien,  c'eft-à-dire,  qu'ils  obligent  d'a- 
vouer qu'on  ne  peut  tenir  contre  ce  qu'ils  veulent 
prouver ,  &  que  cependant  on  n'entre  point  dans 
leurs  fentimens.    C'ell  qu'on  fent  la  force  de  leur 
raifonnement  fans  le  comprendre,  &  qu'on  ne 
fort  point  de  l'état  où  l'on  fc  trouvoit  avant  que 
de  les  avoir  entendu  parler.    L'Orateur  ne  foume 
point  d'indiflferencc  dans  fon  Auditeur;  il  le  re- 
mue en  tant  de  manières,  qu'enfin  il  trouve  par 
où  il  le  pourra  renverfer ,  &  pouffer  du  côté  où 
U  veut  qu'il  tombe.    Perfonne  ne  peut  refiàer  à 
la  force  de  la  Vérité.  Les  hommes  l'aiment  natu- 
rellement; il  eft  impoflible  qu'ils  ne  fe  laiflfent ga- 
gner quand  ils  la  connoiffent  avec  tant  d'évidence 
qu'ils  n'en  peuvent  douter ,  ni  s'imaginer  qu'elle 
loit  autre  qu'elle  leur  paroît.    Ainfi  l'Orateur  qui 
a  le  talent  de  mettre  la  Vérité  dans  un;  beau  jour, 
doit  charmer,  puifqu'il  n'y  a  rien  de  plus  charmant 
que  la  Vérité ,  &  elle  doit  triompher  de  la  refif- 
tance  qu'on  lui  feifoit ,  puifqu'effedivement  pour 
être  vi(ftorieufe ,  elle  n'a  qu  à  fe  taire  connoître. 
Nous  allons  parler  de  ces  manières  qui  font  parti- 
culières aux  Orateurs. 


C  H  A* 


DB  PAR  Lia.  L!v,K  Chétp.  X.        393 


Chapitkb     X. 

Des  manières  de  slnfinuer  dans  Pe/^rit  de  ceun  à  f[ui 

fenparh. 

SI  les  hommes  aîmoient  la  Vttité  plus  que  ce 
qui  flatte  leurs  paffions ,  &  s*ils  la  chcrcnoient 
fincerement ,  il  ne  feroit  befoin  pour  la  leur  faire 
recevoir ,  que  de  la  leur  propofer  fîmplcment,  & 
fans  art.  Ils  la  haïflent,  parce  qu'elle  ne  s'ac- 
commode pas  avec  leurs  intérêts,  &  ils  s'aveu- 
glent volontairement  pour  ne  la  pas  voir  ;  car  ik 
?aiment  trop  pour  fe  lailfer  perfuader  que  ce  qui 
leur  eft  defagréable ,  foit  vrai.  Avant  que  de  re- 
cevoir une  vérité,  ils  veulent  être  affurei  qu'elle 
ne  fera  point  incommode.  Ceft  donc  en  vain 
qu'on  fe  fert  de  fortes  raifons  quand  on  parle  à 
des  perfonnes  qui  ire  veulent  pasles entendre,  qui 
perfccutent  la  Vérité  ,&  la' regardant  comme  leur 
ennemie,  ne  veulent  pas  envifager  fon  éclat ,  de 
crainte  de  reconnoître  leur  injuftice.  On  eft  donc 
contraint  de  traiter  la  plupart  des  hommes  qu'on 
veut  délivrer  de  leurs  faufles  opinions ,  comme  on 
traite  les  phrenetiques ,  à  qui  on  cache  avec  arti- 
.fice  les  remèdes  qu'on  employé  pour  les  guérir, 
n  faut  propoferies  veritez  dont  il  eft  necefTaire 
qu'ils  foient  perfuadct ,  avec  cette  adrefle  qu'elles 
foient  maîtrefles  de  leur  cœur  avant  qu'ils  les  ayent 
appcrçûës  ;  &  comme  s'ils  étoient  encore  enfans ,  il 
faut  obtenir  d'eux  par  de  petites  carefles,  qu'ils 
veuillent  bien  avaler  la  médecine  qui  eft  utile  à 
leur  fanté. 

Les  Orateurs  qui  font  animez  d'un  véritable  zè- 
le, étudient  toutes  les  manières  poffibles  de  gagner 
les  hommes,  pour  les  gagner  à  la  Vérité,    Une 

R  5  me- 


394      La  Rhetoriqjji,  ou  l'Akt 

merc  parc  fcs  er.fons  avec  foin,  &  Tamour  qu'el- 
le a  pour  eux  la  porte  à  faire  que  toutes  les  autres 
perfonnes  les  aiment  avec  la  tendreffc  qu'elle  rcf- 
fent.  Si  nous  aimons  donc  finceremcnt  la  Vérité, 
nous  devons  travaillera  ce  qu'elle  foit  aimée.  Les 
laints  Pères  de  l'Eglife  ont  toujours  tâché  d'éviter 
tout  ce  qui  la  pouvoit  rendre  odieufc.  Lorfquc 
J  1  $  u  s-C  H  R  I  s  T  commença  à  prêcher  ion 
Evangile  aux  Juifs,  qui  étoient  jaloux  de  la  gloi- 
re de  la  Loi  de  Moïfe ,  pour  ne  les  pas  choquer, 
comme  remarque  faint  Jean  Chryfoftome,  il  té- 
.moigna  qu'il  ne  prétendoit  pas  renverfer  cette 
Loi  ;  mais  au  contraire  qu'il  éoit  venu  pour  l'ac- 
complir. Sans  cela  ils  euflent  bouché  leurs  oreil- 
les pour  ne  le  pas  entendre ,  comme  firent  ceux 
que  par  un  juue  jugement  il  ne  daigna  pas  ga- 
gner. 

Nous  avons  dit  que  les  anciens  Maîtres  font 
confifter  l'Art  de  perfuader  dans  la  fcience  de  fai- 
re ces  trois  chofes ,  infirmée ,  gagner ,  &  émou- 
voir :  Dvcere ,  fitSître ,  ô*  movert.  J'ai  rap- 
porté les  moyens  que  ces  Maîtres  ont  découvert 
pour  trouver  les  chofes  qui  peuvent  inftruirc  & 
éclaircir  la  matière  fur  laquelle  on  parle.  Je  fe- 
rai ici  quelques  reflexions  fur  les  moyens  de  s'in- 
finuer  danslles  cœurs  de  ceux  que  l'on  veut  ga- 
gner. Dans  les .  Rhétoriques  ordinaires  on  ne 
fait  point  ces  reflexions  :  ainfî ,  quoique  je  n'ayc 
pas  eu  deflein  de  traiter  l'Art  de  penuader  dans 
toute  fon  étendue ,  j'en  dirai  plus  que  ceux  qui 
promettent  de  ne  rien  oubUer.  Il  eft  vrai  ope 
la  fcience  de  gagner  les  cœurs  eft  bien  au  dcflbs 
de  la  portée  d'un  jeune  écolier,  pour  lequel  on 
fait  des  Rhétoriques.  Elle  s'aquiert  par  aefubli- 
mes  fpcculations ,  par  des  reflexions  Uir  la  nature 
de  nôtre  efprit,  fur  les  inclinations,  fur  les  mou- 
vcmcns  de  notre  volonté.    Ccft  le  fruit  d*unclon- 

guc 


D  B  F  AU  t  m.  lirtr.  V,  Cbap.  '  Xf,       395 

guc  expérience  qu'on  a  fait  delà  manière  que  1^ 
hommes  agiflent ,  &  qu'ils  fe  gouvernent.  En  un 
mot ,  cette  Icience  ne  fo  peut  enleigncr  methodi-^ 
quementque  dans  la  Morale, 


Chapitre    XI. 

Quaihez  requifes  dans  U  perfinnt  dt  celui  qui  veuf 
gagner  ceux  à  qui  ilfarhm 

IL  eit  important  que  les  Auditeurs  ayent  de 
l'eftime  pour  celui  qu'ils  écoutent  »  &  qu'il 
paiTe  dans  leur  efprit  pour  une  perfonnefage.  Un 
Orateur  doit  donner  des  témoignages  d'amitié  à 
ceux  qu'il  veut  perfuader,  &  fiire  paroîtreque 
c'eft  un  zèle  fîncere  de  leur  intérêt  qui  le  fait 
parler.  La  modellie  lui  efl  neceifaire»  la  fierté 
&  l'orgueil  étant  d'invincibles  obihdesàlaperfua- 
fion.  Ainii  il  faut  qu'on  remarque  ces  quatre  qua- 
litez  dans  la  perfonne  d'un  Orateur  j  de  la  probité, 
de  la  prudence,  de  la bien-veillance ,  &delamo- 
deftie;  comme  nous  Talions  faire  voir  plus  au  long. 
Il  eft  confiant  que  l'eftime  que  l'on  a  de  la 
probité  &  de  la  prudence  d'un  Orateur,  fait  fou- 
:vent  une  partie  de  fon  éloquence,  à  laquelle  on 
•  fe  rend  avant  même  que  de  fa  voir  ce  qu'il  doit 
dire.  C'eft  fans  doute  l'effet  d'une  grande  pré- 
occupation :  mais  cette  préoccupation  n'dl  pas 
mauvaife ,  &  on  ne  doit  pas  la  confondre  avec  un 
certain  entêtement ,  par  lequel  on  demeure  atta- 
ché à  defauifes  opinions  fans  aucune  raifon.  Ou- 
tre que  les  paroles  qui  fortènt  d'un  cœur  plein  d'ar- 
deur pour  la  Vérité,  émbrafent  le  cœur  de  ceux 
qui  écoutent;  il  eft  fort  raifonnàble  d'ajouter  foi 
à  ce  que  dit  un  homfixe  de  bien  9  Se  qu'on  fait 

R  6  ne- 


)96    ^    La  Rhetokkuje»  ov  l'âht 

n'être  point  un  trompeur.  Ceft  pourquoi  ilcff 
plus/avantageux  à  un  Orateur  que  la  vertu  éclate, 
que  fa  dodrine  *  Jn  Oratare  non  tûm  dicenâ 
facuhns  quàm  hontfia  %*ruendt  ratio  tkcut. 
Le  Chriftianifme  oblige  ceux  qui  font  profef- 
lion  de  pcrfuadcr  les  autres ,  de  travailler  à  s'ac- 
quérir de  l'autorité  dans  Tefprit  des  peuples;  &le 
même  Evangile  qui  commande  à  tout  le  monde 
de  ^r  Téclat,  les  oblige  de  faire  éclatter  leurs 
bonnes  œuvres»  avec  cette  intention  que  ceux 
qu  ils  inftruifent ,  foicnt  autant  portez  par  leurs 
exemples  à  embraiTer  la  vertu»  que  par  leurs  pa- 
roles. S  Je  iuceat  lux  veftra  coram  bêm'mibus%  ut 
vii/eant  optra  x*ejîrn  kona.  Cette  neceifilé  a 
porte  quelquefois  les  ^\às  modefles  à  fc  donner 
.des  louanges,  &  à  défendre  leiu'  réputation  en 
même  temps  que  la  patience  ôcla douceur lespor- 
toient  à  aimer  les  mjurcs  dont  on  les  chargeoir. 
La  bonne  vie  efl  la  marque  que  J  e  s u  s-Chkiit 
nous  a  donnée  pour  dillinguer  les  Prédicateurs deh 
Vérité  d'avec  ceux  queTEfprit  d'erreur  envoie  pour 
tromper  les  hommes. 

On  eft  bien  aife  de  fe  décharger  de  la  peine 
d'examiner  un  raifonnement ,  &  pour  cela  dcs'cn 
fier  à  l'examen  de  ceux  que  Ton  eftime,  &dc 
foûmcttre  fon  jugement  aux  lumières  de  ccta 
en  qui  on  voit  briller  une  grande  fagefle.  \A%' 
étoritati  iredere  magnum  compentlium  ,  ^  nuhs 
labor.  L'autorité  d'un  homme  de  bien,  fagc.& 
éclairé ,  eft  à  ceux  qui  fe  défient  de  leurs  lami^ 
res ,  ce  qu'eft  un  appui  à  un  malade.  Peifonncnc 
veut  être  trompé,  peu  fe  peuvent  défendre  de  l'er- 
reur ;  c'eft  pourquoi  l'on  eft  ravi  de  trouver  une 
perfonne  fous  l'autorité  de  laquelle  on  fe  tienne 
a  couvert.  Dans  toutes  les  difputcs  on  voit  q* 
deux  ou  trois  têtes,  à  qui  leur  fuffifancc  a  aq* 

de 
*  QutntilUn.    f  S.  Ju£u/fh, 


IDE  l»ARItR,   Liv.K  Châp,lfL       •j<}f 

de  Teilime, partagent  tout  le  monde, &  que  cha- 
cun fe  range  du  parti  de  celui  qu'il  croit  être  le 
plus  habile.  Lorfqu*un  Otateur  n*a  pu  encore  ga- 
gner une  grande  autorité  5  il  n'attirera  jamais-dans 
fcs  fentimens  qu'un  très-petit  nombre  de  perfon- 
nes ,  parce  que  peu  font  capables  d'apperccvoir  la 
fubtilité  de  fcs  raifonnemens.  S'il  veut  avoir  la 
multitude  de  fon  côté ,  il  faut  qu  il  falTe  voir  qu'il 
a  pour  lui  ceux  à  l'autorité  de  qui  elle  a.  coutume 
de  fe  rendre,  &  dont  elle  fuit  les  fentimens avcu-p 
glément. 

Il  n<Y  ^  rien  qui  foit  plus  capable  de  gagner 
les  hommes,  que  les  marques-  d'amitié  au'oii 
leur  donne.  L*amitié  donne  toutes  fortes  die  droits 
fur  la  perfonnc  aimée.  On  peut  dire  toutes  chofes 
à  ceux  qui  font  convaincus  qu'on  les  aime  :  Ama , 
^  d'rc  qu4id  'Vis,  11  faudroit  que  Tamour  qu'on 
a  pour  la  Vérité  fut  bien  defmterelfé  pour  vouloir  la 
recevoir  lorfqu'elle  vient  de  la  bouche  d'un  en- 
nemi. L'on  ne  peut  pas  s'imaginer  qu'une  per- 
fonne  ennemie  veuille  procurer  un  auflî  grand  bien 
qu'eft  la  connoiflance  de  la  Vérité.  LesEpîtresdc 
faint  Paxd  font  pleines  de  marques  d'affeélion  & 
de  tendreife ,  qu'il  faifbit  paroître  à  ceux  à  qui  il 
ccrivoit;  &  jamais  il  r>e  les  reprend  de  leurs  dé- 
fauts ,  qu'après  les  avoir  convaincus  que  c'étoit  le 
aele  qu'il  avoit  pour  leur  falur,  qui  l'obligeoit  de 
les  en  avertir. 

La  quatrième  qualité  que  je  drois  neceffaire  \ 
tin  Orateur,  eil  la  modeftie.  Souvent  la  relif- 
tance  que  quelques-uns  font  à  la  Vérité,  n'ell 
caufée  que  par  la  fierté  avec  laquelle  on  veut  extor- 
quer de  leur  bouche  un  aveu  de  leur  ignorance. 
Pourquoi  chicane-t-on  dans  les  converfations  ? 
pourquoi  cft-ce  qu'on  difpute  fans  vouloir  demeu- 
rer d  accord  des  veritez  les  plus  inconteftables  ? 
C'cft  que  les  uns  veulent  triompher,  ôc  les  autres 


so- 


398       La  Rhétorique,  ob  l'Aet 

s'opiniâtrcnt  à  ne  pas  céder,  &  à  difputcruncviC' 
toire ,  dont  la  perte  leur  paroît  hontcufe.  Ceux 
qui  font  fages ,  laifTcnt  refroidir  la  chaleur  de 
la  difpute ,  &  lailfent  paffer  le  temps  de  l'opi- 
niâtreté. Ils  cachent  tellement  leur  triomphe,  qoc 
les  vaincus  ne  s'apperçoivent  pas  de  leur  défaite;  & 
qu'ils  ne  fe  connderent  pas  tant  comme  vaincus, 
que  vidorieux  de  l'erreur  où  ils  étoicnt  engagez. 
Non  de  adverjario  viéioriam ,  Jed  contra  mendêàm 
quécremus  veritatem ,  difoit  faint  Jérôme  écrivaitt 
contre  les  Felagiens. 

Un  fage  Orateur  ne  doit  jamais  parler  de  foi 
avantageufcment.  11  n'y  a  rien  qui  foitpluscapir 
Wc  d'éloigner  de  lui  l'efprit  de  fes  Auditeurs, 
&  de  leur  infpirer  des  fentimens  d'averfion  ôcde 
haine;  que  cette  vanité  que  font  paroître  ceux 
qui  fe  vantent.  La  gloire  eft  un  bien  oiichacim 
prétend  avoir  droit.  On  ne  peut  fouffiîr  qu'un 
particulier  fe  l'approprie  ;  car ,  comme  Quintt- 
lien  l'a  fort  bien  remarqué  ,  nous  avons  tout 
une  certaine  ambition  qui  ne  peut  rien  fouffiir 
au  delTus  de  foi.  De  là  vient  que  nous  prcnonf 
plaifir  à  relever  ceux  qui  s'abaiflent  eux-mêmes  1 
parce  qu'il  femble  que  nous  le  faifons  comme 
étant  plus  grands  qu'eux.  Habet  enim  mens  wtf" 
ira  fublime  quiddam  ,  ist  impatiens  fuperioris  \ 
ideoque  fubjefios  &  fubmittentes  fe  iubenter  «^ 
ievamus  ,  q:iia  boc  facere  tanquam .  majores  vidh 
mur.  Cette  modeitie  ne  doit  rien  avoir  àc 
bas  :  la  fermeté  &  la  generofité  font  inféparaUei 
du  lele  que  notre  Orateur  a  pour  la  défenfe  de 
la  Vérité,  &  comme  elle  ell  invincible,  il  doit 
être  intrépide.  Il  eft  confiant  qu'un  homme  fe 
rend  redoutable,  qui  ne  craint  rien  davant:^ 
que  de  blcffer  la  Venté;  ainii  il  ne  fied  pas  mal 
quelquefois  de  relever  les  avantages  de  fon  parrii 
qui  Cil  celui  de  la  Vérité.   Ajoutez  quelccUfcoaii 

doit 


BE  PAKtiR.  Liv,  IV.  Cbitp.  XI T.     39^ 

<loit  convenir  à  la  qualité  de  celui  qui  parle.  Un 
Roi,  un  Evêquc  doivent  parler  avec  majefté;  & 
ce  qui  eft  la  marque  d'une  autorité  légitime  dans 
leur  perfonnc,  feroit  en  celle  d'une  perfonne  pri- 
vée une  marque  de  fierté  &  d'arrogance. 


Chapitre    XII. 

Ce  ([u'il  faut  çb/aver  dans  Us  cbofss  (font  on  fark 

pour  stnfinutr  dans  Peffrit  des 

jeudi  leurs. 

A  Près  avoir  parlé  de  la  perfonne  de  l'Orateur , 
•*^  voions.  ce  qui  regarde  les  chofes  que  Ton  trai- 
te. Si  les  Auditeurs  n'y  prennent  aucune  part,  & 
qu'elles  ne  blefîcnt  point  leur  intérêt,  l'artifice 
n'eft  pas  ncceflaire.  Lorfqu'il  n'eft  queftion  que 
de  prouver  que  les  trois  angles  d'un  triangle  font 
égaux  à  deux  angles  droits ,  il  n'eft  pas  befoin 
de;  difpofer  les  efprits  à 'recevoir  cette  vérité  :  ne 
pouvant  caufer  aucun  dommage,  il  ne  faut  pas 
craindre  que  quelqu'un  la  rejette.  Mais  lorfqu  on 
propofe  des  chofes  contraires  aux  inclinations  de 
ceux  à  qui  on  parle,  Tadrefle  eft  ncceflaire.  L'on 
ne  peut  s'infinuer  dans  leur  efpritque  par  des  che- 
mins écartez  &  fecrets;  c'eft  pourquoi  il  faut  faire 
en  forte  qu'ils  n'apperçoivent  point  la  vérité  dont 
on  veut  les  perfuader ,  qu'après  qu'elle  fera  maî- 
trefle  de  leur  cœur;  autrement  ils  lui  fermeront  la 
porte  de  leur  efprit,  comme  à  une  ennemie,  ainfi 
que  nous  l'avons  dit. 

Les  hommes  n'agiflant  que  par  intérêt ,  lors 
même  qu'il  femble  qu'ils  y  renoncent,  il  faut 
reccfFairement  leur  faire  voir  que  ce  qu*on  leur 
pcrfuade ,  ne  leur  fera-  point  defavantageux.  On 
doit  combattre  leurs  inclinations  par  leurs  incli- 
na- 


4Po       Ua  Rhétorique,  ou  l'Aut 

nations  ,  &  s'en  fcrvir  pour  les  attirer  dans  te  | 
fentimens  qu'on  leur  veut  faire  prendre ,  comme 
les  Matelots  fe  fervent  du  vent  contraire  pour  ar- 
river dans  le  port  d'oii  le  vent  les  éloignoit:  cdi 
fe  comprendra  mieux  par  des  exemples.  Afin' 
d'infpirer  de  l'averfîon  pour  lé  fard  à  vme  femme 
qui  n*a  de  Tamour  que  pour  cUe-mênne  ,  &  qoc 
rien  ne  touche  que  fa  beauté  ,  il  faut,  félon  le 
confeil  de  faint  Jean  Chryfoftome  ,  fe  fervir  de 
la  paflSon  qu'elle  a  pour  fa  beauté  ,  pour  mode^ 
rer  cette  pafllon  ,  en  lui  montrant  que  les  pou- 
dres ôcle  fard  gâtent  le  teint.  On  détache  delà 
débauche  uû  homme  qui  ne  refufe  rien  à  fes  plai- 
firs.,  en  lui  propofant  des  plaifirs  plus  doux  ,  ou 
le  perfuadant  fortement  que  ces  débauches  feront 
fui  vies  de  quelque  grande  douleur.  Il  faut  tou- 
jours dédommager  l'amour  propre  ;  c'èft-â-c^rc, 
défintereffer  ceux  que  l'on  veut  faire  renoncer  à 
Quelqu'interêt.  Car  enfin ,  à  moins  que  la  Grâce 
divine  ne  change  le  cœur ,  lès  paffions  peuvent 
changer  d'objet  :  mais  elles  demeurent  tonâjours 
lès  mêmes.  Or ,  ce  changement  d'objet  n'en  pas 
difficile..  Un  orgueilleux  fera  tout  ce  qu'on  voucua, 
pourveu  qull  évite  l'humiliation,  &  que  fon  orgueil 
foit  content.  Ainfîil  n'y  a  rien  qu'on  ne  puiflc  per- 
fuader,  quand  on  fait  bien  fe  fervir  des  inclinations 
des  hommes. 

Lorfqu'on  veut  obtenir  de  ceux  à  qui  on  parle 
une  chofequ^ils  onfdefTein  de  ne  point  accorder, 
quoiqu'on  la  puiflc  exiger  d'eux  avec  droit ,  il iiut 
fe  contenter  de  la  recevoir  comme  une  grâce.  On 
ne  doit  pas  leur  ftire  cette  demande  qui  les  cho- 
que ,  après  qu'on  aura  clairement  prouvé  que 
ce  qui  leur  reliera  ,  fervira  plus  à  leur  gloire  ,  & 
fera  plus  avantageux  que  ce  qu'ils  accorderont. 
JSaint  Jean  Chryfoftome  loiie  la  prudence  de  FTa- 
"irien ,  Patriarche  d'Antioche  ,  qui  fit  révoquer  à 

l'Em- 


i 
î 


IVE  PARLER.  Lh*V.  Cbap.XIh       40Ï 

TEmpercur  Theodofe  l'Arrêt  fatiglant  qu'il  avoit 
donné  contre  les  habitans  de  cette  Ville  ,  qui 
avoient  rei)verfé  les  ftatues  de  l'impératrice.  Ce 
Patriarche  étant  venu  à  Conftantinople  pour  flé- 
chir la  colère  de  Theodofe ,  il  exagéra  la  faute  de 
ceux  d'Antioche;  ilconfeffa  qu'une  femblable  fau- 
te mcritoitles  châtimens  les  plus  rigoureux.  Mais 
enfuite  ayant  montré  que  la  gloire  du  pardon  fe^ 
roit  d'autant  plus  illuftre  oue  L'ofFenfe  étoit  graa*- 
de ,  &  qu'un  Prince  Chrétien  ne  pouvoit  ranger 
une  injure  avec  une  fi  grande  fe vérité  ,  il  gagna 
Pcfprit  de  Theodofe  ,  qu'il  auroit  irrité  ,  s^Ûcût 
entrepris  de  diminuer  le  crime  du  peuple  d  nn- 
tioche,  outre  qu'il  eût  fcmblé  approuver  leurfédi- 
tion ,  &  en  eût  paru  complice. 

Il  dk  avantageux  à  un  Orateur  ,  que  fes  Audi- 
teurs, foient  perfuadei  qu*il  entre  dans  leur  fen- 
timcnt  :  ce  qui  n'cfl  pas  impoiTiblc  ,  quoiqu'il 
travaille  à  ce  que  fes  Auditciurs  changent  de  len- 
timent.  Dans  une  opinion  ,  quelle  qu'elle  foit^ 
toutn'eft  pas  faux,  tout  n'eft  pas  déraifonnable». 
On  peut ,ians  bleffer  la  Vérité»  s'attacher  d'abord 
à  ce  qui  eft  vrai ,  dans  l'opinion  que  l'on  veut 
combattre,  &.  la  louer  en  ce  qu'elle  a  de  vérita- 
ble »  &  qui  mérite  des  loiiangcs.  Un  peuple ,  par 
exemple,  s'eft  révolté  contre  fon  legirime Souve- 
rain ;  &  a  enlevé  la  puiffance  d'entre  fes  mains 
pour  la  partager  à  ceux  qu'il  a  choifts  pour  le 
gouverner.  On  pourra  donc  commencer  fon  dif- 
cours  par  louer  l'amour,  de  la  liberté,  Enfuite 
faifant  voir  à  ce  peuple  que  la  liberté  eft  plus 
grande  fous  un  Monarque  que  dans  une  Repu- 
blique ,  où  cent  tyrans  ufurpent  l'autorité  foii- 
verainc  ;  on  le  gagne ,  &  on  fe  fert  de  la  paffion 
qui  la  porté  à  la  révolte,  pour  le  ramener  à  l'o- 
béïfT^nce. 

C'eft  avec  cette  même  prudence,  que  J'on  dér 

ta.- 


402;        La.  Rhetoriqui,  ou  i'Akt 

tache  les  hommes  de  ceux  pour  qui  ils  ont  un 
amour  dcraifonnable  ,  contre  lefquels  par  confc- 
qucnt  il  faut  bien  fe  donner  de  garde  de  dédamer 
d'abord  :  au  contraire  il  eft  bon  de  commencer 
par  leur  donner  quelques  louanges.   Par  exemple: 
11  eft  vrai,  ô  Romains,  que  pcrfonnen*a  jamais  été 
plus  hberal  que  Spurius-  Mclius  ;  il  vous  a  fait  des 
profufions  de  toutes  fes  richeffes.  Mais  prencigar- 
de  que  c'eft  un  ambitieux  ;  que  toutes  fes  libcn- 
liteï.  font  des  appas  pour  vous  furprendrc ,  &  que 
tous  ces  prefcns  qu'il  vous  fait,  font  le  prixavccV 
quel  il  prétend  acheter  votre  liberté,  &  fc  rendre 
votre  maître. 

L'humihté  eft  la  plus  rare  de  toutes  les  vertus;- 
elle  eft  l'appanage  des  âmes  innocentes  ,    6c  de 
ne  fe  rencontre  que  fort  rarement  dans  ceux  qm. 
font  criminels  i    c*eft  pourquoi  ces  dernien  ne; 
peuvent  fouflfrir  que  Ton  leur  reproche  leurs  ftotes. 
Il  eft  difficile  par  confequent  de  gagner  ceuxqa'on' 
veut  corriger  ;  néanmoins  lorfque  les  coupablafi)tat[ 
cffeftivemcnt  perfuadeiqueleur faute  leur  eftpcr- 
nicieufe,  que  c'eft  l'amour  de  leur  intérêt  qui  ftit 
parler  celui  qui  les  reprend  ,  qu'ils  rcconnoiflcnt 
qu'ayant  plus  de  prudence,  il  prévoit  les  malheurs 
qui  les  regardent,  &  qu'ils  n*appcrçoi  vent  pas;  ils 
fupportent  avec  patience  ce  reproche  pénible ,  com- 
me les  malades  foufFrent  qu'on  leur  coupe  un  mem- 
bre pourri. 

Ce  qui  fait  fouvent  que  les  avertiflcmens  font 
defagrcables ,  c'eft  qu'on  les  fait  avec  empire  & 
avec  infulte.  Quand  on  veut  corriger  les  coupables, 
on  doit  quelquefois  fe  contenter  de  leur  montrer 
ce  qu'il  lalloit  faire ,  fans  leur  reprocher  ce  qu'ib* 
ont  fait.  Il  y  a  de  certaines  chofes  qui  ne  font  matt- 
vaifes  que  par  le  défaut  d'une  circonftance  ;  on  peut 
louer  cette  chofe ,  mais  faire  voir  qu'elle  n'a  pas  été 
faite  dans  le  temps  ni  dans  le  Ueu  neceflaire. 


DE  PARLER.  Liv,V,  Chap,XlL        403. 

Afin  qu'un  coupable  n*ait  point  de  honte  d'a- 
vouer fa  faute,  &  de  s'en  repentir,  il  eft  bon  de 
la  faire  paroître  petite^  en  la  comparant  avec  une 
plus  grande  :  &afin  qu'il  ne  la  foutienne  point ,  il 
faut  trouver  des  moiens  de  l'en  décharger.  Il  y  a 
de  certaines  gens  qui  ne  veulent  jamais  condam- 
ner ce  qu'ils  ont  fait.  On  doit  feparer  l'erreur  de 
ces  perfonnes ,  &  ne  point  prouver  qu'ils  en  font 
coupables  qu'après  qu'ils  l'auront  condamnée.  Ceft 
ce  que  fit  le  Prophète  Nathan ,  lorfqu'ayant  voulu 
reprendre  le  Roi  David  de  l'adultère  qu'il  avoit 
commis ,  il  lui  fit  des  plaintes  d'un  homme  qu'il 
difoit  coupable  d*uneaéUon  qui  étoit  moins  crimi- 
nelle que  celle  de  David.  Après  que  ce  Roi  eut  con- 
damne cet  homme ,  pour  lors  Nathan  lui  dit  que 
c'étoit  de  fa  Majcfté  même  dont  il  avoit  parlé ,  & 
qu'il  étoit  plus  coupable  que  cet  homme  qu'il 
yenoit  lui-même  de  condamner. 

(Quelquefois  on  eft  fi  attaché  aux  rcfolution» 
qu'on  a  prifes  fur  une  afikire  ,.  qu'on  ne  veut 
plus  écouter  de  nouvelles  propofitions.  L'artifice 
eft  donc  necelfaire  ;  celui  dont  fe  fervit  Agrippa 
eft  admirable.  Il  vouloit  rappeller  le  peuple  Ro- 
main qui  avoit  quitté  la  Ville  ,  fe  plaignant  de 
la  dureté  des  Magiftrats ,  qui  fans  rien  faire ,  vi- 
voient  de  fon  travail.  Il  leur  propo&  la  parabole 
de  la  guerre  qui  s'éleva  entre  les  parties  du  corpsv 
humain,  qui  ne  voulant  plus  rien  donner  à  l'efto- 
mach,  qui  étoit,  difoient- elles,  un  parefleux,  re- 
connurent enfuite  par  l'expérience ,  que l'eftomach. 
leur  rendoit  bien  ce  qu'elles  lui  àonnoient.  Cette 
feule  parabole  que  le  peuple  écouta  avec  plaiiir» 
ne  voyant  point  où  elle  alloit ,  fuJQBt ,  après  qu'il 
en  vit  l'application ,  pour  lui  fsure  quitter  là  pre- 
mière relblution.  Il  n'y  a  point  de  meilleure  ma- 
nière pour  inftruire  les  peuples ,  que  les  parabo- 
les.   Elles  inftruifent  en  un  mot  de  pluûeurs  cho- 

fes~ 


404      Là  Rheto&xqjje,  ou  l'Akt 

fcs  qu'on  ne  pounoit  cxpli^cr  autrement  <jae 
par  des  difcours  ennuyeux ,  &  dLQSdles  à  comprco- 
dre. 


I 


SE 


Chapzt&s    XIIL 

Les  qualHez    necejfaires  à  un    Orateur  pour 
gner  ceux  a  qui  il  parlé ,  m  doivent 
pas  être  feintes. 

JE  ne  doute  point  qu'on  ne  puiflc  faire  un  très- 
mauvais  ufage  de  cet  Art  que  nous  cnfeignon^ 
ce  qui  n'empêche  pas  que  les  règles  qjic  no» 
avons  données  ne  foienttres-îùft'es^  On  peut  feindre 
que  Ton  a  de  Tamour  pour  ceux  à  qui  Ton  parle, 
afin  de  cacher  le  mauvais  deflein  que  \x  haine  au- 
ra fait  concevoir  contr'eux.    On  peut  prendre  Ifr 
mafque  d'honnête  homme  pour  lurprcndre  ceox 
qui  ont, de  la  vénération  pour  tout  ce  qui  a  les  ap- 
parence de  la  vertu.  Mais  il  ne  s'enfuit  pas  qtfoa 
ne  doive  point  témoigner  d'amour  à  les  Audi- 
teurs ,  &  s'acquérir  quelque  ellime  dans  leur  et 
prit  lorfque  cet  amour  eft  fincere  comme  ilîcddt 
être,  &  que  Ton  n'a  point  d'autre  fin  quel'intcrêk 
de  la  Venté; 

Les  Rhéteurs  Païens  ont  donné  ces  mêmespr^ 
ceptes  que  nous  donnons,  &les  Sophiftess'enioiit 
fervis.  Il  eft  vrai;  mais  c' eft  ce  qui  nous obligcdc 
les  fuivre  avec  plus  de  foin.  Les  impies  auront-Us 
plus  de  zèle  pour  le  Mcnfonge ,  que  les  Chrétien! 
pour  la  Vérité?  Ce  feroitune  chofc  hontcufc  aai 
amis  de  la  Vérité,  de  rcjetter  les  moiens  nattt- 
rels  qu'ils  ont  pour  la  faire  recevoir ,  pendantqoe 
les  partifans  du  mcnfonge  employent  tant  d'arti- 
fices pour  tromper.  Ces  moiens  u>nt  bons&jute 
d'eux-mêmes  ;  &  tout  homme  qui  a  de  la  dit- 


I 


Dfi  FARIEH.  Llv,  y,  Cbap.XIIt.      405 

nté  &  de  la  prudence  les  employé,  quoiqu'il  n'y 
^flc  pas  de  reflexion. 

Il  faut  aimer  les  hommes.    On  ne  doit  reffen- 
tir  pour  leur  perfonne  que  de  la  tendrefle,  quand 
même  ils  feroient  criminels.    Il  n'y  a  que  leurs 
crimes  qui  méritent  de  la  haine.    DU'tgite  botni^ 
nés ,  interficUe  errons.    Ceux  qui  ont  de  la  pie- 
té ,  Ji'ont  pas  befoin  de  feindre  :  leur  charité  fc 
peint  elle-même  dans  leurs  difcours:  ellefuppor- 
te  avec  patience  les  fautes  des  autres:  elle  les  cor- 
rige avec  douceur ,  elle  ne  les  conûdere  que  du 
côté  qu'elles  paroiffent  plus  légères.    Elle  cherche 
tous  les  moyens  pour  ne  point  choauer ,  pour  né 
point  contnfter  les  perfonncs  qu'elle  eft  obligée 
■  d'avertir;  &  pour  cela  elle  adoucit  les  correc- 
tions qui  font  un  remède  amer:  •  elle  tâche 
de  répandra  un  miel  fur  fes  paroles ,  qui  en  puif- 
fe  ôter  toute  l'amertiunc.    En  un  mot ,  elle  fait 
pour  Dieu  tout  ce  que  fait  Élire  l'amour  de  fon 
propre  intérêt;  de  lorte  que  la  conduite  extérieu- 
re ac  l'une  ne  paroît  pas  différente  delà  conduite 
de  l'autre;  la  manière  d'agir  de  l'une  n'cft  diftin- 
guée  de  l'autre  que  par  fon  principe.    Un  Ora- 
teur Chrétien  n'a  pas  moins  de  complaifance  pour 
ceux  qu'il  veut  perfuader,  fans  aucun  autre  inté- 
rêt que  celui  de  la  Vérité,  que  les  gens  du  monde 
en  ont  pour  ceux  4e  qui  ils  ;ittciîdcDt  quelque  re- 
compenfe. 

Quand  j'ai  dit  qu'on  pe  doit  pas  choquer 
ceux  à  qui  on  parle ,  je  n'ai  pas  confeillé  de  fe 
fervir  dune  lâche  complaifance,  qui  n'a  point 
d'autre  fin  qu'une  vaine  fatisfaétion  de  n'être  pas 
rebuté.  Les  hommes  aiment  qur'on  les  entretienne 
de  chofips  qui  leur  plaifent:  Loquere  nobis  pU^ 
csntia.    Celt  le  métier  d'un  flateur  d'entretenir  les 

hom- 

*  Mmtiê  éietrhkêiip  êbJmiétHê  tmmiM  mm.    CiceM 


4o6      Là  Rhbtokiqjpï»  ov  l'Art 

hommes  dans  cette  humeur  délicate.    Pen3«l 
ou  un  Orateur  Chrétien  efpcredc  gagner  fcsAt| 
ûitcurs  par  la  douceur ,  il  s'en  doit  fervir:  m 
s'ils  font  endurcis,  6c  qu'ils  ne  veuillent  point  qv 
ter  les  armes  qu'ils  ont  prifes  contre  la  Vérité,  ctl 
feroit  pour  lors  flaterie,  &  non  pas  charité»  qoel 
de  s'amufer  à  vouloir  leur  plaire.    Si  les  prioBl 
n'ont  point  de  force»  il  faut  avoir  recours  am 
menaces.  ' 

Ceft  la  conduite  que  les  Pères  de  rEglifeort' 
toujours  tenue.  Ils  ont  commencé  par  la  dou- 
ceur; mais  ils  ont  fini  par  la  fcverité,  lorfque  h 
douceur  a  été  inutile.  Saint  Auguflin  dit  qu'A 
n'avoit  pas  voulu  nommer  Pelage  dans  les  pre- 
miers Livres  qu'il  compofa  contre  cet  Hérétique, 
afin  de  lui  épargner  la  honte  de  fc  voir  reconnn 
pour  Auteur  d'une  Herefie.  Mais  quand  ce  Pcre 
vit  que  cet  Herefiarque  ne  profit  oit  point  de  cette 
retenue ,  &  qu'elle  pouvoit  contribuer  à  lui  donner 
de  la  fierté,  il  crut  que  la  même  charité  qui  Tavoit 
fait  parler  d'abord  avec  douceur,  l'obligeoit  à fe 
fervir  de  remèdes  plus  violens ,  &  proportionnel  à 
la  maladie  de  cet  Herefiarque,  ou  pourIeguérir> 
ou  pour  avertir  les  peuples  du  danger  qu*il  yavoit 
de  communiquer  avec  lui. 


Chapitre    XÎV. 

Manières  éTixciter  dans  Pefprît  de  ceux  à  qui  Po» 
parle  j  ks  pajjions  qui  les  peuvent  fvrtcr 
où  on  les  veut  conduire» 


cfprit  lespaifions  qui  les  feront  paa- 
chcr  du  côté  où  il  les  veut  porter,  8c  d'éteindre  le 

feu 


f  Di  PARti-R.  Lh.  V.  Châf   XIV.      407 

feu  de  celles  qui  pounoient  éloigner  de  lui  fesmê- 
-  mes  Auditeurs.  Mais  on  me  dira  qu'il  n'ell  point 
'  permis  d'ufer  de  moyens  aufli  injuftefi  que  font  les 
*  -paffions:  Que  c'eft  mal  s'y  prendre  pour  régler  & 
'  .pour  éclairer  TcTprit  de fes  Auditeurs,  que  d*y  ex- 
'  citer  les  troubles  &  les  fumées  obfcures  des  paf- 
■  fions.  Répondons  à  cette  objeélion  que  nous  avons 
prévenue  :  la  chofe  mérite  qu'on  la  confidere. 

Les  paffions  font  -bonnes  £n  elles-mêmes  :  leur 
feul  dérèglement  cft  criminel.  Ce  font  desmouve- 
mens  dans  Tame ,  qui  la  portent  au  bien ,  &  qui 
-réloignent  du  mal,  qui  la  pouffent  à  acquérir  l'un, 
.&  qui  l'excitent  lorfqu'cUe  eft  trop  pareffeufe,  à 
fuir  l'autre.  Juiques-là  il  n'y  a  point  de  mal  dans 
les  paffions;  mais  lorfque  les  hommes,  fuivantles 
iauffes  idées  qu'ils  ont  du  bien  &  du  mal ,  n'aiment 
que  la  terre,  alors  ces  paffions  qui  les  font  agir, 
^ui  étoient  bonnes  par  leur  nature,  deviennent  cri- 
minelles par  les  qualitcz  mauvaifes  de^  l'objet  vers 

•  lequel  on  les  tourne .    Qui  peut  douter  que  les  paf- 
'  iîons  ne  foicnt  mauvaifes ,  lorfque  dans  l'idée  de 

•  ce  lïom  de  paffion ,  on  comprend  les  mouvemens  de 

•  Tame  avec  tous  fes  déreglcmens?  Si  par  la  co- 
■  1ère  il  faut  entendre  ces  rages ,  cesemportemens, 

ces  fureurs  qui  troublent  la  Raifon,j 'avouerai  que 
la  colère  eft  une  chofe  tres-mauvaifc.  Mais  fi  on 
la  prend  pour  un  mouvement,  pour  une  affedion 
.  de  l'ameqvii  nous  anime  à  vaincre  les  empêche- 
mens  qui  nous  retardent  la  poffeffibn  de  quelque 
bien  ,  8c  pour  mie  force  qui  nous  fait  combattre  ôc 
•furmonter  le  mah  je  ne  crois  pas  qu'on  puiffe 
<iire  raifonnablement  qu'il  n'eft  pas  permis  d'ex* 
citer  la  colère,  &£efervir  de  fon  mouvement  pour 
animer  les  hommes  à  chercher  le  bien  qu'on  leur 
propofe. 

Dans  les  paffions  les  plus  déréglées,  dans  celles 
'^ui  n'ont  pour  objet  que  de. faux  biens,  il  y  a 

tou- 


4o8       La  R.RETO&IQJUE,  ou  l'â&t 

toujours  quclauc  chofe  de  bon.  N'cft-ce  pas  une 
bonne  chofe  a  aimer  ce  qui  efl  bien  fait,  cci^ui 
cil  grand»  ce  qui  eft  noble?  On  peut  doncfe 
fervir  de  ce  mouvement  qui  nous  porte  vers  la  bcto- 
té  &  vers  la  grandeur»  pouriaireagir  les  hommes. 
On  peut  (ans  fcrupule  réveiller  dans  leur  coeur  ce 
mouvement,  cnpropofant  la  beauté  &  la  grandenr 
de  la  chofe  vers  laquelle  on  les  porte,  puifqucje 
fuppofe  qu'on  n'entreprend  de  taire  aimer  que  ce 
^ui  eft  beau  d'une  veriuble  beauté ,  6c  ce  qui  poflède 
une  grandeur  réelle. 

L'on  ne  peut  fidre  agir  les  hommes  que  par  k 
mouvement  des  paifîons;  chacun  eft  emporté  par 
le  poids  'de  fon  amour,  &  Ton  fuit . ce  qui  don- 
ne plus  de  plaifir.    Il  n'y  a  donc  point  d'autre 
moyen  de  conduire  les  hommes  »  ^ue  celui  dont 
nous  parlons.  Vous  ne  détournerez  ]amaisuDaTi- 
re  de  l'indination  qu'il  a  pour  l'or  8c  l'argent,  m 
par  Tefperance  de  quelques  autres  richeiîes  pbi 
grandes;  un  voluptueux  de  fes  fales  plaifîn,  que 
par  la  crainte  de  quelque  grande  douleur ,  ou  pv 
l'efperance  d'un  plus  grand  plaifir.     Pendant  que 
nous  fom mes  fans  paifion,  nous  fom  mes  fans  aâioDi 
&  rien  ne  nous  fait  fortir  de  l'indifférence  que  k 
branle  de  quelque  afFedion.    On  peut  dire ,  que  kf 
pafTions  font  le  reifort  de  l'ame  :  quand  une  kà 
l'Orateur  s'eft  pu  faifirde  ce  reifort,  &  qu'il  Jcfiit 
manier,  rien  ne  lui  eft  difficile,  il  n'y  a  rien  qu'il 
ne  puiflie  perfuadcr. 

Les  Chrétiens  favent  que  tant  d'illuftrcs  Mtf- 
tyrs  n'ont  tiiomphé  que  par  un  fecours  du  Qài 
que  tant  de  faintes  Vierges  n'ont  foûtenu  dansJ* 
corps  foible  une  vie  auftere ,  &  accablée  de  p^ 
nitence,  que  parce  qu'elles  étoient  aidées  de  Ji 
Grâce.    Il  eft  pareillement , confiant  que  les  pi* 
mcchans  font  capables  d'entreprendre  les  nifflj  ^ 
aétions;  &  de  faire  tout  ce  que  les  Maiçfffi 


«s  exemples  d?,„i"^  ^"  «marque  i^'®^«^i>ant 

««oient  que  lei  ri"  "J^e  ces  vcXP*^*"*^^  cj. 
»<^  parle  ^Z  mÎ5"'"'!i  «J'^^n  aÏLîf P''"«=''f« 

£«  'ntKpr^d?e  .-?,?'  P'o"ver  «„  Jf.  ««  Ais 

loof  cela .  af  "  :"'  ^^l'P^rer  Jes  paffi^,*°ninic. 
e  la  Vérité  ?er,f.  ^"  «^onfcqucnt  u  l^^op^s 

;^  la  crainte  deTpâfes''?. •'«  P«^*e«.  f,; 
B  laire  encore  Dar  .C      »  ceque  vm»,  _  '  ^a^- 

Sf' dune aSfca""'  ^«'a^<^ 
*U1  amour  Hi-  n-  ^    ^^^  ne  Deu^  -^  ^^•'adc- 

:  artifice  par  l'ufjl  "  P^rcs  oat  am,r"  ^.  Pas 
d«playesTeftS;|?*  ««  on?ÏÏ"''^,^« 

*"-ft  point  ici  Je  aJ-g^lcriàns 


H  4. 


410       La  Rmetokiqjje»  ou  l*A&t 


Chapitre    XV. 
Ce  fu^iifaut  faire  pour  exciter  les  paffkns* 

LE  moyen  général  pour  remuer  le  cœur  dei 
hommes,  eft  de  leur  faire  fcntir  vivement 
Tobjet  de  la  paffîon  dont  on  deûre  qu*ik  foicoc 
émus.  L'amour  eft  une  affeâion  qui  cil  excitée 
dans  rame  par  la  vûë  du  bien  prefent.  Pour  al- 
lumer donc  cette  affeétion  dans  un  cœur  capable 
d'aimer,  il  faut  lui  prefenter  un  objet  qui  ait 
des  qualitez  aimables.  La  crainte  a  pour  objet 
des  maux  qui  arriveront  certainement»  ou  qui 
peuvent  arnver.  Pour  donner  de  la  crainte  à  m» 
ame  timide ,  il  faut  lui  faire  connoStre  les  maux 
qui  la  menacent.  On  aquelque  raifon  de  nepatfé- 
parer  TArt  de  perfuadcr  de  TArt  de  bien  dire;  cir 
l'un  ne  fert  pas  de  grand'  chofe  fans  l'autre.  Ponr 
émouvoir  une  ame ,  il  ne  fuffit  pas  de  lui  repre- 
fenter  d'une  manière  feche  l'objet  de  la  ps^ffion 
dont  on  veut  l'animer  :  il  faut  déployer  toutes  les 
richeffes  de  l'éloquence,  pour  lui  en  faire  une 
peinture  fenfible  &  étendue ,  qui  la  frappe  vive- 
mejit,  &qui  nefoit  pas  femblable  à  ces  vaines 
images  qm  ne  font  que  paffer  devant  les  yeux, 
n  ne  fuffit  pas,  dis-je,  poiu:  donner  de  l'amonr» 
de  dire  fimplcment  que  la  chofe  qu'on  Diopofc 
eft  aimable;  il  faut  approcher  des  fens  les  bon- 
nes qualitez,  les  faire  fentir,  en  ^re  des  def* 
criptions,  les  reprefenter  par  toutes  leurs  faces, 
afin  que  fi  elles  ne  gagnent  pas ,  étant  vues  d'an 
certam  côté,  elles  le  biffent  quand  elles  font  re- 
gardées de  l'autre.  On  doit  s  animer  foi-méme; 
il  faut,  fi  je  l'ofe  dire,  que  notre  cœur  foit  em- 
brafé,  qu'u  foit  comme  une  fournaife  ardente, 

d'où 


DE  PAUlEft.  Liv.  V.  Cbâp.XV.        4TI 

d*où  nos  paroles  fortent  pleines  de  ce  feu  que  nous 
voulons  allumer  dans  le  cœur  des  autres. 

Pour  bien  traiter  cette  matière,  je  ferois  obli* 
gé  de  parler  au  long  de  la  nature  des  paffions, 
de  les  expliquer  toutes  en  particulier,  de  dire 
quels  font  leurs  objets,  quelles  chofes  les  exci- 
tent &  les  calment.  Mais  il  iaudroit  pour  cela 
comprendre  dans  cet  Art  laPhylîque&  la  Morale, 
ce  qui  ne  fe  peut  faire  fans  confunon  ;  néanmoins 
je  ne  puis  m'exempter  de  parler  plus  exadement 
ici  de  quelques-unes  de  ces  paffions  :  favoir, 
de  Tadmiration,  de  Teilime,  du  mépris,  &  du 
ris,  qui  font  de  très-grand  ufage  dans  l'Art  de 
perfuader. 

L'admiration  eft  un  mouvement  dans  Tame,' 
qui  la  tourne  vers  un  objet  qui  fe  prefente  à  eue 
cxtraordinairement ,  6c  qui  l'applique  à  conliderer 
fi  cet  objet  eil  bon  ou  mauvais,  afin  qu'elle  le 
fuive,  ou  qu'elle  l'évite.  Il  eft  important  à  un 
Orateur  d'exciter  cette  paffion  dans  l'efprit  de  fés 
Auditeurs.  La  Vérité  perfuade,  mais  il  feut  pour 
cela  qu'elle  foit  connue.  Or,  afin  qu'elle  foit 
connue ,  il  faut  que  celui  à  qui  on  la  déclare , 
.  s'applique  à  la  connoître.  Tous  les  jours  nous 
vovons  que  de  certains  raifonnemeos  n'ont  point 
été  goûtez,  qui  font  approuvez  dans  la  luitc, 
lorfqu'on  prend  la  peine  de  les  examiner.  Il  y 
%  de  certaines  opinions,  oui  après  avoir  été  négli- 
gées pen^ntplufieursfieaes,  fe  réveillent,  &  font 
du  bruit ,  parce  qu'on  les  étudie,  &  ouc  par  l'étu- 
de on  en  reconnoit  la  veritéou  hfituuete.  Ainfi 
ce  n'eft  donc  pas  aflez  de  trouver  de  bonnes  rai- 
fons,  de  les  expofer  avec  clarté:  il. faut  les  dire 
.  avec  un  certain  tour  extraordinaire  quifurprennc , 
qui  donne  de  l'admiration,  &  qui  attire  les  yeux 
de  tout  le  monde. 

Saint  Jean  Chryfoftome  remarque  que  faint 
,...  Sx  Mat- 


i 


» 


4T1      La  Rhétorique,  ou  l'Art 

Matthieu  commence  rHifloirc  dvt  Fils  de  Kal 
pas  dire  qu'il  étoit  Fils  de  David  &  d'AbrahanJ 
au  lieu  de  dire  Fils  d'Abraham  &  de  David,  pwl 
obliger  les  Juifs  à  lire  fon  Hiftoire  avec  w 
d'attention;  car  les  Juifs  attendoient  le  Mcffici 
la  Famille  de  David;  ainfi  rien  n'étoit  plus  et' 
pable  de  les  rendre  attentifs ,  que  de  leur  pailfl' 
d'un  Fils  de  David.  Tous  les  Livres  qui  fontltsi , 
tous  les  Orateurs  qui  font  écoutez ,  ont  tousqud- 
que  choie  d'extraordinaire ,  foit  pour  la  matière' 
qu'ils  traitent,  foit  pour  la  manière  de  la  traiter, 
loit  pour  quelques  circonftances  de  temps  &  de 
lieu 

L'admiration  eft  fuivie  d'eflime  ou  de  mépris. 
Lorfqu'on  remarque  du  bien  dans  l'objet  qu'on  a 
cnvifagé  avec  application  ,  on  reftime,  on  le  re- 
cherche ,  on  l'aime.  Ceft  pourquoi ,  comme  vov 
le  voyez ,  on  n'eftime  proprement  que  ce  qui  eft 
véritable ,  que  ce  qui  eft  grand ,  que  ce  qui  eft 
bien  fait ,  «:  lorfqu'on  fait  eftime  des  chofes  mau- 
vaifes ,  c'eft  en  fe  trompant  dans  fon  jugement, 
ou  en  confiderant  ces  chofes  fous  une  fece  quin'rf 
pas  mauvaife.  Ainfi  un  Orateur  trompeur  ne  pcr- 
fuade  que  pour  quelque  temps ,  &  fes  Auditcui» 
changent  leur  eftime  &  leur  amour  en  haine  &  en 
mépris  aulfi-tôt  qu'ils  reconnoiiTent  qu'ils  ont  été 
trompez. 

Le  mépris  a  pour  objet  la  baflcflc  &  l'erreur; 
c'eft-à-dire ,  que  cette  paffion  eft  excitée  lorfqnc 
l'ame  n'apperçoit  dans  l'objet  qu'elle  confiderc, 
que  de  la  baffefleôc  de  l'erreur.  On  fclaifTc  aller  vo- 
lontiers à  cette  paffion.  Elle  eft  agréable  :  eDc 
flatte  cette  ambition  naturelle  que  tous  les  hom- 
mes ont  pour  la  fuperiorité  &  pour  l'élévation. 
On  ne  meprife  véritablement  que  ce  qu'on  regar- 
de au  deflbus  de  foi.  Ce  regard  donne  du  plaifir, 
au  lieu  que  ce  n'cft  qu*avec  chagrin  qu'on  levé 

les 


DB  PAKLER.    Lh.  V.  Cbâf.  XVm  413, 

eux  pour  confiderer  ce  qui  eft  au  deflus  de 
î,  parce  que  nous  nousappercevons  de  ce  que 
i  ne  fommes  pas.  Les  autres  paflions  épuifent , 
tereflcnt  la  îanté  ;  mais  celle-là  lui  eft  utile  , 
1  peut  dire  qu'elle  eft  plutôt  un  repos  qu'un 
ycment  de  l'ame,  quife  délaffe  dans  cette  paf- 
,  au  heu  que  dans  les  autres  elle  travaille  a- 
contention. 

>ut  mépris  n*eft  pas  agréable  :  car  fi  le  mal 
:n  eft  Tobjct,  eft  redoutable,  pour  lors  on 
tit  de  la  crainte ,  qui  eft  une  véritable  dou- 
.  mais  fi  ce  mal.  ne  nous  touche  pas  de  fort 
,  &  qu'on  n*)r  prenne  pas  grand  intérêt ,  le 
is  qu'on  en  fait  donne  du  plaifir ,  &  eft  fuivi 
s;  qui  accompagne  ordinairement  les  excès 
>yc  imprévus  ôc  extraordinaires.  11  n'y  a  rien 
us  utile  pour  détourner  les  hommes  de  qud- 
crrcur,  que  de  leur  en  donner  du  mépris, 
z  la  faire  paroître  ridicule.  Car  il  n'v  a  rien 
n  appréhendé  davantage  que  d'être  méprifé ,  & 
t  expofé  à  la  rilee  de  tout  le  monde.  Aufii 
raillerie  faite  à  propos  »  fait  quelquefois  plus 
h»  que  le  plus  fort  raifotmement. 

Rid'iculuny  acri 
lus  if  meliùs  magnas  plerumque  fecat  res. 

uand  on  combat  avec  de  fortes  raifons,  la 
c  que  trouve  l'Auditeur  à  concevoir  la  fuite 

raiibnnementférieux,  le  rebute.  Lorfquon 
>ropofe  quelque  chofe  de  grand ,  cette  gran- 

l'eblouït ,  &  lui  eft  un  fujet  d'humiliation  ; 
ilorfqu'il  n'eft  queftion  que  de  rire  &  de  fe 
rtir,  cet  Auditeur  s'applique  volontiers,  cette 
ration  lui  tenant  lieu  de  divertiffement.  Ou- 
«la,  le  mépris  qu'il  fait  de  la  chofe  qui  lui 
tt  ridicule,  6c  qu'il  regarde  de  haut  en  bas, 

S  3  flatte 


'4T4       La  Rhbtouxqjje,  ov  l'Art 

ftitte  fa  yanité.  Ceft  pourquoi  on  excite  êc  oi 
entretient  plus  facilement  le  mépris,  que  touta 
les  autres  paffions  »  puifque  les  nommes  aimeot 
mieux  méprifer  qu'emmer»  fe  divertir  que  detn- 
Tailler.  Ajoutez  quil  y  a  beaucoup  de  diofet 
qu'il  hvit  ainfi  méprifer»  &  rendre  ndicules,  de 
peur  de  leur  donner  du  poids  en  les  combittnt 
fâieufement.  Multëfuntfic  dignm  nvincs  mpt^ 
vitste  aclorentur. 


Chapxtilb    XVL 

Comment  on  peut  donner  du  mépris  des  Aofts  p 

Jont  dignes  de  rijee» 

PUifqu'il  eft  permis  de  fe  fervir  du  m<n^^ 
ment  des  paffîons  pour  faire  agir  les  hoB- 
mes.  Ton  ne  peut  pas  blâmer  TÂrt  que  noos  » 
feignons ,  de  rendre  ridicules  les  chofes  dont  (V 
veut  détourner  ceux  que  l'on  inftruit.  Maiii 
faut  avouer  que  fi  les  railleries  ne  font  faites  a?a 

Ï)rudence ,  elles  ont  un  effet  tout  contraire  à  » 
ui  que  l'on  en  attendoit.  Les  Poètes  prétendent 
dans  leurs  Comédies  combattre  le  vice  enlcr«"|t 
dant  ridicule:  leurs  prétentions  font  bien  vaioffilt 
rexpericnce  ne  faifant  que  trop  connoîtrc  que  II 
ledure  de  ces  fortes  d'ouvrages  n'a  jamais  pro- 
duit aucune  véritable  converfion.  La  caufc  enrf 
bien  évidente.  On  méprife  &  on.nefcij 
que  d'une  chofe  baffe  que  l'on  regarde  coBUKfc^ 
un  petit  mal.  L'on  ne  rit  pas  du  mauvais  i*|iknt 
tement  que  foufFrent  les  innocens.  Si  les  ï^^lju  \ç 
tins  fe  raillent  d'un  adultère ,  &de  crimesirt*!  Puif 
blés»  qui  font  un  fuiet  de  larmes  aux  gens  dem4&s/'2 
c'eft  qu'ils  ne  confiderent  ces  crimes  quccoB>'ltiBioj 
des  bagatelles.  ^^itn 


d        Di  PARLER.  Liv.  V.  Chap.  XVL       41  j 

^B  Or  les  Poètes  dans  les  Comédies  ne  travaillent 
ô,point  à  infpirer  Taverfion  qu'on  doitavoir  du  vice, 
^s  tachent  feulement  de  le  rendre  ridicule;  ainft 
^jIs  accoutument  leurs  Ledeurs  à  regarder  les  dé- 
^^uches  comme  des  fautes  de  peu  de  confequen- 
^C€.    On  n'y  conçoit  point  ccttchorreur  neceflaire 
ipour  refifter  àlaconcupifcehce.    La  crainte  d'être 
^raillé,  ne  peut  point  dompter  l'amour  desplaifirs; 
auffi  voyons-nous  que  les  débauchez  font  les  pre- 
miers à  fe  railler  de  leurs  défordres.    Il  y  a  des  vi  • 
-  cts  qui  ne  fe  furmontentquepar  le  fîlence&  l'ou- 
bli, &  dont  la  bienféancene  permet  jamais  de  par- 
ler. Les  defcriptions  d'un  adultère  n'ont  jamais  rcn* 
,  du  chaftes  ceux  qui  les  ont  entendues  :  cependant 
ces  fortes  de  crimes  font  la  matière  ordinaire  des 
Comédies. 

L'Orateur  doit  garder  la  bîen-féance  dans  les 
railleries,  &  ne  s'arrêter  jamais  aux  chofes  que 
l'honnêteté  oblige  de  pafler  fous  filence.  Puif- 
qu'il  eft  fage  &  homme  de  bien ,  il  n'eft  pas  ne- 
ceflaire de  l'avertir  qu'il  doit  éviter  ces  railleries 
bouffonnes  &  ridicules  qui  fefontà  contre-temps, 
&  qu'il  n'y  a  que  le  mal  qui  mérite  d'être  raillé.  Si 
ce  mal  elt  pernicieux  &  conliderable ,  il  ne  doit  pas 
fe  contenter  de  le  rendre  ridicule,  il  faut  qu'il  en 
donne  de  l'horreur.  Néanmoins  on  peut  quelque- 
fois commencer  par  les  railleries ,  en  combattant 
des  erreurs  de  grande  confequence,  lorfque  c'eft 
une  neceflité  de  rendre  fcs  Auditeurs  attentifs  par 
le  plailir;  ce  qui  eft  l'effet  &  l'utilité  des  railleries, 
&  ce  qui  m'oblige  de  donner  quelques  règles  tou- 
chant la  manière  de  tourner  en  ridicule  les  chofes 
qui  le  méritent. 

Puifque  le  ris  eft  un  mouvement  qui  eft  excité 
dansl'ame,  lorfqu'après  avoir  été  frappée  de  la  vûë 
d'un  objet  extraordinaire,  elle  apperçoit  qu'il  eft 
extrêmement  petit:  pour  rendre  une  chofcridicu- 

•    S  4  \Cp 


41^      Lit  Rketo&iqjte,  ov  l'A&t- 

le ,  :!  faut  troTîvcr  une  manière  rare  &  extraordi- 
r.a::c  de  repre.cnrer  û  baucife.  L'on  ne  peut  don- 
ner cts  p:ecep:es  particuliers  pour  £ùre  des  hlO- 
lenes.  Ceux  qui  ont  voulu ,  comme  dicQccron, 
cnfeigr.er  le  moyen  de  railler  les  autres,  fe  font 
iai:  railler  eux-o^émes.  Néanmoins  on  peut  re- 
marquer que  tous  les  tours  &  toutes  les  maniciti 
extraordinaires  for.t  propres  pour  fiire  une  raille- 
rie ,  c'c:i-a-dire  pour  faire  appcrcevoir.la  baffcllc 
de  l'objet  que  l'on  veut  faire  m'éprifer.    Ceft  pour- 

2uoi  rlronie  eil  de  grand  ofage  dans  ces  oco- 
ons  y  parce  que  diGint  le  contraire  de  ce  que  l'on 
penfe ,  &  avec  des  termes  extraordinaires  qui  ne 
conviennent  pas  à  la  chofe  dont  on  parle,  cette 
difpofition  fait  que  l'on  remarque  ce  qu'elle  cft 
cfïeclivemenr.  Quand  on  donne  à  un  fripponla 
qualité  d'honnéte-homnie,  cette  expreflion  ait 
relTouvenir  de  ce  qu'il  n'cll  pas.  L  on  ne  peut  6i- 
re  connoitre  plus  fenfiblement  la  lâcheté  d'un 
homme  fans  cœur,  qu'en  lui  mettant  désarma 
entre  les  mains ,  dont  il  n'a  pas  la  hardiefle  de 
fe  fcrvir.  Ainfi  quand  le  Prophète  Elle  difoit 
aux  Prophètes  de  Samarie,  qui  invitoi  jnt  avec  de 
grands  cris  leur  Idole  à  faire  dcfcendre  le  feu  dn 
Ciel ,  pour  réduire  en  cendre  k  facnfice  qu'ils  lui 
offroient;  Criez  encore  plus  haut  y  car  peui-hn 
que  ce  Dieu  ne  vous  entend  pas ,  à  cauje  fnV/ 
parle  à  J'autres  perjonnes^  ou  qu'ail  ejî  dans  «M 
hôtellerie^  ou  en  chemin ^  ou  qu'il  dort  ^  é^  lufaâ 
être  éveillé  que  par  un  grand  bruit  j  cette  manicff 
de  parler  de  cet  Idole  ,  qui  étoit  extraordinaire, 
faifoit  faire  attention  à  fon  impuifTance  &  àfabaP 
fefle. 

Les  allufions  font,  propres  pour  les  railleries, 
parce  que  la  difficulté  qu'il  y  a  de  les  entcndrci 
fait  qu'on  s'applique  à  en  pénétrer  le  fens,  &ceiK 
application  elt  caufe  qu'on  le  découvre  avec  bcas- 

C03 


9 


D'i  PAR  LE  R.  Liv.  V.  Cbap.  XV r.        41 7 

coup  plus  de  darté.    Lorfqu*auffi  après  avoir  loiié 

^    la  chofe  qu*on  veut  foire  méprifer ,  &  l'avoir  re- 

'    levée  par  des  cxpreflions  magnifiques ,  qui  font  at- 

'    tendre  quelque  chofe  de  grand ,  on  vient  tout  d'un 

coup  à  marquer  fa  baffefle ,  cette  furprife  fait  qu'on 

s'applique:  ainfi  l'on  rend  tres-fenfible  ce  que 

l'on  dit ,  comme  dans  cette  £pitaphe  de  la  façon 

de  Scarron. 

Cygtt  qui  fut  de  belle  tar//e» 
Qui  favoit  danjer  &  chanter , 
haifoit  des  vers ,  vaille  que  vaille  ^ 
Et  les  favoit  bien  reciter. 
Sa  race  avoit  quelque  antiquaille  y 
Es  potivoit  des  Héros  compter  j 
Même  ilauroit  danné  bataille  t 
S'il  en  avoit  voulu  tâfer» 
il parloit  fort  bien  de  la  Guerre^ 
Des  deux  ,  du  Globe  de  la  Terre  , 
Du  Droit  Civil i  du  Droit  Canon  9 
Et  connoijfoit  affez,  les  cbofes 
Par  leurs  effets  &  par  leurs  caufes  : 
Ètoit'il  honnête  homme  f  Oh  non  l 

Quand  on  expofe  toute  nuë  la  baflefTe  d'une 
diole,  en  lui  ôtant  toutes  les  qualitez  dignes 
d'eftime,  dont  elle  paroît  revêtue,  on  la  rend 
ridicule-  infailliblement.  Lucien  ne  rapportie  rien 
des  Dieux  &  des  Sages  de  la  Grèce ,  que  ce  que 
les  adorateurs  des  uns ,  ôc  les  admirateurs  des  au* 
très  publient  dans  les  louanges  qu'ils  leur  donnent. 
Mais  dans  les  écrits  de  cet  Auteur  ils  paroiflcnt 
ridicules ,  parce  qu'il  détache  la  baffefle  des  Divi- 
nitez  de  la  Gentilité  &  des  Sages  de  la  Grèce ,  de 
ces  qualitez  imaginaires  que  les  Anciens  admi- 
roient  dans  leurs  Dieux  &  dans  leurs  Sages;  ainfi 
on  ne  peut  lire  fes  ouvrages  fans  concevoir  du 
mépris  de  la  Religion  &  de  la  vaine  fagefle  des 

S  5.  Grecs. 


fl 


'41%       La  Rhetouxqjis»  o«  L*AtT 

Grecs.  Outre  cela  la  nature  des  Dialogues,  qd 
eft  la  manière  d*écrire  éc  Luden ,  cft  tres-propie 
pour  découTrir  la  bafTefle  de  ceux  qo'on  Tedt  jouer , 
car  les  faiûnt  parler  conformément  àleursprop» 
inclinations,  k  aux  principes  qu'ils  fiÛTent;  on  fidt 
qu'ils  publient  eux-mêmes  ce  qu'ils  ont  deridicn- 
le  &  de  bas;  de  forte  qu'il  n^dl  pas  poffiUe  d'en 
douter. 


Chapitre    XVIL 

Seconde  partU  de  tArt  de  perptaékry  qm  efi  kd^ 
fijUsion,  EUe  m  quatre  parités.  Dclsfri' 
miere,  qui  eft  fExÊrdi, 

POur  perfuader ,  il  faut  difpofer  les  Auditems 
à  écouter  favorablement  les  diofes  dont  ob 
doit  les  entretenir.    En  fécond  lieu  il  faut  kor 
donner  quelque  connoiflance  de  l'afifàire  que  Fos 
traite ,  afin  qu'ils  fanent  de  quoi  il  s'agit.    Oone 
doit  pas  fe  contenter  d'établir  fes  propres  preuves, 
i\  faut  renverfer  celles  desadverfaires;  êcloif^uon 
difcours  eft  grand ,  &  qu'il  y  a  fujet  de  craindie 
ou'une  partie  des  chofcs  qu'on  a  dites  avec  éten- 
due ,  ne  fe  foient  échappées  de  la  mémoire  des  Au- 
diteurs ,  il  efl  bon  fur  la  fin  de  dire  en  peu  de 
mots  ce  qu'on  a  dit  plus  au  long.    Ainfi  im  Dif- 
cours doit  avoir  cinq  parties;  l'Entrée  ou  rEx(M>- 
de,  la  Narration  ou  la  Propofition  de  la  chofe 
fur  laquelle  on  doit  parler,  les  Preuves  oulacoo- 
firmation  des  veritez  que  l'on  défend ,  la  Réfitt- 
tien  de  ce  que  les  ennemis  de  ces  vcritez  allèguent 
contre,  &  l'Epilogue  ou  la  recapitulation  de  tout 
ce  (jui  a  été  dit  dans  le  corps  du  Difcours.  Jcpa^ 
hrai  de  ces  cinq  parties  feparément. 
L'Orateur  doit  fe  propofer  trois  chofes  dam 

lExor- 


I 


oc  ?  A  A  t  m.  Lfv,  V,  CUttp.  xnr.     4T9 

PExordc  ou  rentrée  de  fon  Difcours,  qur  font  la 
ftivcur  ,  l'attention  &  la  docilité  des  Auditeurs. 
H  gagne  ceux  i  qui  il  parle  ,  &  acquiert  leur  fa- 
veur, en  leur  donnant  d*abord  des  marques  fenfi- 
Ûes  qu'il  ne  parle  que  par  un  zèle  iincere  de  la 
Vérité ,  &  par  un  amour  du  bien  public.  D  le» 
rend  attentifs  ,  en  prenant  pour  Exorde  ce  qu'il 
y  a  de  plus  noble ,  de  plus  édatant  dans  le  fu- 
Tct  qu'il  traite ,  &  qui  par  confequent  peut  exciter 
le  defir  d'entendre  la  fuite  du  Difcours. 

Un  Auditeur  efl  docile  lorfqu'il  aime ,  &  qu'il 
eft  attentif.  L'amour  lui  ouvre  Tefprit,  &  le  dé- 
gageant de  toutes  les  préoccupations  avec  lef- 
quelles  on  écoute  un  ennemi ,  die  le  difpofe  à 
recevoir  la  Vérité.  L'attention  lui  fait  percer 
dans  les  chofes  les  plus  obfcures.  Il  n'y  a  nen  de 
«adié  qui  ne  fe  découvre  à  une  perfonne  oui  s'ap- 
plique 9  8c  qui  s'attache  aux  chofes  qu'eue  veut 
connoître. 

J'ai  dit  qu'il  étoit  bon  de  furprendrc  d'abord 
fes  Auditeurs  9  en  plaçant  quelque  chofe  de  noble 
à  l'entrée  de  fon  Difcours;  mais  il  faut  auffi  pren- 
dre garde  de  ne  pas  promettre  plus  qu'on  ne  peut 
tenir»  àc  qu'après  a'être  élevé  dans  les  nues,  on 
ne  foit  contramt  de  ramper  par  terre.  Un  Ora- 
teur qui  commence  d'un  ton  trop  élevé  ,  excite 
dhnsl'efprit  de  fes  Auditeurs  une  certaine  jaloufîe, 
qui  fut  qu'ils  fe  préparent  à  le  critiquer ,  &  qu'ils 
conçoivent  le  deflem  de  ne  le  pas  épargner,  en 
eu  qu'il  ne  foûtienne  pas  ce  ton.  La  modeflie 
fled  fort  bien  en  commençant,  &  gagne  un  Au- 
ditoire. Outre  cela  c'ell  aller  contre  laRaifonque 
it  commencer  d'abord  par  des  mouvemens  extra- 
ordinaires, avant  que  d'avoir  fait  paroîtrequ  on  en^ 
aiifujet.  Un  Auditeur  fage  ne  peut  concevoir  que 
du  mépris  d'un  homme  qui  fui  paroît  s'empor- 
ter ftns  raifon..   Auffî  les  Maîtres  donnent  cette 

S  6  règle 


410       La  Rhitosiqjii»  ou  l'Art 

règle  ,  qu'il  faut  commencer  Amplement,  h 
traitent  de  ridicules  ceux  qui  commencent  d'une 
manière  élevée  qui  ne  fe  peut  point  foutenir,  qui 
j>romettent  beaucoup  ,  êc  donnent  peu  ;  de  qui 
on  peut  dire: 

Quiil  dignum  tanto  ùret  hic  promijfor  biitu} 
Parturiunt  montes  i  ns/cctur  ridiculus  mus* 

Ce  n'cft  pas  que  le  commencement  d'"un  Dif- 
cours  doive  être  fans  art ,  puifque  tout  dépend 
de  ce  commencement.  Si  un  Orateur  ne  tQurac 
vers  lui  refprit  de  fes  Auditeurs  ,  c'eft  en  vain 
qu'il  parle ,  &  il  ne  le  peut  faire  qu'en  leur  don- 
nant de  la  curiofitc.  Il  eft  donc  obligé  de  fâircp- 
roîirc  ce  qu'il  va  dire,  extraordinaire.  On  n'cft  ï>oint 
touché  de  ce  qui  eft  commun.  Mais  la  prind- 
pale  chofe  qyc  doit  foire  un  Orateur ,  c'eft  de  pré- 
venir d'abord  fes  Auditeurs  de  quelque  maxifflC 
claire ,  évidente ,  qui  les  frappe ,  d'oii  il  puiffcçon- 
dure  dans  la  fuite  ce  qu'il  veut  prouver.  S*iik$ 
trouve  prévenus  de  quelque  fentimcnt  contraireaui 
fentimens  qu'il  leur  veut  infpirer ,  c'eft  pour  Ion 
qu'il  doit  employer  l'adrede  ;  car  s'il  ne  peut  pas 
leur  ôter  ces  fentimens,  il  faut  au  moins  qu'illa 
détourne,  afin  qu'ils  ne  lui  foient  point  oppofia. 
Cela  ne  fe  peut  point  enfeigner.  Ccft  en  vain  qu'on 
veut  donner  des  méthodes  pour  trouver  desÉxor- 
des  ;  car  tous  ces  préambules  qui  peuvent  être  coffl* 
muns  à  toutes  fortes  de  matières ,  ne  fervent  de 
rien.  Ils  font  inutiles  &  ennuyeux ,  puifqu'on  te 
peut  retrancher. 

Tout  ce  que  l'on  peut  dire  de  raifonnable  toih 
chant  la  manière  de  commencer  un  difcours,c'd 
que  lorfqu'on  a  un  fujet  à  traiter,  il  faut  cxarninfl 
k'S  dirpofitions  de  ceux  à  qui  l'on  va  parler,  &vûJ 
ce  qui  leur  peut  être  agréable, ce  qui  leur  dcplai 


ce  <jui  les  gagne.  11  n'y  a  point  de  fujct  qui  n'ait 
plulieurs  faces,  &  qu'on  ne  puifTe  tourner  en  diffé- 
rentes manières.  Quand  on  a  du  jugement,  (or 
commenousravons  démontré  en  tant  d'occalions, 
c'elt  le  jugement  qui  fait  les  grands  Orateurs  ;) 
Quand ,  dis-je ,  on  a  du  jugement ,  on  fait  com- 
ment il  faut  prendre  un  Exorde  par  rapport  à  la 
fin  qu'on  doit  envifager ,  c'ell-à-dire  pour  ouvrir 
le  cœur  auffi  bien  que  les  oreilles  de  ceux  qu'on  a 
pour  Auditeurs.  Ceft  par  confequent  du  fujet  mê- 
me, ex  vifceribus  caujx,  qu'il  faut  tirer  un  Exor- 
de 5  ce  qu'on  ne  peut  faire  qu'après  qu'on  a  médité 
ce  fujet ,  &  qu'on  a  trouvé  l'endroit  par  lequel  il 
le  faut  fidre  paroître.  Ceft  pourquoi  r  Exorde  de- 
vroit  être  la  dernière  chofe  dans  le  projet ,  quoi- 
que la  première  dans  le  Difcpurs;  car  il  faut  qu'on 
y  voye  en  quelque  manière  tout  le  fujet.  Ceft 
Tunc  aifpofition ,  une  entrée  dans  tout  ce  qui  fc 
iJira.  Pritjcipium  aut  rei  iotius  qu£  agitur  fignïfca" 
ttofum  huheat  ,  aut  aditum  ad  caufam.  Les 
exemples  font  plus  utiles  que  les  préceptes;  mais 

Suand  il  eft  queftion  de  faire  remarquer  l'adrefle 
ont  un  Orateur  s'eft  fervi ,  il  ne  faut  pas  fe  con- 
tenter de  propofer  le  commencement  de  fon  Dif- 
cours ,  il  feut  rapporter  l'état  de  toute  l'affaire  fur 
laquelle  il  a  parlé ,  afin  de  faire  remarquer  avec 

Suelle  adrcffe  il  traite  fon  fujet,  comment  il  le  fait 
'abord  paroître  par  la  plus  belle  de  toutes  fes  fa- 
ces ,  qui  eft  propre  pour  rendre  fes  Auditeurs  at- 
tentifs, &  les  prévenir  de  fentimens  qui  lui  foient 
fti^rablos. 


S  7  C  H  A- 


'4^^      La  RHiTomiqui,  ou  L'AmT 

C  H  A  P  X  T  &  S     XVIIL 

D^  Uf€€onde  fartk  de  U  Difp^fiti&mt  fmi  ^UFn^ 

fêfition, 

/quelquefois  on  commence  fon  TXfcouR  p» 
^cn  propofcr  le  fujet ,  fans  fc  fenrir  d'Exor- 
de  :  ce  qu  il  fiiut  Êiîre  de  telle  manière  aue  lajoî^ 
tice  de  la  caufe  qu'on  défend»  paroifie  dans  cette 
Propofition  »  qui  ne  conûdant  que  dans  une  déda- 
ration  de  ce  qu'on  a  à  dire,  elle  n'a  p<Miit  de  rè- 
gle pour  fa  longueur.  Quand  il  ne  s'agit  que  de  trai- 
ter une  quedion,  il  fuffit  de  la  propofer,.  ce  qai 
demande  peu  de  paroles.  Si  c'ell  une  aâion  qui 
foit  la  matière  du  Difcours ,  on  doit  faire  un  redt 
de  cette  aâion  ,  en  rapporter  toutes  le»  dr- 
confiances .  en  faire  une  pieinture  qui  l'expcfeaux 
yeux  des  Juges ,  afin  cu'ik  jugent  aufG  exaâe- 
ment  que  s'ils  avoient  été  prefcns  lorfqu'eUe  s*di 
faite- 

Il  y  a  des  perfonnes  qui  ne  font  point  de  fera- 
imle  pour  faire  paroître  une  adion  telle  qu'ils  fou# 
naitent,  de  la  revêtir  de  drconilances  favorables  à 
leurs  deiTeins,  &  qui  font  contraires  à  la  venté» 
Ils  croient  le  pouvoir  faire ,  parce  que,  comme 
ils  le  difenty  ce  n'cil  que  pour  faire  valoir  la  caufc 
qu'ils  défendent.  Il  n'eft  pas  neceffaire  que jecom* 
batte  cette  fauffe  perfuaiion  ;  car  il  eft  manifefle 
qu'emploier  le  Menfonge  contre  la  Vérité ,  c'cfl 
une  chofe  mauvaife  ,  puifqu'on  abufe  de  la 
parole  qui  ne  nous  a  été  donnée  que  pour  ex- 
primer la  vérité  de  nos  fentimens  :  ii  c*efl  pour 
la  défendre,  cet  office  quon  lui  rend  lui  cft  defa- 
Çrcable  :  elle  n'a  pas  beioin  du  fccours  du  men- 
îongc  pour  fe  défendre. 

On 


»s  fARLER.  Lh.V.  Châp.  XVin,    41^ 

On  doit  donc  dire  les  chofcs  fimplcmcnt  comme- 
clles  font,  &  prendre  garde  de  ne  rien  inférer  <jui 
puifle  porter  les  Juges  à  rendre  un  jugement  m- 
iufte.  Mais  aufïi  une  affaire  a  plufîeurs  faces  dont 
les  unes  font  plus  agréables,  les  autres  ont  quelque 
chofe  de  choquant ,  &  qui  peut  rebuter  les  Audi- 
teurs. 11  cft  de  Tadrcflc  d*un  fage  Orateur  de  ne 
pas  propofer  une  affaire  par  une  face  dioquante,& 
qui  puifTe  donner  une  opinion  defavantageufe  de 
ce  qui  doit  fm^re. 

L'Orateur  doit  £iire  choix  des  drconflances  de 
Taélion  qu'il  propofe.  II  ne  doit  pas  s'arrêter  à 
toutes  également.  Il  y  en  a  qu'il  hut  palTer  fous 
iîlence ,  ou  ne  dire  qu'en  paffant.  Quand  oa  eft 
obligé  de  rapporter  quelque  cîrconftance  ôdieufe,. 
&  qui  peut  faire  paroîtrc  criminelle  TaéHon  que  Ton 
défend,  il  ne  faut  pas  paffer  outre  fans  avoir  re- 
médié au  mal  que  ce  récit pourroit faire,  Ôclaifler 
TAuditcur  dans  la  mauvaife  opinion  qu'il  aura 
pu  concevoir.  Il  faut  apporter  quelque  raifon» 
ou  quelqu'autre  circonftance  qui  change  la  £ice  de 
h  première,  &  lui  en  fafle  prendre  une  moins 
odieufe.  Vous  êtes  obligé  de  rapporter  la  mort 
de  celui  qui  a  été  tué  par  celui  que  vous  défendeir 
comme  vous  ne  parlez  que  pour  un  homme  inno* 
cent,  en  même  temps  que  vous  rapportez  cette 
mort,  il  faut  rapporter  lesjulles  caufes  de  cette  mort„ 
&  faire  voir  que  celui  qm  a  tué ,  ne  l'ia  feit  que  pàf 
mallieur,  que  par  hazard^  &  fans  deffein.  Oa 
doit  aulTi  prévenir Tefprit  des  Juges,  &  faire  pré- 
céder toutes  les  raifons,  toutes  les  occaiions,  tou- 
tes les  circonftances  qui  peuvent  juftifier  cette 
aélion ,  afin  que  lorfqu'ils  en  entendront  la  pro- 
pofition,  ils  foient  difpofez  à  l'examiner  ,  &  à 
reconnoitre  qu'elle  n'a  que  l'apparence  de  crime , 
&  qu'en  effet  elle  eftjufle ,  puifqu'elle  a  été  accom- 
pagnée de  toutes  les  circonltances  qui  rendent 

in- 


^14  La  Rhetohique,  ou  l'Arx 
ihnooentes  de  femblables  adtions.-  Non  feulcm«nr 
cet  artifice  n'eft  pas  défendu ,  mais  ce  fcroit  une 
faute  de  ne  s'en  pas  fervir.  L'on  doit  craindre  de  ren- 
dre la  Vérité  odieufe  par  fon  imprudence.  Cénfe- 
roit  une  bien  grande  que  de  dire  les  chofes  d'une 
manière  dure ,  &  de  donner  occafion  à  ceux  qui 
écoutent,  de  faire  un  jugement  téméraire.  Les  hom- 
mes jugent  d'abord,  &fuivent  après  leurs  premiers 
jugcmens;  .ainfi  il  eft  important  de  les  prévenir. 

Les  Rhéteurs  demandent  trois  chofes  dans  "une 
narration,  qu'elle  foit  courte,  qu'elle  foit  claire, 
qu'eue  foit  probable.  Elle  eft  courte  lorfqu'on  dit 
tout  ce  qu'il  faut,  &  que  l'on  ne  dit  que  ce  qu'il 
faut.  On  ne  doit  pas  juger  de  la  brièveté  d'une 
narration  parle  nombre  des  parole?,  mais  par  l'exac- 
titude à  ne  rien  dire  que  ce  qui  eft  neceflaire.  Ùl 
clarté  eft  une  fuite  de  cette  exadlitude;  le  nombre 
des  chofes  inutiles  étouffe  une  hiftoire ,  &  empêche 
qu'elle  ne  reprefente  exaélement  à  Teipritradioft 
qu'on  raconte.  11  n'eft  pas  difficile  à  notre  Ora-. 
teur  de  rendre  vrai-femblable  ce  qu'il  dira ,  puifquU 
n'y  a  rien  de  fi  femblable  à  la  vérité-  qu'il  défend, 
que  la  Vérité  même.  Cependant  pour  cela  il  hutwx 
peu  d'adrefle ,  &  il  eft  évident  qu'il  y  a  de  certaines 
circonftances  qui  toutes  feules  feroient  fufpedcs, 
&  ne  pourroient  être  crues  fi  elles  n'étoîentfoutc- 
nuës  par  d'autres  circonftances.  Pour  faire  donc  pa- 
roître  une  narration  vraye  comme  elle  Teft  ene^ 
fet ,  il  ne  faut  pas  oublier  ces  circonftances. 


C  H   A^ 


BB  PARIS n.  Liv.  V.  Cbsf.XJ X      4t 5. 


Chapitre    XIX, 

De  le  trêijume  partie  ie  la  Difpcfitimf  qui  eft  lm> 
Cûnfirmatien  y  au  de  VétabUffemetU  des  preuves  ^i^^ 
en  même  temps  de  la  Réfutation  des  rai/ons  des  ad* 
verjairef, 

S  Avoir  établir  par  des  raifonnemens  folides  la.. 
vérité,  rcnvcrfcr  le  menfonge  qui  lui  eft  oppo- 
lë»  c'eft  ce  que  la  Logique  emeigne.  C'eft  a  elle 
qu'il  £iut  apprendre  à  raifonner,  comme  nous 
lavons  dit.  Cependant  nous  pouvons  donner  ici 
quelques  règles ,  qui  avec  ce  que  nous  avons  enfei- 
goé  dans  le  Chapitre  fécond,  pourront  fuppléer 
en  quelque  manière  à  la  Logique ,  que  ceux  qui 
lifient  cet  Ouvrage  n'ont  peut-être  point  encore 
étudiée. 

Premièrement,  il  faut  étudier  fonfujet,  faire  at- 
tention à  toutes  fes  parties, les  envifageant toutes, 
afin  d'appercevoir  quel  chemin  l'on  doit  prendre 
Qu  pour  fidre  connoître  la  Vérité,  ou  pour  dé- 
couvrir le  Menfonge.  Cette  règle  ne  peut  être  pra- 
tiquée que  par  ceux  qui  ont  une  grande  éten- 
due d'efprit,  qui  fe  font  exercez  à  refoudre  des 
Îneftions  difficiles ,  à  percer  les  chofes  les  plus  ca- 
hées ,  qui  font  rompus  dans  les  affaires ,  qui  d'a- 
bord qu'on  leur  propofe  une  difficulté  ,  quoi- 
qu'embarraffée ,  en  trouvent  auffi-tôt  le  dénouc- 
iQent,  &  ayant  Tefprit  plein  de  vues  &  de  veri- 
te^t,  apperçoivent  fans  peine  des  principes  incon-- 
teftables  pour  prouver  les  choies  dont  la  vérité 
«ft  cachée,  &  convaincre  de  faux  celles  qui  font 
fiufles. 

La  féconde  jregle  regarde  la  clarté  des  princi- 
pes fur  lefquels  on  appuie  fon  raifomiement.  La. 

four- 


4ii5       La  Rhitoukujb,  •«  t'AmT 

fource  de  tous  les  faux  raifonnemens  que  font  les 
hommes,  cft  cette  fecilité  de  fuppofer  téméndie- 
ment  pour  vraies  les  chofes  les  plus  douteufes.  Ils 
fe  laiflent  éblouir  par  un  faux  éclat ,  dont  ils  ne 
s'apperçoivent  que  lorf^u'ilsfe  trouvent  précipitez 
dans  de  grandes  abfurditez ,  &  obligea  de  confen- 
tir  à  des  proportions  évidemment  àufles»  s'ils  ne 
fe  retracent. 

La  troifiéme  règle  regarde  la  liaîfon  des  prin- 
cipes, avecleurs  conféquences.  Dansunraifonne- 
ment  exaél  les  principes  &  les  conféquences  font 
fi  étroitement  liez,  qu'on  eft  obligé  d'accorder 
h  confequence ,  ayant  confenti  aux  principes  ;  puis- 
que les  principes  &  la  confequence  ne  font  qu'une 
même  chofe  ;  ainfî  vous  ne  pouvez  pas  raifonna- 
blement  nier  ce  que  vous  avez  une  fois  accordé. 
Si  vous  avez  accordé  qu'il  foit  permis  de  repouf- 
fer h  force  par  la  force ,  &  d'ôter  la  vie  à  un  enne- 
mi ,  lorfqu'il  n'y  a  point  d'autre  moien  de  confcr- 
ver  la  fienne  ;  après  qu'on  aura  prouvé  que  Mi- 
Ion  en  tuant  Clodius  n'a  fait  que  repouffer  la  force 
par  la  force ,  vous  êtes  obligez  d'avouer  que  Mi- 
Ion  eft  innocent;  parce  qu'effcdivemcnt  en  con- 
fentant  à  cette  propofition,  qu'il  eft  permis  de  re- 
poufler  la  force  par  la  force ,  vous  confentez  que 
Milon  n'eft  point  coupable  d'avoir  tué  Clodius  qui 
lui  vouloit  ôter  la  vie  ;  la  liaifon  de  ce  prindpe  & 
de  cette  confequence  étant  manifefte. 

Il  y  a  bien  de  la  difterence  entre  la  manière  de 
raifonner  des  Géomètres,  &  celle  des  Orateurs. 
Les  veritez  de  Géométrie  dépendent  d'un  petit 
nombre  de  principes  :  celles  que  les  Orateurs  en- 
treprennent de  prouver ,  ne  peuvent  être  éclaircics 
que  par  un  grand  nombre  de  circonftances  qui  fe 
fortifient,  &  qui  ne  feroient  pas  capables  de  con- 
vaincre ,  étant  détachées  les  unes  des  autres.  Dans 
les  preuves  les  plus  folidcs ,  il  y  a  toujours  des  àif- 

fi- 


Bi  PARLER.  Lh.  V.  Chap.  XIX.       417 

iicultez  qui  foumiflent  de  la  matière  de  chicaner 
aux  opiniâtres,  qu'on  ne  peut  vaincre  qu'en  les 
accablant  par  une  foule  de  paroles,  par  un  édair- 
dflement  de  toutes  leurs  difficultez  &  de  toutes 
leurs  chicanes.  Les  Orateurs  doivent  imiter  un 
foldat  qui  combat  fon  ennemi.  Il  ne  fe  contente 
pas  de  lui  faire  voir fes armes,  il  renfiappe,il  s'é- 
tudie à  le  prendre  par  fon  défeut ,  par  ou  il  lui  fait 
jour ,  il  évite  les  coups  que  cet  ennemi  tâche  de  lui 
porter.  En  un  mot,  il  prend  toutes  les  poftures 
que  la  nature  &  l'exercice  enfeigne  pour  attaauerôc 

rourfe  défendre,  comme  nous  avons  dit  ailleurs. 
-es  Géomètres  fe  contentent  de  propofer  leurs 
preuves ,  &  cela  leur  fuffit. 

Il  y  a  de  certains  tours  &  de  certaines  maniè- 
res de  propofer  un  raifonnement ,  qui  font  autant 
que  le  raifonnement  même ,  qui  obligent  l'Audi- 
teur de  s'appliquer,  qui  lui  font  appercevoir la 
force  d'une  raifon ,  qui  augmentent  cette  force , 
qui  difpofent  fon  efprit ,  le  préparent  à  recevoir 
la  vérité ,  le  dégagent  de  fes  premières  paffions , 
&  lui  en  donnent"  de  nouvelles.  Ceux  qui  favenf 
le  fecret  de  réloquence ,  ne  s'amufent  jamais  à  rap- 
porter un  tas  &  une  foule  de  raifons  :  ils  en  choi- 
nifent  unebonne,&  la  traitent  bien.  Ils  établiffent 
folidementle  principe  de  leur  raifonnement,  ils  en 
font  voir  la,clarté  avec  étendue.  Ils  montrent  la 
liaifon  de  ce  principe  avec  la  confequence  qu'ils 
en  tirent,  &  qu'ils  vouloient  démontrer.  Ils  éloi- 
gnent tous  ks  obftades  qui  pourroient  empêcher 
qu'un  Auditeur  ne  felaiflatperfuader.  Ils  répètent 
cette  raifon  tant  de  fois,  qu'on  ne  peut  pas  en  évi- 
ter le  coup.  Ils  la  font  paroître  fous  tant  de  faces, 
qu'on  ne  peut  pas  l'ignorer,  ôc  ils  la  font  entrer  avec 
tant  d'adreflc  dans  les  efprits ,  qu'enfin  elle  en  de- 
vient la  maîtreflc. 

Les  préceptes  que  Ton  trouve  dans  IcsRhetori? 

ques 


4x8       La  Rhetokiq^ux  ,  ou  i*A»\t. 

ques  communes  touchant  les  preuves  &la  Rcfiita* 
tion ,  ne  font  point  confiderables.  Les  Rhetcu» 
Gonfeillcnt  de  placer  d^abord  les  plus  fortes  rai- 
fonsv^  dç  les  mettre  à  la  tête  dudifcours,  les 
plus  foibles  au  milieu,  &  dereferver  quelqu'une 
des  plus  fortes  à  la  fin.  L'ordre  naturel  que  Ton 
doit  tenir  dans  la  difpofition  des  argumens,  c*cft 
de  les  placer  de  forte  qu'ils  fervent  de  degrez  aux 
Auditeurs  pour  arriver  à  la  Vérité,  &qu3sfâffcDt 
cntr'cux  comme  une.  chainc  qui  arrête  celui  que 
l!on  veut  affujettir  à  la  Vérité. 

La  Réfutation  ne  demande  point  de  règles 'par- 
ticulières. Qui  fait  démontrer  une  vérité,  peut 
bien  découvrir  Terreur  oppofée,  6c  la  faire-paroi-r 
tre.  Ce  que  nous  venons  de  dire  du.  foin  que 
FOrateur  doit  avoir  de  bien  faire  paroître  la 
force  de  fes  principes ,  &  leur  liaifon  avec  les  con-» 
fcquences  qu'il  en  tire ,  s'entend  pareillement  du 
foin- qu'il  doit  avoir  de  faire  remarquer  la  fkuffeté 
des  principes  des  adverfaires ,  ou  fi  leurs  principes 
font  vrais ,  que  leurs  conféquences  font  très  mal 
tirées. 


C  H  A  P  I  T  R  K..XX. 

l>e  PEpUt£ue ,  dernière  partie  de  la  Difpofition» 

UN  Orateur  qui  appréhende  que  les  chofcs 
qu'il  a  dites  ne  s'échappent  de  la  mémoire 
de  fon  Auditeur,  doit  lui  renouveller  ces  chofcs 
avant  que  de  finir  fon  difcours.  11  fe^  peut  faire 
que  ceux  à  qui  il  parle  ont  été  diftraits  pendant 
quelque  temps ,  &  que  la  quantité  des  chofes  qu'il 
a  rapportées  n'ont  pu  trouver  place  dans  fon  ef- 
prit;  ainfî  il  eft  à  propos  qu'il  répète  ce  qu'il 
a  dit|  6c.  qu'il  faffe.  comme  une  efpece  d'abrégé 

qui 


Dl  PARLXR.  Liv.K  Cb.  XXI.        4lp 

[ui  ne  charge  point  la  mémoire.  Tout  ce  grand 
lombre  de  paroles,  ces  amplifications,  ces  rc- 
lites  ne  font  que  pour  expliquer  davantage  la 
écrite,  &  la  mettre  dans  fon  jour.  C*eft  pour- 
quoi après  avoir  convaincu  les  Auditeurs ,  après 
leur  avoir  fait  comprendre  nettement  toutes  cho- 
ies, afin  que  cette  conviélion  dure  toujours,  il  faut 
faire  en  forte  qu'ils  ne  perdent  pas  facilement  le 
fouvenir  de  ce  qu'ils  ont  entendu.  Pour  cda  il 
faut  faire  ce  petit  abrégé ,  &  cette  petite  répéti- 
tion dont  je  viens  de  parler ,  d'une  manière  ani- 
mée, 6c  qui  ne  foit  pas  cnnuyeufe,  réveillant 
les  mouvemens  qu'on  a  excitez,  &  r'ouvrant, 
pour  ainfi  dire ,  les  playes  qu'on  a  faites.  Mais 
u  levure  des  Orateurs ,  fur  tout  de  Ciceron  qui 
excelle  particulièrement  dans  fes  Epilogues ,  vous 
tcra  connoîtrc  mieux  que  mes  paroles ,  cette  adrefle 
^  cet  art  de  ramalTer  dans  l'Epilogue ,  qe  qui  ell 
-lépandu  dans  le  difcours. 


Chapitre     XXI. 

-Dis  trois  Mutns  parties  de  PArt  de  perfmder ,  qm 
fint  PElocution  i  la  Mémoire^  é^  ia  Pronott' 

dation. 

JJ^Eftent  trois  parties  à  expliquer,  TElocution; 
*^  ou  la  manière  d'exprimer  les  chofcs  que  l'on 
m  trouvées,  &  difpofécs,  la  Mémoire,  &  la  Pro- 
nonciation. J'ai  donné  quatre  Livres  à  la  pre- 
mière de  ces  trois  parties.  Pour  la  féconde , 
În  eil  la  Mémoire,  tout  le  monde  demeure 
accord  qu'elle  eft  un  don  de  la  Nature 
^[ae  l'Art  ne  peut  perfeélionner  que  par  un  con- 
tmud  exercice  qui  ne  demande  point  de  precep- 
La  Prononciation  eft  trop  avanugeufe  à  un 


4î0       La  Rketoriqui,  ou  l'Art 

Orateur  pour  être  dite  en  peu  de  paroles.  Il  y 
une  éloquence  dans  les  yeux  ,  &  dans.  Tair  de' 
perfonne  ,  qui  ne  perfuade  pas  moins  que  les  il. 
fons.  Dès  qu'un  Orateur  qui  a  cet  air  commahl 
ce  à  parler ,  on  lui  donne  les  mains.  Telles  Pre-l 
dications  font  bien  reçues, étant  bien  prononce 
qui  font  méprifées  dans  la  bouche  d'un  hommel 
oui  prononce  mal.  Les  hommes  fe  contentent  de 
1  apparence  des  chofes.  Dans  le  monde  ceux  qô' 
parlent  avec  un  ton  ferme  &  élevé,  &  qui  ont  Tair 
agréable ,  font  affurez  de  remporter  la  viâoirc 
Peu  de  perfonnes  font  ufage  de  leur  Raifon.  On 
ne  fe  fert  ordinairement  que  des  Sens  :  On  n'en- 
mine  pas  les  chofes  que  dit  un  Orateur  :  On  en 
juge  avec  les  yeux  &  avec  les  oreiUes.S'il  contente 
les  yeux,  s'il  flatte  les  oreilles,  il  fera  maître  du 
cœur  de  fes  Auditeurs. 

La  n^ceffité  de  prendre  les  hommes  par  lent 
foible  ,  oblige  donc  notre  Orateur  zélé  pour  h 
Vérité,  à  ne  pas  négliger  la  prononciation.    Il  y 
a  fans  doute  de  certains  défauts ,  des  poftures  in- 
décentes, ridicules,  afFeétées,  baffes,  qui  ne  fc 
peuvent  fouffrir,  &  des  tons  de  voix  qui  bleffent 
fes  oreilles,  &:  qui  les  fatiguent.    Il  n'eft  pas  ne- 
ceffaire  que  je  les  fpecifie  ,  elles  fe  remarquent 
affez.  Les  fentimens  »  les  affeélions  de  l'ame  ont 
un  ton  de  voix ,  un  gefte  &  une  mine  qui  leur 
font  propres.    Ce  rapport  des  chofes  &  de  la  ma- 
nière de  prononcer ,  fait  les  bons  Dédamatcurs. 
Ils  étudient  le  ton  de  voix  qu'ils  doivent  pren- 
dre ,  leurs  geftes.    Ils  favent  quand  ils  doivent 
s'animer,  &  parler  avec  véhémence.   Un  Prédi- 
cateur qui  crie  toujours,  eft  importun.    U  doit 
élever  ou  rabbaiffer  (à  voix ,   félon  les  imprcf- 
fions  que  fes  paroles  doivent  faire.    Tout  doit 
être  étudié  dans  un  homme  qui  parle  en  pu- 
blic i  fon  gefte»  fon  vifagc;.dc  ce  quiiend  cette 

étu- 


»E  PAKLER.  Lh,  V,  Chap.  XXL      43X 

étude  difficile ,  c*eft  que  fi  elle  paroiflbit ,  elle  ne 
feroit  plus  fon  effet.  Il  faut  employer  Tart ,  8c 
il  n'y  a  que  la  nature  qui  doive  paroître  ;  auffi 
c'cft  elle  qu'il  faut  étudier.  Quand  eUe  agit  , 
qu'elle  nous  fait  parler,  le  feul  air  avec  lequel 
nous  parlons ,  le  ton  de  la  voix ,  font  autant  8c 
plus  que  nos  paroles.  Ceux  qui  nous  voyent8c 
entendent,  favent,  pour  ainfi  dire,  ce  que  nous 
voulons  4ire  avant  que  de  nous  avoir  entendu. 
Jamais  Dédamateur  ne  réuûlt  que  quand  il  a 
acquis  d*être  naturel,  parlant  néanmoins  avec  art, 
c*eft-à-dire,  qu'il  peut  dire  ce  qu'il  a  appris  car 
cœur,  comme  fi  la  nature  feule  fans  art  8c  fans 
préparation  le  faifoit  parler. 

Dieu  ayant  fait  les  hommes  pour  vivre  cnfem- 
ble  dans  une  grande  union,  il  les  a  tellement 
dlfpofex,  qu'ils  prennent  les  fentimcns  de  ceux 
avec  qui  ils  vivent,  lorfqu'ils  paroifTent  naturel- 
lement.   On  s'afHige  avec  une  perfonne  qui  pa- 
roît  affligée  :  On  a  de  la  joie  avec  ceux  qui 
lient.    Les  fignes  naturels  des  paflîons  font  im- 
preiTion  fur  ceux  qui  les  voyent ,  &  à  moins  qu'ils 
ne  fàifent  de  la  refîflance,  ils  s'y  laiirent  aller. 
Ainfi  tout  homme  qui  parle  naturellement ,  fé- 
lon les  fentimens  qu'il  a  dans  le  cœur,  ne  man- 
que point  de  toucher  fans  qu'il  y  penfe  :  ceux 
?ii  l'écoutent,  prennent  fes  mêmes  fentimens. 
omme  les  hommes  n'agiflcnt  prefque  point  par 
raifon  ,  que  c*cfl  l'imagination  ou  les  fens  qui 
les  gouvernent ,  on  voit  que  ceux  qui  favent  re- 
prefenter  au  dehors  les  fentimens  qu'ils  veulent 
mfpirer,  ne  manquent  point  de  réiifQr.    Les  Dè- 
clamateurs  ordinaires  n'affecflent  qu'une  pronon- 
ciation éclatante,  qui  cfFeétivement  donne  de 
l'admiration;  &  en  cela  ils  réuffiflenticar  comme 
naturellement  on  parle  avec  un  ton  élevé,  8c  avec 
des  geftes  extraoroiçaires  de  ce  qui  ça  extraordl- 

nai- 


43*      La  Rhitoriqjje,  ^u  l'Ak* 

naire,  &  dont  on  eft  furpris,  quand  un  Déclama- 
teur  ouvre  la  bouche  fort  grande ,  qu'il  fait  degranà 
geftcs ,  le  peuple  ne  manque  pas  de  croire  qu'il 
dit  de  grandes  chofes ,  il  Tadmire ,  mais  cette  ad- 
miration n'a  aucun  fruit.  11  ne  fait  pas  même  at- 
tention à  ce  que  dit  le  Déclamateur;ilcfttropoC' 
cupé  de  fes  manières  extraordinaires. 

11  faut  déclarer  naturellement  comme  parlent 
ceux  qui  font  véritablement  perfuadex  des  mêmes 
fentimens  qu'ils  veulent  infpirer.  Alors,  com- 
me on  -vient  d'en  donner  la  raifon ,  les  Auditeurs 
font  portez  par  la  nature  à  .prendre  ces  fentimens. 
Il  y  a  peu  de  gens 'qui  déclament  naturellement: 
^  On  s'imagine  que  pour  bien  faire  il  faut  faire 
quelque  chofc  â'extraorJinaiie.  Au  contraire  on 
ëiit  toujours  ni.;!  quani  on  ne  fuit  point  la  natu- 
re. Il  cfl  rare  que  ';eux  qui  recitent  despiecesap- 
prifcs  par  mé'v.irc,  aycnt  un  grand  talent  pour 
la  prononciaiiun,  parce  qu'ils  difent  les  chofes 
comme  la  mé»îioire  les  leur  rend.  Cependant  Tamc 
ne  prend  pas  de  fuite  les  mouvemens  félon  Tordre 
qu'ils  ont  été  couchîezfur  le  papier,  &  qu'ils  font  dans 
la  mémoire.  11  eft  difficile  fans  un  grand  art  de 
feindre  des  mouvemens  qu'on  n'a  pas.  Com- 
me le  Déclamateur  ne  peut  donc  faire  paroître  dans 
ies  yeux ,  dans  fon  air ,  les  mouvemens  que  cespa- 
rôles  marquent ,  les  Auditeurs  ne  reffentent  pomt 
les  effets  de  cette  Sympathie  mutuelle ,  qui  M 

Î)rendre  les  mouvemens  de  ceux  qui  en  paro^ 
ent  touchez. 


Ch*^ 


D«  VAHLIA,  Uv.  V.  Chef.  XX IL      4)3 


C  H  ÀP  X  T  n  s     XXII. 

fyf  diffofition  qui  efl  particu/iere  aux  DiJi^Mrs 
Ecclejtajîlquts ,  ou  Sermons. 


) 


N  ne  doit  pas  s*étonner  que  je  n'ayc  e&core 
rien  dit  de  la  Prédication.  Ce  n-eft  pas  la 
fttume  de  le  foire  dans  des  Livres  de  Rhétorique. 
>ut  ce  qui  fe  dit  de  cet  Art  dans  les  écoles ,  eft 
i  des  anciens  Rhéteurs.  Ni  les  Grecs,  nileiRo- 
lîfts  ne  faifoient  point  d'aflcmblécs  pour  rinftruc- 
n  du  peuple,  comme  on  le  fait  parmi  lesChré- 
ns.  Leurs  Difcours  publics  ne  regardoient  que 
affaires  du  Barreau  ou  de  TEtat;  quelquefois  ils 
nnoient  des  louanges  en  public  à  ceux  qui  a  voient 
▼i  la  Republique.  La  Rhétorique,  comme  ils 
nfcignoient,  &  comme  onl'enfeigne  aujourd'hui, 
ivoit  point  d'autre  fin.  Les  préceptes  qu'elle  doh- 
,'  ne  font  que  pour  ces  fortes  de  pièces.  La  coû- 
me  n'excufe  pas  \  ainfi  lî  c'étoit  pour  moi  une 
digation  de  donner  des  préceptes  pour  les  Difcours 
dïc  font  pour  l'inllrudlion  des  peuples,  je  fe- 
ôs  coupable,  à  moins  que  ce  que  j'ai  dit  en  ge- 
aal  touchant  l'Art  de  parler  ^  de  perfuader ,  ne 
Itfuifire^  &  c'eil  ce  que  je  prétends.  Car  je  crois 
'oir  cnfeigné  toute  la  Rhétorique  qui  eft  neceflai- 
aux  Prédicateurs ,  &  qu'ils  ne  peuvent  attendre 
cet  Art ,  que  ce  que  j'en  ai  dit.  11  eft  vrai  au'il 
r  en  a  point  alfez  pour  prêcher;  maisc'eftquoii- 
•  la  manière  de  dire  les  chofes,  ce  que  TArt  de 
"Icr  enfeigne ,  il  faut  avoir  de  quoi  parler.  Je 
gnore  pas  qu'il  y  en  a  qui  fouhaiteroient  que 
3imc  jai  donné  des  lieux  communs  auxAvo- 
4  pour  trouver  de  la  matière  de  quoi  compo- 

T  fer 


4VI      La  RNiTûniQj'Ef  ov  i.'A«t 

fer  leurs  plaidoycz ,  j'cndonnaffc  aux  PrcdiatcuB  j 
pour  prêcher,  fans  qu'ils  fuflcnt  obligez  d'étudier; 
mais  ceux  qui  auront  fait  attention  aux  refiexioni 
que  j'ai  faiitcs  fur  ces  lieux  commxms ,  jugèrent 
bien  qu'ils  leur  feroient  inutiles.  Ils  nefontcapi- 
i)les  que  de  faire  de  médians  Orateurs  »  comme 
nous  l'avons  fait  voir.  Il  faut  favoir ,  pour  inf- 
truire,  dlfce  quod  dacitu.  CeA  en  vam  qu'on 
veutfuppléer  à  l'ignorance  deceuxquiontramU- 
tion  de  prêcher  avant  que  .d'avoir  rien  appris.  Un 
Ecdefiaftique  (}ui  a  de  la  pieté  &  de  l'humiiitéyft 
contente  de  faire  des  initruétions  familières,  qp 
lie  demandent  point  d'art ,  .&  peu  d'étude.  H  i) 
a  qu'à  méditer  les  premières  veritez  de  notre  Rdh 
gion,  pour  les  accommoder  à  l'inte^igence  du  petit 

Ïieuple.  Ceux  qui  par  le  devoir  de  leur  Chaige 
ont  obligez  de  faire  des  Difcours  plus  forts,  es 
trouvent  des  modèles  fur  lefqucls  ^  peuvent  ft 
régler,  même  les  débiter  comipe  ils  font,  ccqm 
leur  acquerra  plus  de  gloire ,  quand  même  oi 
connoîtroit  les  fources  oti  ils  puifcnt ,  que  ceux 
qu'ils  feroient  par  le  moyen  de  certains  lieux 
communs. 

Je  n'ai  donc  rien  oublié  que  je  duflc  traiter,  fi 
ce  n'eil;  que  je  n'ai  point  parlé  de  cette  difpofitioa 
qui  eft  particulière  aux  Sermons,  comme  j'ai  par- 
lé de  la  difpofition  6c  des  parties  d'une  Harai^ue 
telle  que  font  les  Harangues  deDemofthenc&de 
Ciceron.  Il  fera  facile  d'y  fuppléer,  &  de  le  faire 
len  peu  de  mots.  Il  y  a  deux  manières  d'inftruizt 
le  peuple ,  fans  parler  de  celle  où  l'on  catechifc 
Teulement  les  enfens.  La  première ,  prefquc  îi  fcu' 
le  ufîtce  dans  les  premiers  fiecles  de  l'Eglife,  ne 
conliftoit  que  dans  une  explication  de  l'Ecriture. 
"Celui  qui  faifoit  la  fonélion  de  Ledleur,  en  li- 
iBitunouplulieurs  verfets»  doatr£vêque4onnoit 

l'ex- 


m  FAHiift.  lir.  V,  CÊNip,  XXfl.     43c 

Texplication ,  s*appliquant  à  combattre  les  Herc- 

.fiesqui  troubloient  TËglife,  ou  prenant  occafîon 

.  de  reprendre  les  vices  qui  regnoient.    Cela  s'appel- 

-loit ,  Home/ie f     Sermon;  c*cft-à-dirc    entretient 

converfation ,  parce  que  ces  Difcours  fe  faifoient 

d'une  manière  âmiliere  qui  ne  demande  point  d*art. 

Ceux  qui  voudront  bien  faire  une  Homélie,  n'ont 

qu*à  lire  Saint  Chryfoftome,  6c  les  autres  Pères. 

on  profitera  plus  en  confideraiit  ces  modèles  ani- 

-meif  qu'en  hfaht  des  préceptes  fecs,  qui  font  peu 

d'imprelTian. 

Aujourd'hui  on  a  une  autre  manière  qui  a  plut 
d'art.  On  ne  choifit  qu'un  verfet  de  l'Ecriture , 
qu'on  applique  à  fon  fujet.  On  propofe  d'abord 
ce  fujet:  &  pour  le  traitter  comme  il  le  doit  être, 
on  demande  les  lumières  du  Saint  £fpritparrinter- 
ceffion  de  la  Vierge,  qu'on  faluëen  redtantl'^rtf 
Maria.  Ënfuite  on  partage  fon  Difcours  en  deux 
ou  trois  points ,  aufquels  oa  rapporte  tout  ce  que 
iTon  a  à  dire.  Il  y  en  a  ^ui  font  ce  partage  avant 
Y  Ave  Maria  i  après  lequel  ils  commencent  àexpli« 
quer  leur  premier  point. 

Cette  difpofition  eft  arbitraire ,  &  n'eft  fondée 
que  fur  la  coutume.  Ujive  Maria  eft  aflez  nou- 
veau. On  remarque  que  cette  prière  commença 
.defe  faire  à  la  naiffance  des  dernières  HereiieSp 
pour  diftinguer  les  Prédications  des  Catholiques 
d'avec  les  Prêches  des  Hérétiques.  La  divifion  ea 
'trois  points  vient  de  la  Scholaftique ,  qui  expli- 
que les  Sciences  par  diviûonsScfubdivifions.  Les 
anciens  Sermonaires  ne  fe  contentoient  pas  de 
trois  points.  Voyons  ce  qu'on  peut  dire  d'utile 
touchant  cette  difpofition  reçue  6cautoriféedant 
i'Eglife. 

Un  Prédicateur  doit  choiiîr  pour  matière  defe» 
.iafiruâionsy  ce  qui  convient  au  lieu  6c  au  temps 

T  1  qtf  fl 


^^6       Là  Rhetoriqjis,  ou.x'Art 

qu'il  prêche,  &  à  la  condition  de  ceux  à.  qui  il  par- 
le. Pour  fatisfoire  à  la  coutume,  il.doitptendrtn 
Texte,  ou  paflàge  de  l'Ecriture,  dont  le  fens  litté- 
ral ,  s'il  e(t  pofiible ,  ne  foit  pas  éloigné  de  et 
qu'il  va  dire  :  car  ceux  qui  ont  quelque  connoit 
lance  de  TEcriturc ,  font  choquez lorique  dès  ren- 
trée d'un  Difcours  oin  l'on  fût  profeûîon  d'expliquer 
rEcriture,.on  la  prend  à  contre-fens. 

A  l'entrée  de  fonDiicours  il  faut  donner  uncidée 
générale  de  Ibnfi^et,  préparer  Tciprit  des  Audi- 
teurs, leur  faire  voir  l'importance  jdc  ce  qu'on 
va  traitter.  Ce  que  nous  avons  dit  touchant  te 
Exordes,  cft  d'ufiigc  ici  pour  fe  faire  écouter.  Uo 
Exorde  doit  avoir  quelque  trait  extraordinaire» 
qui  puifleprocurer  l'attention.  La  pieté,  ^lacofi- 
noiiiance  que  nous  avons  de  la  neceflité delà Gn- 
ce ,  nous  oblige  auffi  de  ne  pas  continuer  un  àf- 
cours  fans  l'interrompre,  pour  attirer  Tcfpritdc 
Dieu  par  nos  prières. 

Puifque  c'elt  l'ufage ,  ilfautreduirèvce  qoel'oo 
veut  enfeigner  à  deux  ou  trois  cheft ,  qui  aycnt 
du  rapport  à  une  principale  chofe,  &  que  lePr^ 
dicateur  doit  avoir  en  vue;  car  comme  il  s'agit  (te 
pcrfuader  &  de  toucher,  il  ùut tenir  en  haleine 
Ion  Auditeur,  le  tenant  toujours  attentif  à  cette 
principale  vérité ,  qui  eft  le  lujct  de  fon  Difcouis.  i 
Nous  l'avons  dit,  l'Orateur  doit  donner  une  gran- 
de idée  de  ce  qu'il  va  dire  i  enflammer  fes  Audi» 
teurs  du  defir  de  lefavoiràfond;  entretenir  ce  dfr 
fir,  éclairant  toujours  de  plus  en  plus  cequ'ilacn- 
Irepris  d'éclaircir,  mais  jufqu'à  la  fin,  à  diaque 
pas,  pour  ainfi  dire,  faifiint  entrevoir  qu'il  y  a  de 
plus  grands  éclaireiffcmens  à  attendre;  ce  qui  fait 
que  la  curioiîté  eft  toujours  ardente  tout  ietemps 
qu'il  continue  de  parler.  Pour  cela  il  faut  qu'il  y 
^t  de  l'unité  dans  fon  deflein  >  c'eft^à-dire  qu'à 

ait 


DS  PMLttu.  Ltif.V.  Chàp'XiCTh      437 

att  en  vûë  une  grande  vérité  dont  il  veuille  con- 
vaincre ,  &  qu'il  veuille  faire  aimer.    Il  peut  dire- 
plufieurs  chofes,  mais  c'eft  à  cette  vérité  que  tout 
doitfe  rapporter.    Or,  c'eft  cette  liaifon  qui  cft 
rare  dans  une  Prédication.    Ceft  foùveftt  un  ramas 
de  différentes  chofes ,  de  differens  genres ,  un  pot 
pourri.    Quand  l'Auditeur  fe  fent  pouffé  d'un  côté , 
prefque  auffi-tôt  on  le  rappelle  ailleurs,  &  il  ne 
fait  ce  qu'on  veut  faire  de  lui.    Ceft  pour  cela 
qu'il  eft  rare  qu'un  homme  d'efprit  ne  s'ennuye 
pas  au  Sermon ,  &  qu'il  y  puiffe  être  attentif.  Je  " 
parle  de  ces  Sermons  oti  le  Prédicateur  veut  plai- 
re.   Car  ces  Prédicateurs  qui  n*ont  point  d'autre 
vue  qued'inftruire,  felonrobligation  de  leur  Char- 
ge,  font  toujours  écoutez  avec  édification. 

Revenons  à  un  Prédicateur  qui  employé  toute  fa 
Rhétorique  pour  bien  faire.    Fuifque  e'cft  Tufage , 
il  peut  divifer  fa  matière  en  deux  ou  trois  points, 
Mais  ces  trois  points  doivent  être  trois  parties  tel- 
lement liées,  qu'elles  ne  faffent  qu'un  tout;  qu'el- 
les ne  compofent  qu'un  corps  proportionné  qui  ait 
une  feule  forme ,  &  qui  ne  foit  pas  monftrueux , 
compofé  de  parties  diflferentes  qui  ne  feréUnififcnt 
point  fous  un  chef,  ut  nec  pesj  nec  eaput  uni  redr 
daturjormé.    Un  Prédicateur  ne  réunît  point,  à 
moins  qu'il  n'y  ait  pas  un  fcul  mot  qui  ne  porte 
TAuditeur  vers  le  terme  où  il  a  deffeinde  le  con- 
duire; ce  qui  demande  beaucoup  d'art,  &  une 
gvande  juftcffe  d'efprit. 

Je  n'ai  rien  à  dire  de  particulier  fur  k  manière 
dont  un  Prédicateur  doit  traittcr  fa  matière.  Pour 
perfuader,  il  faut  propofer  la  venté:  il  faut  établir 
les  principes  d'où  die  fe  tire,  &  les  mettre  dans 
un  grand  jour.  Les  principes  fur  lefquelss'appuyçnt 
les  Prédicateurs ,  c'eft  TEcriture,  c'eft  la  Tradi- 
tion, ce  font  les  paflâges  des  Conciles  &  des  Peres^ 

T  3  qui 


1 


43^      La  RHîTORiauB»  ou  l^Akt 

qui  nous  ont  confervé  cette  Tradition.  Ainfilenh 
fonnemcnt  d'un  Prédicateur  confiftedans  Texpofi- 
tion  des  paflagcs  de  TEaiture  &  des  Pères  II  faiffit 
ordinairement  de  rapporter  le  fens  despadâges» 
fans  alléguer  les  tentes  originaux,  parce  que  cda 
fait  une  bigarrure  defagréable.  On  s*en  fie  au  Pj^ 
dicateur  ;  il  ne  doit  point  citer  les  propres  parolâ 
des  Auteurs ,  que  dans  de  certains  points  impor- 
tans,  ou  de  temps  en  temps  pour  réveiller  Tattcn- 
tion  par  un  langage  extraordinaire.  Iln^flpasne- 
ceffaire  que  je  répète  ici  ce  que  j*ai  dit  de  la  ma- 
nière d'éclaircir  la  Vérité ,  &  de  la  faire  compren- 
dre aux  efprits  les  plus  fîmples  &  les  plus  abftraits, 
comme  auin  ce  qui  a  été  propofé  touchant  l'c- 
xaélitude  avec  laquelle  on  doit  pourfuivre  le  fit 
d'un  raifonnement*  On  a  vu  combien  les  Tropet 
&  les  Figures  étoicnt  utiles  pour  mettre  la  vérité 
dans  un  beau  jour ,  &  pour  toucher.  Il  ânt  rap» 
pcller  tout  cela  ici. 

Ce  qui  fait  la  principale  différence  des  Prédi- 
cateurs qui  inllruilent  les  peuples,  &desAvocats> 
c'eft  que  ceux-ci  ont  pour  Auditeurs  des  Juges 
qui  ne  fe  laiiTent  perfuader  que  par  la  force  d'un 
raifonnement  exaét,  &  des  adverfaires  qui  exami- 
nent leurs  raifonnemens.  Tout  l'Auditoire  cA  con- 
vaincu de  ce  que  dit  le  Prédicateur  :  on  ne  le  va 
entendre  que  pour  être  touché  de  quelque  fentiment 
de  dévotion.  Il  n'eft  donc  pas  neceflaire  qu'il  entre 
dans  des  controverfes,  comme  s'il  avoita  difputer 
dans  une  Conférence  contre  des  Heretiques,ou  dans 
une  école  contre  des  adverfaires  qui  impugnentfes 
fentimens.  11  ne  doit  pas  fai  re  une  leçon  de  Théo- 
logie: il  faut  qu'il  évite  tout  ce  qui  e(l  abilrait, 
les  raifonnemens  trop  fubtils  ;  choLfîilânt  ceux 
que  les  peuples  entendront  le  mieux,  les  plus  forts 
à  leur  égard ,  parce  qu'ils  font  plus  d'impreiiion  fur 

leu£ 


D£  PARLER.  Lh.  V.  Chap.  XXJL      439 

eur  efprit,  nefuppofantrien,  expliquant  tout,  dé- 
rdoppant  la  vérité.  £n  un  mot ,  il  ne  doit  rien  laiir 
ier  à  deviner^  fe  fouvcnant  qu'il  parle  au  peuplo 
peu  inftruit,  à  qui  tout  efl  nouveau ,  tout  elt  obf- 
mr.  Comme  fon  but  efl  de  porter  à  Dieu  fes  Au- 
diteurs» de  les  détacher  du  monde,  de  leur  faire 
embrafler  la  Pénitence ,  haïr  le  péché ,  aimer  la 
▼ertu»  il  doit  ménager  tous  les  avantages  qu'il 
»  pour  cela  ;  c'ell-à-dire ,  qu'après  qu'il  voit  que 
fon  Auditeur  eil  convaincu  d'une  vérité,  il  doit 
en  déduire  toutes  les  confequences  favorables  à  It 
fin  qu^il  a  en  vue ,  faifant  de  vives  defcriptions  de- 
la  beauté  des  chofes  qu'il  veut  faire  aimer,  de  la 
4ifformité  de  ce  qu'il  veut  fiûre  haïr.  Nous  avons 
donné  des  règles  pour  cela. 

Pour  dire  beaucoup  en  peu  de  mots,  difons  que 
^eft  le  jugement  qui  fait  les  grands  Prédicateurs  p 
auffi-bien  que   tous  les  autres  grands  Orateurs. 
Je  parle  d'une  grandeur  réelle,  qui  n'eft  pas  fondée 
fur  une  vaine  réputation ,  fur  le  peu  de  jugement 
â*une  populace  qui  fe  laiiTe  furprendre  par  l'appa- 
rence ,  &  émouvoir  fans  raifon«    Outre  que  parmi 
la  foide  il  fe  trouve  des  gens  d'efprit,  tout  ce 
qqc  l'on  dit  doit  être  raxfonnable.    Les  mou- 
vemcns  qu'on  veut  infpirer  doivent  naître  de 
h  connoi  (Tance  de  la  vérité  qu'on  a  expofée ,  au- 
trement on  ne  touche  que  pour  un  moment.  L'Au- 
diteur qui  fe  retire  fans  favoir  ce  qui  Ta  émû ,  re- 
prend les  premières  inclinations  auffi-tôt  qu'il  n'en- 
tend plus  le  Prédicateur;  au  lieu  quelorfqu'onla 
convaincu  d'une  vérité ,  cette  conviélion  entretient 
les  bons  mouvemens  qu'on  lui  a  donnez.  Je  crois 
4YOir  dit  ce  qui  fe  peut  dire  d'utile  pour  cela,  ôc 

Scncralement  pour  tout  ce  qui  regarde  l'éloquence 
le  la  Chaire;  quand  j'en  dirois  davantage,  ceux 
Sui  m'écouteroient  n'en  deviendroient  pas  meU- 
turs  Prédicateurs. 

T4  E» 


'440       La  Rretokiclub  »  ou  l*A%t 

En  finiffant  cet  Ouvrage  il  faut  que  je  ftflcal| 
aveu  finccrc,  qu'il  ne-pcut  être  utile  qu'à  celui qâ 
lira  avec  foin  les  Ouvrages  de  ceux  qui  écrivat 
avec  TArt  que  nous  avons  enfeigné.  Comme  a 
fe  promenant  au  Soleil  on  prend  un  teint  baiâoé' 
fans  qu'on  s>n  apperçoive,  auffi  on  prend  les  ma- 
nières des  Auteurs  en  les  lifant.  Cela  ne  fe  fait 
qu*à  la  longue  »  &  infenûblement  ;  car  il  ne  faut  pas 
s'imaginer ,  par  exemple,  que  pour  avoir  lu  une 
fois  Ciceron  d'un  bout  à  l'autre ,  on  prenne  fon  ftilc 
U  fout  s'attacher  à  un  petit  nombre  d'Auteurs  cx- 
ccllens  qu'on  life  affidument.  Cet  Ouvrage  ne 
doit  fervir  qu'à  faire  remarquer  les  beautez  qu'on 
lencontre  dans  les  Orateurs  fameux.  On  imite 
plus  facilement  ce  qu'on  connoît  ;  ainfîles  fpecu- 
lations  qu'on  fait  fur  la  Rhétorique ,  ne  font  pai 
inutiles.  Elles  fervent  à  former  le  goût,  qui  ncft 
autre  chofe  qu'une  habitude  de  bien  juger  fur 
les  idées  qu'on  a  prifcs  en  lifant  les  excellens  ouvra- 
ges, comme  on  le  forme  legoût  delà  peinture  en 
voyant  d'exccllens  Tableaux.  Tout  cil  beau  à  ceux 
qui  n'ont  rien  vu.  Qui  n'auroit  jamais  lu  ni 
Virgile  ni  Horace,  ne  feroit  pas  fi  difficile  à  fe  con- 
tenter en  lilhnt  des  vers  Latins.  Accoutumé  aux 
bonnes  chofes ,  on  fe  dégoûte  des  communes.  Le 
goût  efl  donc  une  habitude  de  bien  juger  furies 
idées  juHes  qui  viennent  de  la  leif^ure  de  ceux  qui 
au  jugement  de  tout  Je  monde ,  dnt  parfaitement 
réiiffi.  Legoût,  dit  un  Auteur  célèbre,  efl  un 
fentimtnt  naturel  qui  tient  à  tame ,  &  qui  efi  indé^ 
fer.dant  de  toutes  ies  Sciences  qu'on  peut  acque^ 
riy;  le  goût  n^eft  autre  cbofe  quun  certain  rapport 
qui  fe  trouve  entre  fefprit  ô*  les  objets  qu'on  lui 
frefentei  enfin  le  bon  goât  eft  le  pi'emier  mouve^ 
ment^  ou  pour  ainfi  dire,  une  efpece  ttinfltnfi  de 
U  droite  Bjiifën  qui  l*<ntraîne  avec  rapidité  ^  &  qui 

la 


SE  PARim.  Uv.VChap.XXît  44ii 
nnduit  plus  fureminl  fut  tout  les  raifittntment 
'tUt  pturrùt  piirf.  Jc  n'œ  dcmentc  pas  d'ac- 
rd,  &  poiir  exprimer  plus  fimplCtu'cnt  ce  quer 
■&  que  le  goût  ;  jc  dis  que  fi  un  Peintre  qui  fait 
fond  les  principes  de  fon  Art ,  remarque  mieuï 
beautei  d'un  Tableau,  &  dlplus  en  état  d'en 
>fiKr,  Se  de  fe  former  une  ^os  excellente  idée 
la  Peinture;  aulîï  celui  qui  fait  fat  quels  fon- 
mcns  les  règles  de  l'Art  de  parler  font  ap- 
yées,  fc  met  lui-même  au  deuus  de  l'Art^  il 
peut  juger,  8r  fe  fonner  une  plus  par&itc  idé* 
ce  qu'on  doit  appellei  beau  ca  nutieie  d'â»^ 


4^ 

AVIS 

DE 

L'  I  M  P  R  I  M  E  U  R. 

TL  y  a  plus  de  trente  ans  que  rAnteetr  eom- 
-^  mumqua^  àfes  amis  les  premiers  effau  de  tOn» 
Ifr^ge  qi^on  vient  de  lire.  Le  R.  P,  Mafcê" 
ron  alors  Prêtre  de  rOratoire^  anjotir^bmi  Er 
vêque  J^Agen .  dont  il  avoit  eu  le  bonheur  d^i* 
tre  le  Dtfcipïe ,  lui  fit  faire  un  reprache  oili» 
géant  de  ce  qu'ion  ne  lui  avoit  point  fait  voir  cet 
effai,  U Auteur  le  lui  fit  prejènter  ,  avec  uue 
Lettre  ofi  il  ntarquoit  fa  Joie  d* apprendre  qtCil 
avoit  été  nommé  a  rEviché  de  Tulles.  Ce  Pré- 
lat fit  la  réponfe  qu'yen  va  lire  avec  plaifir;  car 
les  matières  les  plus  fecbes  fleuriffent  fous  laplih 
me  de  ce  grand  Orateur.  Auffi  cette  Lettre  peut 
s* ajouter  aux  ex£mples  d^éloauence  qu*oH  a  pro- 
pofédans  cet  Ouvrage^  Elle  fut  à  r  Auteur  un 
frefage  que  fan  travail  pourroit  être  bien  reçA, 
£1  tâcha  donc  de  le  fUfir ,  là  il  le  publia  pour  la 
première  fois  Pan  1670  //  Pa  retouché  dans 
toutes  les  Editions  qui  s* en  font  faites  à  Paris.. 
Après  celle-ci  il  n*y  a  pas  cf  apparence  qu^il y  faf 
fu  déformais  de  changement.. 


i.ET. 


Fi 


443 

LETTRE 

pM  Rfverend  Père  Mét/earoUt  Prêtre  de  POréioîr^ 

nommé  s  PEvêcbé  Je  Tulles  ^  étvjeunTbui  Eveque 

étAgen  ^au  P»  Lam^f ,  Prêtre  de  P Oratoire. 

IL  y  a  trop  long-temps  que  je  connois  le  canc« 
tore  de  votre  efprit  ëc  de  votre  cœur,  mon  Ré- 
vérend Père,  pour  pouvoir  douter  de  la  beauté 
de  l'un ,  &  de  la  bonté  de  l'autre.  J'ai  toujours 
crû  que  vous  feriez  un  progrès  fi  confiderable 
4ana  toutes  les  Sciences  aufquelles  vous  vous  ap- 
^iqueriez,  que  vous  vous  trouveriez  à  la  fin  en 
état  de  vous  mettre  à  la  tête  de  ceux  que  v6us 
auriex  fuivi  quelque  temps;  Ce  temps  eft  venu 
taffivite  que  je  le  fouhaitois;  8c  par  ce  que  le 
Pflio  Malebraache  m'a  fait  voir  de  votre  paît ,  je 
fins  tout  convaincu  que  vous  êtes  arrivé  où  les 
aMPCS  ne  fe  trouvent  d'ordinaire  qu'à  la  fin  de 
leor  vie«  Vous  m'avez  fait  connoître  la  Théorie 
4e  cent  chofes^  dont  je  ne  favois  que  la  pratique, 
Se  ce  que  je  ne  croyois  que  de  la  jurifdiélion  de 
sues  oreilles  »  vous  Va vez  porté  jufques  au  tribu- 
iai  de  ma  Raifon,  Vous  êtes  à  l'égard  des  élo- 
quens  de  pratique,  ce  que  font  ceux  qui  étant  é- 
reillez,  voyant  marcher  des  hommes  endormis. 
Ils  leur  voient  faire  avec  une  Raifon  diftinde,  ce 

Sue  les  autres  ne  font  que  par  le  feul  mouvement 
es  efprits  qui  les  font  mouvoir.  Nous  n'allons 
que  par  les  fentimens  où  Tinilinét  d'une  éloquen- 
ce naturelle  nous  fait  marcher.  Vous  allez ,  mon 
Père,  jufques  à  la  fource  de  cet  inftind.  Nous 
jouïlîbns  de  la  nature  telle  qu'elle  eft  :  vous  au- 
riez été  capable  de  la  foire  fi  elle  n'étoit  pas.  En- 
fin votre  connoiflance  eft  celle  du  matin ,  &  nous 
n'avons  poiu:  partage  que  celle  du  foir.  Tout  de 
•V  , .-  T  s  bon. 


444 

bon  9  on  ne  peut  pas  démékr  lyec  plus  de  péné- 
tration &  de  netteté  les  caufes  Phyfiqacs  de  l'Art 
de  bien  dire;  de  fi  je  crois  n'en  avoir  lu  que  la 
moindre  partie,  qui  eft  rélocution  :  &  je  penft 
que  vous  allez  bien  plus  loin  dans  le  Traite  des 
Figures  du  diicours ,  qui  ne  s'arrêtant  pas  à  cha- 
touiller l'ame  »  la  remuent  jufques  au  fond.  Vo- 
tre ftile  eft  très-net ,  très-poli  r  &  très-exaA:  &  i 
me  femble  oue  pour  le  ftile  dogmatique,  on  ne 
fauroit  en  choinr  un  qui  foit  plus  propre.  Voi 
Comparaiibns  font  belles  &  juftes;  je  ne  les  voih 
drois  pas  tout  à  fait  û  longues  que  font  cdlcs  do 
Parterre,  &  d'autres.    Tout  ce  que  j'aorois 


remarquer  fur  cet  écrit  que  j-ai  renvoie  au  Poe 
Malebranche ,  eft  fi  peu  de  diofe»  que  je  le  r^ 
garde  comme  de  petites  taches  qu'une  petite  ap» 
plication  de  votre  cfprit  diffipera  avec  autant  de 
fiacilité ,  que  le  Soleil  diffipe  celles  qui  le  cou- 
yrent  en  tant  de  petits  endroits.  Cependant  ne 
vous  abandonnez  pas  tellement  à  la  ipeculationy 
eue  vous  en  ruiniez  votre  fanté.  La  rhilofophie 
doit  être  la  méditation  de  la  mort  ;  mais  il  ne  fiiut 
as  qu'elle  en  devienne  l'inftrument.  Faites-moi 
a  grâce  de  m'aimer  toujours,  &  d'être  perfuatf 
que  je  fuis  très-veritablementy  mon  R.  r.  Votre 
trcs-humblc  ôç  très-obéiflant  ferviteur , 

M  A  S  C  A  R  0  H 


l 


lioe 


NOUVELLES 

REFLEXIONS 

SUR 

L*ART  POËT1Q.UE. 

Dans  lerquelles.en  expliquant  quelles  fone 
les  caufes  du  plaifîr  aue  donne  la  Poë- 
fie  9  &  quels  font  les  rondemens  de  tou- 
tes les  Règles  de  cet  Art  >  on  fait 
connokre  en  même  tems  le  danger  qu'il 
y  a  dans  la  leâure  des  Poètes. 

S0r  h  Co^ie  in^riméc  à  Paris  en  1678. 


J  ' 


i    . 


.  I 


»»8-W 


AVERTISSEMENT. 

I  N  ne  fefropofejas  dans  ces  Refie- 
;  lions  fur  P Art  Poëti<fMe\,  dt  parler 
;  dei  Reghs  de  la  verj^eation,  en 
j  fa  fait  fuffifamment  danj  PArt  dt 
parler  ;  on  pr/tend feulement  exa- 
•MÎMer  celles  du  Poème  y  i^  particnlicrêutent  du 
Poème  Epique  y  des  Pièces  de  Théâtre  ;  lef- 
f  utiles  font  auffi  eommunet  à  tes  Hijloires  Poh 
tifues,  ^u'on  appelle  Romans,  Comme  on  a  £- 
verfes  raifons  par  lepjuelies  on  juge  que  ett  Art 
u'ejlfai  fort  utile ,  on  n'a  pas  deWeiu  £en  fai- 
re ict  l'Apologie  ;  mais  feulement  de  donner  quel- 
ques moyens  pour  faire  que  la  jeunej/i  life  avee 
mtilité  des  Poètes  ,  fui  peuvent  fervir  afin  inf- 
truÛion ,  isf  pour  lui  donner  du  dégoût  des  Ou- 
vrages qu'elle  ne  peut  voir  fans  danger  ;  Cepen- 
dant ce  petit  Trait/  donnera  peut-être  plus  de 
4ennoi£anee  de  CArt  Poétique  ,  que  ces  grtt 
Volumes  compofez  fur  cette  matière  par  de  fa- 
meux Auteurs,  Les  cammencemens  de  la  Poi- 
fie  y  comme  de  toutes  les  autres  chofes  ^  ont  itf 
fort gr offert .  Les  Povtes  s'/tudieretit  peu  àpeu 
à  eompofer  leurs  Ouvrages  félon  le  goût  de  leurt 
Jbiditeurs  ,doiit  le  plaifirfut  la  feule  règle  qu'ils 


448      Avertissement* 

fiûvirenà  iéms    U  comlmite  it  kmr$   Onrê' 

Ar^ùte  Témn  renurfmi ,  fit  Jes  règles  à  tt 
qm  Us  Poètes^  ymi  flmfoifMt ^  évmemt  c§ifmm 
éi^oifenier,  ^  reJMsJâfmr  ce  meiem  UPêifie  eu 
Art.    Ce  Pbiloptphe  raifonne  fort  fett/ttr  les  re* 

Îles  fM*il  fropofe  :  il  ne  dit  foiwt  jueb  enfiwt 
fs  fomdetHens ^  ^  ceux  jni  ont  écrtt  defms  Av, 
fentbUut  frefque  tons  n  avoir  point  eu  JtoKtrt 
bntj^  que  de  nous  infirmre  de  fes  fentimens. 

Ces  nouvelles  Réflexions  ont  cela  de  partUw' 

Tter^  qsâil  tfy  a  point  de  règles  dans  ta  Poèfie 

dont  elles  ne  découvrent  les  principes^  ^eft  i 

dire ,  les  caufes  du  plaijir  que  donnent  Us  PoP' 

Jies^  ok  ces  règles  font  gardées.    Pour  faire  M 

découvertes^  Pon  s^appUqne  i  connoitre  la  natu^ 

re  de  Pbomme  :  Pon  entre  dans  fin  efprit  (^ 

dansfon  cœur ,  Çjf  Pon  recherche  quel  eft  U  ref' 

fort  de  tous  fes  mouvemens.    Ce  font  des  vues 

très-importantes  ^  ^  dont  la   connoiffance  àH 

plaire  a  tout  le  monde. 

Quoi  aue  les  perfonnes  defteti  frayent  pas  U" 
foin  de favoir  PArt  Poétique ^ne  s*amufantpoint 
à  compofer  de  ces  fortes  a^Ouvrages  j  ^  en  li* 
fant  encore  aujfi  peu ,  elles  pourront  néanmoint 
prendre  plaifir  à  lire  ces  Reflexions ,  parce  qi^fU 
Tes  peuvent  beaucoup  fervir  a  faire  connoitre 
Phomme^  ^  le  néant  des  créatures  aufquelUs^ 
s* attache  \  ce  qui  a  été  la  principale  raifonqmÊ 
forte  P  Auteur  à  les  donner  au  public. 


NOU- 


P»g-449 


NOUVELLES 

REFLEXIONS 

SUR 

UART  POETIQUE. 

PREMIERE  PARTIE. 


ta  fo'êfii  efl  um  peimurt  parlante  àt  ce  fii'Uy  a  it 

plus  beau  dam  Ut  Crtatures  j  elle  fait  enbliir 

Dieu ,  àunt  ces  Créatures  font  Vîmage. 

UÏ^^  Ire  <^  /a  Pe/Jleefl  une  peinture  par  Un- 
HMHtl  "•  *"'^'  ^^  pas  une  nouvelle  rcmar- 
HHB*  '^^^'  ■'-*^  peintures  ordinaires  lie  s'«-  . 
ïinn(*B  primant  que  par  des-  coukurs  grolEcres 
&  matérielles,  ne  font  que  de  (bibles  imprcffions  r  ' 
au  Heu  que  la  PoëCe  pir  l'harmonie  &la  cadence 
de  fes  Vers ,  en  fait  dans  l'Ame  de  fi  vive)  &  de 
ji  agréables  1  que  l'on  ne  fe  doit  pas  étonner  fi  uit 
des  Ma!uc3  de  l'Art  a  pu  dire  ^ue  les  Poètes  ren- 
fcr- 


4fO        NouYiLLEs  ReflsxioïTs 

fermant  leurs  penfées  dans  les  bornes  d'un  Ven, 
&  donnant  une  prifon  étroite  à  leurs  mots,  ft- 
vent  par  là  énchamer  laRaifon  avec  la  Rime.  Les 
Peuples  les  plus  fauvages  ont  été  fenfibles  à  la  dou- 
ceur des  Vers  :  c'eft  jpourquoi  lorfque  les  hommes 
étoient  encore  difperiex  par  les  Forêts  commodes 
bétes  farouches ,  ceux  qui  les  voulurent  rafTem- 
bler  &  les  faire  vivre  fous  des  Loix  dans  une  Ke- 
publique ,  fe  fervirent  de  l'harmonie  pour  les  pcr- 
luader.    C*eft  ce  qui  a  donné  heu  à  la  Fable,  qui 
nous  raconte  qu'Orphée ,  un  des  Grecs,  apprivoi- 
fa  les  hons ,  &  adoucit  les  tigres  par  les  vers  qu'il 
chantoit  fur  le  Luth;  ^  que  le  Poet«  Âmphion 
obligea  les  rochers  ^  les  bois  de  fe  mouvoir,  & 
de  fe  ranger  avec  ordre  pour  former  une  nouvel- 
le Ville.  Perfonne  ne  contefte  que  la  manière  de 
parler  des  Poctes  ne  foit  mcneiUcufe  :  que  lent 
langagenefoit  divin.  Ils  donnent  un  tour  à  ce  qu  Os 
difent  qui  n'ell  point  ordinaire ,  &  qui  nous  en- 
chante de  telle  manière,  que  ne  nous  fcntantplus 
nous-mêmes ,  nous  entrons  avec  plailir  dans  tous 
les  fentimens  &  dans  toutes  les  Pallions  qu'ils  veu- 
lent exciter  dans  nôtre  Ame. 

La  matière  de  leurs  Vers  eft  ordinairement 
grande,  &  ils  n'emploient  de  fi  riches  couleun 
que  pour  peindre  ce  qu'il  y  a  de  plus  excellent. 
Les  yeux  ne  voient  rien  de  beau  ni  dans  le  ciclni 
fur  la  terre ,  &  l'imagination  ne  fe  peut  rienrcprt- 
fenter  de  grand ,  dont  l'on  ne  trouve  chci  eux 
des  defcriptions  exaéles.  Tout  ce  aue  Ton  peut  di- 
re de  l'excellence  de  la  Poëfie  a  été  dit,  &  n'eft 
ignoré  de  perfonne  :  mais  tout  le  monde  ne  ^^ 
marque  pas  quelles  font  les  chofes  que  noQsfiût 
oublier  cette  peinture  fi  vive  que  les  Poètes 
font  ordinairement  des  grandeurs  d'ici- bas;  ceo» 
qui  les  hfent  ne  s'apperçoivent  pas  que  ccsgnB- 
dcurs  qu'on  leur  rcprefçntc ,  ne  font  que  de  i^ 


sv%  L'AâT  PoiTiQjj».  Part.  L  Ch.J.  4^1 

mages  de  celles  qui  font  en  Dieu»  auquel  ils  ne 
penfent  jamais;  &  ils  ne  voient  pas  lors  qu'ils  s'at- 
achenc  a  ces  images,  qu'ils  ne  font  pas  moias  in- 
fenfez  que  le  feroit  un  homme  que  la  mort  de 
fil  femme  auroit  rendu  û  extravagant ,  qu'il  pren- 
dront pour  elle-même  un  Portrait  bien  fait.  Ce- 
pendant c'eft  une  vérité;  mais  comme  elle  cft 
lurprenante»  &  que  les  admirateurs  des  Poétet 
propfaanes  que  j'attaque  id,  ne  fe  perfuadent 
pas  facilement  que  leur  erreur  foit  grande  8c  fi 
dangereufe,  il  faut  faire  quelques  réflexions  pour 
les  en  convaincre. 

Les  Créatures  font  fans  doute  une  image  de 
Dieu  9  &:  chacun  de  leurs  traits  porte  le  carac* 
tere  de  quelqu'une  des  perfeétions  de  la  Divi* 
nité.  Cette  vaile  étendue  de  l'Univers,  dont  les 
bornes  nous  font  inconnues ,  reprefenterimmen- 
fité  de  celui  qui  leur  a  donné  l'Etre  :  Cette  va- 
riété admirable ,  qui  paroît  dans  les  ouvrages  de 
h  Nature,  fait  connoître  quelle  eft  la  fécondi- 
té de  fon  Auteur  :  Le  cours  réglé  &  confiant 
des  Aftres  publie  rimmortalitc  de  celui  qui  Ta 
une    fois  ordonné  ,  6c  ce  plaifir  que  donne  la 
vûë  de  tant  de  belles  chofes  que  le  Monde  ren- 
ferme, eft  comme  un  échantillon  du  plaiûrfou- 
Yerain ,  dont  jouïfl'cnt  ceux  qui  poffedent  Dieu. 
Les  hommes  charnels  ne  peuvent  compren- 
dre ces  veritn  :  ils  ne  portent  leur  vûë  que  fur 
les  Créatures;  &  ils  ne  s'élèvent  jamais  au  def- 
fiis  d'elles  ,  pour  contempler  cet  Etre ,  4e  la 
beauté  duquel  elles  ne  font  qu'une  peinture  très- 
imparfaite.    Ainfi,  comme  un  homme,  qui  au- 
roit été  attaché  toute  fa  vie  dans  le  recoin  d'u- 
ne caverne,  en  forte  qu'il  n'eut  pu  voir  que  les 
Qmbres  de  plufleurs  belles  flatuës  éclairées  par 
un  flambeau  qu'il  ne  voioit  point,  ne  pourroit 
prendre  ces  ombres  que  pour  des  réalitez  :Aui& 

pea- 


451  NOUTELLBS  REFLEXifOfr'S 

pendant  que  ces  eiprits  terreAres  fe  renferment 
eux-mêmes  dans  le  Monde,  &  qu'ils  ne  conli- 
derent  que  les  corps,  ils  ne  peuvent  pas  pcnfer 
que  les  beautez  paifageres  d'ici-bas  ne  font  que 
les  ombres  d*une  beauté  étemelle. 
.  Les  hommes  ne  voient    pas  non  plus  »  que 
Dieu  cR.  le  principe  &  ie  terme  de  ce  moove- 
ment  ou  de  cette  inclination  de  leur  cœur,  qm 
leur  fait  aimer  la  grandeur,  &  rechercher  la  béa- 
titude dans  l'état  où  ils  font.  Us  ne  fentent  cet- 
te inclination  qu'à  Toccafion  des  grandeurs  delà 
terre,  &  des  plaifîrs  qu'ils  trouvent  danslcscho- 
fes  fenfibles.    Lors  qu'une  pierre  nous  a  frappé 

Î>ar  réflexion ,  nous  ne  pouvons  faToir  d'où  d- 
e  eft  venue ,  ainiî  le  mouvement  de  cette  in- 
clination, qui  vient  de  Dieu,  comme  nous  Tal- 
ions voir,  ne  les  frappant, pour  ainfi dire,  qu'en 
réfléchi  (Tant  des  créatures,  ils  aoient  qu'elles  en 
font  le  principe ,  &  ils  les  regardent  comme  le 
terme  où  doit  retourner  ce  mouvement. 


C  H  A  P  Z  T  K  B      II.  ^„ 

D/V«  ayant  fait  toutes  cbofes  four  fa  ghîre  j  tm 
les  m»uvtmens  qu'il  a  imprimez  dans  les  Cresturef 
tendent  vers  lui  i  c^eft  fourquoi  les  hommes  ne feuvrU 
trowver  du  re^os  qu^en  Difu, 

T^I/lpj  comme  un  fage  ouvrier ,  a  rappottéfa 
JL'ouvrages  à  la  plus  excellente  fin  qu  on  puiifc 
penfer,  qui  n'eft  autre  que  lui-même.  De  làvien! 
que  tous  les  mouvemens  qu'il  a  imprimez  dansk 
cœur  de  fes  Créatures,  tendent  vers  lui,  &qnc 
toutes  nos  inclinations  naturelles  fe  portent  tcb 
un  Etre  excellent  que  nous  defirous  ae  connoînf 
&  d'aimer.  On  connoît  que  la  Terre  eft  le  cact 

SB 


stiK  L*AiiT  PoiTXQUi.  fart. T.  Ch.IL  453 

des  corps  pcfans,  par  la  pente  qui  les  y  porte  tou- 
jours ,  &  par  cette  violence  qu'il  leur  faut  faire 
pour  les  en  éloigner.  Cet  amour  naturel  que  nous 
avons  pour  tout  ce  qui  eft  grand ,  pour  ce  qui 
cft  bien  fiût;  cet  ardent  denr  avec  lequel  nous 
cherdions  un  fouverain  bonheur,  qui  foit  im- 
muable ,  infini ,  étemel ,  font  pareillement  des 
preuves  invincibles  que  nous  fommes  faits  par  un 
Ëtregrandy  parfait»  fouverain,  immuable,  infi- 
ni, éternd,  &  que  les  Créatures,  dont  la  nature 
cft  finie ,  ne  peuvent  être  nôtre  centre. 

Ceux  que  le  péché  a*  aveuglez ,  corrompent 
toutes  ces  bonnes  inclinations  :  ils  cherchent  à  ù 
vérité  la  grandeur ,  l'immutabilité,  l'infinité,  Té- 
temité  qui  eft  Dieu  même  ;  puis  qu'ils  fouhaite- 
roîent  que  leurs  débauches  fuiient  honnêtes  :  que 
les  plailirs ,  qu*ils  y  prennent ,  ne  puflcnt  être  trou- 
blei  par  aucun  changement  fâcheux ,  qu'ils  y  fouf- 
frent  à  peine  des  bornes,  qu'ils  s'étudient  à  ce  qu'il 
.n'y  manque  rien,  &  qu'ils  défirent  que  ces  plai- 
*iîrs-ne  >finifiènt  jamais  :  ainfi  'les  mouvemens  de 
leur  cœur,  c'eft  à  dire,  leurs  defîrs,  les  portent 
vers  Dieu ,  mais  ils  détournent  ce  mouvement , 
ic  ils  ne  cherchent  pas  Dieu  où  ils  le  doivent 
dierchor;  ils  font  continuellement  appliquez  à  la 
pourfuite  d'un  objet  ,  dans  la  poffeffion  duqud 
tous  ces  defirs  d'une  félicité  achevée  fe  puiffc  re- 
pofer.  Car  qu'on  examine  quelle  eft  la  fin  que  tous 
les  hommes  fe  propofent  dans  leurs  travaux ,  ils 
Tculent  trouver  un  parfait  repos.  Cherchez ,  leur 
dit  S.  Auguftin ,  «  qtte  vvus  cherchez ,  mais  il  n*ejl 
pas  oà  vous  te  cherchez.  Non  efi  requies  ubi  qu£ritis 
gam  :  quarite  quod  qu^ritis  5  fed  ibi  non  eft  ubi 
fudritis. 

Ils  reconnoîtroient  bien-tôt  leur  erreur,  s'iU 
favoient  profiter  de  tant  d'expériences,  qui  les  au- 
roicntdâ  convaincre,  que  c'eft  en  vain  qu'ils  cher- 
chent 


^^4  Nouvelles  Rbfl&sxohs 

chent  ailleurs  qu  en  Dieu  même.»  ccqa*ikdefiR&t 
jtvectant  d'ardeur,  &  que  cen*eft  qu'en  loi  fcul 
que  fe  rencontre  cette  fonveraine  grandeur  9  & 
cette  parfaite  béatitude  qu'ils  fouhaitent.  Mais  1- 
près  qu'ils  font  dégoûtez  d'une  créature,  leurpaf- 
fion  ne  fait  que  <;hanger  d'objet  :  êc  comme  fi 
tous  les  Etres  de  ce  monde  n'étoient  pas  d'une 
même  nature  finie  &  bornée,  ik  efperemtoûjoon 
que  celui  dont  ils  n'ont  point  encore  découvot 
les  bornes  8c  les  défauts,  fera  celui. qui  remi^ 

tiarfaitement  la  capacité  infime  de  leur  coeur:  aiofi 
oin  de  quitter  l'amour  qu'ils  ont  poiur  le  monde, 
ils  s'enfoncent  toujours  davantage  dans  TerreurAc 
dans  Taveuglement. 


CUAPIT&B     III. 

Les  Poètes  entretiennent  cette  Uiufinn  éti  fawef. 
ils  dér9bent  à  leur  eonnoijfance  les  huptrfeâms  as 
aeaturesy  ^  la  amu/ent  far  une  vaine  affâreatê 
de  grandeur» 

LEs  Poètes  entretiennent  les  hommes  dans  co 
illufions,  dont  nous  venons  déparier,  enleff 
cachant  la  bafleflfe  des  créatures,  leurs  bornes  & 
leurs  imperfedlions.  Cette  peinture  qu'ils  font  de 
leur  beauté,  ft  beaucoup  plus  engageante &pl« 
capable  d'arrêter  les  yeux,  que  les  créatures  ne  k 
font  elles-mêmes.  Dans  tous  les  plaiiirs  de  htenc 
fl  y  a  toujours  quelque  amertume  qui  en  corroBft 
toute  la  douceur  :  les  plus  belles  chofes  du  mon* 
de  ne  font  point  fans  quelque  défaut  ;  mais  cdi 
ne  fe  trouve  point  dans  les  images  que  la  Pocfc 
en  fait  :  c'eft  pourquoi  tout  ce  qu'elle  en  dit,  al- 
tache ,  &  rien  ne  dégoûte. 
Je  me  fuis  quelquefois  étonné  »  que  le  rep'*' 

toi 


s 


suK  l'Art  PocTxQj;!.  PêtuLCh.lîh  45; 

«ois  de  certains  lieux  fc  de  certains  emplois»  dans 
lefquels  je  me-fouvenjois  fort  bien^  que  je  n'avois 
pas  M  fort  content  i.mais  je  rcvenois  bien-tôt  de 
cetétonnement,  &  j'appercevois  facilement  que 
mon  imagination  me  jouoit;  me  reprefentant  l'a* 
gréement  de  ces  lieux ,  de  la  douceur  de  ces  em- 
plois ikns  leur  amertume  :  &  que  c'étoit  ce  qui 
faifoit»  que  fans  quelque  chagnn  je  ne  pouvois 
penfer  que  je  les  avois  quitté.  Cdl  ainfi  que  ks 
Po.ëtes  ndiànt  paroître  les  créatures  fous  une  £ice 
parfaitement  agréable^  ils  en  augmentent  ramour, 
fc  font  idnû  oublier  entièrement  Dieu  :  au  lieu 
que  le  portrait  qui  efl  en  elles  de  la  Divinité ,  de- 
TToit  en  entretenir  le  fouvenir. 
Les  hommes  prennent  plaiûr  à  fe  laiffer  trom- 
er  prar  ces  peintures  flatées  de  la  beauté  du  mon- 
e  :  ils  ne  penfenc  à  aucune  autre  félicité  qu'à 
celle  qu'ils  trouvent  dans  la  jouïfTance  des  créatu- 
res :  ils  ne  regardent  jamais  la  terre  comme  un 
lieu  d'exil,  qui  eft  ce  que  font  les  Saints;  ainfi  ils 
s'appliquent  a  rendre  cette  demeure  aufïï  agréable 
quits  le  peuvent  :  ils  Tornent;  ils  y  bâtiflent  com- 
me fi  c'étoit  leur  patrie ,  &  qu'ils  n'en  dûflent 
jamais  être  chaifez  par  la  mort. 

Cependant  toutes  les  imaginations  des  Poètes 
n'ajoutent  rien  à  la  beauté  du  monde,  ils  ne  ren- 
dent pas  les  créatures  capables  de  nous  faire  heu- 
reux ,  &  néanmoins  augmentant  par  leurs  fiétions 
les  grandeurs  &  les  plailirs  delà  terre,  ilnousfem- 
J>lc  qu'ils  augmentent  la  félicité  que  nous  y  cher- 
chons. Nous  fommes  à  peu  près  comme  un  amant 
.paflSonné ,  qui  fc  cache  les  défauts  de  la  perfonne 
iju'il  aime ,  &  qui  s'attache  aux  ornemens  qu'elle 
.emprunte  de  l'art  ponr  la  trouver  plus  aimable. 

La  liberté  que  les  Poètes  prennent ,  leurdon- 
■Ue  le  moien  de  tromper  &  d'abufer  cette  forte in- 
•di^atioix  que  nous  avons  pour  la  grandeur ,  nous 

«A 


4^6  SoVTSIIZfl  RCPtSZTÀSS 

en  prefestast  une  vaine  appirencc  Etant  mairQ 
de  bxr  f^jet*  îk  dioiûEcnt  pour  matfcre  de  lean 
difconn  tout  ce  m'tl  7  a  de  gnmd  8c  de  co&âd^ 
rabk  dans  le  moôde ,  fc  ne  -s'a^njcttiflânt  ni  as 
loix  de  rHiflo;:c,ni  âcdlesdeîa  vérité;  flsdaa- 
gent,  ils  ajoùîenr,  ils  retranchent  comme  bor 
fem-  femble,  &,  û  ie  fonds  de  ceqa'îlsracontcn: 
eft  Teritabley  ils  donnent  nn  certain  touranzcho 
fes»  qui  fait  que  tout  ce  quils  diient  paroi?  prodi- 

ni.     (hmis  .vers  in  mirmcuhtm  etfrrmrnptmt.  Es 
ent  font  ce  que  l'on  peut  diie  de  phsfnipre- 
nant,  de  plus  merveilleux,  de  |4us  rare.    Si  par 
exemple  ils  entreprennent  de  faire  la  ddaipdoD 
d'un  riche  Temple,  ils  remplircmt  leur  imagina- 
tion de  tout  ce  que  l'Art  &  la  Nature  peuvent  four- 
nir pour  la  conftruéHon  d'un  fuperbe  édifice.  Les 
matériaux  ne  leur  coûtent  rien»  ils  en  font  venir 
de  tous  les  coins  de  la  terre;  ils  épuifent  toutes 
les  carrières  de  leur  marbre,  deleor  jaipe;  toutes 
les  mines  de  leor  or,  ^  de  leur  argent.    Les  ou- 
vriers, à  qui  ils  confient  la  conduite  de  ce  bâti- 
ment ,  font  tous  experts  &  confommez  dans  leur 
Art  ;  ainfi  refprit  ne  peut  rien  concevoir  de  plus 
magnifique  &  de  plus  grand  que  cet  ouvrage.    D 
en  efl  de  même  de  toutes  les  autres  chofes.    S'ils 
décrivent  un  combat ,  THif^oire  ne  fournit  point 
d'auffi  rares  exemples  de  valeur ,  d'adrefTe ,  &  de 
rincondance  du  fort  des  armes ,  que  ceux  qu'ils 
rapportent. 

S'ils  parlent  d'une  tempête ,  on  ne  peut  riensl- 
maginer  d'aflfreux ,  dont  on  n'apperçoive  l'image 
dans  ce  qu'ils  difcnt.  En  un  mot  les  Poètes  étour- 
diffent  tellement  leurs  Ledeurs  par  leurs  exagge- 
rations  &  par  leurs  grandes  paroles,  qu'ils  ne  peu- 
vent écouter  la  voix  de  la  nature ,  qui  crie  fans 
ceflc ,  que  quand  toutes  ces  grandes  chofes  ne  fe- 
roient  pas  imaginaires  >  elles  ne  font  rien  au  re- 
gard 


SURl'AnT  POETIQJJE.  Piir/. /.  ChJV,  457 

gard  de  Dieu»  qui  eftlui  feul  la  véritable  giran- 


deun 


Ch\i»itile    IV. 

Les  Poètes  ne  propofent  que    des  chofes  rares  é*  ex* 
traordinaires  dont  ils  cachent  4es  imperfeâtions, 

T  Es  Créatures  participant  toutes  deTEtrefouve- 
•*^rain  qui  eft  la  fource  de  tous  les  plaifirs ,  elles 
font  neceflairement  agréables  ;  mais  comme  ce 
plaifîr  qu'elles  donnent ,  eft  proportionné  à  ileur 
Etre,  elles  ne  font  pas  capables  de  contenter  plei- 
nement ce  defir  que  nous  avons  d'un  bon-heur 
fouvcrain.  Elles  ne  peuvent  plaire  entièrement 
que  tant  que  dure  le  tcms  de  Terreur,  c'eft-à-di- 
re ,  tant  que  l'on  n'a  pas  encore  reconnu  cequ'el* 
les  font.  C'elT:  pour  cette  raifon  que  les  chofes  ra- 
res &  extraordinaires  plaifent  &  font  fouhaitées , 
parce  qu'on  n  eft  point  encore  convaincu  qu'elles 
ne  font  pas  ce  que  l'on  cherche.  EHles  ne  font 
belles  que  dans  l'efperance,  &  elles  ne  femblent 
précieufes,  que  parce  que  l'on  n'a  pas  encore  fcn- 
ti  leur  peu  de  vîO:eur. 

Ceft  auffi  pour  cette  même  raifon ,  que  la  va- 
riété eft  fi  agréable ,  &  que  fans  elle  on  eft  cha- 
grin au  milieu  des  plus  grands  divertiflemens;  car 
on  s'ennuye  de  toutes  les  chofes  finies,  parce 
qu'elles  ne  fuffifent  pas  à  nos  defirs  ,  &  l'on 
tombe  dans  la  triftefle ,  fi»  avant  que  l'on  s'ap- 
perçoive  que  ce  que  nous  poiTedions  d'abord 
avec  joie  ,  ne  nous  peut  pas  rendre  heureux, 
l'on  ne  change  de  divertiflcment.  Il  n'y  a  qu'u- 
ne viciffitude  de  diflferens  plaifirs ,  qui  puifle 
charmer  nos  ennuis,  &  nous  cacher  ce  grand 
vuide  de  nôtre  Ame,  qui  eft  privée  de  Dieu. 

V  Auf. 


1 


458  N0UTKLLES  ReFLBXX.OMS 

AuiB ,  tomme  dit  faint  Auguttin ,  Se  comme  00 
le  remarque  fenfiblement  dans  la  Mufîque ,  Il 
beauté  des  Créatures  confifte  particulièrement  dans 
le  mouvement  de  leurs  parties,  qxii  fe  fuccedcnt 
les  unes  aux  autres  :  Rerum  tranfitufit  intima  pi- 
chritudo.  Cette  fucceffion  de  plufieurs  diofes  dif- 
férentes prévient  les  dégoûts  qui  rendent  amoi 
les  plaifirs  finis ,  parce  qu'elle  empêche  en  quel- 
que manière  que  ces  plaifirs  ne  paroiflSmt finis, 
l'Ame  trouvant  dans  la  multitude  des  diofes,  fé- 
lon la  remarque  de  faint  Grégoire  le  Grand,  ce 
que  leur  qualité  ne  donne  point  :  P€r  muhm  tkà' 
tury  ut  quia  quaUtate  rerum  ntmpottfi^  fikem  lUh 
jrietate  Jatittur, 

On  ne  voit  rien  de  fi  diverfifié  que  les  Ouvm- 
ges  des  Poètes  :  ils  changent  continueUement  de 
fait ,  de  paroles,  d'expreflSons  &  de  mefurcs.  Tout 
ce  que  comprennent  de  grand  le  Ciel  &  la  Terre, 
fcrt  de  matière  à  leurs  Vers;  le  cours  des  Planè- 
tes, le  mouvement  des  Aftres  ,  les  pluies,  lei 
ijrêles,  les  éclairs,  les  tonnerres,  les  montagnes, 
es  plaines,  les  forêts,  lesmoiflbns,  les  fontaines, 
entrent  dans  toutes  leurs  defcriptions  :  ils  ouvrent 
les  entrailles  de  la  terre  pour  nous  découvrir  ce  qui 
s'y  pafle  :  ils  nous  entretiennent  delà  vie  des  hom- 
mes ,  des  Guerres  des  Princes ,  des  Combats ,  des 
Sièges  de  Villes,  des  Coutumes  &  des  inclina- 
tions des  Peuples  differens ,  d'une  manière  extra- 
ordinaire &  nouvelle.  Ik  ne  fe  contentent  pas 
d'exercer  leur  veine  fur  tout  ce  que  l'Univos 
renferme  dans  fon  vaftc  fein;  ils  donnent  Teffor  i 
leur  imagination  pour  fe  former  des  chimères,  des 
centaures ,  &  d'autres  monftres  qui  ne  fe  trouvent 
point  dans  la  Nature,  pour  furprendre  davanta- 
ge les  hommes  par  ces  figures  extraordinai- 
res. 

Us  ajoutent  ^  cette  diverfité  de  chofes  pref^jue 

m- 


tVK  l'Aut  Poetkuje.  Pért.J,  Cb,V,  4^9 

infinie ,  la  divcrfîté  de  leurs  expreûions  toutes  fur- 
prenantes.  Tantôt  le  Poëte  s'élevc  ,  &  tantôt  il 
s'abaifTe  :  il  réveille  fans  ceâe  Tattention  par  quel- 
que trait  furprenant  »  ^  court  de  merveilles  €ii 
nferveilles;  de  forte  qu'il  affîege,  pour  ainfi  dire» 
l'efprit  de  (es  Leâeurs  par  une  multitude  de  dif- 
férentes chofes ,  qui  palTent  il  vite  devant  eux» 
qu'il  n'y  en  a  aucune  dont  ils  puiiTent  s  ennuyer* 
Ceft  la  fuite  des  plaifirs,  qui  £iit  les  grands  di ver* 
tifliemens  que  l'on  prend  dans  les  Palais  des  Rois, 
oùlajournée.eil  comme  partagée  entre  diâTerens 
jeux  qui  fe  fui  vent  de  près.  Cela  ic  rencontre  dans 
la  Po<^fi6y  oii  depuis  le  commencement  jufaiies  i 
la  fin  >  toutes  les  parties  d'un  Poëme  font  u  bien 
héesy  que  le  Leéteur  pafle  de  Tune  à  l'autre  fam 
a'cn  appcrcevoir.  De  peur  ^u'il  ne  s'cnnuye  après 
ftToir  entendu  un  récit  ferieux  ,  &  le  dénoue- 
ment d'une  intrigue  9  qui  demandoit  quelque 
application  ,  on  voit  uicceder  une  fête  dans 
laqudle  le  Poëte  £iit  célébrer  des  jeux  avec 
toute  la  magnificence  poffibie  :  de  avant  que 
cette  fête  puiflc  devenir  ennuycufe ,  on  k 
Eût  fuivre  de  quelque  autre  divertiffement. 


Chapitre    V. 

Lis  Poètes  couvrent  toutts  les  créatures  sTun  faux  /- 
cUtt  :  tU  êcempent  tellement  l*ejprit  de  leurs  Lee* 
teurs  y  qu'ils  ne  peuvent  faire  aucune  rtfiescion 
fur  euM-mêmest  &  fur  le  néant  des  créatures, 

CE  que  nous  venons  de  dire  fait  comprendre 
l'artifice  ,  dont  les  Poètes  fe  fervent  pour 
augmenter  la  beauté  des  créatures  :  comment 
ils  les  marquent  toutes  :  comme  ils  les  couvrent 
d'un  faux  éclat  »  ne  les  proposant  jamais  fans 

V  z  quel- 


éfio  Nouvelles  Refliixions 

quelque  ornement,  &  fans  kfaire  fuivre  Icrnsl 
noms  d'un  appareil  d'épithetes,  qui  en  donnent 
une  grande  idée.  Les  chofes  dont  ils  parlent, 
font  toutes  nompareilies  ^  f^xondes  en  miracUst  é 
des  chefs-d'œuvre  des  deux. 

Nous  avons  vu  de  quelle  manière  ils  les  déro- 
bent à  nôtre  vue  ,  auffi-tôt  que  nous  pourrioa 
découvrir  ce  qui  leur  manque.     Ceux  qui  favcnt 
combien  rattache  qu'on  a  pour  les  créatures,  cft 
criminelle  devant  Dieu,  connoiflent  auffi  com- 
bien cet  artifice  .des  Poètes  cft  dangereux.    Car 
enfin  pour  éteindre  Tamour  des  créatures ,  il  faut 
les  oublier,  &  n*y  penfer  jamais ,  fi  ce  n*eft  pour 
en  connoître  le  néant  :  il  faut  rentrer  dans  foi- 
même,  &  confiderer  qu'elles  ne  nous  peuvent 
donner  cette  béatitude  que  nous  defirons  ;  &  les 
Poètes  emploient  tout  leur  Art ,  pour  nous  dé- 
tourner de  ce  devoir  indifpenfable ,  &  de  la  Rai- 
îbn  ,  &  de  la  Religion.    Ils  propoJent  tant  de 
diofes  à  la  fois,  qu'ils  enyvrent  en  quelque feçon 
leurs  Leé^eurs  :  Us  préviennent  leurs  deJirs  :  Ils 
n'oublient  rien  de  ce  qu'ils  pourroient  fouhaittcr 
pour  faire  une  grandeur  achevée  :  ils  favent  frap- 
per vivement  l'imagination  par  des  évenemens  ra- 
res, des  morts  funeftes,  des  guerres  fangîantes, 
des  ftratagêmes  extraordinaires ,  des  ^^g^s  de  Vil- 
les ,  des  combats,  des  renverfemens  d'Etat  ou  des 
établifiemens  de  quelque  nouvel  Empire  :  En  un 
mot ,  toutes  les  chofes  que  rapportent  les  Poètes, 
font  capables  d'arrêter  l'efprit,  &  de  le  tourner 
vers  elles  par  leur  nouveauté,  par  Jeur  rareté,  & 
par  leur  grandeur. 

Aufli  les  Leéleurs  des  Romans  avouent,  que 
le  plus  grand  plaiiir  qu'ils  prennent  dans  ces 
fortes  d'Ouvrages,  vient  de  ce  qu'ils  ne  fc  peu- 
vent ennuyer  dans  ces  ledures  ;  &  que  leur  cf- 
prit  eu  çil  tellement  occupé  qu'ils  oublient  tout 

leur 


leur  chagrin.  Nous  perdons ,  difent-ils ,  le  tems 
[  agréablement  :  étrange  langage  l  qui  eft  la  mar- 
que d'une  extravagance  prodigieufe.  Ils  Tentent 
que  les  Créatures  telles  qu'clles^  font ,  ne  peuvent 
pas  les  contenter:  qu'elles  laiflent  de  grands  vui- 
des  dans  leurs  âmes  ;  que  plufieurs  inquiétudes 
s'en  faififlcnt,  qui  font  comme  la  voix  de  la 
nature  ,  qui  les  avertit  de  diercher  ailleurs  cette 
grandeur  &  cette  béatitude  qu'ils  défirent.  Ce- 
pendant bien  loin  d'écouter  cette  voix,  ils  lui  fer- 
ment les  oreilles,  ils  s'eftiment  heureux,  &  croient 
avoir  bien  palfé  leurs  tems;  lors  qu'ils  fe  fontiaiP 
fez  étourdir  par  le  redt  d'une  bagatelle. 

Les  Ouvrages  des  Poètes  ne  diflipent  pas  feu- 
lement l'efpht  lors  qu'on  les  lit  aéluellcment;  mais 
encore  après  qu'on  les  a  quittez.  Toutes  ces 
excellentes  veritcz ,  dont  la  connoiflance  nous  eft 
fi  neceflaire  pour  acquérir  les  vertus  &  les 
Sdences ,  ne  trouvent  plus  de  place  dans  la  tê- 
te de  ceux  qui  font  pleins  de  tous  ces  grands 
&  rares  évcnemens,  lefquels  font  la  matière  or- 
dinaire de  la  Poëfie.  Dieu  a  écrit  dans  le  cœur 
de  l'Homme  ces  veritez",  qui  font  comme  le 
flambeau  de  nôtre  ame  :  ce  font  celles  ,  qui  Té- 
clairenr ,  qui  l'inilruifent  de  ce  qu'elle  doit  faire. 
C'eft  en  les  confultant,  que  nous  jugeons  faci- 
lement de  toutes  chofes ,  ^que  nous  réglons  fage- 
ment  nos  agitions  :  Nous  voyons  dans  leur  lu- 
mière ce  que  nous  fommes ,  &  ce  que  font  les 
Créatures ,  qui  changeant  à  tous  momens ,  &  cei?- 
fant  d'être  ce  qu'elles  étoient ,  nous  avertiflcnt  el- 
les-mêmes qu'elles  font  peu  éloignées-  du  néant ,  6c 
que  par  conféquent  c'eft  une  folie  de  s'appuyer 
fur  elles ,  &  de  quitter  Dieu  qui  les  retient ,  &les 
empêche  de  retomber  dans  le  néant ,  dont  elles 
font  forties:  Mais  comme  c'eft  au  dedans  de  nous- 
mêmes  que  luit  ce  flambeau  de  la  Vérité ,  il  ne 

V  3  peut 


"jfit  Nouvelles  Reflxxions 

peut  être  appcrçu  de  ceux  dont  les  yeux  font 
entièrement  tournez  vers  les  chofes  exterico- 
res. 

L'ame  s'unit  en  quelque  manière  avec  Tobjct 
de  fa  connoiffance;  ainu,  lors  qu'elle  n'eft  oc* 
cupée  que  des  corps  qui  lui  font  étrangers ,  d- 
Je  fort  d'elle-même,  &  ne  peut  par  comequcnt 
connoître  ce  qui  s'y  pafle.  C'eft  ce  qui  arrive 
i  tous  ceux  qui  lifent  avec  ardeur  les  Poètes, 
dont  la  principale  fin,  comme  nous  avons  dit, 
&  comme  nous  le  dirons  encore  dans  les  Cha- 
pitres fuivans,  eil  de  remplir  l'imagination  de 
leurs  Ledeurs  d'une  peinture  vive  des  chofes 
fenfîbles  ,  qui  les  tienne  toujours  hors  d'eux- 
mêmes,  &  qui  les  empêche  d'y  r'entre^  Nous 
allons  voir  pour  quelle  raifon  les  Poètes  fc  font 
propofez  cette  fin. 


Chapitre    VI. 

Lf  chagrin  qui  trouMe  tous  les  piaifirs  de  h  tertt , 
nous  avertit  que  l^on  ne  peut  trouver  dureposqu'eit 
Dieu.  Les  Poètes  pour  /es  rendre  heureux  travêH' 
lent  à  MJJtper  ee  chagrin, 

IL  n'y  auroit  rien  de  plus  utile  aux  gens  du  mon- 
de, que  les  chagrins  qui  troublent  Icure  plus 
grands  divertilTemens ,  s'ils  en  favoient  profiter, 
en  apprenant  que  leur  c^ur  demande  quelque  dio- 
fc  de  plus  grand  que  les  Créatures  ;  g ae  de  quelque 
côté  qu'ils  le  tournent ,  toutes  chows  leur  feront 
dures,  &  qu'ils  ne  pourront  trouver  de  repos, 
que  dans  l'amour  de  Dieu.  Une  ame ,  dont  Dieu 
fait  les  chartes  délices ,  jouît  d'une  profonde  paix, 
&  trouve  dans  cet  unique  objet  de  fon  amour dc- 
quoi  raffafier  cette  avidité  qu'elle  a  pour  le  bien  : 

Ceux 


sua  l'Art  Poetiqjoi.  PsrtJ.  Ch.VL  4*1 

Ceux  au  contraire  qui  fc  fcparent  de  l'unité  de 
Dieu ,  6c  fe  jettent  dans  la  multitude  différente  des 
beautez  temporelles,  font  déchirez  nuit  &  jour 
de  foins  differens.  Leur  vie  eft  une  chaîne  de  de« 
firs  &  de  folicitudes  :  Auffi-tôt  qu'ils  ont  acquis 
ce  qu'ils  fouhaitent ,  cette  acquilition  ne  les  con- 
tentant pas, ils  font  encore  brûlez  de  plufieurs  de* 
firs  pour  les  autres  chofes. qu'ils  croyent  manquer 
à  leur  félicité.  Ce  qtfi  fait  dire  à  S.  Auguftin  ,que 
l'amour  du  monde  donne  bien  de  la  peine  à  ceux 
qui  s'y  abandonnent.  Laborhjus  mundi  amor. 

En  effet  ne  peut-on  pas  dire  qu'ils  font  fembla- 
bles  à  ces  miferables  dclaves  ,  qui  font  obliges 
d'obeïr  à  cent  maîtres  :  car  l'ambition ,  l'orgueil , 
l'avarice ,  l'impudicité ,  &  les  autres  paffions  dé- 
xeglécs  font  toutes,  comme  autant  de  tyrans  qui 
partagent  leur  cœur ,  &  qu'ils  ne  peuvent  fervir 
ans  d'étranges  fatigues ,  dont  ils  feroicnt  délivrez, 
»'il8  étoient  alîujettis  à.  Dieu ,  dans  lequel  comme 
dans  leur  centre  naturel,  tous  leurs  defirs  fc  repo* 
£eroient. 

Le  plus  grand  mal  dcl'homme  pécheur  eft,  qu'il 
ne  travaille  point  à  fortir  des  miferes,  où  il  con- 
noît  qu'il  eft  engagé.  11  eft  convaincu  de  la  va- 
nité des  creutures,  &  qu'elles  ne  lui  peuvent  pro- 
curer cette  félicité  qu'il  fouhaite  :  il  fait  auffî  qu'il 
ne  peut  acquérir  cette  félicité  par  les  forces  qu'il 
trouve  en  lui-même:  llvoitfafoibleffe,  mais  il  ne 
cherche  point  le  fecours  qui  lui  eft  necelTaire ,  il 
fc  fcnt  enveloppé  d'cpaifles  ténèbres,  mais  il  ne 
demande  point  de  flambeau  pour  les  dif&per: 
pourvu  qu'il  ne  penfe  pas  à  fes  miferes ,  il  eft  fa- 
tisfait  ëc  il  s'eftime heureux:  il  ne  fait  ce  que  c'efl 
que  de  fe  fervir  du  temps  que  Dieu  nous  donne 
pour  travailler  à  nôtre  falut.  Ce  tems.  qui  eft  une 
chofe  fi  précieufe ,  lui  paroît  méprifable  &  en- 
nuyeux ,  ^  parce  qu'il  n  eft  point  content  de  l'é- 

V  4  tat 


4^64         Nouvelles  Réflexions 

tat  où  il  fe  trouve  à  chaque  moment ,  quand  11 
conûdere  cet  état  attentivement  »  il  eft  bien  aUcl 
qu'il  paflc  vite,  &  quil  s'écoule  fans  qu'il  s'œI 
apperçoive ,  c'eft  pourquoi  il  ne  cherche  rien  tafli| 
que  l'occafion  de  le  perdre. 

C'eft  ce  que  Moniieur  Pafchal  reprefente  d'une  | 
manière  très-éloquente  dans  le  Difcours  qu'il  al 
fait  de  la  mifcre  de  l'homme.    Vame  eft  rejctUtt 
dit-il  >  dans  le  corps'pour  y  faite  un  feJQur  de  peu  à 
durée ^  elle Ja'it  que  ce  nejl  qu'un  P^Jptge  k  un  voya- 
ge éternel  y  &  qu^elle  n'a  que  le  peu  de  tetns  que  den- 
ne  la  vie  pour  s^y  préparer  :  les  necejjitez.  de  la  Na' 
ture  lui  en  ravijjent  une  très  grande  partie  :  //  ne  lui 
en  refie  que  très-peu  dont  elle  puifje  dijpofèr  ;  mais  ce 
peu  qui  lui  refie  ^  r incommode  Ji  fort  y  S^  remharaffe 
ft  étrangement  qu'elle  nefonge  qu'à  le  perdre  :  ce  lui 
eft  une  peine  infupportable  d'être  obligée  de  vivre  a» 
vecfoi ,  ^  de  penjer  à  foi  :  ainfi  toutjhn  foin  eft  de 
s'oublier  foi-mcme ,  &  de  laijjer  couler  ce  tems  fi  court 
&  fi  précieux  fans  réflexion ,  en  s* occupant  de  cbofes 
qui  l  empêchent  d^y  penfer,     Cefi  l'origine  de  twtet 
les  occupations  iumuituaires  des  bommes  ^  ^  de  tout 
ce  qu^on  appelle  divertijfement  ou  pnffè-tems ,  dans  lef 
quels  on  n^a  en  effet  pour  but ,  que  d'y  laiffer  pajfcr 
id  tems /ans  lefentir  ,   ou  plùtùt  fans  fit  fentir  Joimê' 
me,  ou  d'éviter ,   en  perdant  cette  partie  de  la  vie f 
V amertume  ou  le  dégoût  intérieur  qui  accompagueroit 
neceJJ virement  ^attention  que  l'on  feroit  fur  foi  même 
durant  ce  tems- là,    UAme  ne  trouve  rien  en  elle  qui 
la  contente  :   elle  n'*y  voit  rien  qui  ne  l''afp.ige  quemd 
elle  y  pen/e  :  c*efi  ce  qui  la  contraint  defe  répandre 
au  dehors ,  é^  de  chercher  dans  Papplication  aux  cbo" 
fes  extérieures  t  à  perdre  lefiuvenir  defon  état  vert* 
table:  fajoye  covfifîe  dans  cet  oubli  >  é^  il  fuffit  pour 
la  rendre  miferable t  de  f obliger  defe  voir  d*  d^êtrt 
avec  foi. 

,    Un  Poète  habile  détourne  toutes  les  penféesquc 

les 


SUR  l'Art  Pobtique.  Fart J.Ch. VIL    465 

I«s  hommes  peuvent  avoir  de  leurs  miferes ,  em-" 
■■  péchant  quils  ne  les  confiderent  :  &  pour  cela  oc- 
?  cupant  leur  cfprit  ailleurs ,  il  attache  fi  fortement 
'î  fes  Leôeurs  à  ce  qu*il  leur  propofe,  qu'ils  ne  peu- 
e  vent  pas  porter  la  vûë  d'un  autre  côté ,  &  voir 
autre  choie.  >k)us  avons  déjà  parlé  de  Tartifice 
:i  dont  il  fe  fcrt  :  Nous  verrons  encore  plus  claire- 
ment dans  la  fuite  de  ces  Reflexions ,  comment  il 
produit  dans  l'efprit  de  ceux  qui  lifent  fes  Ouvra- 
ges ,  ce  plalfir  qUc  les  hommes  trouvent  à  oublier 
ce  qu'ils  font. 


Chapitre    VII. 

V»  des  moyens  rlont  les  Poètes  fe  fervent  pour  attacher \ 
ks  hommes  à  la  lefiure  de  leurs  Ouvrages ,  ejl  de 
leur  propofer  tout  ce  qui  flatte  leurs  inclinations^ 
corrompues. 

LEs  Poètes  ne  choififTent  pas  feulement  pour 
matière  de  leurs  Ouvrages,  les  chofes  dans 
lefquelles  on  voit  paroître  quelque  ombre  de  la 
véritable  grandeur  f  &  qui  pour  cette  raifon  font 
agréables  :  ils  y  donnent  place  à  toutes  celles  qui 
ne  plaifent  que  parce  qu'elles  flattent  la  concupif- 
cence.  Les  hommes  n'ont  du  goût  &  de  l'amour 
que  pour  les  plaifirs  fenfibjcs  ;  c'eft  pourquoi ,  com- 
me les  richeffes  fourniflTent  les  moyens  de  fe  les 
procurer  ,  ils  les  regardent  comme  capables  de 
leur  procurer  une  félicité  véritable ,  &  de  les  ren- 
dre parfaitement  heureux  :  ils  ont  cette  idée  des 
richeffes ,  qu'elles  font  la  véritable  félicité ,.  ou* 
qu'elles  donnent  le  moyen  de  l'aquerir. 

C'elt  pour  cette  même  raifon  qu'ils  cftiment par- i 
ticulierement  les  grandes  dignitez ,  penfant  que 
ceux  qui  y  font  âevez  1  peuvent  tout  faciifier  à 

V  s  leuis 


466  N00TBItE9  REFtzxroif  9 

leurs  plaifirs»  que  rien  ne  peut  pTcfcrirc  des 
nés  à  leurs  volupter ,  &  quMls  font  les  difp 
teurs  de  celles,  dout  le  reftc  des  hommes  pcu^ 
jouïr  fur  la  terre.  Il  n'eft  pas  difficile  aux  Poct 
comme  nous  avons  vu ,  de  tirer  des  entrailles 
la  terre  tout  Tor  qu'elle  cache ,  de  rendre  ce 
tal  commun  comme  le  fer.  On  peut  penfcr 
dire  tout  ce  que  Ton  veut.  Cependant  ces  tl 
fors  imaginaires  pîaifent ,  &  un  avare  qui  en 
tend  parler ,  fc  repaît  agréablement  de  ces  il 
ginations.  Dafls  les  Hiftoires  Poétiques  on  ne  p; 
eue  de  Sceptres  &  de  Couronnes  :  Toutes  les  pcM 
K)nnes  que  les  Poètes  intioduifent  dans  ces  ou-| 
vrages ,  font  crdinaij^ement  illuftres ,  ou  par  l'c-l 
elat  de  leur  naiffance  ou  par  les  faveurs  confid^ 
râbles  qu'ils  ont  reçues  de  la  Fortune.  Ce  font 
des  Rois,  des  Reines,  de  grands  Capitaines,  qui 
paroiflent  fur  le  Théâtre.  Il  y  a  bien  des  gens 
qui  en  lifant  ces  Hilloires,  s'imaginent  en  quel- 
que manière  être  à  la  Cour ,  &  converfer  avec 
ces  Rois  &  ces  Reines,  &qui  fe  pîaifent  dans  ces 
reprefentations ,  comme  faiibit  ce  valet  hypocon- 
driaque, qui  s'entretenoit  une  partie  delà  jour- 
née avec  un  tableau,  où  étoit  reprefenté  le  fa- 
eré  Collège  des  Cardinaux .  croiant  converfer  cf- 
fcélivement  avec  ces  Princes  de  l*Eglife. 

Les  ambitieux  trouvent  dans  ces  ouvrages  des 
images  de  ïeur  ambition,  &  les  vind/cati/s  une 
peinture  des  effets  de  la  vengeance.    On  trouve 
un  plaifîr  exquis  à  voir  &  à  entendre  parler  de  ce 
qu'on  aime ,  &  même  on  ne  peut  louffrir  ceux 
qui  font  d'un  fcntimcnt  contraire ,  &  on  les  re- 
garde-comme  des  Cenfeurs.  Auffi  les  Poètes  pren- 
nent bien  garde  que  tout  ce  qu'As  difent,  ou  ce 
cu'ils  font  dire,  foit  conforme  aux  inclinations 
de  ceux  qu'ils  veulent  avoir  pour  Ledlcurs  :  & 
comme  ils  favent  fort  bien  que  les  pcrfonnesChrè* 


SUR  l'A&t  PoETxoyi.  Part, h  CkVlL    4(7 

tiennes  ne  s'amuferont  pas  à  lire  leurs  ouTrages , 
&c  qu*ainfî  ili  n'écrivent  que  pour  ceux  dont  la 
Yie  eft  toute  payenne,  ils  ne  parlent  jamais  des 
Tcrtus  Chrétiennes,  de  la  Pauvreté ,  dfe  la  Péni- 
tence •  de  THumilité  :  la  reprdentation  de  ces 
Vertus  n'étant  pas  propre  pour  divertir  les  gens  da 
monde. 

S'ils  pn^pofent  de  grands  exemples  de  Chafteté 

Bc  de  Juftice ,  ils  les  corrompent  :  C'cft  le  defir  de 

fe  Gloire  qui  en  eft  le  principe  ,  &  ils  de  les  font  ' 

paroître  que  par  cet  endroit  en  ceux  qui  en  font 

■  ornez.  Chez  eux^  Ton  ne  fait  rien  par  un  pur  a- 

mour  de  Dieu,  &  l'on  n'y  facrifie  qu'à  l'idole  de 

h  vanité  &  de  Tamour  propre  :  parce  que  c'eft 

Famour  propre ,  &  le  dcnr  de  la  gloire ,  qui  font 

ks  reiforts  cachez  de  tous  les  mouvemens  des 

hommes.    L'on  n'eflime  de  Ton  n'aime  dans  le 

monde  les  vertus  y  que  parce  qu'elles  font  confi* 

écTcr  ceux  qui  les  pofTedent,  &  qu  elles  fervent  à 

l'établiflcment  de  leur  fortune. 

Les  Héros  des  Poètes ,  c'cft  à  dire ,  ceux  dont 
Bs  entreprennent  de  célébrer  les  belles  aâlons» 
font  tous  généreux  &  grands  Capitaines  :  ils  font 
intrépides  dans  les  dangers,  81  forts dansles corn* 
ba&»  Ces  vertus  font  fans  doute  très-con(idera- 
Mes  en  elles-mêmes ,  &  elles  méritent  dts  loiian*^ 
gès  quand  elles  fe  trouvent  dans  un  cœur  Chré-- 
Ben  f  mais  elles  font  criminelles  &  plutôt  des  vi* 
des  que  des  vertus,  par  le  côté  par  lequel  les  hom* 
ifres  corrompus  les  regardent  &  les  admirent.  Poiir 
fcr  conïprendre  r  confiderez  que  lorfqtie  nousfui-- 
tbvs  les  inclinations  de  nôtre  nature  corrompue; 
ÎPn'y  a  rien  que  nous  fouhaitions  avec  plusdepaf- 
tffytk  que  de  commander ,  &  de  nous  affujettir 
Wt^^x  avec  qui  nous  vivons;  d'en  être  refpeâé  & 
INSéouté.  Or  comme  chacun  a  cette  même  ambi- 
âiDn>  l'on  ne  peut  acquérir  cette  domination  au 
.  V  6  pré- 


468   *     NouvELiEs  Reeiexions 

préjudice  des  autres ,  que  parja  violence  :  ainfî 
il  arrive  qu'il  n'y  a  que  ceux  qui  ont  de  la  har- 
diefle  &  de  la  force,  qui  puiffem  fecoUcr  le  joug 
qu'on  leur  impofe ,  &  en  charger  les  autres.  C'ell 
pourquoi  comme  on  defire  cette  hardicfle  &  cette 
force ,  l'on  en  conçoit  une  grande  eftime  ;  &  lors 
qu'on  lit  dans  un  Poète  les  combats  ôc  les  vidoir 
res  d'un  Héros ,  chacun  qui  voudroit  être  ce  qu'il 
lit,  prend  plailir  dans  cette  ledure,  &  donne  a- 
vec  joie  toute  fon  attention  à  un  récit  qui  lui  c& 
fi  agréable. 


Chapitre    VIIL 

L'' Amour  efl  Pâme  de  la  Fx^fie  :  les  Poètes  par  U  rr- 

frefentathn  de  cette  pajfion  arrêtent  les  ejfrits  fen- 

fuels»     Jl  efl  d'autant  plus  dangereux  ^   que   ces 

Poètes  tâchent  de  cacher  les  déreglemens  de  cette 

LEs  Poètes  donnent  quelque  partie  de  leurs  ou- 
vrages à  l'ambition;  mais  ils  les  confacrent 
tous  entiers  à  l'amour  ;  &  c'cft  toujours  fur  quel- 
que intrigue  amoureufe  qiie  roule  toute  la  pièce, 
particulièrement  canslesroëiîes  du  tems.  llnv 
a  pas  un  efprit  fenfuel ,  qui  ne  foit  brûlé  de  quel- 
que flamme  impudique;  &  qui  par  confequent 
ne  life  avec  plaifir  les  reprefentations  que  les  Poè- 
tes font  de  ces  fales  affections ,  comme  S.  Auguf- 
tin  l'avoit  expérimenté  avant  fa  converfion.  J'a- 
vois ,  dit-il,  une  paflion  violente  pour  les  fpeda- 
des  du  théâtre  ;  qui  étoient  pleins  des  images  de 
mes  miferes,  &  des  flammes  amooi-eufes,  quicn- 
tretenoient  le  feu  qui  me  devoroit  :  Rapiehant  tue 
infpeèiacu/a  theatrica  ,  plena  imaginikus  mt/triaruM 
niearum  &•  fiwfùhus  ignis  tnei.    Il  ctt  certain  que 

plus 


sv%  x'Art  Poitï^e.  Part.  L  Cb.  VI!L    459 

plus  on  a  le  cœur  corrompu,  plus  on  trouve  de  plai- 
-fir  dans  ces  choies  ;  car  on  ne  ïe  divertit  pas  à  voir 
ce  qui  choque  nôtre  humeur,,  ni  ce  qjai  répugne  à 
nôtre  inclination. 

Un  Chrétien  qui  fait  que  Dieu  eft  jaloux ,  & 
qu'il  ne  veut  point  que  nôtre  cœur  foit  partage  enj 
tre  Ion  amour  &  celui  du  monde ,  ne  peut  voir 
Tans  gémir  une  perfonne  dont  toutes  les  afFcdion» 
font  tournées  vers  les  créatures.  Auffi  ce  n*eft  pas 
pour  lui,  comme  nous  avons  dit,,  qucfcjoiient  les 
Comédies  :  c'eft  pour  ceux  qui  ne  conçoivent 
point  de  plusgrandsplaifirs  que  d'aimer  &  d'être  ai- 
mé, &  qui  défirent  qu'où  excite  le  feu  de  leurs  paf^ 
fions,  qui  font  comme  des  playes  de  leurs  âmes, 
lefq^udles  ils  font  bien  aifes qu'on égratigne,  pour 
en  augmenter  Tardeur,  parce  que  cela  leur  donne 
du  plaifir. 

Âinfi  l'Amour  eft  l'ame  de  la  Poëfie  :  elle  lan- 
guit, quand  elle  ne  fait  pas  une  agréable  peinture 
de  cette  paffior. ,  &  elle  ne  peut  plaire  aux  efprits 
corrompus  qui  en  font  les  "Leéleurs  ordinaires. 

Qu'on  ne  me  dife  point  que  l'Amour  eft  bien 
la  Paffion  dont  les  Poètes  font  de  plus  vives  &  de 
plus  fréquentes  peintures;  mais  que  celui  qu'ils  re- 
prefentent  eft  toujours  honnête,  &  qu'ils  prennent 
Coin  d'en  bannir  toutes  les  ordures:  ce  foin  ne  rend 
pas  la  Poëfie  innocente,,  mais  feulement  plus  dan- 

êereufe.  Les  Poètes  ne  tâchent  que  de  déguifer 
^  :s  Paffions,  &  de  cacher  leur  difformité.  Les  re- 
înors  de  confcience ,  les  peines ,  les  douleurs  qui 
tourmentent  ceux  qui  fuivent  les  affeélions  déré- 
glées de  leur  cœur  ,  font  des  barrières  qui  retien- 
nent les  hommes.  Un  ambitieux  quitte  fon  am- 
bition ,  confiderant  que  tout  le  monde  s'élèvera: 
contre  lui.    Un  vindicatif  ne  fe  vange  pas,  crai- 

Înant  que  l'on  ne  fe  vange  aufli  du  mal  qu'il  vou- 
coit  bien  ifaire.    Un  avare  fe  dégoûte,  de  fes.  ri- 

V  7  chef: 


iCT^  S<9VTSllIf  KErLSZTtfWI 


Ma'il0Porrai£3iJcai:rcx£es  ces 


_  — —  _.  _ ,  —        — _- — __ 

b-:-n:  a:r.S  iics  lar^rccgirâopicallk  es  Jbeg, 
i!  ne  paro5t  rcr-  qsi  pracâasser  kcn^/e  4e5'y 


la:3CT  farprcadrc:  deiorreqacîsas 
TCTit  des  pdnmres  ncs-adïmcs  de  cr  qa  ih  ¥xio- 
drorcnt  être.  Les  aniiiitreax  t  Torent  qa'oe  âât 
rambîtîon  Êu:f  ly^nls  :  1^  sin&cacSf  la  T5çexr<t 
exercée  im^icienient:  te  ararcs  r  troavcaî  fa  r> 
dicffci  poffc^îécs  fans  înqniénides  :  ëc  !ei  iaipadi- 
qucj  y  TOTcnt  des  amans  qoî  brûlent  coorfaôdlr-' 
ment  Tan  pour  l'autre ,  fans  qulls  ^ea 
aucanc  choreq^jipmife  faire  critiq-jerîi 
&  leur  donner  des  remors  dé  confcience: 

Les  p]u>  infâmes  débauchez  fooliaTteroicat  par- 
mi le-jn  ordures ,  paîTcr  pour  honnêtes  gens , 


que  fajnt  A  uguf>în  le  dit  de  lui-même,  lorsqa'illê 
rojloit  encore  dans  h  boiie  de  Tes  defordres:  Ce- 
pendant, dit-il,  Vétois  û  difforme  &  fi  infiime, 
que  je  ne  travaillois  par  mon  exccffive  Tanîté, 
qu'a  oaroi're  honnête  hommedcagreaUer  £//#- 
nten  fœfus  éttque  inbontffus^  degttns  4f  wbmmu  tft 
gefîhbam  mhundanti  vantiëte.  Le  PocreeftmaitTC 
de  Tes  Vz^% }  il  peut  feiirdre  des  amouis  cha/fc* 
entre  une  fille  &  un  jeune  homme  qui  s^timcnt 
pafTionnément ,  qui  fe  trouvent  fouvcm  fculs ,  qui- 
font  de  longs  voyages  enfcmblc,  comnft  ihica- 

fjene  &  Caricîée  dans  VHiftoire  Éthiopiqyc d'Hc-- 
lodorc,  qui  vont  toujours  furie  bord  du  préci- 
pice fans  y  tomber.  Le  Poëte  eft,  dis-je,  maî- 
tre de  fes  Vers ,  mais  il  ne  l'ell  pas  du  cœur  dcr 
rhomme.  Il  peut  régler  &  les  actions  &  les  pa- 
roles de  ceux  qu'il  fait  agir  &  parier;  maiscen'êff 
pas  i  dire  qu'il  fe  puiflc  faire  que  deux  perfonnes* 


SUR  l*Art  PoËTiQpE.  PorfJ.  Cb.VlJL    47 1 

s'cxpofcnt  à  de  fi  grands  périls  fans  y  fuccomber , 
&  qu'ik  s'approchent  fi  près  du  feu  fans  fc  brûler. 
Il  ne  peut  pas  non  plus  régler  lespenfécs  &les  af- 
fcfHons  de  ceux  qui  lifcnt  fes  Ouvrages ,  &  pré- 
venir tous  les  mauvais  effets  que  caufent  infailli- 
blement les  funefles  images  dont  il  remplit  leur  ef- 
prit. 

Ceft  donc  une  mauvaifc  raifbn  pour  excofcr les 
Poètes,  que  de  dire  que  dans  ces  images  qu'ils  ex- 
pofent  des  effets  de  T Amour ,  ils  ne  font  rien  pa- 
roître  que  de  chafle  &  d'honnête;  car  en  effet il$ 
ne  font  que  cacher  le  poifon  fous  un  voile  d'au- 
tant plus  dangereux  au'il  ef!  plus  artificieux. 

Par  exemple  dans  rHiftoire  Ethiopiquc  d'Hc- 
liodore ,  Cariclée  qui  s'étoit  fait  enlever  par  Thea- 
gene»  avant  que  de  commencer"  feule  avec  lui  un 
grand  voyage,  exige  un  ferment  de  lui  qu'il  vivrar 
chadement  avec  elle,  6c  il  lui  en  donne  fa  foi. 
L'Auteur  leur  fait  renouveller  cette  promeffe  dans 
les  plus  grands  tranfports  de  l'amour,  parmi  lesca- 
rcfles  tendres  qu'ils  fe  font.  11  fait  voir  que  cette 
promeffe  n'a  point  été  violée ,  en  expofant  Cari- 
clée à  l'épreuve  do  bûcher  ardent  fur^  lequel  elle 
monte,  ^  dont,  parce  qii'ellc  elt  Viciée,  elle  ne 
reçoit  pas  la  moindre  ofFcnfe.  Peut-on  penfer  a- 
vcc  quelque  raifon,  que  cette  Hiftoireà  caufe  de* 
cîrconftances  d'une  honnêteté  apparente,  en  foit 
moins  dangcreufe.^  Peut-on  croire  que  la  peinture 
ite  la  Pafïion  ardente  qu'ont  l'un  pour  l'autre  Thca- 
^ene  &  Cariclée ,  tous  deux  jeunes ,  ne  produife 
point  de  mauvais  effets  dans  î'efprit  de  ceux  qui  li- 
ftnt  ce  Roman.**  Sa  ledure  remplit-elle  moins  I'ef- 
prit d'images  liccntieufes ,  qui  corrompent  &  qui 
échauffent  l'imagination  des  Leéteurs?  Au  con- 
traire cet  artifice  d'Heliodore,  qu'on  appelle  le 
Pcre  des  Romans  &  des  Hiftoires  Poétiques ,  ne 
tend  qu  à  autonfcr  le  dérèglement  du  cœur ,  Se 


47%         Nouvelles  Reflexxoks 

à  perfuader  aux  jcuncsgcns  qu'ils  peuvent  fans  riciï 
craindre  s'engager  dans  les  plus  grands  périls. 


CttAP^ITRE      IX» 

V homme  ne  peut  vivre  fins  amour  :  Son  dejoràre 
vient  de  ce  quil  le  tourne  vers  les  Créature^  au  lieu 
de  le  tourn&  vers  Dieu,  La  Poefie  en$re$ient  ce 
defordre*^ 

CE  defir  ardent  avec  lequel  les  hommes  cher- 
chent un  objet  qu'ils  puiflTent  aimer  &  en  être 
aimez ,  naît  de  la  corruption  de  leur  cœur ,  &  de 
rétat  miferable ,  où  ils  font  par  le  péché  du  pre- 
mier homme.  Nous^  fommes  faits  pour  aimer  une 
beauté  parfaite,  qui  eft  Dieu,  &  pour  jouir  des 
chaftes  délices  qui  accompagnent  cet  amour. 

Nous  avons  en  nous  comme  un  poids  qui  nous 
porte  toujours  vers  ce  côté.  Ceft  ce  qui  fait  que 
ceux  qui  vivent  dans  Toubli  &  dans  la  privation 
de  Dieu ,  ne  pouvant  être  fans  amour ,  ils  tournent 
cette  indingtion  vers  les  Créatures  ,&  en  cherchent 
quelqu'une  a  laquelle  ils  s'attachent.  Ils  veulent 
auffi  être  aimez;  car  toutes  les  afFeélions  qui  par- 
tent du  cœur  des  méchans,  y  retournent  par  un- 
cercle  neceflaire. 

11  n'y  a  donc  rien  qui  leurplaife  davantage  que 
d'aimer  &  d  être  aimez,  &  par  confequent  U  n'y  a 
point  de  peinture  qui  leur  foit  plus  plus  agreablcf 
que  celle  de  ces  amours  fidèles,  où  l'on  ne  voit 
rien  de  fâcheux,  car  le  Poëte  cache  toutes  les  fui- 
tes funelles  de  ces  amours;  L'on  trouve  toujours 
dans  leurs  Ouvrages  deux  perfonnes  qui  brûlent 
l'une  pour  l'autre  :  ils  forment  entre  elles  une  fi  par- 
laite  ôc.fi  douce  union,  queles  travaux,  Icsguer- 
zes^  les  mauvaiies-foitunes  ne  font  point  capables 

de 


SUR  l'Art  Poitique.  Part,L  Cb.  IX,    473 

de  la  rompre  ni  de  troubler  par  confequent  leurs 
plaifirs ,  que  ces  Poètes  rendent  ainfi  comme  im* 
muables  ëc  infinis  :  de  forte  qu'ils  perRiadcnt  faci* 
lement  leurs  Lecteurs ,  qu'ils  ne  trouvent  que  trop 
difpofez  à  les  croire ,  que  c*eft  dans  ces  amours 
que  coniifte  le  bonheur  que  cherclie  la  Nature. 
ils  font  naître  mille  incidens  propres  à  faire  paroî- 
tre  les  forces  de  Tamour:  ils  reprefcntent  l'un  des 
deux  amans  dans  quelque  difgrace  de  la  Fortune  : 
dans  cet  état  ils  reçoivent  tant  de  confolation  de  la 
fidclité  de  la  perfonne  qui  les  aime,  que  ces  dif- 
graces  leur  font  douces.  C*eft  ce  qui  fait  naître 
cette  fauffe  opinion,  que  de  véritables  amans  ne 
peuvent  jamais  être  malheureux. 

11  eft  certain  cependant  que  Ton  ne  peut  con- 
ferver  fon  cœur  dans  la  pureté  de  Tamour  de  Dieu, 
qu'en  le  tenant  fermé  à  toutes  les  pcnfées  ôcjà  tou- 
tes les  images  qui  nous  reprefentent  les  douceurs 
de  ces  folles  amours  du  monde ,  de  aux  plus  légers 
ientimens  de  fenfualité  quigagnentl'ame  &lacor^ 
rompent;  Omni  cuftoiiiâfirva  cor  tuum. 

Il  faut  s'appliquer  à  confiderer  fouvent  les  mal- 
heurs oùfe  précipitent  ceux  qui  lâchent  tantfoit  peu 
la  bride  à  leurs  Paflions,  la  perte  qu'ils  font  de  leur 
tems ,  de  leurs  biens ,  de  leur  honneur ,  de  leur 
famé,  de  leur  vie;  il  faut  être  pcrfuadé  que  lésa- 
mours  entre  des  perfonnes  de  differens  fexes ,  quon 
appelle  honnêtes,  ne  demeurent  pas  long-ternscaj)- 
tives  fous  les  Loix  de  l'Honneur;  que  li  Tonné- 
vite  tout  ce  qui  peut  faire  naître  &  entretenir  un 
feu  femblable,  on  en  eit  enfin  confumé.  Ce  font- 
là  les  confiderations  dont  on  doit  s'occuper  tou- 
jours, pour  fe  défendre  contre  les  attaques  de  la 
cupidifé,  qui  ne  nous  lailfe  jamais  en  repos. 
■  Les  Poètes  travaillent  à  détournerl'cfpritdeces 
reflexions;  ils  le  rempliffent  d'une  grande  eflime 
pour  les  Créatures;  ils  en  relèvent  U  beauté;  êc 

ils 


474  NOOVEILES  RlfLBXlONS 

ils  cmploycnt  tout  leur  art  pour  les  fiiirc  paroftn 
aimables  a  ceux  qui  lescroyent:  au  lieu  que  ceux 
qui  appcrçoivent  ce  ou'cllcs  font ,  c'eftà  direleiir 
néant ,  les  jugent  indignes  de  nôtre  amour,  &  re- 
gardent comme  des  extraTagansceuK  qui  s'attachent 
à  elles,  imparfaites  comme  eUcs  font  &  fujettcs 
à  mille  accidens  qui  les  éloignent  de  nous,  ou 
nous  feparent  d'elles. 

Ce  n'eil  pas  feulement  du  côté  de  nôtre  inté- 
rêt, par  la  perte  de  l'honneur,  des  biens  &  de  la  fan- 
té,  que  l'on  doit  juger  que  rien  n'eft  plus  funefte  à 
l'homme  que  la  paffîon  de  l'amour ,  mais  princi- 
palement du  côte  de  la  Religion.  ] 

Quand  ces  amours  ardentes  entre  deux  peri<»-   ; 
nés  feroient  honnêtes  aux  yeux  des  hommes,  el- 
les ne  font  pas  chrétiennes.    Nôtre  cœur  cft  un  au- 
tel où  Dieu  ne  fouflre  point  qu'on  facrifie  impu- 
nément à  d'autres  qu'à  lui ,  de  qu'on  y  allume  un 
feu  étranger:  il  ne  veut  pas  êtte  adoré  dans  un 
Temple  où  une  Wole  eft  révérée.    Au(!i-tôt  que 
les  Philiftins  eurent  placé  fon  Arche  dans  le  Tem* 
pie  de  Dagon ,  la  ûatuë  de  cette  fauffe  Divinité 
fut  renverfée  par  terre;  &  il  ne  permit  pas  que  les 
Romains,  qui  dreffoient  des  Autels  aux  Dieux  de 
toutes  les  différentes  Nations  du  monde ,  l'hono- 
raffent ,  qu'après  qu'ils  eurent  renverfé  leurs  Ido- 
les. 

Qu"on  ne  s'y  trompe  pas ,  ce  n'eft  pas  un  petit 
mal  de  penfcrjour  &nuit  à  une  Créature,  de  tour- 
ner toutes  fes  afFeéHons  vers  elle ,  quoi  qu  en  ap- 
parence on  s'imagine  ne  vouloir  pas  commettre  une 
aélion  défendue  parla  Loi  de  Dieu:  cependant  on 
ne  penfe  prefque  point  à  lui ,  on  ne  poufle  |»as  un 
foûpir ,  il  ne  le  forme  pas  un  defir  pour  4ui  dans 
nôtre  cœur  pendant  qu'il  fe  répand  tout  entier 
dans  ces  folles  amours.  Nous  devonsTneanmoins 
aimer  Dieu  de  tout  nôtre  cœur,  ôc  par  cônfcqueni 

il 


suK  t'AiiT  PoiTKtpt.  PartJ.  Ck  IX.    475 

il  faut  que  tous  fes  mouvemens  tendent  vers  lui» 
car  il  le  commande  &  le  veut  ainiL 

Dans  toutes  les  dcfcriptions  que  les  Foëtesfont 
du  tranfport  de  la  paffîon  de  deux  amans ,  ils  leur 
font  commetrc  des  idolâtries  ^ctventables  , 
comme  Ta  remaroné  une  perfonne  d'une  tres-il« 
luftre  naiffance ,  dans  un  Traité  contre  la  Comé- 
die. La  Créature  y  cbajje  Dieu  dwcmtr  de  tbomme 
four  y  dominer  à  Jk  place ,  y  recevoir  des  facrifces 
et  des  tuhrasionsty  regkr  fes  mouvemens  ^  fs  con^ 
duite^  &Jès  imerêtft  &  y  faire  toutes  as  fmêions 
dé  Souverain  9  qui  n^êfpMttiemnenpqn^à  Dieu*  qui 
veut  y  régner  fër  ia  charité ,  fui  eft  la  fin  et  Pae^ 
eomflijfement  de  toute  la  Loi  Chrétienne.  Ne  voyez" 
vous  pas  j  continue  cet  Auteur, /*^OTefl»'/r»//^  de 
eetie  manière  fi  impie  dans  les  plus  belles  Tragédies  éf 
Tragi'comeéfies  de  nôtre  temsf  N'eft-cepaspar  cefen^ 
iiment  qu^Akionêe  mourant  de  fa  propre  main»  dit  à 
Jydie} 

Vous  m'avex  commandé  de  vaincre  8c  j*ai  vaincu  » 
Vous  m^aveï  commandé  de  vivre  &  j'ai  vécu. 
Aujourd'hui  vos  rigueurs  vous  demandent  ma  vie  , 
Mon  bras  aveuglément  Taccorde  à  vôtre  envie  > 
Heureux  &  fatisfâit  dans  mes  adverfitez, 
D*avoir]ufqu'au  tombeau  luivi  vo$  volontez* 


Cha- 


4l6         NoursiLKS  Reflexions 


Chapit&e    X. 

Les  Poètes  méprennent  pas  têûjottrs  ie  foin  de  fnrgtr 
de  têutes  Jnietez  les  amours  qu'ils  reprefentent;ih 
autorifent  les  plus  foies  amours  »  comme  toutes  ia 
autres  pajjions  iléregUes. 

£  s  Poètes  ne  fe  donnent  i>as  le  foin  de  piu;gcr 
'de  toutes  faletcz  ces  amours  qu'ils  rcprcfen- 
tent.    Une  amour  û  honnête  qu'elle  ne  le  aoi- 
roit  rien  permis»  ne  plairoit  pas  à  ces  efprits  cor 
rompus  qui  IHent  les  Romans  v  c'eft  pourquoi  les 
Auteurs  de  ces  Ouvrages  laiffent  aller  quelquefois 
les  amours  dont  ils  font  la  peinture ,  auw  loin 
qu'elles  ront  en  fuivant  leur  cours  ordinaire.    Il 
fc  commet  des  aéHons  criminelles  dans  les  Ro- 
mans, mais  la  difformité  de  ces  adions  n'y  pa- 
roît  pas:  on  les  déguife,  &on  les  cnchàflc,  pour 
ainfi  dire,  dans  de  l'or,  de  forte  que  ceux  qui 
prennent  plaifir  dans  la  reprefentation  de  ces  ac- 
tions, n'en  ont  point  defcrupule;  car  enfin  ceux 
qui  les  commettent  font  des  Dieux  &  des  Dtt^tSt 
dont  il  n'y  a  point  de  honte  d'imiter  les  adb'ons. 
C'eft  comme  dans  Terence  ce  jeune  débauché, 
qui  avoir  remarqué  dans  un  Tableau  que  Jupiter 
avoit  fait  defcendre  une  pluye  d'or  dans  IcJcindc 
Danaé,  &  avoit  ainfi  trompe  certe  femme.    Un 
Dieu  a  bien  voulu  faire  cette  û£iio»y  ?naisquelDieul 
Celui  qui  fait  trembler  les  voûtes  du  ciel  par  le  bruit  de 
Jon  tonnerre*,  &  moi  qui  ne  fuis  qu*un  des  moindres 
d* entre  les  mortels  ^  faurois  bonté  d imiter  le  plus 
grand  des  Dieux  ? 

Le  vice  fe  trouve  dans  les  Héros  des  Poètes, 
&  dans  tous  leurs  grands  hommes.  Quoi  que  vin- 
dicatif y.  ambitieux  ,  fuperbes ,  ils  ne  paroiffent 

pat 


■. 


SUR  l'Art  Poétique.  PsrtJ.  Cb,  X.    477 

pas  moins  confiderables  parmi  les  hommes,  & 
moins  chéris  des  Dieux;  ainû  enconfacrant  leurs 
perfonnes ,  ils  confacrent  leurs  vices ,  6c  rendent 
par  ce  moien  la  vengeance,  l'ambition,  lorgueil 
Bc  l'adultère  honorables.  Les  hommes  ne  défirent 
rien  davantage  que  d'allier  la  vertu  avec  le  vice, 
afin  de  jouir  tn  même  tems  des  douceurs  de  la  vo- 
lupté y  6c  du  repos  de  la  bonne  confdence. 

JLes  Poètes  font  d'intelligence  avec  eux  là-def- 
fus ,  6c  pour  autorifer  leurs  defordres,  6c  leç  déli« 
vner  de  la  honte  qu'ils  ont  en  les  commettant,  ili 
feignent  que  les  Dieux  mêmes  font  fujets  k  1'^-* 
inQur6càla  vengeauce;  ils  les  fout  quericUeux , 
adultères;  en  un  mot  ils  s'efTorceht  autant  qu'ils  lo 
peuvent,  de  faire  les  hommes  Dieux;  6c  au  con- 
traire des  Dieux  mêmes  ils  en  font  des  hommes , 
leur  attribuant  des  adtions humaines 6c criminelles^ 
afin qu'ellesne paiTent plus pourtelles ,  commis faini 
Auguftin  le  leur  reproche  dans  le  LivJ.  Chap.  16. 
de  les  Conf.  6c  que  ceux  qui  les  commettent  fem- 
blent  imiter  plutôt  les  Dieux  celeftes  ôc  tout-puif- 
ianis ,  que  des  hommes  perdus  6c  fcelerats.  Cdà  ce 
que  les  Payens  mêmes  ont  eu  en  horreur. 

Les  Poètes ,  s'écrie  Ciceron ,  feroient  bien  mieux 
de  rendre  les  hommes  femblables  aux  Dieux, que 
de.  rendre  ainû  les  Dieux  femblables  aux  .hom- 
mes. -  Humana  ad  Deos  tr  ans  fer  uni ,  divina  malhm 

•Si  le  refpeft  que  les  Poètes  doivent  avoir  pour 
leurs  Dieux,  n'a  pas  empêché  qu'ils  n'en  aient  été 
les  calomniateurs  publics,  comme  les  appelle  Ter- 
tullien  au  Traité  des  Speélades ,  criminatores  & 
éeiraéiores  Deorum  ;  11  ne  faut  pas  s'étonner  s'ils  at- 
tribuent tant  de  vices  à  leurs  Héros.  Ils  leur  donnent 
lia  vérité  toutes  les  vertus  éclatantes  qui  font  du 
Iwuit  dans  le  monde  :  ils  les  font  pieux  exterieure- 
' Aient  envers  les  Dieux,  mais  avec  toute  cçttp 

pieté 


47S         NouriiLSi  RiFtBxxoNs 

pieté  ces  Héros  font  des  hommes  colères ,  vioIeDl, 
ambitieux,  vindicatifs ,  qui  font  brûlex  de  feux 
impudiques;  6c  cependant  il  faut  fuppofer  que  ce 
font  de  grands  hommes  qui  mentent  r4eftime  & 
ramour  de  tout  le  monde.  Et  en  effiet  le  deflan  1 
des  Poètes  en  les  chaigeant  de  tant  de  deÊints, 
n^eft  pas  de  leur  ôter  rien  de  cette  gloire  qu'ils  k 
font  acquife  par  leurs  travaux. 

Ce  feroit  mal  entendre  la  Poétique,  qQedepr^ 
tendre  que  les  Poètes  pèchent  contre  leur  Art» 
lequel  oemande  que  (tout  ce  qu'ils  difènt  contn- 
buè  à  établir  Teftiroe  du  Héros  de  leur  Pièce;  car 
ils  répondent  fort  bien  qu'ils  font  obligez  de  faite 
Croître  leurs  Héros  vertueux,  mais  de  ces  ver- 
tus qui  font  eftimées  dans  le  monde  ,  &  de  les 
exemter  des  défauts  «que les  hommes  condanmeot: 
or  l'amour,  l'ambition  &  la  vengeance  même, 
quand  elles  font  exercées  avec  certaines  Loix, 
paient  pour  des  vertus. 

Mais  à  parler  proprement ,  il  n*y  a  poiot  de 
vertus  parmi  ceux  qui  fuivent  la  corruption  da 
fiede  :  on  s'y  fert  de.  fon  apparence  pour  cadicr 
la  laideur  du  vice.  L'impureté  eil  une  galanterie 
quand  on  évite  le  bruit  &  les  fcandales.  Lcsfo- 
leries  font  des  adrelfes,  quand  on  trouve  le  moien 
d'enlever  le  bien  de  fon  voifin  feas  qu'il  s'en  ap* 
perçoive  &  qu'il  crie  au  voleur  :  L'ambkion  ,  qui 
TIC  fe  fert  point  de  moiens  bas  pour  arriver  à  fcs 
fins,  paife  pour  une  grandeur  de  courage.  En  un 
inot  toute  la  vertu  des  gens  du  monde  confifte 
feulement  dans  l'obfervation  de  certaines  bien* 
iéances ,  aufquelles  on  a  attadié  une  idée  d'hon- 
nêteté. 

Ceft  donc  une  neceffité  aux  Poètes  de  formef 
leurs  Hero?  fur  cette  idée  que  les  hommes  àquiili 
-veulent  plaire,  ont  de  la  vertu  :  &  lors  qu'ils  y 
téttâiâenty  ils  fatisfont  mervcilleuiement  ;  caries 

per- 


«UR  t'AllT  PQBTIQ]frB.  FâTt,  1.  Cb.  XL    479 

perfonnes  les  plus  déréglées  font  bienaifesdevoir, 
pour  ainfî  dire  »  l'apologie  de  leurs  jpaffions,  c'eft 
à  dire  de  voir  d'honnêtes  gens,  qui  lont  faits  com- 
me eux  y  êc  qui  virent  tromme  eux. 

Auffi  après  qu'un  Poète  ou  l'Auteur  d*un  Ro- 
man a  reprefenté  la  fermeté  auftere  d'un  jeune 
homme  à  refifter  aux  defirs  impudiques  de  fa  ma- 
râtre ,  il  lui  fait  prendre  toutes  fortes  de  libertés 
criminelles  avec  une  fervante,  lefquelles  font  dé- 
peintes avec  des  couleurs  aeréables»  &  qui  cou- 
vrent le  crime  de  fes  impudicitez»  Comme  on  le 
voit  dans  l'Hiftôire  Ethioptque.  Ce-qui  faitcom* 
prendre  combien  tous  ces*  ouvrages  font  dange- 
reux ;  car  tous  ceux  qui  les  lifent,  ne  le  font  que 
parce  qu'ils  y  trouvent  du  plaifir  :  ils  ne  peuvent 
y  prendre  plaifir  fans  eftimer  8c  approuver  ce  qu'ils 
voient ,  &  ils  ne  peuvent  eftimer  &  approuver  ce 
qu'Us  voient  iàns  renoncer  à  la  Morale  de  Jefus- 
Chrifl  pour  fuivre  celle  du  monde  ,  qui  eft  celle 
des  Poètes,  &  des  fitifeurs  de  Romans. 


Chapxt&i    XL 

Vhommi  eft  fait  pour  la  Vérité  %  de  /à  k  grand  dtfir 
defavvir ,  qui  dégénère  en  une  euriofité  criminelk^ 
que  nourrit  la  Poefie. 

QU  A  N  D  on  connoît  que  Dieu  eft  le  centre  du 
cœur  de  l'homme,  l'on  nepeut  ignorer  la  eau- 
fc  de  fes  inclinations.  Les  difltercntes  perfediofu! 
de  ce  centre  l'attirent ,  pour  ainli  dire ,  par  de 
différentes  chaînes  :  c'eft  pourquoi  comme  Dieu 
eft  grand ,  qu'il  eft  parfait ,  qu  il  eft"  la  fource  de 
joutes  les  délices ,  les  hommes  font  portez  natu- 
j-ellcment  vers  tout  ce  qui  leur  paroît  grand,  par- 
fait ,  &  capable  de  les  rendre  heureux.  Il  eft  auffi 
1%  Vérité  ;  il  faut  donâ  que  nôtre  cœur  ait  une 

forte 


^8o         Nouvelles  Rsflexions 

forte  inclination  pour  la  connoîtrc.  Cette  araoni 
delà  grandeur  &  du  plaifir,  lors  qu'on  .le  détour- 
ne de  fa  fin  naturelle  qui  eft  le  Créateur,  qucl'on 
quitte  la  grandeur  véritable ,  &queronn*enpour- 
iuit  que  l'apparence,  fe  nomme  Cupidité-,  &  le 
defir  de  favoir,  lors  que  nous  ne  l'appliquons  qu'à 
apprendre  des  fables  6c  des  bagatelles,  6c  que  nous 
négligeons  la  Vérité,  ne  recherchant  que  des  Scien- 
ces criminelles   ou   inutiles ,  eft  appelle  curif- 

fité. 

Comme  les  Poètes  flatent  la  cupidité  des  hom- 
mes, leur  prefentant  les  viandes  qu'ils  fouhaitent 
6c  qui  leur  font  défendues ,  ainfî  que  nous  venons 
de  le  voir,'  ils  entreitiennent  aufli  leur  curioiité, 
en  ne  leur  prdpofant  pour  matière  de  leur  étude 
6c  de  leur  application,  que  des  chofcs  qu'ils  font 
bien-aifes  de  connoître,  mais  dont  la  connoi^ 
ce  eil  ou  inutile  ou  dangcreufe. 

Nôtre  curioiité  elt  ardente  pour  connoîtrc  les 
chbfes  qui  paroi flent  grandes  &  extraordinaires; 
ce  qui  vient  de  ce  que  Dieu ,  qui  cft  la  fouvcni- 
ne  grandeur,  cil  l'objet  de  ce  defir  que  nous  avons 
de  llivoir  :  c'eil  pourquoi  les  Poctes'nechoifiiTcnt 
que  ce  qui  ed  rare  &  grand  pour  matière  delcurs 
Vers;  6c  pour  irriter  le  feu  de  cette  curiofité,  ils 
fc  fervent  d'un  artifice  à  peu  près  femblablc  à  c^ 
lui  dont  ufcnt  les  chalîcurs,  qui  jettent  devant  la 
bctc  qu'ils  veulent  attirer  dans  leurs  filets,la\"iaft- 
de  qu'elle  aime  ,  mais  en  petite  quantité  ,  tfii 
qu'elle  ne  s'arrête  pas  dans  le  lieu  qu'ils  lui  vculcii 
faire  quitter.^ 

Les  Poètes  font  d'abord  la  propofition  de  leur 
fujet  d'une  manière  fort  générale,  qui  donncunf 
grande  icice  de  ce  qu'ils  ont  à  dire,  ôc  qui  excic 
le  defir  de  favoir ,  mais  qui  ne  le  contente  WÇi 
n'expliquant  point  encore  ce  qu'ils  propofent  K 
le  failbient ,  on  fe  dcgoûtcroit  bien-tôt  de  \s^ 


•svR  VAr  t  Poîtïqjde  Vàrt.  L  Cb.  XL  481 

Ouvrages.  Car  comme  il  n*y  a  que  la  véritable 
grandeur  qui  puifle  contenter  pleinement  nôtre 
cœur,  aufîiiln'yaque  la  première  vérité  qui  puifle 
fatisfairc  entièrement  nôtre  efprit,  &  nousmépri- 
fons  les  connôiffances  des  autres  chofcs ,  prefque 
au  même  moment  que  nous  les  avons  acquifes. 
Ainfi  les  Poètes  fe  donnent  bien  de  garde  de  foire 
connoître  tout  ce  qu'ils  ont  à  dire ,  ils  refervent 
toujours  quelque  chofe  ^ui  irrite  &  entretient  Tar- 
deur  de  la  curiofité. 

Si  par  exemple  le  fujct  de  leur  Poëme  font  les 
louanges  de  quelque  grand  homme ,  après  avoir 
dit  en  cinq  ou  fix  lignes  quel  eft  leur  deflein ,  fans 
faire  connoître  quel  eft  cet  homme ,  quel  eft  fon 
pais ,  ils  commencent  par  le  milieu  de  fa  vie ,  par 
quelqu'une  de  fes  allions  qui  foit  confiderable  ,  & 
dont  aufli-tôt  on  defire  de  connoître  le  commen- 
cement &  la  fin.  II3  ne  fuivent  jamais  Tordre  na- 
turel; s'ils  le  fuivoient  comme  font  les  Hiftoriens 
&  qu'ils  donnafTent  d'abord  la  connoiflance  de 
ce  qu'ils  propofent ,  l'on  ne  fentir oit  point  ces  ar- 
deurs que  l'on  a  de  pourfuivre  la  Icdure  <ju*on  a 
toe  fois  commencée  de  leur  Ouvrage.  Mars  parce 
Qu'ils  ne  difent  les  chofesqu'obfcurément  dans  leurs 
premiers  Vers ,  on  en  recherche  la  connoifTance 
fans  fe  dégoûter,  que  Ton  n'acquiert  toute  entiè- 
re qu'à  la  fin  de  tout  l'Ouvrage,  &  lors  que  lë 
Poëte  ne  craint  plus  le  dégoût  de  fes  Lecteurs. 
•  Le  Pocte  a  foin  de  nourrir  le  feu  qu'il  allume. 
A  proportion  qu'on  avance  dans  la  leélure  de  fon 
Ouvrage ,  on  apperçoit  que  ces  ténèbres  dont  il 
avoit  couvert  fes  premières  paroles ,  fe  diflîpent; 
&'quoi  que  Ton  ne  coniloiflfe  point  pleinement  ce 
«[ue  l'on  defire-  de  fa  voir,  qu'a  la  fin,  cependant 
6n  acquiert  continuellement  de  nouvelles  connoif* 
fances  qui  fe  perfecftionnent  de  plus  en  plus.  On 
rinftruit  de  k  vie  du  Héros  de  la  Pièce  :  on  dé- 
' .  X  cou- 


4^1  Nouvelles  Réflexions 

couvre  quelle  eft  fa  nàiffance  »  quds  font  fcs  tu- 
vaux;  ce  qui  engage  à  en  continuer  la  ledurt 
Mais  l'Auteur  rejette  toujours  fort  loinledénoù^ 
ment  des  intrigues  qu'il  a  brouillées ,  &  fur  le 
point  que  le  Leôeur  cfpere  voir  ce  dénouement, 
il  eil  jette  dans  d'autres  embarras  par  des  accidens 
qui  le  furprennent  :  de  forte  qu'il  ne  peut  pasfaiie 
reflexion  fur  les  chofes  qu'il  a  àpprifes  »  Ôc  s'en  dé- 
goûter, &  au'il  eil  toujours  dans  un  perpétuel de- 
fif  d'apprendre  la  fuite. 

Ceft  ainfi  que  les  Poètes  amufent  &  trompent 
ce  dcfir  que  nous  avons  de  îavoir.  L'on  n'a  pas 
de  honte  d'avoir  écoulé  attentivement  les  contes 
ridicules  de  fa  nourrice,  parce  que  Ton  étoitdans 
un  âge  foible.  Mais  de  quel  voile  peuvent  œu- 
vrir  leur  foiblefle  ,  ceux  qui  étant  dans  un  âge  a- 
Tancé,  paflent  les  jours  &  les  nuits  à  lire  les a- 
vantures  d*un  Héros  imaginaire ,  6c  qui  n'em- 
ploient pas  un  moment  à  une  leélure  utile  ?  qui 
ont  une  curiofité  ardente  pour  apprendre  quelle  a 
été  fa  nàiffance,  quelle  a  été  fa  vie  êcfa  mort, 
&  qui  négligent  de  favoir  quel  efl  leur  propre  de- 
voir, &  ce  qu'ils  doivent  devenir  ?  Peut- on  avoir 
une  preuve  plus  fenûble  de  la  folUefle  &  de  la 
fottifc  de  nôtre  efprit? 

Les  hommes  n'ayant  accoutumé  de  fc  laiffet 
toucher  qu'aux  choies  fenfibles,  les  chofes  fpiri- 
tuelles  font  infîpides  pour  eux ,  &  ils  ne  peuvent 
y  penfer ,  qu'auffi-tôt  le  dégoût  ne  les  prenne. 
Ce  n'efl  pas  auifi  de  ces  fortes  de  diofes  que  les 
entretiennent  les  Poètes  ;  la  matière  qu'ils  trai- 
tent ,  n'a  aucunes  épines  ;  elle  ne  demande  point 
une  appUcation  d'efprit  pénible  :  tout  ce  qu'Ûsdi- 
fent  fe  conçoit  par  l'imagination  ;  &  leurs  Vers  y 
réveillent  les  images  de  toutes  les  chofes  dont  la 
vue  efl  touchant  &  agréable. 

C'cA  pourquoi  outre  que  les  defcriptions  des 

chofci 


STJH  l'Aut  ?otii<ivt,P0rt.LCb.XI.  483 

,   chofcs  qui  font  robjet  de  la  cupidité,  fortifient 
j    cette  même  cupidité',  c'cft  à  dire  l'amour  que 
',    nous  avons  pour  les  biens  feniibles,  elles  font 
encore  dangereufes ,  en  ce    qu'après  de  telles 
,    Icéhires,  l'efprit   de   ceux  qui  s'y  font  divertis, 
!    n'eft  plus  capable  d'aucune  ledure  ferieufe. 
Ils  ne  trouvent  point  dans  ce»  Livres  pleins 
de  fageffe  &  d'inftrudlions  très- utiles  pour  la  con- 
duite de  la  vie,  ce  fcl  &  cet  agrément  qui  ir- 
rite leur  curioFité  ;  &  ne  s'étant  fait  aucune  ha- 
bitude d'ufer  de  leur  efprit  tout  pur  fans  le  mi- 
niftere  des  fens,  il  ne  leur  faut  point  parler  d'é- 
tudier la  Religion,  qui  cft  élevée  au  deflus  des 
chofes  fenfibles,  dont  les  myfteres  ne  fe  voient 

Ï)oint  par  les  yeux  du  corps,  &:  qui  ne  propo- 
e  rien  qui  foit  agréable  à  la  concupifcence. 

Ceit  pourquoi  ceux  qui  après  la  leéture  des 
Romans,  prennent  les  Livres  faints,  entrent  dans 
cette  ledure  comme  dans  une  terre  étrangère 
qui  n*a  rien  que  d*affi:eux  pour  eux,  qui  leur 
femble  ne  porter  que  des  épines,  où  luit  un 
Soleil  dont  la  lumière  les  incommode  :  comme 
-  ils  font  accoutumez  à  >  l'éloquence  des  Poètes 
fardez  éc  pleine  d'afifeâatian,  le  ftile  (impie  8c 
naturel  de  l'Ëcriture  9  bien  que  plein  de  majefté 
Se  de  force,  ne  touche  point  un-  cœur  qui  ne 
s*ell  jamais  nourri  que  de  bagatellcsr 


• 

X  X         .  C  H  A- 


1 


4^4  '^ouTXiLfct  RïriixiOKt 


Chapitre    XII. 

Comme  Pefprit  ne  fe  forte  à  eoKnéitre  que  h  Ve- 
ritéf  ou  ce  qui  en  u  têippnrence\  tes  Portes  stjf 
fâchent  de  rendre  vrM-Jemkiaèû  ioui  ce  ^nik 
frofofent» 

T  A  volonté  ne  peut  aimer  que  le  bien  ou  ce  qui 

^en  a  l'apparence,  l'efprit  auflS  ne  peut  feponcr 
à  connoitre  que  ce  qui  lui  paroît  véritable.  CA 
pourquoi  toutes  les  feblcs  dont  la  faulTeté  eft  évi- 
dente, loin  de  plaire  paroiflcnt  ridicules  :  eues  ne  I 
piaifent  que  lors  que  l'artifice  du  Poëtc  efttelqo'fl  ! 
enchante  en  quelque  façon ,  &  que  l'ons^agiiie 
quafi  au  elle$  font  véritables. 

C'cft  pourquoi  une  des  premScres  renfles  de  h 
Poëfie  ell  de  ne  rien  dire  que  de  vrai-femblaWc. 
Pour  cela  quand  les  Poètes  propofent  àçs  cAofes 
furprenantcs ,  ils  y  difpofent  leurs  Leélcurs  :  ils 
ne  nouent  rien  qu'ils  ne  puiflent  dénouer  d'une 
manière  natureUe,  par  quelque  accident  qui  ne 
(bit  point  impofDble ,  on  bien  ea  fiiifant  defccn- 
dre  quelque  Divinité  du  4:iel  :  ce  qu'ils  ne  font 
qjie  rarement,  parce  qu'il  ne  paroît  pas  beaucoup 
d'cfprit  &  d'invention  dans  un  dénoiiement  qui 
n'arrive  que  de  cette  féconde  manière  :  ils  n'y 
ont  donc  recours  que  lors  que  les  chofes  font  fi 
embrouillées  &  fi  defefpcrées,  qu'elles  ne  peu- 
vent avoir  le  fuccès   que  l'on  fouhaitc  fans  k 
fecours  du  ciel. 

• 

Nrtf  Deus  snterjtt,  ntfi  dignus  vtndice  nodus 
Incident, 

Joutes  Us  parties  d'une  Hiftoirc  Poétique  font 

td*: 


^ukl'Art  Poétique  Pari.I.  Ci,  XIL  4^5 

tellement  liées ,  qu'un  é\Tncmcnt  en  engendre  un 
autre ,  &  tout  ce  qui  arrive  à  la  fin  du  Poëme  eft 
«ne  fuite  de  ce  qui  s'elt  fait  dans  les  commence- 
mcns ,  les  chofcs  ne  pouvant  avoir  d  autre  ifluc 

}ue  celle  qui  naît  de  la  difpofition  qu'on  leur  a 
onnée. 
Chacun  de  ceux  que  le  Poète  fait  agir  &  par- 
ler, tient  un  langage  conforme  à  fon  âge  &àfon 
état.    11  peint  fes  mœurs  &  fes  inclinations  dans 
fcs  paroles;  &  il  ne  dit  &  ne  fait  rien  qui  foit 
contraire  aux  coutumes  de  fon  pais  :  de  forte 
qu'aucune  circonUance  foit  de  tcms,  foit  du  lieu, 
ne  peut  faire  appercevoir  la  faufleté  des  fidlions 
du  roëte.    On  voit  par  tout  dans  fon  Ouvrage 
une  image  fi  naïve  de  la  Veiitc ,  qu'on  la  prend 
Paiement  pour  la  Vérité  mcme. 

Ceux  qui  entendent  bien  l'art  de  la  fable  ou  de 
Taélion ,  veulent  même  que  les  Poètes  obfervent 
que  le  fonds  de  leur  pièce  foît  vrai ,  &  qu'ils  n'é- 
tendent la  pcrmillion  qu'on  leur  accorde  de  fein- 
dre ,  que  fur  les  ornemcns  &  les  circonlhnccs  de 
Fadion  qu'ils  propofeiit. 

.    Ceux  qui  penfent  qu'un  Poète  peut  inventer 
tout  ce  qu'il  dit ,  ne  favcnt  pas ,  dit  Laclance ,  les 
bornes  que  doit  avoir  la  liberté  de  la  Poefie  :  Klie 
peut  enrichir  &  donner  un  tour  figuré  &  agréable 
SQX  chofes  qui  i*e  font  effeélivement  faites  ;  mais 
ne  rien  dire  que  de  fobuleux,  c'cft  être  un  imper- 
tinent menteur,  &  non  pas  un  habile  Poëtc;Nf/- 
tiunt  qui  fit  Poétka  HcentU  modus ,  quoufque  progre^ 
M  fingendo  liceat ,   cùm  afficium  Po'ét£  fit  in  ev  .  ut 
#w  qud  ge/ïa  funt  y  verè  in  nliquas  fpfcîes  obliqnis  fi- 
gurathnibus  •  cum  décore  altquo    converpt  traducaf. 
Totum  autem  quod  referas  fingere  ^  id  eji  ineptujn  ep 
^  fi^  et  mendacem  petiùs  quàm  Poïtani. 

Ce  foin  que  les  Poètes  prennent  de  couvrir  leurs 
menfonges  de  Tapparence  de  la  Vérité,  afin  qu'ils 

X-3  puif- 


'486  NoUVSttES  RVVLEXZOK» 

puiffent  être  agréables,  c*eft  une  preuve  invin(>| 
ble  que  nôtre  ^prit  cft  fait  pour  la  Vérité  :  & 
confié quent  que  cette  attache  qu*il  a  à  lire  des  ta 
blés,  eft  une  marque  évidente  de  &  corruption &| 
de  la  vanité  où  il  eH  tombé,  qui  lui  font  préférai 
rimage  de  la  Vérité  à  la  Vérité  même ,  commel 
nous  avons  vu:  qu'il  quittoit  la  véritable  grandeiu 
pour  courir  après  fon  ombre.  Auffi  ceux  qui  font 
cxemts  de  cette  corruption  &  de  cette  vanité, ne 
peuvent  s'arrêter  aux  imaginations  des  Poètes,  &| 
y  cherdier  du  divcrtiffement;  la  Pieté  ne  le  per- 
met pas. 

Une  des  raifons  pour  lefquelles  on  défend  aui 
Chrétiens  de  fe  trouver  aux  Speélades ,  cft ,  félon 
£dnt  AngufUn,  qu'ils  ne  font  que  des  images  de 
la  Vérité,  &  qu'il  eft  dangereux  à  l'homme  mfccp- 
tible  d'erreur ,  comme  il  eft ,  qu'il  n'y  prenne 
l'habitude  de  quitter  les  chofes  réelles  pour  fwYie 
leur  ombre  :  Et  *  bsc  enim  quséiam  îmiimtiê  vniUh 
tîs  eft%  ncc  ob  aliud  à  SaUbus  prêhibtmur  /pefiacMMs^ 
mfi  ne  umbris  rerum  decepti  ab  iffis  nbus ,  quantm 
umbréfunty  aberremus.  Platon  f  ^U^gue  cette  mê- 
me raiibn,  pour  juftifier  la  défenfe  qu'il  édt  aux 
Poètes  d'entrer  dans  fa  Republique. 

L'Auteur  de  la  Vérité ,  dit  Tertullien ,  n'aime 
point  la  faufleté,  6c  tout  ce  qui  tient  delafiétion, 
pafle  devant  lui  pour  une  efpece  d'adultère  :  Non 
éifnat  falfum  auétor  Veritatis^  aduhirium  ^  afud 
illum  omnt  qmd  fngitur. 

L'on  .peut  dire  de  ceux  qui  ne  repaiffent  cette 
inclination  que  nous  avons  pour  la  Vérité,  que  de 
ces  images  fouiTes  de  la  Vérité  que  forment  lt$ 
Poètes ,  qu'ils  font  aufîi  infenfez  qu'un  hypocon- 
driaque qui  quitte  les  alimens  naturels  pour  repaîr 
trc  les  yeux  de  la  'figure  d'un  fcftin,  La  véritable 

Bcati- 

»  lUU  Mt^i,  $kâf.  21. 


sun  l'Art  PoBTictVi  Pa9'tJ.Cb,XIIL  4S7 

Béatitude,  félon  faint  Âuguftin,  confîfle  dans  la 
connoiâance  de  la  Vérité  :  Beataquippevîtaeftguw 
dium  dt  veritate.  Peut-on  dire  qu'un  homme  eft 
heureux  qui  met  fon  honneur  à  compofer  ou  à  li- 
re des  Romans ,  puis  qu'il  ne  fait  confîfter  toute 
ia  joie  que  dans  le  menfonge ,  &  qu'elle  n'cft ,  pour 
ainfi  dire,  qu'un  menfonge  perpétuel  ? 


Chapitrk  XIII. 

jyoù  vient  que  P imitation  eft  fi  agréable ,  que  Pon 
prend  par  exemple  plus  de  plaiftr  à  voir  Vimagé 
oTune  chofe  que  cette  cbûfe  même. 

CEt  Art  avec  lequel  les  Poètes  imitent  la  Véri- 
té, &  le  foin  qu'ils  prennent  de  faire  tenir  à 
ceux  qu'ils  introduifent,  un  langage  tout  confor- 
me aux  perfonnages  qu'ils  leur  font  joiier ,  font 
fims  doute  les  chofes  qui  contribuent  le  plus  à  ren- 
dre la  leéhire  de  leurs  Ouvrages  agréable. 

Par  exemple,  la  reprefentation  d'un  père  qui  re- 
prend fon  fils ,  enchante  tellement  qu'on  ne  croit 
pas  avoir  une  image ,  mais  un  père  véritable.  Ce 
Ipeétade  n'eft  pas  fort  divertiflant  en  lui-même  ; 
on  auroit  du  chagrin  fi  l'on  fe  trouvoit  efFeéhve- 
ment  dans  la  compagnie  de  ce  pcre  dans  le  tems 
qu'il  gourmande  fon  fils  :  mais  cependant  la  pein- 
ture qu'en  font  les  Poètes  n'a  rien  que  de  char- 
mant. 
■^        Ceft  pourquoi  Ariftote,  qui  avoit  fort  bien 
^    remarqué  tout  ce  qui  plaifoit  dans  les  Poètes, 
if    &  qui  en  a  pris  les  règles  qu'il  propofe  dans  fa 
'^^    Poétique,  donne  celle-ci  :  que  le  Poète  doit  peu 
if    parler,  &  ne  paroître  prefque  jamais   dans  fes 
■^    Ouvrages  ,  même  dans  ceux  qui  ne  confiftent 
^u'ea  récits.    Il  faut  que  par  la  voie  de  Timita- 

X  4  tion. 


'48*  NouriLLif  Ri FLExioKs: 

tation,  il  redaife  en  aâion  toutes  les  chofes  :c'rf-| 
à-dire ,  qu'il  trouve  le  moien  que  les  perronnûl 
dont  il  veut  faire  connoitre  les  aâions ,  rappor- 
tent eÛe$-mcmes  ces  aétions,  &  qu'ils  le  faàcni| 
de  telle  manière  que  les  Leéteurs  ne  s'apperçoi- 
Tcntpas  que  ce  foit  le  Poëte  qui  les  inttruit,' 
mais  qu'ils  s'imaginent  en  quelque  Êiçon  être  ctt' 
la  compagnie  de  ces  perfonnes  &  dans  les  mê- 
mes Heux  où  le  Poëte  les  reprefente,  afin  qul-s 
reçoivent  cette  fatisfaction  douce  que  donne  u- 
ne  imitation  parfaite. 

C'eft  un  fujet  d'étonnement  aflfez  grand,  que 
les  hommes  prennent  moins  de  plaifir  à  coniî- 
derer  les  chofes  que  leurs  images  :  que  la  Vrai- 
fcmblance  leur  plaife  pliis  que  la  Vérité.     C'eft 
ce  qui  leur  arrive  quand  ils  aiment  mieux  lire 
des  Hiftoires  feintes  qu'un  Poëte  habile  a  cou- 
vertes de  l'image  de  la  Venté  &  de  vrai-fem- 
Hance,  que  des  Hiftoires  véritables.     Perfonne 
cependant  ne  veut  être  trompé,  &  û  l'on  prend 
plaifir  à  voir  des  enchantemens ,  ce  n'eft  pas  l'er- 
reur qui  plaît,  dit  faint  Auguftin,  mais  l'adref- 
fe  avec  laquelle  l'enchanteur  nous  a  trompez^ 
Si  on  nous  demande,  ajoute  ce  Père,  quelle cft 
la  plus  excellente  chofe,  de  la  Vérité  ou  du  Mcn- 
fonge  ,  nous  répondons  tous  que  la  Venté  eft 
fans  doute  plus  excellente  que  les    jeux  éc  les 
contes.  Cependant  nous  nous  y  laiffons  aller  a- 
vec  plus  de  joie  qu'à  la  Vérité ,  &  nous  pro- 
nonçons ainfi  contre  nous-mêmes  l'arrêt  de  nô- 
tte  condamnation,  lors  que  pour  fuivre les  mou- 
vemens  de  la  vanité ,  nous  quittons  ce  que  bt 
Raifon  nous  fait  juftemcnt  approuver  :  înterrogs» 
ti  quitlfit  melius^  verum  an  fnijunit  ore  uno  refpon* 
demus  verum  ejfi  melius  Jocis  &   iudis\  tamen  ubi 
nos  u  tique  non  ver  a ,  fed  falfa  delefiantmuithpropen* 
fins  9  juàm  frétceftis  ijjfiHs  Veritatii  tareamus .  :  its 

no/îrê. 


stJR  l'Art  P oe  traji  i.  Part: LCb,  XlFL  48^ 

fiojiro  judicîo  éf  ort  punimur ,  aliud  ratione  aj>pro* 
tantes ,  aiiud  vanitate  fêlantes, 

Ariftote  dans  fa' Poétique,,  ditquelaraifonpour 
laquelle  les  imitations  font  agréables ,  "c'êft  que  ceux 
qui  confiderent  une  image,  prennent  plai-iir à. ^- 
prendrc  &  à  découvrir  par  xaifoniiement  quelle 
chofe  elle  repr.efentc;  par  exemple^  que  c'eft  l'i- 
mage d*un  tel,  ^Mpiiçrt  7tcç  eiicôfuf  cpuïni ,  ou 
evfiÇcthetf    9<«^^ySv  fMUfJuieif  ,  i(^  ft(2^0>i^xâ^    jl 

Mais  outré  cette  raifon ,  ce  plaifir  vient  appa^ 
remment  de  ce  que  les  hommes ,  quoi  que  très* 
attachez  à  Icurfens,  ont  un  certain  lentiment  na- 
turel qui  leur  fait  préférer  ce  qui  eft  fpirituel  aux 
chofes  matérielles ,  &  qui  les  oblige  pai*  exemple 
d'eftimer  davantage  que  les  corps  mêmes,  Tarta-, 
vec  lequel  une  perfonne  ingenieufe  les  rcprefente: 
d'où  vient  que  toutes  ces  imitations-  &'  ces  peint 
tures  des  Poètes  leur  font  plus  agréables  que  les 
chofes  mêmes. 

Ainfî  dans  le  tems  que  les  hommes  corrotnpent 
les  bonnes  inclinations  de  leur. nature,  en  les  dé- 
tournant de  leur  fin  principale  .&  véritable  ;  on 
doit  remarquer  là  bonté  de  ces  mêmes  inclinations. 
Mais  fi  l'on  confidere  ce  vuide  que  l'on  fent  dans 
l'ame  après  la  lediure  d'un  Rom^n ,  &  cette,  efpe- 
ce  de  chagrin  avec  lequel  on  en  quitte  la  ledure^ 
on  fera  perfuadé  que  ce  font  comme  les  chàtimens 
&  les  peines  de  l'iïlufion  où  l'on  a  été  pendant  cet- 
te ledlure.  Et  c'eft  ce  qui  devroit  convaincre  les 
hommes  qu'ils  ne  peuvent  trouver  de  divcirtîire- 
mentfolidc  que  dans  ja  contemplation  de  la  Vert- 
té,  &  non  point  dans  les  fables,  qui  n'en  font  qu'u- 
ne image,  ainfi  qu'on  ^çs  définit  ordinairement i  » 
ii^y^  iràOl^i  HHS^i^^  iiki$etMt* 


X-5    ■    '         Chî: 


490  NoXjyiLLES  RfiFLEXioNS 


Chapithb    XIV. 

Ne»  fettfment  les  fottes  gâuni  Fefprii  de  t homme  t 
mais  ils  corrompent  fin  céur  5  ils  en  détournent 
tous  les  mçuvemens  de  fa  fin  principale  qui  efl  Dteu^ 
&  qui  eji  la  caufi  iu  plaifir  que  l'on  reçoit  de  ces 
émotions  avec  lejquellès  Pon  lit  ks  Po'étës. 

Es  Ppctcs  ne  fc  contentent  pas  d'amufcrrefprit 
'de  leurs  Ledeurs  par  une  apparence  trompcufe 
de  la  grandeur  8c  de  la  vérité,  telle  qu'on  vient 
de  le  dire  :  ils  fe  jouept  encore  de  tous  les  mou- 
▼emens  de  leur  volonté ,  &  ils  .les  détournent  de 
leur  véritable  fin  qui  eft  Dieu. 

Les  affeiftions  &  les  mouvemens  fontàramece 

Ï\c  les  pieds  font  au  corps  :  Movetur ,  dit  faint 
uguftin ,  affeélibust  ut  corpus  pedikus  :  Elle  s'en 
fert  pour  s'approcher  de.la  Béatitude ,  &  pour  s'é- 
loigner de  la'înifere. 

Or  cotnme  par  un  mouvement  naturd  qui  n' eft 
jamais  interrompu,  nous  fommes  portez  vers  le 
Souverain  bien,  nous  ne  fommes  jamais  fans  af- 
feélions.  On  aime  toujours  quelque  chofe,  &onc 
met  fon  bonheur  dans  ce  qu'on  aime  :  on  le  dcfi- 
re  par  confequent ,  on  l'admire ,  on  l'eftimc ,  on 
en  craint  la  perte,  &  oh  s'irrite  contre  tous  ceux 

Sui  veulent  nous  la  ravir  ou  en  troubler  la  poffef» 
on*:  Ton  fouflre  avec  peine  les  liens  qui  nous 
empêchent  d'agir  pour  y  arriver. 

Quand  le  cœiu  n'eft  agité  d'aucune  paffion  fen- 
fîble,  &  que  fes  mouvemens  font  comme  retenus 
&  liez,  c'eft  un  état  de  îai^ueur  &  de  contrainte; 
car  les  affeélions  par  lefquelies  Tame  agit  &  mar- 
che, pour  ainfi  dire ,  vers  fa  béatitude,  font  ac 
Cpinpagnées  de  plaiiir  ^^xSî  bien  que  toutes  lesac- 

"v  ,  lions. 


^v  »  l*Art  P  o  e  t  I  ojt  h.  Part.  L  CV,  XtV.  4$t 

tions  du  corps  ncceflaircs  à  la  confcrvation.  On 
voit,  on  entend,  on  mange  &  on  boit  avec plai- 
fir  :  ainfi  les  émotions  de  Tamour ,  fes  dcfirs ,  fcs 
efperances ,  lui  caufent  du  plaifir. 

11  n'y  a  rien  qui  foitfi  insupportable  à  Thomme^ 
&  qui  lui  donne  plus  de  trmcflc ,  que  lors  qu'il 
ne  le  prefente  point  d'objet  parmi  les  créatures  qui 
excite  &  qui  entretienne  le  feu  de  fcs  affe^ions , 
&  vers  lequel  il  puifle  fe  porter  par  eftime  &  par 
amour:  c'eft  commeunefaim  deTame,  qu'ilveut 
fatisfaire  à  quelque  prix  que  ce  foit. 

Cependant  il  n'y  a  que  Dieu  qui  puifle  nous 
rendre  heureux,  &  nous  procurer  la  béatitude  que 
nous  cherchons  avec  avidité  5  ileUTobjet  légitime 
de  toutes  nos  afFeélions;  Mais  parce  que  l'homme 
ne  peut  pas  la  pofleder  ici  d'une  manière  accom- 
modée aux  fens,  &  qu'il  veut  être  heureux  par  les 
chofes  fenfibles;il  quitte  le  Créateur  pour  les  Crea^ 
tures;  &  en  cherche  quelqu'une  dont  la  poffeffion 
puiiTe  faire  fon  bonheur. 

C'eft  en  vain  qu'il  hit  cette  recherche ,  c'eft  en 
vain  que  fon  cœur  en  cft  émû  ;  quelque  cfFort 
qu'il  fafle  il  ne  trouve  point  le  repoS  qu'il  fepro- 
pofe  :  il  fent  malgré  qu'il  en  ait  la  balfelTe  ôc  le 
néant  de  la  Créature  où  il  s'attache  :  fon  efprit  8c 
fon  cœur  s'apperçoivent  bien-tôt  qu'elle  ne  méri- 
te pas  d'être  aimée  comme  il  levoudroit,  pour  ar- 
river au  bonheur  où  il  tend.  De  là  naiflent  les 
chagrins  fi  terribles  ,  &  les  inquiétudes  fi  conti- 
nuelles des  hommes. 

Les  Poètes  fe  propofent  de  divertir  &  de  char- 
mer ces  ennuis  :  ils  croient  avoir  trouvé  le  remè- 
de à  leur  mal.  Pour  cela  ils  amufent  toutes  les 
affections  du  cœur  de  l'homme  :  ils  les  remuent  de 
forte ,  qu'il  croit  jouïr  fans  aucune  peine  du  plai- 
lir  que  l'Auteur  delà  Nature  a  attaché  aux  mouve- 
mens  de  la  volonté  de  l'homme.    C'ctt  pour  cela 

X  6  .  qu'ils 


'j^tfï  N  oirv  El  t:!^.  RiF  L  èxi:o  N--5 

qu'ils^leur  font  voir  des  objets  imaginera  pkifir^ 
&  s'ils  ne  rempliflent  pas  la  capacité  de  lame ,  au 
moins  ils  contentent  l'imagination  par  un  bonheur 
apparent.  Et  c'eft.  ce  qu'il eft  bon  .de  voir  plus  au 
long. 

Tous 'les  hommes  fouhaitcnfc  à  la  vérité' d'être 
heureux,. mais  ils  ne  s'accordent  pas  tous  du  fujct 
où  ils  doivent  trouver  ce  bonrhcur..  L'un  éta- 
blit la  félicité  dans  les  richelTes ,  l'autre  dans  les  hon-. 
neursj  celui-là  dans -les  pltifirs  du  corps..  Chacun 
tourne  les  mouvemens  de  fon  coeur  vers  le  lieu  & 
l'objet  où  il  croit  trouver  fa  félicité.-  L'avare  aime 
non  feulement  les richeffes ,  mais  illes  e(lin>c ,  & 
inéprife:la,pauyreté:.il  les-defue.,  i\  craint  de  les 
perdre  lors  qu'il  les  pofîede,  il  porte  envieàceux 
qui  font  plus  riches  que  lui;  en  un  mot  fou  cœur 
eft  tout  entier  dans  fon  trefor.  11  en  eft  de  même 
des  ambicieux  -,  &  de  ceux  qui  mettent  leur  bon- 
heur dans  les  voluptezi 

Les  Poètes  ne  peuvent  pas  faire  leurs  Lcé^curs 
riches,  leur  doiiner  des  dignitez,  &  leur  faire  goû- 
ter les  plaifirs  du  corps,  ils  ne  peuvent  que  ré  vciU 
1er  mieux  ces  idées.    Mais  ils  peuvent  entretenir 
les  mouvemens  deleurcœuren  une  manière, qui 
pareillement  a  fes  charmes.    Tousles  hommes  ont 
une  inclination  naturelle  d'amour  les  uns-  vers  les 
autres ,  par  laquelle  ils  fe  portent  à  aimer  ceux  en 
qui  ils  rencontrent  certaines  qualitez  aimaWes,  & 
avec  qui  ilsont  comme  unefympathie.    Les  hom- 
mes ne  fouhaitent  rien  tant  que  de  trouver  quelque 
perfonne  en  qui  ils  poifFent  ainfi  placer  leurs  af- 
fedions ,  &  dont  leur  cœur  foit  touché  fi  vivement  ^ 
qu'il  foit  toujours  ardent  pour  elle  ,  ifc  exempt  de 
cette  froideur  qui  déplaît  fi  fort.    Et  voilà  ce  que 
trouvent  dans  les  Poètes  ces  perfonnes  qui  ne  fa- 
vent  ce  que  c'elt  que  de  fe  rendre  heureux  par  la 
ppffcflion  du  fouyerain  bien.,  &  qui  ne  mettent 

leur 


svK  l'Art  Poêtiqtjé.  Pàrt.LCb.XÎF.  491 

leur  bon-hcur  que  dans  la  poffeffion  des  objets  fcn-» 
libles. 

Lés  Pôëtcs  par  les- beautcz ,  dont  ils  font  une 
peinture  touchante,  irritent  Tardeur  qu'ont  ce« 
perfonnes  pour  tout  ce  qui  peut  faire  une  impref- 
lion  agiffante  fur  leurs  fens.  Elles  veulent  qac l'on 
pique  de  nouveau,  comme  pour  les  r'ouvrir,  les 
plaies  qu-éïlts  ont  tant  de  fois  reçues  des  chofcs 
lenfibles.' 

Ceft  cet  état  où  faint  Auguftin  fè  plaint  qu'é- 
toit    fon  ame  ,  avic/a  contnéiu  rerum  fenfihiRum, 
G'eft  pouf  cela  que  dans  un  Poëme,  il  y  a  tou- 
jours un  Héros  &  une  Héroïne.    Le  Héros  a  tous 
les  avantages  de  corps  &  d'efprit,  pour  gagner  les 
bonnes  grâces  d'une  Héroïne.  Elle  eft  elle^-même 
im  chef-d'œuvre  des  Cieux ,  plus  belle  que  le  Soleil» 
à  qui  il  ne  manque  rien  de  tout  ce  qui  peut  ren- 
dre aimables  celles  de  fon  fexe.    Car  perlonne  ne 
concevroit  de  Teftime  pour  des  Héros  ^  pour  des 
Héroïnes  des  'Poètes ,  lî  l'on  ne  voyoit  dans  leur 
conduite  des  vertus  éclatantes ,  &  s'ils  ne  paroif- 
foicrit  exempts  déis  vices  grofficrs*,  8c  dont  pn'« 
hcftie.-    On  fait  foire  à  ces  Heros^  de  beHes  àc-      "^ 
tions  :  Ils  donnent  de  grands  exemples'de  religion 
envers  les  Dieux-,  de  pieté  à  l'endroit  de  leurpa-*; 
trie:  Us  ont  une  fermeté  de  courage  merveillèuïe^' 
une  intrépidité  incroyable  dans  les  dangers:  une 
patience  invincible  dans  les  travaux  ;  ils  font  dé- 
mens: ils  font  modéftes',  ils ^ font  honnêtes:  Et 
bien  que  toutes  ces  vertus  ne  foient  qu'un  faux* 
éclat  qui  orne  leurs  vices,  puis  qu'ils  ne  font 
point  exempts  d'ambition ,  de  vanité  ,•  &  d'un  a- 
mour  criminel  pour  les  Créatures;  cependant  ces 
vertus  colorées  font  leur  effet,  &  allument  dans 
1^  cœur  des  Leélcurs  une  forte  paiTion  pour  ces 
Héros.    On  defire  enfuite  de  fa  voir  leurs  avan- 
.  uuresj  on  s'intercffe  dans^  tout  ce  qui  les  regarde , 

X  7  & 


'494  NoiTYEttBS  REFtEXIOKS^ 

&  Tonfe  trouve  fi  étroitement  lié  avec  eux,  qu'on 
entre  dans  toutes  leurs  paffions.  On  aime  ce  qu'ih 
aiment;  on  hait  ce  qu'ils  haïffcnt :  on  fe réjoint, 
&  l'on  s'afflige  avec  eux. 

Lors  que  le  Ledleur  s'cff  une  fois  intereffé  de 
cette  manière  dans  ce  qui  arrive  au  Héros  de  fon 
Roman ,  fon  cœur  n'eft  point  froid ,  il  reflcnt  a- 
yec  plaidr  toutes  les  émotions  de»  paffions  diver* 
ifes,  qu'excitent  en  lui  les  differens  états,  par  lef- 
quels  le  Poëte  fait  palfer  ce  Héros.  Ce  qui  aug- 
mente le  jplailir  que  donnent  ces  paffions ,  ef  1:  qu'el- 
les paroiffcnt  innocentes ,  &  qu'elles  ne  font  ac- 
compagnées d'aucune  fàcheufe  diconftance. 

Ceux  qui  lifant  un  Poëme ,  croient  être  au  mi- 
lieu du  combat ,  6c  fuivre  leur  Héros  dans  tous 
les  dangers  qu'il  court,  ne  craignent  point  les 
coups  ni  la  mort.    Les  colères ,  les  jaloufîes ,  les 
haines  dont  on  efl:  agité  dans  les  affaires  du  mon- 
de, étant  évidemment  honteufes  &  criminelles, 
les  remors  de  confcience  &  les  douleurs  qui  s'f 
trouvent  jointes  ,    ou  qui  les  fui  vent ,  ne  per- 
Hdettentpas  d'y  prendre  plaiHr;  mais  dans  cesé* 
motions  que  donne  la  leaurc  d'un  Poëme ,  on  y 
yoit  une  vertu  apparente,  qui  fait  qu'on  ouvre 
volontiers  fon  cœur  à  des  fentimens  qu'on  aoit 
innocens. 

On  s'imagine  qu'il  y  a  de  la  generofîté  à  pleu- 
rer les  malheurs  d'un  illuilre  perfecuté ,  haïr  fcs^ 
«nnemis,  que  le  Poëte  ne  manque  pas  de  noir- 
cir de  toutes  fortes  de  crimes.  On  rcffcnt  une 
certaine  fatisfadion  de  ce  qu'on  aime  la  Vertu,. 
&  que  Ton  a  un  cœur  qui  n'eft  pas  infenfible: 
On  ne  condamne  point  les  mouvemens  de  ten* 
dreffe  ,  que  l'on  refTent  pour  l'Hcroine  :  car  il 
paroît  toujours  que  la  fin  de  l'amitié  que  le  Hé- 
ros a  pour  elle,  eft  un  mariage  honnête. 

La  peine  que  Ton  (ouSre  en  voyant  les  maux 

d'une 


êxrti  l'ArtPoitiqvb.  Fart.L  Cb.XlV.  495^ 

tf  uiîc  pcrfonnc  que  l'on  juge  digne  d'une  mcil- 
fcurc  fortune  y  eft  liée  par  une  union  mcrvcil- 
kufc  avec  des  fentimcns  contraires  de  joye  & 
de  douceur  :  On  pleure  avec  plaifir  des  mifere» 
^ue  Ton  ne  fouâire  point.  Cajut  * alknos  fine uilê- 
thhre  imuentibus  etiam  if  fa.  mifirkonfîa  jucundd. 
Ce  n'eft  pas  que  là  peine  des  autres  donne  de  la/ 
£itisfaâion  >  mais  on  eft  bien  aife  de  s'en,  voir  h. 
couvert^  comme  dit  Luaece*. 

Non  quo^vexart  quemquam  jueundà  vaà/ptast 
Se^  quitus  iffe  nuiiis  car  tas  ^  quia  cemere  Juav9  eJF^ 

Comme  dans  Tinflitution  de- la  nature  ces  mou- 
vcmens  font  ncceffeires  pour  garcntir  Tame  de 
quelque  chofe  qui  lui  fcroit  nuifiblc  ,.  l'Auteur 
de  la  nature  y  a  joint  un  certain  plaifir ,  ainfî  qu'à 
toutes  les  autres  adions  du  corps  ;  même  à  cçllei 
qui  fe  font  avec  quelque  violence ,  lors  qu'elles 
contribuent  à  la  fanté;  Le  travail  d'une  prome* 
aade,  par  exemple,  çarcequ'il  dt  utile  i  la  fanté,, 
|>laît  davantage  que  Tmai^ion  :.  de  même  les  émo^ 
tions  que  l'on  relTent  à  l'occafion  de  quelque  mal  ^. 
qui  pourtant. ne  peut  nuire ^  donnent  de  lafatis^ 
Eiâion. 

Auffi  eft-ce  pourquoi  les  Poëtes  r  «fin  qùeleur^ 
Leôcursne  foient  pas  privez  de  plaifirs  fembla-* 
blcs ,  font  courir  mille  périls-  à  leun  Héros.  lit* 
mêlent  leur  vie  de  differensaccidens ,  dedifgraces, 
£c  de  faveurs  de  la  fortune.  Ce  Héros  fera,  fi; 
vous  voulez  i  dépouillé  defesEtats^  ficperfecuté;; 
mais  ce  fera  oa par  fes  amis,  oa  par  fespluspro*^ 
<hes  parcns,  par  fa.  femme,  par  fes  enfans. 

Le  bonheur  qui  lui  arrive,  fera  auffi  tres-rarev 
&  tres-fingulier:  Il  remontera  fur  le  thrône  lors» 
qu'on  le  croioit  accablé  fous  le  poids  de  fa  mau- 

vaifc- 

^  Gkexoi«  Mf.  B.s.  £/.  12; 


I 


vaifc  fortune  :  Par  exemple ,  un  Prince  qui  eft  lë 
Héros  de  la  pièce ,  -après  avoir  été  long-tcms  fu- 
gitif &  vagabond;  tombe  enfin  entre  les  mains 
&  fon  père,  qui  fans  le  connoître  le  fait  prifon- 
nier;  il  le  foupçonne  de  quelque  grand  crimCi 
Ce  père  prononcc.une  Sentence  de  mort  contre 
lui,  mais  au   moment  que  Tépéc-  cft  levée  & 
prête, à  lui  trancher  la  tête,  le  père  par  un  ac- 
cident qui  furvientv  connoît  que  c'eft  ion  pro- 
pre fils.  Cette  bonne ,  &  cette  mauvaife  fortune 
tire  les  larmes  des  yeux ,  &  cette  douleur ,  ■  com- 
vat  le>  remarque  faintAugxifUn.»  eftuu  grand  plai- 
fir  ;  do/or  eft  voluptas. 
.  Quand  on  fent  toutes  ces  diflfèrentés  émotions 
<jiie  le  Poète  excite  avec  adreffe  parla  reprefcnta*^ 
tion  de  ces  accidens ,  l'on  ne  s'ennuie  point.    Les 
aflfedions,  dont  le  Ledeurfe  fent  animé,  le  trans- 
portent hors  delui- même.    Tantôt  il  fent  fon  cœur 
plein  d'un  feu  martial,  &  il  s'imagine  combattre: 
tantôt  agité  de  mouvemens  plus  doux,  il  fe  mêle 
<tons  les  intrigues  du  Héros  de  la  pièce  :  il  eft  fol- 
dtt& amoureux  avec  lui:  &  en  un  mot,  il  eft 
dans  fon  imagination  ce  qu'eft  ce  Héros  ^  &  ce 
qu'il  voûdroit  être  lui-même;  ainfi  il  n'y  a  aucun 
mouvement  de  fon  cœur  qui  ne  foit  rendu  agif- 
fent;  il  eftime,  ildeflre,  il  craint.    Il  n'y  a  point 
de  Paffion  dont  il  ne  relfente  les  agréables  émo^ 
tiens;  &  elles  le. tirent  de  lui-même  où  il  ne  trou- 
voit  que  des  motift  d'inquiétude.    Son  cfprit  & 
fon  cœur   occupez  de  ce  qu'il  lit ,  font  dans  Fétat 
le  plus  agréable  où  puilfe  être  une  perfonne  qui 
ignore  l'ufage  qu'il  devroit  en  faire  pour  aller  à 
Pieu ,  &  il  fc  contente  dejouïr  d'une  fcUcité  paf* 
fegere  6c  imaginaire.- 


C«ri^- 


*u  R  l'Art  P  rt  <  t  i  <tu  e.  Part.  I,  Ch.  XlT.  497 


Chapitre    XV. 

Lm  Poefie  ejî  une  Ecole  de  toutes  ks  PuJJhns  ^ue 
condamm  lu  Reltgiom 

L'O  N  peut  dire  que  la  Poëlîc  donne  de  conti- 
nuclîes  leçons  de  ce  qu'on  appelle  dans  le 
monde,  les  belles Paffions r  c*cftàdire,  de  Tarn-, 
bition ,  du  defir  de  la  gloire,  &  de  Tamour,  qui 
font  diredement  oppofécs  à  la  diarité. 
•  Un  homme  qui  fe  met  fouvent  en  colère,  prend- 
feu  bien  plutôt  que  celui  qui  s'applique  à  refifter 
aux  premiers  mouvemens  de  cette  Paffion.  Ceux 
qui  palTent  leur  tems  à  lire  des  Romans ,  qui  en* 
trcnt  dans  tous  les  (entimens  de  ceux  que  les  Poètes 
y  font  agir,  font  par  confequent,  pour  ainfi  dire , 
im  exercice  continuel  d'ambition,  de  vanité  & 
d'amour,  qui  font  les  Paifions  ordinaires  des  Hé- 
ros des  Poètes:  &  ces  gens  ont  fans  doute  bien 
plus  de  penchant  pour  ces  Paifions.  Ils  n'y  étoient 
que  trop  portez  par  leur  nature. corrompue;  mais 
i6  y  font  étrangement  fortifier  par  ceslcélurcs. 

Lorfquc  l'on  fouhaite  avec  paffion  que  celui  i. 
qui  on  a  donné  toutes  fes  affections,  acquière  la. 
gloire  qu'il  délire  ;  n'eft-ce  pas  une  marque  évi- 
dente que  Ton  aime  aufli  la  gloire?  Si  Fonis'afïlir 
gc  de  la  perte  qu'il  fait  defesricheffes,  ne  voit-on 
pas  par  là  rattache  qu  on  a  aux  biens  de  la  terre?' 
On  pleure  dans  la  vie  d'un  Héros  ce  que  Ton  re- 
garde comme  un  mal ,  &  ce  que  l'on  ne  voudroit 
pas  fouffrir.    L'on  cft  bien^aiie  que  le^  chofes  lui 
fticccdent ,  parce  qu  on  délire  pour  foi-même  dans  * 
une  femblablc  occalîon,  un  pareil  fuccès.. 

Ceux  qui  ont  de  l'amour,  s'affligent  lors  que  le 
Héros  cil  malheureux  dans  les  amours  :  &  com- 
me. 


49^        Nouvelles  Reflexioks 

me  plus  on  eft  engagé  dans  le  monde ,  plus  on  ai- 
me les  grandeurs  de  la  terre;  auffi  plus  on  eft 
rempli  d'ambition,  plus  on  eft  fenfible  à  Tamour 
&  aux  autres  Pallions.  On  fe  trouve  dans  la  lec- 
ture de  ces  avantures  Poétiques ,  d'autant  plus 
touché  de  ces  Paflions  qui  y  régnent  par  tout  : 
Eà  *magts  eis  movetur  quifyue  ,  quà  minus  à  talibus 
éiffeâiibus  fanus  eft. 

Il  ne  faut  donc  pas  s^étonner  fi  les  pcrfonnes 
qui  lifent  les  Romans,  reçoivent  Timpreffion  de 
tous  les  fentimens  de  ceux  que  le  Poète  y  fait  a* 
gir  &  parler ,  puis  qu'ils  y  ont  un  rapport  fi  naturcL 
Les  paroles  îdes  perjonnes  [rsffionnées  nous  troublent  et 
nous  agitent ,  quand  elles  nous  trouvent  pleins  de  la 
pajjion  et  de  la  foibleffe  de  coeur  dont  elks  froce^ 
dent. 

On  imite  toujours  avec  joye  ce  qu'on  a  vu  re- 
prefenter  avec  plaifir:  ainfi  quand  une  femme 
qui  a  coutume  de  lire  les  Romans,  fc  voit  a- 
oorée,  elle  croit  être  une  de  ces  beautei  pour 
kfquclles  les  Héros  fefont  expofezàtant  de  dan- 
gers. £n  lifant  ces  Livres  ,  elle  a  conçu  qu'il 
n'y  a  rien  de  plus  doux  que  d'aimer  &  d'être 
timé<:  :  elle  fe  rend  facilement  à  Toccafion  qui  lui 
çrefente  cette  douceur  :&  c'eft-là  le  poifon  qui 
donne  la  mort  à  la  plus  grande  partie  des  per* 
Ibnnes  de  fon  fexe. 

Dieu>  comme  on  Fa  dit,  veut  régner  fcd 
dans  le  cœur  de  l'homme  qu'il  a  fait  ;  pcrfon- 
nc  ne  peut  donc  Toffirir  à  une  Créature  ,  ott 
s'en  emparer ,  fans  commettre  un  larcin  ,  qui 
ne  demeurera  point  impuni.  C'eft  cependant  ce 
que  font  les  Héros  &  les  Héroïnes.  Les  Poè- 
tes forment  entre  eux  une  fi  belle  union  »  que  les 
uns  &  les  autres  n'offrent  des  facrificcs  &  de  l'en- 
cens à  leurs  Dieux ,  qu'afin  de  les  porter  à  foire 

reiif* 


SUR  l'Art  P 01  TtQjra.  PartJ.Ch.XV.  49^ 

réuffir  leurs  amours.  L'Heroïnc  cft  le  Dieu  du 
Héros ,  &  le  Héros  cft  ccliû  de  l'Héroïne  ;  8c 
c*eft  cet  amour  détcftablc  que  les  Lecteurs  de 
Romans  tâchent  d'imiter,  quand  ils  fe  mettent 
Tamour  dans  la  tête. 

La  leAurc  de  ces  Livres  pernicieux  ne  fait  pas 
fculvraent  naître  les  Paffions,  mais  elle  leur  don- 
ne des  armes.  Uu  ambitieux  y  trouve  des  leçons 
pour  s'élever  &  pour  contenter  fon  ambition. 
Mais  fur  tout  les  Poètes  font  ingénieux  à  trou- 
Ter  des  intrigues  pour  exécuter  les  dcfleins  a- 
moiircux  qu'ils  font  prendre  à  leurs  Héros ,  pour 
gagner  ceux  qui  s*7  oppofent,  ou  pour  le  leur 
cacher.  Ils  apprennent  auffi  l'art  de  s'exçliquer» 
&  de  dcdarer  d'une  manière  ingenicufe,  Vamour 
qu'on  a  dans  le  cœur. 

Après  une  étude  fi  pernicieufe ,  ceux  qui-s'y  font 
rendus  maîtres ,  non-feulement  ont  Telprit  &  le 
cœur  corrompu,  mais  ils  favent  encore  les  moiens 
de  faire  réuffir  leurs  mauvais  defirs.  Ainfionpeul 
dire  que  les  Poètes  &  les  faifeurs  de  Romans, 
cnfeigncnt  l'art  d'aimer ,  &  comme  dit  Ladhnce , 
par  de  feints  adultères  ik  apprennent  à  en  commet- 
tre de  véritables:  Doccnt  aduhtria  dimfngunt^ih 
fimulatis  erudiunt  ad  vera. 

Auffi  Socrate  dans  fon  Hiftoire  Ecdefiaflîquè  ; 
en  parlant  d'Heliodorc  Evêquc  de  Trîcala ,  qm  eft 


qu'on  rofcligea  dans  un  Concile»  ou  de  It» 
brûler  ou  de  quitter  fon  Eycché  ;  ce  qui  Mt 
connoître  que  Ton  a  toujours  crû  dans  f  Eglifc 
que  «cesi  fortes  d'Ouvrages  étoicnt  tres-dapçereut 


s 


CUâr 


SOO         NoUVEtlBS  Refibxior»' 


Chapitre     X.VI. 

Quand  la  Vtièfie  ntnfpîreroit  peint  de  tnauvaifis 
PaffionSi  elle  feroit  toujours  criminelle  y  pétrce 
qu'elle  rend  inutiles  tous  les  bons  mouvemens  de 

nûtre.  cœur, 

QU  AN  D  la  Pocfie  n'infpireroit  aucune  Paffion 
criminelle  ,  elle  ne  feroit  pas  innocente  ; 
car  nôtre  efbrit  n'eft  pas  fait  pour  s'occuper  de 
fables.  N'eft-ce  pas  une  véritable  extravagance 
que  de  s'interefler  dans  la  fortune  d'un  Héros, 
qui  eH  moins  c[u'un  fantôme,  de  pleurer  des  maux 
qui  ne  font  pomt ,  &  ne  pas  verîer  une  feule  lar- 
me pour  pleurer  fes  propres  maux,  qui  font  fi 
réels? 

Et  c*efl  de  quoi  iaint  Augi^in  s'accufe  devant- 
Dieu  :  J'étois  obligé ,  dit-il  en  parlant  de  fes  pre- 
mières Etudes  ,  d  étudier  les  x^aines  &  les  jabulew- 
fes  avantures  d'un  Princç  errant  tel  qu*étoit  Enée  >• 
au  lieu  de  penfer  à  mes  égaremens&à  mes  errtursy 
et  Von  vfenjtignoit  à  pleurer  la  mort  de  Dhlon ,  à 
caufe  qu*elle  s*étoit  tuée  par  u»  tranfport  violent  de' 
Jon  amour i' pendant  que  yétois  fi  miferakle  que  de 
regarder  d*un  oeil  fec  la  mort  que  je  me  donnais  à' 
moi-même  y  en   m^attacbant   à   ces  fiélions ,  &  w»V- 
ioignant  de  vous 9  S  mon  Dieu  l   qui  êtes-  ma  "Vie» 
Car  y  a-t-il  une  plus  grande  mifere  que^dêtremife-. 
%able  fans  rfconnoitre  et  fans  plaindre  foi-Jhtême.fa 
propre  mi/erei  que- de  pleurer  la  mort  de  Didon:^Ja< 
quelle  eft  venue,  d^  V excès  de  Jon  amour  pour   Enfe^ 
et  de.  ne  pleurer  pas  fa  propre  mort,  qui  .nifjv^  du 
défaut  É^amour  pour  %f oust 

Tenere  cogebar  nefcio  cujus  erroresy   oblitus 
$rrorym  meorumy  &  plorm-e  Didonem    mortuam, 

qtêia 


Bv%  l'Art  Poétique.  Pgrt.i.Çh.  XVL  501 

^uiit  Je  9€cidi$  $h  amorem ,  càm  intéreà  meipfum 
in  bis  à  te  fnûrientemy  Deut  vita  mea  >  Jîccis  qcU" 
lis  ferrent  miferrtmui,  Si^ifl  enim  miferius  miferê 
non  mijerante  feîfftm ,  é*  Jlente  Didonis  mortem  , 
qu£  fiebat  antando  Mneam^  non  fiente  autan  mor* 
tem  Juam»  quje  fiebat  non  smando  tef 

Elt-ce  pçur  des  phantômes  que  Dieu  z  impri- 
mé dans  nàtre  cœur  toutes  ces  différentes  affec- 
tions d'cftimc  &  d'amour;  ou  pour  nous  attirer 
à  lui, -qui  efl  n^tre  centre ,' comme  nous  avons 
dit ,  &  nous  feparcr  des  créatures ,  aufquelles  nous 
ne  nous  pouvons  attacher  fans  nous  priver  de  nôtre 
félicité?  Il  a  fait  nôtre  cœur  capable  d'eflimer  & 
de  haïr ,  d'cfperer  &  de  craindre ,  afin  que  nous 
cftimaflions  fcs  divines  perfedlions,  &  que  nous 
jnéprifaffions  le  néant  des  Créatures ,  que  nous 
nous  éldvaffions  vers  lui  par  nôtre  amour,  en 
nous  éloignant  par  un  mouvement  de  haine  de 
tout  ce  qui  nous  peut  feparer  de  lui,  que  par 
nôtre  eiperance  nous  nous  uniffions  à  lui ,  nous 
détachant  par  la  crainte  de  tout  ce  qui  empêche 
cette  union. 

Qnarid  je  jette  les  yeux  fur  ceux  qui  fe,laiflent 
émouvoir,  par  ce  quwlifent.daos  un  Roman,  & 
qu'ils  font.frQids  dans  Vaffaire  de  kur  falut ,  il  me 
lemMe  voir  des  perfonnes ,  qui  étant  pourfuîvies 
f3ii  des  ennemis,  au  lieu  de  fuir  8c  de  clicrcher 
un  aille,  «'amufcroient  à  confîderer  un  parterre 
fcroé  de  fleurs. 

La  Poëiie  amûfe  ainfi  toutes  les  faihtès  affec- 
tions de  nôtre  cœur ,  ou  les  détournant  vers  des 
chofes  criminelles  ou  des  b^igatellQS,^  de  forte  que 
par  là  ces  bonnes  aflfeétions  font  abîblument  in- 
utiles. Une  femme,  par  exemple,  qui  eft  ac- 
coutumée à  ces  mariages  de  Roman,  ne  trou- 
vant point  toutes  ces  quahtez  feintes  &  imagi- 
naires des  Héros  dans  ^on  mari ,  elle  n*eft  pas 
f&it  4ifpofée  à  Taimer.  Ceux 


501      NouvitLEs  Réflexions,  &CU 

Ceux  qui  reffcntcnt  plus  vivement  des  fcntimdn 
de  compaffion  en  lifant  cesaccidens  ^funeftcsqui 
anivent  dans  les  Tragédies ,  font  peu  touchez  des 
miferes  ordinaires  des  hommes,  parce  qu'ils  n'y 
trouvent  rien  qui  arrête  leurs  y  eux,  &  qu'ils  ne 
font  pas  accQÛtumei  d'être  émus  par  des  acci- 
dens  commun^ 

S'ils  font  richds  &;  d'une  condition  relevée ,  ils 
teulent  exécuter  toutes  les  folles  entreprifes  dont 
ils  ont  lu  les  defcriptiohs ,  Redevenir  eux-mêmes 
des  Héros. 

S'ils  font  mifcrables  &  qu'ils  foient  perfccutez; 
au  plus  profond  de  leur  b^flefTe^  ils  s'enflent  d'or- 
gueil 5  ce  comme  ils  ont  autrefois  admiré  les  tra- 
vaux de  leurs  Héros,  la  grandeur  de  leur  cou- 
rage dans  leurs  maux  ,  dont  toute  la  terre  s'cft 
entretenue ,  ils  s'imaginent  quela  perfection  qu'ils 
fouflfrent  les  expofe  aux  yeux  de  tout  le  monde, 
&  que  l'on  plaint  partout  leur  mifere;  ainiî  bien 
loin  de  recueillir  aucun  fruit  des  peines  que  la 
mifericorde  de  Dieu  leur  avoit  envoyées,  com- 
me des  moiens  pour  fe  garantir  de  celles  de  l'E- 
ternité; qui  font  dues  à  leurs  qimes,  ils  ne  les 
foufirent  que  pour  fe  rendre  plus  coupables ,  & 
pour  exciter  davaûtage.  farColerel\r 

On  ne  fait  donc  autre  chofc  par  la  ledure  des 
Romans  &  des  Poètes ,  que  contraéïer  un  certain 
cfprit ,  qui  ne  fe  repaît  que  de  vaincs  idées  & 
de  chimères,  &  qui  nous  éloigne  de  plus  en  plus 
de  la  fin  o\x  nous  devons  tendre. 


fh  de  la  première. Parfit. 


MOU- 


Pag.  jo] 


NOUVELLES 

REFLEXIONS 

SUR 

L'ART  POETIQUE. 

SECONDE  PARTIE. 


Chapitre  Pkemiek. 

Laf».d*  PArl  ftHiqut  tfi  Jifla'm;  Su  rigks gt- 

nértksft  redmfint  <■  quatrt  prï^ciinUs.    Qa  pri' 

p*fi  Us  Aux  prtmierit ,  favtir  It  cb»ix  dt  ia  im- 

tiert,  ir  fimiUtUm. 

^£S  règles  que  l'Art  Poëtrauc  preicrif; 
j  ne  tendent  qu'i  engager  les  nommei 
I  dans,  h  leâure  des  Prêtes  par  \c  plai- 
9  fir  qu'ils  y  trouvent.  Pouc  examiner 
cette  propoûrîQn.i  pu  Uwelle  nous 
commençona  la  fccondePïrlie  ae  nos.Reflesions , 
nous  desoiû  confidejei  que'  tontes  lÈs  chtrfcs  qui 
pUifent  daai  Ics  PoetCî ,  fc  pCUTCBt  làdiûrc  à  qua- 

tteUuft. 

-  ■■        Pre- 


504        l*^ovviLi£s  Reflexions 

Premièrement,  la  Poëfie  eft  agréable,  en  ce 
qu'elle  ne  choifît  pour  fa  matière  que  des  chofes 
rares,  dans  lefquelles  on  voit  une  certaine  ima- 
ge de  grandeur^  ce  que  nous  aimons ,  parce  qu'é- 
tant faits  pour  un  Etre  fouveraincment  grand, 
nôtre  nature  nous  porte  à  aimer  tout  ce  qui  a  quel- 
ques traits  de  cet  Etre. 

Les  Poètes  plaifenten  fécond  lieu^  parce  qu'ils 

imitent  la  vérité ,  &  que  toute  imitation  divertit. 

En  troifiéme  lieu,  ils  flatent  nos  inclinations, 

6c  ne  difentricnquedc  conforme  à  nos  fentimens , 

&  c'eft  ce  que  nous  recherchons. 

Enfin  ils  remuent  nos  pallions:  Or  toutes  leurs 
émotions  font  douces ,  quand  elles  ne  font  point 
accompagnées  ni fuivies cf'aucun  fâcheux  accident: 
Ainfi  c'ell  par  ces  quatre  voies  que  les  Poètes  par- 
viennent à  leur  fin  principale  de  plaire. 

Pour  donner  donc  quelque  connoiflance  de TArt 
Poétique ,  nous  ferons  voir  comment  les  Poètes 
fuivent  leurs  règles ,  pour  éblouir  leurs  Ledeurs 
par  la  grandeur  des  chofes  qu  ils  propofent ,  pour 
les  enchanter  par  une  image  de  la  Venté ,  pour  les 
gagner  en  ne  difant  rien  qui  foit  oppofé  à  leurs 
inclinations ,  &  pour  exciter  dans  leur  cœur  tou* 
tes  les  Pafïïons  qu'ils  font  bien-aifes  d'j  fcn- 
tîr. 

Les  Maîtres  de  l'Art  ne  peuvent  prefcrire  de  re- 
^s  pour  la  premiere.chofe,  qui  eft  le  dioix  d'une 
riche  matière  :  Ce  n'eft  point  l'Art  ni  l'Etude  qui 
donnent  aux  Poètes  cette  fécondité  d'imagination, 
.par  laquelle  ils  voyent  par  toutes  leurs  foces  les 
chofes  qu'ils  traitent ,  &  qui  leur  donne  moyen 
dans  une  û  grande  abondance;  de  fafre  choix  de 
'ce  que  Ton  en  peut  dire  de  rare  ôc  de  .grand, 
&  qui  par  fa  vivacité  fait  qu'ils  tournent  ce  qu'ils 
s'imaginent  en  mille  manières  incoriniies  à  ceux 
qui  ont  une  imagination  grofiderc  &c  pcTante. 


svvi  l'Aut  Poétique.  Part.  17,  Cb.L  505- 

Il  eft  anffi  ncccflairc  fur  toutes  chofcs ,  oue  la 
Nature  ait  donné  à  un  Poëte  beaucoup  de  ju- 
gement, pour  faire  un  bon  ufage  des  ridieflcs  de 
fon  imagination ,  &  pour  en  régler  le  feu  ;  au- 
tremait  fes  inventions  &  fes  manières  de  dire 
les  diofes,  font  extravagantes  5  ce  qui  arrive  par- 
ticulièrement à  ceux  qui-  n'ont  point  d'autre 
Science  que  celle  de  rimer,  &  qui  n*ont  point, 
cultivé  leur  efprit  par  une  étude  plus  ferieufe  que 
celle  de  la  Poëfie.  » 

Homère  &  Virgile  étoient  exccllcns  Philofo-' 
phes,  c*eft  pourquoi  ils  ne  s'égarent  prefque  ja- 
mais; la  Raifon  les  guide  partout,  ils  ne  s'aban- 
donnent point  à  ces  faillies,  qui  font  une  e^ 
pecc  de  nevre  chaude  &  de  délire,  qui  font  di- 
re cent  diofes  impertinentes  à  ceux  qui  s*yiaif- 
fent  aJlcr. 

La  plupart  des  Poètes  perdent  le  tems  danj 
des  defcriptions  ennuyeufes  &  hors  de  propos. 
Ils  s'arrêtent  où  ils  devroient  courir  :  Ils  paiîent 
fous  filence  ce  qu'ils  devroient  expliquer  avec  é- 
tendue.  11  eft  bon  que  les  Maîtres  faffent  remar- 
quer ces  endroits  aux  jeunes  gens ,  pour  les  ac- 
coutumer à  bien  juger  de  ce  qu'ils  lifent,  &  qu'ils 
leur  inculquent  ces  belles  maximes,  que  les  cho- 
ies qui. font  hors  de  propos,  qui  font  contre  la 
bienfeance  &  contre  la  Vérité  &  la  Raifon,  ne 
doivent  pas  être  eftimées,  quoi  que  l'Auteur  qui 
les  a  trouvées  &  qui  les  a  dites ,  paroifTe  avoir  de 
r efprit  :  autrement  les  Poètes,  qui  peuvent fer\ir 
à  éveiller  l'imagination  de  la  jeuneffe,  corrom- 
pront fa  Raifon.  •  U^Ui 

Car  on  ne  peut  nier  que  plufieurs  ne  pouffent 
trop  loin  la  hberté  dont  la  Poëfic  leur  donne  droit 
d'ufer.  Souvent  il  n'y  a  pas  plus  de  rapport  entre 
ce  qu'ils  difcnt,  qu'entre  les  longes  d'unjnalade; 
Us  nefavent  ce  que  c'eit  que  depeiadccles  cho- 

Y  fes 


5o6  NouYSiLEs  -Rbflexxoms 

fes  dans  un  état  naturel  Se  dans  la  proportion  &Ia 
grandeur  qu'elles  doivent  avoir  :  ils  Içs  font  toutes 
monftrucuîcs ,  &  quelque  petites  &  ordinaires  qu'd- 
les  fuient,  ils  parlent  d'eUes  comme û  elles étoicnt 
extraordinaires  8c  prodigieufes.  Il  ell  vrai  qu  on 
voit  du  feu  &  de  ta  hardieiTe  dans  leurs  Ouvrages 
c*cft  pourquoi  pour  leur  donner  le  fufirage  qu'ils 
méritent ,  il  faut  dire  que  leurs  Poëfies  font  lem- 
Uables  à  ces  grotefques  agréables  que  font  les  Pein- 
tres» lorfque  ne  s'affujettifTanc  à  aucun  defleiD* 
ils  fuivcnt  feulement  leur  caprice. 

La  Poëfie  eft  une  imitation  des  aâians  des  hom- 
mes, de  leurs  paroles  6c  de  leurs  mœurs.    Afin 
que  cette  imitation  foit  exa<fle ,  il  faut  que  les  Poè- 
tes ,  comme  ils  ont  coutume  de  le  faire ,  hSent 
agir  ôt  parler  ceux  qu'ils  introduifent  dans  leurs  Ou- 
vrages ,  conformément  à  leurs  mœurs.  Pour  cela 
les  Maîtres  ont  foin  de  rapporter  avec  étendue  les 
mœurs  des  hommes  :  ilsparcourenttouteslescon- 
ditions  &  les  divers  âges  de  la  vie ,  6c  fontremar- 
quer  quelle  eil  la  manière  d'agir  de  ceux  qui  font 
d'une  telle  condition ,  d'un  tel  âge  ;  ce  que  font 
les  jeunes  gens,  comment  agiifent  les  vieillards. 

Quoi  qu'il  n'y  ait  point  d'homme  qui  foit  tou- 
jours le  même ,  6c  que  ceux  d'un  même  état  ne 
foient  pas  tous  femblables,  il  y  a  néanmoins  un 
certain  caradere  qui  diftingue  chaque  âge  ôc  cha- 
que condition ,  6c  qui  en  &it  connoître  l'humeur 
6c  la  manière  ordinaire  d'agir. 

C'eft  dans  l'expreilion  de  ce  caraâere  que  les 
Poètes  font  paroure  cet  art  d'imiter  quieftudiar- 
mant.  Ion  qu'il  eft  bien  obfervé.  Je  ne  m'arrête- 
rai pas  à  parler  de  ces  caraâeres;  car  outre  qu'Â- 
tifioteTa  déjà  fidt  dans  fa  Rhétorique»  6c Horace 
dans  fon  Art  Poétique  »  je  ne  aoi  pas  que  les  Li- 
vres foient  necefifaires  pour  acquérir  ces  connoif- 
fimces,  on  Ici  trouve  en  foirmemcr  &  le  monde 

cft 


SUR  l'ArtPobtiqjji.  PartJLCklL    507 

cft  un  excellent  Livre  pour  cela,  il  ne  faut  qu'étu- 
dier fes  adions  &  fes  paroles. 

luts  Maîtres  rapportent  au  Chapitre  des  Mœurs, 
ce  qu'il  eft  neceuaire  d'obferver  pour  foire  qu'une 
invention  poétique  foit  vrai-femblable  ;  ils  aver- 
tiflent  qu'il  ne  fout  rien  dire  qui  foit  contraire 
à  ce  que  Ton  a  une  fois  avancé,  à  .une  vérité 
connue,  6c  à  ce  que  la  Raifon  nous  enfeignc 
manifeflement. 

Il  fout  prendre  garde  fur  tout  de  ne  pas  pro-^ 
pofer  des  chofes  comme  véritables ,  dont  Ter- 
reur peut  être  apperçue  par  les  Sens.  LeMeirfon- 
ge,  comme  nous  avons  vu  ,  ne  peut  être  agrea- 
we,  s'il  n'a  l'apparence  de  la  Vérité;  c'eft-a-cK- 
re ,  fî  l'on  ne  croit  en  quelque  manière  que  ce 
que  le  Poète  dit  eil  véritable.  C'eft  pourquoi , 
(Hon  Ariïlote  ,  il  fout  avoir  plus  d'égard  à  la 
vrai-femblance  qu'à  la  vérité  même;  car  il  7  a 
des  chofes  qui  font  très-veritables,  que  les  hom- 
mes ne  peuvent  croire  ,  parce  qu'ils  mefurent 
.toutes  chofes  à  leurs  opinions  :  ainfî  pour  leur 
traire  &  obtenir  d'eux  qu'ils  croient  ce  qu'on 
leur  dit,  l'on  tie  doit  expofer  à  leurs  yeux  que 
ce  que  leurs  préjugez  leur  perfuaderont  êtrepof- 
fible  6c  vraifemblable. 


Chapitre    II, 

Régies  que  futvent  les  Poètes  pour  flatter  les  /»- 
cUnat'umseles  hommes ^  et  four  remuer  leurs  faf» 
fions. 

T  E«  Poètes  doivent  foire  paroître  fi  clairement 
"•^quelles  font  les  inclinations  de  leuiS  perfon- 
nages,  que  les  Leéteurs  apperçoivent  dèslecom- 
mencetneàt  de  la  Pièce  ce  qu'ils  femnt  dans  la 

y  1  CviL-. 


5cS  Nouvelles  Réflexions 

fuite  :  &  c'cft  ce  qui  contribue  à  leur  rendre  yni- 
femblable  ce  qu'on  leur  propofe ,  &  leur  donne 
vnc  fecrette  fatisfoétion  de  ce  que  les  chofes  ont 
eu  le  lucccs  qu'ils  avoient  prévu. 

Auffi  fi  ces  perfonnages  ^iffent  en  quelque  cho- 
fe  autrement  qu'Os  n'ont  accoutumé,  il  faut  que 
le  Poète  izSc  connoitre  la  caufe  de  ce  changement 
Nous  approuvons  toujours  ce  qui  convient  à  nos 
inclinations  5  nous  aimons  ceux  qui  font  de  nôtre 
humeur.  Ainft  les  Poctes,  qui  regardent  comme 
leur  principale  fin  »  la  fatisfadion  de  leuts  Lec- 
teurs, donnent  de  bonnes  inclinations  à  leurs  j^- 
miers  perfonnages  ,  qu'effe<fiivement  nous  avons 
tous  naturellement  de  l'amour  pour  la  Vertu,  & 
de  l'horreur  pour  le  Vice.  L'on  ne  pi eureroit point 
la  mort  de  Didon,  fi  Virgile  dans  les  premiers  Li- 
vres de  fon  Encïde  ne  l'avoit  fait  paroître  très- 
vertueufe,  &  ne  lui  avoit  donné  toutes  ces  excel- 
lentes qualitez  qui  gagnent  les  cœurs  «  &  qui  font 
qu'on  cil  affligé  de  voir  ime  grande  Princcflc  ré- 
duite au  defefpoir  par  une  Pafidon  qui  femble  in- 
nocente ,  puilque  fa  fin  étoit  un  mariage  honnête. 

Sencque  ♦  rapporte  qu'Euripide  dans  une  de 
fes  Tragédies ,  ayant  donne  des  louanges  à  l'Ava- 
rice ,  tout  le  Peuple  d'Athènes  fe  leva ,  &  auroit 
chalTé  l'Adlcur  qui  les  récitoit ,  fi  Euripide  n'eût 
paru  fur  le  Théâtre,  &  ne  les  eut  priez  d'écouter 
la  fuite  de  la  Pièce  pour  apprendre  quelle  foi  fe* 
roit  cet  admirateur  des  richeflcs. 

Les  Poètes  qui  entreprennent  de  flatcr  nos  in- 
clinations ,  comme  nous  avons  vu ,  en  mêmetems 
qu'ils  ornent  leurs  Héros  de  tant  de  bonnes  quali- 
tez ,  ne  les  exemtent  pas  néanmoins  des  deftuts 
aufquels  ceux  qu'on  appelle  honnêtes  gens  dwisle 
monde  ,  font  fujets.  C'efl  pourquoi  quand  les 
Maîtres  de  l'Art  Poétique  traitent  cette  queftioni 
fi  le  Héros  de  la  Pièce  doit  être  honnête  homme» 
*  Ef.\\%.  ils 


k 


»  tr R  l'A  R  T  P  o  B  T I  <^u  E.  Part.  IL  Cb.  IL'  <dO 

•         \ 
ils  répondent  qu'il  le  doit  être  :  mais  comme  nous 

Favons  déjà  remarqué,  ils  prennent  pour  honnête- 
té une  certaine  alliance  monftrueufe  de  la  Vertu 
&  du  Vice  que  nous  aimons,  parce  que  nous  fom- 
mes  bien-aifes  de  jouir  en  effet  des  plaifîrs ,  &  d'a- 
voir pourtant  les  apparences  de  la  Vertu,  fans  tom- 
ber dans  les  infamies  &  les  remords  de  confcicn- 
€C.  Suivant  cette  idée  de  Thonnêteté  que  ces  Maî- 
tres fe  propofent ,  ils  font  un  détail  des  mœurs  que 
doivent  avoir  les  Héros ,  &  que  nous  ne  rappor- 
terons pas  ici  :  Car  outre  qu'on  ne  fait  que  trop  en 
quoi  confifte  Thonnêteté  du  monde  ,  s'il  étoit 
queltion  de  propofer  un  modèle  parfiait  d'un  véri- 
table Héros ,  je  conf»alterois  Jésus  Christ  ,  &  }c 
fcrois  voir  par  des  raifonnemens  que  je  crois  être 
des  démonltrations ,  qu'il  n^y  a  que  ceux  qui  fui- 
rent fes  maximes  qui  foient  grands  :mais  celade- 
manderoit  un  long  difcouis,  que  la  matière  qu'on 
traite  ne  permet  pas  d'entreprendre  ici. 

Ceux  qui  veulent  enfeigner  les  Lettres  Humai- 
nes d'une  manière  Chrétici^c,  y  pourront  fup- 
pléer,  &  ils  ne  doivent  pas  manquer  de  le  faire, 
•fin  que  leurs  Difciples  ne  fc  rcmpliflent  pas  des 
làuffes  maximes  de  la  Morale  conompuc  des  Poè- 
te». 

Toute  l'étude  des  Poètes  tend^particuHerement 
à  faire  leurs  Héros  tels  que  nous  voudrions  être  : 
c'eft  pourquoi  comme  il  n'y  a  point  de  vertu  qui 
contente  davantage  l'ambition  que  nous  avons  de 
commander  &  de  paroître  grands ,  que  l'intrépi- 
dité &  k  force ,  ils  n'oublient  point  cette  vertu 
dans  l'idée  qu'ils  forment  d'un  Grand-homme , 
conformément  à  l'opinion  &  aux  delirs  des  gens 
du  monde  it  qui  ils  veulent  plaire. 

Ils  font  aufu  leurs  Héros  fort  pieux,  cequin'eft 
point  oj^pofé  au  deflein  qu'ils  ont  de  flatter  nos 
mauvaifes  inclinations  :  ils  y  font  obligez ,  parce 

Y  3  que 


5XO        NouTEiLEs  Réflexions 

que  ces  grands  Hommes  ne  pourroient  être  cfti- 
mei,  s'ils  n'avoient  du  refpeél  pour  les  Dieux. 

On  craint  Dieu ,  &  on  Teftime  naturellement  : 
ce  qui  fiait  qu*on  a  une  haute  idée  de  ceux  qui  en 
font  chéris  &  protégez  :  de  forte  qu'au  fentiment 
des  hommes,  il  nous  efl  plus  glorieux  de furmon- 
.  ter  un  péril  par  un  miracle  que  le  ciel  fait  en  nô- 
tre faveur,  que  par  nôtre  adreffe. 

Ceft  pourquoi  ce  n*eft  pas  une  faute  à  un  Poè- 
te ,  après  avoir  fait  paroître  fon  Héros  dans  un 
grand  danger,  de  l'en  tirer  par  un  miracle,  puif- 
que  cela  contribue  à  établir  la  réputation  du  Hé- 
ros dans  Tefprit  du  Ledeur,  ce  qu  il  regarde  com- 
me fa  principale  fin. 

Mais  ce  n*eft  pas  cette  feule  raifon  qui  porte  les 
Poètes  à  faire  les  Héros  fi  rehgieux ,  &  à  feindre 

2ue  les  Dieux  les  accompagnent  dans  tous  leurs 
angersj  qu  ils  leur  foumiuent  des  armes,  &  qu'ils 
combattent  pour  leur  défenfe  :  Us  font  ces  fic- 
tions pour  plaire  aux  hommes,  qui  font  troublez 
dans  leurs  oefordres  par  la  crainte  d'un  Dieu  van* 
geur  des  péchez  qu'ils  commettent  :  de  laquelle 
crainte  ils  les  délivrent  en  leur  reprefentantquede 
grands  hommes  aimez  des  Dieux ,  ont  fait  ce  qu'ils 
font,  &  outre  cela  le  Peuple  fe  plaît  à  tous  ces 
miracles. 

L'on  ne  conçoit  rien  de  plus  grand  oue  Dieu, 
ni  dç  plus  admirable  que  fes  effets.  Ainu,  comme 
Pon  aime  ce  qui  eH  grand  &  ce  qui  n'eft  pas  or- 
dinaire ,  on  prend  plaiiir  à  entendre  parler  de  la 
Divinité ,  loilque  ce  que  l'on  en  dit  m  fublime  : 
Ceft  pour  cela  que  le  Poëme  oùPonne  voit  point 
)es  Dieux  mêlez  avec  les  ^onunes  ne  divertit  pas, 
félon  le.  jugement  de  la  plupart  du  monde. 

Les  hommes  ne  veulent  pas  néanmoins  que  l'on 
'  les  entretienne  d'une  Divinité  fpirituelle,  dans  la- 
quelle Ton  n'apperçoive  rien  que  de  grand  &  de 
majeftueux»  &  qui  n'ait  aucun  rapport  fenfîble 

avec 


SUR  l'Art  P o e t i qu b.  P/ir/.  //.  Cb.  IL  511 

avec  leurs  mœurs  &  leurs  inclinations.  Ccftpour 
quoi  les  faintes  Ecritures  ne  leur  plaifent  pas;  car 
ils  n'y  voient  qu'un  Dieu  faint,  «qui étant exemt 
de  toutes  les  taches  du  péché,  eft  ennemi  des  pé- 
cheurs :  ils  s'accommodent  bien  mieux  des  Dieux 
du  Paganifme ,  d'un  Jupiter  adultère ,  d'an  Mars 
cruel,  d'un  Bacchus  yvrogne,  &  d'un  Mercure 
Yoleur. 

Ces  Divinitez  ne  les  éblouïffent  point  ;  &  c'eft 
pour  cette  raifon  que  les  Poètes,  qui  ne  regardent 
aue  la  fatisfadion  de  leurs  Ledcurs ,  comme  la 
nn  de  leur  art,  fe  font  une  loi  de  faire  entrer 
dans  leurs  Vers  les  Dieux  de  la  Gentilité,  &con- 
fiderent  les  Fables  comme  le  plus  bel  ornement  de 
laPoëfle^  parce  qu'elles  parlent  des  Dieux,  & 
que  ce  qu'elles  en  difent  flate  nôtre  cupidité. 

Pour  enfçigner  méthodiquement  comment  l'on 
peut  remuer  les  Paffions ,  u  en  faudroit  faire  le  dé- 
nombrement, &  marquer  en  particulier  quel  eft 
ITobjet  de  chacune,  &  par  qudtle  caufe  eUe  eft  ex- 
citée; mais  cela  demanderoit  im  Traité  entier  , 
qui  appartient  à  la  Philofophic. 

On  remarquera  donc  feulement  que  c'eft  en 
Tain  qu'un  Poëte  prétend  émouvoir  fes  Ledeurs , 
s'il  ne  les  difpofe  auparavant  à  recevoir  les  Paf- 
fions qu'il  veut  faire  naître  dans  leurs  amcs. 

L'on  n'entre  point  tout  d'un  coup  dans  des  tranf- 
ports  d'admiration  &  d'eftime,  pour  des  chofes 
qu'on  ne  connoit  point.  C'eft  pourquoi ,  outre 
qu'un  Poè't-e  pèche  contre  la  modeftie  lors  qu'il 
commence  un  Ouvrage  avec  des  termes  élevez , 
qui  marquent  la  trop  grande  ettime  qu'il  en  fait  » 
il  eft  certain  qu'il  ne  peut  que  refroidir  fes  Lec- 
teurs, qui  font  furpris  de  voir  un  homme  entrer 
d'abord  dans  destranfports,  fans  leur  faire  connoî- 
trc  qu'il  en  a  fujet. 

Nôtre  cœur  eft  fkit  dé  telle  manière»  qu'il  prend 

Y  4  des 


511     Nouvelles  REFLExioKf 

desPaflîons  oppofées  à  celles  que  nous  n'approuvons 

{)as  :  au  contraire  nous  entrons  naturellement  dans 
es  fentimens  de  ceux  avec  qui  nous  vivons,  lorf- 
que  nous  les  croions  raifonnables ,  6c  nous  reflen- 
tons  tous  les  mouvemens  dont  ils  paroiffcnt  tou- 
chez :  ainfi  on  voit  bien  ce  qu'un  Poète  doit  faire 
pour  exciter  les  Paffîons. 

Nous  avons  remarqué  dans  TArt  de  parler,  que 
comme  elles  fe  peignent  fur  le  vifage ,  elles  ont 
auffi  des  figures  dans  le  difcours;  c'efl  à  TArtde 
parler  de  traiter  de  ces  figures.. 

Les  Poètes  n'expriment  pas-  toujours  heurcufr 
ment  les  Paflions,  parce  qu'ils  n'en  étudient  pas 
toujours  la  nature.  Ils  font  faire  par  exemple  i 
une  pcrfonne  Qu'ils  reprefentent  dans  letranfpoit 
de  la  colère,  ces  raifonnemens  6c  des  réflexions 
morales,  comme  feroit  un  Philofophe  qui  mé* 
dite  tranquillement  dans  fon  cabinet,  6c  qui  s'ap- 
plique avec  foin  à  trouver  des  fentences. 

Nos  Pailioas  ne  nous  permettent  pas  de  nom 
arrêter  long-teras  à  une  même  penfée;  elles  nous 
tranfportcnt  &  nous  agitent.  Se  nous  interrom- 
pant à  chaque  parole,  elles  nous  font  dircprcf- 
qu'en  un  moment  cent  chofes  toutes  oppofées: 
ainfi,  puifquon  ne  peut  exciter  dans  le  cœur  des 
autres,  que  les  Paflions  dont  on  paroît  animé, 
U|i  perfonnage  qui  fait  le  Philofophe,  &  qui  par 
conj'equent  paroît  tranquille,  n'échauffera  jamais 
ceux  qui  le  voient. 

Tout  ce  qui  n'augmente  pas  le  mouvement 
d'une  Paffion,  la  ralentit;  c'ell  pourquoi  lors 
qu'on  veut  que  le  Ledtcur  jouïfTe  long-tems  de 
la  douceur  de  l'émotion  qu'on  lui  a  caufée,  il 
faut  éviter  toutes  les  digreffions  qui  lui  fc- 
roient  perdre  de  vue  l'objet  qui  l'a  fait  naître; 
il  faut  enchérir  pardeflus  ce  que  l'on  en  a  dit, 
^  fi  la  necciîiic  oblige  de  parler  de  quelqqcau- 

trc 


aiTTR  l'Art  Px)îrî<iUB.  Part.JLVb.JII.  513 

tre  diofc,  il  faut  le  faire  fi  vite,  que  fon  feu 
n'ait  pas  le  tems  de  fe  rallentir. 

Ainii  c'eft  une  gi*ande  faute  lors  qu'on  décrit 
un  combat ,  &  que  le  LeAeur  commence  à  s*é- 
chauflFer,  d'éteindre  fon  ardeur,  &  de  Tennuyer 
par  une  defcription  longue  &  inutile  des  roiies 
du  chariot  fur  lequel  eft  monté  le  Héros.  De- 
puis que  les  armees^  font  une  fois  aux  mains ,  il 
ne  fe  faut  pas  avifer  de  faire  tenir  des  confé- 
rences entre  les  Capitaines  ennemis  :  car  outre 
oue  la  vraifemblance  eft  choquée  en  cela»  ces 
aifcours  hors  de  propos  ôtent  infailliblement  au 
Leéleur  toute  cette  ardeur  qui  l'avoit  fiiit  en- 
trer avec  plaifir  dans  la  defcription  de  ce  corn- 
Irat 


Chapitre    III. 

La  Po'èjte  eft  plus  dangereufiy  lorfque  les  règles  dt 
PArt  font  mieux  obfervées.  Règles  particulières 
dt  funité  d'arien, 

m 

T  'On  ne  peut  comprendre  facilement  pourquoi 
*^les  Poëfîes  prophancs  font  d'autant  plus  dan- 
gereufes  qu'elles  font  plus  travaillées  &  com- 
pofées  félon  les  Règles  de  TArt.  Quand  les  in- 
ventions d'un  Poète  font  rares ,  elles  nous  font 
bien  plutôt  oublier  la  véritable  grandeur,  dont 
elles  nous  prefentent  une  vaine  image. 

Dans  un  Poëme  où  la  vrai-fcmblance  eft  gar- 
dée ,  &  où  tout  eft  aufli  exaélement  obfervé  » 
rien  ne  nous  détrompe  &  ne  nous  fait  remar- 
quer que  le  Poëte  fe  joiie  de  nôtre  curiofité. 
Quand  il  nous  a  unis  avec  fes  perfonnages  par 
les  liens  d'une  étroite  fympathie,  en  leur  don- 
nant les  qualitez  que  nous  aimons  >  nous  en- 

Y  5  trons 


ft4  Korrf  lut  1tsrx£Tio«« 

tzcstf  ptiB  TÔkmasi  àca  toizs  lenrs 


&  liom  époixTozis  toutes  leurs  Pxffîaxs  : 
éaat  la  Rdipoo  sans  ordonne  de  les  basmr 
f>6tre  ame,  &   de  fermer  arec  foin  toms 
areméf  par  on  elles  peurenî  t  ectrcx. 

Ud  Pc^cte  hahDe  dcomc  tast  de   feu  à 
doDî  il  peint  ks  maureœccs,  cju^il   cfi  iiinxi&l 
bie  qa'en  même  tems  que  cous  ibmmes  Lai) 
eux  par  le  plaifir,  sous  ne  (biosis  auffi  bràjcl 
des  mémei  fiimœes. 

Ajoàtons,  que  plus  un  Poète  a  d*é3cK 
plus  Tes  vers  fom  harmonieux,  &   plus  £  àsl 
des  impreiOons  vives  &  profondes  fur  IcscS^œ 

Que  perfonne  ne  s'y  abufe,  &  ne  difc  qu'il  s't 
a  que  les  efprits  foibies  fur  qui  la  Poê£e  pmfi 
faire  de  fi  fortes  impreflions;  la  manière  dont  je 
Poètes  trompent,  ne  touche  point  ceux  qui  fcs 
eroifierSy  mais  elle  cauiê  jes  émotions  vives,  de-  , 
Gcates  &  imperceptibles  en  toutes  les  peifoLzes 
qui  ont  l'i  magination  agifiânte  &  facile  ;  d'où  vieot 
que  le  Poète  Simonide  difoit  autrefois,  qu'il dc 
pouvoit  tromper  les  Theflaliens,  parce  qu'usé- 
toient  trop  i^orans  &  trop  flupiaes. 

Toutes  les  règles  particulières  de  la  Poétique  font 
tirées  des  r^es  générales,  qui  ont  été  propofêes 
dans  les  deux  Chapitres  precedens,  comme  on  k 
verra  dans  les  Réflexions  que  nous  allons  ^drc  for 
ces  règles  particulières. 

La  première  demande  ^u'on  choifiâe  une  ac- 
tion grande  &  extraordinaire  :  Dans  les  Comédies 
à  la  vérité  le  fujet  eft  bas ,  mais  on  trouve  dans 
Taélion  que  Ton  choifît  pour  être  ce  fujet ,  qud- 
qué  choie  de  grand  dansiabafTefTe;  On  fait  la  faire 
voir  par  quelque  circonûance»  qui  la  rend  fur- 
prenante  &  nouvelle. 

Je  dis  que  les  Poëtes  choififfent  tme  mfiion^  car 
quoi  qu'ils  parlent  de  plufleurs  aâlons  particuliè- 
res, 


■  stTR  l'Art  Poetiqp»;  Part:  II.  Ci.  Jîi:    5  x  j 

s  tes ,  il  7  en  a  une  principale  à  laquelle  toutes  les 

ï-  autres  fe  rapportent. 

■  Homère  ne  chante  que  la  colère  d*  Achille.  Stace 
K  penfant  faire  quelque  chofe  4e  plus  achevé  dans 

le  Poème  qu'il  avoit  entrepris  fur  le  même  Achil- 
-  le,  promet  à  Ventrée  de  cet  Ouvrage»  qu'il  cm- 
r     brauera  toutes  les  actions  de  ce  Héros.    Homère  » 

dit-il»  en  a  laiiTé  à  dire  beaucoup  plus  qu'il  n'en  a 

dit  ;  &  moi  je  ne  veux  rien  omettre  :  Càt  ce 

Héros  tout  entier  que  je  chante* 

Idagnan'mum  JEâcitiem •  firmidatêmqui  tmanti 
Progentem  ,  &■  patrio  vetîtam  fucadtrt  cœh  , 
Divarefer,  Quanquama^aviri  multum  incUtacênim 
Mécnht  fia  flurti  vacant.    Nos  irt  fer  omnem 
Sic  amor  efi  ^  Htroa^  veUs^  &C. 

Stace  fait  afTez  connoîtrc  par  ces  Vers ,  qu'il  a» 
voit  peu  de  connoiffance  de  l'Art  Poétique,  dont 
les  règles  font  établies  fur  le  bon  fens.  Homère 
&  les  Poëtcs  habiles  gardent  exaélement  cette  unité 
d'aftion,  afin  qu'ils  puifTcnt  toucher  vivement  leurs 
Lecteurs ,  ôtlcs  intcrefTcr  dans  cette  action.  Lors  ^ 
que  refprit  efl  partagé  entre  plufieurs  affaires,  il  ne 
s'applique  à  chacune  en  particulier  que  lâchement. 
C'cu  pourquoi  le  principal  dcfîcin  des  Poètes  étant 
d'engager  dans  la  leéture  de  leurs  contes,  ils  font 
comme  les  ChalTeurs  qui  empêchent  que  leurs 
chiens  ne  jM-ennent  le  change. 

L'aélion  qui  efl:  le  fujet  de  l'Eneïde  de  Virgile , 
çft  l'établifTcment  de  l'Empire  Romain  par  Ënéc 
Prince  Troicn. 

Toutes  les  autres  chofes  dont  parle  ce  Poète,' 
fe  rapportent  à  cette  adion ,  &  il  paroit  que  ce 
n'cft  que  par  occafion  qu'il  les  propofe,  pour  faire 
connoitre  les  circonftances  de  l'Hifloire  de  fon 
Héros,  &  pour  faire  concevoir  combien  le  Ciel 

Y  6    ^  s'in. 


5i6         NouvEitis  Reflexions 

s'intcreffoit  à  rétabliflemcnt  de  cet  Empire;  &  ï  ] 
l'élévation  de  la  maifon  d'Auguftc.     Ainii   après 
avoir  donné  à  fes  Ledeurs  le  defir  d'apprendre  le 
fuccès  de  cette  grande  entreprife  ,  il  ne  laifTe  point  I 
ralentir  cette  ardeur ,  en  la  partageant  entre  plu- 
fieurs  autres  defirs. 

Ceft  pour  cette  mémeraifon ,  que  tout  ce  qu'il 
dit ,  contribue  à  établir  xme  grande  eftime  de  ce 
Prince ,  qu'il  en  occupe  fon  Leéteur  tout  entier. 
Il  lui  donne  d'illuilres  Compagnons  de  fcs.  travaux  ; 
mais  il  ne  peint  leur  vertu  qu'avec  des  traits  &  des 
couleurs  qui  n'obfcurciffcnt  point  la  gloire  de  leur 
Chef:  Ceft  pour  le  feul  Enée ,  qu'il  ménage  la 
ftveur  de  fes  Led^eurs,  qui  par  ce  moien  s'atta- 
chent entièrement  à  lui:  Ils  entrent  ^ans  toutes  fes 
pafllons:  Ils  en  appréhendent  le  retardement:  Us 
aiment  ceux  qui  le  favorifent  :  Ils  haïflent  ceux  qui 
■s'oppofent  à  les  defleins:  &ce  zèle eft ardent, par- 
ce qu'il  eft  tout  entier  pour  une  feule  chofe. 

Ce  qui  oblige  encore  les  Poètes  d'obferver  cette 
unité,  eft  que  s'ils  s'attachoient  à  décrire pluficurs 
aétions,  leLedeur,  comme  remarque  Ariftote, 
ne  pourroit  appercevoir  le  fujctde  leur  Pièce  aulfi 
nettement  qu'il  eft  neceffaire,  pour  être  fortement 
touché  du  defir  de  la  lire. 

Homère ,  dit  ce  Philofophe  dans  fa  Poétique  * , 
n'a  pas  voulu  décrire  toute  la  guerre  de  Troie,  cela 
auroit  été  trop  long,  &  l'on  n'auroit  pu  apperce- 
voir d'une  feule  vûë,  ce  qu'il  avoit  à  direi;  xm«# 


Cha* 


SUR  L'ART  POETX^.  BâTiM.  Cb^IV.       5I7 


Ckafithb    IV» 

Lef  Poètes  ne  commencent  f  as  PHiJloire  de  leur  Héros 
par  les  premières  a  fiions  de  fa  vie,  mais  par  lefe* 
cours  des  Epi f  ode  s  ils  font  connoùre  aux  Lecteurs 
tout  ce  qu'ils  peuvent  avoir  envie  d'en  apprendre. 

Es  Poètes ,  comme  il  a  été  remarqué  dans  la 
première  Partie  y  ne  commencent  pas  rHifloirc 
de  leur  Héros  par  fa  naiflance.  Ils  propofent  d'a- 
bord Taétion  principsde  de  fa  vie  »  laquelle  aétion 
cfl  le  fujet  de  leur  ouvrage  5  &  ils  le  font  d'une 
manière  pleine  d'artifice. 

Je  jparle ,  dit  Virgile  en  commençant  fon  Enéi- 
de ,  d'un  excellent  homme ,  que  le  Deflin  conduifît 
de  la  Ville  de  Troie  dans  l'Italie ,  pour  y  jetter  les 
fondemens  d'un  grand  Empire. 

II  fait  paroftre  enfuite  xet  Homme  au  milieu 
d^une  grande  tempête,  qu'une  Decflè  avoit  exci- 
tée contre  lui  ;  il  rcprefente  les  Dieux  divifez  les 
uns  contre  les  autres;  &  qui  prennent  différent 
parti  fur  fon  fort.  Ridn  n'cft  plus  capable  de  donner 
de  la  curiofitc  ;  car  il  paroît  que  cet  homme  eft 
extraordinaire,  que  fon  entreprife  eltgirande,  ^ 
que  fes  avantures  ne  font  pas  communes. 

Les  Poètes  commençant  ainfi  la  vie  de  leur  Hé- 
ros par  le  ipflieu,  ils  en  ramalTent  toutes  les  par7 
ties  qu'ils  renferment  dans  une  principale  action', 
&  dans  un  petit  efpace  de  tems ,  comme  nous  Iç 
▼errons  dans  la  fuite.  De  forte  qu'expofant  tan^ 
de  chofes  en  même  tems  toutes  éclatantes,  ils  é- 
blouiffent  les  yeux  du  Ledleur.  Car ,  comme  re- 
marque faint  Âuguftin ,  lors  qu'un  tout  eft  com- 
})ofé  de  plufieurs  parties,  &  que  ces  parties  ne 
ubfiftcnt  pas  toutes  en  Hiême  tems  pour  le  cora- 

Y.7  PO- 


'5t8         Noxrtrsiïîs  RlPtîxiOHs 

pofer,  elles  plaifent  beaucoup  davantage  quand  oti 
peut  les  conuderer  toutes  enlcmble,  que  lors  qu'on 
en  confidcre  feulement  quelqu'une  en  particulier 
*  Omnia  quibus  unum  aliquid  ctmftat  9  et  ntmfimul 
Junt  omnia  ea  qu'tbus  confiât  ;  plhs  deklîant  omniêf 
quàm  finguU ,  fi  poffint  fentiri  omnia. 

Quoi  que  les  Poètes  obfervent  l'unité  ffaâioD, 
cela  n'empêche  pas  qu^ls  ne  comprennent  dans 
leurs  Poèmes  toute  la  vie  de  leur  Héros.  Ils  trou- 
vent le  moicn  de  n'oublier  aucime  de  fes  aâions 
qui  foit  gloricùfe:  &  ils  le  doivent  faire,  puifquc 
lors  qu'on  a  conçu  une  grande  eftime  d'une  pcr- 
fonne ,  l'on  defire  favoir  toutes  les  particularitci 
de  fa  vie.  C'eft  par  le  moien  des  Epifodes  que 
cela  fc  fait.  Les  Euifodcs ,  i^no-o^a ,  font  des 
narrations  que  l'on  iniere  dans  un  Ouvrage,  de  quel- 
que chofe  qui  n'eft  point  dé  l'eflcncc  du  fujet, 
mais  qui  lui  peut  appartenir. 

Ce  récit  qu'Enée  fait  à  Didoti  de  tout  ccquifc 
paffa  au  Siège  de  Troie,  eft  une  Epifodc,par  la- 
quelle Virgile  fait  connoître  la  fanaîlle,  la  naiffan- 
ce,  &  la  fortune  de  ce  Prince.  Ainfi  les  Epifodes 
contribuent  beaucoup  à  réclairciffcment  &  a  l'cm- 
belliflcmcnt  d'une  Pièce. 

L'on  doit  retrancher  avecfcverité  tous  les  vains 
iDmemens,&  ne  rien  dire  que  d'utile  &  dcneceffairc; 
mais  auffiilnefaut  pas  négliger  les  occafîonsd'inf- 
truire  les  Leéleurs  de  toutes  les  chofes  qu'ils  défirent 
aprendre  :  ce  qui  n'eft  pas  difficile.  On  peut  faire 
connoître  quelque  accident  particulier  de  la  vie  d'un 
Capitaine ,  en  rapportant  ce  qu'un  excellent  Ou- 
vrier aura  gravé  fur  fes  armes.  En  faifant  la  dcf- 
cription  d'un  Palais  magnifique ,  on  peut  en  orner 
les  Gî^leries  de  Tableaux,  les  Salles  de  riches Ta- 
pifTcries,  qui  contiennent  plufîeurs  Hifloircs.qui 
donnent  la  connoifTance  des  chofes  qu'on  efl  bien 

aîfe 

f  Cinfejf.  tb.ii.l,^ 


% 


fUR  t'AnT  PoBTiQtnB.  Pénrt.IL  Cb.  V.   51Q 

aifc  de  fa  voir.  Et  cela  fc  fiiit  dHine  manière  agréable, 
parce  qu'il  femble  toujours  que  c*cft  par  quelque 
rencontre  favorable  qu'on  apprend  ces  chofes ,  & 
que  les  Poètes  ne  font  point  naître  Toccafion  de 
s'en  inftruire ,  qu'ils  n'aient  premièrement  fiait  naître 
le  defir  de  les  connoître. 

Dans  les  anciennes  Tragédies  les  Chœurs  qui  é- 
toient  compofez  d'une  troupe  d'hommes  ou  de 
femmes  aui  paroiffoient  fur  le  Théâtre  de  temsen 
tems,  inftruifoient  dans  leurs  récits,  £c  dans  leurs 
Chants  les  Auditeurs  de  ce  qu'ils  n'avoient  pas  ap- 
pris des  Adteurs.  Ainfî  ces  Choeurs  étoient  com- 
me des  Epifodes ,  mais  moins  ihgenieufes  que  celles 
dont  nous  venons  de  parler. 

Il  n'y  a  pas  grand  art  à  faire  paroi tre  fur  un  Théâtre 
un  homme  qui  vient  de  lui-même,  fans  qu'aucun 
accident  l'y  appelle,  &  lui  faire  rapporter,  com- 
me le  feroit  un  Mcffager ,  ce  qui  s'cft  paflTé  hors 
<ie  la  prefence  des  Speétateurs.  Auffi  nos  Poètes^ 
qui  entendent  le  Théâtre  mieux  que  les  Anciens» 
en  ont  banni  les  Chœurs. 


Chapitre     V. 
Des  princ'paies  Parties  d'une  Ptece* 

Y 'O  N  diflingue  trois  principales  parties  dans  It 

*^  récit  d'une  aélion.    La  propofition ,  le  nœudp 

&  le  dénouement.  La  propofition  *  de  l'adion  fe 

fait,  comme  nous  avons  vu,  d'une  manière  claire 

&  obfcure  ;  de  forte  que  le  Lefteur  .  comprend 

clairement   que  le  Poëte  va  parler  d'une  chofe 

extraordinaire ,  &  qu'il  apperçoit  en  même-tems 

des  chofes  qu'il  ne  tait  point ,  &  qui  lui  donnent 

de  la  curiolité. 

Le 


fio  NavTEttEs  RErLBxrcNf 

Le  nœud  d'une  Pièce  conMe  dans  qudqtx 

grande  diffiadté  imprévue,. qui  fe  prefcnte  tout 
*un  coup  ,•  &  qui  niet  un  puifiànt  obftade  à  ce 
3ue  le  Héros  vienne  à  bout  de  fes  defléins.  Ces 
ifficultez  &  ces  retardemens  deraccom^iflement 
de  Yz^on  principale  »  dont  on  délire  voir  la  fin^ 
ou  plutôt  ce  délai  de  conclure  les  avantures  de 
fon  Héros  que  prend  le  Poète,  font  comme  un 
fel  qui  irrite  la  curiofité.  Les  Poètes  mêlent  par 
tout  ce  fel ,  &  fQut  toujours  acheter  leis  connoif'- 
iànces  qu'ils  donnent.  Le  principal  nœud  de  l'E- 
neïde  eft  la  guerre  qui  s'deve  entre  Enéeôc  Tur- 
nus ,  lors  que  le  Ledeur  efpere  que  ce  Héros  é- 
tant  arrive  dans  l'Italie,  va  finir  fon.  cntreprifc  & 
trouver  le  terme  de  fes  travaux. 

Le  dénoiiement* d'une  Pièce  fe  fait  vers  h  fin» 
lors  que  les  chofes  réuffifToit  comme  le  Leôeurlc 
fouhaite  ,  dans  le.  tems  qu'il  y  penfoit  le  moins, 
&  que  toutes  les  chofes  étant  defefperé^ ,  il  étoit 
}e  plus  touché  des  maux  du  Héros  de  la  Pièce 
Comme -on  a  naturellement  une  joie  extrême, 
lors  qu'il  arrive  quelque  bien  à  ceux  que  nous  ai- 
mons ;  les  Poètes  n'ont  garde  de  priver  leurs  Lec- 
teurs de  ce  contentement ,  &  ce  n'eft  que  pour 
le  rendre  plus  grand  &  plus  parfait  ,  que 
dans  le  nœud  de  la  Pièce  ils  avoient  brouille 
toutes  chofes,  &  avoient  rempli  leurs  efprits  de 
crainte,  afin  de  les  en  délivrer  avec  plaifir-,  & 
de  leur  faire  jouir  avec  d'autant  plus  de  joie  de 
la  bonne  fortune  du  Héros,  qu'ils  avoient  été 
plus  fenfîblement  affligez  de  fa  difgrace. 

11  faut  qu'une  Pièce  fe  dénoue  d'elle-mcrac,' 
c'eft  à  dire  qu'il  faut  que  tout  ce  qui  fe  foit  à 
la  fin  de  la  Pièce,  arrive  naturellement,  &  qu'il 
ne  paroifle  pas  que  tous  ces  fuccès  ne  font  que 
des  inventions  du  Poète,  parce  que  l'onnepcut 

cire 


SUR  l*ArtPoetiqjje.  Pifr/.//.  Cit.F.  521 

être  touché ,  comme  nous  avons  dit ,  de  ce  que 
l'on  croit  n'être' qu  une  fable. 
Il  faut  quelesMionsibientvraifembhbles»  afin 

?u  elles  puiffcnt  produire  leur  effet.  Pour  cela  les 
oëtes  préparent  toutes  chofes  dès  le  commence- 
ment, &  font  entrevoir  au  Lcfteur,  que  tous  ces 
malheurs  dont  font  accablez  ceux  pour  qui  il  a  de 
l'affeélion ,  ne  dureront  pas  toujours.  Ils  lui  don- 
nent ainfi  de  bonnes  cfperanccs ,  qui  entretiennent 
fa  curiolité ,  &  lui  font  pourfuivre  avec  ardeur  fa 
ledure ,  pour  apprendre  ce  qu'il  attend  de  la  for- 
tune de  fon  Héros. 

Le  dénouement  fe  fait  ordinairement  par  la 
Péripétie,  ouparlareconnoiflance.  La  Péripétie, 
comn^  ce  nom  qui  eit  Grec  *  le  marque ,  ell  un 
changement  de  fcMttine ,  qui  fe  .fait  lors  qu'une 
perfonne  demalheureufcqu^elle  étoit  devient  heu- 
reufe,  ou  que  de  la  profperité  eUe  tombe  ^ans  la 
mifcre. 

On  eil  affez  accoutumé  dans  le  monde  à  voir  de 
tels  changements ,  qui  peuvent  être  caufei  par  quel-  < 
Que  accident  qui  furvicnt.  Ainfi  il  n*eft  pas  dif- 
ficile de  trouver  le  moiwi  de  dénouer  une  Pièce 
-de  cette  première  manière ,  enfaifant  naître  un  tel 
accident  qui  change  l'état  prefent  des  affaires  corn* 
me  on  le  délire:  ie  n'en  reporte  point  d'exemple  » 
on  en  peut  voir  dans  les  roctes. 

Le  fçcond  moien,  qui  eil  la  recwilioifTance, 
ell  encore  plus  facile  &  fort  ordinaire  dans  les  an* 
dennes  Pièces.  Elle  fe  fait  en  plulieurs  façons  9 
c'eft  à  dire  qu'il  y  a  pluficurs  chofes  qui  peuvent 
faire  que  deux  perfonncs  ignorant  la  proximité  qui 
cft  entre  elles ,  fe  reconnoiflent ,  ou  par  des  mar* 
ques  naturelles  avec  lefquelles  tous  ceux  d'une  fa- 
mille naifTent,  telles  que  celles  des  Seleucides,  qui 
avoient  la  marque  d'une  ancre  imprimée  fur  kcuif? 
^      •  .:        fe; 


t 


511         Nouvelles  Reflexioni 

fc  ;  ou  par  des  marques  artificielles ,  comme  font 
une  bague,  un  portrait,  un  billet.  On  en  trou- 
ve une  infinité  d'exemples,  non  feulement  danslcs 
Poètes ,  mais  encore  dans  les  Hiftoricns. 

Lorfque  les  travaux  d'un  Héros  <mt  été  couron- 
nez par  une  glorieufe  fin ,  &  qu'il  a  achevé  l'ac- 
tion principale  qui  étoit  le  fujct  de  la  Pièce,  l'on 
ne  doit  plus  rien  ajouter.  Tout  ccplaifirqucrcD 
trouve  dans  la  Poëfîe,  n'eft  fondé  que  mr  cet- 
te illufion,  qu'on  arrivera,  pour  ainfi  dire,  au  com- 
ble de  la  félicité ,  fi  on  peut  arriver  à  la  fin  derOo- 
vrage.  C'eft  cette  vaine  cfperance  qui  caufe  l'ar- 
deur avec  laquelle  on  lit. 

Quand  enfin  on  a  poufi'é  faleéhire  à  bout,  qix 
Pon  fait  ce  que  l'on  vouloit  favoir  ;  on  fefentpld- 
nement  rafiafié ,  ou  plutôt  vuide,  êc  ontomhen 
même  tems  dans  le  dégoût ,  qui  fuit  necefiairement 
les  illufions  &c  les  faux  plaifirs.  Aufil  les  Poèto 
habiles  préviennent  leurs  Leéleurs ,  &  pourlcslaif- 
fer  avec  quelque  appétit ,  ils  ne  concluent  poscn- 
tieremcnt  leur  Pièce  :  ils  mettent  feulementlcsào- 
fes  en  tel  état,  que  le  Leétcur  devine  fadlcmenr 
le  refle. 

C'ell:  ce  que  fait  Virgile ,  après  qu'il  a  fait  triom- 
pher Enée  de  Turnus ,  &  qu'il  ne  lui  relie  plus 
d'ennemis  à  combatre ,  ni  aucune  difficulté  qui 
s'oppofe  à  l'exécution  de  fes  defleins.  Il  neparlc 
point  de  Pétablifl'ement  de  l'Empire  Romain,  ni 
de  fon  mariage  avec  Lavinie ,  parce  qu'il  a  iffci 
contenté  la  curiofité  dcfon  Le«^eur,  quipcutap- 
percevoir  fans  peine  les  heureufes  fuites  de  lavi^ 
toire.  Et  celui  qui  a  été  aflcz  hardi  pour  ajoùrff 
quelques  Livres  aux  douze  Livres  de  VEiïéi^t 

Ï>our  donner  à  ce  grand  Ouvrage  la  perfcdioaça 
ui  manquoit ,  a  fait  voir  qu'il  ignoroit  h  ta  à 
cet  Art. 

Comme  un  Poète  ne  doit  ficn  ajouter,*-^ 


SUR  l'Art  Poétique.  Part,IL  Cb.V.  çtj 

avoir  rapporté  comment  Tadioneft  achevée  ;  aufli 
ne  doit-il  rien  oublier  de  ce  que  le  Ledeur  pou- 
voir defircr ,  foit  pour  fatisfiure  fa  curiofité ,  ou  pour 
contenter  la  pafuon  qu'il  a  que  les  chofes  réuffif- 
fcnt  d'une  certaine  manière.  Ceft  pourquoi ,  puis- 
que l'on  ne  manque  jamais  de  foàaiter  du  bien  à 
ceux  que  l'on  aime  ,  les  Poètes  doivent  difpofer 
toutes  chofes  de  forte  que  ceux  qui  font  les  amis 
du  Héros ,  &  qui  fe  font  interenez  dans  tous  fes 
malheurs,  participent  aufli  autant  qu'il  eft  poflîble 
à  fa  bonne  fortune. 

Lorfque  le  Lcdeur  apprend  l'heureufe  deftinée 
de  quelque  perfonnage,  à  qui  il  fouhaitoit  une 
meilleure  fortune,  &  qu'il  le  voit  délivré  de  fes 
maux ,  il  en  reflent  une  extrême  joie. 

D  avoit  eu  de  la  peine ,  par  exemple ,  de  voir 
qu'on  eût  ravi  à  un  non  vieillard  une  fille  qui  lui 
ctoit  cherc,  &  qu'il  avoit  retirée  des  dangers,  où 
fes  propres  parens  avoient  été  contraints  de  l'ex- 

Î)ofer  :  Quand  cette  fille  vient  à  être  reconnue  par 
es  parens ,  le  Leéleur  a  une  merveilleufe  fatiswc- 
tion  :  &  fi  le  Poëte  a  foin  de  faire  trouver  ce  bon 
vieillard  à  cette  reconnoiffance ,  il  le  doit  aufli 
feire  participer  aux  avantages  qui  naiflent  de  ce 
changement  imprévu.  De  là  vient  qu'il  fc  fait 
toujours  plufieurs  mariages  à  la  fin  des  Comédies , 
&  les  diofes  fe  débrouillent  de  telle  manière  que 
tout  le  monde  eft  content ,  6c  que  les  fpeéiateurs 
le  retirent  pleinement  fatisfaits. 


Chi^ 


524  NouVEItlS  RSFLEXIONS 


Chapitre    VI. 


De  tunité  de  Ums  &  de  iieu;  dt  la  durée  deà^ 

que  Pièce*, 


L 


E  s  Poètes  s'appliquent  particuRcremcnt  àncl 
point  dire  de  choies  qui  fe  combatent.  Loi 
circonîlances  qu'ils  propofent ,  font  liées  les  uno] 
avec  les  autres  :* elles  fefoûticnnent  de  forte  que  l'rf 
prit  n'y  peut  rien  appercevoir  qui  lui  fkffc  diffin- 
gucr  la  Vérité  d'avec  le  Menfonge. 

Entre  ces  circonîlances ,  les  plus  confîderablcs 
font  celles  qui  regardent  le  tems  &  le  lieu  d'une 
adion.  Aufli  les  Maîtres  donnent  pour  règle  que 
l'unité  de  tems  &  de  lieu  foit gardée;  c'efl  à  dire, 
ou'aiant  choifi  un  tems  pendant  lequel  TaéHon  fc 
coit  faire,  &  un  lieu  où  elle  fe  doit  pafTer,  Tonne 
dife  pas  des  cbofesquine  fepuiflent  faire  que  dans 
un  autre  tems  6c  dans  un  autre  lieu. 

Par  exemple,  fi  on  a  une  fois  fuppofé  qu'une 
aétion  fc  pafTe  dans  un  jour,  &.  qu'on  ait  pris 
pour  le  lieu  de  cette  adion  la  ville  de  Rome,  l'on 
ne  doit  pas  pour  l'accomplifliment  de  cette  aelion 
iaire  faire  des  Sièges  de  Ville  de  fîx  mois,  &  fai- 
re aller  desMeflagers  de  Rome  àConllantinople, 
&  les  faire,  retourner  dans  l'efpace  de  ce  tems. 
Quelque  plaiiîr  que  le  Ledeur  prenne  à  /cJai/Ter 
troftiper,.  il^eft  impoffible  qu'il  ne  s'apperçoivc  trop 
fenfiblemcnt  que  ce  qu'on  lui  dit  cfl  une  fable ,  ôc 
que  par  confequent  il  ne  s'en  dégoûte. 

Les  Poètes  habiles  donnent  toute  l'étendue  de 
tems  neceffaire  aux  a  dions  qu'ils  rapportent;  ils  ne 
fies  précipitent  point ,  chaque  choie  fe  fait  en  fon 
tems.  Les  changemens  de  lieu  fe  font  d'une  ma- 
nière naturelle:  s'ils  fcfont  vite,  toutes  les  chofes 

fe 


svm  l'Art  Poïti'que.  Part,  IL  Ch.VI.  51c 

retrouvent  tellement  difpofées,  les  vents  font  fi  fa- 
vorables ,  qu'un  grand  voiage  par  mer  fe  fait  en 
très-peu  de  tems.  S*il  eft  ncceflaire  de  recevoir 
des  nouvelles  de  ce  qui  s'cft  pafle  dans  un  autre 
lieu  fort  éloigné ,  Ton  avoit  auparavant  placé  fur 
toutes  les  Montagnes  des  perfonnes  avec  des  flam- 
beaux, qui  en  un  moment  de  l'un  à  l'autre  fe 
donnent  avis  de  tout  ce  qui  fe  fait.  Ainfi  dans  une 
heure  Ton  apprend  ce  qui  eft  arrivé  à  cinquante 
lieiies  delà,  fans  que  cela  puiflc  paroître  incroia- 
ble. 

Puifque  le  plaifir  que  l'on  trouve  dans  la  Poe- 
lie,  vient  de  ce  qu'elle  occupe  fi  fortement  Fefprit, 
que  Ton  y  oublie  tous  les  chagrins  de  la  vie  par 
les  douces  &  agréables  émotions  qu'elle  cauic, 
l'aélion  principale  d'un  Poëme  ne  doit  pas  pafler 
dans  un  moment.  Il  faut  donner  de  la  curiofité 
à  un  Le(fteùr ,  le  difpofcr  à  entendre  la  fuite, 
faire  naître  les  Paffions  dans  fon  cœur,  les  en- 
tretenir, &  les  fatisfaire.  Cela  demande  difFercns 
tems  :  L'on  ne  peut  pas  être  émû  par  une  aétion 
qui  pafTe  vîte  comme  un  éclair. 

Si  au  contraire  une  aétion  avoit  une  trop  gran- 
de étendue ,  elle  difîîperoit  Tefprit  qui  s'égareroit 
dans  une  multitude  d'années.  Il  ne  pourroit  con- 
cevoir les  chofes  nettenaent,  &  en  être  frappé 
aufli  vivement  qu'il  eft  necefïkire  pour  reffcntir 
ces  émotions,  qui  font  le  plaifir  delaicdured'un 
Poëme.  Or  une  aétion  demande  plus  ^m  moins 
d'étendue  félon  ,1a  nature  du  Poëme.  Entre  les 
Poèmes  les  uns  font  Dramatic^ues  ou  aétift,  les 
autres  narratif.  Dans  les  premiers,  comme  font 
les  Comédies ,  les  Tragédies ,  &  les  Tragi-comé- 
dies, les  Poètes  ne  parlent  point:  Ils  font  paroî- 
tre des  perfonnages  fur  un  Théâtre  qui  rcprcfen- 
tent  une  aâion ,  non  en  la  racontant  î  mais  en  a^ 
gilTant  eax-m6mes;  f^/MAnif  ^mi  V  '  comme  dit 


5i8         NouTEttSs  Reflexiokis 
terminée  en  peu  de  mois  par  la  mort  de  Tut» 

AUS« 

On  pciit  encore  rendre  une  autre  raifon ,  pour- 
quoi le  tems  qui  ^renferme  l'aélion  qui  ^it  le  fu- 
îet  du  Poëmc  Epique,  doit  être  plus  long  que (»• 
lui  du  Poëme  Dramatique,  c*cft  que  celui-d  ne 
nous  reprcfente  que  les  aétions  des  hommes,  & 
l'autre  nous  en  reprefente  les  mœurs  &  les  habi- 
tudes. Les  Paffions  naiffent  tout  d'un  coup,  & 
leur  violence  eft  de  peu  de  durée  :  mais  les  habi- 
tudes, comme  elles  fe, forment  peu  à  peu,  elles 
fubfiilent  aflez  long-tcms-  Ainfi  tout  fe  doit  fiiirc 
dans  le  Poëme  Dramatique  avec  rapidité;  &  il 
ne  fe  doit  rien  faire  dans  l'Epique  qu'avec  confcil 
&  maturité. 


C  H  API   T  R  £      VII. 

Du  Poème  Dramatique. 

T 'On  ne  choiiît  pour  fujet  des  Poèmes  Dramati- 
■^^ques,  que  des  a<flions  qui  peuvent  être  imitées 
fur  un  Théâtre;  ainfi  l'établiflcment  d'un  grand 
Empire ,  ou  quelqu*autre  événement  d'une  lon- 
gue haleine,  ne  peut  pas  être  le  fujet  d'une  Co- 
médie ni  d'une  Tragédie.  Ces  Poëmes  fe  parta- 
gent ordinairement  en  cinq  Ades,  entre  leiquels 
k  Théâtre  eft  vuide.  Les  Poètes  interrompent 
de  la  forte  la  fuite  d'une  Pièce,  pour  ne  pas  te- 
nir dans  une  appUcation  trop  longue,  ceux  qui  les 
écoutent.  Ils  lavent  que  l'efprit  des  hommes  eft 
trop  inconftant  pour  demeurer  loog-tems  dans  une 
même  fituation,  &  qu'il  demande  pour  fe  délai^ 
fer,  des  changemens  qu'il  trouve  dans  les  inter- 
valles des  KêttSf  où  il  eft  diverti,  comme  nous 
l'avons  dit  d-deflus  ,  par   la  fymphonie  ou 

par 


par  quelqu'autre  divcrtilTcment. 

Chaque  Acflc  cft  diftingué  par  Scènes.  Uh« 
Scène  commence  lors  qu'un  Aéleur  entre  fur  le 
Théâtre ,  ou  qu'il  fe  retire.  L'on  ne  fait  parler 
dans  une  Scène  que  deux  ou  trois  Adeurs.  Ce 
n'cft  pas  qu'il  ne  puiffey  en  avoir  un  plus  grand 
nombre ,  mais  la  converlation  ne  doit  être  qu'en- 
tre deux  ou  trois,  parce  quelorfqueplufieursper- 
ftmnes  parlent  enfemble,  il  y  a  toujours  delà  con- 
fufion  ;  Ton  ne  peut  bien  démêler  quels  font  les 
fentimens  de  chaque  AAeur ,  ce  qu'il  penfe  &  ce 
qn'il  veut  dire.  11  ne  faut  point  que  les  Auditeurs 
foient  obligez  de  deviner  les  chofcs,  ni  qu'ils  foient 
en  peine  de  les  débrouiller,  tout  doit  fauter  aux 
yeux ,  &  fe  comprendre  facilement. 

Le  nombre  des  Scènes  n'eft  point  déterminé. 
Celui  des  Aélcs  ne  dépend  que  de  la  coutume.  II 
faut  que  tout  Poëme  ait  fa  jufle  longueur  >  mais 
fl  n^y  a  point  de  raifons  eflcntielles  pour  le  dillin- 
guer  en  cinq  Ades,  comme  Ton  le  fait  ordinaire- 
ment, plutôt  qu'en  trois  ou  en  quatre. 

On  étudie  avec  beaucoup  plus  de  foin  la  vrai- 
fcmblance  dans  les  Pièces  cie  Théâtre,  que  dans 
les  Poèmes  narratifs  :  auffi  4ft-il  neceflaire  qu^'on 
le  fafle,  puifque  ce  que  l'on  voit  par  les  yeux  frap- 

FB  davantage,  &  fe  remarque  plusfiicilemenL  Le 
oème  Dramatique  fait  voir  les  chofes  comme 
jM-cfentes ,  que  le  Poème  narratif  nous  raconte 
comm«  paffées.  C'cft  pourquoi  les  Poètes  Comi- 
ques &c  Tragiques  ne  font  rien  dire  à  leurs  Ac- 
teurs qui  ne  foit  conforme  à  leur  perfonnage.  Lear 
entrée  fur  le  Théâtre  &  leur  fortie,  leurs  poilu- 
res,  leurs  regards,  enfin  toutes  leurs  démarches , 
ont  un  jufle  rapport  à  la  Pièce. 

Ceux  qui  obfervent  fcrupuleiifement  les  Règles 

de  l'Art,  ne  foufFrent  point  ce  qu'on  appelle  les* 

farte  \  quoi  qu'ils  foient  communs  dans  les  an- 

Z.  ciens 


550        Nouvelles  Réflexions 

ciens  Comiques.  Ces  à  paru  9^  le  font  lors  qu'un 
des  Adeurs  à  l'écart  fur  un  dés  coins  du  Théâtre, 
parle  aflez  haut  pour  que  tous  lesSpeélateursren- 
tendent  :  cependant  il  ftut  fuppofcr  que  ceux  qui 
font  fur  le  Théâtre  ne  l'entendent  point;  ce  qui 
cil  abfurtle.  Ils  n*introduifent  point  auffi  un  Ac- 
teur feul,  que  pourreprefenter quelque a<flion viol 
lente,  dans  laquelle  Ton  a  de  coutume  de  parler 
6c  de  s'entretenir  avec  foi-même.  En  un  mot  les 
Poètes  adroits  dérobent  à  la  vue  de  leurs  Speéh- 
tcurs  tout  ce  qui  pourroit  les  obliger  de  fc  dé- 
tromper j  comme  feroient  les  Metamorphofes  d'un 
homme  en  ferpent  ou  en  oifeau ,  qui  font  des 
chofes  qui  choquent  &  que  Ton  ne  peut  croire: 
QupAunque  oftendis  mibijic  incredulus  odi. 

Les  Maîtres  de  l'Art  ne  veulent  pas  auifî  qu'on 
feffe  paroître  fur  la  Scène  ce  qui  poui^oit  faire 
peine  >  comme  feroit  la  vue  d'un  meurtre.  U 
y  a  peu  de  perfennes  c[ui  puiffent  voir  avec  plai- 
ur  du  fang  répandu;  ainfi  c*eft  un  crime  dans  la 
Poëfie  d'enfanglanter  le  Théâtre  ;  Nec  pueras  ce 
Yfim  populo  Medea  trucidet.  Ils  veulent  pareille- 
ment que  l'on  cache  &  que  l'on  ne  reprefente 
pas  de  certaines  aéHons  odieufes  qui  bleffent  les 
yeux  y  parce  qu'elles  font  contre  la  bienfeance  & 
l'honnêteté,  ce  que  l'on  ne  pourroit  les  confide- 
rer  (ans  fentir  en  même  tems  fa  modeftie  ofièn- 
fée  y  &  fa  confcience  bleflée;  car,  comme  nous 
avons  dit,  les  hommes  veulent  autant  qu'ils  peu- 
vent ,  que  kurs  plaifirs  foient  louables  &c  honni- 
tci. 


C  a  A- 


înm  l'Art  PoBn^pï.  Bart.Ih  €b.  VUL  ffjf 


Chapitre    VIII. 

Vc  rOrtgînû  du  Poème  Dramatr^uc  &  de  fis 

efpecss: 

IL  ne  faut  pas  s'imaginer  que  le  Poëmc  Drama» 
tique  dans  les  commcncemens  fût  ce  qu'il  eff^ 
aujourd'hui  :  que  Ton  y  gardât  des  règles  fevercs  jf 
qu'il  eût  une  feule  adion  pour  fujet,  dont  Tex^ 
pofition  fût  partagée  en  Adtcs  &  en  des  Scène j 
réglées,  nomme  le  font  nos  Tragédies  ôcnosCô- 
medies* 

Il  ne  fera  pas  hors  de  propos  de  faire  reflexiorf 
fur  ce  que  ce  Poëme  a  été  dans  fa  naiffance.  II 
me  femble  que  les  hommes  ont  pris  plaifir;detout 
tems  dans  les  imitations ,  &  qu'il  s*eft  trouvé  des 
perfonnes  qui  fe  font  diverties  à  imiter  \tt  aéîions 
des  autres  &  à  les  contrefaire ,  foit  pour  les  reiï^ 
dre  recommandables  >  ou  pour  les  rendre  ridicu* 
les. 

Le  caraélère  d'efprit  boufon  n'a  jamais  plû  aux 
honnêtes  gens,  puifque,  comme  le  dit  tin  Sage 
Payen ,  ce  n'cft  pas  la  marque  d'un  efprit  bien 
lait ,  que  d'aimet  àk  faire  rire  en  imitant  les  de-* 
fauts  des  autres  :  Ille^nm  dabit  mihi  fpem  hnétin^ 
dêUs ,  §ui  hmtamU  pravos  nffeéius  >  quâret  ut  ri* 
deatur.  L'on  a  toujours  eu  du  fnépris  pour  ceux 
qui  font  rire  par  profeffion.  Cependant  il  t  a 
eu  en  tous  les  tems  des  boufons  ;  &  cette  for^ 
te  d'imitation  qui  fe  hit  par  des  aétions  »  a  totV* 
jours  été  agréable,  parce  qti'elle^fràppc  les  yeux, 
&  qu'elle  eft  par  cohfequcnt  plus  vive  aue  cclld 
qui  ne  condlte  que 'dans  des  pardlds.  AinfilesDra* 
mes  qui  font  des  imitations  qui  fe  fontenagîflânt» 
font  auili  anciens  que  les  hommes  :  mai»  on  ne 

Z  a  comp- 


X3^  NOÎJVSILIS  REi^LfiXIOHS 

compte  leur  origine  que  du  tems  que  les  imiti- 
fions  commencèrent  à  fe  flaire  hors  d'une  convcr- 
ëtion  familière,  dans  des  lieux  remarquables,  & 
avec  cérémonie ,  comme  nous  Vallons  voir. 

L'expérience  fait  connoître  que  le  Peuple  a  u- 
ne  pamon  très-ardente  pour  ce  qui  s'appelle  Spec- 
tacle, c'eft  à  dire,  pour  les  chofes  extraordinai- 
res «  qui  font  de  grandes  impreffîons  fur  les  fens, 
8c  Qu'indifféremment  il  regarde  avec  curiofité  ce 
qui  lui  femble  nouveau.  Qu'un  homme  aille  par 
les  rties  vêtu  d'un  habit  moitié  jaune  &  moitié 
vert,  il  fera  fortir  tous  les  Artifans  de  leurs  Bouti- 
ques, qui  le  confidereront  avec  une  attention  mer* 
veilleufe.  Cela  vient  d'une  folle  curioiité,  qui  fait 
rechercher  la  connoiflance  de  tout  ce  qui  le  pre- 
fente  fous  une  figure  nouvelle,  avant  que  d'exa- 
miner s'il  y  a  quelque  utilité  ou  neceiflité  de  le 
connoître. 

Ccfl  cet  amour  que  le  Peuple  a  pour  les  Spec- 
tacles, i^ui  fait  qu'un  homme  fur  un  Théâtre  lui 
paroît  bien  plus  digne  de  fes  regards  que  lorsqu'il 
cft  à  terre.  Si  ce  Théâtre  a  des  décorations  :  fi 
celui  qui  efl  deiTus  eit  vêtu  d'habits  extraordinai- 
res, fpit  pour  la  façon,  foit  pour  le  prix;  s'il  fait 
des  poflurçs  qui  ne  font  pas  communes  :  s'H  dit 
des  plaifantenes  avec  une  mine  niaife  :  s'il  imite 
naïvement  quelque  aétion  magnifique  ou  ridicule, 
ic  qu'il  accompagne  fes  gelles  de  paroles,  alors 
l'on  ne  peut  expnmer  la  joie  de  la  popuhce. 

Ceft  pourquoi  il  ne  fiiut  pas  s'étonner  s'il  s'cil 
trouvé  des  perfonnes  qui  pour  fe  gagner  l'cftimc 
du  peuple,  ayent  bien  voulu  faire  les  boufons  en 
public*!  U  eu  vrai  que  l'honnêteté  6c  la  pudeur 
ont  retenu  long-tems  les  hommes  •  &  les  ont  em- 
pêchez de  faire  ce  métier.  Ce  furent  de  jeunes 
débauchez  à  qui  le  vin  avoit  ôté  la  honte  que  la 
nature  a  attitchée  auxa(^ons  m^rbonnêtes,  qû 


^ 


1  OR  t'Ant  Poétique.  Tarf, IL  Ci. VlïJ.    ^35 

oferent  paroître  les  premiers  fur  des  Théâtres.  Ct 
ne  fut  pas  même  fans  quelaue  refte  de  cette  hon- 
te ,  qui  les  obligea  de  fe  barbouiller  le  vifage  a* 
vec  de  la  lie,  ou  de  prendre  des  n^fques  pour  n'ê<«' 
trc  pas  connus. 

Ces  divertiffemens  coihmencerefft  parîpi  les 
Payens  les  jours  de  Fêtes,  aufquels  ils  avoient  cou- 
tume de  s'aflcmbler,  &  d'honorer  leurs  Dieux  par 
des  Sacrifices ,  qui  étoientfuivis de  débauches;  de 
forte  que  toutes  les  chofes  propres  pour  faire  rialp 
tre  ces  divertiffemens,  fe  rcncontroient  enfem- 
ble.    Le  .vin  ôtoit  la  pudeur  aux  jeunes  gens ,  & 
la  Fête'  donnoit  le  loifir  au  Peuple  de  les  regar- 
der.   De  là  vient  que  les  anciens  Speéhdes  font 
dédiez  à  quelque  Divinité,  dont  on  mâoit  les 
louanges  avec  ces  divertiffemens,    Les  hommes 
acconnnodent,  a^utant  qulls  le  peuvent,  la  Reli- 
gion avec  leurs  plaifirs,  pour  fe  doimer  parlàune 
miie  confiance  que  ces  plaifîr${bntinnocens.Âin:« 
û  pour  rendre  comme  licites  &  faints  des  Speda- 
des  criminels  dans  leur  origine  Se  dans  leur  ma- 
nière, ils  les  dédièrent  aux  Dieux.   Ces  jeunes  li« 
^rtins  auteurs-  de  ces  jeux ,  ne  pouVpient  fuivrc 
aucune  règle  parmi  le  dèfordre'  avec  ^lequel  ils  les 
celebroient  :  ils  n*en  avoient  point  d'autre  que 
leur  caprice;  ainfi  chaque  Pièce  étoit  une  efpeccf 
particulière  de  Drame  :  néanmoins  comme  ils 
gardoient  quelque  uniformité,  foit  dans  la  maniè- 
re de  s'habiller ,  foit  pour  les  lieux ,  foit  pour  le 
tems,  on  les  diflingua,  6c  l'on  leur   donna  des 
noms  differens^ 

Les  Grecs ,  par  exempfe,  appellerent  Satyres-^ 
les  Drames,  dont  les  Adeurs  étoient  habillez  en 
Satyres.  Parmi  les  Romains  leurs  premières  Co- 
médies étoient  appellées,  Préttextét,  Ta^ttu,  Pal- 
MaUy  félon  que  les  Adeurs  étoient  vêtus  à  la: 
Grecque  ou  à  la  Romaine,  comme  les  Nobles, 

Z  3  ow 


534  N^uTStlBs  RiFtBi^xoir» 

ou  comme  le  Peuple..  Ces  Pièces  reçurent  tvâ 
leur  nom  des  lieux  où  dles  avoient  été  jouées  1» 
premières  fois.  Atella^  ville  entre- Naples  &  Ca- 
poiie,  donna  le  nom  à  celles  qu'on  appelle  AuU 
iand  FabuU  :.  &  Fêjcenmnum  y  viUe  de  Tofcane» 
aux  Pièces  de  ce  nom.  Pow  celles  qui  s'appd- 
loient  Mtmi^  elles  furent  ainfi  nommées,  parce 
que  les  Adeurs  ne  faifoienj  autre  chofe  que  d'imi- 
ter par  leurs  poftures  les  a^onsdeshonnctes. 

Les  Drames  commencèrent  de  cette  manière- 
&.    Us  ne  confiftoient  pour  lors,  ou  qu'en  des 
railleries  contre  des  particuliers  que  roi^marquoit 
nar  leur  nom,  ou  en  Mufiques  &  en  lotiançesdes* 
bieux.    On  y  joignit  avec  le  tems  des  Difcours- 
moraux  6c  des  Hifloires;  mais  les  Magifhats  fu- 
rent obligez  d'emploier  la  feverité  des  ILoix  pour 
arrêter  la  licence  de  ces  railleries  :  de  forte  que 
ceux  qui  voulurent  divertir  le  Peuple,  furent  con- 
traints de  feindre  des  avantures  agréables  teller 
qu'il  en  arrive  aflez  fouvent  dans  les  mariages,  qui 
pour  cette  raifon  furent  les  fujets  ordinaires  de  ces 
fieces,  où  perfpnne  ne  fe  trouve  choqué,  parce 
oue  tout  sV  païTe  entre  des  perfonnagcs  qm  ont 
des  noms  étrangers. 

C'eft  de  là  que  la  Comédie  eft  venue ,  qui  eft 
aînfi  nommée  de  %è/A3t  Bourgade ,  6c  dç  Vii^  Chantj. 
parce  que  les  jeunes  gens  la  jouèrent  d'abord,  8c 
chantèrent  leurs  Vers  dans  les^  Bourgades  en  fai^- 
fant  la  débauche ,  Comejfantes. 

Tous  ces  Drames  ayant  commencé  dansle  vin ,. 
l'on  n'y  oublia  pas  le  Dieu  Bacchus ,  l'on  y  chan- 
ta fes  louanges ,  6c  l'on  compofa  une  dfpcce  de 
Drame  pour  lui,  qui  fut  nommée  Tragédie  ,. 
parce  que  le  prix  de  celui  qui  avoit  le  mieux 
chanté  étoit  un  Bouc  rpl'y^  y  ou  parce  qu'on  y- 
facrifioit  cet  animal  en  l'honneur  de  Bacchus;  oui 
enfin  parce  que  ceux  qui  jouoient  la  Tragédie,  fc 

bar- 


stfR  l'Art  PôETtottrs.  Part.  Jt  Cb.  VIJL  535^ 
barbouilloicnt  le  vifage  de  lie ,  qui  fe  dit  en  Grec 

Les  Tragédies  6c  les  Comédies  étoient  pour 
lors  fort  groffieres.  Celles-ci  n'étoient  que  des  rail- 
leries, comme  peuvent  être  les  Farces  de  ce  tends. 
Les  Tragédies  étoient  plusfcrieufes.  Cétoientdes 
Chants  que  chantoient  des  Chœurs  de  Mufique , 
entre  leiquels  on  inferoiti  des  Récits,  ce  qui  s'ap- 
pdle  fVio^JVoi,  ou  entrechants.  L'ancienne  Comé- 
die a  eu  auffi  des  Chœurs,  comme  le  dit  Hora- 
ce. Je  n'entrcprens  pas  de  foire  une  Hiftoire  exac- 
te de  Toriginc  de  ces  Poëfîes,  qui  eftaffez  cachée. 
Je  crois  en  dire  autant  quil  eft  utile  d'en  fa  voir. 
Mais  fi  Von  defire  connoîtrc  ces  diofes  plus  exac- 
tement, on  peut  lire  la  Poétique  de  Jules  Scali- 
ger ,  celle  de  Voilius ,  &  le  Traité  que  Cafaubon 
a  fait  de  la  Satyre. 

Pour  comptendre  comment  les  Trage(Ues  Scies 
Comédies  fe  font  perfeéHonnées,  il  raut  remar- 
quer que  les  hommes  ayant  changé  la  nature  de 
toutes  chofes ,  de  leurs  divertiffemens  ils  ont  fait 
kts  affaires,  &  s*y  font  apjdiquez  ferieufcment. 
D'abord  l'on  ne  rechercha  autre  chofe  dans  les 
Spcdades,  qn'un  relâchement  d'efprit;  mais  en- 
fuite  on  a  étudié  ce  qui  pouvoit  rendre  ces  Spec- 
tacles plus  agréables,  6c  on  en  a  fait  des  règles. 

Horace  rapporte  que  d'abord  Thefpis  promena 
par  les  Bourgades  dans  un  tombereau  les  Aéleurs 
delà  Tragédie,  barbouillez,  de  lie  : qu'Efchile en- 
fuite  joignit  quelques  pcrfonnages  au  Chœur  qui 
compofoit  prefque  feul  la'  Tragédie ,  êc  fit  élever 
un  Théâtre ,  &  prendre  des  mafques  &  des  ha- 
bits honnêtes  aux  Afteurs.  Sophocle  en  adoucit 
les  Vers.  Menandre  travailla  pareillement  à  polir 
la  Comédie ,  de  forte  que  l'on  négligea  les  autres 
Drames,  &  les  gens  d'efprit  ne  s'appliquèrent  qu'à 
la  Tragédie  8c  à  la  Comédie ,  qui  devinrent  ainli 

Z  4  It 


536  NoiTf EltlS  RlïLEXieN»: 

les  principales  &  les  feules  efpeccs  duPoëmeD»! 
matique. 

Ce  n'eft  pas  que  Von  n'y  »t  tx>Ûjours  joiié  do 
Pièces  irregulieres  propres  pour  divertir  le  PcuplCî 
qui  ne  pût  plus  prendre  le  même  plaifir  qu'il  tro*' 
voit  autrefois  dans  les  Trag^edies  ëc  dans  les  Co- 
médies, après  qu'on  les  eut  fpiritualifëes  ,  pouf 
ainii  di^e ,  6c  réglées  comme  elles  le  font  à  pre- 
fent.  Saint  Chryfoftome  dans  l'Homclie  fixiëme 
fur  le  fécond  Chapitre  de  faint  Matthieu,  dit  que 
c*eft  le  Démon  qui  a  fait  un  Art  de  ces  divcitifle* 
mens  6c  de  ces  jeux  :  Hic  Uk  efi  D'utbolust  ft» 
ttiâm  in  aricmJQCOs,  ludofguc  digejjit. 


Chapitre    IX. 

2)f  la  Comédie  &  ûe  la  Tragédie.  QueUe  eft  kur  dlf^ 
Jerence^  &  quel  eft  le  dejfein  que  les  Pocttift  fro^ 
fêfent  dans  ces  Poèmes* 

APr  e'^s  avoir  parlé  dii  Poëme  Dramatic^ue  en 
gênerai,  il  faut  confidérerfes efpeccs,  Icvoîc 
ce  qui  les  diftingue.  Nous  avons  remarqué  que 
quoi  qu'il  y  eût  diflfcrentes  fortes  de  Drames  dans 
r  Antiquité ,  l'on  ne  parle  que  de  la  Comédie  &  de 
la  Tragédie,  parce  qu'il  n'y  a  que  ces  deux  Poe- 
mes- qui  ayent  des  règles.  L'on  y  pourroit  ajoûr 
ter  une  troifiéme  efpece ,  favoir  la  Tragi-comc- 
die ,  mais  il  n'eil  pas  neceflaire  de  le  faire  s  elle 
eft  feulement  diftinguée  de  l'une  &  dcrautrc ,  par- 
ce qu'elle  participe  de  toutes  deux«  Ainfi  quand 
on  connaît  celles-ci,  l'on  fait  quelle  eft  la  nature- 
de  la  Tragi-comédie. 

La  Comédie  &  la  Tragédie  différent  entr'ellcs^ 
par  la  qualité  de  leur  fujet,  &  par  les  fins  différen- 
tes que  les  Poètes  s'y  propofent.    L'aélioa  qui  et 


;rttR  L*Af.T  POITIQUÏ.   Pêrf.  IL  Ck  ÏX      537 

k  fujet  d'une  Comédie,  cft  une aélion commune, 
&  c'ell  un  de  ces  accidcns  plaifans  qui  arrivent  or- 
dinairement, mais  qui  a  quelque  circonftance  plus 
rare  &  plus  agréable  que  les  autres.  Les  Poètes 
y  font  une  peinture  divcrtiffantc  de  la  vie  civile , 
de  ce  qui  fe  palTe  dans  le  monde  &c  dans  les  famil- 
les. La  fin  eft  de  faire  rire;  ainfl  dans  toutes  les 
parties  il  y  a  des  intrigues  agréables.  Us  ne  préten- 
dent pas  à  Teftime  *du  petit  peuple,  ou  même  ils 
la  méprifent  :  c'eft  pourquoi  [ils  ne  traittent  pas 
des  fujets  qui  foient  entièrement  fales  &  ridicules  ; 
&  parce  que  les  plaifirs  qui  ont  été  précédez  de 
quelque  douleur,  font  bien  plus  doux,  les  Comé- 
dies commencent  toujours  par  quelqtie  chofe  de 
trifte.  C*eft  pourquoi  le  Poëte,  après  avoir  donné 
de  Tamour  aux  Speéhteurs  pour  le  principal  per- 
fonnagc  de  la  Pièce, il  le  feitparoître malheureux 
&  traverfé  dans  tous  fes  defleins ,  qui  regardent 
ordinairement  un  mariage,  afin  que  lorfque  les  in- 
trigues viennent  à  fe  dénouer,  &  q0B  ce  mariage 
réulTit ,  les  SpeéUteurs  reçoivent  un  contentement 
plus  entier» 

Le  fujet  d'une  Tragédie contietitordînaireirienr 
quelque  adion  fanglante.  C'eft  un  Héros  qui 
tombe  en  quelque  grand  malheur  par  la  malice  de 
fes  ennemis;  mais  qui  s'en  relevé  par  quelque  coup 
d'une  valeur  extraordinaire,  &  qui  fait  fervir  à  fa 
vengeance  les  armes  qu'on  avoit  préparées  contre 
lui.  La  Comédie  comprend  la  joie  ce  lesfurprifes 
agréables.  La  Tragédie  renferme  la  terreur  &  la 
compailion.  La  fin  de  l'une  &  de  l'autre  eft  d'é- 
pouvanter &  d'inftruire  le  Peuple,  U^xi^of  pzt 
des  changemens  de  fortune,  &  par  la  punition  du 
crime;  c'eft  pourquoi  les  commencemens  de  la 
Tragédie  font  gais,  afin  que  les  Spedateurs  foient 
frappez  plus  fortement  par  les  accidens  (anglans 
qui  furviennent  à  la  fin  de  la  Pièce.    Ce  change- 

Z  5.  ment 


'53^  NôUVItlES  REFtEXIOÎf » 

ment  eft  appelle  Cataftrophe.  11  contient  des  rcn-l 
veifemens  d'Etats^  des  morts  funeflcs^,  deaPrincsl 
malheureux,  des  Tyrans  chaflez.  Cefont.descho 
fes  que  le  Peuple  écoute  avec  attention  :  R^\ 
•  &  exaé/osTyrantfostfénfumbumerit bibh  orevulffUA 

Les  Maîtres  de  l'Art  ne  manquent  jamais  defià{ 
re  éclater  la  vengeance  du  ciel  fur  ceux  qui  ontl 
perfecuté  leurs  Héros  ;.  &  de  leur  faire  fouffiiil 
quelque  peine  extraordinairCi  II»  ne  laiffent  pointi 
aller  leurs  Spedateurs^  qu'ils  ne  leur  ayent  donné] 
cette  confolation;.  car  lans  cela  ils  fe  retireroicntl 
mécontens^ parce  que,  comme  nous  avons  vu, 
ils  s'intereffent  dans  toui  ce  qui  le  regarde.  Cette 
règle  n'eft  pas  particulière  à  la  Tragédie,  elle  cft 
générale  pour  tous  les  Poëmes.. 

Le  vice  ne  doit  jamais  être  impuni  furie  Thea» 
tre.  Lors  qu'onremontroità  Euripide ,  qu'Ixion 
«u'il  faifoit  paroître  fur  le  Théâtre ,  étoit  extraor- 
dinairement  vicieux,  ilrépondoit;  Mais  auffije- 
ne  le  laiHe  jamais  fortir  do.  Théâtre  que  puni.  & 
roiié,. 

Apres  que  les  Poètes  ont  fait  concevoir  de  Tcf- 
timeôc  de  l'amour  pour  uneperfonne ,  ilikut  qu'ils 
accompliifent  les  vœux  que  les  Speébteurs  ont  fait 
pour  elle,  &  qu'enfin  il, lui  arrive  le  bicnqu'ilslui 
fouhaittent.  Auiîi  dans  l'Eneïdeon  voit  qu'Enée 
devient  enfin  le  maître  dé  l'Italie,  après  avoir  tué 
Turnus  fon  ennemi.  Dans  les»  Comédies  de  Te- 
rence,  les  mariages  entre  les  perfonnes  pour  lef- 
quelles  le  Poëte  a  donné  de  l'amour,  fe.font  tour 
jours  félon  leurs  defirs. 

Outre  que  les  fujets  de  la  Comédie ,  qui  font 
ordinairement  des  mariages,  reveillent  des  idées 
q^ui  plaifent  aux  perfonnes  fenfuelles ,  la  reprcfenta- 
tion  de  ce  Poëme,  qui  fait  remarquer  les  défauts 
des  hommes,  cit  agréable;  ôcl'onyprendplaifir, 

foit 


ruR  l'Art  P oî  t iqj» i.  Part.  IL  Cb.  IX.  5  j^ 

ibit  parce  que  roneftbien-aifedanslc  defordre  où 
on  elt,  d'avoir  des  compagnons  avec  qui  on  par- 
tage la  honte  du  péché ,  foit  parce  qu'on  a  une 
fecrettefatisfaélion  de  fe  voir  exemt  des  défauts  dans 
leiquels  on  voit  tomberles  autres.  On  s'élcve  au 
deflus  d'eux,  &  on  les  méprifc.  Outre  cela,  on 
attribue  facilement  les  fautes  qui  font  expofées  à 
h  rifée  de  tout  le  monde,  à  quelqu'un  fur  lequel 
on  feroit  bien-aife  qu'en  tombât  l'infamie;  ainii 
on  apperçôit  aifément  pourquoi  les  Comédies  font 
fi  divertiuantcs  :  mais  il  n'dt  pas  fi  facile  de  con- 
noître  la  caufe  du  plaifir  que  Ton  prend  dans  la 
Catattrophe  fanglante  d'une  Tragédie.  Je  crois 
qu'il  ne  la  faut  point  chercher  ailleurs  que  dans 
l^omme;  qui  étant  rongé  de  chagrin  &  de  tril^ 
tefle,  lors  qu'il  eft  un  moment  attentif  à  ce  quifc 
paffe  dans  lui-même,  trouve  très- agréable  les  cho- 
ies qui  font  diverfion ,  &  qui  le  defoccupent  des 
penfées  de  la  miferc  de  fon  état  prefent.  Or  les 
accidens  tragiques  font  plus  capables  de  frapper 
fortement  fon  efprit,  &  de  le  faire  fortir  parcon- 
fèquent  de  lui-même,  où  il  ne  trouve  que  des 
fujets  de  triftefîe  &  de  peine.  Ajoutez  qu'on  elt 
bien-aife  de  voir  des  mifercs  dont  on  eft  exemt , 
comme  nous  l'avons  déjà  remarqué. 

Pour  comprendre  en  peu  de  paroles  ce  qui  re- 
garde la  Tragi-comédie ,  je  ferai  feulement  remar- 
quer que  toute  la  différence  qu'elle  a  avec  la  Co- 
médie &  la  Tragédie,  ne  conlifte ,  comme  je  l'ai 
déjà  dit,  au'en  ce  qu'elle  participe  de  toutes  deux, 
La  Comeoie  eft  une  reprefentation  d'une  avantu- 
re  agréable  entre  des  perfonnes  du  commun  ;  la 
conclufion  en  eft  toujours  gaie.  La  Tragédie  au 
contraire,  eft  une  reprefentation  fcrieufe  d'une  ac- 
tion fanglante ,  ou  d  un  accident  funefte  de  quel- 
que perfonne  de  grande  qualité ,  ou  de  gr^nd  méri- 
te: ôc  la  fin  de  cette  pièce  eft  toujours  triflie.    La 

Z  6  Tragi- 


^40        NauvEttis^  RiFtExioNs* 

Tragi-comcdic  eft  comme  au  milieu  de  ces  dcur 
Poëfies.  C'cft  une  reprefentation  d'une  avanturc 
affex  ferieufe,  dans  laquelle  les  principales  perfon- 
nés ,  qui  font  de  qualité,  font  menacées  de  quel- 
Ques  grands  malheurs,  dont  ils  font  garantis  à  la 
fin  par  quelque  événement  inefperé. 

Les  roëtes  nous  veulent  faire  croire ,  que  ht  | 
principale  fin  qu'ilsfe  propofent  dans  leurs  Poe  mes ,. 
eft  la  reforme  des  mœurs.  Que  pour  cela  ils  con> 
battent  le  vice  en  le  rendant  ridicule  dans  les  Co- 
médies, &  horrible  dans  les  Tragédies*  Exami- 
nons fi  on  doit  fe  fier  à  ce  qu'ils  en  difent ,  &  fi 
effcélivement  leurs  Ouvrages  fervent  à.  détruire  le 
vice.  Il  eft  bien  certain  qu'il  y  a  des  défauts  dont 
on  corrige  plus  facilement  les  hommes  ,  en  leur 
en  infpirant  du  mépris  êc  de  la  honte ,  qu'en  les 
combattant  fericufement.  Or  comme  il  a  été  re- 
marqué dans  la  Rhétorique,  au  difcours  où  on 
donne  une  idée  de  l'art  de  perfuader ,  pour  ren- 
dre une  chofe  ridicule ,  il  ne  faut  que  feparer  ce 
qu'elle  a  de  bas  &  de  mauvais,  d'avec  ce  qu'elle, 
a  de  bon,  &  foire  une  peinturena'ivcdecettehaf- 
fefle. 

Il.fe  peut  faire  qu'un  vieillard' avare  ait  de  bon- 
nes qualitez,  dont  il  couvre  fon  avarice.  Ce  qui 
jàit  qu'elle  paroît  plutôt  être  une  vertu  qu'un  vice  : . 
mais  lors  qu'un  Poëtc  lui  ôte  ce  mafque  ,  qu'il  la 
zeprefente  avec  des  couleurs  naturelles,  &  telle 
qu'elle  eft ,  on  en  conçoit  un  grand  mépris  ;  l'on 
aaroit  honte  de  tomber  dans  une  faute  ii  mépri- 
fable,  &  on  l'évite  avec  plus  de  foin;  car  la  honte 
eft  un  fort  rempart  contre  le  débordement  de  la 
concupifcencc. 

La  crainte  des  peines  eft  auffi  très-utile  peur  dé* 
tourner  les  hommes  du  vice.  Or  dans  les  Trage-^ 
dies  l'on  y  voit  des  accidens  funcftcs  accabler  ceux 
qui  n'aiment  pas  la  vertu,  ôc  qui  fuivent  leurs 

pafr 


svR  l'Art  Pôbtxqui.  PartJL  Cb.  X.  ■f4r 

paffions  déréglées.  Ccft  donc  à.  tort,  me  dira; 
quelqu'un ,  que  jufqu*à  prcfent  nous  avons  con- 
damné la  Poëiie  comme  dangereufe.  Pour  fatis- 
faire  à  cette  objeétion,  examinons  encore  le  de(^ 
fein  que  les  Poètes  nous  veulent  faire  croire  qu'ils ^ 
ont  en  compofant  leurs  Ouvrages ,  &  quel  fUccèt. 
ils  ont  eu.. 


Chapitre    X. 

Les  Comédies  &  lis  TrMjretTtes  eorrampent  les  meeurs^, 
bien  Uinde  Us  refçrmer* 

L*E  xptRiENCi: atoûjours fôit connoître que* 
le  Théâtre  eft  une  tres-méchante  école  de  lai 
Vertu;  &  que  les  moiens  que  les  Poètes  femblcnt. 
emploier  pour  corriger  les  hommes  de  leurs  vices, 
font  plus  propres  à  les  y  entretenir,  qu'à  les  en  dé- 
livrer. ^  jiffuefaélio  morbi  ,  non  liberittio-^    Pour  ce. 
qui  eft  de  TaComcdie,  les  Paiens  mêmes  ont  rc-^ 
connu  combien  elle  étoit  dangereufe ,  &  que  les 
}euncs  gens  ne  dévoient  pas  lire  ces  fortes-  d*Ou- 
Vf  âges,  qu'après  que  leurs  mœurs  feroient  telles 
ment  affermies*,  qu'elles  ne  pourroient  plus  en  être- 
blcflces.  *  Cùm  resfuerintin  tuto.     Il  eft  bien  vrai' 
que  Ton  y  rend  l'avarice  ridicule,  &  que  l'on  y. 
condamne  les  débauches  des  jeunes  gens  &  leurs 
folles  amours;  mais  cen'eft  point  par  des  railleries 
que  l'on  détruit  le  vice,  particulièrement  celui  de' 
l'impureté;  ce  mal  efl  trop  grand  pour  êtrcguerî\ 
par  un  remède  fi  foible  ,  &  même  fouvent  oir. 
prend  plaifir  à  s'en  voir  railler. 

La  Raifon  &  la  Religion  ne  nouspermettent  pas* 
de  regarder  fimplementi  impureté  comme  une  cho— 
fe  riddcule  ;  elles  veulent  que  nous  en  aions  horreur  » 

Z  7  & 


m 


Ç4r  N  ouvïLtrr  Ktrt'Exvo^Hf 

5c  elles  demandent  que  nous  en  aions  tant  d'ëloi- 
jgnement ,  que  nous  n -y  penfions  jamais.  Ce  n'cft 
que  par  la  fuite  que  Ton  défoit  ce  monflre;  quel- 
que mépris-qu'on  conçoive  pour  une  adtion  im- 
pure dont  on  voit  la  reprefentati on, ^ cette  vûë 
cil  feule  capable  de  porter  à  la  commettre.  Dif- 
citur  MduHerium  --y  dum  videtur.  La  >  pente  que  nou^ 
avons  vers  les  plaifirs  eft  trop  forte  pour  être  re- 
tenue par  la  feule  honte;  &  on  efpere  toujours  la» 
pouvoir  éviter  parle  fccrct,  dont  on  tâche-de  cou- 
vrir fes  dcfordres  aux  yeux  des  hommes. 

Outre  cela  V  quoi  qu'en  difent  les  Poëces,  leur 
deffein  eft  pWtot  de  rendre  le  vice  aimable  que 
honteux.    Ils  ne  condamnent  effectivement  &  ne 
rendent  ridicules  que  certains  défauts  moins  con- 
fiderables>  comme  l'humeur  difficile  des  vieillards,, 
leur  avarice,  leur  fevcrité envers  la  jeunefle,  leur 
facilité  à  fe  laiiTer  tromper.    Mais  l 'impudicitére- 
ine  dans  leurs  Ouvrages  ,  quoi  qu'elle  y  paroifle 
ibus  les  habits  de  la  Vertu.  Car  enfin  Tldolc  de 
la  Comédie  eft  toujours  un  jeune  homme  qui  cfl 
teûlé  d'un  feu  criminel. 

Par  exemple,  dans  TAndrienne  de   Terence,. 
Eamphile  entretient  un  tres-méchant  commerce  a- 
vcc  Glycerie,qui  accouche  avant  le  mariage.  Cepen*- 
dant  lelPoëte  qui  veut  interefler  fes  auditeurs  dans 
la  fortune  de  Pamphile  &  deGlycerie,  fait  paroi- 
tre  ces  deux  jcimes  gens  aimables;  il  en  fait  à  Ja 
fois  un  monure  de  vertu  &  de  vice ,  ou  plutôt  un 
compofé  des  vices  effectifs  fous  de  vertus  apparen- 
tes, pour  le  rendre  aimable;  de  forte  que  bien  loin 
que  des  jeunes  gens  conçoivent  de  la  honte  de  ces 
fortes  d'amours ,  ilsfouhaiteroient  reflembleràces 
deux  amans ,  dont  les  amours  réiifliiTent. 

Pour  en  donner  de  Fhorreur ,  le  Poëte  auroit 
dû,  non  pas  feindre  ces  fuccès  imaginaires  qui 
tfarri  vent  jamais;  mais  rapporter  funplement  les 

mal^ 


tun  l'Aut^Poetique.  Part:JL,CkX.  54J: 

malheurs  où  s'engage  infailliblement  un  jeune: 
homme ,  qui  fe  marie  à  Tinfû  ou  contre  la  vo- 
lonté de  fes  parens.  Ajoutons  que  Ton- apprend, 
dans  les  Comédies  mille  mauvaifes  intrigues  pour- 
iaire  rétiflîr  ces  mariages  qui  font  contre  les  Loix». 
foît  pour  gagner,  ou  pour  tromper  un  père;  & 
que  l'on  y  tourne  toujours  en  ridicules  ceux  quis 
veulent  corriger  la  jeuneffc ,  & .  arrêter  le  cours  de: 
fes  defordres. 

La.  Tragédie  n'eft. point  fi  dàngereufé  que  \i. 
Comédie;  mais  elle  Tcft  néanmoins- beaucoup.. 
Les  vices  dont  elle  donne  de  l'horreur  ,.  paroi  flent 
horriblesd'eux-mênftesfans  artifice.  C'eft  un  Oédi- 
pe  qui  tue  fon  père,  qui  époufe  fa  mère.    Lai 
feule  crainte  des  fupplices  rigoureux  ordonnez  par 
les  Loix  retient  aflcz  de  ce  côté-là. .  Mais  tous  Ics^ 
autres  vices ,  comme  la  haine ,  la  vengeance ,  Tam- 
bition,  l'amour,  y  font  peints  avec  des  couleurss 
qui  les  rendentaimableSyComme  nous  avons. rcf- 
marqué; 

Il  eft  vrai  que  les  P.bëtes  ne loiientpassccs vices,', 
mais,  en  loliant  les  perfonnes  en  qui  ils  ie  trouvent, . 
&  les  couvrant  de  tant  d'excellentes  aualitcx,  ilss 
font  que  non  feulement  on  n'a  pas  de  honte,  de- 
leur  relTembler,  mais^qu'on  fait  gloired'avoir  leurs 
défauts.  C'èft  ainfi  que  faifoient  les  Difciples  dc- 
Platon,  qui  contrcfaifoient  fes  hautes  épaules;  & 
ceux  d' Arittote ,  qui  affedoient  de  bégaier  com- 
me lui.  Nous  nous  imaginons  facilement  que  ceux. 
Î[ui  remarqueront  en  nous  ces  mêmes  defouts  qui 
ont  d'Ans  les  grands  hommes^  jugeront  que  nous 
leur  fommes  femblables  en  tout  le  refte. 

Ciceron  reprend  les  Grecs  de  ce  qu'ils  a  voient  • 
confacréles  amoursimpudiques  dcsDieux,en  faifant 
une  Divinité  dèCupidon  :  &  il  dit  qu'ils  ne  dévoient 
rendre  ce  culte  qu'a  leurs  vertus.  Laétance  remar- 
que fort  bien  que  ce  n'eft  point  affcz,  8c  qu'ils  de- 
'        "  ~ '  '  voient 


'f44'        Nouvelles  Réflexions- 

voient  entièrement  quitter  des  Dieux  vicieux  qvi 
nuifoient'  plus  par  1  exemple  de  leurs  defordres , 
qu'ils  ne  pouvoient  être  utiles  par  l'exemple  de  leur 
▼crtu.  Le  mal  a  plus  de  force  que  le  bien  fur  l'ef- 
pritdeThommc,  &s'il  fe  trouve  une  perfonnequi 
imite  quelqu'une  des  vertus  des  Héros  des  Poètes  ,. 
il  y  en  a  nulle  qui  font  les  imitateurs  de  leurs  vicesb 


.   G  H   A  P  I  T  R  1     XI. 

reprefent»ti9n  qu^èn  fait  des  Cometftes  et  des  Tra^ 
gediesfur  Us  Théâtres  publics  ^  en  augmente  le  «Afiv- 
ger^  L'on  ne f eut  Mjjifler  aux fitâiacles  pins  ferîl. 

T  E  $  Poèmes  Dramatiques  font  plus  dangereux 
•*-^  que  tous  les  autres  Ouvrages  de  Poëfîe;  parce 
qu'on  les  reprefente  fur  les  Théâtres  publics.    Ce 
que  l'on  voit  faire  touche  bien  davantage  que  ce 
que  l'on  ne  fait  qu'entendre.    Un  Comédien  lafcif 
émeut  les  paffions  des  autres-,  en  feignant  d'en  a- 
yoir  lui-même-,  Enervis  *biJirio9  amorem  dum  fn^ 
gitf  infligit.    Lors  que  ceux  avec  qui  nous  con- 
verfons,  expriment  vivement  leurs  affeédons ,  Us 
nous  les  communiquent  ;  l'image  dcleurs  avions ,. 
que  nousvoions,  lefondesparolesqu'ils  pronon- 
cent d'un  ton  élevé,  excitent  en  notre  ame  des 
idées  qui  font  fuivîcs  des  mêmes  mouvemcns  done 
ils  font  agitez. 

Comme  la  Nature  nous  a  faits  les  uns  pour  les 
autres ,  elle  nous  a  liez  par  cette  fympathic  ou  com- 
munication réciproque  de  nos  pâmons;  de  forte 
qu'une  perfonne  vicieufe  qui  nous  parle  fortement , . 
ne  manque  point  de  nous  tourner  l'efprit  &  lé 
F^^^commelefien,  &  par  confequent  de  noué 
infeaer  de  fon  venin ,,  à  moins  que  nous  nous  te-^ 
M.  „.    .  nions  > 


y  un  l^Aet  Poet^i^ûb;  Paru  IL  Ch.  XI.  ^4^ 

îJions  attache!  à  la  vérité  po«r  n'être  pas  ébranler 
par  fes  paroles ,  &  que  nous  n'exdtions  en  nous- 


imitcr  ce  que  Ton  voit  faire  fur  le  Théâtre,  ou  en: 
avoir  de  Taverfion.  Il  n'y  a  point  de  milieu,  ne- 
ceffe  eft  aut  imiuris ,  aut  oderis. 

Or  on  ne  va  pas  à  la  Comediepourlaccnfurer ,. 
&  quand  on  y  eft,  il  eft  difficile  que  Ton  ne  s*y 
laine  furprcndre  par  le  plaifir  que  l'on  y  trouve, 
fous  lequel  les  vices  fe  gliflcnt  dans  nôtre  cœur. 
Tune  enim  per  v$/uptatemfaciiiàs  vitiafumpunU  Ce 
qui  ^t  dire  à  ce  Philofophe ,  qu'il  n'y  a  rien  de 
plus  dangereux  pour  les  bonnes  mœurs,  que  les  Spec-:^ 
tades.    N/ib/7  vtrieft  tant  damnojum  bonis  nu^ribus^ 
quam  in  aliquofpeStacuh  defidere.     Çt  quoi  qu'il  n'ait- 
pas  coutume  de  parlera  fqndefavantage,  il  avoue 
que  les  Speâacles  faifoient  de  ii  grands  change*; 
mens  dans  fon  cœur,  quil  enretoumoit  nonfeu-^ 
lement  plus  avare ,  plus  ambitieux ,  plus  amateur 
des  plaiurs  &  du  luxe:  mais  encore  plus  cruel  & 
moins  homme;  parce,  dit-il,  quej'ai  été  avec  des 
hommes;  Avarier  redeo^  ambitiofiart  luMuriofior f. 
imo  verb  crudelior  &  inbumanior^  quiaintertomines', 
fui» 

Que  l'on  prouve  fi  on  le  veut ,  que  les  Comé- 
dies qui  fe  jouent  aujourd'hui  ne  peuvent  caufer 
que  des  paffions  innocentes,  &  des  fentimensrai- 
lonnablcs,  qu'on  en  conclue  qu'il  n'y  a  aucun  dan- 
ger, que  ceux  qui  les  reprefentent ,  nous  com* 
muniquent  les  mouvemens  qu'ils  expriment^;  ce- 
la ne  s'accorde  point  dutout  avec  l'expérience;  & 
s'il  étoit  ainfi,.  les  gens  du  fiecle  pour  qui  elles  font 
faites ,  nes'y  divertiroient  nullement.  Mais  enfin ,. 
<}uand  elles  feroient  bonnes  en.  elles-mêmes,  c'eft* 
à  dire  que  fur  le  papier  ôc  dànsla  bouche  des  Ac- 
teurs. 


546  NOVTBLIBS  RAFLEXZONf 

teurs  eUes  n'auroient  aucun  venin;  on  ne  fauroit 
dire  que  leur  rcprefentation  avec  toutes  ces  circonf- 
tances  foit  entièrement  innocente. 

Les  Speâades  font  criminels  par  leur  origine. 
Le  vin,  Tinfolence,  la  violence,  6c  le  deûr  de 
médire  les  ont  fait  naître,  ainfi  que  nous  l'avons 
Vu,'  &  que  Ta  remarqué  TertuUicn.  *  Facit  enim 
koc  ad  origînis  maculam ,  m  bonttm  extjiimes%  quod 
initium  à  malo  acce^hf  ak  impuJcntia,  à  v  soient  ta  ^ 
âb  odtQ.  L'on  fait  quelle  efl  la  vie  des  Corne* 
diens  :  on  fait  avec  quelle  feveritélesLoixdvilcs 
&Fcclefialtiques  condamnent  leurprofeffîon.  Le» 
unes  ne  les  admettent  point  à  la  participation  des 
Sacremens,  &  les  autres  les  dedarent  infinies.  On* 
Qe  peut  donc  point  fans  pédxer  les  entendre ,  & 
feur  donner  dequoifubfifter,  puis  qu'on  ne  peut  le 
£dre  iàns  les  attacher  à  leur  profemon. 

On  ne  va  à  la  Comédie,  dit-on  ordinaire- 
lîient,  que  pour  y  prendre  unplaifii  honnête.  Ter* 
^tollicû*  nepeutfoufi&ir  cette  recherdie  dcsplaifirs. 
H  prouve  invinciblement  par  ces  belles  paroles  de 
}  E  s  u  »-C  M  B.  I  s  T  à  fes  Difciples ,  Pendant  que  le 
monde  fi  repuirat  vous  firez  dans  la  trifteffe^  que 
Ton  ne  peut  être  heureux  ici  fur  la  terre  &  enfui  te 
dans  le  Ciel ,  que  chacun  ell  heureux  &  malheu- 
reux à  fon  tour.    Vicibus  diffofita  res  efi. 

Pleurons  donc ,  dit  ce  Père ,  pendant  que  les  gens 
du  monde,  fe  réjouïflent;  afin  que  lors  qu'ils  com- 
menceront à  tomber  dans  l'état  épouventable  des 
douleurs  que  la  Juftice  de  Dieu  leur  refervc,  nous 
puiffions  entrer  dans  la  joie  que  nôtre  Seigneur  pré- 
pare à  fes  Elus.  Car  li  nous  voulons  être  dans  la 
joie  avec  eux  dans  ce  monde,  nous  ferons  affligez 
a>yec  eux  éternellement.  Lugeamut  ergOt  dumEtb-- 
nictgaudenty  ut  cum  lugere  cœperint  y  gaudèamus  i 
ni  pariter  nuncgaudentes  y  tune  quoque parster  lugea* 
mus.  Cette  Morale  eft  un  peu  forte  pour  les  Cnré- 
,  :  tiens 

f  Du  Sptantlis,  cké  s» 


» w  R  l'A  II  T  P  o  B  T  tQjs%.  Fsrt.  H*  ffi.  XI.  ^At 

tiens  de  ce  ûedc.  Accordons  à  la^coûtùme  qu'on; 
peut  aimer  les  divertiflcmens  &  les  rechercher;, 
mais  aulTi  ne  fauroit-on  dénier  que  les  plaifirs  crimi- 
nels ou  dangereux,  t<:ls  qu'on  a  prouvé  queftcc* 
lui  de}  laComeitie,  ne  foient  défendu».  Outre 
les  raiibns  que  nous  enavon^  apportées,  l'on  peut 
encore  conllderer  que  ce  plaifireft  contre  lanatu«- 
le  dea  divertlifemens  licites,  qui  eft  de  fortifier  Tef- 
pht  en  le  relâchant,,  &  de  le  rendre  propre  à  exer- 
cer avec  plus  de  vigueur  fes  fonctions  ordinaires  ^ 
&  particulièrement  celles  oîtla  Religion  l'engage.. 
Après  la  Comédie  Ton  n'eft  nullement  difoofé  àla^ 
Prière,  qui  eft  la  principale  fonétion  des  Chrétiens^ 

Il  arrive  la  même  chofeà  rèfprit  Qu'aux  corps 
qui  ont  été  mus  avec  violence.  Le  branle  de  ce 
mouvement  dure  long-tems  apr^  raâion  qui  Vz 
caufé.  L'efprit  fe  trouve  encore  à  la  Comédie  a- 
près  que  l'on  en  eft  forti,  &  comme  il  s^'eft  accou- 
tumé à  des  pallions  violentes,  à  voir  des  chofes 
qui  le  renracnt fortement,  il  devient infenfibic aux 
mouvemens  du  S.  Efprit  qui  font  modérez.  Le». 
douceurs  que  prennent  les  bonnes  âmes  dans  la:; 
prière,  luifemblent  fades,,  ou  plutôt  il  ne  les  gpû- 
te  point.  Cette  raifon  ne  paroîtra  pas  forte  aux. 
gens  du  monde  ;  cependant,  les  Percs  deTEgUfe 
qui  connoifToient  par  la  Fdfaitiiéceffité  de  la  priè- 
re, Tont  fort  pefée&s'enfoiltfervis  pourautorifer 
la  dcfenfe  qu'ils  feifoient  aux  Chrétiens  d'aller  aux. 
Ipeéhclcs. 

11  n'eft  pas  poffible  de  marquer  ici  tous  les  dan-^ 

Sers  que  Ton  court  dans  les  foeftades.  La  cupi» 
ité  y  dreffe  par  tout  des  embûche^.  Non  feule- 
ment les  Comédiens  &  les  Comédiennes ,  n^îais  tou- 
tes les  perfonnes  qui  vont  à  la  Comédie,  yparoiiP:- 
fent  avec  tous  leurs  ornémens  :  ce  qui  caufe  de: 
lus  dangereufcs  chûtes ,  comme  dit  Tertullien;. 
omnij^e^acuh  nuUum  magisfcandaium.occurrit^ 


t 


548      '     N0UY£ltES  ReFXIZXÔN» 

§uàm  ilie  virorum  &  mùlierum  accuratiar  cultus.  Lai 

première  pcnfée  qu'on  a  en  ces  lieux  ,  qui  font' 
r£glife  du  Diable,  comme  le  même  Perdes  appel- 
le; EccUfis  BMûRj  G'cftdevoirôc  d'être  vu.  N^ 
mo  infpefiacuh  ineundê  prias  coffHatr  nifi  videre  ë 
viderL  Ajoutons  à  ces  raifons  u  défcnfe  que  TE- 
glife  a  toûiours  faite  de  fe  trouver  auxfpeâadcs. 

C'étoit  autrefois  la  marque  ,  à  laquelle  les  F^ 
yens  connoifloie^t  qu'un  homme  s'étoit  lait  Chré- 
tien »  lors  qu'il  ne  fe  trouvoit  point  dans  ceslieuxr 
&  qu'il  en  avoit  avcrfion.  De  repudîo  fpeSiaculorum 
inteUigunt  faSlum  Cbrijiisnum,    Et  l'Eglife  n'ad- 
mettoit  perfonne  auBatême»  comme  elle  Êiit  en- 
core aujourd'hui»  qu'après  avoir  exigé  cette  pro- 
mefle ,  çue  l'on  renonceroit  aux  pompes  du  Dia- 
ble, qui  étoit  le  nom  qu'on  donnoit  aux  fpeâa- 
€les ,  félon  Tertulliea.    Hétc  tfl  pampa  diaMt ,   ad' 
vvrfus  quam  in  fynacuk  fidtijuramas.     Cette  feule 
défenfe  ,  quand  elle  ne  feroit  foûtenuë  d'aucune 
raifon ,  ne  devroit-elle  pas  fuffire  à  des  Chrétien? 
pour  les  détourner  de  la  Comédie,  puifque  nous- 
devons  une  obeïiTance  aveugle  à  l'autorité  de  l'E- 
glife ,  6c  que  nous  avons  renoncé  à  ces  divertiir&- 
mens  dans  leBatême? 

T>ts  j>erfonnes  de  pieté  &  d'érudition  ont  fait 
▼oîr  clairement  eQjcJj^rensTraitei  qu'ils  ont  pu- 
bliez fur  cette  matière,  que  la  défenfe  de  l'Eglife, 
&CCS  promeflcs  duBatême  regardent  auffi  bien  les- 
Comédies  de  ce  tems ,  que  les  fpedades  des  an^ 
ciens^  Ce  qui  doit  être  évident  à  ceux  qui  auront 
lu  avec  (quelque  attention  les  ReBeiions  que  nous' 
avons  faites  jufqu'à  prefcnt,  puifque  les  Pièces  de 
Théâtre  étant  compofées  aujourd'hui  avec  plus 
d*art ,  elles  font  par  confequent  plus  dangeremes, 
fdon  le&  Reflexions  du  Chapitre  troifiéme  d^efTus.. 


G   HA- 


s*-^ 


«VR  t*ART  PoîTiQwc.  PâriJJ.  Œ  XII.    549 

Chapxtjie    XII. 

Di»  P^'éme  narratif:  Quelles  font  fis  effeeesl 

Y  E  Poërae  narratif  cft  un  fimplc  Difcours  fans 
-^aélion  ,  &  c'eft  une  de  fcs  pnndpales  différen- 
ces d'avec  lePoëme  Dramatique.  Il  y  a  autant  de 
fortes  de  Difcours ,  qu'il  y  a  de  différentes  matiè- 
res fur  lefquelles  on  peut  parler.    Ainfî  le  Poëme 
narratif  comprend  fous  lui  une  infinité  de  différen- 
tes efpeces,  qu'on  peut  néanmoins  réduire  à  un^ 
petit  nombre ,  en  confiderant  que  toutes  les  Poë- 
fiesfont  fiiites,  ou  pour  être  chantées,  ou  pour 
être  feulement  lues.  Les  Odes ,  les  Hymnes ,  les 
Chanfons  appartiennent  au  premier  chef  :  Tout 
ce  que  nous  pouvons  dire  de  ces  Poëfîes ,  clique 
leur  prix  conuftc  dans  l'harmonie  de  leurs  Vers, 
dont  la  cadence  doit  exprimer  la  qualité  de  la  ma- 
tière. J'ai  traité  avec  aflez  de  foin  de  Tharmonie 
dans  l'Art  de  parler,  je  n'ai  rjcn  à  y  ajouter  ici. 
Les  Poëfîes  que  l'on  fait  p(!)ur  être  lues  feu- 
lement, comme  les  Difcourren  profe,  fe  peu- 
vent diftinguer  en  Didadtiques ,  en  Hiftoriques , 
&  en  Oratoires.    Les  Poëuès  Didaétiqucs  feront 
celles  qui  expliquent  quelques Difdplines,  comme 
la  Phyfîque,  la  Morale,  1  Aftronomic,  la  Méde- 
cine, la  Peinture,  l'Agriculture  &  les  autres  Arts. 
Ainfî  le  Poëme  de  Lucrèce  cft  une  Phyfîque;  ce- 
lui de  Manileeft  un  Traité  d'Aftronomie:  les  Geor- 
giques  de  Virgile  expliquent  l'Agriculture  :  la 
Pharfale  de  Lucain  cft  proprement  l'Hiftoirc  des 
Guerres  civiles,  dont  CSefar  &  Pompée étoient les 
Che6  :  rOuvrage  de  Si^MsJtalicus,  eft  au(S  une 
Hiftoire. 

Four  traiter  les  Difdplines  Se  rHiftoire  en  Vers, 

il 


550  NovirMiBs  Rbflïxions 

dl  ne  feut  point  d'autres  règles  que   celles  -m 
Ton  doit  obferver  écrivant  en  profc  :  li  ce  n  -* 


•que  la  verfification  demande  une  manière  d'é- 
crire moins  fccbe  &  plus  gaie.  Comme  Ton  cft 
gêné  par  k  mefure  qu'il  feut  donner  aux  paro- 
les ,  on  peut  prendre  un  peu  plus  de  liberté  dans 
-   la  manière  de  traiter  les  chofcs. 

Les  Rhéteurs  diftingucnt  trois  genres  de  Dï- 
cours  oratoires.    Le  premier  eft  le  genre  délib^ 
tatif ,  où  il  s'agît  de   délibérer  fur  quelque  pro- 
pofîtion  :  le  fécond  eft  le  judiciaire ,  dans  Icqud 
il  eft  queftion  d'accufer  ou  de  défendre  quelquua 
€n  Juftice  :  le  troifiéme  eft  le  genre  demonftra- 
tif,  que  Ton  emploie  pour  faire  paroître  les  ver- 
tus aun  homme  ou  fes  vices.    On  peut  com- 
pofcr  des  Poclies  en  ces  trois  genres.  Autrefois 
celles  qui  étoient  dans  le  genre  dcmonftratif ,  & 
dont  on  fe  fervoit  pour  blâmer,  étoient  écrites  en 
vers  ïambes.  On  fait  que  cette  forte  de  vers  a  été 
inventée  pour  les  inveéiivespar  Archilochus» 
Arcbilochum  *  proprio  rabies  armavtt  ïamko. 

Les  Pièces  qui  font  dans  le  genre  démonftratif , 
fe  nomment  ordinairement  Panégyriques ,  lors  qu'el- 
les ne  contiennent  ^ue  des  louanges.  Les  Panégy- 
riques en  vers  reçoivent  diffcrens  noms  félon  les 
occailons  pour  lefquelles  on  les  fait.  Ils  s'appellent 
Epitbalamey  lorfque  l'on  loue  des  perfonnes  au  jour 
.  de  leur  mariage  :  Epicedie^  fi  c'eft  après  leur  mort, 
&  Apotheofe^  fi  l'on  poufTe  fi  loin  leurs  louanges» 
qu'on  les  place  parmi  les  Dieux  de  la  Geotilité. 

Les  Satyres  Latines  6c  Françoifes ,  font  des  déda- 
mations  contre  le  vice  s  elles  appartiennent  au  gen- 
re démonftratif.  Je  dis  les  Satyres  Latines,  parce 
que  les  Grecques»  comme  nous  avons  vu ,  étoient 
des  Drames.  L'on  combat  le  ^ice  en  deux  maniè- 
res 9  ou  par  de  fortes raifons,  comme Juvenal, ou 


fUR  l'Art  Ponrî<iui.PartJI.Ch.XIL  551 

par  des  railleries  fines ,  comme  fait  Horace.  On  a 
tâché  de  renfermer  dans  l'Art  de  parler,  tous  leg 
préceptes  qui  regardent  toutes  ces  Pièces  oratoires. 
Il  n'y  a  point  deDifcours  en  profe ,  que  Tonne 
puiffe  mettre  en  vers;  ainfi  Ton  fait  des  Epîtres  en 
vers.  Les  Stances,  les  Quatrains,  leç  Sonnets,  les 
Epigrammes,  font  de  petits  Difcours  ,  à  qui 
Ton  donne  difFerens  noms,  félon  le  nombre  ouïe 
genre  des  vers,  ou  félon  le  fujet.  LesDiftiques 
font  des  Ouvrages  de  deux  vers.  Les  Quatrains 
font  de  quatre.  Les  Epigrammes  font  des  infcrip- 
tions.  Lorfque  ces  luicriptions  fe  mettent  fur  des 
Tombeaux ,  on  les  appelle  Ephapbes, 

11  feroit  très-difficile  de  donner  des  règles  généra- 
les ,  qui  fuffent  utiles  pour  compofer  ces  fortes  d'Ou- 
vrages. Celles  que  nous  ont  données  les  Maîtres  >  ne 
regardent  que  la  verfification  :  ainfi  c*cft  des  Gram-, 
mairiens  qu'il  faut  les  apprendre.  Maintenant  l'on 
n'appelle  pas  feulement  Epigrammes,  les  infcrip- 
tions  mifes  en  vers ,  mais  tous  les  petits  difcours 
dont  le  fens  eil  renfermé  d'une  manière  ingenieufe 
en  peu  de  vers.  La  condufion  de  TEpigramme 
doit  contenir  quelque  grand  fens  qui  furprennc. 
L'exprefllon  en  doit  être  rare  &  fort  courte  :  ce 
qui  fait  que  Ton  donne  le  nom  de  pointe  à  cette 
condufion. 

Toute  cette  midtitude  de  préceptes  que  Ton  a 
voulu  doimer  juf^ues  à  prefent  pour  faire  de  bon- 
nes Epigrammes,  n'a  produit  aucun  fruit.  Les 
perfonnes  d'eforit  ne  trouvent  point  moien  d'inf- 
truire  la  jeuneuc  fur  cette  matière ,  que  de  leur  pro- 
poferles  plus  excellentes  Pièces  des  Poètes  qui  ont 
réuffi  en  ces  Ouvrages.  Ce  que  je  dis  des  Epi- 
grammes ,  fei  doit  entendre  des  Sonnets,  6c  en 
gênerai  de  toute  autre  Pièce,  foitenvers,  foiten 
profe. 
D  y  a  des  Poèmes  qu'on  ne  peut  appcllcr  Dra- 

mar 


i^l  NOUTIILZS  RZFLEXXOK^I 

cnatiques,  pais  qn  ils  ne  font  pis  fûts  pour  le  Thca- 
tre;  mais  auffi  ils  ne  font  point  parement  mm^ 
tift»  étant  compofcz  de  telle  minière  que  lePoë* 
te  n^  pirolt  point,  &  que  Ton  croit  Toir  non 
l'Auteur,  mus  des  peifonnes  qui  parlent  &qui  a- 
gifTent  devint  nous  »  comme  à  la  Comédie.  Les 
E/egîes  font  de  ce  nombre  :  il  ne  femble  pas ,  par 
exemple ,  dans  les  Elégies  d^Ovide  gue  ce  foit  le 
difcours  de  ce  Poète  :  3  fait  une  peinture  fi  Tire 
de  la  perfomie  qu'il  &it  parler ,  que  Ton  en  eftprcf- 
que  autant  fntppé,  queû  ellefaifoitréellementfcs 
plaintes  en  nôtreprcîcncc. 

L'on  peut  aum  rapporter  à  ce  genre  les  Diâih 
gués,  tels  que  font  les  Bucoliques  ou  Edogoesde 
Virgile,  qui  font  des  Dialogues  entre  dcsBeigeis. 
CesOuvrages  ne  demandent  rien  autre  chofe  qu  une 
obfer\'ation  cxade  de  la  Trai-femblance;  c'eft  i 
dire  qu'il  n'y  faut  rien  feire  dire  aux  perfonncs  que  * 
Ton  rait  converfer  les  unes  avec  les  autres,  que  ce 
qu'elles  difent ordinairement.    Néanmoins,  com- 
me les  Peintres  choifîlTent  dans  la  Nature  les  objets 
dont  la  peinture  efl  la  plus  agréable ,  il  faut  auîli 
que  ceux  qui  compofcnt  ces  Dialogues,  choififfcnt 
tout  ce  que  les  perfonnes  qu'ils  introduifent  peu- 
vent dire  de  beau.    Sans  ce  choix  les  Dialogues 
feroient  aufli  ennuyeux  que  les  longues  convcrfa- 
tions  de  ces  gens  qui  ne  difent  rien.    Un'y  apoiht 
de  manière  plus  propre  pour  inftruirc ,  que  celle 
aui  fe  £iit  par  Dialogues.    Me  tient  du  Drame  8e 
de  l'aélion ,  qui  touche  beaucoup  ^lus  qu'un  dif- 
cours mort  ;  mais  il  faut  qu'ils  foient  courts.    Quii- 
quid  pTÂcipies  y  ejîo  krevis.    Les  Ouvrages  quifont 
compofez  de  différentes  fortes  de  petits  Ouvrages 
fans  beaucoup  d'étude ,  fe  nommeiît  Syhes.  Cdt 
le  nom  que  otace  a  donné  à  un  Recueil  de  plu- 
fieurs  petits  Poèmes  qu'il  avoit  çompofcz  fur  le 

champ  I  çx  içtw£Qrç% 

L'Epi: 


-SUE  l'Atit  Poétique.  Part. IL  Cb\XtL  553 

li'Epique  renferme  prefque  toutes  les  Pièces  de 
Pocfie  dont  nous  avons  parlé.  Il  n'eft  pas  fait  pour 
être  chanté  comme  les  Odes  ;  cependant  tous  les 
vers  à  caufe  de  leur  harmonie ,  ont  été  confîdc- 
rez  comme  des  chants  :  d'où  viertt  que  les  Poètes 
ne  difcnt  pas  qu'ils  racontent ,  mais  qu'ils  chan- 
tent. 

Li'Eplque  eft  oratoire;  car  premièrement c'eil le 
Panégyrique  d'un  Héros.  Il  y  a  des  Harangues  dans 
toupies  genres, des  délibérations» des  accufations» 
des  défenfes ,  des  louanges ,  des  invcéHves.    Il  eft 
KftoTiqiie,  Ton  y  lit  non  feulement  THiftoire  du 
Héros  de  là  Pièce  j  mais  prëfque  celle  de  tout  le 
ino;ide  >  comme  nonsVallons  voir  dans  le  Chapitre 
Jutvant.    11  eft  DidaéHque ,  puis  qu'il  inftruit ,  qu'on 
y  trouve  de  la  Morale ,  de  la  Pnyfique ,  qu'on  y 
peut  apprendre  la  manière  de  combattre,  d'atta- 
queri<  de  défendre  une  Ville.    L'on  y  rencon- 
tre dés  Epigrammes ,  des  Lettres:  les  Dialogues  y 
font  fréquents,  Scie  Poète  fe  dérobe  autant  qu'à 
le  peut  de  la  vue  de  fcs  Leéleurs ,  afin  qu'ils  ne  s'ap- 
j)erçoivent  pas  que  c'eft  un  Livre  qu'ils  ont  entre 
lés  mams;  &  qu'ils  fe  puiflent  en  quelque  façon 
imaginer  qu'ils  voient  les  chofes  qu'Ûs  liient.    Ce 
Poëmeeftainfileplusconfiderablède  tous  lès  Poè- 
mes n^arratifs  &  c'eft  dans  celui-là  feul  qu'on  gar- 
ïecçs  règles  que  Ton  donnedans  laPoëtique,  fur 
Icftnelles  nous,  avons  fait  nos  Reflexions. . 
'    Lès.  Romans,  à  proprement  parler,  font  des 
Poèmes  Epiques  en  profe:  on  y  prend  plus  de  li- 
berté ^iic  dans  les  autres;  tnais  leur  principale diiF- 
ference  eft,  que  les  Auteurs  de  ces  Pièces  n'occu- 
pent prefque  Vefprit  de  leurs  Ledteursque  d'intri- 
gues amouréufc's.   Ce  qui  fait  qu'on  peut  appeUer 
'cesDuvrages  des  Livres  d'amour,  comme  nous 
l'avons  remarqué,    LrEpiquc  dt  un  Ouvrage  fe- 
lieux. 


u 


■»'■ 


îlotJ.v»^^*^ — ■ l  \ 

C  B  ^^  *  ^ 

Çe'^ff  de  là  <i«c  ce  îg^  du  nom  G«'^ 


SVK  t'ART  PoBTiQjTB.  Part.IL  Cb.Xin.  fff 

port  de  PlutarquC)  difoit  delà  Tragédie  du  Poëte 
Denys, qu'il  ne  l'avoit  pu  voir»  tant  elle  étoit  of« 
fufquée  de  langage.    ^ha»^6Klaf  ^  mAi»  «  aW 

La  fin  du  Poëme  Epique  eftde  faire  un  tableau 
de  ce  qui  fe  palTe  de  plus  éclatant  dans  le  monde 
comme  font  les  grands  volages  »  les  grands  £difi* 
%es  d'unfuperbe Palais»  ou dxuicgraade  Ville»  des 
Guerres»  des  Combats,»  des  Sièges,  8c  autres  ac-' 
tions femblables.  LesPoétesprétendenty former 
des  Rois»  des  Capitaines,  6c  donner  des  Leçons 
pour  fe  bien  conduire  dans  les  grands  emplois,  au 
milieu  de  la  guerre  ou  en  tems  de  paix.  Ce  qui 
fe  remarque  dansl'Ëneïde;  quiefl  TOuvrageence 
genre  le  plus  accompli  qui  fe  foit  jamais  fait,  8e 
où  il  paroît  plus  d'cmiit  8c  de  fdence.  Virgile  a- 
voit  entrepris  ce  deiiein  pour  fiater  la  Maifon  des 
Çdfars»  en  perfuadant  les  Romains»  quiibuffroienk' 
avec  impatience  le  joug  que  cette  Maifon  leur  a- 
voit  impofiitf  que  les.Dieuxavoî^tddlinédetout 
tems  l'Empire  du  monde  à  cette  Êunille ,  quipre*- 
noit  fon  origine  desTroyçns. 

I^afeetur  pukhri  Trojantts  origint  Crfar^ 
Imperinm  Oceanp  »  famam  qui  termntt  afirit» 

On  trouve  dans  TEndide  toute  PHiftoire  Ro-* 
maine.    L'on  y.  apprend  les  antiquitez  it  l'Italie  » 
&  preique  de  tout  le  monde»  lesx>iigines;desVil-: 
les  8c  des  Peuples:  Il  n'y  %  prefque point  de  âblo 
qui  n'y  foit  rapportée.  L'on  j  voit  la  manière  de 
combattre  8c  d'aifiçger  des  ViUea:  les  ccrcmonies- 
y  font  expliquées  dans  tous  leurs  termes  propres», 
comme  Macrobele  £àit  voir^    Il  y  a  dq  mPnilD- 
foplûe»  de  riUbx)nomie,  de  la  6eogi»phie:  ds 
forte  qu'uAJeuB^  Romain;  qui.  étudiait  ce  P<Mïte. 
avec  foin  t^yi  fti9»nipi&  4'wie  mûiiocc  iigreaUe  tout. 

Aa  z  ce 


^^6         NouvBLLXs  Refiexxons 

ce  qu'un  jeune  homme  de  qualité  étoit  obligé  de 
fa  voir  en  ce  tems4à«  :  Ce  qui  cft  un  fujet  de  con- 
fafion  à  la  plupart  de  nos  Poètes  ,  dont  les  Vcn 
n'ont  que  de  belles  paroles,  qui  ne  fignifient  rien. 

Leurs  Ouvrages  ne  font  bons  que  pour  faire  per- 
dre le  tems  agréablement:  Leur  manière  d'écrire 
cft  toute  paienne,  pleine  de  fables:  ils  s'en  cxcu- 
fcnt  mal  à  propos  fur  l'exeimile  desandens  Poètes. 
Car,  comme  ces  fables  faifoient  une  partie  de  la 
croiancc  des  Paiens  &  de  leur  Religion;  c'étoit 
une  ncceffité,par  exemple,  à  Virjgile  de  trouver  les 
occaûons  dans  fes  Ouvrages  d'en  inilruire  la  jeu- 
neflc  :  L'onne  voit  point  qu'il  les  invente;  ilparJefe- 
lon  la  commune  opinion;  &  c'cll  toujours  poiu* 
inftruire  fon  Leâeur  de  tout  ce  qu'il  peut  appren- 
dre de  la  matière  qui  fe  traite:  c'cft  pour  faire cqd- 
noître  l'antiquité  d'une  Ville,  l'origine  dune  Fê- 
te, d'un  Sacrifice ,  felonqu'ônlecroioitpourlor?, 
&  que  les  Hiftoriens  le  rapportent. 

Ce  Poëte  eft  auffi  admirable  enfes  exprcffions, 
que  dams  les  chofes  qu'il  expofe.  ;  Aucun  Auteur 
n'a  mieux  parlé  Latin,  ni  plus  favamment;  il  ne 
fe  fert  que  des  termes  les  plus  propres:  il  eft  na- 
turel, il  eft  claiV,  &  cependant  il  eft  fort,'  &  dit 
en  peu  dé  mots  une  infinité  de  chofes. 

Par  exemple ,  quand  il  dit ,  Et  figes  eft  uhi  Troja 
fiiti  &  les  bleds:  crôifiTent' où  étoit  la  Ville  de 
Troie,  n'exprime -t -il pas  le  rcnverfcment  de  cet- 
te Ville  de  manière,  qu'il  femble  que  par  ce  peu 
de  paroles  il  Ta  engloutie  toute  entiiere,  fans  en 
hiffer  aucun  rèfte,  comme  le  dit  Macrobe:  Pau- 
cijftmU  virkis  maximam  civîtatem  ffûufit4s^  abforpfit  ^ 
fwn  reliquit  iUi  nec  ruinam. 
'  Il  n'en:  pas  nccèffairé  que  je  parle  ici  de  Tœco- 
nt>mie  d'un  Poëme  ï^ue,  je  l'ai  fait  l'orfquej'ai 
propofé  les  règles  que  l'on  doit  obfcrvér  dans  la 
conduite  d'^n  foëmc.  Nom  avons  yû.  comme  il 
'■'  ^  .'  ."  fiur 


êXïK  l'Aut  PotTKïUï.  ParLlLCb.XIII,    j^pf 

faut  choilir  une  adion  confîderable,  qui  ait  un  com- 
mencement, un  milieu  &  une  fin;  comment' il 
faut  commencer  l'Ouvrage,  &  avec  (jucUe  modef- 
tie  r Auteur  d'un  Poëme  Epique  doit  faire  la  pro- 
pofition  de  Ton  deffein.:  Nous  n'avons  rien  à  coû- 
ter i  ce  que  nous  avons  remarqué  touchant  le  nœud 
&  le  dénouement  d'une  Pièce. 

Le*  Poèmes  Epiques  fe  partagent  en  divers  Li- 
vres, comme  les  Drames  en  plufieursA(ftcs.  Cette 
diftin^ion  eil  neceffaire  pour  délaifer  l'efprit  dii 
Ledeur.  Quelque  plaifir  qu'il  reçoive  de  la  lec- 
ture, elle  lui  deviendroit  ennuyeuli ,  s'il  n'y  trpu- 
voit  quelque  lieu  où  fe  repofer.  Or  il  fenM)}cque 
l'on  trouve  du  repos  quand  on  eft  à  la  .fin  d'un  Livre. 
Le  feul  titre  du  fécond ,  du  troifiéme  Livre  divertit*, 
comme  ces  marques  que  l'on  rencontre  en  faiiànt 
voiage  ,  qui  font  conaoître  combieE  on  a  fait  de 
chemiiir 

i^— «  Intitvai/a  vie  fe/Jfs  frétflarj  vsdetur 
Qui  notai  infcriptus  tniièm  êrehra  Upis, 

La  fin  d'un  Livre,  cfomme  dit  faûnt  Auguftin:; 
foulage  les  Ledeùrs,  comme,  les  Hôtelerie^  Sou- 
lagent les  Voiageurs.  î^tfdoquojmimmotlç^iiaUbri 
termino  reficitur  Ltéiarisintentip ,  ficul  iaborviotoritf 
bofpitio.  Le  relie  de  ce  que  l'on  ppurroit  dire  des 
Poëines  Epiques,  doit  s'apprendre  par  la  leélurc 
des  Auteurs.  Un  Maître  fera  plus  fiicilement ,  8c 
en  moins  de  tems  comprendra  à  fes  Difciples  ce  que 
c'efl  que  ce  Poëme  ei\  leur  çn  proppfant  un  excel- 
lent exemple, comnie  efiyËneïde  de  Virgile; que 
s'il  les  occupoit  pendant  une  année  à  }a  ledure  d'une 
Poétique  qui  expliquât  ces  diofes  avec  étendue,.* 
Longutn  iter  per  préc$pta ,  brei»e  à^effict^x  pir  ipeem* 
f/a.  Je  n'ai  pas  tant  entrepris  de  faire  connoître 
dans  ces  Réflexions  les  règles  de  la  Poétique ,  que 
de  découvrir  les  principes,  doù  ces  règles  font  ti- 
rées ,  ce  que  j'ai  crû-  devoir  fuffire.  -.' 

A  a  3  Chi- 


S^o       NorrVELiEs  Reflexion* 

bre  de  ceux  qui  croient  que  les  vers  chafles  nepc|  ^' 
vent  plaire.    II  ne  fiaut  pas  même  faire  lire  a 
jeunes  gens  les  Ouvrages  qui  font  aiTez  honnct 
fans  accompagner  les  inûruétions  qu'on  leur  doi 
de  quelques  Reflexions  ferieufes.    Car  il  n'y  en 
point  qui  n'ait  quelque  maxime  fauflè  ou  dangi 
reufe;  ce  qui  a  obligé  Platon  de  ne  point  recevoL 
dans  fa  Republique  Tes  Poètes,  &:  d'en  bannir  ceux' 
qui  y  feroient  entrez. 

Ce  l*hilofophe  montre  combien  il  eft  important 
que  les  jeunes  gens  ne  fe  forment  point  fur  d'auffi 
mauvais  modelles  que  ceux  que  reprefentent  les 
Poëtea,  qui  ont  des  fentimcns  bas  &c  cxtravâgans 
de  la  Divinité  ,  &  quifontfmeà  leurs  Héros  tant 
de  chofes  indignes:  cependant  ilavoit  une  grande 
eftime  de  leur  manière  de  s'exprimer ,  &  3  leur 
donne  fur  cela  de  grandes  loiianges;  c'efl  pourquoi 
il  dit  que.  il  quelqu'u^i  de  ces  Poètes  venoit  dansia 
Tille  qu'il  formoit  dans  fon  efgrit ,  il  le  conduiV 
roit  dans  une  autre»  après  avoir  v'erfé  fur  fa  tête 
des  parfums  »  8c  après  l'avoir  couronné  de  ffeurs.. 

La  RepubliquedeJssus-CHRisT  eft  bien  plus 
faintecommeplusrid^e».  quecelledePlaton;  mais 
fans  en  chaflcr  tous  les  Poètes ,  l'on  y  peut  conferver 
la  fainteté,  en  fe  fervant  mcmederétudeaue  Ton 
fera  faire  de  leurs  Ouvrages,  pour  dQnnercfel'efti* 
m  e  de  la  vérité  &  de  la  fainteté  de  nôtre  Religion .  11 
ne  faut  que  fjireconfiderer  les  opinions  extra  vagan*^ 
tes  que  les  Poètes  Payens  a  voient  de  leurs  Dieux,  /eA 
quelles  étoient conformes  à  celles  du  Peuple ,  corn* 
me  faintJuftin,Ladancc^Eufebe,  &plufieurs au- 
tres le  prouvent ,  montrant  fort  bien  qu'il  ne  faut 
point  chercher  ni  d'allégories  ^  ni  demyftercs,  ni 
de  Philofophie  dans  les  vers  des  Poètes,  mais  les  con- 
fiderer  comme  des  Hiftoires  limples ,  qui  propofent 
<:e  qui  s'étoit  dit  &  fait  r  aufîi  c'eft  par  le  témoi- 
gnage des  Poëtcs ,.  que  les  premiers  Apologiftes 

dto 


\ 


rtJK  l'Art  Poe riatJE.Pflj7.//.Ci&.Jf/F.  5^9 

tû ,  ils  ne  difent  que  des  bagatcUes.Je  parle  ici  de 
ceux  qui  n*ont  autre  but  que  de  flater  la  cupidité. 
Nous  avons  vu  pitrfieursPoëfiestrès-faintes,oùles 
cfprits  réglez  peuvent  trouver  du  plaifir  8cde  l'utilité. 

Quand  je  blâme  la  Poëfîe ,  on  voit  bien  que  je 
6c  condamne  que  Tufage  qu'on  en  fait ,  pour  aug- 
menter ôc  autorifer  en  nous  le  dcfprdre  de  la  con- 
cupifccttce.  L*on  trouve  dans  les  -anciens  PoëteS 
de  fort  belles  reflexions  morales ,  des  fcntenccs 
ttès-judicieufes  :  L'on  y  apprend  l'antiquité  ;  dont 
la  connoiflance  cft  neceffaire.  Outre  cela  il  faut 
attirer  la  jcuneflc  par  le  plaifir.  La  cadence  des 
Vers  a  quelque  chofe  de  diarmant ,  comme  on  a 
TÙ  dans  VArt  de  parler,  &  ce  Qu'an  Poète  ertfei*- 
gne,  ehtve  fans  doute  plus  agréablement,  6c  pat 
confequcnt  plus  facilement  dans  Tefprit. 

Aum  quand  l'Empereur  julien  TApoflat  fit  dé^ 
ffcnfc  aux  Chrétiens  d'étudier  les  Lettreis  humai- 
nes, &  de  lire  les  anciens  Poètes;  Saint  Grégoi- 
re de  Naiianiè,  fiçles  deux  ApoUinaireslepere& 
le  fils ,  coiïïpoferéùt  des  Vers  poûrifcrvir  a  TinlV 
truâion  de  la  jeuneffe. 

Mak  il  faut  prendre  garâfe',  que  fotis  ce  prétexté 
^U'il  y  a  quelque  ncceffité  de  wire  lire  aux  jeunes 
gens  les  anciens  Poètes  qui  font  cclebirês  J  un  lie  pCT*. 
mette  indifféremment  la  ledure  de  toute  forte  de 
vers.  L'on  ne  doit  rechercher  principalement  dans 
les  Livres  des  Païens,  que  la  fécondité  des  expref- 
Tions,  &  les  belles  manières  de  parler ,  tâchant  dé 
leur  ôter  comme  à  des  ennemis,  ces  armes, pour 
s'en  fervir  coritt'ieux-mêmes ,  ainfî  que  ledit  laint 
Paulin  *:  Satisfit  ab  ilfts  /ingud  copiant  é^  or  h  orna» 
ium  quafi  quddam  tie  bofli/ibus  armîsJpoJia  cepijfe. 

Puis  qu'il  eil  donc  plus  important  de  redreP- 
fer  le  cœur  de  la  jeuneffe  ,  q^ue  de  former  fa 
langue;  quelque  élégant  que  foit  un  Poëte,  l'on 
n'en  doit  point  pêrmcitre  la  Icélure  ,s'ilcftdunom- 
*  ^.ii.  Aa  4  bre 


56X  NOUVELIES   ReFI£XION5 

«lie  Chrétienne ,  pour  en  bannir  tout  ce  oui  n'eft  pas 
laint,  &  pour  empêcher  que  la  lefture  des  Poètes, 
4jui  fait  fur  Tame  beaucoup  plus  d'imprellî  on  que  h 
:MuIique»  ne  puilTe  donner  de  mauvailes  mœurs 
aux  jeunes  gens. 


j .  ^ 


f% 


Chapitri    XV. 

Tiufieurs  ferfonnes  fut  ne  iifeni  ni  /w  Ppitts  nî  les 
Romans  y  commetttnt  kt  même  faute  qt/e  aux  f»j  In 
Rfent  \  ih  oeeubtnt  kur  e/prh  à  de  vaines  peu  fées 

■  étuffi  iàngereufis  que  ceUes  que  les  Anieurs  de  ces 
Livres  exjvriment  fur  h  papier. 

QTToi  qu'il  y  ait  peu  de  perfonne  qui  fc  plai- 
fcnt  aujourd'hui  à  lire  les  Romans  ,cc  que  nous 
tt\'ons  dit  ne  ftra  pas  inutile;  car  telqnLii  ne  le  croit 
fas,  cft  très-coupable  devant  Dieu,  du  péché  que 
tx)inmettcnt  ceux  qui  s'y  amufent.  Il  y  a  des  Ro- 
mans imprimez ,  mais-  il  n*y  en  a  pas  moin^  dans  la 
\ête,  je  ne  dis  pas  de  ceux  qui  font  faifeursdeRo- 
iïïans,mais  dcpmque  tous  les  hommes.Il  n'y  a  point 
de  vuide  dans  Fatne  non  plus  que  dans  la  Nature; 
ainfî  quand  n^treefpritn'eft  point  occupé  depen- 
f(f  es  folides  6c  raifonnables ,  il  dl  plein  de  Taines 
imaginations,  de  vaines  idées  (^ull  forme  &  qu'il 
orne  comme  il  lui  jrfaît.  Il  feint  des  avanturcs  » 
des  intrfgues  qu'il  confidcre  avec  autant  d'atten- 
tion que  s'il  lés  voioit  exprimées  dansun  difcours 
naturel ,  ^  couchées  fur  le  papier. 

Ces  Ro'MH^bnt  \&  'Somméhcement  »  un  mi- 
lieu ,  &  une  fin.  Ce  n'eft  d'abord  qu'une  penfée 
ordinaire  qui  entré  dans  reprit:  elle  en  enfante 
p-lufieurt  autres,  qui  dcmnentoccafion  à  mille  ima- 
ginations. On  fait  naître  des  inddens:  on  con- 
udere  queOes  ce  font  les  fuîtcsi  on  ft  £ût  une  af- 

lai- 


9VR  l*Art  ? oir iQjJi.Part.JLCb.Xy,  ^s^ 

faire  de  dénouer  tous  les  nœuds  que  l'on  a  faits, 
avec  h  mcnic  application  que  fi  on  avoit  dclTein 
d'en  compofer  un  Livre:  &  l'on  ne  le  peut  appli- 
ijuer  à  d'autres  chofes ,  qu'après  qu'on  a  enfin 
trouvé  la  conclufion  de  toutes  ces  rêveries^    Ce 
que  je  dis  ici  pourra  paroître  furprenant,  mais  que 
chacun  fafle  reflexion  fur  lui-même,  il  s'en  trou- 
vera peu  d'entièrement  excmts  de  cette  maladie. 
Comme  les  fonges  que  les  hommes  font  pen- 
dant la  nuit ,  répondent  aflez  fouvcnt  à  leurs  defirs  : 
Su'ils  voient  en  dormant  ce  qu'ils  ont  fouhaitépen- 
ant  le  jour  :  chacun  fe  reprefente  dans  fon  ima- 
gination ce  qui  e(l  conforme  à  fon  inclination.  L'un 
Jlrcnd  plaidr  dans  une  vengeance  imaginaire  qu'il 
exerce  fur  fes  ennemis  :  un  autre  drefle  des  ban- 
euets  magniRQues  dans  fon  imagination  :  celui-là 
le  forme  de  fales  images  des  plaiiirs  honteux  dont 
il  voudroit  jouir:  les  uns  &  les  autres  retranchent 
^elquefois  des  idées  dont  ils  ferepaillcnt,  lescir- 
çonihnces  qui  pourroient  troubler  leur  fatisfaétion 

er  des  remors  de  confcicnce ,  &ilsy  ajoutent  tout 
oui  peut  rendt^  agréables  les  chofes  dont  ils 
conudercnt  les  images. 

Ces  Ronoans  ne  for\t  paç  moins  dangereux  que 
ceuxqui.font  imprimez  :  ils  peuvent  produire  des 
effets. encore  plus  funeftes,  en  ce  que  l'on  ne  lit 
]u*une  fois  un  Roman  itnprimé ,  &  que  ceux-là 
ic  fortcnt  point  de  TePprit.    L'on  y  perd  le  tcms , 
Se  comme  ceux  dont  la  leéture  ordinaire  n'a  é:é 
.]ue  des  Po(:tcs  Qc  des  Romans ,  ne  font  plus  ca- 
pables d'aucune  ledure  foUde  :  aufïï  lors  qu'on  a 
ïonné  libre  entrée  à  .toutes  les  pcnfées  mauvaifes 
k  inutiles  qui  fe  préfentent,  &  qu'on  s'cftaccoù-; 
umé  à  s'en  entretenir  avec  autant  d'application 
[ue  fi  elles  étoient  bonnes  &  necclîaircs ,  l'cfprit 
le  vient  li  libertin  &  fi  déréglé,  que  ni  dans  la  Prié- 
es ni  dansl'ccudc»  ni  dans  les  aliaiics,  il  ne  le 

A  a  6  peut 


5^4  NoUTXL'L.fiS  R£FLXXIO»fff 

peut  aflujcttir  à  confidercr  les  chofes  qui  lui  foiît 
propofées  :  il  fout  qu'il,  coure  çà  &  là ,  &  qu'il 
pourfuive  toutes  les  chimères  qui  fe  rencontrent 
dans  foa  chemin ,  &  qui  le  détournent  de  fon  ocr 
ci^tion» 

Toutes  ces  imaginations  ont  toujours  pour  ob- 
jet les  créatures,  les  grandeurs  du  monde»  lesvar 
nitCT.,  les  plaiûrs  :  ainû  ceux  qui  s'y  abandonnent, 
nourrirent  les  mauvaifes  affeétions  de  leuncœur, 
de  la  même  manière  que  le  font  ceux  qui  lifent 
ces  méchans  Livres  dont  nous. avons,  parlé. 

Il  eft  vrai  que  ces  imaginations  ne  nous  rendent 
pas  toujours  criminels ,  parce  qu'elles  ne  font  pas 
volontaires.  L'on  ne.  s'en  défait  pasaufH  facilement 
que  d'un  Livre.  Ceft  une  des  grandes  miferes  de 
nôtre  état  t  que  cet  affujettiHement  de  nôtreame, 
qui  cft  contrainte  de  voir  ce;  qu'elle  ne  vpudroit 
pas  voir.  LesDémotis,  félon  S.  A  uguftin,  peuvent 
remuer  nôtre  cerveau ,  &  y  tracer  plufieurs  figur 
res  ^  à  roccafîon  defuueUes  des  idées  fâchcufes  fe 
prefentcnt  à  l'ame.  Elle  peut  en  avoir  honeur ,  mais 
non  pas  les  chafler  fans  un  fecojurs  particulier  du 
Ciel,  que  les  Saints  demandent  à  Dieu  dans  les 
Prières  de  l'Eglife ,  lors  qu'ils  le  prient  de  purger 
leur  efprit  de  toutes  fouillures.  MJlcrgfmcnta 
fordium. 

Nous  fommes  obligez  de, combattre  continuel- 
lernent ,  pour  ainfi  dire ,  contre  ces  monllrcs  qui 
fe  jouent  de  nôtre  ame ,  &  de  nous  tenir  fur  nos 
gardes,  pour  n'être  point  furpris  par  ces  images 
trompeufcs  des  grandeurs  &  des  plaifirs  du  monde, 
que  les  Démons  ou  nous-mêmes  aous  formons  dans 
notre  imagination. 


Cha- 


axjK  l'Art.  Poitk^e.  Pau. IL  Ch.  Xl^L    ^6ç 


Ghapitre    XVI* 

La  vanité  &  hs  amufcmens  de  la  Poéfie  font  comwf^ 
une  image  de  la  vanité ,  ist  des  amuj'emens  de  qùeU 
ques  hommes  dam  ce  qu'ils  appellent,  leurs  ajf aires*. 

IL  y  a  bien  des  gens,  qui  ne  fe  contentent  pas 
d'aller  à  la  Comédie  9  de  lire  des  Romans-,  ou 
d*en  compofer  dans  leur  têtedç  la  manière  qvie  noiis 
venons  de  le  dire;  ils  jouent  eux-mêmes  la  Comé- 
die, &  toute  leur  vie  eft  un  Rolnan.  Ils  forment 
des  entreprises  vaines  ,.foit  pour  acquérir  des  rf- 
chefles  ou  de  grandes  dignitez;  ils  tournent  de  ce 
côté-là  toutes  leurs  inclinations,  &:  ils  en  font  oc- 
cupez comme  on  nous  reprefente le^H^r os  des  Ro- 
mans ,  occupez  de  leurs  chimerçs. 

Jafon,  par  exemple  j  étoit  occupé  de  la  conquê- 
te de  la  Toifon  d'Or,  &  Enée.  de  l'établiirement 
d'un  nouvel  Empire.  Lès  hommes  conçoivent  une 
haute  eftime  de  la,  chofe  qu'ils  fouhaitent ,  &  ils 
lui  donnent  toutes  les  bcautez  &  les  perfedions 
imaginables ,  ainû  qu  Honière  à  fon  Hélène  :  ilà 
font  ingénieux  à  fc  tromper^  par  leurs  propres  ûc- 
tions:  ils  n'envifagént  jaipâis  dafis  les  ridieffes , 
dians  les  dignitez,  que  ce  qu'il  y  a  d'éclatant;  8c 
ils  cachent  adroitement  à  k\irs  propres  yeux  les 
amertumes  des  plaifîrs  du  monde  :  ils  ne  confîderent 
point  dans  la  créature  qu'ils  aiment ,  qu'elle  eft  mor=- 
telle,  fujetic  à  mille  maladies  ;  Si  elle  a  des  dé- 
fauts, ils  les  déguifent,  &  ils  y  conçoivent  même 
des  perfeélions  qui  n'y  font  pas.  Us  le  trompent  de 
cette  manière,  &  ils  aiment  leur  erreur ,  parce  que 
plur  l'èftime  des  chofcs  qui  font  l'objet  de  leurs  pa(^ 
lions  eft  grande,  plus  ils  fe  fentent  émus  dans  la 
pourfuite  qu'ils  en  font,  &  plus  ils  en  augmentent 

A  a  7  leur 


^fA  !^ouTEtLEs  Refiixions 

kur  f'jlicité  imaginaire.  Comme  dans  les  Romans, 
l'jrs  qu'on  en  eitime  le  Héros,  on  b'inrereJe  da- 
vantage dans  Tes  avantures,  &  l'on  reîrenr  plus  vi- 
vement ces  plaiùrs  c  ai  accompagnent  les  émotions 
de  nôtre  cœur. 

Ces  perfonnes  fe  fatiguent,  elles  courent çà  & 
là ,  &  le  font  fans  cefTe  des  affaires  pour  jouir  du 
plaifîr  d'être  occupées,  &fefauver  du  chagrin  mor- 
tel que  leur  feroit  infailliblement  fentir  le  poids  de 
leurs  miferes,  fi  leur  cœur  ceflfoit  un  moment  d'ê- 
tre agité  par  leurs  paŒons;  &  c'cft  ce  que  les  hom- 
mes qui  ne  peuvent  vivre  fans  paflion,  rccherchcnl 
ardemment. 

Les  Règles  du  Roman  font  aflez  bicnobfcrvées 
dans  la  vie  de  ces  perfonnes  r  dont  nous  parlons. 
On  peut  même  confîderer  toute  leur  y\t.  comme 
une  feule  pièce  de  Théâtre  régulière.  L'unité  de 
tcms  &  de  lieu  y  cft  bien  gardée;  car  enfin  quel- 
que longue  que  foît  leur  vie,  quand  elle  feroit  de 
"cent  années, ce  n'ell  pas  14. heures  àrégarddel'é- 
tcmité,  &  la  plus  longue  vie  n'eft  véritablement 
Que  comme  un  fonge ,  ^ui  commence  &  qui  finit 
dans  une  heure  de  la  nuit.  Ce  n'efl  qu'un  point  & 
encore  quelque  chofe  de  plus  petit  qu'un  point, 
comme  fe  dit  Senequc  :  Punffum  tft  quodvivhnust 
'&  adbucpunfio  minus.  Ce  n'ell  qii'mi  éclair  dans 
la  nuit  de  l'éternité. 

Quand  ils  fcroient'Rois  ou  Princes,  le  Théâtre 
oùfejoiie  leur  Comédie,  &  où  fe  paflTe tout  ce 
qu'ils  font  fans  en  fortir,  eft  très-borne.  Puifque 
c'eft  la  terre  qui  n'eft  qu'un  point;  c'eftpourdivi- 
fcr  ce  point  &  en  poïïeder  une  plus  grande  partie 
que  toutes  les  Nations  difputent  entr'elles ,  &  qu'el- 
les emploient  le  feu  &  les  fiâmes  pour  s'armer  les 
unes  contre  les  autres.  Hoc e/î  iihtà^um^um quo^im- 
ter  tôt gcntes feiro  é^ignidivUitur. 

Le  Phiiofophc  que  je  viens  de  cîtcr  fait  conce- 
voir 


STTR  l'Art  PorriQUE.  Part  II,  Cb,  AT7.    ^6j 

Voir  la  fatuité  des  hommes  par  une  fuppofition  très- 
agréable.  Si  les  fourmis  avoient  de  l'elprit,  ne  fc- 
roienr-elles  pas,  dit-il,  comme  les  hommes  ?  ne 
partageroient- elles  pas  un  grain  de  fable  en  plufieurs 
Provinces?  Pourquoi  donc  lorsqu'on  voit  aller  les 
hommes  à  Tarméc,  &  marcher  enordrefousleurà 
étendarts ,  que  la  Cavalerie  tantôt  prend  le  devant 
pour  découvrir  l'ennemi ,  &  tantôt  couvre  les  flancs; 
dé  J'armée ,  &  que  tous  s'empreflcnt  comme  s*il  s'a- 
gilToit  de  quelque  chofe  de  grande  importance^ 
pourquoi  ne  les  con(îdere-t-on  pas  comnrre  une  trou- 
pe de  fourmis ,  &  qu'on  ne  dit  pas  d'eux  par  mépris. 

//  nigyum  enmfh  agmen  T 

Toutes  ces  courfes,  continue  ce  Philofophe,. 
font  femblables  à  celles  des  fourmis ,  qui  travaillent 
dans  un  petit  fentier.  Fwmcarum  iftedïfcurfustflin 
mnguflo  laborantium.  Quelle  différence  y  a-t-il  en- 
tr'ellçs  &  nous ,  fi  ce  n  eft  que  n&rc  corps  qui  cft 
petit,  cft  plus  grand  que  le  leur?  Ce  lieu  ou  l'on 
fait  flotter  des  Vaifleaux ,  où  Ton  range  des  Armées 
en  batailfe ,  où  l'on  aflTigne  différentes  Prorînces , 
n'cft  qu'un  point  dont  TOcean occupe  laplus grande 
partie  :  QuidiUls  &  nobis  interefi ,  vifi  exigui  men* 
Jura  corpt//cu/i  f  putjéfum  eft  iftùd  în  quo  navtgatis  f. 
in  qtto  beifaùs ,  in  quo  régna  fitjfçnttis  :  minima  etia/n 
€um  illis  utrtnque  0<eanus  occurris. 

Il  femble  que  l'unité  d'aélionn'y  foitpasgardée^ 
parce  qu'ils  changent  de  deflfein  à  tout  moment ,  ôc 
que  chaque  jour  ils  font  de  nouvelles  entreprifes» 
Mais  fi  on  confidere  avec  attention  ce  qu  ils  font  ^ 
on  verra  que  c'efl  toujours  après  cette  même  gran- 
deur imaginaire  qu'ils  courent  :  qu'ils  recherchent 
tantôt  dans  un  lieu ,  &  tantôt  dans  un  autre. 

Comme  dans  une  Comédie  il  y  a  des  Adleurs 
cui  difparoilTcnt  après  les  prciûiers  Aâçs  ;  qu'il  yen 

a 


^68  Nouvelles  REFLEXio.N"ar 

a  qui  meurent  dans  la  Cataflrophe,  &  que  les  ai»- 
très  triomphent  ;  auffi  entre  ces  perfonnes  dont  nous 
parlons,  le  uns  ne  paroiflent  que  quelque  tem  s,  ils 
perdent  la  vie  fans  venir  à  bout  de  leurs  entreprife», 
&  achèvent  la  Comédie;  mais  enfui  après  la  Pièce 
qui  ne  dure  que  quelques  heures ,  &  que  la  mprt  in*- 
terrompt  fouvent ,  ils  difparoiirent  tous  commcles 
Âcfteurs  des  Comédies  ordinaires. 

Leur  vie  eft  auffi  vaine  que  celle  des  Héros  des 
Romans»  elle  paife  auffi  vite ,  &iiremblequecene 
foit  que  comme  une  image  qui  paraît  6cdiXbaroît 
prefque  en  même  tems.  /»  imaginé pertr an ftt  ëomo» 
Mais  il  y  aicette  différence  entr*eux  &  ces  Heros^que 
ceux-ci  ne  feront  pas  punis  pour  ces  aétions  feintes 
quils  n  ont  point  faites,  &  que  ces  perfonnes  feront 
punies  pour  ces  vanitez»  dans  lefquelles  eues  ont 
confumé  toute  leur  vie. 

Le  malheur  dans  lequel  elles  tomberont ,  comme 
faint  Auguflin  le  dit  fort  éloquemment ,  cft  bien  dif- 
férent de  ce  bonheur  d^îslequel  elles  fïcuriflent.  Car 
ce  bonheur  n'eft  que  pour  quelque  tems  ;  &  elles  fe^ 
ront  malheureufes  éternellement.  Ce  bon-heur  n'efl 
qu'imaginaire 9  &  leurs  miferes  font  très-réelles. 
No»  enim  quemodo  Jforent  fie  penunt^  fiorent  enim 
fid  Pemfus  >  pireun$  in  £ternum  y  JUrent  falJU  bonis  » 
pereunt  veris  tormentis. 

Tous  les  hommes  favent  ces  veritcz  que  nous  ve^ 
nons  de  propofer.  Ils  n'ignorent  point  que  toute nd- 
tre  vie  n'eft  qu'un  fonge ,  que  la  mort  ôtera  ces  man- 
ques qui  diltinguent  les  hommes;  qu'elle  les  dé- 
pouillera de  ces  habits  fous  lefquels  les  uns  paroiC- 
lent  Princes ,  les  autres  valets.  Et  que  les  reduifant 
au  tombeau  également  nuds,  ils  n'emporteront  que 
les  vêtemens  de  leur  ame  ;.c'eil  à  dire  les  vertus.  Mais 
ils  prennent  plaiijr  à  fe  tromper.  Ils.  ne  croientpas 
pouvoir  pafler  la  vie  agréiblcmexit  d'une  autre 
manière^ 


5U&  l'A^t  PoETiQjif  b.  Part. il Ck^XVI,  569 

Ils  ne  veulent  pas  chercher  Dieu ,  il  faut  donc 
qu'ils  cherchent  quelque  amufement  qui  ferve  de 
matière  aux  mouveniiens  de  leur  cœur,  puis  qu'il 
faut  qu'il  agiffc  &  qu'il  hepcut'être  en  repos  un  ma- 
rnent. Ils  fe  font  des  affaires,  ils  prennent  de  grands 
emplois  où.  ils  n'ont  pas  unjmomentpourpenfêrà 
r  éternité";  &bieji  loin  de  fe  croire  malheureux,  ils 
confiderent  ces  grandes-&  continuelles  occupations> 
comme  des  marques  de  lieuï  f^citi.*  Argumentum 
ejje  ffUcitatis  occufationemputant. 

Recevant  donc  tant  de  plaifîr  de  leur  manière  de 
'vivre,  qui  les  excmte  de  pluiïeurs  chagrins;  ils  air 
ment  leur  erreur ,  &  ne  voudroient  pas  en  être  déli- 
vrez; femblables  à  cet  Athénien  qui  fe  fâcha  contre 
fcs  amis  qui  l'avoient  guéri  de  fatfolie.  Toutes  les 
fois  qu'il  alloit  danslelicuoùfejouoientlesComer 
dics,  il  y  croioit  voir  des  Aéleurs,  Scilypaflbitle 
tems  agréablement  dans  un  divèrtiffement  imagi- 
naire. C'eft  pourquoi  voiis  ne  m'avez  pas  redonné 
ravie,  difoit-iUfesamis;  mais  vous  m'avez  tué^ 
m'ay ant  ôté  avec  violence  mes  plaifirs  &  une  erreur  ^ 
qui  m'étoitii  agréable. 

t  Pol  m9  oceidiftts  amich 
Non  fèrvajiisi  ah,  eut  fie  extorta  vo/uptasy 
Etdemptus  per  vint  tnentis  gratijfmus  error. 

Cefl  fe  déclarer,  ennemi  deshommes  que  de  leur 
vouloir  ouvrir  les  yeux  fur  cttte  extravagance ,  ils 
s'irritent  même  contre  ceux  qui  leur  foot  quitter  ceN 
te  fauffe  opinion  qu'ils  ont  de  leur  bonheur,  qui  n'eft 
qu'une.'mifere  véritable  ,  comme  le  Cordonnier 
My cille  dans  Luciéft ,  fe  fâcha  contre  fon  coq ,.  ôc 
lui  jetta  une  forme  àla  tcte ,  parce  que  l'ayant  éveil» 
lé  il  lui  avoit  fait  quitter  les  richefles  dont  il  jouïlToit 
dans  un  agréable  fonge.. 

Toutes  les  fçlicitez  de  la  terre  font  femblables^ 


570        NooYEiLïï  RiPtïxroirs&c. 

celles  de  cet  homme  qui  révoit  ;  Felhitatesfétcurtfim' 
nia  dormtentium.  Les  Toies.quc  donnent  les  biens 
du  monde  ne  font  ps  pins  folidcs  que  ccHcs  que  l'on 
trouve  dans  une  rêverie  agréable.  Cauiitm  Jefom" 
«0.  Les  hommes  aiment  ce  fommcil}  &  16  bonheur 
de  la  vie,  félon  Tidée  qu'As  en  ont,  confiftcà^i- 
vre  dans  une  perpetuelte  léthargie;  pendant  laquel- 
le ils  n'ont  m  embarras  niinquietudedccequidoit 
arriver  après  ce  fommeil. 
•  11  y  a  peu  de  perfonnes  qui  foienteicemtesdcct 
mal,  &  dont  on  puifTe  dire  que  la  manière  de  mre 
foit  ftricufc  &raiibnnable;  car  enfin  tous  cescm- 
prefTemens  des  hommes  qui  travaillent  à  acqueiir 
des  richefles,  déshonneurs,  'dfcs  plaifirs,  ne  font- 
ils  pas  aulîi"  vainsque  les  travaux  des  Hcros  des  Poè- 
tes? Toutes  leurs  Pallions  ôctoutcs  leurs  adioasfont 
auiïi  inutiles  que  celles  des  Comédiens ,  quis'afil- 
gent,  qui  fe  Sachent,  qui  parlent  6c  agiuent  avec 
tant  d*ardeur  fur  les  Théâtres  :  ou  que  les  peines  q:c 
fe  donnent  les  enfans  dans  leurs  jeux. 

Il  eft  vrai  que  les  niaiferies  des  hoYnmes  paSenl 
pour  des  affaires  importantes  :  Majm-um  nug£nciuùn 
VQcanîîLV.  M:us  enfin  puiftjiîC  Ton  ne  doutC pointée 
la  brièveté  de  cette  vie ,  qui  fera  fuivie  d'une  àcrr.:- 
té  heureufe  ou malheureufe,  ne  doit-il  pas  être  cor/- 
tant  que  tout  ce  que  l'on  fait  qui  ne  fcrt  de  rien  pou: 
léternité,  n'eft  que  folie  ;  &queleshomme5qy:/'^ 
rempliflent  la  tête  Jegrands^efîcins ,  qui  cherchent 
des  établiflemens  fur  la  terre  fans  penfer  au  ciel ,  fon: 
infenfez  :  que  toute  ècttc  fagciîe  avec  laquelle  ils 
ménagent  ces  deffeins ,  n'eft  que  folie  ;  &  eue  toit 
leur  efprit  n'eft  pas  moins  corrompu  que  Icferoir 
celui  d'un  homme ,  qui  étant  plein  de  ce  qu'il  ai/roit 
Jûdans  les  Romans,  s'imaginerait  être  un  Heroslû- 
mêmc,  &  s'occuperoit  toute  fa  vie  dansdesinn- 
gues ,  dans  des  entreprifes ,  &  dans  des  conquêtes 
imaginaires,comme  le  Dom  Quichot  des  lîfpagno.i 
lin  de  la  Sccmdis  PnrtH. 


TABLE 
DES     CHAPITRES 

CONTENUS 

dans  fes  Réflexions  far  I*AfC  Poétique. 

Chapitre  I.  T  -4  Poiifie  e^^  une' peinture  parlanti 
A^  de  ce  quîly  a  de  {dus  beau  dans 
ies  Cbredfures  i  elfe  fait  oublier  Dieu  ^  dont  ces 
Ctèaturesfont  fimuge,  449^ 

Chai»,  il.  Dieu  ayant  fait  toutes  cho/es  four /a 
g/oire ,  tous  les  inyûvànetis^  'qu'ait  a  imprimez  dans 
ks  Créatures  iindtHi  vtrs  iui  :  XJl'eJf  pourquoi  tes 
hommes  ne  peuvinf  trouver  de  repos  fu^en  Dieu, 

4ri- 

Chait.  ÎU.  Les  P (fis tes  entretiennent  cette  ilUifon 
des  hornnuesviU  dérobent  à  "leur  connoijfance  /es  im^ 
perfeâiions  des  Créatures  ^  &  les  amufint  par  unfi 
vaine  apparence  de  prmtdeur.  4f4ï 

Ghap.  tw.  Les  Poètes  ne  propofeht  que  dès  cbofis 
rares  éf  istraordinaires  dont  ils  cachent  les  imper* 
fe  fiions^  457- 

Chap.  V.  Les  Poètes  couvrent  toutes  ks  Créatures 
d'un  faux  éclat:  ils  occupent  tellement  Pe/prit  de 
leurs  Leéleurs^  qu'ails  nt  penvent  faire  aucune  re^ 
fiexionfur  eux-mêmes^  et  fit  It  néant  descreâtu^ 
res.  4f  9 

Chap.  V\..  Le  chagrin  qui  trouble  tous  lés  pldtjirs 
de  la  terre t  nous  avertit  que  ton  ne  peut  troux^r 
du  repos  qu'en  Ùieu  :  Les  Poètes  pour  les  rendre 
heureux  travaillent  i  dtjjipcr  ce  cbùgrim  462 

€h  AP.  Y  IL.  Un  des  moyens  dont  les  Poètes  fe  fèr» 
vent  pour  attacher  les  hommes  à  la  leéture  Âe  leurs 
Ouvrages ,  eji  de  leur  propofer  tout  ce  qui  flatte 
Jeurj  inclinations  corrompues*  46  f 

Chap.VUI. 


TABLEDESCHA^PITRES. 

Chap.  VI 11.  V Amour  e(l  Pâme  de  laPoefie  :  Us 
Poètes  far  la  reprifentation  de  cette  PaJJion  arrê' 
tent  les  efprtts  fenjMels.  U  efi  d'autant  pluj  dange^ 
reux  t  que  ces  Poètes  tâchent  de  cacher  les  dérègle- 
mens  de  cette  P'affionL    'IV.  468 

Chap.  IX.  L'homme  ne  peut  vivre  pins  amour  :  Son 

.  //^drevienf'4t.ce,qu*tilJjfiournè  yersdè^  Creafw 
res ,  au  //eu  de  ie  tourner  vers  Dieu.  La  Poefie 
entretient  ce  defovdn,  472 

G  H  A  p.  X.  Lîs  Poètes  ne  frennent  pas  toujours  le 
foin  de  purger  de  toutes  faletez  les  amours  qu'ils re* 
prefentent  -,  ils  autori/ent  les  plus  fales  amours  « 
comuie  toutes  les  autres  Pajpons  déréglées.  476 

Chap.  XL  Lhomme  efl  fuit  pour  la  Veritf\  de  là 
naît  ce  grand  depr  defavoir  y  qui  degenert  en  une 
curiojtté  criminelle t  que  nourrit  la  Voèfie,  477 

Chap.  XII.  Comme  tefprit  nefe  porté  a  connoître 
que  la  Vérité  r  ou  ce  qui  en  a  Papparence  ;  les  Poil' 
tes  aujji  tâchent  de  rendre  vrai-fembUtble  tout  ce 
qu^ils  proùofènt.  484 

Chap;  XIII.  Ï>' où  vient  que  imitation  ejî  fi  a- 

gréahk ,  que  l'on  prends  'p0r  exemple  ^plus  de  phi» 

,   Jir  à  voir  Pimage  d*une  chofe  que  cette  chofi  mime. 

487 
C  H  A  p.  X I V.  Nr»  feulement  les  Poètes  gâtent  Pef- 

prit  de  Phomme  »  mais  ils  corrompent  fin  cœur  ; 

ils  en  détournent  tous  les  mouvernens  de  Ja  fin  prin^ 

cipale  qui  ejf  Dieu ,  iF  qui  efl  la  caufi  du  plaifir 

que  Pon  reçoit  de  ces  émotions  avec  kfquelles  Pon  lit 

les  Poètes,  -      .  4^0 

Chap.  XV.  La  Po'èfie  eff  une  Ecole  de  ioutes  les 
PaJJionsy  que  condamne  la  Religion,  497 

Chap.  XVI.  Quand  la  Po'èfie  n*in/pireroit  point 
de  mauvaifes  PaJJiçns ,  elle  fir oit  toujours  criminel" 
le  9  parce  qu^elle  rend  inutiles  tous  les  bons  mouve» 
Mens  de  nôtre  cœur.  500 

SE- 


TABl^E  DES  CHAPITRES. 


-I*- 


SECONDE    partie: 

Chap.  L  T  Afnât  VArt  Wètipie  è/i  tte  flaire i 

JLi     Ses  règles  générales  Je  redùifint  à 

fuatre  principales^   On  propajè  les  deux  premier 

resffavoir  le  eboix  de  Ù  matière  9  &  limitation* 

Chap.  II.  Règles  que  fuivent  les  Pç'étespour  flatter 
les  inelinationsdà  hommes  ^  &  pour  remuer  liùrs 
paffions.  •  jro7 

'Chap^.  ÏIL  La  Po'èfie  eft  plus.dangereufi^  lorfyue 
lés  règles  de  l'Art  font  mieux -obfirvées.  Règles 
particulières  de  f  unité  daélion.  f  IJ 

Chap.  IV.  Les  Poètes  ne  commencent  pas  PHifloire 
de  leur  Héros  par  les  premières  aélions  de  fa  vie, 
mais  par  le  fecours  des  Epi/ode  f  ils  font  connoître 
aux  Leéieurs  tout  ce  qu'*ils  peuvent  avoir  envie  d'en 
apprendre.  S  '  7 

Chap.  V,  Des  frincîpalef  Parties  d*une  Pièce.  5 19 

Chap.  VI.  J>e  Nmté  de  iems  &  de  lieu  ;  de  la 
durée  de  chaque  Pièce.  /H 

Chap.  VIL  Du  Poème  Dramatique.  f  z8 

Chap.  V 1 1  L.  De  tOrigine  du  Poème  Dramatique 
&  defes  efpecèà^  Sl^ 

Chap.  Ia.  ife iet Comédie é^ dé  hTragedie.  Quelle 
eji  leur  différence ,  i^quel  efl  le  deffein  que  lesPoè' 
tesfe  propofent  dans  ces  Poèmes.  53^ 

Chap.  X.  Les  Comédies  it  lesTragedies  corrompent 
les  mœurs ,  bien  loin  de  les  reformer.  $41 

Chap.  XI.  La  reprefentation  qu'on  fait  des  Come* 
dies  &  des  Tragédies  fur  les  Théâtres  publics  ^  en 
augmente  le  danger.  Von  ne  peut  affijler  aux  Spec» 
tacles  fans  péril.  f  44 

Chap.  Xlt  Du  Po'èmt  narratif  :  Quelles  font  fis 
efpecis.       '  "  T49 

Chap.  XIU. 


TABLE  DES  CHAPITRES. 

■■C  H  A  P.  X  II  I.  Da  P«BM  Hfi^ue.  jfi 

Chap.  XIV.  Ltt  Pt'tiet parpettr  être  KtUet  :  Avtc 

qutllt  péttaiiom  iJ  faut  Ut  fsirt  Hrt  ^uxjnm 

ftnt.  ;iî 

Chap.  XV.  Pl^turt ^rfinues  qm  nt llffnt  û kl 

ttiiÊt  ni  kl  Ramem,  cemlMtftait  U  menu  fuU 

■  gM  ctutt  pu  Ut  iifemt  ;  ih  oecuptM  bar  effrit  i  Je 

.  ^Iturt  À  ca  Livra  exfrimm  fur  ù  fapier. 

Cbap.  XVL  Li  VM/f/  éf  /»  amjhiulu  de  là 

■  Poïfii ,  font  mmmt  une  imm^i  de  la  vaniti  èf  dit 

Jn$  Icurt  pffiiru,  f<f 


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